Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue étrangère

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    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre1

    Wolfgang KLEIN :L'acquisition de langue trangre.

    Paris, Armand Colin, 1989

    Traduction par Colette NOYAU (ms dfinitif).

    (Zweitspracherwerb. Eine Einfhrung.Athenum Taschenbcher Linguistik. Knigstein/Ts, Athenum Verlag 1984, 206 p.)

    http://colette.noyau.free.fr

    SOMMAIRE

    FICHIER 1-A chapitres 1 3

    Pagination du manuscritAvant-propos

    3

    I. Le processus d'acquisition de la langue

    5

    1. Acqurir une langue, quelques ralits simples, quelques questions

    importantes, quelques thories connues.

    6

    1.1 L'acquisition de la langue maternelle

    61.1.1 Le dveloppement cognitif, social et linguistique

    61.1.2 Le "dispositif d'acquisition linguistique"

    8

    1.1.3 La priode critique pour l'acquisition de la langue maternelle

    9

    1.1.4 Bilinguisme compos, bilinguisme coordonn

    10

    1.1.5 Dominance et spcificit des langues pour le bilingue

    11

    1.1.6 Retard de dveloppement chez les enfants bilingues?

    12

    1.2 De l'acquisition de la langue maternelle lacquisition de langue trangre

    12

    1.3 L'acquisition d'une langue trangre

    131.3.1 Lacquisition non guide13

    1.3.2 Lacquisition guide dune langue trangre15

    1.4 Le rapprentissage

    16

    1.5 Quelques thories de l'acquisition des langues trangres17

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    1.5.1 L'hypothse de l'identit

    17

    1.5.2 L'hypothse contrastive

    18

    1.5.3 Krashen : la thorie du "contrle"

    201.5.4 Thories des lectes d'apprenants

    21

    1.5.5 La thorie de la pidginisation

    21

    1.5.6 Conclusion

    22

    NOTES

    23

    2. Six dimensions fondamentales de l'acquisition linguistique

    25

    2.1 Vision d'ensemble25

    2.2 La propension apprendre

    26

    2.3 La capacit linguistique

    28

    2.4 L'accs la langue

    30

    2.5 La structure du dveloppement

    32

    2.6 Le rythme du dveloppement

    34

    2.7 L'tat final

    34

    2.8 Synthse

    35NOTES

    36

    3. Possibilits d'intervention

    37

    /

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    2

    FICHIER 1-B chapitres 4 6

    II. De lexposition la langue aux lectes d'apprenants39

    4. Les quatre tches de l'apprenant

    40

    4.1 Analyser la langue

    40

    4.2 Construire l'nonc41

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    4.3 Mettre en contexte

    41

    4.4 Comparer

    41NOTES

    425.Analyser la langue

    43

    5.1 Les connaissances pralables

    43

    5.2 Les caractristiques structurales des donnes

    45

    5.3 Premier exemple : test de rptition sur l'acquisition des pronoms personnels

    47

    5.4 Deuxime exemple : test de traduction sur l'acquisition des verbes modaux

    48

    5.5 Troisime exemple : les expressions figes non analyses50

    NOTES

    51

    6. Construire l'nonc

    52

    6.1 La syntaxe des systmes lmentaires d'apprenants

    52

    6.2 Etapes suivantes de la synthse

    586.2.1 L'acquisition des formes verbales flchies

    59

    6.2.2 L'acquisition de la ngation

    62

    NOTES

    70

    FICHIER 2 chapitres 7 fin

    7. Lintgration au contexte

    73

    7.1 Dixis, ellipse et autres formes de la dpendance du contexte

    74

    7.1.1 La dixis76

    7.1.2 L'anaphore

    77

    7.1.3 L'ellipse

    78

    7.1.4 Ordre des mots et intonation

    79

    7.2 L'expression de la temporalit dans les lectes d'apprenants

    807.2.1 La temporalit

    807.2.2 La temporalit dans un lecte lmentaire d'apprenant

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    7.3 Conclusion

    88NOTES

    88

    8. Comparer90

    8.1 Questions gnrales

    908.1.1 Distance objective, distance subjective

    90

    8.1.2 La variabilit de la langue cible

    91

    8.1.3 Perception "consciente" et "non consciente" de la distance

    91

    8.1.4 La rflexion mtalinguistique

    918.2 Les formes du contrle

    928.2.1 La surveillance linguistique

    93

    8.2.2 Les ractions de l'interlocuteur (la rtroaction)

    92

    8.2.3 La rflexion sur la langue

    93

    8.3 Les rgles "critiques" ou : quoi comparer ?

    94

    8.3.1 Tche communicative, tche dacquisition95

    8.3.2 Degr de confirmation et rgles hypothtiques95

    8.3.3 Le caractre critique des rgles

    96

    8.3.4 Quelques implications

    97

    8.3.5 Illustration

    98

    8.4 Les autocorrections104NOTES

    107

    Conclusion

    109

    Postscriptum

    110

    Glossaire

    111

    Bibliographie

    112

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    Avant-proposPeut-on intervenir sur des processus naturels pour les amliorer en influant sur eux? La

    russite n'est pas garantie. L'exprience prouve que de telles interventions peuvent produiredes rsultats positifs ou ngatifs, et ce en fonction de ce que nous savons sur ces processus et

    les

    lois qui les gouvernent. L'acquisition d'une langue, maternelle ou seconde, est un exemple

    d'un

    tel processus naturel. L'enseignement des langues est une tentative d'intervention dans ce

    processus naturel pour l'optimiser. Il est clair que cette intervention peut d'autant mieux

    russir

    que nous en savons plus sur les lois qui rgissent le processus sous-jacent. C'est pourquoi il

    est

    important d'tudier ces lois. C'est l'objet de la recherche sur l'acquisition des langues.

    Ce livre est une introduction l'un des domaines les plus importants de l'tude de

    l'acquisition linguistique, l'acquisition d'une seconde langue (ou langue trangre). On ne fera

    que de brves allusions l'acquisition de la langue maternelle, qui lui ressemble en bien des

    aspects, mais qui a t beaucoup mieux tudie. L'tude de l'acquisition des langues

    trangres

    ne possde pas une tradition trs longue. Alors que la recherche sur l'enseignement des

    langues

    qui, logiquement, doit reposer sur l'tude de leur acquisition, a une longue histoire, avec

    plusieurs milliers de publications par an, et qu'elle constitue la sous-discipline la plus

    prolifique

    de la linguistique dans son ensemble, on ne comptait il y a une quinzaine d'annes quequelques recherches isoles sur les principes selon lesquels une seconde langue s'acquiert,

    sans

    aucune thorisation autonome ou globale. La situation a chang depuis : le foisonnement des

    tudes empiriques chappe toute vision d'ensemble, et certaines tudes tentent maintenant

    d'intgrer les rsultats partiels dans des thories globales. Ce livre avait t conu initialement

    comme une introduction ces recherches. Mais en le rdigeant, je me suis convaincu de deux

    choses :

    - il est vrai qu'il existe de trs nombreuses recherches empiriques, programmes ambitieux ou

    tudes individuelles, mais leurs rsultats sont disparates, souvent difficiles comparer entre

    eux, et l'image qui s'en dgage est relativement floue;

    - il existe d'autre part une srie de thories ou d'orientations thoriques, mais ou elles sont trsglobales, ou, si elles sont plus concrtes, elles gnralisent htivement des rsultats isols.

    C'est pourquoi j'ai prfr offrir une reprsentation des questions qui vise clairer

    l'tude de l'acquisition des langues, plutt que d'inventorier et de commenter exhaustivement

    les unes aprs les autres les rponses fragmentaires qui ont t apportes jusqu'ici.

    Evidemment, je m'appuierai chaque fois sur les recherches disponibles, mais en insistantgalement sur les lacunes et les questions ouvertes.

    Ce livre est constitu de deux parties. Dans la premire, on arpentera le terrain. On

    introduira quelques concepts importants, on tablira des distinctions ncessaires, on

    esquissera

    brivement les thories actuelles. Dans la seconde partie, on dveloppera de faon cohrente

    lesproblmes de l'acquisition des langues partir d'une perspective prcise, celle de l'apprenant,

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    qui traite les donnes linguistiques auxquelles il est expos l'aide de sa facult

    d'apprentissage, et qui se construit pas pas la capacit comprendre une nouvelle langue et

    la parler lui-mme. Je pense que cette perspective offre deux avantages apprciables : d'un

    ct,

    elle permet d'tablir des liens sur bien des points avec la recherche psycholinguistique qui

    s'intresse galement avant tout aux processus de comprhension et de production chez lelocuteur. D'un autre ct, c'est la faon la plus claire de se reprsenter les problmes de

    l'acquisition linguistique. Nous avons tous t des apprenants, et le sommes peut-tre encore.

    Cette dmarche a un inconvnient, c'est que la majeure partie des recherches n'adoptent pas

    cette perspective, mais sont centres sur les structures plutt que sur les processus, pour le

    dire

    de faon un peu schmatique. Mais je vois l une faiblesse des recherches menes jusqu'

    prsent, et qu'on doit surmonter.

    La premire partie et l'essentiel de la seconde partie devraient tre aisment accessibles

    au lecteur possdant quelques connaissances de base en linguistique. Certains concepts moins

    courants sont dfinis dans un glossaire. Les sections 6.2, 7.2, 8.3 et 8.4 sont un peu plus

    ardues.Elles sont signales dans le texte par un astrisque et peuvent ventuellement tre omises la

    premire lecture.

    Le plan de ce livre doit beaucoup des discussions avec Jrgen Weissenborn. Plusieurs

    amis et collgues m'ont fait bnficier de leurs conseils, remarques critiques et commentaires :

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    Rainer Dietrich, W.J.M. Levelt, Clive Perdue et Christiane von Stutterheim. J'ai prsent le

    contenu du manuscript des sminaires Brighton, Heidelberg, Francfort et Salzburg, dontles

    participants ont apport de prcieuses remarques. Le manuscrit original a t mis au net par

    Marlene Arns. Des modifications ont t apportes par rapport la version allemande, ajouts,

    mises--jour et rfrences bibliographiques nouvelles, avec la collaboration de Colette Noyau.

    Je leur dois tous des remerciements.

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    5

    PREMIERE PARTIE

    LE PROCESSUS D'ACQUISITION DES LANGUESCette partie comprend trois chapitres. Le premier est un panorama des recherches sur

    l'acquisition des langues. On y abordera diffrents types d'acquisition linguistique, on posera

    des faits fondamentaux, on discutera quelques questions essentielles qui ont t lucides dans

    les dernires annes, et on introduira quelques-unes des principales thories. Ce livre traite de

    l'acquisition des langues trangres, mais pour des raisons objectives, et galement vu la

    faon

    dont ce domaine de recherche s'est dvelopp, il s'est avr ncessaire de replacer cette forme

    d'acquisition linguistique dans un cadre plus gnral.

    Il est trs difficile de donner une image claire de l'tat des recherches, car le domaine est

    htrogne divers titres, en ce qui concerne les questions fondamentales, les mthodes de

    recherche, les tentatives d'explication, et galement la terminologie. C'est pourquoi dans le

    second chapitre, nous tenterons de structurer ce paysage trs divers en un tout cohrent. Dans

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    une perspective psycholinguistique, l'acquisition des langues apparat comme un processus

    - soumis des lois prcises,

    - dtermin dans son dveloppement, son rythme et son tat final par divers facteurs, et

    - pouvant tre influenc un certain degr par une intervention mthodique : l'enseignement.

    Au centre de cette conception, se trouve l'apprenant qui se voit, dans une situation

    sociale donne, contraint de - ou autoris - exercer sa capacit apprendre sur les donneslinguistiques auxquelles il est expos. Beaucoup d'aspects qui sont traits de faon encore trs

    globale dans ce chapitre sont dtaills dans les chapitres de la seconde partie, en fonction de

    l'tat de la recherche. Car aujourd'hui, nos connaissances sur l'acquisition des langues restent

    encore trs fragmentaires sur bien des points. Mais il nous semble important de commencer

    par

    une vision d'ensemble englobant tous les aspects, mme si nous ne serons pas en mesure d'en

    dvelopper tous les dtails par la suite.

    Dans le troisime chapitre, nous aborderons brivement la question des possibilits qui

    existent, selon cette reprsentation, pour guider systmatiquement le processus; nous

    tablirons

    donc par l-mme les frontires et les angles d'attaque possibles de l'enseignement, sans allerjusqu' formuler des propositions concrtes pour amliorer l'enseignement. Mais il nous

    semble

    important de replacer l'enseignement des langues ds l'abord dans une juste perspective. Tant

    qu'on ne connat pas les lois qui gouvernent le processus d'acquisition et les facteurs qui le

    dterminent, il est illusoire de penser un enseignement scientifique des langues trangres.

    Dans le troisime chapitre, nous en dirons les raisons.

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    61. Quelques formes d'acquisition linguistique, quelques faits

    lmentaires, quelques questions importantes, quelques thories

    connuesTout enfant apprend normalement en quelques annes une langue, sa premire langue

    ou, comme on a coutume de le dire, sa langue maternelle. Il existe des exceptions pour des

    raisons physiologiques (par exemple la surdit) ou sociales (par exemple les "enfants-

    loups")*1.

    Normalement, un enfant, l'ge de l'cole primaire, est mme de se faire comprendre

    couramment. Aprs la pubert, la matrise de la langue ne se dveloppe plus que peu, mme si

    sur plusieurs aspects, le processus d'acquisition nest jamais totalement arrt (par exemple en

    ce qui concerne le lexique). Cette acquisition de la premire langue, ou acquisition initiale, estdonc doublement premire : c'est la premire dans le temps, et c'est une acquisition

    fondamentale.

    Cependant beaucoup d'individus n'apprennent pas une langue unique, ils en

    apprennent deux (ou plus), et cela simultanment, de sorte qu'on doit parler alors des

    premires langues et non de la premire, ou avec un certain dcalage dans le temps. Selonl'importance de ce dcalage, l'acquisition de la premire langue peut avoir atteint un stade plus

    ou moins avanc; dans certains cas, on peut la considrer comme acquise. Ce dernier cas

    concerne l'aprs-pubert*2.

    Une premire distinction vidente est donc faire selon qu'il y a dj eu acquisition

    d'une langue ou non. Dans le premier cas, on parle d'acquisition d'une langue trangre

    (ALE),dans le second, d'acquisition de premire(s) langue(s) ou acquisition de langue maternelle

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    (ALM). Il est clair que cette distinction est dlicate tablir, elle dpend du stade atteint par

    l'acquisition de la premire langue (ou des premires, si elles sont plusieurs). Il reste

    mentionner un dernier cas, c'est la racquisition, lorsqu'une langue qui avait t apprise est

    oublie ou rendue indisponible par une aphasie par exemple, et qu'elle doit tre acquise

    nouveau. Nous avons donc trois types principaux d'acquisition linguistique, qui ne peuvent

    pas toujours tre distingus les uns des autres de faon tranche et qui peuvent faire l'objet dedistinctions plus fines : l'acquisition de la premire langue, l'acquisition d'une langue

    trangre, la racquisition d'une langue. La premire question fondamentale est la suivante :

    dans quelle mesure ces trois types d'acquisition linguistique3 suivent-ils des lois identiques,

    malgr les diffrences qui les caractrisent? Nous allons y revenir ci-dessous.

    1.1 L'acquisition de la premire langueOn parle d'acquisition de la premire langue lorsque l'apprenant, en gnral un enfant,

    n'avait encore acquis aucune langue auparavant. Selon qu'il acquiert alors une seule langue (ce

    qui est sans doute le cas le plus frquent) ou qu'il en acquiert deux, on peut parler

    d'acquisition

    monolingue ou d'acquisition bilingue.

    L'acquisition monolingue de la premire langue est de loin la forme la mieux tudie del'acquisition linguistique. Nous ne pouvons pas dcrire dans cet ouvrage l'acquisition de la

    premire langue4. Mais on peut en relever un certain nombre d'aspects qui sont pertinents

    pour

    l'acquisition de langue trangre (ALE)5 et sa relation avec l'acquisition initiale; nous allons

    les

    passer en revue ci-dessous.

    1.1.1 Le dveloppement cognitif, social et linguistiqueL'acquisition de la premire langue est parallle au dveloppement cognitif et social de

    l'enfant : celui-ci passe de la condition d' infans (celui qui n'a pas la parole) celle de zoon

    logon echon et de zoon politikon , il acquiert la parole et l'intelligence et devient un tre

    social.

    Cela entrane quelques diffrences essentielles entre l'acquisition d'une premire langue et

    l'acquisition d'une langue trangre. Nous allons les introduire l'aide de quelques exemples.

    A) Le dveloppement cognitif

    Dans les langues comme le franais, l'allemand, l'espagnol, par exemple, pratiquement

    tout nonc contient, avec la forme conjugue du verbe, une marque de temps. Pour pouvoir

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    marquer ce temps grammatical (cf. angl. tense) correctement, l'apprenant doit disposer entreautres du concept du Temps (cf. angl. time), c'est--dire par exemple de concepts comme le

    Prsent, le Pass, et d'autres encore. L'laboration de ces concepts est un processus long et

    complexe6; beaucoup d'enfants confondent jusqu' l'ge de l'cole primaire "hier" et

    "demain",

    par exemple. C'est pourquoi lorsque vers quatre ans, ils produisent des phrases qui tout sonttout fait correctes d'un point de vue grammatical, on peut se demander si ce qu'ils expriment

    par une forme verbale de pass, est identique ce que la langue des adultes met l-dessous -

    du

    moins on peut se le demander tant qu'il n'y a pas malentendu ni conflit de communication.

    Cela nous amne deux affirmations importantes : Premirement : Le fait que les noncs

    soient grammaticalement corrects n'implique pas que la langue soit acquise correctement; cesnoncs peuvent signifier tout autre chose pour l'apprenant. Deuximement : Les catgories

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    cognitives qui sont exprimes dans les langues de diverses faons doivent avoir t acquises

    en

    tant que telles au pralable. C'est le cas en gnral pour l'apprenant d'une seconde langue,

    mais

    pas pour l'apprenant de langue maternelle7.

    Examinons encore un second exemple, qui est particulirement instructif. L'une descaractristiques essentielles des langues naturelles est leur dpendance du contexte. Elle se

    manifeste par exemple dans l'emploi des expressions dictiques. Tandis que des expressions

    comme "Napolon", " Toulouse", "avant la seconde guerre mondiale" possdent une

    signification relativement8 stable, des expressions dictiques comme "maintenant", "moi",

    "ici"

    dsignent chaque fois quelque chose de diffrent - en fonction de qui parle, o et quand.

    L'organisation concrte de la deixis diffre selon les langues. Ainsi, pour la deixis spatiale,

    l'anglais possde une organisation deux ples (here / there) alors que l'allemand possde une

    organisation tripolaire (hier / da / dort) - en dehors du fait que les units lexicales sont

    diffrentes. Mais ce qui est identique, c'est le principe de la dpendance par rapport au

    locuteur, au moment de la parole, au lieu de la parole et quelques autres paramtres (cetteconception a t labore en premier par Bhler, 1934 puis par Benveniste, 1946 1966 ; voir

    plus rcemment Wunderlich 1971, Fillmore 1971, et sur la deixis dans des langues diverses

    Weissenborn & Klein 1982).

    Ce n'est pas simple pour un enfant d'acqurir ce principe du changement dictique

    (voir Clark 1978, Wales 1979, Tanz 1980). Mais, ds qu'il est acquis une fois, il l'est une fois

    pour

    toutes. Lors de l'acquisition d'une seconde langue, l'apprenant n' plus acqurir le

    mcanisme

    sous-jacent de la dpendance du contexte, il ne doit plus acqurir que les mots adquats pour

    "le locuteur quel qu'il soit", "le lieu de la parole quel qu'il soit", etc., pourrait-on dire en

    simplifiant un peu.

    Pour rsumer, il existe des lments essentiels de la matrise d'une langue qui sont lis

    au dveloppement cognitif et qui doivent tre acquis lors de l'acquisition de la premire

    langue;

    ils sont alors disponibles lors de l'acquisition d'autres langues. Il ne faudrait cependant pas en

    conclure que lors de l'acquisition d'une seconde langue, on n'aura pas besoin d'laborer

    certains

    concepts cognitifs, ou, ce qui est souvent plus difficile, de les modifier. Quelqu'un qui a

    acquis

    le franais comme premire langue n'a pas dvelopp une catgorie comme l'aspect de la

    mmefaon qu'un sujet qui a acquis le russe comme premire langue ; c'est pourquoi lorsqu'il

    apprendra le russe, il devra d'abord relaborer assez profondment ce concept. Mais dans

    l'ensemble, lors de l'acquisition d'une seconde langue, les pralables cognitifs ncessaires sont

    dj acquis dans une beaucoup plus grande mesure que lors de l'acquisition de la premire

    langue.

    B) Le dveloppement social

    Pour un enfant, l'acquisition de la langue n'est que l'un des aspects de son

    dveloppement pour devenir un membre de la socit laquelle il appartient. Avec la langue,

    il

    apprend exprimer des sentiments, des reprsentations, des dsirs, selon certaines normes

    sociales; il apprend qu'on n'a pas toujours le droit de parler quand on veut, comme on veut et qui l'on veut ; il apprend comment on se fait des amis et des ennemis par la parole; il apprend

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    que l'on ne doit pas toujours dire la vrit; c'est par l'intermdiaire de la langue que les

    reprsentations culturelles, morales, religieuses et autres d'une socit sont transmises. Toute

    l'acquisition de la premire langue pour l'enfant est place sous le signe de la maxime :

    "Deviens ( peu prs) comme les autres". Ou pour le dire de faon plus nuance : "Acquiers

    une identit sociale et dans le cadre de cette identit sociale une identit individuelle". Pour la

    plupart des formes d'acquisition d'une langue trangre, les choses sont diffrentes. L'identitsociale de l'apprenant d'une langue trangre est en grande partie (sans doute pas totalement)

    fixe. A l'inverse, le dsir de ne pas perdre cette identit est parfois un frein important

    l'acquisition de la langue. Le fait que les enfants semblent acqurir une seconde langue

    souvent

    plus facilement que les adultes (nous y reviendrons) est souvent mis en relation avec des

    facteurs biologiques. Mais on peut tout fait concevoir que les enfants aient moins peur de

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    perdre leur identit sociale. Quoi qu'il en soit, nous pouvons affirmer que l'acquisition de la

    premire langue est troitement lie au dveloppement social et, par l-mme, la

    construction

    d'une identit sociale, ce qui n'est pas vraiment le cas pour l'acquisition d'une autre langue.

    1.1.2 Le "dispositif d'acquisition linguistique" (DAL)Selon une opinion trs rpandue, l'acquisition de la premire langue est rapide et facile.

    Cette vue a sous-tendu la conception certainement la plus influente dans la recherche sur

    l'acquisition des langues des trente dernires annes, celle de Chomsky et du "dispositif

    d'acquisition linguistique" (Chomsky 1959, 1965, 1975). Tout enfant normal, selon Chomsky,

    se

    construit en un temps tonnamment court une grammaire parfaite de sa langue maternelle.Cela ne peut pas s'expliquer l'aide des thories comportementales de l'acquisition qui

    rgnaient alors aux Etats-Unis (et que Skinner (1957) avait places la base du comportement

    linguistique galement)9. Il faut au contraire admettre pour Chomsky que l'tre humain

    dispose d'un mcanisme linguistique qui est

    (a) spcifique l'espce, c'est--dire par lequel l'homme se diffrencie par exemple des autres

    primates;

    (b) spcifique l'apprentissage linguistique, c'est--dire par lequel l'acquisition linguistique se

    diffrencie de l'acquisition d'autres formes de comportement ou d'autres systmes de

    connaissances;

    (c) qui prstructure fortement les proprits de la grammaire : de nombreuses proprits

    grammaticales d'une langue ne sont pas acqurir, elles sont innes.Le fait que l'homme possde un dispositif d'acquisition linguistique est incontestable,

    c'est une autre faon de dire qu'il est mme d'acqurir une langue. Mais ce qui reste matire

    discussion, ce sont les caractristiques prcises de ce dispositif, c'est--dire la question de

    savoirsi les propositions (a) (c) sont justes. De notre point de vue, c'est (c) qui rcle les

    implications

    les plus importantes, c'est--dire l'ide que certaines proprits structurelles de la grammaire

    seraient innes. Selon cette conception, les donnes partir desquelles l'enfant apprend ne

    font

    qu'activer les composantes de la grammaire, exactement comme le systme spcifique l'homme de la perception visuelle se dveloppe partir d'un programme biologique fixe, qui a

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

    11/54

    videmment besoin de stimulations extrieures pour tre activ. Un enfant qui grandirait dans

    le noir serait aussi incapable d'apprendre voir qu'un enfant qui n'entendrait jamais parler de

    se construire une grammaire. Et de mme que le systme visuel de l'homme ne pourrait pas se

    dvelopper par induction partir de ce que l'enfant est amen voir, pour Chomsky il serait

    impossible la langue de l'enfant de se dvelopper sur la base de ce que l'enfant reoit comme

    donnes linguistiques de son environnement. Dans cette perspective, une tude desinteractions

    mre-enfant (voir par exemple Snow & Ferguson 1977) nous en apprend peu prs autant,

    selon Chomsky, en ce qui concerne l'acquisition de la premire langue que l'tude des formes

    des berceaux, des chambres d'enfants ou des grand'mres nous en apprendrait sur le

    dveloppement de perception visuelle.

    De toute faon, ne peut tre inn que ce qui est commun toutes les langues, car

    d'aprs tout ce qu'on sait, tout nouveau-n est capable d'acqurir n'importe quelle langue. Ce

    qui peut tre inn, ce sont certains traits gnraux de toute grammaire, la "grammaire

    universelle". Ce qui est spcifique une langue donne, donc par exemple ce qui diffrencie

    le

    franais du chinois, doit tre driv de faon inductive des donnes auxquelles l'enfant estexpos au cours de son acquisition. Cela comprend

    -l'ensemble du lexique,

    - l'ensemble de la morphologie,

    -l'ensemble de la syntaxe telle qu'elle est prsente dans les descriptions grammaticales

    usuelles

    des langues10,

    - la majeure partie de la phonologie,

    bref, presque tout. Dans la grammaire universelle, on peut mettre d'aprs Chomsky lui-mme

    quelques principes gnraux sur lesquels nous n'allons pas nous tendre ici (voir Chomsky

    1985 pour un expos de l'tat le plus rcent de sa thorie, et en particulier sur la question de

    l'acquisition de la premire langue, voir Hornstein & Lightfoot 1981 et Baker & Mc Carthy

    1982). Pour l'acquisition de la premire langue, il est donc relativement indiffrent que la

    thorie de Chomsky soit juste ou non.

    Il est intressant de rflchir sur ses implications pour l'acquisition d'une seconde

    langue. Chomsky lui-mme ne s'est pas attaqu ce problme, et on ne trouve pas beaucoup

    de

    rfrences ce sujet (voir par exemple Schmidt 1980, White 1983, Mazurkievicz 1984).

    Supposons un instant que les deux hypothses suivantes soient justes :

    (a) L'acquisition de la premire langue par l'enfant est relativement rapide, facile et faiblement

    dtermine par les donnes linguistiques disponibles et auxquelles l'enfant est expos

    Page 9

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    9

    ("dsesprment sous-dtermine", comme Chomsky aime dire), alors que l'acquisition

    d'unelangue par un adulte est ardue et imparfaite.

    (b) Cette diffrence s'explique par la vertu bienfaisante de la Grammaire Universelle.

    On peut alors se demander pourquoi la grammaire universelle n'agit plus chez l'adulte. On

    peut imaginer que pour une raison biologique quelconque la capacit apprendre soit

    amoindrie (voir ce propos la section 1.1.3 ci-dessous). Mais cette volution ne peut

    videmment pas mettre "hors circuit" la grammaire universelle, puisqu'elle est l'uvre enpermanence et dans toute langue; l'apprenant n'a donc mme pas l'activer nouveau quand il

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

    12/54

    acquiert une seconde langue. On peut aussi envisager que ce soit la grammaire universelle qui

    ait"grav" certains traits structuraux lors de l'acquisition initiale (dans les termes de Chomsky,

    elle a "fix" certains "paramtres ouverts"), lesquels doivent tre remis en mouvement et

    peuvent donc constituer des difficults d'acquisition. Mais si c'tait le cas, il devrait tre

    beaucoup plus difficile pour un enfant comme pour un adulte d'apprendre une seconde langue

    que la premire (toujours suivant l'hypothse (b) ci-dessus). Cela n'a pas t suffisammenttudi, mais tout ce que nous savons laisse supposer le contraire : les enfants peuvent

    apprendre avec la plus grande facilit deux langues l'une aprs l'autre, et la seconde souvent

    plus vite que la premire. La raison pour laquelle l'acquisition de la premire langue par un

    enfant est aise, si l'on considre que c'est le cas, ne peut pas rsider dans l'intervention de la

    grammaire universelle, il doit exister d'autres raisons cela11.

    1.1.3 La "priode critique" pour l'acquisition de la langue maternelle (ALM)Lorsqu'on est enfant, on apprend normalement sa (ou ses) langue(s) maternelle(s). On

    peut se demander si partir d'un certain ge l'acquisition de la langue maternelle est encore

    possible, ce qui suppose de pouvoir rpondre une question pralable : celle de la dure de

    l'ALM. Mais il n'existe pas de rponse simple cette dernire question, car tout dpend de ce

    qu'on entend par langue et par matrise complte de la langue. Si l'on considre lesvagissements prlinguistiques du nourrisson, l'expression de ses dsirs et des tats dans

    lesquels il se trouve par certains types de cris, comme faisant dj partie du dveloppement

    linguistique, l'acquisition de la langue commence la naissance (voir ce propos Kainz 1959,

    II.

    ; Fletcher & Garman 1979, I ; Weir 1962). Si l'on considre la matrise du subjonctif pass ou

    du

    pass simple comme un aspect important de l'acquisition du franais, l'acquisition de la langue

    maternelle reste sans doute inacheve jusqu' la mort.

    En gnral, on peut partir du fait qu'aprs la pubert les choses voluent relativement

    peu (cf. note 3). Un enfant l'ge de l'cole primaire matrise dj relativement bien sa langue

    maternelle, mais de nombreuses structures sont acquises plus tardivement (C. Chomsky 1969

    ;

    Karmiloff- Smith 1979 ; Lindner 1983), et les activits langagires dans lesquelles il est

    engag

    sont encore assez limites. C'est pourquoi on peut dire que l'acquisition de la langue

    maternelle

    n'est pas particulirement facile ni rapide. Si l'on considre qu'un enfant entend sa langue, la

    parle et donc apprend, pendant peu prs cinq heures par jour - si vous avez des enfants, vous

    savez quel point c'est une estimation minimale - il dispose d'environ 9100 heures pour

    acqurir sa langue, au long de ses cinq premires annes (cf. Burke 1974). Mais aprs tout ce

    temps, il y a encore de nombreuses constructions qu'il ne possde toujours pas (par exempleen

    anglais la fameuse construction avec l'adjectif "easy" : "John is easy to please"). De

    nombreuses

    coles de langues proposent mme des programmes dits "d'immersion totale", dans lesquels

    les

    apprenants, durant quatre ou six semaines, sont bombards par de la langue trangre douze

    heures par jour. Ce genre de programme conduit d'ordinaire une trs bonne matrise de la

    langue, mme si la richesse du lexique et la varit des constructions syntaxiques sont encore

    limites12. L'apprenant y parvient donc en 500 heures environ, s'il s'agit d'un programme de

    six

    semaines, ce qui montre que la conception d'une acquisition rapide et sans effort de la langue

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

    13/54

    maternelle oppose l'acquisition lente et pnible d'une langue trangre tient de la lgende.

    Si

    l'on place la fin de l'acquisition de la langue maternelle la fin de la pubert, la comparaison

    est

    encore beaucoup plus dfavorable.

    La reprsentation - trompeuse, comme nous venons de le voir - de l'acquisition initialede la langue comme rapide et sans effort a conduit le neuropsychologue Penfield (Penfield &

    Roberts 1959) considrer que cette caractristique tait lie au dveloppement

    physiologique

    du cerveau pendant l'enfance. Cette ide a t reprise par Lenneberg (1967), qui l'a labore

    en

    une thorie trs discute de la "priode critique" : ce n'est que pendant une priode

    dtermine,

    qui s'tend environ de la seconde anne jusqu' la pubert, que le cerveau jouit d'un degr de

    plasticit qui permet une forme particulire de l'acquisition linguistique, l'acquisition

    enfantine

    de la langue maternelle. Aprs cette priode, on assiste la rigidification des diffrentes

    Page 10

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    10

    fonctions crbrales, en particulier la localisation de la plupart des fonctions linguistiques

    dans

    l'hmisphre gauche, ce qui ne veut pas dire qu'il soit devenu impossible d'apprendre encore

    une langue aprs cette priode, mais que cet apprentissage s'opre du point de vue

    physiologique d'une faon diffrente, moins facile. Et cette distinction physiologique conduit

    considrer l'acquisition de la langue maternelle et l'acquisition d'une langue trangre (aprs

    la

    pubert) comme des processus diffrents.

    Il est certain qu'une telle thorie a des implications importantes pour l'acquisition des

    langues trangres, mais surtout pour l'enseignement des langues trangres, car si elle est

    valable, il faudrait employer des mthodes tout fait diffrentes aprs la pubert. Mais on

    peut

    douter de la pertinence de cette thorie. D'abord les preuves purement biologiques sont tout

    sauf sres (on les trouvera discutes dans Lamendella 1977, Ekstrand 1979, Paradis & Lebrun

    1983). Ensuite l'ide que l'acquisition d'une langue trangre est plus difficile et moins

    efficaceaprs la pubert est confirme par maints faits d'observation et par les donnes de plusieurs

    recherches. Mais rien ne dit que ce soit sans exception possible, et encore moins que les

    facteurs

    soient purement ou essentiellement biologiques. Il peut aussi bien se faire que la disposition

    abandonner une identit sociale acquise antrieurement soit plus faible chez l'adulte. Mmedans le domaine de la phonologie - y compris l'intonation - pour laquelle les apprenants

    adultes

    semblent souvent ressentir des difficults particulires, les recherches de Neufeld (1979) ont

    montr que des adultes suffisamment motivs peuvent apprendre la prononciation de langues

    qui leur sont totalement exotiques si parfaitement qu'on ne peut plus les distinguer leur

    accent des locuteurs natifs. Cela prouve qu'une acquisition parfaite d'une langue trangrereste

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

    14/54

    tout fait possible aprs la pubert. Mais nous n'en sommes pas plus avancs en ce qui

    concerne le degr de difficult de la chose, ni sur la nature, identique ou diffrente, de

    l'apprentissage.

    Ces trois aspects : dveloppement cognitif, social et linguistique, dispositif d'acquisition

    des langues, et priode critique, affectent galement l'acquisition initiale de la langue en

    situation monolingue ou bilingue. Ce dernier cas (acquisition parallle de deux langues) n'estpas trs frquent dans nos socits, car on a le plus souvent un dcalage dans le temps entre

    l'acquisition des deux langues en prsence : il s'agit alors d'une transition entre acquisition de

    la

    langue maternelle et acquisition d'une seconde langue. Mais on dispose de toute une srie

    d'tudes de cas bien documentes sur l'acquisition bilingue, parmi lesquelles il faut citer les

    travaux classiques de Ronjat (1913) et de Leopold (1939-1949). Nous allons nous borner ici

    en

    commenter trois aspects13 : le bilinguisme coordonn ou compos (1.1.4), la dominance et la

    spcificit des langues en prsence (1.1.5), et la question du retard de dveloppement

    linguistique (1.1.6).

    1.1.4 Bilinguisme coordonn, bilinguisme composDans l'acquisition initiale simultane de deux langues, deux systmes sont acquis en

    mme temps, par exemple le franais et l'allemand. Ces systmes se distinguent en bien des

    aspects, mais pas sur tout. Ainsi on y exprime bien souvent les mmes catgories comme la

    temporalit, la modalit, la personne, etc., on y trouve des mots qui se correspondent, des

    rgles syntaxiques comparables, etc. On peut alors considrer que l'apprenant dispose d'un

    unique systme avec certaines composantes pouvant alterner et qu'il active selon ses besoins.

    Cette ventualit semble plausible avant tout pour le lexique. L'apprenant apprend en quelque

    sorte que pour un concept, comme "chaise", il existe deux ralisations phonologiques, par

    exemple [ z] et [tu:l], et selon ses interlocuteurs il choisit l'une ou l'autre.Un bilingue qui a appris une langue dans sa petite enfance et une autre comme langue

    trangre s'est d'abord construit un systme (plus ou moins (in)complet suivant le moment o

    intervient l'acquisition de la seconde langue). Par la suite, il se construit un autre systme et,

    quand il change de langue, il n'active pas des modules l'intrieur d'un systme unique, mais

    passe d'un systme un autre. Si l'une de ces langues est dominante, toute une partie du

    traitement linguistique s'effectuera toujours dans l'une des langues, et la seconde sera active

    seulement aux niveaux superficiels de la production ou de la comprhension. Dans les cas

    extrmes, la seconde langue n'intervient que comme insertion de formes phonologiques dans

    des agencements pralables de sons et de sens; on peut penser que l'enseignement traditionnel

    de listes de vocabulaire mne prcisment ce cas de figure.

    Le premier avoir tent de conceptualiser ces diffrences fut Weinreich (1953). Il

    distingue trois formes de bilinguisme, selon la structure interne du lexique :

    Page 11

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    11

    a) composb) coordonn

    c) subordonn

    signification

    signification signification

    signification

    "chaise - Stuhl""Stuhl"

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

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    "chaise"

    "chaise"

    eztu:ltu:l

    ezeztu:lCette distinction a jou un rle important dans les vingt annes suivantes, du moins

    dans une reformulation par Ervin & Osgood (1954). Ceux-ci ne distinguent plus qu'entre

    "compos" et "coordonn", et considrent le troisime type comme un cas mixte. C'est la

    faon

    dont les langues sont acquises qui est considre comme dterminante. On se trouvera devant

    un bilinguisme coordonn quand les langues sont acquises dans des environnements

    diffrents,

    par exemple chez ses parents puis l'tranger; tous les autres cas mnent au bilinguisme

    compos. De ce point de vue, il est possible que chez un bilingue une partie du lexique soit"compose" et une autre "coordonne". Ces diffrentes formes d'acquisition mnent des

    formes diffrentes de reprsentation smantique. Ervin & Osgood ont dcrit cette

    reprsentation du sens dans le cadre d'un schma stimulus - rponse modifi. Par la suite, la

    distinction entre les deux types de bilinguisme a t rinterprte plusieurs reprises (voir

    surtout les travaux de Lambert, par exemple Lambert (1969)), et McNamara (1970, p. 31)

    concluait : "Any clarity which the coordinate-compound distinction seemed to have was

    deceptive". Cela n'empche pas qu'elle soit encore cite jusqu'aujourd'hui comme un apport

    de

    la recherche bien tabli. L'une des raisons de la fragilit - peut-tre aussi de la sduction - de

    cette distinction est le fait qu'elle embrasse des lments trs diffrents :

    a)Le mode de constitution : On admet souvent que l'acqusition des deux langues dans le

    mme

    environnement, comme c'est le cas habituel dans l'acquisition initiale bilingue, mne au

    bilinguisme compos, alors que d'autres formes d'acquisition mnent au bilinguisme

    coordonn (cette relation est d'ailleurs justifie de diverses faons par des chercheurs

    diffrents);

    b)La caractrisation linguistique : Nous avons parl plus haut d' "un systme avec des

    composantes variables" oppos deux systmes relativement indpendants. Il est difficile de

    fournir une caractrisation linguistique plus prcise, mme s'agissant du lexique, sur lequel

    portent la plupart des recherches. La reprsentation "un sens - deux reprsentations

    phontiques" est dj en elle-mme trs problmatique, car le lexique d'une langue est dotd'une structure interne; le sens d'un mot provient de sa relation aux autres mots dans cette

    langue.

    c)La ralisation neurophysiologique : Dans le bilinguisme coordonn, les connaissances des

    deux

    langues sont peut-tre stockes autrement que dans le cas du bilinguisme compos. On

    pourrait

    par exemple imaginer que la premire langue - ou les premires langues - soit engranges

    dans

    l'hmisphre gauche du cerveau, mais les langues trangres dans l'hmisphre droit. Des

    hypothses de ce genre sont nouveau discutes intensivement dans la dernire priode (voir

    Paradis 1977, Albert & Obler 1978; Genesee et al. 1978; Galloway & Krashen 1980;Friederici

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

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    1983, 4.5, Peng (1983); on trouve trs souvent des contributions sur ce sujet dans la revue

    "Brain

    and Language").

    On ne peut pas exclure que la distinction entre "compos" et "coordonn" touche un

    point important. Mais elle est si imprcise qu'elle a suscit jusqu'ici plus de confusion que de

    progrs.1.1.5 Dominance et spcificitDans l'acquisition initiale bilingue, on considre que les deux langues sont acquises de

    faon identique; mais la symtrie est rarement parfaite ; d'ordinaire, chacune des langues est

    lie de faon prfrentielle des personnes ou des activits donnes. Au cours du

    dveloppement de l'enfant, cela aboutit en gnral ce qu'une des deux langues exerce une

    sorte de dominance sur l'autre. Ce dsquilibre peut s'tendre tous les domaines de la

    communication, amenant la langue moins privilgie s'effacer, ou la cantonnant des

    fonctions restreintes. Dans l'tude de cas la plus exhaustive, celle de la fille de Leopold,

    Hildegard, l'anglais, qui tait non seulement la langue de la mre mais celle de l'entourage

    social, est devenu peu peu dominant au dtriment de l'allemand, la langue du pre.

    Dans l'acquisition d'une langue trangre, la dominance et la spcificit sontgnralement encore plus marques. L'anglais est aujourd'hui parl par plus de locuteurs

    comme langue trangre que comme langue maternelle (Smith 1983) ; il n'assume alors que

    certaines fonctions spcifiques, et c'est la langue maternelle de chaque apprenant qui reste

    dominante. Cependant, si clairants et importants que ces concepts puissent tre, il reste

    Page 12

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    12

    difficile de prciser quel rle la dominance ou la spcificit d'une langue jouent dans

    l'acquisition elle-mme, particulirement en ce qui concerne le traitementneurophysiologique.

    Peut-on dire que chaque phrase est d'abord construite partiellement dans la langue dominante,

    puis traduite et articule dans l'autre langue? Le fait qu'on remarque souvent des influences de

    la langue dominante dans la production semble aller dans ce sens. Par exemple, les locuteurs

    espagnols ont tendance dire en franais : "un film que m'a plu", mme s'ils savent que l'on

    devrait dire "qui" et qu'ils corrigent ds qu'on attire leur attention la-dessus. Une telle

    interfrence est difficile expliquer si l'on n'admet pas que la production de la phrase inclut

    entre autres la formation d'une phrase espagnole. De mme, des locuteurs qui parlent une

    langue trangre trs souvent, ou mme majoritairement, depuis longtemps utilisent souvent

    inconsciemment des stratgies de comprhension fondes sur leur langue maternelle et non

    surla langue trangre (cf. Bates et al., 1982). D'un autre ct, les interfrences devraient tre

    d'autant plus rares que les deux langues se rpartissent entre des situations de communication

    plus spcifiques.

    1.1.6 Retard d'acquisition chez les bilingues?Un enfant qui apprend simultanment deux langues fait face en quelque sorte undouble travail. Mme s'il n'y avait pas construction de deux systmes complets, au sens o on

    l'entend pour le bilinguisme "coordonn", il lui faudrait au moins apprendre en double toutes

    les parties de la langue qui sont diffrentes. Par ailleurs, l'enfant se trouve face la tche de

    distinguer les deux sortes de donnes auxquelles il est expos, en d'autres termes il doit viter

    d'inclure des composantes franaises dans son systme allemand et vice-versa. On pourrait en

    infrer que cette situation conduira de nombreux mlanges, et d'autre part que l'acquisitioninitiale durera nettement plus longtemps en situation bilingue. Mais ces deux conclusions sont

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

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    contredites par les faits. On observe bien des mlanges, surtout dans la phase initiale, mais

    dans

    une proportion trs restreinte, et il n'y a aucun argument contre le fait que ces deux systmes

    puissent en principe rester spars. Ces contaminations donnent plutt l'impression que le

    locuteur peut s'appuyer sur deux rpertoires en cas de besoin. Il est difficile de dire si

    l'acquisition chez un enfant bilingue dure plus longtemps, et ceci pour deux raisons : d'abordparce qu'on trouve des diffrences individuelles importantes de dure d'acquisition (pour les

    enfants monolingues aussi bien que bilingues), ensuite parce que d'une faon gnrale il est

    difficile de dire quand l'acquisition initiale de la langue est acheve. S'il faut trancher, on peut

    quand mme affirmer que l'acquisition initiale bilingue ne prend pas significativement plus de

    temps que l'acquisition initiale d'une seule langue, et que cette double acquisition ne semble

    pas crer de difficults particulires l'enfant de faon visible.

    La question des ventuels effets ngatifs du bilinguisme sur le dveloppement cognitif

    ou social de l'enfant n'a pas t tudie en grand. Certains chercheurs affirment qu'ils ont

    dcouvert de tels effets, d'autres le contestent ou mme mettent en vidence des effets positifs.

    Pour le moment, aucune de ces positions ne s'appuie sur des rsultats de recherche

    convaincants. McLaughlin (1978, p. 206) conclue ainsi sa discussion minutieuse de cesquestions14

    : "En rsum, pratiquement aucune affirmation gnrale sur les effets du

    bilinguisme n'est conforte par des recherches effectives. Il n'a pas t dmontr que le

    bilinguisme ait des consquences positives ou ngatives pour l'intelligence, les capacits

    linguistiques, la russite scolaire, l'adaptation motive ou le fonctionnement cognitif. Dans

    presque tous les cas, les rsultats obtenus sont contredits par d'autres recherches ou peuvent

    tre mis en doute pour des raisons de mthode. La seule affirmation qui soit confirme par des

    rsultats de recherche est que la matrise d'une seconde langue produit des diffrences si

    l'enfant est test dans cette langue - ce qui n'est pas un rsultat trs surprenant."

    En d'autres termes, rien ne prouve que les enfants bilingues diffrent des enfants

    monolingues dans leur dveloppement, mis part le fait qu'ils connaissent deux langues.

    1.2 De l'acquisition initiale l'acquisition d'une langue trangreComme nous l'avons vu, il n'existe aucune sparation nette entre l'acquisition de la

    langue maternelle et l'acquisition d'une seconde langue, car celle-ci peut intervenir alors que

    la

    premire est encore en cours. Le fait de choisir de parler dans un cas dtermin d'acquisition

    initiale bilingue ou d'acquisition d'une seconde langue est donc assez arbitraire. Nous allons

    suivre ici un usage courant, et parler dj d'acquisition de langue trangre lorsqu'elle

    s'engage

    l'ge de trois quatre ans, donc un moment o l'acquisition de la langue maternelle n'est

    en

    Page 13

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    13

    aucune faon acheve. Lorsqu'une distinction plus fine sera ncessaire, nous parlerons de"l'acquisition prcoce d'une langue trangre" oppose "l'acquisition de langue trangre par

    un adulte". Pour le reste, nous ne nous tendrons pas sur les ventuelles particularits des cas

    de transition, car il est impossible de dterminer l'influence que la matrise partielle d'une

    langue exerce sur l'acquisition d'une autre langue.

    Avant d'examiner l'acquisition d'une langue trangre, regroupons ci-dessous les

    diffrents termes que nous utilisons :Age

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

    18/54

    Acquisition

    Acquisition

    Nom

    de la langue A

    de la langue B

    -----------------------------------------------------------------------------1-3 ans

    +

    -

    ALM monolingue

    +

    +

    ALM bilingue

    de 3-4 ans

    la pubert

    +

    +ALE prcoce

    aprs la pubert

    -

    +

    ALE adulte

    1.3 L'acquisition d'une langue trangreOn peut acqurir une langue trangre dans des conditions trs diffrentes. Selon l'ge,

    la manire, les objectifs et le degr d'achvement de l'acquisition, on pourra distinguer

    diverses

    formes d'ALE. On accorde d'ordinaire une grande importance au fait que la langue soit

    acquise

    avec ou sans enseignement. Comme nous allons le voir, il n'est pas sr que cette distinction

    corresponde rellement des formes diffrentes d'acquisition (pour une discussion critique,

    voir Felix 1982, chap. 15); mais elle est sans aucun doute d'une grande importance pratique, et

    nous distinguerons donc dans ce qui suit l'acquisition non guide de l'acquisition guide (par

    l'enseignement) d'une langue trangre.

    1.3.1 L'acquisition non-guide d'une langue trangreOn dsigne ainsi l'acquisition d'une langue trangre par la communication

    quotidienne, acquisition qui se dveloppe naturellement, et sans intervention systmatique

    pour guider le processus. Un exemple type est celui d'un travailleur portugais qui arrive en

    France sans connatre un mot de franais, et qui construit sa connaissance du franais par sescontacts (souvent relativement restreints) avec son environnement social. Un autre exemple,

    peut-tre encore plus "pur", est celui d'un missionnaire ou d'un ethnologue arrivant dans une

    ethnie inconnue, qui acquiert sa langue par l'intermdiaire de ses contacts sociaux (qui

    peuvent

    tre plus ou moins pathologiques), et qui peut mme tre amen tudier la langue, sans

    qu'on

    la lui enseigne systmatiquement.

    Ces deux exemples suffisent montrer que l'acquisition non-guide n'est pas une

    catgorie homogne. Un individu qui acquiert une langue pour traduire la Bible apprendra

    diffremment et sans doute plus que quelqu'un qui arrive dans un pays tranger dans des

    conditions d'inscurit pour son sjour, au contact le plus souvent de compatriotes et non denatifs, pour travailler - comme c'est le cas pour les travailleurs immigrs dans tous les pays

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

    19/54

    d'Europe occidentale. Notons brivement les deux caractristiques dfinitoires de l'ALE non-

    guide : elle se produit (1) par l'intermdiaire de la communication quotidienne; (2) sans

    efforts

    intentionnels systmatiques pour guider le processus d'acquisition (pour une caratrisation des

    situations d'acquisition dans le milieu social, cf. Noyau 1976, 1980).

    (1) La communication quotidienneL'apprenant, dans l'acquisition non-guide, se trouve dans une situation paradoxale :

    pour pouvoir communiquer, il doit apprendre la langue, et pour apprendre la langue il faut

    qu'il communique (cf. HPD 1979, p. 221). Cela n'est videmment pas un vrai paradoxe, car la

    communication peut se faire par des moyens trs divers qui varient beaucoup en profondeur et

    en porte. Pour de nombreux objectifs, des gestes suffisent, ou un petit nombre d'expressions,

    utilises de faon approprie. L'apprenant doit jouer du mieux qu'il peut avec les cartes qu'il a

    en main, mais contrairement au joueur de cartes, il a la possibilit d'acqurir de meilleures

    cartes. Pour ne pas abuser des images : dans l'acquisition non-guide, l'apprenant dispose

    chaque moment d'un certain rpertoire expressif, au dbut rduit presque entirement des

    Page 14

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    14

    moyens non-verbaux, qui lui permettent de participer la communication - mme de faon

    rudimentaire. Mais c'est la communication qui lui permettra de commencer apprendre, et le

    fait d'apprendre lui permettra de mieux russir communiquer. Quelle que soit sa comptence

    decommunication un moment donn, l'apprenant est confront en permanence deux tches

    :

    - il doit utiliser son rpertoire de faon optimale, et ceci pour la production comme pour la

    comprhension (la tche de communiquer) ;

    - il doit adapter progressivement ce rpertoire la langue cible, c'est--dire la faon dont sonentourage social se comporte du point de vue linguistique (la tche d'apprendre).

    Il est vident que ces deux tches, communiquer et apprendre, sont trs troitement

    lies l'une l'autre, mais elles ne doivent pas tre confondues. La communication est un

    facteur

    stabilisateur : le dveloppement d'un systme d'apprenant et son utilisation optimale facilitent

    la communication; l'apprenant peut en quelque sorte se sentir chez lui dans la langue et s'y

    mettre l'aise. La tche d'apprendre, en d'autres termes la ncessit de dpasser ses acquis, de

    les amliorer et de les rorganiser, est un facteur dynamique : il fait avancer le processus

    d'acquisition. On peut illustrer ce point au moyen d'un phnomne trs connu de l'acquisition

    non-guide d'une LE, celui des "stratgies d'vitement" (cf. Kleinmann 1978, Faerch &

    Kasper1983) : un apprenant qui ignore certains mots ou constructions ou qui n'est pas sr de leur

    emploi, les vite, et a recours des priphrases, change de thme ou mme cherche viter

    les

    situations o il pourrait tre contraint les utiliser. Ce n'est donc pas une "stratgie

    d'acquisition" mais une "stratgie d'utilisation", qui concerne la premire tche; du point devue

    de l'apprentissage, elle se rvle plutt un frein, car elle diminue la tension qui tient en

    mouvement le processus d'acquisition (comme l'aspirine contre une rage de dents, qui ne

    soigne pas, mais soulage et loigne le besoin d'aller chez le dentiste).

    Un second aspect qui caractrise l'acquisition dans des situations de la vie quotidienne

    est la faible attention la langue elle-mme : pour l'apprenant, l'important est de comprendreet de se faire comprendre, et tous les moyens lui sont bons. Ce qui a deux consquences :

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

    20/54

    d'abord, il est intress avant tout par le succs de la communication, et non par l'exactitude

    formelle de sa langue, contrairement ce qui se passe dans l'enseignement de la langue

    trangre; ensuite, la composante mtalinguistique de la connaissance de la langue est moins

    dveloppe, c'est--dire qu'il rflchit moins sur la langue, ses formes et ses rgles que ce n'est

    le cas lorsque formes et rgles sont enseignes. Il est difficile de dire si et quel point cette

    composante mtalinguistique influence rellement le processus d'acquisition. L'une desthories

    de l'acquisition les plus discutes actuellement, la "thorie du contrle" ('monitor theory',

    Krashen 1981), drive de ce problme (nous y reviendrons aux sections 1.5.3, puis 8.1.4).

    (2) Pas de guidage systmatique

    Toute acquisition d'une langue est "guide" par certains facteurs, par exemple par la

    quantit et la nature des matriaux linguistiques auxquels l'apprenant a accs. Dans la

    distinction entre "guid" et non-guid", la notion de guidage dsigne les cas o l'on tente

    d'influencer le processus volontairement et systmatiquement, en s'appuyant sur des mthodes

    d'enseignement donnes. Le cas type, c'est un cours de langue, mais il faut inclure ici

    l'autodidacte qui apprend par lui-mme en s'aidant de bandes enregistres ou d'autres outils

    pdagogiques. Evidemment il y a parfois enseignement dans l'acquisition non-guide, parexemple quand on corrige explicitement une faute de l'apprenant, quand on lui fournit les

    dsignations pour certains objets ou qu'on lui explique une construction. Ces faits ne

    remettent

    pas en cause la distinction fondamentale entre acquisition "guide" et "non-guide".

    On peut quand mme se demander si une autre terminologie ne serait pas prfrable.

    En fait il existe une srie d'autres termes, comme "acquisition naturelle", ou "acquisition dans

    le

    milieu social" d'une LE. Mais ces termes ne prsentent pas moins d'inconvnients. On peut

    ainsi

    se demander : "Quel est le contraire de 'naturel'?" ou "L'cole n'est-elle pas un milieu social?".

    C'est pourquoi nous gardons "guid - non-guid", ce qui ne porte pas vraiment consquence.

    L'acquisition non-guide a occup une place trs restreinte dans les recherches jusque

    rcemment; la plupart des tudes existantes portent sur l'acquisition guide, et parmi celles qui

    tudient l'acquisition non-guide, l'acquisition par des adultes donc par des locuteurs dont la

    premire langue est totalement dveloppe est plus faiblement reprsente. La raison en est

    notamment que la collecte de donnes et par consquent la conduite de recherches empiriques

    posent beaucoup moins de problmes lorsqu'il s'agit d'acquisition guide; les lves et les

    participants des cours de langue sont plus facilement accessibles que des travailleurs

    immigrs.

    Par ailleurs ce dsquilibre tient aussi l'attente, comprhensible, que la recherche sur

    l'acquisition puisse aider la pdagogie des langues. On est alors tent de se limiter tudierl'acquisition guide (par l'enseignement). Pour moi, cette orientation est une erreur grave. Si

    l'on veut intervenir de faon intelligente et fonde sur le processus d'acquisition, on doit

    connatre les rgles sous-jacentes qui le caractrisent; mais pour les dcouvrir, les situations

    Page 15

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    15

    d'acquisition o ces rgles sont influences (positivement ou ngativement)15 par une

    mthode

    d'enseignement particulire sont les moins favorables. La faon dont l'tre humain traite le

    langage et donc acquiert une langue maternelle ou trangre s'est dveloppe au long decentaines de milliers - peut-tre de millions - d'annes, et ce apparemment sans enseignement

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

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    systmatique jusqu'il y a peu (c'est--dire il y a quelques millnaires). L'homme a donc

    dvelopp sa facult d'acqurir des langues de faon non-guide, et il serait draisonnable de

    penser que cette facult puisse tre manipule librement. En tous cas on peut supposer qu'elle

    oppose une rsistance diffrente diverses mthodes d'enseignement, ce qui concde une

    certaine priorit l'acquisition non-guide pour la recherche, mais les deux doivent

    videmment tre tudies (cf. l-dessus HPD 1976, chap. 1). Nous reviendrons sur ce point auchapitre 3.

    1.3.2 L'acquisition guide d'une langue trangreLe point prcdent nous a dj permis de dire quelques mots de l'acquisition guide et

    de ses relations avec l'acquisition non-guide. Cette dernire doit tre vue comme un cas

    driv, comme une tentative pour domestiquer un processus naturel. Mais c'est un cas

    d'acquisition particulirement important dans la pratique; pour beaucoup de gens, la recherche

    sur l'ALE ne se justifie que par ses implications pour l'enseignement.

    Pour l'acquisition guide galement, se posent quelques problmes de terminologie et

    d'objet. Commenons par les premiers. Ici deux paires de concepts jouent un rle minent :

    "langue seconde - langue trangre" et "acqurir - apprendre". Ces termes ne sont pas utiliss

    defaon univoque. On trouve nanmoins quelques essais rcents de les fixer (cf. Richards 1978,

    Introduction; Bausch & Kasper 1979). On dsigne par "langue trangre" ('foreign language',

    'Fremdsprache') une langue qui est apprise en dehors de son aire d'usage habituelle - en

    gnral en classe de langue - et qui n'est pas utilise en concurrence avec la langue maternelle

    pour les communications quotidiennes. Le latin est une langue trangre typique en ce sens,

    mais l'anglais ou l'espagnol le sont galement pour la plupart des lycens. La notion de second

    language (all. Zweitsprache, maispas l'quivalent littral fr. 'langue seconde', cf. ci-dessous)

    dsigne une langue qui sert, aprs ou ct de la langue maternelle, comme second moyen de

    communication et qui est acquise en gnral dans un environnement social o on la parle.

    C'est

    le cas par exemple du franais pour beaucoup de Suisses almaniques, de l'anglais pour de

    nombreux Indiens locuteurs de hindi, du russe pour beaucoup de Gorgiens. Il est sr qu'on

    trouvera de nombreux cas intermdiaires. Dans l'usage franais, 'langue seconde' se rfre

    une langue non-maternelle, qui peut tre acquise dans le milieu social et/ou par

    l'enseignement, et qui assume des fonctions sociales prcises dans la socit en question (cf.

    le

    franais au Maghreb, en Afrique noire, langue de scolarisation et administrative), par

    opposition la notion de 'langue trangre', qui rfre tous les autres cas de langues acquises

    soit dans le milieu social (immigrs par exemple) soit en classe. Nous utiliserons, le terme

    "langue trangre" pour rfrer aux deux cas lorsqu'il n'est pas ncessaire de les distinguer. En

    dfinitive, la distinction "langue trangre - langue seconde" dans l'usage anglais ou allemandcorrespond souvent "langue trangre acquise de faon guide - acquise de faon non-

    guide"

    (dans notre sens). Nous nous en tiendrons notre terminologie, car elle repose sur un critre

    simple.

    On a souvent fait une distinction parallle entre "apprendre" et acqurir", le premier de

    ces verbes correspondant au cas guid, le second au cas non-guid. C'est ainsi que Krashen,

    dans sa thorie du "contrle" laquelle nous avons dj fait allusion, postule deux processus

    fondamentalement diffrents, qu'il nomme "acquisition d'une LE" ('second language

    acquisition') et "apprentissage d'une LE" ('second language learning'; cf. Krashen 1981, et

    voir

    ci-dessous 1.5.3). Nous ne reprenons pas cette distinction, car il n'est pas prouv qu'il s'agisseeffectivement de deux processus diffrents, et il est ennuyeux de ne pas disposer d'un terme

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

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    plus gnral. C'est pourquoi nous parlons d' "acquisition" et de "processus d'acquisition" en

    gnral, utilisant "apprendre" et "apprentissage" comme variantes stylistiques. Ce qui est

    important, c'est que les deux termes adoptent la perspective de l'apprenant, et non celle de

    ceux

    qui l'aident dans cette tche, enseignant ou entourage social.

    Il existe une grande varit de mthodes pour influencer systmatiquement leprocessus d'acquisition. Nous ne pouvons pas fournir ici de vision d'ensemble sur les

    mthodes

    d'enseignement (nous renvoyons le lecteur Corder 1973, et la discussion suggestive dans

    van Els et al. 1984). Nous mentionnerons seulement deux points sur lesquels les mthodes se

    diffrencient : (1) la faon dont les matriaux de la langue cible sont prsents l'apprenant;

    (2)

    les possibilits qui lui sont donnes d'utiliser le rpertoire dont il dispose un moment donn.

    Page 16

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    16

    (1) Prsentation des matriaux linguistiques

    Dans l'acquisition non-guide d'une LE, la langue apprendre apparat l'apprenant

    sous forme d'instances de communication quotidienne, d'ondes sonores qui sont produites

    dans un contexte situationnel donn. C'est de ces matriaux qu'il doit induire des rgles

    inconnues sur l'utilisation de la nouvelle langue. Dans l'acquisition guide, les donnes de la

    langue apprendre sont plus ou moins prpars pour l'apprenant. Dans les cas extrmes, on

    fournit l'apprenant une description de ces donnes, qui en tient lieu. C'est le cas par exemple

    dans l'enseignement grammatical traditionnel qui a rgn sur l'enseignement des langues

    trangres depuis l'poque de Donat jusqu'au moins la fin du dix-neuvime sicle. A l'autre

    ple, on trouve l'enseignement communicatif", qui comporte peu de grammaire et beaucoupde

    simulations o des situations de communication de la vie quotidienne sont reconstruites de

    faon planifie (voir par ex. Mller 1980, Boucher et al. 1986). Sous sa forme la plus extrme

    - et

    peut-tre la plus efficace, on a l une situation d'acquisition guide o le guidage est tel qu'il

    se

    rapproche d'une acquisition non-guide dans des conditions favorables. Entre ces deux ples,

    la

    prsentation fortement mtalinguistique et la simulation optimale de l'acquisition non-guide,

    il existe une quantit de cas intermdiaires comme par exemple l'enseignement des langues

    vivantes aujourd'hui dominant dans les lyces et collges, qui n'est plus que trs faiblementorient vers la grammaire.

    Ce n'est pas seulement la mthode mais aussi l'ordre dans lequel les phnomnes de la

    langue cible se prsentent qui diffrent de l'acquisition non-guide. Les principaux critres qui

    dterminent la slection et la progression sont des hypothses sur la difficult d'acquisition et

    l'importance relatives des structures, ce qui mne parfois des divergences extrmes parrapport aux progressions "naturelles" que l'on trouve dans l'acquisition non-guide. Ainsi par

    exemple la morphologie (conjugaisons et dsinences) joue un rle secondaire dans

    l'acquisition

    non-guide, alors qu'on lui rserve une place centrale dans l'enseignement des langues (le

    cauchemar des verbes faibles et forts!).

    Cela ne signifie pas que l'on doive absolument imiter le plus possible la slection et laprogression des formes de l'acquisition non-guide, car les conditions d'apprentissage sont

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

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    souvent trs peu favorables. Mais cela veut dire qu'il est absurde de proposer des matriaux

    linguistiques de telle faon et dans un ordre tel que la capacit d'acquisition linguistique ne

    sera

    pas assez apte les traiter. Pour cela, il faut videmment savoir comment cette capacit

    d'acquisition linguistique fonctionne naturellement.

    (2) L'utilisation du rpertoire linguistique pour la comprhension et la productionDans l'acquisition non-guide, l'apprenant doit constamment faire fonctionner ce dont

    il dispose, puisqu'il doit communiquer (cf. 1.3.1 (1)). Dans l'acquisition guide, on ne trouve

    pas

    la mme contrainte. Celle-ci est remplace par des exercices, dictes, essais, exercices

    structuraux, etc. (en termes de conduite automobile, on ne laisse pas l'lve conduire, mais on

    le fait continuellement embrayer, dbrayer et passer des vitesses). De ce point de vue aussi les

    mthodes d'enseignement des langues se diffrencient les unes des autres. Mme dans les

    mthodes les plus proches de l'acquisition non-guide, par exemple dans des jeux de rle bien

    conus, la question n'est pas de se faire comprendre par n'importe quels moyens, mais de se

    comporter au mieux par rapport une norme prdtermine et plus ou moins intgre par les

    lves (voir l-dessus Trvise 1979).Nous avons esquiss ici les rapports qui existent entre acquisition guide et acquisition

    non-guide, et relev quelques diffrences importantes entre les deux. Ces diffrences sont

    incontestables. Mais cela ne veut pas dire que ce ne sont pas les mmes principes de la

    capacit

    linguistique humaine qui fonctionnent dans les deux cas; il se fait seulement que la capacit

    d'apprentissage linguistique trouve dans chacun de ces cas des points d'appui et des espaces

    d'volution assez diffrents (voir l-dessus d'Anglejan 1978, Felix 1982, II.).

    1.4 Le rapprentissageUne langue dj apprise (partiellement ou compltement) comme langue maternelle ou

    trangre peut aussi s'effacer. Cela ne veut pas dire qu'elle se soit efface des cellules

    nerveuses

    o elle est stocke. C'est seulement que le locuteur n'est plus en mesure de la traiter, c'est--

    dire

    de construire et de comprendre des noncs dans cette langue. On peut trouver toute une

    gamme de cas intermdiaires, de l'oubli de quelques mots ou constructions la perte totale.

    Cette perte, quelle qu'en soit l'tendue, peut avoir deux causes :

    (a) l'absence de pratique, comme lorsqu'un immigr cesse totalement de parler une langue

    apprise dans la petite enfance (cf. Lambert & Freed 1982, Sharwood-Smith 1983);

    Page 17

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre17

    (b) les pathologies du langage, aphasies dues des lsions crbrales, des problmes

    d'irrigation sanguine du cerveau, ou dficits priphriques comme le cancer du pharynx ou la

    mutit.

    Dans beaucoup de ces cas, la langue disparue, ou plutt inaccessible mais en principetoujours prsente, peut redevenir accessible. Nous parlerons de racquisition pour faire court,

    mme si il est clair d'aprs ce que nous venons de dire que c'est un phnomne trs diffrent

    de

    l'acquisition d'une LE ou de la LM.

    Jusqu'ici, seule la racquisition conscutive une aphasie a t tudie de prs (pour

    quelques lments concernant la racquisition d'une langue qui n'est plus pratique, voirWode

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

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    1981, p. 47-53, Sharwood-Smith 1983). Les rsultats sont cependant trs variables, entre

    autres

    parce que les manifestations de dtrioration sont trs variables (voir l-dessus Leischner

    1979).

    Dans l'ensemble, le "retour" de la langue aprs une aphasie semble trs difficile comparer

    auxautres formes d'acquisition linguistique, si l'on en juge d'aprs l'tat actuel des recherches.

    L'autre forme de racquisition que nous avons mentionne, o c'est le manque de pratique qui

    conduit l'effacement, semble peut-tre plus comparable. A premire vue on apprend cette

    langue beaucoup plus vite que lors de l'acquisition initiale. C'est peut-tre le cas, mais cela n'a

    jamais t prouv notre connaissance. Par ailleurs, il est difficile de dire si cette forme de la

    racquisition est une libration de ce qui tait enseveli, un nouvel apprentissage ou un

    mlange

    des deux. Chacune de ces possibilits impliquerait des processus d' "acquisition" trs

    diffrents;

    mais on ne peut pour l'instant que faire des conjectures ce sujet.

    Terminons cette section par quelques remarques sur la relation langue maternelle -langue trangre dans la racquisition. Souvent, les aphasiques bilingues ne peuvent rutiliser

    que la langue maternelle, au moins dans un premier temps lors de la racquisition, mme

    lorsqu'avant leur aphasie ils utilisaient de faon dominante ou unique une seconde langue. Le

    spcialiste franais de l'aphasie Ribot avait formul en 1882 cette priorit comme tant de

    rgle

    lors de la racquisition chez les bilingues. Malheureusement, il existe des cas au moins aussi

    nombreux o c'est la langue qui tait dominante avant l'aphasie (qu'elle ait t acquise comme

    langue maternelle ou comme seconde langue) qui redevient disponible en premier (c'est la

    rgle

    de Pitres, d'aprs le nom d'un autre aphasiologue franais). On trouvera une revue d'ensemble

    de tous les cas connus dans les recherches sur l'aphasie dans Albrecht & Obler (1980, p. 143-

    194), et une intressante discussion de la problmatique dans Paradis (1977); pour une

    synthse

    plus rcente voir Paradis & Lebrun (1983).

    Dans un cas au moins, il a t apparemment possible de faire retrouver un locuteur,

    sous hypnose, une langue totalement oublie (Fromm 1970). Il s'agit d'un Amricain d'origine

    japonaise de 26 ans, qui avait appris dans son enfance d'abord le japonais, puis l'anglais, et qui

    d'aprs ses propres dires ne comprenait pas du tout le japonais. Sous hypnose, il produisit une

    srie de phrases, enregistres au magntophone, qui furent analyses par des Japonais comme

    du japonais enfantin un peu hsitant. On n'a toujours pas russi jusqu'ici rpliquer cette

    exprience (voir l-dessus et sur d'autres cas d'hypnose Campbell & Schumann 1981).1.5 Quelques thories sur l'acquisition des langues trangres De ce que nous avons dit devrait se dgager au moins une ide : l'acquisition d'une

    langue trangre est un processus assez complexe, qui est dtermin par de nombreux

    facteurs,

    et dont la description systmatique - et encore plus l'explication - prsente de srieuses

    difficults. Mais les tentatives n'ont pas manqu d'en donner une vision simplifie. Dans ce

    qui

    suit, nous allons regrouper quelques thories ou positions thoriques qui ont jou ou jouent

    encore un rle important dans la recherche sur l'ALE, et les commenter brivement. Certaines

    d'entre elles ont dj t mentionnes dans les sections prcdentes.

    1.5.1 L'hypothse de l'identit16Cette hypothse, sous sa forme la plus radicale, affirme qu'i est indiffrent pour

  • 8/13/2019 Wolfgang KLEIN - L'acquisition d'une langue trangre

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    l'acquisition qu'une premire langue ait dj t acquise : l'ALE et l'ALM suivent les mmes

    principes.

    Cette hypothse n'est dfendue par aucun chercheur sous cette forme radicale. Mais de

    nombreux auteurs considrent que l'ALE et l'ALM sont identiques "pour l'essentiel" (voir par

    exemple Jakobovits 1970, Burt & Dulay 1980, Wode 1974, 1981, et surtout Ervin-Tripp

    1974).L'hypothse perd alors de sa force prdictive et gagne en plausibilit : il suffira de prciser ce

    que l'on tient pour "des traits importants" et ce que l'on considre comme des aspects moins

    importants du processus. Nous nous bornerons formuler cinq remarques.

    Page 18

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    18

    1. Comme nous avons expos en 1.1.2, l'ALM et l'ALE se distinguent entre autres par le fait

    que

    la premire constitue un aspect du dveloppement cognitif et social global, alors que dans la

    seconde, ce dveloppement est achev (ou presque). L'enfant doit donc apprendre autant le

    principe de la deixis (qui est selon tous les linguistes un trait fondamental des langues

    naturelles) que les mots appropris de la langue concerne pour la raliser. Un apprenant de

    LE

    n'a plus apprendre que ce second aspect. L'hypothse de l'identit (sous sa forme restreinte)

    ne peut tre soutenue que si l'on tient pour marginales toutes ces diffrences de

    dveloppement

    cognitif et social, ainsi que tout ce qui en dcoule pour la langue.

    2. En dfinitive, il existe le plus souvent des diffrences normes entre ALE et ALM. Ainsi,

    on

    acquiert normalement la prononciation de sa langue maternelle de faon parfaite - non au sensdes normes du beau parler vhicules, mettons, par l'Acadmie Franaise, mais au sens d'une

    adaptation parfaite l'entourage. En revanche, il est inhabituel qu'un adulte parvienne parler

    une langue trangre sans accent17. Cela ne veut pas dire qu'un apprenant de LE n'en soit pas

    capable en principe, pour des raisons biologiques. Mais il est important de savoir non

    seulement ce qui est possible, mais ce qui se passe ordinairement.

    3. La conception selon laquelle ALM et ALE se drouleraient de faon fondamentalement

    identique repose avant tout sur la mise en vidence d'ordres d'acquisition identiques pour un

    certain nombre de structures linguistiques, comme l'interrogation, la ngation ou certains

    inventaires de morphmes (Burt & Dulay 1980, Wode 1981). Mais d'une part on trouve,

    ct

    de ressemblances indiscutables, des variations suspectes entre ALM et ALE. D'autre partmme

    la preuve qu'il existerait des volutions strictement parallles ne dirait pas davantage que ceci

    :

    ALM et ALE ont galement certains traits en commun - ce que personne ne conteste.

    4. Nous avons attir l'attention plusieurs reprises, en 1.1.3, sur le fait que l'acquisition guidecomme l'acquisition non-guide peuvent se drouler de faon trs diffrente - videmment

    ct de trs nombreux caractres communs. Il n'est donc pas trs intressant de vouloir

    comparer l' ALE l' ALM en gnral. Ca n'est pas la mme chose de comparer la faon dont

    nous avons appris notre langue maternelle avec nos parents avec a) la faon dont nous avons

    appris le latin au lyce ou bien b) celle dont un immigr turc apprend le franais. Ce qui

    n'implique aucune volont de nier ici le fait qu'on trouve entre toutes ces formes d'acquisitiondes similitudes qui dcoulent de la capacit linguistique humaine en gnral.

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    5. Pour tirer un bilan de ces rflexions, on peut dire qu'il existe de similitudes et des

    diffrences

    entre ALM et ALE, et qu'il est plus raisonnable de les dcrire et d'tablir leurs causes, plutt

    que de postuler des thses simplificatrices. Il est vrai qu'une science choue si elle ne cherche

    pas aboutir des thories unifies et si possible gnrales. Il est donc mthodologiquement

    sens de partir de l'ide qu'il sera un jour possible de btir une thorie unique pour les deuxdomaines. Ce qui est tout autre chose que d'affirmer qu'ils sont identiques ou pratiquement

    identiques.

    1.5.2 L'hypothse contrastivejoue qu'un rle insignifiant ou nul dans l'acquisition. Selon l'hypothse contrastive au

    contraire, l'acquisition d'une seconde langue est dtermine par les structures de la langue

    qu'on possde dj. Les structures de la langue trangre (LE) qui concident avec celles de la

    LM (langue maternelle) sont acquises vite et facilement : il y a "transfert positif". Les

    domaines

    o les deux langues en prsence se diffrencient fortement sont cause de difficults

    d'acquisition et d'erreurs : il y a "transfert ngatif" ou "interfrence" de la LM sur la LE.

    Cette thorie galement fait l'objet de versions plus ou moins radicales. Initialement, onesprait - ainsi que l'affirmait Lado (1957), qui a t pendant des annes la Bible des

    enseignants

    de langues trangres - pouvoir dduire de la comparaison systmatique des deux langues en

    prsence les difficults d'acquisition comme les progressions optimales de prsentation des

    structures de la langue18. De telles informations seraient videmment trs souhaitables pour

    la

    planification de l'enseignement, et toute une srie de programmes de recherche de "grammaire

    contrastive" ont t ports par cet espoir. Mais les rsultats, s'ils se sont avrs intressants

    d'un

    point de vue purement linguistique, ont du ces espoirs (pour une discussion et une synthse

    de ces apports, voir van Els et al., chap. 4.2, Py 1984). Une raison majeure de cet chec relatif

    est

    que les similarits et diffrences entre deux systmes linguistiques et le traitement des moyens

    linguistiques dans la production et la comprhension relles sont deux choses trs diffrentes.

    La linguistique contrastive s'occupait des premires, tandis que l'acquisition est concerne par

    Page 19

    KLEIN - .Lacquisition .de .langue.trangre

    19

    le second. Ce n'est pas l'existence d'une structure telle que les linguistes l'ont dcrite qui

    importe, mais la faon dont l'apprenant l'apprhende dans la comprhension et la production:c'est pourquoi la comparaison de structures peut induire en erreur. Une seconde raison est que

    pour un apprenant possdant une LM donne, une structure donne de la LE peut tre facile

    percevoir mais difficile produire ou l'inverse. Cette structure n'a donc pas un effet unique sur

    la capacit d'acquisition linguistique de l'apprenant.

    Actuellement, personne ne soutient plus srieusement l'hypothse contrastive au sensfort. Il ne s'agit pas de nier le fait que la connaissance de la LM par l'apprenant influence la

    faon dont il saisit et ventuellement apprend une LE. Les rsultats dcevants de l'analyse

    contrastive jettent un certain discrdit sur la notion de "transfert" de la LM sur la LE. Mais

    l'existence de plusieurs formes de transfert est trop vident pour tre ignore, et a suscit

    rcemment un regain d'intrt. Nous ne pouvons pas passer en revue toute l'abondante

    littrature sur ce thme, mais nous allons nous arrter sur cinq points cruciaux (on trouve unebonne vision d'ensemble sur l'tat actuel de la question dans Gass & Selinker 1983; voir aussi

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    Kellerman & Sharwood-Smith 1986, Dechert & Raupach 1985) :

    1. Comme il a t dit plus haut, les prdictions sur d'ventuels transferts devraient tre bases

    non sur la comparaison de proprits structurales, mais sur la faon dont l'apprenant traite ces

    proprits. Par exemple, le franais ne possde pas le son [ ] de l'anglais that. En gnral, les

    francophones apprenant l'anglais se rendent compte qu'il s'agit d'un son inhabituel; mais ils

    peuvent tre incapables de le reproduire, et chercher le remplacer par un son du franais. Il ya deux candidats, [d] et [z] qui, d'un point de vue purement structural, sont galement

    ressemblants [ ]. Ce type de transfert se produit frquemment, et les apprenants

    francophones

    choisissent toujours [z] - contrairement aux apprenants d'autres LM et aux locuteurs de

    certains

    varits rgionales d'anglais, qui disent dat. Cette prfrence n'est pas prdictible si l'on

    compare uniquement les proprits structurales - dans ce cas, phontiques (sur un aspect

    similaire, voir le concept de 'distance perue' chez Kellerman 1979).

    2. Beaucoup de constructions dviantes et d' "erreurs" dans les noncs des apprenants qui

    sont

    apparemment dues au transfert peuvent avoir des causes tout fait diffrentes. Le turc, parexemple, place normalement le verbe en position finale. Les Turcs apprenant l'allemand

    placent

    le verbe dans cette position (qui en allemand est la bonne uniquement dans les subordonnes)

    plus souvent qu'en seconde position (qui est la position "normale"), et l'on pourrait dire que la

    cause en est vidente. Mais les Espagnols et les Italiens apprenant l'allemand font souvent de

    mme, alors que dans leurs langues le verbe n'est pas normalement la fin, mais jouit d'une

    plus grande libert de position. Le transfert prsum est donc vraisemblablement d d'autres

    contraintes, plus universelles (pour une discussion pntrante de cet aspect et de questions

    connexes, voir Meisel 1983; galement 6.2 ici-mme).

    3. Le transfert a t observ des niveaux d'organisation linguistique diffrents - surtout en

    phonologie et dans le lexique, mais galement en syntaxe. Il est trs rare en morphologie : il

    est

    trs peu vraisemblable qu'un Allemand apprenant le russe transfre une terminaison

    allemande

    de gnitif ou le marquage du prtrit en russe. Par ailleurs, il peut aussi se produire des

    transferts des niveaux o ils ne sont pas immdiatement apparents. En voici deux exemples :

    (a) L'anglais, l'allemand et l'italien n'attribuent pas le mme poids aux diffrents traits qui

    marquent un SN comme sujet d'une phrase : en anglais, c'est la position qui importe, en

    italien,

    le contenu lexical (plus l'accord avec le verbe), et en allemand, le marquage du cas. Bates et

    al.(1982) ont montr que les locuteurs non-natifs tendent suivre la stratgie correspondant

    leur

    langue maternelle mme s'ils ont une bonne connaissance de la langue trangre.

    (b) Le transfert peut aussi se produire un niveau conceptuel. Pendant l'acquisition de la

    langue maternelle, les locuteurs dveloppent une certaine conception du temps, de l'espace, de

    la modalit, de la dfinitude, etc. Cette empreinte conceptuelle peut influer en profondeur sur

    la faon dont ils saisissent la langue apprendre - par exemple dont ils interprtent le systme

    morphologique, les conjonctions de subordination, etc. Elle dtermine galement en partie ce

    qu'ils considrent comme devant tre encod de faon explicite dans un nonc. Si une langue

    marque obligatoirement la distinction dfini-indfini dans les SN, il est vraisemblable qu'un

    locuteur de cette langue va chercher marquer cette distinction dans la langue trangregalement, il le fera davantage en tous cas qu'un locuteur dont la langue maternelle ne marque

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    pas cette distinction.

    4. Pour qu'un apprenant soit capable de reconnatre une erreur de transfert, il faut qu'il sache

    dj beaucoup de choses sur la langue trangre. Par exemple, un locuteur de basque, o