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Page 1: Le Monde 16 Juin 2012

économie

B ranle-bas de combat. Moinsde24heuresaprès laprésen-tation en conseil des minis-

tres,mercredi 13 juin, du projet dedécret sur l’encadrement desrémunérations des dirigeantsd’entreprisepublique, l’ordreest àlamobilisationgénéraleparmi lespatrons visés. Selon nos informa-tions, plusieurs d’entre eux, com-me Henri Proglio, PDG d’EDF, ouLuc Oursel, président du directoi-red’Areva,auraientdécidédemon-ter au créneau et d’interpeller dis-crètement le gouvernement.

Objectif : faire comprendre àMatignonetàBercyque lamesureva rendre leurs entreprises quasi-ingouvernables. «Comment vou-lez-vous qu’un patron se fasse res-pecters’il estpayétrois,quatre,voi-recinqfoismoinsquesessubordon-nés», s’inquièteun lobbyisteman-datépour l’occasion.

Concrètement, le décret en pré-paration à Bercy, dont l’adoptionn’est pas attendue avant fin juillet,doit fixerunplafondderémunéra-

tion équivalent à «vingt fois lamoyenne des plus bas salaires desentreprises publiques», a indiquéPierreMoscovici,ministrede l’éco-nomie. Soit environ450000eurosparan,part variable incluse.

«Cen’est pas sain»Dans un premier temps, seules

lesentreprisesdétenuesmajoritai-rement par l’Etat ou l’un de sesbras armés, comme la Caisse desdépôts et consignations (CDC),seront concernées, le gouverne-ment n’ayant pas lesmoyens juri-diquesd’imposersesvuesdans lessociétés où il est minoritaire.«Cela représente 560entreprises,filiales ou entités parapubliques»,assure-t-onàBercy.

Les plus importantes sontconnues: EDF, France Télévisions,SNCF,Areva,LaFrançaisedes jeux,etc. Mais d’autres seraient égale-ment concernées, comme l’opéra-teur de transport public VeoliaTransdev, dont la moitié du capi-tal est détenu par la CDC, ou La

Banquepostale, filiale deLaPoste.Plusque l’iniquitéde lamesure,

surlaquelleilssaventqueFrançoisHollande peut difficilement reve-nir, les PDG frondeurs contestentses modalités d’application. «S’ilestadoptéen l’état,cedécretva ins-taurer un système de rémunéra-tion à plusieurs vitesses basé nonplussur lemérite,maissur le statutjuridique du poste occupé, ce n’estpas sain», s’inquiète l’und’eux.

De fait, seuls les mandataires

sociaux sont concernéspar le pro-jet, alors que certains cadres dehaut niveau jouissent de rémuné-rations également élevées. ChezEDF, par exemple, onestimeàunecentaine le nombre de salariésgagnant plus de vingt fois le salai-reminimumde l’entreprise, alorsquel’électriciennecomptequ’unevingtainedemandatairesenFran-ce et à l’étranger, chez RTE, ERDF,EDF Energies nouvelles ou EDFEnergyauRoyaume-Uni.

Thomas Piquemal, le directeurfinancierd’EDF, émargerait ainsi à1,2million d’euros par an, pas trèsloin du 1,6million de M.Proglio.De même, Stéphane Richard, lePDGdeFranceTélécom,qui gagne1,5million d’euros par an, a recon-nuqu’iln’étaitpas lesalaire leplusélevéde son entreprise.

«On va aboutir à ce que les pos-tes à responsabilité ne soient pasoccupés par lesmeilleurs, c’est stu-pide», s’offusque-t-on dans l’en-tourage d’un patron. «Gagner450000euros par annemeparaîtpas dissuasif si on veut avoir à latêtedenosentreprisesdeshommesetdesfemmesdequalité», a répon-duparavanceM.Moscovici,enpré-sentant son décret.

Remonté comme un coucou,M.Proglio envisagerait, selon plu-sieurs témoins, d’appliquer le pla-fonnementvouluparlegouverne-mentàtous lessalariésd’EDF,quelque soit leur statut, pour «respec-ter un principe d’équité »… etdémontrerparl’absurdequelesys-

tèmen’estpas tenable.«S’il fait ça,les meilleurs vont faire leur valisetrès vite»,prédit-on en interne.

Contactés par les impétrants,plusieurs membres du gouverne-ment se seraient montrés sensi-bles à ces arguments. «Les plusavertis se rendentbien comptequeHollande s’est piégé tout seul aveccette mesure», assure un habituédes lambris deMatignon.

Résultat : ça cogite à Bercy.Selon un avocat, une solutionpourraitêtreden’appliquer lepla-fondqu’aux filiales dont le chiffred’affaires dépasse 500millionsd’euros,pour limiter lenombredepersonnes concernées. «Mais toutvadépendredes résultats des légis-latives, s’inquiète notre lobbyiste.Si le PS décroche la majorité abso-lue, on pourra négocier. Si le Frontdegaucheet lesécolostiennentHol-lande, ça sera plus compliqué. »Nos PDG savent pour qui voterdimanche…p

Cédric Pietralunga,(avec Jean-MichelBezat)

P eut mieux faire. Nommémédiateurdesrelationsinte-rentreprises au printemps

2010, Jean-Claude Volot dresse,deux ans après son intronisation,un bilanmitigé de la situation dessous-traitants français. «Trop degrandesentreprisess’essuientenco-re les pieds sur leurs fournisseurscommeon le fait sur un paillassonen rentrant chez soi», explique ceZorrodes PME, redouté duCAC40pour son franc-parler.

En deux ans, 537 entreprises ougroupements d’entreprises – cequi représente environ 1,6milliond’emplois – ont fait appel à luipour régler un litige avec un deleurs clients. «Huit fois sur dix,nous avons trouvé une solution,explique M.Volot.Mais, pour unePME qui ose se plaindre, on estimeque 700 se taisent par peur desreprésailles, c’est beaucoup trop.»

S’il reconnaît que certainsgrands groupes font, depuis deuxans, des efforts pourmieux traiterleurs fournisseurs, commeAirbusouSystèmeU,«pour lesquelsnousne recevons plus de plaintes »,M.Volot estime que trop d’entreeux traînent encore les pieds. «Encemoment,c’estFaureciaetLeclercquimepréoccupent», révèle-t-il.

Selon un classement réalisé parla médiation interentreprises, enpartenariat avec lemagazineChal-lenges, et révélé jeudi 14 juin, plusd’untiersdes 120grandesentrepri-ses interrogéesn’obtiennentpas lamoyenne en ce qui concerne lafaçondontelles (mal) traitent leursfournisseurs. La Poste, la SNCF etBongrainarrivententêtedecebaro-mètre,Nexans,VivendietDassaultSystèmes ferment lamarche.

Preuvequelasituationresteten-due, les syndicats et groupementsd’entreprises du numérique, soit4000 sociétés d’informatique, ontsaisi collectivement le médiateuren avril pour dénoncer des prati-quesabusivesde leurs clients.

Entente sur les prix, abus deposition dominante, violation depropriétéintellectuelle,toutypas-se. «Certains nous obligent mêmeà facturer des prestations hors deFrance pour échapper à l’impôt»,s’émeut le patron d’une petitesociétéde services informatiques.

Pour appuyer son action, lamédiation interentreprises a bienédicté une charte de «dix engage-ments pour des achats responsa-

bles», signée par 245 grands grou-pes, comme Lafarge, France Télé-com, Manitou, TF1 ou PernodRicard, «soit 500milliards d’eurosd’achats par an, ce qui n’est pasrien», se réjouitM.Volot.

Mais la crise complique les cho-ses. Le non-respect des délais depaiement est ainsi devenu le pre-mier motif de plainte des PME,alors qu’il n’arrivait qu’en huitiè-mepositionde leurs réclamationsen2010.

Méthodes peu avouablesSi la loi de modernisation de

l’économie(LME),votéeen2008etappliquée en 2009, impose à tou-tes les sociétés, quelleque soit leurtaille, de payer leurs fournisseursen deux mois maximum, contre90 jours auparavant, «un tiers desentreprisesrèglentencoreleursfac-tures ou sont elles-mêmes régléesau-delà de 60 jours», reconnaîtl’économiste Jean-Hervé Lorenzi,danslerapportannuel2011del’Ob-servatoiredesdélais de paiement.

Fin2010, ledélaimoyendepaie-ment des fournisseurs était de69jours pour les grandesentrepri-ses.Mais avec de fortes disparités:certaines sociétés imposent plusde 120 jours, notamment dans leBTP et les industries mécaniques.Avec des méthodes parfois peuavouables : factures prétendu-ment perdues, comptabilité injoi-gnable, délocalisation des recou-vrements à l’étranger pourcontournerlaLME…«C’estinaccep-table, s’insurge M.Volot. Dix joursde retard, ça représente 80 à100milliards d’euros immobiliséspour les PME!»

Les choses semblent néan-moins bouger. «L’exemple alle-mand, où les grands groupes chas-sentenmeuteavec leursPME,com-mence à faire école», se réjouitPierre Gattaz, patron de Radiall,un poids moyen des connecteursélectriques.

«Les grandes entreprises fran-çaises ont pris conscience que fairegrandir autour d’elles des fournis-seursétait indispensablepourréus-sir», confirme Emmanuel Leprin-ce,directeurgénéraldePactePME,association créée en 2010 pouraméliorer les relations entre don-neursd’ordreset fournisseurs.Lesintéressés ne demandent qu’à lecroire.p

C.Pi.

Maurice Lévy, président dudirec-toire dePublicis, a annoncé, jeu-di 14 juin, qu’il quittait la prési-dence de l’Association françaisedes entreprises privées (AFEP).M. Lévy estime qu’il ne peut plusreprésenter les grandes entrepri-ses après la polémique que sonbonus différé de 16millions d’eu-ros agénérée. Le patrondePubli-cis avait annoncé renoncer à sonsalaire fixe et appelé ses confrè-

res à payer plus d’impôts. Pour«éviter que ma décision puisseapparaître comme la reconnais-sance d’une faute», le conseil arefusé cette démission par deuxfois, noteM. Lévy. Citant un cour-riel adressé le 28mars aux admi-nistrateurs de l’AFEP, danslequel il avouait«comprendre»que lemontant de 16millions«choque», il assure : «De faute,il n’y en a pas.»

Plafonnementdesrevenus:lesPDGserebiffentCertainspatronsdupublicavancentque leprojetdeM.Hollanderendraleurentreprise ingouvernable

Maurice Lévy démissionnede la présidence de l’AFEP

LesgrandsgroupestraitentencoretropsouventlesPMEcommedes«paillassons»Lepremiermotifdeplaintedessous-traitantsest lenon-respectdesdélaisdepaiement

12 0123Samedi 16 juin 2012