Lâautorisation de soins : Ă©tat de la jurisprudence et questions de droits
En 1971, lâuniversalitĂ© de la personnalitĂ© juridique ainsi que les droits Ă lâinviolabilitĂ© de
la personne et au consentement aux soins sont intĂ©grĂ©s au Code civil du Bas-Canada1. Ă
cette Ă©poque, aucun mĂ©canisme nâest prĂ©vu en matiĂšre de refus de traitement, et la
jurisprudence en développe les principes cardinaux durant la décennie suivante2. Un
mĂ©canisme spĂ©cifique dâautorisation judiciaire pour les majeurs inaptes refusant
catégoriquement les soins est introduit au Code en 1989 : il prévoie que seuls les soins
requis par lâĂ©tat de santĂ© peuvent lui ĂȘtre imposĂ©s3.
Lors de la réforme du Code civil du Québec, le développement du droit des personnes est
axé sur la personnalité juridique, les droits fondamentaux et la primauté de la volonté4. Le
titre deux du livre Des personnes â intitulĂ© De certains droits de la personnalitĂ© â
sâouvre sur un chapitre concernant spĂ©cifiquement lâintĂ©gritĂ©. Les droits qui y sont
rattachĂ©s sont gĂ©nĂ©ralement relatifs aux soins5. Les droits Ă lâinviolabilitĂ© et Ă
lâautodĂ©termination sont la pierre angulaire du rapport thĂ©rapeutique tant sur le plan lĂ©gal
que dĂ©ontologique 6. Lâautorisation de soins apparaĂźt alors comme un mĂ©canisme
doublement exceptionnel au regard des principes généraux du droit des personnes qui
veulent que toute personne est présumée apte à consentir aux soins7, y compris
lorsquâelle est sous rĂ©gime de protection8, et quâelle peut refuser des soins, peu importe
1 Loi modifiant de nouveau le Code civil et modifiant la Loi abolissant la mort civile, LQ 1971, c 84, art 18-19. Le droit Ă lâinviolabilitĂ© Ă©tait dĂ©jĂ reconnu (Louis Baudoin, « La personne humaine au centre du droit quĂ©bĂ©cois » (1966) 26 : 2 R du B 66) et lâobligation dâinformation pour le mĂ©decin avait Ă©tĂ© Ă©tablie par la jurisprudence quĂ©bĂ©coise depuis les annĂ©es 1930 (Bordier c S, [1934] 72 CS 316). 2 Couture-Jacquet c Montreal Childrenâs Hospital, [1986] RJQ 1221 (CA); Nancy B c HĂŽtel-Dieu de QuĂ©bec, [1992] RJQ 361 (CS) [Nancy B]; Manoir de la Pointe- Bleue c Corbeil, [1992] RJQ 712 (CS). 3 Loi sur le curateur public et modifiant le Code civil et dâautres dispositions lĂ©gislatives, LQ 1989, c 54; aujourdâhui art 16 CcQ.4 QuĂ©bec, AssemblĂ©e nationale, Journal des dĂ©bats, 34e lĂ©gislature, 1e session, vol. 31 no 178, lundi 16 dĂ©cembre 1991 Ă la p 11708 (madame Jocelyne Caron, porte-parole de lâOpposition).5 Bien que la protection de lâintĂ©gritĂ© vise Ă©galement son propre fait : QuĂ©bec, MinistĂšre de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice: Le Code civil du QuĂ©bec, t 1, QuĂ©bec, Publications du QuĂ©bec, 1993 Ă la p 12.6 Art 10 et suivants CcQ ; par ex. : Code de dĂ©ontologie des mĂ©decins, RRQ, c M-9, r 17 art 28 et suivants.7 Art 11 CcQ ; Institut Philippe-Pinel de MontrĂ©al c Blais, au para 19 [Blais]; Centre de santĂ© et de services sociaux de la Haute-Yamaska c EG, 2010 QCCS 6394 au para 26.
1
les conséquences qui en découlent9. Ce caractÚre exceptionnel justifie une interprétation
restrictive des dispositions en cause10.
En matiĂšre dâautorisation de soins, le tribunal procĂšde Ă un examen en deux temps. Il
doit d'abord trancher la question de lâinaptitude Ă consentir aux soins11 par lâexamen
objectif de la preuve12. Outre la preuve experte fournie par le demandeur, Ă laquelle le
tribunal nâest pas liĂ©13, il est tenu de recueillir lâavis du dĂ©fendeur14. S'il conclut que le
défendeur est inapte à consentir aux soins, il doit évaluer la nécessité effective du
traitement proposĂ©. Lors de cette seconde Ă©tape, le tribunal agit dans le seul intĂ©rĂȘt du
défendeur, en tenant compte dans la mesure du possible des volontés qu'il aura
exprimĂ©es15. Sâil conclut que les soins ne sont pas requis par son Ă©tat de santĂ©, il doit
respecter le refus du défendeur16.
Lâimportance du rĂŽle des tribunaux judiciaires dans lâinterprĂ©tation et la mise en Ćuvre
du droit des personnes a Ă©tĂ© soulignĂ© nombre de fois depuis 20 ans, tant Ă lâassemblĂ©e
nationale17 que par la Cour dâappel du QuĂ©bec18 et la doctrine19. Or, au moment oĂč les
8 JMW c SCW, [1996] RJQ 229 (CA); MC c Service professionnel du Centre de santĂ© et de services sociaux dâArthabaska-et-de-lâĂrable, 2010 QCCA 1114.9 Art 11 CcQ ; Nancy B, supra note 2.10 Pierre-AndrĂ© CĂŽtĂ©, avec la collaboration de StĂ©phane Beaulac et Mathieu Devinat, InterprĂ©tation des lois, MontrĂ©al, ThĂ©mis, 2009, section sur les droits et libertĂ©s de la personne.11 Dont le fardeau de preuve revient entiĂšrement Ă lâĂ©tablissement de santĂ© demandeur.12 GB c Institut universitaire en santĂ© mentale de QuĂ©bec, 2010 QCCA 2188 au para 8.13 Centre hospitalier de l'UniversitĂ© de MontrĂ©al (CHUM) â HĂŽpital Notre-Dame c GC, 2010 QCCA 293 au para 6. Le tribunal doit cependant avoir « des motifs valables » dâĂ©carter la preuve mĂ©dicale : Centre hospitalier Le Centre-de-la-Mauricie c J(R), 2002 CanLII 36588 au para 5.14 Art 23 (2) CcQ.15 Art 12 (1) CcQ16 Art 23 (2) CcQ.17 QuĂ©bec, AssemblĂ©e nationale, Commission permanente des affaires sociales, « Ătude dĂ©taillĂ©e du projet de loi no 39 : Loi sur la protection des personnes atteintes de maladie mentale et modifiant diverses dispositions lĂ©gislatives (2) » dans Journal des dĂ©bats de la Commission permanente des affaires sociales, vol 35, n° 100 (5 dĂ©cembre 1997) Ă la p 6 (Jean Rochon, ministre de la SantĂ© et des Services sociaux); QuĂ©bec, AssemblĂ©e nationale, Commission des institutions, « Projet de loi n° 50 â Loi modifiant le Code civil du QuĂ©bec (1) » dans Journal des dĂ©bats de la Commission des institutions, vol. 37, n°54 (27 mars 2002) aux pp 1-2 (Paul BĂ©gin, ministre de la Justice).18 B M c Centre hospitalier Pierre-le-Gardeur, [2004] RJQ 792 (CA) au para 61 [BM]; QuĂ©bec (Curateur public) c Centre de santĂ© et de services sociaux de Laval, 2008 QCCA 833 au para 18.19 Jean-Pierre MĂ©nard, « Le refus de soins revu et corrigĂ©. Lâaptitude Ă consentir aux soins mĂ©dicaux: la Cour suprĂȘme redĂ©finit les propositions de la Cour dâappel du QuĂ©bec », dans Barreau du QuĂ©bec, Famille et protection, Cowansville, Yvon Blais, 2005 Ă la p 314; Emmanuelle Bernheim, « Le droit Ă lâinformation des patients gardĂ©s en Ă©tablissement: un instrument essentiel de promotion des valeurs dĂ©mocratiques et du
2
premiÚres autorisations de soins sont accordées20, ce rÎle est relativement nouveau : il
sâagit dâintervenir dans une matiĂšre qui nâa jamais concernĂ© que la clinique.
Les rares Ă©tudes sur la question laissent entrevoir diffĂ©rentes difficultĂ©s liĂ©es Ă
lâapplication des principes gĂ©nĂ©raux du droit des personnes, aux critĂšres retenus pour
dĂ©terminer lâaptitude Ă consentir aux soins, Ă lâapplication des rĂšgles procĂ©durales21.
Lâanalyse prĂ©liminaire de la jurisprudence des derniĂšres annĂ©es dĂ©note une Ă©volution tant
en terme de dĂ©lais â de plus en plus longs â que de listes de traitements â de plus en plus
imprécises22. Il est essentiel, aprÚs plus de 20 ans, de dresser un portrait précis de
lâĂ©volution de la jurisprudence depuis ses dĂ©buts, en sâattachant spĂ©cifiquement aux
principes fondamentaux du droit Ă lâintĂ©gritĂ©. La prĂ©sente Ă©tude est liĂ©e Ă ce
questionnement général.
Nous avons effectué la recherche jurisprudentielle sur trois bases de données juridiques23
en utilisant comme mot-clés les quatre expressions suivantes : « autorisation de soins »,
« autorisation de traitement », « ordonnance de soins » et « ordonnance de traitement »24.
Nous avons collectĂ© lâensemble des dĂ©cisions des cours supĂ©rieures et dâappel de 1991 Ă
2012, pour un total de 1206 décisions.
Lâensemble des dĂ©cisions de 1991 Ă 2004 a Ă©tĂ© analysĂ©. En raison du nombre important
de décisions à partir de 2005, nous avons constitué, de maniÚre aléatoire, un échantillon
par intervalles25; cependant, pour ne pas perdre les jugements les plus intéressants, nous
avons systĂ©matiquement conservĂ© dans notre corpus les dĂ©cisions de la Cour dâappel et
statut citoyen » (2009) 54 : 3 R D McGill 547; Ian-Kristian Ladouceur, « Ăchecs lĂ©gislatifs et juridiques » (2006) J du Bar 38 (2) Ă la p 50.20 La premiĂšre autorisation de soins date de 1991 : Blais, supra note 7.21 Emmanuelle Bernheim, « Le refus de soins psychiatriques est-t-il possible au QuĂ©bec? Discussion Ă la lumiĂšre du cas de l'autorisation de soins » (2012) 57 : 3 R D McGill 553 [Refus de soins]; Marcelo Otero et GeneviĂšve Kristoffersen-DugrĂ©, Les usages des autorisations judiciaires de traitement psychiatrique Ă MontrĂ©al : entre thĂ©rapeutique, contrĂŽle et gestion de la vulnĂ©rabilitĂ© sociale, MontrĂ©al, Service aux collectivitĂ©s de LâUQAM, 2012.22 Emmanuelle Bernheim, Garde en Ă©tablissement et autorisation de soins : quel droit pour quelle sociĂ©tĂ© ?, Cowansville, Yvon Blais, 2011 aux pp 119-144.23 Quicklaw, Soquij et CanLII.24 Il existe une diffĂ©rence conceptuelle importante entre ordonnance et autorisation : alors quâune ordonnance est une « dĂ©cision Ă©manant dâun juge », une autorisation constitue une permission pour la partie demanderesse « dâaccomplir un acte juridique que celle-ci ne pourrait normalement faire seule » (GĂ©rard Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1987 aux pp 95 et 641). Alors que le Code civil parle dâ« autorisation » (art 16), la jurisprudence emploi les deux termes indiffĂ©remment.
3
les décisions de plus de 5 pages. Notre échantillon est composé de 906 décisions que
nous avons analysĂ© Ă lâaide du logiciel NâVivo26.
Notons quâĂ partir de 2003, alors que le nombre dâautorisations de soins augmente, les
décisions sont de plus en plus courtes et présentent moins de contenu, tant juridique que
factuel. 66 % des décisions de notre corpus comportent entre deux et quatre pages et 28
% font entre cinq et neuf pages27; le résiduel est constitué de décisions de dix pages et
plus. Soulignons que la longueur des dĂ©cisions varie sensiblement dâun district Ă lâautre :
les décisions de deux à cinq pages composent 88 % du corpus émanant de la région de
QuĂ©bec28, 52 % de MontrĂ©al et 35 % de lâEstrie29.
Quelques limites doivent ĂȘtre soulignĂ©es. La premiĂšre est le peu de dĂ©cisions du district
de Montréal disponibles sur les bases de données30. Les décisions montréalaises sont
pourtant envoyées à Soquij, mais apparemment le plus souvent sous forme « brouillon »,
ce qui a pour consĂ©quence quâelles ne sont pas publiĂ©es. Il aurait fallu nous dĂ©placer au
Palais de justice pour collecter les données sur place, mais, compte tenu du nombre
important de dĂ©cisions31 et le fait quâelles ne soient pas classĂ©es Ă part mais plutĂŽt parmi
lâensemble des affaires civiles, le travail aurait Ă©tĂ© considĂ©rable. La seconde limite est
lâabsence de statistiques provinciales sur les autorisations de soins, ce qui ne nous permet
pas de connaßtre la proportion réelle de décisions étudiées.
Tableau 1. Proportion des décisions issues de notre échantillon en fonction des régions administratives (districts judiciaires entre parenthÚses)Québec (Québec / Charlevoix) 35 %SaguenayLac-Saint-Jean (Alma / Chicoutimi / Roberval)
10 %
25 Ă partir de 2008, la proportion de dĂ©cisions analysĂ©es passe des deux-tiers Ă la moitiĂ©, pour une moyenne de 80 dĂ©cisions par annĂ©e. Ă titre dâexemple, en 2005 nous avons retranchĂ© 32 dĂ©cisions du corpus initial, tandis quâen 2012 ce nombre est de 66.26 Et plus particuliĂšrement en nous servant de la fonction « attribut ».27Dans notre Ă©chantillon, seules 23% des dĂ©cisions comportent plus de 5 pages mais cette proportion serait encore plus faible (14%) si nous ne les avions pas systĂ©matiquement conservĂ©es lors de lâĂ©chantillonnage.28 Principalement le district de QuĂ©bec avec lâInstitut universitaire de santĂ© mentale de QuĂ©bec.29 Principalement le district de Saint-Francois.30 Sur les 906 dĂ©cisions analysĂ©es, seulement 62 proviennent du district de MontrĂ©al. En comparaison, 317 dĂ©cisions Ă©manent du district de QuĂ©bec.31 497 requĂȘtes dâautorisation de soins ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es en 2012 dans le district de MontrĂ©al. Nous remercions le maĂźtre des rĂŽles de la Cour supĂ©rieure pour sa collaboration.
4
ChaudiĂšres-Appalaches (Beauce / Montmagny)
10 %
Bas-Saint-Laurent (Kamouraska / Rimouski)
9 %
Montréal 7 %Abitibi-Témiscamingue (Abitibi / Rouyn-Noranda / Témiscamingue)
7 %
Estrie (Saint-François / Frontenac / Mégantic)
5 %
CÎte-Nord (Mingan / Baie-Comeau) 3 %Montérégie (Longueuil / Beauharnois / Bedford / Iberville / Richelieu / Saint-Hyacinthe)
3 %
Mauricie (Trois-RiviĂšres / Saint-Maurice) 3 %GaspĂ©sie-Ăles-de-la-Madeleine (GaspĂ© / Bonaventure)
2 %
LanaudiÚre (Terrebonne, Joliette) 1 %Centre-du-Québec (Arthabaska / Drummond)
1 %
Outaouais (Gatineau / Pontiac) 1 %Laval 1 %Laurentides (Labelle) moins de 1 %Nord du Québec moins de 1 %
Il ressort de lâanalyse des dĂ©cisions dâautorisation de soins certaines tendances
préoccupantes en matiÚre de droits fondamentaux et judiciaires dont nous traiterons aprÚs
avoir présenté un portrait général du contenu de la jurisprudence.
1. Portrait général de la jurisprudence
Il nâest pas aisĂ© de brosser un tableau des personnes faisant lâobjet dâune autorisation de
soins Ă partir de la jurisprudence puisquâil est rare dây trouver une information complĂšte
sur la situation personnelle et médicale des défendeurs. Les autorisations sont le plus
souvent courtes, dĂ©nuĂ©es de lâinformation qui doit pourtant permettre aux juges
dâapprĂ©cier lâaptitude Ă consentir aux soins. Cette Ă©valuation ne peut en effet que
difficilement se faire sans tenir compte des spécificités individuelles, notamment quant au
contexte dans lequel les défendeurs refusent les traitements32. Les autorisations de soins
sont le plus souvent courtes, rĂ©guliĂšrement sous forme de « considĂ©rant », et leur contenu 32 Lâinaptitude Ă consentir aux soins doit ĂȘtre constatĂ©e factuellement : Centre hospitalier universitaire de QuĂ©bec c P(I), 2006 QCCS 2035 et Centre de santĂ© et de services sociaux de Rouyn-Noranda c A, 2007 QCCS 1445.
5
se limite généralement au type de médication autorisé et aux contraintes imposées aux
deux parties. La pratique voulant que les Ă©tablissements se prĂ©sentent Ă lâaudience avec
un « projet dâordonnance » nâest certainement pas Ă©trangĂšre Ă cet Ă©tat de fait. LâĂ©volution
de la pratique vers une protection accrue de la confidentialité des défendeurs33 pourrait
Ă©galement contribuer au manque dâinformation disponible dans les dĂ©cisions. La situation
pose néanmoins un problÚme majeur dans cette matiÚre caractérisée par des enjeux de
droits fondamentaux, puisque le contenu substantiel de la jurisprudence depuis 25 ans est
généralement fragmentaire.
Lâune des seules caractĂ©ristiques Ă©chappant Ă ce constat est le sexe des dĂ©fendeurs, qui
est divulgué dans la presque totalité des décisions. Dans notre échantillon, 55% des
demandes concernent des hommes, mais on note une augmentation de cette proportion
depuis 2008.
LâĂąge des dĂ©fendeurs est au contraire une donnĂ©e beaucoup moins disponible puisque la
moitiĂ© des dĂ©cisions Ă©tudiĂ©es nâen parle pas. Il apparaĂźt nĂ©anmoins, dâaprĂšs les
informations accessibles, que la majorité des décision concerne des défendeurs de plus de
24 ans.
Tableau 2. Proportion des dĂ©cisions dâautorisation de soins par tranche dâĂągeNon spĂ©cifiĂ©
Mineurs34 18-24 ans 25-34 ans 35-49 ans 50-64 ans 65 ans et plus
50 % 0,5 % 4,4 % 10,9 % 13,4 % 10,7 % 9,7 %35
Les situations familiale, financiĂšre et dâemploi des dĂ©fendeurs ne font gĂ©nĂ©ralement pas
l'objet de développements dans les décisions. Ainsi, seules 10% des décisions laissent
transparaitre la parentalitĂ© des dĂ©fendeurs, soit par la mise en cause de lâun des enfants ou
33 Bien que ce ne soit pas prĂ©vu dans les dispositions en matiĂšre dâautorisation de soins, certaines mesures de protection de la confidentialitĂ© sont gĂ©nĂ©ralement mises en place telles que le huis clos, la conservation des rapports psychiatriques sous scellĂ© et le caviardage des dĂ©cisions. Dans notre Ă©chantillon, 2,3 % des dĂ©cisions ne sont pas caviardĂ©es, gĂ©nĂ©ralement avant 2000. Voir Charte des droits et libertĂ©s de la personne, RLRQ c C-12, art 23 (2) [Charte].34 Les dĂ©cisions relatives aux mineurs visent des tĂ©moins de JĂ©hovah (pour les transfusions sanguines) ou des jeunes ayant de lourds problĂšmes de santĂ© mentale et nĂ©cessitant un encadrement Ă©troit. Il sâagit le plus souvent de jeunes de plus de 14 ans. Voir par ex. : HĂŽpital Ste-Justine c Giron, 2002 QCCS 34269 ; Centre de santĂ© et de services sociaux de Rouyn-Noranda c X, 2012 QCCS 512.35 En tenant compte des dĂ©cisions oĂč lâĂąge du dĂ©fendeur nâest pas spĂ©cifiĂ© mais oĂč il est Ă©vident quâil sâagit dâune personne de plus de 65 ans, cette proportion augmente Ă environ 15 %.
6
par un paragraphe introductif résumant sa situation familiale. Soulignons que plus
dâinformation Ă ce sujet est disponible avant 2005, lâannĂ©e charniĂšre qui marque une
augmentation importante du nombre dâautorisations de soins et une diminution globale de
la quantitĂ© dâinformation disponible.
La situation financiÚre des défendeurs est rarement discutée par le tribunal (environ 5 %
des dĂ©cisions). La mention du fait quâun dĂ©fendeur est prestataire de lâaide sociale est
gĂ©nĂ©ralement la seule information disponible Ă ce sujet36. De la mĂȘme façon, la question
de lâitinĂ©rance fait rarement lâobjet dâune mention explicite et lâabsence de domicile
connu est bien souvent le seul moyen de conclure Ă lâitinĂ©rance dâun dĂ©fendeur37. Dans
notre corpus de décision, la premiÚre décision concernant un défendeur sans-abris
apparaßt en 2001; la situation touche 5% des défendeurs. Il convient toutefois de rappeler
la sous-représentation des décisions provenant du district de Montréal, ce qui diminue
trĂšs probablement le taux rĂ©el dâitinĂ©rance touchant les individus visĂ©s par des
autorisations de soins38.
Dans la mĂȘme veine, nous ne recensons que 19 cas oĂč le tribunal mentionne lâoccupation
dâun emploi par un dĂ©fendeur, ce qui mĂšne Ă une proportion encore plus faible quâen
matiÚre de situation financiÚre. Dans un peu plus de 10% des jugements, le défendeur ne
peut manifestement pas occuper un emploi en raison de son Ăąge ou de limitations
physiques39. Câest la situation du trois quart des ainĂ©s de notre Ă©chantillon. Dans 3% des
décisions, le niveau de scolarité du défendeur est mentionné40.
Contrairement Ă une certaine croyance populaire, les majeurs inaptes ne constituent pas
un groupe prĂ©pondĂ©rant, ou mĂȘme important, des personnes faisant lâobjet de demandes
dâautorisation de soins : seulement 5% des jugements visent des dĂ©fendeurs sous rĂ©gime
de protection, le plus souvent sous curatelle.
36 Par ex : Centre de santĂ© et de services sociaux des Ăles c JM, 2010 QCCS 2129.37 Par ex : Institut universitaire de santĂ© mentale de QuĂ©bec c CM, 2011 QCCS 7231.38 LâĂ©tude quantitative conduite par Marcelo Otero et GeneviĂšve Kristoffersen-DugrĂ© sur lâensemble des dossiers judiciaires pour lâannĂ©e 2009 dans le district de MontrĂ©al Ă©tabli la proportion de dĂ©fendeurs en situation dâitinĂ©rance Ă 18,2 % : supra note 21 Ă la p 32.39 Par ex : HĂŽpital Maisonneuve-Rosemont c JJ, 2010 QCCS 2301.40 Dans 18 dĂ©cisions les dĂ©fendeurs sont dotĂ©s dâune scolaritĂ© postsecondaire, tandis que 12 dĂ©cisions concernent des dĂ©fendeurs qui nâont pas complĂ©tĂ© leur secondaire.
7
Lâinformation sur le diagnostic en cause, ou lâĂ©tat de santĂ© des dĂ©fendeurs, nâapparaĂźt que
dans la moitiĂ© des dĂ©cisions dâautorisation de soins Ă©tudiĂ©es41. Sâil est possible de
concevoir la réticence du tribunal à dévoiler des informations strictement personnelles
dans un objectif de protection de lâanonymat, lâabsence de discussion sur lâĂ©tat de santĂ©
et les diagnostics est problématique au regard de la cohérence générale de la
jurisprudence. Sans dĂ©tenir un Ă©lĂ©ment dâinformation aussi central que la maladie que
lâon souhaite traiter en empruntant le vĂ©hicule de lâautorisation de soins, il est ardu de
suivre le raisonnement qui sous-tend les décisions et de les comparer entre eux. Une fois
de plus, la pĂ©riode sâĂ©talant de 1991 Ă 2004 se distingue par sa plus grande transparence.
Les autorisations de soins touchent trĂšs majoritairement des personnes souffrant de
troubles psychiatriques. La schizophrénie est de loin le diagnostic le plus souvent en
cause (environ 20% de notre Ă©chantillon). La psychose, le trouble schizo-affectif et la
démence apparaissent dans 5% des décisions et le trouble bipolaire et le trouble délirant
dans un pourcentage légÚrement plus faible. Les troubles de la personnalité, le retard
intellectuel, lâAlzheimer, les problĂšmes de toxicomanie ou dâalcoolisme ainsi que
lâanorexie font Ă©galement partie des conditions mĂ©dicales justifiant une autorisation de
soins.
Bien quâil existe des circonstances oĂč la toxicomanie ou lâalcoolisme sont la raison
principale de la demande dâautorisation de soins, dans la majoritĂ© des cas ce sont des
problĂ©matiques qui sâajoutent au diagnostic42. Par exemple, il peut sâagir du cas dâune
femme atteinte de schizophrénie paranoïde consommant des drogues de rue43 ou encore
dâun homme ayant Ă©tĂ© alcoolique une grande partie de sa vie se retrouvant avec une
démence de Korsakoff44. Environ 15% des décisions en font mention et nous notons une
augmentation depuis 2008.
Tableau 3. Principaux diagnostics justifiant une autorisation de soinsNon Schizo- DĂ©sordre Psychose DĂ©mence Trouble Trouble Autres
41 36 % des décisions font référence au suivi médical des défendeurs.42 Par ex : Centre de santé des Etchemins c MD, 2004 QCCS 28838.43 Centre de santé et de services sociaux du Sud de LanaudiÚre (Clinique Charlemagne) c JR, 2010 QCCS 216844 Centre de santé Sainte-Famille c YB, 2005 QCCS 19545.
8
spécifié phrénie schizo-affectif
délirant bipolaire
48,5 % 18,5 % 4,9 % 4,4 % 4,2 % 3,5 % 2,6 % 6,1 %
Soulignons que la surreprĂ©sentation de diagnostics psychiatriques pourrait sâexpliquer, du
moins en partie, par la nature du test employĂ© pour Ă©valuer lâaptitude Ă consentir aux
soins. La recherche a en effet démontré clairement que les critÚres retenus pour évaluer
lâaptitude Ă consentir aux soins, ainsi que la maniĂšre de les appliquer, dĂ©terminent
directement le profil des malades jugĂ©s inaptes45. Mettre lâemphase sur les compĂ©tences
cognitives ne permettrait pas de jauger les Ă©lĂ©ments affectifs â les croyances, les
connaissances ou les valeurs â susceptibles de conditionner la dĂ©cision de refuser des
soins46. Ă cet Ă©gard, le rĂŽle dĂ©cisif des psychiatres dans lâĂ©laboration du test retenu par la
Cour dâappel du QuĂ©bec dĂšs 199447 et leur implication Ă titre dâexperts dans lâĂ©valuation
de lâaptitude est trĂšs certainement un facteur dĂ©terminant. Ce test en cinq volets, dont les
critĂšres ne sont pas cumulatifs48, est le suivant :
1. Le patient comprend-il quâil est malade?2. Le patient comprend-il la nature et le but du traitement proposĂ©?3. Le patient comprend-il les risques encourus Ă entreprendre le traitement?4. Le patient saisit-il les risques encourus Ă ne pas entreprendre le traitement?5. LâĂ©tat du patient interfĂšre-t-il avec son aptitude Ă consentir?
Quant Ă lâapplication des critĂšres, la jurisprudence est inconsistante. Certaines dĂ©cisions,
minoritaires, rĂ©fĂšrent aux cinq critĂšres du test49, alors dâautres ne sây rapportent pas du
tout. Dans dâautres cas, le test est rĂ©duit à « deux fils conducteurs [...]: la perception de
sa maladie par la personne et les effets de cette maladie sur sa capacité à consentir à des
45 Thomas Grisso et Paul S. Appelbaum, « Comparison of Standards of Assessing Patientsâ Capacities to Make Treatment Decisions » (1995) 152: 7 Am J Psychiatry Ă la p 1036; Paul S. Appelbaum, « Assessment of Patientsâ Competence to Consent to Treatment » (2007) 357: 18 N Eng J Med Ă la p 1838.46 Irwin Kleinman, « The right to refuse treatment: ethical considerations for the competant patient » (1991) 144 : 10 Can Med Assoc J 1219; Constantin Tranulis, Ellen Corin et Laurence J. Kirmayer, « Insight and Psychosis: Comparing the Perspectives of Patient, Entourage and Clinician » (2008) 54 Int J Soc Psychiatry Ă la p. 238.47 Institut Philippe Pinel de MontrĂ©al c AG, [1994] RJQ 2523 (CA) [Pinel]. Ces critĂšres avaient Ă©tĂ© approuvĂ©s par lâAssociation des psychiatres du Canada en 1987 et figuraient dans la lĂ©gislation nĂ©o-Ă©cossaise depuis 1967 : Hospitals Act, RSNS, 1989, c 208, art 52(2).48 BM, supra note 18.49 Les cinq critĂšres du test sont citĂ©s dans un peu moins de 20% des dĂ©cisions.
9
soins » 50. Le déni et la nature de la maladie constituent alors les facteurs déterminants de
lâapprĂ©ciation de lâaptitude Ă consentir aux soins. DĂšs lors que la capacitĂ© dâautocritique
et le contact avec la réalité font partie des symptÎmes de plusieurs troubles mentaux, et
plus particuliÚrement des troubles du spectre de la schizophrénie et autres désordres
psychotiques51, nos résultats en terme de diagnostic ne sont pas surprenants52. Pour la
Cour dâappel, pourtant, lâ« existence d'une maladie mentale n'Ă©carte pas, Ă elle seule, la
capacité et l'autonomie d'une personne »53.
Il nâest Ă©galement pas surprenant de constater que la grande majoritĂ© des dĂ©cisions
concernent des traitements psychiatriques, bien quâil arrive rĂ©guliĂšrement quâelles visent
également des soins physiques tels des problÚmes cardiaques, pulmonaires, rénaux ou
hépatiques54. Sans surprise, plus le défendeur est ùgé plus le tableau clinique est
complexe : troubles psychologiques spĂ©cifiques au groupe des ainĂ©s sâajoutant aux
problÚmes de santé nouveaux ou déjà existants55.
16% des demandes dâautorisation de soins ne concernent que de la mĂ©dication; dans les
autres cas, la médication est doublée d'examens médicaux (48 %) (prises de sang,
Ă©lectrocardiogrammes, analyses dâurine, imageries)56 et plus rarement dâautres
50 Philippe Pinel de MontrĂ©al c HM, 2005 CanLII 45127 (CS) au para19.51 Voir American Psychiatric Association, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5th ed, American Psychiatric Publishing, Arlington, 2013, Section II Diagostic Criteria and Codes.52 Pour Jean-Pierre MĂ©nard, le demandeur nâa « quâĂ Ă©tablir lâexistence dâun diagnostic de maladie mentale pour rencontrer son fardeau de la preuve » : supra note 19 Ă la p 314.53 LP c CitĂ© de la santĂ© de Laval, 2004 CanLII 8607 (QC CA) au para 5. Voir Ă©galement : Starson c Swayze, [2003] 1 RCS 722.54 Seulement 11% des dĂ©cisions Ă©tudiĂ©es concernent des soins non psychiatriques, le plus souvent pour des dĂ©fendeurs souffrant de troubles mentaux ou de maladies cognitives. Il est ainsi possible de dĂ©duire quâune majoritĂ© des dĂ©fendeurs pour lesquels aucun diagnostic nâest mentionnĂ© sont des personnes souffrant de troubles mentaux.55 Par ex : Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke-HĂŽtel Dieu c GL, 2012 QCCS 286 aux para 3, 4 et 13 :
Monsieur [ĂągĂ© de 82 ans] souffre actuellement d'une dĂ©mence mixte [...] ainsi que d'un trouble obsessif-compulsif. Il souffre Ă©galement de plusieurs problĂšmes de santĂ©: Prostatite chronique depuis 1984; StĂ©nose sĂ©vĂšre ayant nĂ©cessitĂ© la mise en place d'une valve mĂ©tallique au cĆur en 1996; IschĂ©mie cĂ©rĂ©brale en 1996; Lombalgie chronique; Fibrillation auriculaire permanente contrĂŽlĂ©e par anticoagulothĂ©rapie; Infarctus sous endocardique en avril 2010; Chute et dĂ©nutrition rĂ©centes. Monsieur a Ă©tĂ© hospitalisĂ© en avril 2010 pour un infarctus sous endocardique. Lors de cette hospitalisation, Monsieur a Ă©tĂ© Ă©valuĂ© en psychiatrie et en gĂ©riatrie, ce qui a mis en Ă©vidence un problĂšme de mauvaise observance mĂ©dicamenteuse et des troubles cognitifs. [âŠ]Monsieur prĂ©sente un problĂšme de consommation d'alcool qui augmente les risques de chute [...].
56 Le plus souvent pour contrĂŽler les effets secondaires.
10
traitements tels que de la désintoxication (2 %), des électrochocs (2 %), des mesures de
contrĂŽle57 (isolement et contention) (1 %)58, des contraceptifs59 (1 %), voire le gavage60,
les droits de sorties61, lâhygiĂšne, le service Ă domicile, des transfusions sanguines et
mĂȘme un appareil de dĂ©tection GPS. Dans prĂšs de la moitiĂ© des cas, les autorisations
prĂ©voient un suivi psychosocial62 (44 %) ou de lâhĂ©bergement en Ă©tablissement de santĂ©
ou en ressources externes (60%). Il est Ă noter que les demandes dâhĂ©bergement sont en
progression constante : alors quâentre 1998 et 2005, la proportion dâhĂ©bergements
accordĂ©s oscille entre 40 et 50 %, elle est dâenviron 60% entre 2006 et 2009, et atteint 75
% en 2012.
Parmi les médications visées par les autorisations de soins, les antipsychotiques sont de
loin les plus frĂ©quents (75 % des dĂ©cisions), gĂ©nĂ©ralement accompagnĂ©s dâune
mĂ©dication pour contrer ou diminuer les effets secondaires. Les stabilisateurs de lâhumeur
(26 %), les antidépresseurs (11 %), les anxiolytiques (5 %) et les sédatifs (4 %) font
Ă©galement lâobjet de dĂ©cisions, mais dans une proportion beaucoup moins importante.
Alors que de nombreuses décisions concernent plusieurs médications, certaines en
autorisent un cocktail impressionnant63.
57 Par ex : Centre hospitalier universitaire de QuĂ©bec c A, QCCS 2326.58 Il est Ă©tonnant de constater que les Ă©lectrochocs et les mesures de contrĂŽle ne fassent pas plus souvent lâobjet de demande dâautorisation de soins Ă©tant donnĂ© lâampleur de leur utilisation en psychiatrie (au QuĂ©bec, le taux de sĂ©ance dâĂ©lectrochoc est de 1 par tranche de 1000 habitants; or ils sont surtout utilisĂ©s avec des personnes souffrant de dĂ©pression et de schizophrĂ©nie : Agence dâĂ©valuation des technologies et des modes dâintervention, Lâutilisation des Ă©lectrochocs au QuĂ©bec, QuĂ©bec, 2003 aux pp 28-39, 55; Ă lâhĂŽpital Louis-Hippolyte Lafontaine, la prĂ©valence de lâisolement, avec ou sans contention, Ă©tait de 23,2% entre le 1er avril 2007 et le 31 mars 2009 : Caroline Larue, Alexandre Dumais et Aline Drapeau, Les Ă©pisodes dâisolement avec ou sans contention Ă lâHĂŽpital Louis-H. Lafontaine: une Ă©tude exploratoire Ă partir des donnĂ©es recueillies par le nouveau systĂšme informatisĂ©, MontrĂ©al, 2009 Ă la p 16).59 Par ex : dans Centre de santĂ© et de services sociaux de Beauce- Services hospitaliers c MG , 2008 QCCS 1907, la demande de stĂ©rilisation chirurgicale par ligature des trompes utĂ©rines est rejetĂ©e mais la contraception hormonale est autorisĂ©e.60 Par ex : Centre hospitalier Pierre-Janet c DD, 2005 QCCS 853961 Dans Centre de santĂ© et de services sociaux de Beauce c IR 2005 QCCS 23595 , le tribunal considĂšre les permissions de sortie du CHSLD comme des modalitĂ©s de traitement. 62 Le type de suivi est parfois indiquĂ©, tel un suivi intensif dans la communautĂ© dans un programme spĂ©cial., Par ex : Centre hospitalier Robert-Giffard c RD, 2005 QCCS 48868.63 Par ex : Institut universitaire de santĂ© mentale de QuĂ©bec c YB, 2012 QCCS 2452; Centre hospitalier universitaire de QuĂ©bec c GG, 2008 QCCS 1085.
11
La prĂ©cision des soins autorisĂ©s nâest pas constante dans la jurisprudence. Certaines
autorisations nomment des mĂ©dications spĂ©cifiques64 et des voies dâadministration65,
dâautres font rĂ©fĂ©rences Ă des familles de mĂ©dicaments66 et dâautres encore se rapportent
plutÎt aux maladies67. 7,5 % des décisions ne réfÚrent à aucun traitement, se contentant de
formules telles que « autorise le requérant à prodiguer [au défendeur] les soins
nécessaires et lui administrer toute médication requise par son état de santé selon
l'opinion de ses mĂ©decins »68. Dans 2% des dĂ©cisions, il est impossible dâidentifier tant la
maladie en cause que le traitement autorisĂ©. Pour la Cour dâappel, pourtant, les
autorisations de soins doivent ĂȘtre extrĂȘmement prĂ©cises quant aux traitements permis et
Ă leur frĂ©quence dâadministration69. Le tribunal ne peut en aucun cas « dĂ©lĂ©guer ses
pouvoirs aux autorités médicales ou leur donner un blanc-seing que celles-ci pourraient
utiliser à volonté »70.
Une proportion importante dâautorisations de soins prĂ©voit lâusage de mĂ©canismes
coercitifs pour contraindre les défendeurs à se soumettre aux soins. Outre les
ordonnances sâadressant directement aux dĂ©fendeurs71, 90 % des dĂ©cisions de lâensemble
de notre corpus autorise lâĂ©tablissement demandeur72 Ă faire appel aux services policiers,
et plus rarement ambulanciers, pour lâassister dans la mise en oeuvre de lâautorisation de
soins73. Lâautorisation de recourir aux services policiers apparaĂźt pour la premiĂšre fois
64 Ou en excluent certaines. Par ex : Centre hospitalier de RiviĂšre-du-Loup c MC, 2004 CanLII 9668 (QC CS) au para 19 : « l'HALDOL devant ĂȘtre utilisĂ© en dernier ressort » (en majuscules dans le texte).65 Orale (per os), musculaire ou intraveineuse. 66 Par ex : Centre de santĂ© et de services sociaux de Sept-Ăles c JL, 2010 QCCS 6395 au para 15: « lâadministration de mĂ©dicaments antipsychotiques, typiques ou atypiques ».67 Par ex. : Centre de santĂ© et de services sociaux des Ăles c JM, 2010 QCCS 2129 au para 19:
Autorise le demandeur, son personnel, ses professionnels ou tout autre Ă©tablissement constituĂ© suivant la Loi sur la santĂ© et les services sociaux choisi par le demandeur, Ă traiter le dĂ©fendeur contre son grĂ©, et ce, en rapport avec les maladies dont il souffre, soit une schizophrĂ©nie paranoĂŻde avec traits de personnalitĂ© narcissiques, l'obĂ©sitĂ©, le diabĂšte insulinotraitĂ©, lâhypertension artĂ©rielle, une maladie cardiaque athĂ©rosclĂ©rotique, la dyslipidĂ©mie, lâapnĂ©e du sommeil, lâathĂ©rosclĂ©rose multi-Ă©tagĂ©e ainsi quâun ulcus bulbaire, nonobstant le refus de celui-ci [...].
68 Centre de santé et de services sociaux du Suroßt c CG, 2005 CanLII 46872 (QC CS) au para 33.69 Québec (Curateur public) c Institut Philippe-Pinel de Montréal, 2008 QCCA 286 au para. 24. 70
JR c Centre hospitalier de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al, 2009 QCCA 480 au para. 14. 71 Voir la discussion dans McGill University Health Centre c HM, 2006 QCCA 951.72 Et parfois tout autre Ă©tablissement.73 Par ex : Centre de santĂ© et de services sociaux de QuĂ©bec-Nord c GJ, 2012 QCCS 3987 au para 16 : « Autorise le demandeur, [...] ou tout autre Ă©tablissement, [...] Ă faire appel Ă tout agent de la paix ou ambulancier afin d'ĂȘtre assistĂ©, sur simple demande verbale, dans l'exercice de ces autorisations et
12
dans la jurisprudence en 199874; en 2012, 96 % des autorisations de soins le permettent.
De mĂȘme, lâusage de la force est expressĂ©ment autorisĂ©75 dans 63 % des dĂ©cisions76 et
peut ĂȘtre appliquĂ© tant par les professionnels de la santĂ© Ă lâemploi de lâĂ©tablissement
demandeur77 ou des milieux de vie Ă©ventuels78 que par les policiers.
Depuis 1991, la durĂ©e des autorisations de soins sâest passablement allongĂ©e, passant en
moyenne dâun, Ă trois, voire cinq ans79. Jusquâen 2005, les autorisations de soins Ă©taient
trĂšs majoritairement dâun ou deux ans. Ă partir de 2005, et de façon plus marquĂ©e aprĂšs
200880, la tendance sâinverse et les autorisations de soins de trois ans sont en constante
augmentation. En 2012, 77 % des décisions prévoient un terme de trois ans.
Tableau 4. DurĂ©e des autorisations de soins dans lâensemble du corpus Moins de un an
un an deux ans trois ans cinq ans indéfini (pas de terme)81
1,2 % 7,4 % 30,3 % 58,1 % 1,1 % 1,8 %
Figure 1. Ăvolution des durĂ©es des autorisations de soins
ordonnances, quel que soit le lieu oĂč se trouve le dĂ©fendeur ».74 HĂŽpital Louis-H. Lafontaine c Ouellet, 1998 JQ 3712.75 Par ex : Institut universitaire en santĂ© mentale de QuĂ©bec c CB, 2012 QCCS 4155, para 10 : « Autorise [le demandeur] Ă traiter [le dĂ©fendeur] malgrĂ© son refus catĂ©gorique et contre son grĂ©, selon le plan de soins [...] et ce, en recourant Ă tout moyen pour ce faire, y compris la force si nĂ©cessaire. »76 Bien que la premiĂšre dĂ©cision autorisant lâusage de la force ait Ă©tĂ© rendue en 1994, cette autorisation connaĂźt une « popularitĂ© » importante dans les annĂ©es 2001 et 2002 avec une prĂ©valence de 90%, pour ensuite descendre Ă une moyenne relativement stable de 60%.77 Ainsi que dâautres Ă©tablissements, parfois expressĂ©ment nommĂ©s.78 Par ex. des ressources externes affiliĂ©es Ă lâĂ©tablissement demandeur.79 Dans Centre hospitalier universitaire de MontrĂ©al c TF, 2012 QCCS 4436, le dĂ©fendeur fait lâobjet dâune quatriĂšme demande dâautorisation de soins et a cumulĂ© plus de 1200 jours dâhospitalisation dans les derniĂšres 12 annĂ©es.80 Notamment suite Ă la dĂ©cision de la Cour dâappel dans QuĂ©bec (Curateur public) c Institut Philippe-Pinel de MontrĂ©al, 2008 QCCA 286 oĂč la cour accueillait en partie les arguments de lâappelant en ramenant la durĂ©e de lâautorisation de soins de cinq Ă trois ans.81 Soulignons quâune autorisation de soins ne devrait jamais ĂȘtre accordĂ©e pour une pĂ©riode indĂ©terminĂ©e, mĂȘme dans le cas dâune maladie irrĂ©versible et dĂ©gĂ©nĂ©rative : QuĂ©bec (Curateur public) c Centre de santĂ© et de services sociaux de Laval, supra note 18 au para 39. Voir Ă©galement : Blais, supra note 7.
13
19911993
19961998
20002002
20042006
20082010
20120.0%
10.0%
20.0%
30.0%
40.0%
50.0%
60.0%
70.0%
80.0%
90.0%
100.0%
1 an2 ans3 ans5 ans
La durée de plus en plus longue des autorisations de soins semble aller de pair avec
lâaugmentation importante du nombre de requĂȘtes dĂ©posĂ©es Ă la Cour supĂ©rieure82 et avec
la multiplication des demandes concernant les mĂȘmes dĂ©fendeurs. Dans notre corpus de
dĂ©cisions, la majoritĂ© des dĂ©fendeurs (85 %) font lâobjet dâune demande dâautorisation de
soins pour la premiĂšre fois, alors que 11 % en sont Ă la seconde demande, 3 % Ă la
troisiÚme et 1% à la quatriÚme. Les premiÚres autorisations visant des défendeurs ayant
déjà été sous autorisation de soins apparaissent en 2002 et constituent en moyenne 15%
du corpus83. Or, la Cour dâappel affirme quâen prĂ©sence dâune troisiĂšme demande
dâautorisation, alors que la maladie « est constante et dĂ©finitive », la situation est
« exceptionnelle » et permet au tribunal « de rendre une [autorisation] de traitement d'une
plus longue durée »84.
Les requĂȘtes pour autorisation de soins sont presque toujours accordĂ©es : seulement 4 %
dâentre elles sont rejetĂ©es dans lâensemble du corpus Ă©tudiĂ©. Il nâen a pourtant toujours
pas Ă©tĂ© ainsi. Bien que les chiffres soient fort diffĂ©rents dâune annĂ©e Ă lâautre, pendant les
82 Câest du moins ce que nous constatons sur les bases de donnĂ©es. Lâabsence de statistiques provinciales sur les autorisations de soins et la disponibilitĂ© irrĂ©guliĂšre des dĂ©cisions judiciaires sur les bases de donnĂ©es ne permettent cependant pas de corrĂ©ler les chiffres entre nombre de requĂȘtes et allongement de la durĂ©e des autorisations.83 Entre 2003 et 2012, la proportion annuelle varie entre 10% et 20%.84 QuĂ©bec (Curateur public) c Centre de santĂ© et de services sociaux de Drummond, 2010 QCCA 144 au para 11.
14
neuf premiĂšres annĂ©es de mise en Ćuvre (entre 1991 et 2000), le tiers des requĂȘtes Ă©tait
rejeté. à partir de 2000, cette moyenne décline pour atteindre 2 % en 2012.
Figure 2. Proportion de requĂȘtes rejetĂ©es85
1991 1994 1997 2000 2003 2006 2009 20120.0%
10.0%
20.0%
30.0%
40.0%
50.0%
60.0%
70.0%
80.0%
Ce portrait gĂ©nĂ©ral de la jurisprudence en matiĂšre dâautorisation de soins met en lumiĂšre
des tendances lourdes et inquiétantes : surreprésentation de défendeurs présentant des
troubles de santé mentale, autorisations vagues et imprécises quant aux traitements,
explosion du nombre dâhĂ©bergement autorisĂ©, usage de la force, recours aux services
policiers, durĂ©es de plus en plus longues, proportion importante de requĂȘtes accueillies.
Dans ce contexte, il apparaßt plus que nécessaire de se pencher plus spécifiquement sur
les conditions de mise en oeuvre des droits des personnes faisant lâobjet de ces demandes.
2. Enjeux liés aux droits des défendeurs
Le mĂ©canisme dâautorisation de soins prĂ©voit certaines garanties pour protĂ©ger les droits
Ă lâintĂ©gritĂ© et Ă lâautodĂ©termination des dĂ©fendeurs, mĂȘme inaptes, en plus des droits
judiciaires communs Ă toute affaire civile. Il sâagit essentiellement de la signification Ă
personne au moins cinq jours avant la prĂ©sentation de la requĂȘte au tribunal86, de
lâobligation pour le tribunal dâentendre le dĂ©fendeur et, Ă moins que les soins ne soient 85 Il ne faut pas perdre de vue le nombre limitĂ© de dĂ©cisions rendues entre 1991-2001 : en 1992, 2 dĂ©cisions sur 3 ont Ă©tĂ© rejetĂ©es, tandis quâen 1998 la proportion est de 3 sur 7. Câest en 2007 que lâon recense le plus de dĂ©cisions rejetĂ©es en chiffre absolu, soit 6 sur 85. 86 Art 135.1 et 776 (1) et (3) Cpc.
15
requis par son état de santé, de respecter son refus87. La Charte des droits et libertés de la
personne prĂ©voit que « nul ne peut ĂȘtre privĂ© de sa libertĂ© ou de ses droits, sauf pour les
motifs prĂ©vus par la loi et suivant la procĂ©dure prescrite », que toute personne a droit « Ă
une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant » et de « se
faire reprĂ©senter par un avocat ou d'en ĂȘtre assistĂ©e »88.
La prĂ©paration adĂ©quate de la dĂ©fense est dâautant plus importante que lâĂ©tablissement
demandeur bĂ©nĂ©ficie systĂ©matiquement des services dâun procureur et dâau moins un
expert chargĂ© de dĂ©montrer lâinaptitude Ă consentir aux soins et la nĂ©cessitĂ© des soins
demandés 89. Soulignons également que les recours en la matiÚre sont limités. Un appel
peut ĂȘtre dĂ©posĂ© Ă la Cour dâappel du QuĂ©bec90, ce qui reste exceptionnel puisque des
1206 décisions collectées sur les bases données, seules 26 proviennent de la Cour
dâappel91. Aucun moyen de rĂ©vision en cours dâautorisation nâest prĂ©vu; Ă©tant donnĂ©e la
durĂ©e moyenne des autorisations, et lâentrave Ă lâexercice des droits fondamentaux qui en
dĂ©coule, lâaudience apparaĂźt comme le moment privilĂ©giĂ© dâexercice des droits.
Le premier constat à poser en la matiÚre concerne la présence des défendeurs à leur
audition. Alors quâils devraient avoir Ă©tĂ© signifiĂ©s Ă personne et que le tribunal devrait
recueillir leur avis, seulement la moitié des défendeurs (48 %) est à la cour le jour de
lâaudience. Bien souvent, le tribunal ne fait que constater lâabsence du dĂ©fendeur92, mais
87 Art 23 CcQ (nos soulignements) : Le tribunal appelĂ© Ă statuer sur une demande d'autorisation relative Ă des soins ou Ă l'aliĂ©nation d'une partie du corps, prend l'avis d'experts, du titulaire de l'autoritĂ© parentale, du mandataire, du tuteur ou du curateur et du conseil de tutelle; il peut aussi prendre l'avis de toute personne qui manifeste un intĂ©rĂȘt particulier pour la personne concernĂ©e par la demande.Il est aussi tenu, sauf impossibilitĂ©, de recueillir l'avis de cette personne et, Ă moins qu'il ne s'agisse de soins requis par son Ă©tat de santĂ©, de respecter son refus.
Voir Ă©galement : Centre hospitalier de l'UniversitĂ© de MontrĂ©al (CHUM) â HĂŽpital Notre-Dame c GC, 2010 QCCA 293.88 Charte, supra note 33, art 23 (1), 24 et 34.89 Dans 62 % des dĂ©cisions, la preuve prĂ©sentĂ©e par le demandeur nâest constituĂ©e que de rapports, une tendance qui semble aller en augmentant (en 2009, cette proportion grimpe Ă 71 %). Lorsque les experts sont prĂ©sents, ils sont le plus souvent seuls (28 %). Dans certaines dĂ©cisions cependant deux experts, et parfois plus, sont prĂ©sents. Les experts sont majoritairement des psychiatres, mais des travailleurs sociaux, des mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes et quelques fois des infirmiers peuvent Ă©galement ĂȘtre appelĂ©s Ă tĂ©moigner.90 Art 783 (1) et 784 Cpc.91 Il semblerait que les dĂ©lais dâappel puissent parfois constituer une difficultĂ©. Voir par ex : RF c Centre hospitalier de l'UniversitĂ© de MontrĂ©al, 2010 QCCA 2123; DA c CSSS de St-JĂ©rĂŽme, 2011 QCCA 428.92 Par ex : Centre hospitalier universitaire de QuĂ©bec c A, 2007 QCCS 1100 au para 2 : « VU la signification de cette requĂȘte Ă la dĂ©fenderesse et au mis en cause ».
16
nous relevons Ă©galement la prĂ©sence de dispenses de signification et dâabrĂšgements de
délai qui sont le plus souvent non motivés93. Le Code de procédure civile prévoie
pourtant quâun abrĂšgement de dĂ©lai ne peut ĂȘtre accordĂ© que sâil y a urgence94.
Soulignons que les dĂ©fendeurs sont presque systĂ©matiquement prĂ©sents jusquâen 1998. La
diminution du taux de prĂ©sence est ensuite graduelle jusquâen 2003, annĂ©e oĂč seulement
36 % des défendeurs assistent à leur audience95. Depuis 2003, la proportion de défendeurs
prĂ©sents fluctue entre 43 et 62 %96. Il en va de mĂȘme pour la reprĂ©sentation par avocat qui
concerne 51 % des défendeurs. De 1991 à 2001, la proportion de défendeurs représentés
est de 71 %; durant les dix années suivantes, elle oscille entre 40 et 62 %.
Figure 3. Proportion de présence des défendeurs et de représentation par avocat
19911993
19961998
20002002
20042006
20082010
20120%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
représentation par avocat présence des défendeurs
Dans le tiers des cas, lâavocat se prĂ©sente seul Ă lâaudience. Il faut donc en conclure que,
depuis la sanction des dispositions en matiĂšre dâautorisation de soins, et malgrĂ© des
garanties claires en termes de signification et de prise en compte des volontés, les
tribunaux ont statuĂ© environ du tiers des requĂȘtes ex parte, une tendance qui irait en
sâalourdissant.
93 Faisant tout simplement suite Ă la liste de « considĂ©rant ».94 Art 776 (3) Cpc.95 Dans de rares cas, le juge se dĂ©place Ă lâhĂŽpital, par ex : Centre de santĂ© et de services sociaux des Ăles c IF, 2005 QCCS 17379.96 On note une diffĂ©rence importante de la prĂ©sence des dĂ©fendeurs par rĂ©gions : plus de 70 % des dĂ©fendeurs sont prĂ©sents Ă leur audience en Abitibi (71%) et en Estrie (77%) alors que cette proportion est de seulement de 30 % en ChaudiĂšre-Appalaches (36%) et Ă QuĂ©bec (29%).
17
Soulignons Ă©galement que la prĂ©sence dâun avocat ne modifie en rien les perspectives de
gain des dĂ©fendeurs. Nous avons vu que les requĂȘtes sont accueillies dans 96 % des cas;
le chiffre est le mĂȘme que les dĂ©fendeurs soient reprĂ©sentĂ©s ou non.
La prĂ©sence des mis en cause pour conseiller ou soutenir les dĂ©fendeurs dans lâexercice
de leurs droits, mais aussi pour faire des reprĂ©sentations, est un des moyens de sâassurer
du fait que les volontés des défendeurs soient bien exprimées et que le tribunal dispose de
lâensemble des informations nĂ©cessaires Ă la prise de dĂ©cision97. Le Curateur public est
mis en cause dans 96 % des requĂȘtes, parfois en plus de membres de la famille et plus
rarement dâamis. Il nâest prĂ©sent quâĂ 9 % des audiences98, mais se prĂ©sente
rĂ©guliĂšrement lorsquâune durĂ©e de quatre ou cinq ans dâautorisation de soins est
demandée. La présence des autres mis en cause est un peu plus courante (13 %) mais tend
à diminuer (elle est passée sous la barre des 10 % depuis 2008).
Le fait de faire entendre des témoins est un atout majeur pour les défendeurs qui peuvent
ainsi produire une preuve plus convaincante que leur seul témoignage. Dans 14 % des
décisions, un ou plusieurs membres de la famille ont été entendus à titre de témoins 99 ;
lâintervention dâamis est beaucoup plus rare100. La prĂ©sentation dâune contre-expertise est
encore plus rare (3 % des décisions).
Dans plus de la moitié des décisions étudiée (65 %), les défendeurs demandent à la cour
le rejet complet des requĂȘtes; jusquâen 1997, il sâagit de leur seule demande. Dans les
autres cas, les dĂ©fendeurs acceptent certaines conclusions recherchĂ©es par lâĂ©tablissement
demandeur et présentent des demandes plus spécifiques comme de ne pas autoriser
lâhĂ©bergement ou un des traitements demandĂ©s (lorsquâil y en a plusieurs) ou encore de
raccourcir la durĂ©e de lâautorisation.
97 Voir Institut Philippe-Pinel de MontrĂ©al c FV, 2007 QCCS 3981 aux para 33 et suivants.98 Lâintervention du Curateur public peut sâavĂ©rer plus que pertinente : dans Centre de santĂ© et de services sociaux de RiviĂšre-du-Loup c MM, 2007 QCCS 4801 au para 5 le tribunal mentionne que lâĂ©tablissement demandeur produit, Ă la demande du Curateur public, « des conclusions amendĂ©es prĂ©cisant les mĂ©dicaments qui seront administrĂ©s ».Exemple dâun cas oĂč lâĂ©tablissement demandeur prĂ©cise quels mĂ©dicaments seront utilisĂ©s, suite Ă lâintervention du Curateur public : Centre de santĂ© et de services sociaux c MM 2007 QCCS 4801.99 Le tĂ©moignage des proches est parfois favorable au demandeur.100 Dans la majoritĂ© des cas, les tĂ©moins sont Ă©galement mis en cause.
18
15 % des décisions étudiées ne laissent transparaßtre aucun refus catégorique de la part
des défendeurs101; parmi eux, 32 % sont représentés par un avocat. Plus troublant encore :
dans 8 % des décisions, les défendeurs sont explicitement en accord avec la demande de
lâĂ©tablissement, du moins au moment de lâaudition; 62 % dâentre eux sont reprĂ©sentĂ©s par
un avocat. Que faut-il en conclure : que le consentement exprimé est considéré comme
« stratĂ©gique »102 et quâil ne faut pas en tenir compte? que ces dĂ©cisions concernent des
dĂ©fendeurs qui nâopposent pas de refus catĂ©gorique103 ? quâil sâagit de lâentĂ©rinement
dâun consentement104?
AprĂšs avoir conclut Ă lâinaptitude dâun dĂ©fendeur Ă consentir aux soins, le tribunal doit
sâassurer du fait que les traitements demandĂ©s sont bien requis par lâĂ©tat de santĂ©105. Le
tribunal doit alors soupeser, dans le contexte spécifique de la personne concernée, les
effets du traitement Ă court, moyen et long terme, ainsi que les risques, par rapport aux
bĂ©nĂ©fices directs quâen tirerait la personne; les risques ne doivent en aucun cas ĂȘtre
disproportionnés par rapport aux effets positifs attendus. Si le tribunal arrive à la
conclusion que les soins ne sont pas requis par lâĂ©tat de santĂ©, et malgrĂ© lâinaptitude du
dĂ©fendeur, il doit rejeter la requĂȘte.
Ă lâinstar de lâinformation sur lâĂ©tat de santĂ© des dĂ©fendeurs, le dĂ©veloppement, et surtout
la discussion, sur la nécessité des soins sont généralement lacunaires dans la
jurisprudence. Notre analyse met dâailleurs en lumiĂšre le fait que les jugements pro
forma, qui ne contiennent aucune information spĂ©cifique au cas dâespĂšce, composent
28% de notre corpus. La longueur des décisions est à cet égard plutÎt éloquente et il faut
se demander comment un jugement de 2 ou 3 pages, dont la premiÚre est occupée par
lâen-tĂȘte et la derniĂšre par le dispositif, peut prĂ©senter Ă la fois les faits, le droit et
101 Aucune phrase telle que « ConsidĂ©rant le refus catĂ©gorique du dĂ©fendeur de recevoir les soins requis par son Ă©tat de santĂ© » nâapparaĂźt dans la dĂ©cision.102 WS c HĂŽpital Charles-Lemoyne, 2010 QCCA 1209 au para 19.103 La Cour dâappel sâest pourtant prononcĂ©e sur la question, affirmant que des soins ne peuvent ĂȘtre autorisĂ©s en prĂ©vision dâun refus Ă©ventuel : BM, supra note 18 au para 65.104 Il est pour le moins Ă©tonnant dâentĂ©riner le consentement dâune personne qui vient dâĂȘtre trouvĂ©e inapte Ă consentir... dâautant plus que le mĂ©canisme dâautorisation de soins ne peut ĂȘtre envisagĂ© que pour soumettre Ă des soins une personne inapte Ă consentir aux soins et opposant un refus catĂ©gorique : art 16 CcQ.105 Art 23 CcQ.
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lâanalyse sur la nĂ©cessitĂ© des soins. Il semblerait que, bien souvent, le seul constat de
lâinaptitude des dĂ©fendeurs soit suffisant pour conclure Ă la nĂ©cessitĂ© des soins106.
Alors que le mĂ©canisme dâautorisation de soins ne prĂ©voie aucun moyen de rĂ©vision, les
tribunaux ont exploré différents dispositifs de surveillance dÚs 1991. La premiÚre
dĂ©cision dâautorisation de soins imposait le dĂ©pĂŽt de rapports pĂ©riodiques au ComitĂ©
dâĂ©thique de la recherche de lâĂ©tablissement demandeur107; trĂšs rapidement, suite aux
démarches des établissements, ce fut plutÎt au Conseil des médecins, dentistes et
pharmaciens (CMDP) que cette tùche fut confiée108. La grande majorité des décisions (88
%) vont dans ce sens; depuis 2010 lâordonnance de faire rapport au CMDP apparaĂźt dans
plus de 95 % des décisions. Dans certains cas, le tribunal ordonne au demandeur de
porter Ă sa connaissance toute divergence dâopinion entre le CMDP et le mĂ©decin chargĂ©
de lâexĂ©cution de lâautorisation109.
La fréquence du dépÎt des rapports au CMDP varie entre trois mois et un an. Dans notre
échantillon, 38 % des décisions ordonnent de faire rapport au CMDP à tous les quatre
mois. Fortement majoritaire jusquâen 2008, la proportion de dĂ©cisions prĂ©voyant une
fréquence de quatre mois chute drastiquement, remplacée par des rapports aux six mois.
Tableau 5. Fréquence du dépÎt des rapports au CMDPAux trois mois Aux quatre mois Aux six mois Tous les ans20 % 43 % 31 % 3 %
Dâautres mĂ©canismes de surveillance tel que le dĂ©pĂŽt pĂ©riodique de rapports au directeur
des services professionnels (DSP) de lâĂ©tablissement, au reprĂ©sentant lĂ©gal ou aux parents
apparaissent dans quelques décisions. Exceptionnellement, certains juges choisissent de
rester saisis des dossiers, prévoyant de revoir les parties aprÚs avoir obtenu de
lâĂ©tablissement un rapport complet sur lâĂ©volution de lâĂ©tat du dĂ©fendeur110. Environ 5 %
des décisions ne prévoient aucun mécanisme de surveillance.
106 Câest Ă©galement ce quâĂ permis de constater une Ă©tude antĂ©rieure menĂ©e dans le district de MontrĂ©al au moyen dâentretiens et dâobservation dâaudience : Bernheim, Refus de soins, supra note 21 aux pp 585-589.107 Blais, supra note 7.108 Pinel, supra note 48.109 Par ex : Centre hospitalier rĂ©gional Baie-Comeau c AB, 2005 CanLII 57119 (QC CS) au para 15.110 Par ex : Portnoy c TS, 2007 QCCS 4534 au para 9.
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Soulignons que, outres les rares situations oĂč les juges restent saisis des dossiers, ces
mĂ©canismes de surveillance ne permettent dâaucune façon aux dĂ©fendeurs dâĂȘtre entendu
ou de faire des représentations111. Ils ne permettent pas non plus au tribunal de surveiller
la mise en oeuvre des autorisations112. Il revient donc entiĂšrement aux Ă©tablissements de
santĂ© de sâassurer de la production effective des rapports et des suites Ă donner le cas
échéant.
Conclusion
LâĂ©tude de la jurisprudence en matiĂšre dâautorisation de soins met en lumiĂšre une tension
entre les principes gĂ©nĂ©raux du droit des personnes â inviolabilitĂ© et autodĂ©termination â
et la pratique qui sâest dĂ©veloppĂ©e en la matiĂšre au fil des annĂ©es. Le nombre croissant de
requĂȘtes semble avoir eu pour effet de banaliser les enjeux et lâautorisation de soins
nâapparaĂźt pas comme lâexception quâelle est pourtant dans la lĂ©gislation.
Soulignons que, dans la pratique, cette exceptionnalité est affaiblie par les moyens réels
dont bénéficient les tribunaux pour accomplir leur tùche, notamment en matiÚre de
qualité de la preuve et de déséquilibre des parties. Les courts délais de significations et
lâurgence de la procĂ©dure visent la protection des droits des dĂ©fendeurs mais ont
certainement pour effet de compliquer la prĂ©paration de la dĂ©fense, dâautant plus que
lâĂ©tude de la jurisprudence ne permet pas dâĂ©tablir avec certitude que les dĂ©fendeurs ont
entre les mains lâensemble de lâinformation nĂ©cessaire Ă cet effet. Les avis de
prĂ©sentation en matiĂšre dâautorisation de soins, qui sont standards, informent les
dĂ©fendeurs quâils sont tenus de comparaĂźtre faute de quoi jugement pourra ĂȘtre rendu par
défaut et que les piÚces sont disponibles sur demande113. Dans le contexte, il semble que
ce soit bien peu de précisions.
111 Ils nâont dâailleurs pas accĂšs aux rapports dĂ©posĂ©s par le mĂ©decin qui les traitent.112 Certains juges doutent de lâeffectivitĂ© de la surveillance effectuĂ©e par le CMDP : Emmanuelle Bernheim, Les dĂ©cisions dâhospitalisation et de soins psychiatriques sans le consentement des patients dans des contextes clinique et judiciaire: une Ă©tude du pluralisme normatif appliquĂ© , ThĂšse prĂ©sentĂ©e Ă la FacultĂ© des Ă©tudes supĂ©rieures de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al et Ă lâĂcole doctorale sciences pratiques de lâĂcole Normale supĂ©rieure de Cachan, mars 2011 aux pp 579-582.113 Art 119 Cpc.
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Lâimplication systĂ©matique dâun avocat dans les demandes dâautorisation de soin pourrait
constituer un moyen de rééquilibrer les forces en présence. Précisons à ce sujet que le
Code de procĂ©dure civile permet au tribunal dâajourner une instance afin de permettre Ă
un majeur quâil estime inapte dâĂȘtre reprĂ©sentĂ© par un avocat114. Cette disposition est peu
utilisée mais pourrait constituer une avenue efficace, du moins dans certains cas115.
Il apparaßt évident cependant que le cadre législatif actuel présente plusieurs lacunes,
notamment en matiĂšre de droits fondamentaux et judiciaires. Ces lacunes peuvent avoir
pour effet un manque de rigueur dans la mise en oeuvre des droits des défendeurs souvent
peu ou mal préparés. Plusieurs exemples démontrent que le caractÚre exceptionnel de la
procĂ©dure dâautorisation de soins est variablement considĂ©rĂ© : application inĂ©gale des
prĂ©cĂ©dents de la Cour dâappel, disparitĂ©s entre les diffĂ©rentes rĂ©gions, abondance de
décisions courtes et sans contenu, etc.
Lâabsence de dĂ©veloppement jurisprudentiel et lâimportante proportion de dĂ©cision pro
forma ne permet pas non plus de bien connaßtre le profil des défendeurs et ainsi de savoir
qui fait lâobjet de mesures de soins coercitives116. Outre le fait quâils soient le plus
souvent atteints de troubles mentaux, lâĂ©tat actuel de la jurisprudence fait bien souvent
lâimpasse sur les facteurs dĂ©terminants de lâinaptitude Ă consentir aux soins, ce qui laisse
penser que le seul diagnostic puisse suffire à la démontrer. Outre le problÚme majeur que
pose la voie de passage entre troubles mentaux et inaptitude Ă consentir aux soins, que
peut-on conclure sur lâusage de lâautorisation de soins? Quâelle constitue une porte
dâentrĂ©e dans un systĂšme de santĂ© surchargĂ©? Quâelle sert Ă pallier un manque de services
tout au long de la vie des personnes? Quâelle est un moyen dâintervenir auprĂšs de
personnes considérées socialement dysfonctionnelles, dérangeantes? Ces questions font
écho à des préoccupations déjà exprimées à maintes reprises depuis de nombreuses
années117.
114 Voir Ă©galement Barreau du QuĂ©bec, Groupe de travail sur la santĂ© mentale et justice, Rapport du Groupe de travail sur la santĂ© mentale et justice, MontrĂ©al, 2010 Ă la p 12.115 Certains dĂ©fendeurs refusent dâĂȘtre reprĂ©sentĂ©s lors de lâaudition. Voir par ex : Centre hospitalier Rouyn-Noranda c JG, 2004 QCCS 14351.116 Soulignons que nous ne connaissons pas non plus le nombre de personnes sous autorisation de soins.117 Par ex : Marie-JosĂ©e Fleury et Youcef Ouadahi, « StratĂ©gies dâintĂ©gration des services en rĂ©seau, rĂ©gulation et moteurs dâimplantation de changement » (2002) 27 : 2 SantĂ© mentale au QuĂ©bec 16; Jean-Luc Roelandt, « Pour en finir avec la confusion entre psychiatrie et justice, hĂŽpital psyhiatrique et prison,
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Si la multiplicitĂ© des cas de figure ne permet pas dâenvisager des rĂ©ponses simples et
tranchées, ces questions soulÚvent une interrogation plus générale sur le recours de plus
en plus courant aux tribunaux en matiĂšre de soins. Dans la mesure oĂč le consentement est
la pierre angulaire de tout rapport thérapeutique, les autorisations de soins, surtout dans
une forme peu élaborée, peuvent permettre de contourner des refus de soins récurrents.
Les professionnels de la santĂ© ont dĂ©jĂ dĂ©noncĂ© lâeffet prĂ©judiciable dâun discours sur les
droits vindicatif qui placerait les patients en position antagoniste face Ă ceux qui
pourraient les aider118; lâautorisation de soins, Ă lâinstar des dispositions pĂ©nales,
pourraient alors constituer un moyen de contourner cette opposition119. Il ne sâagit pas ici
de nier, dans certains cas, la nĂ©cessitĂ© dâintervenir, mais plutĂŽt de questionner la
pertinence du processus judiciaire comme moyen, surtout lorsque les enjeux de droits
fondamentaux nâen sont pas le coeur.
soins et enfermement » (2009) 85 : 6 Lâinformation psychiatrique 526; Rekha Mirchandani, « Beyond Therapy: Problem-Solving Courts and the Deliberative Democratic State » (2008) 33 : 4 Yale Law & Social Enquiry 853; David B. Wexler, « Two decades of Therapeutic Jurisprudence » (2008) 24 Touro Law Review17; Danielle Laberge et DaphnĂ©e Morin, « The Overuse or Criminal Justice Dispositions: Failure of Diversionary Policies in the Management of Mental Health Problems » (1995) 18 : 4 Int J Law Psychiatry aux pp 399 et suivantes; Pierre-Marc Couture-Trudel et Marie-Ăve Morin, « La garde en Ă©tablissement au QuĂ©bec: enjeux de la dĂ©tention civile en psychiatrie » (2007) 32 : 1 SantĂ© mentale au QuĂ©bec 229.118 Robert Letendre, « Quelques rĂ©flexions Ă partir dâune recherche auprĂšs dâusagers de deux ressources alternatives en santĂ© mentale » (1993) 18 : 2 SantĂ© mentale au QuĂ©bec Ă la p 231.119 Certains professionnels de la santĂ© en seraient venus Ă considĂ©rer les malades responsables de leurs gestes, puisquâayant le droit de refuser les traitements, « [d]âoĂč la tendance Ă retourner dans la communautĂ© des personnes trĂšs perturbĂ©es, avec recommandation quâelles prennent le chemin de la prison et non celui de lâhĂŽpital lors dâun prochain passage Ă lâacte »: Yvon Garneau et Jean-Martin Diener, « La rĂšgle du consentement Ă©clairĂ© et ses impasses en psychiatrie », dans Pierre Migneault et John OâNeil, Consentement Ă©clairĂ© et capacitĂ© en psychiatrie: aspects cliniques et juridiques , MontrĂ©al, Ăditions Douglas, 1988, Ă la p 64. Voir Ă©galement : Yves Lefebvre, « Chercher asile dans la communautĂ© » (1987) 12 : 1 SantĂ© mentale au QuĂ©bec Ă la p 67.
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