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Cours d'introduction aux théories des organisations
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Alexandre Coutant Cours introduction aux théories des [email protected]
Cours introduction aux théories des organisations
Définitions
Le principe de ce cours sera d’étudier l’action collective organisée pour en analyser les
logiques et donner des outils pour la comprendre et l’encadrer.
Il s’agira donc d’aborder l’organisation du travail mais aussi les rapports sociaux au sein d’un
type particulier de groupement humain qu’est l’organisation (le plus souvent marchande, mais
pas seulement).
Nous pouvons d’ores et déjà noter qu’il s’agira de sortir de pré-notions souvent associées à
l’organisation pour comprendre de manière plus précise la complexité de son fonctionnement1
et des rapports de force qui la traversent2. L’explication par le tempérament de l’individu3, par
des caractéristiques floues attribuées à des groupes aussi flous4 seront donc bannis. Au mieux
ceux-ci pourront être considérés comme des symptômes dont il s’agira de trouver la cause
mais certainement pas comme des explications suffisantes.
Philippe Bernoux, dans un ouvrage d’introduction [La sociologie des Organisation, Seuil],
refuse de donner une définition préalable de cette discipline, qui est toujours nécessairement
guidée par des positionnements théoriques que le lecteur débutant ne peut saisir, et propose
plutôt de lister les questions auxquelles elle est censée répondre : Comment expliquer les
comportements des individus et/ou des groupes dans des organisations ? Le but étant de faire
face à l’irrationalité et l’imprévisibilité apparente des comportements des acteurs, du plus bas
niveau hiérarchique au plus élevé.
Il donne ensuite deux exemples de cas posant questions et qui sont représentatifs de ce à quoi
la sociologie des organisations va aider à répondre.
Comment expliquer que la décision d’implanter de l’informatique de gestion dans une
entreprise de distribution, tout à fait logique et facilement justifiable auprès des membres de
1 Ce qui va à l’encontre de l’idée de l’entreprise allant de l’avant comme un seul homme par exemple : l’organisation est un tout complexe traversé de stratégies et d’intérêts divergents et devant faire face à un environnement mouvant.2 Ce qui va à l’encontre de l’idée d’exercice unilatéral du pouvoir de l’employeur vers l’employé : des rapports de force sont effectivement en jeu mais le pouvoir est plus diffus et négocié entre les acteurs à travers des tensions plus ou moins formalisées.3 Le sanguin, le calme, l’ambitieux, l’honnête, l’opportuniste.4 Par exemple le Sud fainéant et désorganisé et le Nord travailleur et structuré, ceci expliqué par le climat et le tempérament, ce qui aboutit à ce qu’on prête aux allemands aujourd’hui ce qui était prêté aux grecs il y a 2000 ans.
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l’entreprise, soit engagée avec légèreté, prenne cinq ans pour se mettre en place, soit un échec
total très coûteux pour l’entreprise pour qu’enfin, huit ans après, celle-ci ne soit toujours pas
dotée d’un outil informatique en état de fonctionnement ?
Comment, dans un autre domaine, expliquer que des ouvriers soumis à un système taylorien
de division des tâches (que nous expliquerons en détail, en attendant, s’imaginer la satire qui
en est faite par Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes) où il ne leur est laissé aucun
contrôle de leur travail refusent la proposition des dirigeants de les impliquer dans la
conception alors que des ouvrières de passage dans l’entreprise et inexpérimentées acceptent
cette responsabilisation volontiers ? Les ouvriers ayant une expertise de leur travail devraient
logiquement être intéressés de donner leur avis sur son déroulement, d’autant plus que les
changements qu’ils pourraient ainsi proposer leur seraient bénéfiques à long terme, tandis que
les jeunes ouvrières devraient s’impliquer modérément dans un travail qu’elles ne sont pas
destinées à garder longtemps. Quelles sont donc les logiques de ces groupes ?
Au-delà de ces buts d’analyse de l’organisation, nous pouvons aussi tenter de proposer de
caractériser ce qu’est une organisation, ce qui est proposé par Marie-Georges Filleau et
Clotilde Marques-Ripoull [Les théories de l’organisation et de l’entreprise, Ellipses]. Pour
qu’il y ait organisation, il faut que soient réunis ces divers éléments :
• Un ou des buts : une organisation a toujours une raison d’être, explicite ou non,
partagée par l’ensemble de ses membres ou une partie d’entre eux. C’est par nature
une entité finalisée, qui poursuit un ou plusieurs objectifs. Ceci la distingue donc d’un
public par exemple qui pourra se réunir autour d’une œuvre, dans une salle de cinéma
par exemple, sans pour autant devenir une organisation (bien qu’il y ait des rituels dès
lors qu’il y a interaction, ceux-ci diffèrent de ceux mis en place dans une
organisation).
• Des membres : une organisation rassemble des membres, que ceux-ci aient été à la
base de sa fondation (les créateurs) ou l’aient intégrés par la suite pour en assurer la
bonne marche (les participants). Dès lors, deux types d’objectifs devront être satisfaits
lors de la création ou pendant l’existence de l’organisation : ceux de ses fondateurs (on
parle alors de logique de mission) et ceux des participants (logique d’organisation ou
de fonctionnement).
• La division des tâches : pour qu’une organisation fonctionne, les fonctions et les
responsabilités doivent être réparties entre les individus engagés dans l’action
collective. Ce mouvement de différenciation est une condition nécessaire à la Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
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naissance d’une organisation, elle différencie par exemple de la foule qui n’est pas un
groupe structuré.
• La coordination des tâches : l’action collective doit être en mesure de voir le jour,
les efforts de chacun permettre, avec une certaine cohérence, d’atteindre les objectifs
assignés par les organisateurs. Des procédures - plus ou moins formelles - sont donc à
prévoir pour ordonner les contributions respectives. Il y aura par conséquent ce qu’on
appelle un « système d’autorité » veillant à l’adéquation entre les comportements des
individus et les buts fixés ; un « système de communication » qui permettra de mettre
en relation les membres soit dans le cadre du rapport hiérarchique/subordonné, soit en
dehors ; enfin un système de « contribution-rétribution » précisant la participation de
chacun et la récompense qu’il en tirera. Tout ceci laisse la place à une variété infinie
de structurations allant de la plus souple à la plus formalisée.
• Une certaine stabilité : le besoin d’établir explicitement des règles, de répartir le
travail et d’ordonner la coopération au sein d’un groupe (ce qui est littéralement la
tâche « d’organiser ») ne sera ressenti que si le groupe est destiné à jouir d’une
certaine pérennité, même relative (comme lors de fonctionnements en mode projet).
La mise en place, coûteuse, des ces procédures fait qu’elles n’adviendront pas pour un
événement trop ponctuel.
La naissance de la sociologie des organisations peut être considérée comme concomitante de
la mise en place de la discipline sociologique fin 19ème début 20ème par les pères fondateurs que
sont Max Weber et Emile Durkheim. Au cours des années, les chercheurs se sont penchés
plus spécifiquement sur certains types d’organisation dont nous pouvons faire un inventaire,
sachant qu’il ne sera en rien exhaustif et qu’il n’épuise pas les possibilités de mise en place
d’organisation. Il est cependant intéressant de connaître le type d’organisation étudié afin de
mieux comprendre les théories qui ont pu en découler :
• Des institutions « totalitaires », où le terme est ici à prendre au sens où Erving
Goffman, l’a utilisé, c'est-à-dire dans le sens d’une organisation se coupant de son
environnement afin de se déterminer et de déterminer le comportement de ses
membres totalement. C’est le cas d’asiles, d’hôpitaux psychiatriques, de prisons, de
navires ou d’expéditions coupées du monde mais aussi parfois d’entreprises cherchant
une forme d’autarcie.
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• Beaucoup de firmes industrielles, où y furent testés les principes de l’organisation
scientifique du travail plus connus sous le nom de taylorisme mais aussi les idées de
cultures.
• Des communautés religieuses où furent employés les concepts psychanalytiques.
• Des réseaux d’entreprises pour comprendre les relations de celles-ci avec leur
environnement mais aussi pour tracer ou remettre en cause les frontières qui séparent
l’entreprise de ce dernier.
• Des partis politiques pour illustrer les conflits d’intérêt dans une même organisation et
proposer un regard critique sur les aspirations démocratiques que l’on peut prêter
naturellement à l’exercice de la fonction politique.
• Des groupes scolaires pour déterminer les types de direction les plus efficaces.
• La société de cour pour analyser les règles régissant les interactions dans un cadre très
institutionnel.
• Des entreprises publiques de service pour analyser l’évolution des règles et le
changement organisationnel, notamment sous l’impulsion des techniques
d’information et de communication.
• Des associations pour ouvrir l’analyse sur des formes d’organisation non
nécessairement marchandes
• Des instances gouvernementales pour mieux détailler les processus amenant à une
prise de décision.
• Des facultés pour étudier des cas où la complexité des procédures et des contraintes
conduit à fortement limiter la possibilité de prendre des décisions rationnelles.
La diversité de ces objets d’analyse nous rappelle que le phénomène organisationnel, bien
qu’il renvoie plus naturellement aux entreprises, ne doit pas être limité à cela. Nous vivons en
effet au sein de nombreuses organisations parfois même sans nous en rendre compte et les
théories permettant de comprendre celles-ci sont donc applicables à beaucoup d’autres
secteurs de la vie sociale. C’est ainsi que certains auteurs proposent d’utiliser leurs outils pour
comprendre la société aux côtés de théories de sociologie générale, et les études en découlant
ont une certaine pertinence, une fois le cadre adapté à une situation souvent plus complexe et
informelle que celles trouvées dans le cadre d’une analyse d’entreprise.
À ce titre, Amitaï Etzioni a proposé une grille permettant de distinguer les organisations des
autres groupes qui reprend en partie les caractéristiques que nous venons de voir mais en les
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synthétisant de manière à les rendre plus opératoires. Ainsi, pour distinguer les armées, les
entreprises, les écoles des familles, groupes d’amis ou de la tribu, il faudra qu’il y ait
• Division du travail et du pouvoir
• Présence d’un ou de plusieurs centres de décision qui indiquent la performance que
l’organisation doit réaliser
• Remplacement du personnel qui ne donne pas satisfaction
Nous pouvons considérer avec Jean-Claude Scheid [Les grands auteurs en organisation,
Dunod] qu’il existe trois traditions d’analyse des organisations :
• La sociologie des organisations à proprement parler dont le but sera plutôt de mettre à
jour les variables essentielles qui déterminent le fonctionnement d’une entreprise de
manière objective
• Les théories managériales issues des praticiens et plus axées sur les problèmes des
dirigeants des organisations. Leurs solutions auront par conséquent un caractère plus
normatif et applicable immédiatement.
• La psychologie, qui cherchera à expliquer le rapport d’un individu à son travail et ses
logiques personnelles d’investissement.
Ces trois grands domaines n’épuisent pas la liste des approches possibles de l’organisation qui
pourra être vue sous l’angle juridique, économique, mathématique, technique, chacune
apportant son lot de connaissance sur notre objet.
Par ailleurs, les auteurs s’étant attelés à la théorisation autour des organisations ont souvent
été à cheval entre ces différentes théories et il serait dur de les classer strictement dans l’une
ou l’autre. Ce qui sera étudié ici sera donc un tout mêlant les différentes préoccupations des
trois approches. Le plan que nous suivrons, s’il suit parfois un déroulement chronologique
dans la succession des approches, ne devra donc pas pour autant être interprété comme un
empilement où chaque nouvelle théorie remise les anciennes au placard. Toutes ces
approches, mêmes les plus anciennes, peuvent éclairer les problèmes particuliers d’entreprises
dans certains cas. Les théories des organisations n’ont pas la prétention de fournir une théorie
qui serait apte à rendre compte de toute organisation. Chaque théorie apporte un éclairage
particulier sur son objet, certains de ces éclairages convenant mieux que d’autres selon les
contextes. Par exemple, l’organisation scientifique du travail si décriée désormais garde
toutefois une forme de pertinence dès lors que nous étudions une firme aux tâches répétitives
et fortement formalisées. D’une manière générale, ces théories mettent en exergue un pan
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spécifique du fonctionnement d’une organisation qui pourra se manifester plus ou moins
fortement selon les cas mais ne sera jamais totalement absent. Même les créatifs publicitaires
ont une part de leur travail formalisé selon les principes de l’OST, ne serait ce que dans l’outil
qu’est la copy strategy.
Ces théories ont pour objectif d’expliquer le fonctionnement des organisations afin de mieux
les comprendre dans une visée de connaissance pure ou de stratégie générale, mais aussi de
proposer des solutions à des problèmes concrets se posant dans les entreprises.
À ce titre, les théories des organisations doivent leur richesse au travail commun qui a pu être
réalisé par les chercheurs avec les entrepreneurs. En effet, il s’agit d’une discipline où le
travail de terrain a toujours nourri la théorisation.
Ce terrain si important pour la qualité scientifique des propositions n’est en effet pas toujours
aussi accessible aux chercheurs. Or, dans le cas des organisations, l’accueil des chercheurs a
toujours été relativement aisé, beaucoup d’entreprises allant même quérir cette expertise pour
mieux gérer leur structuration et les rapports humains en leur sein. Les théories sont donc
toujours issues de travaux minutieux dans l’entreprise, souvent sur des temps longs, et
d’autant plus qualitatifs qu’ils étaient souvent bien accueillis par les employés comme par les
dirigeants.
En sociologie, un axe est traditionnellement utilisé pour différencier le niveau sur lequel
portent les analyses et qui différencie le niveau microsociologique du niveau
macrosociologique, tout cela complété par un niveau intermédiaire nommé mezzo. La
sociologie des organisations peut aussi se comprendre selon ces axes et nous nous
intéresserons à différentes réalités selon celui retenu.
Macro-social : L’organisation comme traduction d’un système socio-économique plus global.
Méso-social : l’organisation prise comme entité à part entière, comme système avec ses
régulations et ses propres modes de coordination.
Micro-social : Les relations interindividuelles, la motivation au travail, le vécu des individus.
I. Perspective historique
Les origines
Le travail organisé est une invention relativement récente dans l’histoire de l’humain. Pendant
600 000 ans, l’activité humaine se résumait à assurer sa survie par la cueillette, la chasse et la
pêche. Les tribus étaient nomades et s’abritaient dans des abris de fortune.
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Une première révolution dans l’organisation de l’activité humaine survient au néolithique
(8000 ans av JC) : le passage de la prédation à la production. Il s’agit d’une transformation en
profondeur de l’organisation du travail puisqu’il va désormais s’agir de semer, de labourer,
d’irriguer, en vue de la récolte et non plus simplement d’assurer sa survie au quotidien. La
planification, très relative bien sûr, est inventée. Les animaux vont être domestiqués pour
aider l’homme dans ces tâches. Les élevages et l’agriculture permettent à la fois d’obtenir de
la viande mais induisent aussi la sédentarisation des tribus.
Cette sédentarisation permet de développer les prémisses d’une urbanisation, ce qui favorise
l’émergence de métiers propres à l’administration et à la vie d’une cité, et qui se
développeront durant la période que nous nommons l’Antiquité. Les métiers du bâtiment et de
l’équipement intérieur naîtront : maçon, architecte, potier, céramiste, forgeron ; ainsi que ceux
relevant du commerce : nous trouvons les premiers marchands ; ou de la politique : armée,
police, politiciens, historiens.
Une nouvelle forme de division du travail apparaît. Là où elle se limitait à la différence entre
chasseurs (hommes) et non chasseurs (femmes, enfants et personnes âgées) chargés du
dépeçage, de la sculpture des os, de la préparation des peaux pour les conserver, une division
donc totalement calquée sur le sexe et les générations, l’apparition de métiers vient tout
changer. Avec le néolithique survient une plus forte division des tâches engendrant
immédiatement une hiérarchie qui aboutira à des rapports de domination et à une
hiérarchisation sociale avec des catégories qui s’attribueront le contrôle du sur-travail
(pouvoir politique ou religieux par exemple).
Ceci aura des incidences sur l’organisation sociale : apparition de l’esclavage et classement
des personnes en fonction de leur activité professionnelle5.
Dès cette période, les luttes sociales apparaissent. Elles sont indissociables des rapports de
domination. Elles prennent néanmoins différentes formes selon les époques et surtout les
caractéristiques des populations en situation de domination. Par exemple, la Grèce du dernier
siècle av JC voyait une population d’esclaves formant une population hétérogène et les
conduites de contestation étaient plutôt individuelles (fuite, résistance quotidienne au travail) ;
plus rarement les luttes étaient collectives (cf. traces recensées d’une révolte d’esclaves menée
par un gladiateur de Capone et écrasée par 10 légions romaines en 73-71 av JC). Plus tard au
Moyen-âge, ce fut le tour des révoltes paysannes ; du sabotage ou de la résistance :
5 Par exemple, les thètes de la Grèce antique, ouvriers indépendants, donc non esclaves, mais encore plus pauvres et marginaux.
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ralentissement du pas de la charrue sur la terre du seigneur, fraude, dissimulation de la
production sur laquelle on doit le cens, etc.
Les représentations mentales du travail
Avant d’aborder les Révolutions Industrielles et les notions modernes du travail qui nous
accompagneront tout au long du cours, nous pouvons recenser les grandes représentations
sociales qui vont toucher au travail dans le monde préindustriel.
Il apparaît ainsi que les représentations mentales autour du travail sont très liées aux rapports
sociaux. Ainsi Marcel Mauss remarque que « la division du travail n’est pas un phénomène
exclusivement économique, c’est un phénomène juridique, souvent métaphysique et religieux,
et toujours moral » (Marcel Mauss, « Manuel d’ethnographie », Paris, Payot, 1947).
En effet ce principe moral dépasse toujours le seul lien économique pour toucher à la
construction d’une communauté, comme en témoignent les devoirs croisés du maître et du
compagnon ou les engagements de fidélité des paysans au seigneur contre le devoir de
protection de celui-ci. Ce désintérêt préindustriel pour l’économique se traduit de même dans
l’absence de référence à la notion de productivité, remplacée alors par la distinction entre
faibles et vaillants, entre oisiveté et activité et par la primauté accordée au respect des règles
du groupe.
Le concept moderne de travail
Entre le Xème et le XVème siècle, soit la période du Moyen-Âge, une forte spécialisation des
activités et une division des tâches accrue contribuent à bien séparer les rôles de la ville et de
la campagne. La fin de la guerre de 100 ans à la fin du XVème siècle et la période de
reconstruction qui l’accompagnent permettent à la fois une autonomisation du travail vis-à-vis
des pouvoirs politiques et religieux, un changement des représentations autour du travail qui
devient une fin en soi et se trouve associé à la vertu et à la santé, et aux fondements de ce qui
deviendra l’industrie à travers les ateliers, les guildes ou les corporations
L’Europe va connaître une grande expansion du 16ème au 18ème siècle qui s’accompagnera de
la généralisation de l’usage de la monnaie et permettra la mise en place d’un système
économique marchand. Ainsi, le travail peut se convertir en marchandise, qui peut s’échanger
contre de la monnaie, qui est comparable donc universelle : un ordre marchand peut se
développer au-delà des frontières locales.
Le salaire est mis au point dans les fabriques et manufactures et permet d’échanger son travail
contre de l’argent. C’est l’époque où naît la théorie moderne du marché sous la plume Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
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d’Adam Smith [Recherche sur la nature et les causes de la Richesse des Nations, 1776] au
fondement de la pensée capitaliste encore de nos jours.
La révolution industrielle
Durant un siècle, de la fin du 18ème siècle à la fin du 19ème, les grandes structures industrielles
se mettent peu à peu en place.
Au 18ème siècle, les ouvriers possèdent encore un fort pouvoir du fait de leur expertise du
travail et peuvent imposer leur ordre aux manufactures et au patronat en contrôlant
sévèrement le déroulement du travail et de la transmission du savoir. L’héritage du savoir-
faire est en effet alors familial et il n’est pas rare que tous les travailleurs d’un domaine
d’activité appartiennent à la même famille. Par ailleurs, les ouvriers veillent au respect de
normes mises en place et labellisant le travail dans chaque secteur d’activité (qualité attendue,
temps d’exécution alloué, tarif de rémunération par pièce). Les entrepreneurs ne respectant
pas ces normes s’exposent à des grèves qui ont entraîné certaines entreprises à la faillite aux
États-Unis.
L’arrivée de la machine pendant le 19ème siècle ainsi que le travail des femmes et enfants va
modifier ce rapport de pouvoir. Les tâcherons, chargés de recruter les ouvriers dans un
domaine de travail dont ils connaissent les rythmes et les exigences mieux que les patrons
vont effectuer de la sous-traitance des tâches pour ces derniers. La forte population
demandeuse de travail renverse le pouvoir au profit de l’entrepreneur qui a maintenant le
choix et qui est moins soumis aux compétences des ses ouvriers. On passe de la corporation à
la manufacture puis enfin à l’industrie.
Chronologiquement, la Révolution Industrielle commence en Angleterre sous le règne de
George III dans un climat extrêmement favorable puisque l’Angleterre dispose d’importantes
ressources naturelles et d’une prospérité économique stable.
De 1750 à 1780, elle débute par une révolution agraire qui réorganise les terres communales
et voit une hausse des rendements importante. La communication et la circulation sont
favorisées par des rivières navigables irriguant le pays, un réseau important de ports aidant le
commerce maritime et un réseau de canaux et de lignes de chemin de fer pour les activités
minières. Sa situation insulaire la préserve en partie des conflits européens, elle connaît peu
de conflits internes et ses colonies lui apportent de nouveaux marchés. Après 1850, des
inventions techniques stimulent la production, notamment avec de nouvelles machines à filer
et à tisser ou le moteur à transmission venant compléter la machine à vapeur inventée au
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siècle précédent. Enfin, la structure sociale encourage les individus à tenter leur chance dans
le modèle capitaliste là où d’autres pays, et notamment la France, voient certaines castes
répugner à se lancer dans des activités réservées à des castes moins prestigieuses (comme ce
fut le cas de l’aristocratie qui répugnait à se rapprocher du monde bourgeois).
L’Europe bénéficie aussi de ce mouvement positif dès 1800, particulièrement autour des
bassins miniers et des grands centres de communication6. Les avancées anglaises pénètrent le
Continent soit par l’importation des techniques et techniciens anglais, soit par
l’investissement des entrepreneurs anglais à l’étranger. Le processus d’innovation
s’autonomise même pour créer aussi de nouvelles machines.
Cet essor est encouragé par les pouvoirs publics qui, en investissant dans les réseaux de
communication (chemins de fer, canaux), permettent aux marchandises de circuler plus
librement. Les barrières douanières entre régions ou pays sont également allégées ou
éliminées.
La Seconde Révolution Industrielle
De 1870 à la première guerre mondiale va s’étaler la Seconde Révolution Industrielle, cette
fois-ci initiée par l’Allemagne. Elle ne se basera plus sur l’amélioration de la productivité
dans des domaines existant mais sur la création de nouvelles activités parmi lesquelles la
chimie, l’électricité, les produits manufacturés ou, nouveaux marchés, les services comme les
banques, les assurances ou l’import-export. Cependant, cet essor ne se traduit pas
nécessairement par une amélioration de la situation économique des pays européens tandis
que de nouveaux pays émergent : Suède, Italie, Russie
Si la première Révolution a été celle du charbon et du fer, la seconde est résolument celle de
l’acier et de l’électricité. Et ces changements se traduiront bien sûr dans l’évolution de la
production (passage d’une production d’acier de 540 000T à 14 600 000T entre 1870 et 1895)
mais aussi dans la création de nouveaux produits (la chimie permet la création de marchés
comme celui du savon, des textiles synthétiques, des plastiques, des cosmétiques) ou encore
dans l’architecture urbaine (tramway, éclairages publics, des habitations et des usines grâce à
l’avènement de l’électricité).
La population reste cependant majoritairement rurale et ce sera durant le 20ème siècle que nous
assisterons à l’exode vidant les campagnes au profit des villes.
6 Nord de la France et pourtour du Massif central : Monceaux les Mines-Creusot ; Vallée de la Meuse en Belgique ou vallée de la Ruhr et la Silésie en Allemagne ; Les grands carrefours : Paris, Berlin, Lyon, Cologne, Francfort.
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La période de transition
L’industrialisation a pour effet de transférer l’activité économique de l’espace domestique
vers des organisations spécialisées. L’essor de l’état-nation et l’unification qu’il sous-entend
(linguistique, territoriale principalement puis des mesures, du temps, de la monnaie, etc.)
aboutit à la modernité, qui affaiblit le poids du local au profit de l’universel. L’état se doit
d’être arbitraire et neutre dans sa gestion des affaires publiques. Tout ceci concourt à la
standardisation. Le produit unique issu de la rencontre entre le savoir-faire d’un artisan et le
désir d’un acheteur n’est plus le modèle de production. Il est remplacé par le produit
manufacturé qui peut être jugé selon des critères établis préalablement à la production, où la
fiabilité est obtenue non plus par l’expertise de l’artisan mais par le procédé de fabrication,
lui-même obtenu par le travail de l’expert, nouvelle figure importante du processus de
production. On passe d’une production qualitative à une production quantitative. Le mode de
gestion de l’entreprise passe d’un modèle paternaliste à un modèle capitaliste.
Parallèlement, la science permet d’unifier les modes d’accès à la connaissance, reléguant les
autres modes d’accès7 à de simples croyances. La méthode scientifique est chargée d’obtenir
des mesures universelles, par le truchement de la méthode observation/expérimentation.
L’exercice de l’autorité
Analyser le fonctionnement d’une organisation renvoie nécessairement à l’exercice du
pouvoir dans cette organisation. Celui-ci est intrinsèque à toute action organisée. La question
de qui le détient et de comment il l’exerce définira en grande partie le type d’organisation
auquel nous aurons affaire.
Dans le contexte que nous venons d’évoquer, il devient nécessaire de justifier l’exercice de
l’autorité de la même manière que l’état justifie de sa gestion des affaires publiques.
Max Weber proposera au début du 20ème siècle de distinguer trois formes d’autorité qui
donneront lieu à trois formes d’organisation.
Il commence par distinguer le pouvoir « aptitude à forcer l’obéissance » et l’autorité
« aptitude à faire observer volontairement les ordres ». Il distingue donc dans l’autorité un
processus où les ordres seraient acceptés, car jugés légitimes par les subordonnés qui les
accompliraient donc de leur plein gré.
Le premier type d’autorité, nommé charismatique, en appelle aux qualités personnelles d’une
personne qui sera considérée alors comme leader. Ce type d’autorité est ponctuel : il est
7 Religion, magie, philosophie, sagesse personnelle.Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
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toujours possible de trouver plus fort ou plus brillant que soit. Ce modèle pose aussi le
problème de la succession car on prête ces qualités à une personne particulière et elles ne sont
pas nécessairement transmissibles. Ce modèle se retrouve historiquement à travers de grands
personnages religieux ou politiques : Fidel Castro, De Gaulle, Jésus-Christ, Richelieu,
Bonaparte, mais aussi de nombreux chefs d’entreprise (Edouard Leclerc, André Citroën, Bill
Gates, Steve Jobs, Ruppert Murdoch).
Le deuxième type d’autorité est appelé traditionnel. Il se base sur le précédent, la coutume, les
habitudes. C’est un modèle d’autorité conservateur où l’on s’en réfère à ce qui fut toujours
fait ainsi. Il peut être la forme pérenne d’une autorité charismatique si un individu doté de
cette qualité est arrivé à instaurer sa succession par l’hérédité par exemple mais elle peut aussi
se former d’elle-même. La monarchie en est une bonne illustration et de manière générale
toutes les entreprises où le descendant hérite du père. Sous une forme plus diffuse, c’est aussi
cette forme d’autorité qui préside dans la coutume populaire, le savoir traditionnel, le « on a
toujours fait comme ça » qui fonde le terreau de beaucoup de résistances au changement.
Le dernier type d’autorité est appelé par Weber « rationnel-légal ». Ce modèle est celui qui
nous intéresse le plus car il est selon Weber le seul acceptable dans la modernité. Ceci ne veut
pas dire que les autres disparaîtront, comme les exemples précédents nous l’ont montré, mais
que ce mode sera le plus répandu. Découlera de ce modèle ce que Weber appellera la
bureaucratie8 que nous étudierons plus avant. Il est basé sur la reconnaissance de la
qualification de la personne et de la justesse de ses ordres. Il y a donc recherche d’une forme
de consensus dans l’exercice de ce pouvoir. C’est le modèle démocratique où l’exécutant ne
dispose pas de pouvoirs personnels mais attachés à son statut. Les personnes sont nommées à
des fonctions qui ne se confondent pas avec elles et ce selon une norme acceptée par tous (le
diplôme, un comité de recrutement, des concours). La rationalité technique proposée par le
développement des sciences et techniques va soutenir l’essor de ce modèle. La connaissance
et la science vont devenir ce langage commun à tous qui permettra de trouver un consensus9.
Max Weber ne prétendait pas décrire des réalités observables avec ses modèles. Il proposait
ce qu’il appelait des « idéaux-types », c'est-à-dire des modèles parfaits servant à comprendre
les cas observés dans la réalité mais ne s’y confondant pas totalement. Il est ainsi impossible
de trouver une entreprise représentative du modèle de l’autorité charismatique uniquement.
8 À ne pas confondre avec l’utilisation péjorative que nous en avons aujourd’hui.9 Par exemple, les mesures, une fois standardisées, vont permettre à tous les acheteurs/vendeurs de s’entendre, vont permettre la comparaison ; la démarche scientifique expérimentale va, par exemple en chronométrant des actions, justifier de l’abandon d’une manière de faire pour une autre.
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Toutes les organisations mêlent à des niveaux divers ces trois formes d’autorité dans leur
exercice et il conviendra de repérer dans quelle mesure.
Cette ère de la modernité scientifique va donner lieu aux premières théorisations de la firme.
Premières théorisations de la firme
Marx et la théorisation des formes modernes de coopération dans le système capitaliste
La première analyse classique qui vient à l’esprit lorsque nous parlons du système capitaliste
est bien sûr la critique qui en a été faite par Marx.
On a surtout retenu de lui sa théorie de la lutte des classes, qu’il développera au contact de la
population française lorsqu’il émigrera d’Allemagne en 1843 après des études de philosophie
et de droit. Il arrive en effet au moment de la naissance d’une classe ouvrière revendicatrice
contre la grande bourgeoisie et l’aristocratie financière. Inspiré par les premiers auteurs
socialistes utopiques (Proudhon, Fourier, Simon), il prête à cette classe émergente un potentiel
révolutionnaire immense apte à renverser l’ordre social petit-bourgeois. Il écrit le manifeste
du parti communiste en 1847 à Paris. Il continuera à analyser le mouvement ouvrier en se
rendant en Angleterre, fleuron du modèle capitaliste, où il pourra étudier les premières formes
du syndicalisme.
Il retourne en Allemagne dès 1848 pour participer à travers le Comité de Salut Public créé à
Cologne à un mouvement révolutionnaire qui finira par le faire expulser de son pays
d’origine.
C’est donc en Angleterre qu’il écrira entre 1857 et 1867 le Capital. Pendant cette période,
l’Internationale ouvrière est créée et fédère les mouvements anglais et français, puis
allemands après 1964. Cette organisation soutiendra les grèves et revendications des
mouvements ouvriers jusqu’à sa disparition en 1871 après l’écrasement des communards
parisiens par les versaillais.
Jusqu’à sa mort en 1883, il travaille à la traduction de son œuvre majeure et à la diffusion de
ses théories, notamment en Russie où elles auront un accueil très marqué.
Le succès historique du communisme pendant le 20ème siècle place son inspirateur principal
comme le fondateur d’une alternative au modèle capitaliste. On oublie ainsi que Karl Marx a
été avant tout un grand théoricien du capitalisme. Ses ouvrages critiques se basent en effet sur
une connaissance parfaite de ce système qui fait que nombres d’économistes moins
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révolutionnaires le citent comme principal inspirateur dans les théories qu’ils ont pu élaborer
pour parfaire le modèle d’Adam Smith.
Dans le Livre 1 du Capital, Marx traite de la division du travail en définissant la coopération
capitaliste. Il l’oppose à la coopération simple, sur le modèle de la chasse ou des débuts de
l’agriculture. Ces dernières se basent sur les principes de communauté des biens et des
conditions de production ainsi que de l’objectif commun, le tout organisé selon une
juxtaposition, dans un atelier, de métiers complémentaires pour la fabrication d’un produit
composite. Avec la coopération capitaliste, telle qu’elle a pu se développer dans les
manufactures, on voit le passage de la coopération simple à la division du travail par tâche
(i.e. au sein d’un même métier).
Par exemple pour une manufacture d’épingles : avant un ouvrier réalisait 20 opérations pour
fabriquer l’épingle. Dans la manufacture décrite par A. Smith (1776), 20 ouvriers réalisent
chacun une opération (qui sera encore divisée par la suite). La première division du travail
permet la fabrication de 48 000 épingles pour 10 ouvriers, pour arriver à 600 000 épingles
pour 1 ouvrier surveillant 4 machines un siècle plus tard.
Commence alors une lutte contre les temps morts que représentent les temps passés par un
ouvrier à changer d’opération. On morcelle les métiers en succession d’opérations uniques.
Enfin, la mécanisation rend objectif le travail : il est désormais indépendant des facultés
intellectuelles de l’ouvrier, la coopération est prise en charge par l’articulation des machines.
Cette nouvelle organisation va permettre de générer une plus-value grâce à une meilleure
répartition des opérations qui permettra l’exécution simultanée de plusieurs tâches et
l’optimisation de chaque outil. En découleront des économies d’échelle, des baisses des frais
et une diminution du temps de production. C’est cette plus-value constituant un profit non
redistribuée qui va permettre l’accumulation du capital. Ce capital va bien sûr revenir aux
propriétaires des outils de production. Il va créer la rupture entre les ouvriers, qui vendent leur
force de travail mais ne bénéficient pas de cette plus-value, et les propriétaires du capital, qui
vont bénéficier des bienfaits de cette nouvelle coopération. Cette forme de coopération va
nécessiter la création de nouvelles fonctions d’encadrement afin de veiller à son bon respect.
Weber et les raisons de l’essor du capitalisme
Max Weber que nous avons déjà évoqué précédemment a choisi de s’attacher à éclairer une
autre partie du capitalisme en tentant de mettre à jour les raisons sociales de sa genèse.
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Il cherche donc à établir un lien entre la religion protestante issue de la Réforme et le système
industriel moderne. Dans son ouvrage « L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme », il
note en effet une particularité propre à tous les groupes sociaux dirigeant en Allemagne : leur
religion. L’Allemagne est pourtant composée assez égalitairement de catholiques et de
protestants mais les postes de pouvoir, qu’il s’agisse des chefs d’entreprises ou des
propriétaires, ou plus généralement de la main d’œuvre la plus qualifiée, voient une
surreprésentation des protestants. Ce constat était de notoriété publique à l’époque mais
Weber va en proposer une interprétation. Pour cela, il commence par donner une définition du
capitalisme comme système reposant sur l’entreprise industrielle, ayant pour but le profit et
comme moyen l’organisation rationnelle du travail. C’est cette alliance d’un but de profit avec
des moyens basés sur la science qui fait l’originalité du capitalisme10. La finalité diffère aussi,
selon Weber, des autres époques : dans le système capitaliste, l’accumulation plus que le
profit devient une fin en soi. Max Weber attribue donc une éthique au capitalisme qu’il
illustre à travers un texte de Benjamin Franklin (au titre évocateur : Conseils indispensables à
celui qui veut devenir riche). Cette éthique encourage à l’ascétisme, méprise le paraître et la
dépense inutile et glorifie le travail. Et la raison de ce zèle dans le travail repose selon notre
auteur non sur les bénéfices qu’il pourra tirer de sa richesse, puisqu’on l’a vu, l’éthique qu’il a
intégré le pousse à mépriser ces futilités, mais sur le sentiment d’avoir bien accompli sa tâche
et par là même rempli sa vocation.
Le lien est alors possible avec les préceptes de Calvin, résumés en cinq propositions par
Weber :
- Il existe un Dieu absolu, transcendant, qui a créé le monde et qui le gouverne mais qui
est incompréhensible, insaisissable à l’esprit des hommes.
- Ce Dieu tout-puissant et mystérieux a prédestiné chacun de nous au salut ou à la
damnation sans que, par nos œuvres, nous puissions modifier un décret divin pris à
l’avance
- Dieu a créé le monde pour sa propre gloire
- L’homme, qu’il doive être sauvé ou damné, a pour devoir de travailler à la gloire de
Dieu, de créer le royaume de Dieu sur terre
- Les choses terrestres, la nature humaine, la chair appartiennent à l’ordre du péché et de
la mort, et le salut ne peut intervenir pour l’homme que par la grâce divine
10 Les moyens employés par ceux désirant faire du profit n’avaient jamais été ceux-ci.Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
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Ces préceptes laissent en effet au croyant la question de savoir comment se comporter pour
œuvrer à la gloire de Dieu sans avoir aucun moyen d’accéder à sa volonté. De la même
manière, chacun ne peut que s’interroger sur son statut sans avoir de réponse facilement
observable : élu ou damné ? Le protestant va donc chercher dans le monde les signes lui
indiquant son élection. Pour lui, la réussite matérielle en sera un exemple. Elle s’impose donc
pour les personnes, non pas en raison du profit mais au nom de cette possible élection par
Dieu. D’autres éléments de la théologie calviniste doivent être ajoutés pour donner naissance
au capitalisme. La finalité de cette réussite matérielle : Puisque les choses terrestres ne
méritent que mépris, les richesses ne devront pas être dépensées mais accumulées. Cette
logique puritaine, méfiante vis-à-vis de la jouissance, issue de la nature corrompue de
l’homme, va permettre l’accumulation du capital. Enfin, le protestantisme est une religion
individualiste : chacun est seul face à Dieu, ce qui a pour effet d’affaiblir la communauté et le
sens du devoir vis-à-vis des autres.
Cette affinité spirituelle s’ajoute à la seule logique économique proposée par Marx et permet
de mieux comprendre cette finalité trouvée nulle part ailleurs qu’en Occident de vouloir
maximiser le profit non pas pour profiter de cette plus-value mais juste pour produire plus.
Il faut cependant faire très attention à ne pas en conclure que les pays protestants se
développent mieux économiquement que les autres, comme certains ont pu le faire, ce que
Weber en personne a eu l’occasion de réfuter. Weber a rapproché deux modèles pour montrer
leurs affinités, il n’a en rien prétendu à l’exhaustivité de la réponse. Beaucoup d’autres
facteurs entrent en compte pour garantir le développement économique d’un pays, qui
permettront à d’autres de connaitre un développement phénoménal sans partager cette éthique
protestante.
L’organisation scientifique du travail
Frederick Winslow Taylor
Taylor naît en 1856 dans une famille aisée de Philadelphie. Il se destine au métier d’avocat
comme son père mais une grave déficience visuelle l’empêche de poursuivre ses études. Son
ascension va donc passer par l’usine où il se fait engager en 1878 comme apprenti. Il suivra
ensuite une formation (non rémunérée, le principe du stage à la française en gestation ?) pour
devenir ouvrier mécanicien puis modeleur avant de devenir contremaître puis ingénieur grâce
à un esprit méthodique et une grande rigueur dans le travail. Sa carrière industrielle se
déroulera au sein de la Midvale Steel Compagnie où il testera ses principes avant qu’il
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n’entame une seconde carrière de conseiller en organisation. Il publiera un certain nombre
d’ouvrages se penchant sur l’optimisation de la productivité dans différents secteurs dont en
1895 le « salaire aux pièces », en 1903 la « direction des ateliers », en 1906 « la coupe des
aciers », et en 1911 celui qui accédera à la postérité, « les principes de la direction scientifique
des entreprises ». Écouté dès 1890, il régnera dans le monde de l’organisation sans conteste
dans les années 1910-1920 et son influence ira grandissant jusqu’à la fin du 20ème siècle. Ses
principes d’organisation l’opposeront aux syndicats dès 1907. L’American Federation of
Labor (syndicat unifié des ouvriers américains) le fera même comparaître devant la Chambre
des représentants en 1912.
Les raisons de la faible productivité : la flânerie
Taylor est comme nous l’avons vu un travailleur forcené, acceptant des conditions difficiles et
de prendre sur sa vie personnelle pour évoluer dans son métier. Son passage au statut de
contremaître va donc le contraindre à affronter un phénomène qu’il a vu autour de lui : la
flânerie systématique des ouvriers. Cependant, il répugne à sévir contre ses anciens
compagnons et il va donc chercher une solution qui convienne à tout le monde pour
augmenter les cadences de travail. Pour cela, il va suivre l’idéologie dominante du moment :
l’approche scientifique.
Il commence par identifier deux raisons parfaitement valables expliquant cette flânerie : 1)
une tradition de travail inappropriée 2) la certitude qu’ont les employés qu’une augmentation
de leur cadence ne leur apportera rien de bon.
Pour expliquer la première raison, il analyse les méthodes de travail dans ce qui est appelé la
phase A, pré-industrielle. L’ouvrier y est responsable de son travail qu’il organise à sa
manière selon la tradition et une compétence empirique formée par l’usage et non par la
rigueur scientifique. Ceci va impliquer la deuxième raison puisque la direction, lorsqu’elle
décide de demander une hausse de la production, ne peut se baser sur aucune base objective
permettant d’évaluer cette hausse, l’ouvrier étant seul apte à juger du travail. On a déjà vu que
cette situation profitait à l’employé, qui était payé selon un accord négocié sur un salaire
moyen avec un nombre de pièces à produire découlant d’une estimation du temps nécessaire à
la production d’une unité. L’ouvrier pouvait choisir d’être payé selon le salaire moyen ou à la
pièce en espérant gagner plus par sa bonne productivité. Il avait cependant tout intérêt à ne
pas suivre la deuxième solution et à lutter pour faire augmenter le taux de rémunération à la
pièce et non la production. Ceci aurait pu aboutir à un chantage à la production : le taux de la
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pièce étant fixé approximativement et pouvant être remis en cause, si on produit plus, rien
n’empêche la direction d’abaisser ce prix à la pièce afin de forcer l’ouvrier à produire toujours
plus pour seulement conserver le même niveau de salaire. En effet, si un ouvrier payé à la
pièce se met à produire deux fois plus que ses camarades, il va gagner aussi le double de leur
salaire, ce qui déplaira fortement aux dirigeants, hostiles à des écarts importants de salaire
entre ouvriers. Ils abaisseront le prix à la pièce pour ramener le salaire de l’ouvrier à la pièce
dans les mêmes eaux que ceux bénéficiant du salaire moyen. Les ouvriers, que Taylor refuse
de prendre pour des imbéciles, ont donc selon lui un accord tacite de limitation de la
production qui leur permet de préserver leur salaire11.
Taylor va tenter de mettre en place une organisation remplaçant ce système bloqué. Sa
solution est de remplacer cette négociation incertaine des temps de production par sa
détermination par un calcul scientifique du temps nécessaire à la réalisation de chaque tâche.
Le pouvoir des ouvriers, déjà minimisé par la création des tâcherons, change désormais
totalement de main puisqu’il reviendra à la direction de calculer ces temps.
Attention cependant, il ne faut pas voir ici une tentative de manipulation exploiteuse de la part
de Taylor. Il est normal selon lui que l’encadrement ait la tâche de définir la façon de
travailler. Il crée dans l’usine une distinction entre ceux qui pensent et ceux qui exécutent,
mais en pensant ainsi améliorer le sort de tous car il espère ainsi éviter les mouvements
mauvais pour la santé des ouvriers et leur permettre d’augmenter leur salaire en intensifiant
leur travail. Il espère substituer le conflit à la collaboration entre direction et employés,
« plutôt que de lutter sur le partage des profits, accordons nous pour les accroître ». Nous
allons voir sur quels principes idéologiques se base cette approche que l’on appellera la phase
B.
L’idéologie sous-tendant les changements proposés
Taylor est convaincu que la science pourra résoudre les problèmes posés aux humains.
En ce qui concerne les organisations, Taylor charge la direction de ce travail de dissection et
formalisation des tâches ouvrières, formalisation qui se basera aussi sur les connaissances
théoriques des ingénieurs qui se regrouperont dans un nouvel espace de l’usine : le bureau des
11 Exemple : une pièce est payée un dollar et on estime la production horaire à 10 pièces. On va payer l’ouvrier 10 dollars de l’heure. Maintenant si l’ouvrier se met à produire 20 pièces par heure, la direction va pouvoir réévaluer le prix de la pièce en prétextant qu’elle avait été surévaluée puisque, dans les faits, les ouvriers arrivent à produire deux fois plus. Elle baissera donc le prix de l’unité à 50 cents et l’ouvrier se verra donc obligé de produire deux fois plus pour conserver un salaire identique. La connaissance du travail étant dans les mains des ouvriers, il est donc parfaitement logique que ceux-ci freinent la production.
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méthodes. Ce bureau était le lieu de travail des ingénieurs, souvent situé en hauteur dans un
endroit permettant d’observer les ateliers, où ils mettaient au point les méthodes de travail
qu’il faudrait ensuite inculquer aux employés.
Cette science a un but clair : modifier les anciennes méthodes de travail.
Elle a en outre la caractéristique d’être irréfutable. Le positivisme, « l’administration des
choses remplacera le gouvernement des hommes », de l’idéologie scientifique du début de
siècle fait qu’il y a une bonne façon de faire (« One best way ») et qu’une fois celle-ci mise à
jour elle ne souffrira d’aucune contestation, notamment de la part des ouvriers de la phase A,
dont le savoir est relégué au rang de croyance injustifiable. L’idéologie est ici décelable dans
le paradoxe qui fait que cette méthode soit disant scientifique aboutisse à la certitude là où la
science est normalement plutôt encline au doute. L’utilisation qu’il a de la science est à
finalité utilitaire et non de connaissance. Son but est d’être irréfutable et modifie par
conséquent les rapports humains : il y a dans l’usine ceux qui savent et qui commandent et
ceux qui ne savent pas et exécutent, le statut du premier ne souffrant aucune contestation de la
part du second. On appelle cette utilisation idéologique de la science le scientisme.
L’OST a par ailleurs aussi la spécificité d’être universelle : tout travail, même le plus simple,
est susceptible d’être rationalisé de cette manière.
Autre facteur permettant de comprendre l’avènement de l’OST, la vision simpliste de
l’homme au travail qu’a Taylor. Il ne l’évoque jamais que comme une personne isolée et
occulte donc tous les rapports de groupe. Si jamais il doit y faire allusion, c’est comme à une
corporation néfaste dont il faut isoler l’individu (certainement héritage de la phase A où les
groupes d’ouvriers pouvaient s’opposer à la direction avec un certain pouvoir que Taylor veut
briser définitivement). Taylor cherchera donc à briser les rapports de groupe, notamment en
isolant quelques ouvriers afin que ceux-ci puissent être étudiés dans leurs actions et fournir les
sources aux ingénieurs pour confectionner une méthode scientifique. Mais la conclusion sera
aussi de systématiser le conflit entre direction et ouvriers car le taylorisme a, dans son essence
même, vocation à soumettre ces derniers, alors que la volonté de Taylor n’était pas du tout
d’encourager le conflit.
La motivation essentielle retenue par Taylor est l’argent et c’est ainsi qu’il choisit les ouvriers
à débaucher pour servir de cobayes. Il fait régulièrement allusion dans ses ouvrages à la
vénalité de certains ouvriers et énonce dans ses principes généraux que le salaire élevé est le
but ultime du travail de l’ouvrier. Cette insistance sur l’appât du gain est d’autant plus
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fondamentale qu’elle permet de parer à l’absence totale d’intérêt du travail auquel aboutit le
taylorisme.
Les principes mis en œuvre pour une organisation scientifique du travail
Les principes de l’OST ont été explicitement résumés par Taylor dans son ouvrage
fondamental « les principes de la direction scientifique des entreprises » :
• « L’étude de toutes les connaissances traditionnelles, leur enregistrement, leur
classement et la transformation de ces connaissances en lois scientifiques.
• La sélection scientifique des ouvriers et le perfectionnement de leurs qualités et
connaissances.
• La mise en application de la science du travail par des ouvriers scientifiquement
entraînés.
• La répartition presque égale du travail exécuté dans l’entreprise entre les ouvriers et
les membres de la direction. » Taylor, 1911.
Cette méthode découle clairement de celle mise en place dans les sciences expérimentales.
Au niveau pratique, Taylor préconise l’observation systématique des opérations des ouvriers
pour aboutir à un cahier des charges spécifiant très précisément ce que doit faire l’ouvrier, et
dans quel ordre. Il propose un système de salaire différentiel avec au moins deux taux : si la
cadence C est inférieure à un seuil C0 considéré comme le standard, on paie la pièce au taux
de salaire P0. Si la cadence C est supérieure à C0, la rémunération sera alors au taux P1 où P1 =
(1 + x) X P0. Et x sera un pourcentage donné. Enfin, le dernier des principes tayloriens à avoir
une incidence pratique directement visible est la distinction entre cols bleus et cols blancs qui
donnera lieu à une nouvelle forme de hiérarchie pyramidale, fonctionnelle (i.e. attachée aux
fonctions) devenue le modèle classique aujourd’hui, particulièrement dans les bureaucraties.
Il aboutit aussi à la standardisation des produits pour un marché de masse de premier
équipement. Cette standardisation aujourd’hui critiquée ne posait pas alors le même problème
puisqu’il s’agissait pour la plupart des individus d’accéder à tout un ensemble de biens
inaccessibles jusqu’alors. Les exigences augmenteront seulement lors des générations
ultérieures s’étant habitués à ces produits et réclamant désormais plus de distinction.
Le taylorisme va se répandre dans le monde entier et s’appliquer à tous les types d’entreprise
au cours du 20ème siècle. Il sera notamment illustré par Henry Ford dans ses usines où il sera le
premier à imaginer un système de travail à la chaîne (Taylor n’en aura pas parlé). Les célèbres
« five dollar a day » de Ford traduisent bien sa foi dans le système taylorien : division des
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tâches et hauts salaires afin que les ouvriers soient les premiers à bénéficier des produits qu’ils
fabriquent. Henry Ford tenait à ce que chacun de ses employés puisse posséder sa propre Ford
T.
On peut voir sa foi dans la division des tâches dans sa description de la confection d’une Ford
T : « sur les 7882 opérations que nécessitait la construction d’une Ford T, 949 exigeaient des
hommes vigoureux, robustes et pratiquement parfaits du point de vue physique, 3338 des
hommes ordinaires, tout le reste pouvait être confié à des femmes ou à de grands enfants (…)
670 opérations pouvaient être accomplies par des culs-de-jatte, 2637 par des unijambistes, 2
par des hommes amputés des deux bras, 715 par des manchots et 10 par des aveugles. »
Limites du taylorisme
L’image d’Epinal véhiculée par la critique du taylorisme faite dans le film de Charlie Chaplin
« Les temps modernes » mérite d’être nuancée. Cet aspect outrancier du taylorisme ne retient
que les excès dus à la crise des années 30 et à l’application systématique du travail à la chaîne,
absent des principes de Taylor. Taylor a permis à la fois d’accroître la productivité d’une
manière inédite sans effort supplémentaire de l‘ouvrier (passage par exemple d’une
manipulation de 12,7 tonnes à 48 par ouvrier dans la manutention des gueuses de fonte, ce qui
a abouti à une augmentation des salaires de 60 % à la Midwale Steel).
Cependant ce système a aussi montré ses limites.
Tout d’abord, le respect strict des principes de Taylor n’est pas si aisé. La hiérarchie
fonctionnelle fait que certains ouvriers ont à répondre à de nombreux supérieurs car leur
opération relève de différents secteurs. Les ordres contradictoires peuvent se multiplier et la
circulation de l’information en est rendue difficile12.
Georges Friedmann, chercheur en organisations très influent durant le 20ème siècle, a
développé par ailleurs une critique assez systématique de l’OST qui est à l’origine de
beaucoup de principes encore respectés aujourd’hui dans les entreprises. Il fustige les
cadences infernales et le travail en miettes du point de vue d’une vision humaniste qui ne
s’accorde pas avec la passivité de l’ouvrier de Taylor. De même il critique la surévaluation du
facteur argent dans le comportement des travailleurs.
Les nouvelles formes de production et de collaboration, le développement du tertiaire
imposent en effet selon lui d’abandonner bien souvent les thèses tayloriennes.
12 Par quel canal faire remonter l’info ? Il est difficile de choisir quel service sera le plus approprié, surtout pour un employé auquel on aura confisqué toute prise de décision - et envoyer l’information à tous créera beaucoup de redondances encombrant inutilement le système d’information.
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Le taylorisme ne s’est d’ailleurs jamais appliqué systématiquement qu’aux ateliers et ne
fournit pas aussi facilement d’aide pour l’organisation des autres secteurs, notamment des
dirigeants.
La possibilité de tout rationaliser (que nous trouverons aussi chez Weber et Fayol dans les
sous parties suivantes) est aussi remise en cause. Le postulat selon lequel tout peut être prévu
est mis à mal dès lors qu’on étudie le fonctionnement quotidien d’un atelier (notamment les
pannes dont il sera question lors de l’analyse stratégique).
Ces problèmes se traduiront par de nombreux conflits sociaux, des effets de démotivation des
employés et d’absentéisme.
La collaboration voulue par Taylor a en effet été rendue impossible par la suppression de la
négociation. La valeur de scientificité accordée aux décisions de la direction rendait
impossible en pratique celle-ci, et on comprend qu’une direction sûre de ses choix ne soit pas
encline à la négociation.
Wickham Skinner prendra pour raison la multiplication des types d’industrie et des produits
qu’elles confectionnent pour justifier de l’abandon du taylorisme : « trop d’entreprises tentent
de faire trop de choses avec une infrastructure et une organisation données, sous prétexte
d’amortir leurs investissements et de pouvoir répartir leurs frais généraux. Elles superposent
des productions dont les marchés, les technologies, les procédés, les niveaux de qualité
s’opposent et se font concurrence. Elles recrutent un encadrement important pour maîtriser et
contrôler un amalgame ingouvernable. »
Mais le taylorisme ne subira un réel recul dans les organisations qu’avec l’avènement du
toyotisme dans les années 90.
La bureaucratie
Contemporain de Taylor, Max Weber suivra en partie les mêmes voies pour définir la
bureaucratie.
Définition
Nous avons vu que Max Weber avait défini une forme d’autorité qu’il avait qualifiée de
rationnelle-légale, qu’il estimait être la seule justifiable dans la modernité. Il tire de cette
autorité une forme d’organisation qu’il qualifie de bureaucratique. Cette forme est définie par
un ensemble de caractéristiques précises et ne se confond donc pas avec l’utilisation
péjorative que nous pouvons avoir de ce terme désormais (le petit robert le définit comme
« influence abusive de l’administration »).Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
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On peut recenser dix caractéristiques permettant de définir une bureaucratie :
1) ses membres sont personnellement libres et soumis à une autorité seulement pour
l’accomplissement de leurs fonctions officielles ;
2) ils sont organisés dans une hiérarchie d’emplois claire et bien définie ;
3) chaque emploi a une sphère de compétence légale bien définie ;
4) tout emploi est occupé sur la base d’une relation contractuelle ;
5) les candidats à un emploi sont sélectionnés d’après leurs qualifications techniques ;
dans le cas le plus rationnel, ils sont sélectionnés par concours, examens, ou par des
diplômes garantissant leurs connaissances techniques ; ils sont nommés et non élus ;
6) les membres sont rémunérés par un salaire fixe, en monnaie : le salaire varie selon
l’échelon hiérarchique ;
7) l’emploi dans l’organisation est la seule occupation professionnelle de ses membres ;
8) l’emploi constitue une carrière : la promotion se fait selon le jugement des supérieurs ;
9) l’employé n’est ni propriétaire des moyens de l’organisation ni propriétaire de son
poste ; il y a séparation entre l’homme et la fonction qu’il occupe ;
10) l’employé est soumis à une discipline stricte dans son travail.
Un système idéal
Nous pouvons donc y cerner la même volonté de rationaliser les activités au sein d’une
organisation et d’universalité dans l’application de ces principes. Cependant, Weber
reconnaîtra les limites de ce modèle et écrira lui-même que « l’entrepreneur capitaliste est
dans notre société le seul type d’homme qui ait réussi à conserver une immunité relative au
contrôle de la connaissance rationnelle bureaucratique ».
La bureaucratie est donc le règne de la règle, chacun y agit selon ses attributions détaillées
dans un contrat et ne peut ni ne doit aller au-delà. Personne n’incarne non plus sa fonction, les
individus sont donc interchangeables aux différentes fonctions de l’organisation si tant est
qu’ils disposent des compétences requises.
On espère ainsi s’approcher mieux des buts à atteindre. Ces règles ne sont en effet pas là pour
satisfaire les esprits tatillons mais dans un souci 1) de rationaliser des organisations
complexes 2) de garantir l’égalité aux membres de la bureaucratie. Ces règlements très
détaillés sont en effet des protections contre un chef ou des clients abusifs.
Son modèle est théoriquement parfait : il garantit l’efficacité par la sélection par concours et
diplômes ; il permet l’exercice accepté par tous de l’autorité, permettant aussi une stabilité
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plus grande qu’avec les autres modes d’autorité ; il protège de l’arbitraire : on n’obéît pas à
une personne appliquant une procédure mais à cette procédure, de même lorsqu’on en
applique une, nous ne sommes pas personnellement responsables de celle-ci.
Des dysfonctionnements irrépressibles
Ce modèle appliqué dans les organisations va cependant apporter un grand nombre de
problèmes. Les dysfonctions sont selon Renaud Sainsaulieu « le faisceau des conséquences
secondaires inattendues qui accompagnent toujours un plan d’action rationnel et qui freinent
ou empêchent d’atteindre les buts que se sont fixés les dirigeants ».
L’école structuro-fonctionnaliste s’attachera à les relever en notant que les effets sont
imprévus, positifs comme négatifs. Ainsi Robert K Merton note que ces dysfonctions sont de
plus en plus fréquentes au fur et à mesure que les bureaucraties se rapprochent dans la réalité
du modèle idéal défini par Weber. Il met en lumière ce qu’il appelle le « déplacement des
buts » : à force de règles, les employés finissent par s’attacher plus au respect de celles-ci qu’à
la réalisation des tâches qu’elles sont censées permettre ; la multiplicité des règles aboutit
aussi à ce que les personnes passent plus de temps à essayer de se repérer et de comprendre
dans leur dédale qu’à remplir leur fonction13. Renaud Sainsaulieu parle aussi des rapports
rendus difficiles par ces règles : « ce qui aboutit à créer une rigidité croissante des
organisations bureaucratiques qui engendre des tensions supplémentaires dans les rapports
aux clients ; lesquelles tendent à leur tour à renforcer le ritualisme des fonctionnaires car ils
cherchent à se protéger derrière le règlement face à la hargne des clients ».
Les structuro-fonctionnalistes identifieront plusieurs autres effets imprévus : la création d’un
esprit de corps, le rôle ambigu conféré aux règles, l’apparition d’une structure informelle, la
déviation des buts vis-à-vis des prescriptions formelles (qui pourra néanmoins avoir des effets
bénéfiques sur l’efficacité des organisations).
En France, Michel Crozier critiquera la bureaucratie française dans son ouvrage « le
phénomène bureaucratique ». En ce qui concerne le modèle français, il mettra en exergue la
centralisation excessive des décisions, illustrée par le jacobinisme, une hiérarchisation trop
développée, un cloisonnement des fonctions. Des phénomènes qu’il liera à des tendances
culturelles françaises : crainte du face à face, rapport très distant à l’autorité, évolution par
crises plutôt que par micro-ajustements.
13 Exemple : un responsable d’un service académique exige d’obtenir une copie de chaque email avant envoi, quitte à ce qu’il se passe trois jours avant qu’il ne donne son accord, au motif qu’un accord hiérarchique doit valider tout courrier avant envoi.
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De même, il est fréquent de trouver des bureaucraties empruntant au taylorisme, les deux se
complétant naturellement. Mais leur utilisation combinée a pu donner lieu à des organisations
au contraire amoindries par ce cumul. Ainsi Henry Mintzberg décrit une forme d’organisation
(nous verrons sa typologie entière plus tard) qu’il qualifie de bureaucratie professionnelle, qui
n’a rien à gagner à appliquer les principes de Taylor pour mener à bien ses actions. C’est le
cas par exemple des universités, des laboratoires de recherche ou des hôpitaux qui assurent la
coordination des tâches par la standardisation des qualifications de ses membres. Les
professionnels se comprennent par leur compétence commune. Les diplômes de chercheur ou
de médecin sanctionnent une longue et dure épreuve s’étalant sur des années et permettant
aux différents membres de s’entendre par leur savoir commun.
Alvin W. Gouldner, sociologue américain influent au milieu du 20ème siècle a tenté
d’appliquer les concepts de Weber aux entreprises et en a tiré diverses critiques. Notamment,
il soulève que Weber ne traite pas des cas où l’autorité est contestée ou refusée. Il caractérise
les formes d’autorité mais ne se penche pas sur l’origine de celle-ci. Il suit en ceci les travaux
de Robert K. Merton ou de Philip Selznick qui avaient déjà identifié que les caractéristiques
d’une organisations bureaucratique sont celles-là même qui conduisent à son inefficacité :
règles impersonnelles réduisant les relations interpersonnelles et provoquant de nouvelles
règles ainsi qu’une absence de recherche d’alternatives ; rigidité de comportement des
membres entre eux et avec les extérieurs ; délégation de l’autorité aboutissant à l’émergence
de buts propres aux unités qui rentrent donc en conflit entre elles et avec l’organisation
générale. Chacune de ces caractéristiques ayant de plus l’inconvénient de former des cercles
vicieux où le mal ne fait qu’accentuer ce qui le provoque.
Gouldner tente d’illustrer cette mauvaise influence de la bureaucratie en suivant la mise en
place de règles bureaucratiques dans une mine de gypse américaine. Celle-ci avait autrefois
un certain dédain pour les règles formelles se traduisant par une absence de sanction, des
relations égalitaires entre cadres et ouvriers, une relative absence de contrôle. La nouvelle
situation aboutit à des grèves très dures et un abaissement général du moral des ouvriers.
Gouldner en déduit six caractéristiques propres aux règles bureaucratiques :
1) Elles sont des ordres : elles permettent de définir très précisément ce qui est exigé des
employés.
2) Elles sont des écrans : une règle permet de réduire le nombre et la durée des relations
entre chef et subordonné. Ceci est commode pour les chefs qui ne veulent pas se
compromettre ou éviter les responsabilités.
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3) Elles sont des garanties : on ne peut rien reprocher à celui qui les applique.
4) Elles sont des instruments de contrôle à distance : comme le comportement de chacun
est spécifié clairement, le contrôle peut se faire par des rapports écrits.
5) Elles sont des instruments de marchandage : les règles sont souvent surabondantes et
donc non entièrement nécessaires. Le chef peut ainsi se montrer indulgent pour
s’attirer la coopération informelle de ses subordonnés en retour.
6) Elles sont des instruments d’apathie : l’employé ne fera pas plus que ce que la règle
demande. Ceci porte en germe la nécessité de nouvelles règles.
Il distingue ensuite plusieurs formes de bureaucratie : la fausse bureaucratie, la bureaucratie
représentative, la bureaucratie punitive.
La fausse bureaucratie voit des règles établies de l’extérieur qui ne sont pas respectées, ou
juste formellement par les employés. À l’époque, c’est souvent le cas des interdictions de
fumer, respectées seulement lorsqu’un inspecteur se rend sur le site. Dans cette forme, le non
respect des règles n’est pas sanctionné et on observe une grande différence entre
l’organisation prévue et celle effective. Elle est généralement peu efficace bien que ses
membres s’y sentent bien, surtout lorsqu’ils s’estiment complices dans ce non respect.
La bureaucratie représentative suit des règles établies par des experts reconnus comme tels par
les membres de l’organisation. Les règles sont donc suivies et acceptées par les membres qui
se sentent satisfaits. Il s’agit de la forme « réussie » de la bureaucratie. Peu de membres ne
suivent pas les règles et ce seulement par ignorance, les relations y sont solidaires avec une
bonne participation de tous.
La bureaucratie punitive est quant à elle basée sur un rapport de force entre groupes dont un a
mis en place des règles pour contraindre l’autre à obéir. Chaque non respect, considéré
comme une infraction, est sanctionné. Tensions et conflits y sont nombreux
L’invention du management
Henry Fayol 1841-1925
Un contemporain de Taylor s’est intéressé à tout un pan que l’OST laissait dans l’ombre :
l’étude de la direction des organisations.
C’est Henry Fayol, ingénieur français pénétré des mêmes idées positivistes que Taylor, qu’il a
pu lire dans la Conférence de l ’Organisation Française (COF) créée en 1921 et qui diffusait
ses travaux en France.
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Il suit la démarche d’un chef d’entreprise, cherchant des réponses pratiques à la question du
commandement qui puisse mieux guider que les idées d’autorité ou de prestige.
Types de propositions qu’il fait : si l’on veut que les ouvriers ou les salariés obéissent il faut
avoir la structure adaptée ; éviter le double commandement (les ordres doivent venir d’un seul
homme) ; le commandement n’est pas seulement l ’affaire du directeur de l ’entreprise, il est
l’affaire de tous ceux qui occupent une place de relais dans l ’organisation (contremaître, chef
de division…) ; être chef c’est avoir sous ses ordres d’autres chefs, et être soi-même sous les
ordres de quelqu’un d’autre ; selon sa position le chef doit avoir des capacités différentes en
fonction des grands domaines d ’opérations qu ’il distingue.
Il plaide donc pour qu’on enseigne la « capacité administrative » qui remplace les subjectifs
conseils des leaders prospères.
A la manière de Taylor, sa première tâche va être de recenser les opérations constituant la
fonction de dirigeant.
Il dresse un inventaire impressionnant dont il tire une classification en six catégories de
tâches, toutes aussi essentielles, qui seront présentes dans tous les postes, à tout échelon et
dans toutes circonstances mais à des degrés divers. Les acteurs auront ainsi toujours un
panaché relevant d’activités :
• Techniques : liées à la transformation des matières et des informations, à la production
• Commerciales : achats et ventes
• Financières : gestion des capitaux et recherche de financements
• Sécuritaires : concernant la protection des biens et des personnes
• Comptables : comptes, inventaires, bilans et statistiques
• Administratives
Cette dernière fonction l’intéresse particulièrement, car elle a été peu développée par d’autres
auteurs alors que son poids ne cesse de grandir lorsqu’on occupe des postes hiérarchiquement
élevés.
Pour lui, administrer consiste à « dresser le programme général d’action de l’entreprise, de
constituer le corps social, de coordonner les efforts, d’harmoniser les actes ». Il livre dans le
sous-titre de son ouvrage « administration industrielle et générale » cinq aspects de
l’administration : « prévoyance, organisation, commandement, coordination et contrôle ». Et
précise dès les premières pages « Prévoir, c'est-à-dire scruter l’avenir et dresser le programme
d’action ; commander, c'est-à-dire faire fonctionner le personnel ; coordonner, c'est-à-dire
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relier, unir, harmoniser tous les actes et tous les efforts ; contrôler, c'est-à-dire veiller à ce que
tout se passe conformément aux règles établies et aux ordres donnés ». On voit que son terme
administrer renvoie à ce que nous appelons aujourd’hui diriger
Il prévoie ainsi un nombre de tâches à remplir pour bien diriger une entreprise : il faut établir
des plans en vue de faire évoluer l’entreprise, d’orienter et de régler l’action. Une fois ces
objectifs retenus, on peut décider de moyens pour les faire advenir.
Fayol considère donc qu’organiser revient véritablement à constituer l’entreprise, et ceci en
établissant des règles, en lançant des ordres et en définissant des procédures pour le personnel
qui doit être commandé. Il s’agit aussi de mettre en place une cohésion d’ensemble. Pour cela
il croit en l’efficacité de la stricte application des consignes.
Fayol distingue 14 principes, non exhaustifs, qui doivent être appliqués dans toute activité
administrative :
• la division du travail (déjà vue avec Taylor)
• l’autorité et la responsabilité (qualité essentielle du chef dont la marque est la
sanction)
• la discipline (car l’obéissance des hommes dépend de la valeur de leur chef)
• l’unité de commandement (critique faite à Taylor, il la juge d’ailleurs trop répandue)
• l’unité de direction (bien qu’il puisse y avoir des communautés d’intérêt, il ne doit y
avoir qu’un seul projet d’organisation)
• la recherche de l’intérêt général (par opposition aux intérêts individuels)
• la rémunération proportionnelle aux efforts
• le degré de décentralisation (en fonction des compétences du personnel)
• la hiérarchie (unique et nécessaire)
• l’ordre (ceci exige une connaissance précise des besoins et ressources de l’entreprise)
• l’équité (garantie par les contrats)
• la stabilité du personnel (le turn-over non maîtrisé est une maladie de l’entreprise)
• l’initiative (source de satisfaction quand elle est menée à bien avec succès)
• l’union du personnel (ce qui le pousse à refuser les communications non verbales)
Il prévoie la possibilité de changements selon les contextes en tempérant la rigidité de ces
principes mais il les veut tout de même universels.
Fayol défend l’importance du chef à travers ses attributions : autorité et responsabilité. Il
prévoie une hiérarchie linéaire sur laquelle faire reposer la délégation de l’autorité. Celle-ci
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est nécessaire selon lui car les individus ont une capacité limitée de traitement de
l’information, un ensemble de compétences fini qui doit être épaulé par des compétences
complémentaires et enfin car la taille d’une organisation va rapidement éloigner le
commandement de l’exécution, ce qui rendra délicat la circulation de l’information.
Il met donc en avant deux principes clés : la voie hiérarchique et l’unité de commandement.
Ce qui se traduit dans les faits par la nomination claire d’un ensemble de chefs liant base de
l’organisation et directions et où la communication ne devra s’établir qu’entre deux rangs
successifs, immédiatement inférieurs et supérieurs.
Ceci donne une structure hiérarchique en arbre où chaque subordonné ne reçoit d’ordre et ne
réfère qu’à un supérieur.
Fayol avait identifié la principale faiblesse de son modèle : la lenteur de la communication
respectant cette voie hiérarchique. Il proposait donc de mettre en place des passerelles, plus
rapides mais moins sûres. Celles-ci liaient deux agents, moyennant l’accord de leurs chefs
respectifs afin de respecter le principe d’unité de commandement. Ils pouvaient ainsi rentrer
en contact sans avoir à recourir à la voie linéaire de la hiérarchie.
Cependant, le principe de l’unité de commandement et le principe hiérarchique se révèlent
difficiles à concilier dans la pratique. Taylor aura nommé des chefs sur leurs domaines de
compétence, mais leurs subordonnés dépendaient conséquemment de plusieurs d’entre eux.
Fayol a voulu simplifier ce fonctionnement en instaurant le principe d’unité de
commandement mais celui-ci supposait des chefs omniscients. D’autres auteurs cherchèrent à
sophistiquer ce modèle en créant des structures de conseil (spécialistes sans autorité). Ce qui
pose justement le problème de l’autorité car les spécialistes n’ont pas toujours les moyens de
convaincre rationnellement et dans ce cas se trouvent dépourvus de moyens coercitifs.
Toutes ces écoles classiques (OST, bureaucratie et Fayol) ont deux défauts communs majeurs
que les théories qui vont suivre tenteront de réparer :
1) la réduction du facteur humain qui laisse de côté un nombre important de dimensions
pourtant actives chez l’individu, même en situation de travail et aboutit à une vision
appauvrie, aliénante de l’homme au travail.
2) L’aveuglement dans la perfection formelle des modèles proposés, qui ne leur permet
pas de voir la différence toujours présente entre le système idéalement défini et sa
réalité pratique, hétéroclite et source de nombreux conflits où entrent en compte des
jeux de pouvoirs complexes.
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La prise en compte de l’humain
L’expérience fondatrice d’Hawtorne
La première réaction face aux théories classiques propose une nouvelle prise en compte de
l’humain dans l’organisation. Les recherches et théories développées en son sein se
regroupent sous l’appellation d’école des relations humaines.
Le contexte
Cette école est née d’une étude fondatrice menée dans les ateliers Hawtorne de la Western
Electric Company durant les années 20 et 30. En 1924, cette entreprise fabriquant tout ce qui
concerne les téléphones dans la banlieue de Chicago compte environ 29 000 employés avec
un panel important de corps de métiers différents et de catégories socioprofessionnelles.
La direction veille à garantir de bonnes conditions de travail par le maintien des salaires à un
niveau supérieur à la moyenne nationale, un restaurant d’entreprise de qualité, une infirmerie
et un hôpital dédiés aux employés ainsi que des services d’orientation sur tout le site.
Cependant, les marques de mécontentements sont préoccupantes et ce malgré la satisfaction
affichée par les employés. Un fort taux d’absentéisme, le freinage à la production et une
mauvaise qualité de confection inquiètent la direction qui cherche à comprendre les raisons de
cet apparent paradoxe.
Les tests
Une batterie de test est donc mise en place avec la complicité de chercheurs universitaires.
Les différentes méthodes et leurs résultats ont apporté un éclairage tout à fait nouveau sur les
principes de l’action collective organisée. En effet, ceux-ci ont du, pour être compris, remettre
en cause une bonne partie des présupposés sur lesquels reposaient les théories classiques.
Nous allons voir en détail le déroulement de ces expériences successives qui se sont déroulées
sur des années.
Le premier test a été mené sur l’éclairage. On améliora l’éclairage d’un groupe d’ouvrières
travaillant dans une lumière artificielle et on vérifia la hausse de productivité en comparaison
avec un groupe non modifié, appelé groupe de contrôle. Les deux avaient été prévenus de
l’expérience menée. Le résultat vit la productivité augmenter dans le premier groupe, mais
aussi de manière analogue dans le deuxième.
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Divers tests ont donc été tentés sur une période 3 ans allant de 1924 à 1927 en améliorant de
plus en plus l’éclairage avec à chaque fois une réaction identique.
Un chercheur en vint à proposer de baisser l’éclairage et, phénomène encore plus surprenant,
la productivité augmenta de nouveau et ce jusqu’à ce que les ouvrières soient trop peu
éclairées pour continuer à travailler.
Incapables de trouver une explication à ces variations, la compagnie fit appel à une équipe de
psychosociologues. Les expériences ont été menées de 1927 à 1932, année où la crise les
stoppa. Dès 1928, Elton Mayo, qui devint le père fondateur de l’école des relations humaines,
rejoignit l’équipe.
Une première enquête est restée célèbre sous le nom du « test room ». On isola un groupe
d’ouvrières volontaires dans une pièce à part de l’atelier où la quantité de pièces fabriquées
par chacune pouvait être enregistrée ainsi que divers facteurs comme l’humidité ou la
température. Un ensemble de facteurs sociaux furent aussi successivement modifiés : système
de salaire (par équipe, individuel, au rendement, horaire), durée des pauses (une ou plusieurs,
plus ou moins longues, avec ou sans collation), horaires (réduction des horaires, suppression
du travail le samedi, retour à la situation initiale). A chaque changement, l’équipe dirigée par
Elton Mayo s’entretenait longuement avec les ouvrières qui se montrèrent toujours d’accord
pour suivre les modifications proposées.
Les résultats de ces changements, quel que furent leur sens, étaient toujours positifs en
matière de productivité, qui, au pire, stagnait. Sur une année d’expérimentations, le groupe
connut une augmentation de 20 % de sa productivité.
Les chercheurs ainsi que la direction étaient perplexes quant à l’interprétation à donner à ces
résultats.
Les résultats
Elton Mayo proposa d’identifier deux grands facteurs dans les raisons des résultats de cette
longue approche expérimentale.
Tout d’abord, l’observation même semble être l’une des variables qui influe sur le
comportement des ouvrières. Elton Mayo en déduit ce que l’on appelle « l’effet Hawtorne »,
calculé désormais dans toutes les enquêtes et qui prend pour principe que les gens réagissent
positivement au fait que l’on s’occupe d’eux pour améliorer leur situation.
En effet, dans les deux batteries de tests lancées par les chercheurs, le fait que les groupes
aient été choisis pour l’étude a joué énormément. Les testés ont donc réagi en effectuant ce
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qui leur semblait attendu par les enquêteurs pour se valoriser. Le remplacement d’un
contremaître dur par des chercheurs attentifs aux ouvriers semble ici déterminant. Cependant
« l’effet Hawtorne » est pris avec nuance par les dirigeants d’entreprise. En effet, les réactions
positives aux réorganisations sont fréquentes lorsque celles-ci sont vues par les employés
comme une tentative d’amélioration de leurs conditions de travail. Mais l’effet n’est pas
durable car dès que le stade d’expérimentation est dépassé, l’expérience cesse d’en être une et
devient une nouvelle routine.
Une enquête avait été lancée dès 1928 auprès de 2000 ouvriers pour chercher à connaître le
type de supervision existant dans chaque atelier. La direction soupçonnait en effet le lien
causal unissant meilleure supervision à un meilleur moral et à une meilleure productivité. Il
apparut rapidement aux enquêteurs que ce qu’ils évaluaient n’étaient pas les conditions
matérielles de travail mais les attitudes émotionnelles des ouvriers vis-à-vis de celles-ci. Les
conflits ne semblent donc pas résulter de conditions objectives mais bien plutôt d’attitudes
émotionnelles de chacun.
Une troisième étude avait été lancée, cette fois sous la forme d’observations sur 14 ouvriers
dont les résultats illustrèrent en détail le deuxième facteur explicatif : l’importance du groupe
dans le comportement de chacun. Le test room avait déjà illustré ceci par la relative égalité
des niveaux de production de chaque ouvrière. Il existait une norme informelle de production
contraignant chacune à limiter sa production au même niveau que les autres, sans que celles-ci
aient à se le dire, et ce malgré les pannes ou incidents arrivant dans une journée. Les primes
ne pouvaient vaincre cette norme informelle. Un deuxième aspect de cette importance du
groupe est au moins aussi déterminant : chaque tension ou incident provoquait dans le groupe
un malaise qui influait sur le niveau de production. Une véritable vie de groupe existait et
celle-ci était sensible aux tensions, ententes entre personnes, etc. Les observations permirent
d’affiner ces résultats, notamment en montrant que le moral du groupe était lié à l’entente
entre ouvrières mais aussi aux relations avec l’agent de maîtrise. On en conclue que la
fonction de contremaître doit plutôt être d’animer ce groupe et non de diriger au sens
classique du terme. Les compétences, l’autorité formelle déléguée, la responsabilité devant les
supérieurs doivent être complétées par une qualité d’écoute et de conseil, même aux niveaux
les plus bas de la hiérarchie.
Cette importance du groupe est une découverte fondamentale qui a permis de développer tout
un pan de recherche pluridisciplinaire mettant mieux à jour les liens affectifs, les jeux de
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rôles, la sociométrie, les psychodrames, les éléments constituant le groupe que nous
aborderons plus avant.
Conséquences et limites de l’expérience
Un certain nombre de résultats de cette longue série d’expériences ne furent pas ou mal
exploités. L’école des relations humaines a dégagé à travers les entretiens menés le besoin des
ouvriers de s’enraciner dans leur entreprise, d’avoir affaire à quelque chose qui leur
appartienne en partie et où ils ont une fonction qu’ils sentent importante, de donner un sens à
leur action. Fatigue et tensions étaient souvent dues à ce manque. Qu’un individu se révolte
s’il ne comprend pas suffisamment son travail est une découverte importante qui a permis de
systématiser l’explication aux employés des décisions de l’entreprise en ce qui concernait leur
travail, mais l’école des relations humaines n’est pas allé jusqu’à noter que cette révolte ne
manquera pas non plus d’arriver si le salarié ne bénéficie pas par la suite d’un certain pouvoir
sur son travail.
Ensuite, les chercheurs ont bien mis à jour la double fonction d’une entreprise : produire des
objets et, selon leur expression, « distribuer des satisfactions ». Les deux sont
interdépendantes alors que les directions s’intéressent usuellement uniquement à la première,
d’ordre économique, qui justifie toute évolution. Or technique et humain sont
indissociablement liés, comme en témoignent les réactions humaines à chaque innovation. Les
chercheurs ont donc préconisé trois actions accompagnant toute innovation technique : 1)
étudier les réactions prévisibles des ouvriers atteints par cette mesure, 2) prévoir et organiser
les problèmes de réaction interpersonnelle dans les groupes, 3) donner des explications à tous
les échelons. Mais cette idée n’a pas été mise en place dans les faits. Et ceci pour une raison
assez évidente : la théorie des relations humaines, bien qu’ayant mis à jour l’existence d’une
vie de groupe, ne considère pas ce dernier comme un acteur de l’organisation. Elle préconise à
la direction de prévoir (elle suppose donc que la direction le peut) et d’orienter son
comportement, comme si le groupe n’avait pas sa propre appréhension de son rôle ou de
capacité de négociation.
Le biais fondamental de cette école sera donc de tenter de connaître le plus finement possible
le groupe et l’individu pour l’orienter, continuant donc à lui dénier toute possibilité de
décision personnelle.
L’école des relations humaines a donc l’immense avantage d’avoir pour la première fois
envisagé l’entreprise comme un système social et d’avoir redonné à l’individu en entreprise
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une épaisseur psychologique niée par les théories classiques. Elle oppose deux modes de
comportements : logiques et non logiques. La première relève des rationalisateurs et se base
sur le coût et l’efficacité, la deuxième est prêtée aux ouvriers et relève du sentiment. Le
constat des erreurs des décisions prises en suivant uniquement la première pousse à militer en
faveur de la préservation de la deuxième, faite de traditions, de signification sociale. Mais la
connotation péjorative de son nom se retrouve aussi dans les faits puisque l’on réservait
toujours la rationalité à la direction, qui avait juste à prendre dans ses décisions un facteur
supplémentaire, le facteur humain. C’est pourquoi on peut plus parler d’une théorie
complémentaire au taylorisme et non d’une véritable remise en cause.
On peut noter enfin des limites d’ordre plutôt méthodologique : Mayo ne s’est pas intéressé à
l’environnement social de l’entreprise - Il n’a notamment quasiment jamais fait allusion aux
syndicats - et il a centré ses recherches sur une population très spécifique : jeunes ouvrières
sans expérience préalable de l’usine, et ce dans une logique clairement affichée d’aide au
management.
Synthèse : les enseignements
On peut résumer ces enseignements en trois grands axes :
1. Contrairement aux présupposés des théories classiques, les stimuli financiers ne sont
pas les seuls à jouer dans la productivité des ouvriers : le moral a un rôle prépondérant
sur le rendement
2. La structuration informelle est capitale dans l’organisation et détermine bon nombre
de comportements
3. L’attitude au travail dépend des relations sociales dans l’entreprise et notamment des
rapports existants entre l’encadrement et le groupe d’ouvriers
Différence entre formel et informel
La distinction entre formel et informel est très importante pour comprendre une organisation.
La structuration formelle est ce qui doit lui permettre d’arriver à ses fins de manière optimale.
Elle comprend : l’objectif de l’organisation, la spécialisation des tâches, les mécanismes de
coordination des différentes fonctions, le système d’autorité mais aussi plus généralement la
technologie, les comportements attendus, les valeurs, symboles et normes de l’organisation.
Elle est visible dans les textes juridiques définissant l’organisation, le règlement intérieur,
l’organigramme, les descriptions de postes, le journal interne, les notes de service, etc.
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Les caractères informels sont des conséquences des caractéristiques formelles qui auront été
détournées par les employés.
Les deux sont donc bien sûr indissociables et à prendre en compte lorsqu’on étudie une
organisation.
Erving Goffman distingue en conséquence deux façons de s’adapter aux contraintes
organisationnelles : les réponses primaires qui cherchent à répondre aux règles formelles et les
adaptations secondaires qui vont chercher à modifier le rôle qu’on a assigné de manière à en
tirer un profit personnel. Attention, ce profit peut prendre des formes très diverses, comme le
cas étudié par Goffman en institution totale d’un investissement total dans sa tâche qui permet
à l’individu d’oublier le milieu dans lequel il vit et qu’il subit.
Les continuateurs de l’école
De nombreux chercheurs on cherché à compléter l’approche initiée par l’école des relations
humaines. Une école appelée sociotechnique a particulièrement permis de compléter les
lacunes de celle-ci.
Elle prendra notamment l’idée de système pour insister sur le fait qu’une organisation est
composée d’éléments en interaction. Cette remarque faite par l’école des relations humaines
mais sans qu’elle n’en ait saisi toutes les conséquences a été plus examinée par Eric L. Trist et
Kurt W. Bramford qui ont étudié les conséquences de l’introduction d‘une nouvelle
technologie permettant l’extraction du charbon sur le travail des mineurs. Celle-ci était
supposée simplifier un travail dur et dangereux mais eut pour effet de démotiver les employés
sans qu’une réelle hausse de la productivité ne soit perçue. L’ancienne méthode avait en effet
créé, par ses conditions difficiles, une solidarité de groupe qui ne résista pas aux
modifications technologiques entraînant une réorganisation des travailleurs. Ils conclurent
qu’une organisation efficace devait prendre en compte les composantes psychologiques
(solidarité de l’équipe) et sociales (degré de qualification du travail) dans leur interaction avec
les composantes techniques. Cette école a eu pour effet de remettre sur le devant de la scène
le groupe. On a pu voir, en application de ces principes en entreprise, le développement de
groupes autonomes ou semi-autonomes (groupe d’ouvriers sans responsable hiérarchique
désigné).
Dans la lignée d’une approche prenant en compte l’idée de système, Charles Bryce Perrow
affine la notion de but de l’entreprise en critiquant sa vision monolithique telle que proposée
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par Mayo. Il distingue six catégories de buts regroupés en deux grandes familles, les buts
externes et les buts internes :
Buts externes :
1) les buts sociétaux : le but d’une organisation est d’exercer une fonction dans la société.
Il s’agit donc de la nature de son activité (production d’acier, distribution de
ressources aux démunis, etc.). L’analyse de cet unique but est insuffisante
2) les buts de production : le but d’une organisation est de fournir un ou plusieurs biens
précis pour ses clients propres
3) les buts des apporteurs des facteurs de production : certains efforts sont destinés à
satisfaire les apporteurs (capitalistes, travailleurs, autorité de tutelle pour les
administrations)
Buts internes :
1) les buts du système : en tant que système, l’organisation poursuit des buts propres
(survie, croissance, sécurité) indépendants des autres buts (cas souvent rencontré :
accroître les ventes au détriment du profit)
2) les buts des produits : les caractéristiques des produits deviennent des buts pour les
organisations, c’est donc une sous-catégorie des buts de production mais qui va jouer
sur les divisions internes de l’entreprise et qui concernent la qualité, la forme,
l’adaptabilité
3) les buts dérivés : les buts résiduels dans lesquels sont inclus les buts personnels des
individus utilisant l’organisation pour les satisfaire
Il considère que ces buts sont indépendants des technologies et sont les vrais traits distinctifs
d’une organisation.
Les besoins et motivations
Nous allons à présent nous pencher sur une autre école influente dans de nombreuses
disciplines et qui a tiré partie du retour à l’avant-scène de l’humain pour développer ses
thèses. Cette école a eu une réelle importance dans les cabinets de conseil en management et
les milieux des cadres dirigeants pendant les année 80 et 90, bien que ses retombées pratiques
n’aient pas toujours été appliquées de manière générale.
Citons comme exemple de ces retombées l’enrichissement des tâches par les groupes
autonomes, les cercles de qualité ou les groupes d’expression des lois Auroux. Nous
reviendrons en détail sur le principe des cercles de qualité après avoir vu les théories des
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besoins et motivations. On peut les définir en attendant comme de petits groupes de 3 à 10
personnes, appartenant à la même unité de travail qui se réunissent volontairement et
régulièrement pour identifier et résoudre des problèmes relatifs à leur activité. Les groupes
d’expression sont présents dans les petites entreprises exclues du dispositif de représentation
du personnel (CE, délégués d’entreprise). Il n'y a pas de représentants. Les employés ont droit
à la parole. Ils s'expriment sur l'organisation et les conditions de travail.
Les théories
Les théories des besoins et motivations sont basées sur l’idée que l’homme a des besoins
qu’elles qualifient de « naturels » et qui le poussent à agir. Ces besoins doivent être respectés
pour que l’homme s’épanouisse au travail et soit, par la même occasion, plus coopératif et
plus productif.
Le plus célèbre des théoriciens de ce mouvement, bien malgré lui14, est Abraham Maslow, qui
a bâti une théorie des besoins où ceux-ci sont indispensables à la vie humaine. Il les conçoit
comme physiologiques et instinctifs pour certains, mais aussi culturels et sociaux. Ce sont eux
qui vont donner des motivations à l’homme pour agir. Bien qu’Abraham Maslow ne l’ait
jamais proposé, les managers employant ses théories ont décidé de hiérarchiser ces besoins.
La pyramide part des besoins organiques, passe par les besoins de sécurité, d’appartenance,
d’estime et aboutit aux besoins de réalisation de soi. Les premiers sont à satisfaire avant les
derniers - pas que ceux-ci n’apparaissent que quand les stades précédents sont satisfaits mais
14 Ses théories s’appliquent en effet à des patients souffrant de graves troubles psychologiques et placés en institutions psychiatriques. Il s’est donc publiquement exprimé contre le détournement de ses théories à des fins gestionnaires ou marketing.
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parce que la pleine satisfaction d’un besoin ne peut advenir que si ceux d’ordre inférieur le
sont aussi. On perçoit donc une idée de progrès linéaire allant vers le mieux.
La société moderne nous aurait permis de satisfaire les premiers besoins dans les pays
occidentaux. On peut justifier cette idée par le fait que les revendications de salaire cèdent le
pas à d’autres types de revendications portant sur la sécurité de l’emploi, au travail. Il
demeure nécessaire cependant de bien s’assurer que le premier niveau est satisfait avant de
commencer à essayer de répondre au second, car selon les théories des besoins, s’attaquer aux
besoins de sécurité serait vain si ceux organiques sont encore mal comblés.
Le besoin d‘appartenance est visible dans les mouvements de solidarité de classe comme le
militantisme syndical par exemple ou, sous une autre forme, le désir de promotion qui
correspond à un désir d’identification à une autre classe.
Le besoin d’estime se divise en deux parties, l’estime de soi et le prestige social. La division
du travail rend difficile la première. C’est ce à quoi veulent parer les groupes autonomes de
travail et l’enrichissement des tâches. Le prestige a un rôle moins développé dans le cas de
l’entreprise moderne. La réussite technique est en effet moins mise en avant que dans le
compagnonnage, avec l’élaboration du chef d’œuvre, remplacée désormais par des critères
extraprofessionnels comme le diplôme.
Le besoin d’accomplissement est peu défini, de manière floue. Cependant celui-ci est
fondamental car le plus élevé. Il correspond à la vocation personnelle, à la réalisation de sa
personnalité telle que désirée.
Apports et limites
Les besoins ont fortement enrichi la vision de l’homo-economicus et leur distinction a permis
de distinguer des grandes catégories de revendications pour ne pas toujours croire affronter
une revendication salariale (beaucoup de conflits ont été mal réglés car portant juste sur cette
dimension).
Cependant, elle comporte aussi deux limites importantes. La plus importante est cette
hiérarchisation des besoins qui perd de sa valeur distinctive si l’on souhaite les rendre
dépendants successivement les uns des autres. Bien que cette hiérarchie ait une logique
évidente, dans la réalité les comportements des personnes ne la respectent pas. L’être humain
n’a pas la logique qu’on lui suppose dans les théorisations de son comportement : il est
fréquent de voir quelqu’un ayant du mal à payer son loyer ou à faire ses courses s’acheter une
magnifique voiture, partir régulièrement en WE, etc. Dans l’entreprise, ceci est visible dans le
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cas d’employés acceptant une baisse de salaire pour aller vers un emploi qui leur plaît
davantage (inversion de l’organique et du réalisation de soi), qui leur permet de retrouver des
collègues (inversion de l’organique et du social), et les cas sont extrêmement nombreux. De
même, toute action ou revendication comporte en général un mix de besoins tels que définis
par Maslow et il est illusoire de penser pouvoir les isoler dans des actions précises.
La deuxième critique majeure tient au fait que les besoins, qui sont des éléments strictement
psychologiques propres à un individu, sont convertis en enjeux sociaux directement sans que
ce passage ne soit interrogé. On tombe dans ce qu’on appelle le béhaviorisme, c’est à dire la
détermination du comportement en fonction de critères purement individuels alors que fait
social et comportements individuels n’ont pas de lien évident. La sociologie récuse toute
possibilité de faire découler directement les faits sociaux de la simple analyse de
comportements individuels. C’est ignorer des éléments comme le calcul économique, la
stratégie de l’individu (donc établie en rapport aux autres), les stratégies des groupes sociaux
constitués, l’influence de l’environnement au sens large.
On peut ajouter que la vision universaliste des besoins mérite d’être nuancée par le fait que,
même si nous acceptons cette typologie, la plupart de ces besoins, même les plus primaires,
sont construits socialement et varieront énormément d’une culture à une autre : le pauvre d’un
pays riche n’est pas celui qui ne peut satisfaire ses besoins organiques mais celui qui doit pour
cela renoncer à certains d’ordre supérieur.
Un exemple tiré des besoins mis en place en entreprise : les cercles de qualité
Définition : les cercles de qualité sont de petits groupes de 3 à 10 personnes, appartenant à la
même unité de travail, qui se réunissent volontairement et régulièrement pour identifier et
résoudre des problèmes relatifs à leur activité. Ils se composent d’un animateur qui fait partie
du personnel d’encadrement. On attend de celui-ci qu’il :
• Connaisse les méthodes et outils de la qualité
• Soit directif sur la méthode et sans opinion sur le fond.
• Fasse parler tout le monde et s’adapte à la personnalité de chacun.
• Soit formé spécifiquement.
Il nommera un secrétaire qui axera son compte-rendu sur les points d’entente et ceux à
étudier.
Le but de ce type de réunion est bien sûr d’améliorer tout un ensemble d’éléments parmi
lesquels on peut citer : les méthodes de production en diminuant les coûts, l’organisation du
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travail, les relations et les conditions de travail, l’information et les moyens de la partager, la
concertation, la sécurité au travail.
De manière plus générale, il s’agira aussi de développer les compétences professionnelles des
personnes y participant tout en favorisant leur développement personnel et d’augmenter
l’engagement du personnel au sein de l’entreprise tout comme son adhésion aux décisions. On
voit bien à travers ces objectifs les marques de la prise en compte des types de besoins définis
par Maslow.
Ces groupes ont trois caractéristiques majeures : 1) des réunions régulières dans lesquelles on
traite 2) de problèmes circonscrits et concrets en suivant 3) une démarche rigoureuse de
résolution de ceux-ci.
Les réunions ont donc une périodicité de 2 ou 3 semaines, elles durent environ 1h ou 2h, et se
déroulent pendant les heures de travail. Le calendrier est convenu d’avance et il est possible
d’inviter quelqu’un. Chaque problème est suggéré par les membres du cercle ou leurs
collègues de travail. Ils relèvent de l’une des catégories que nous avons vues dans les
objectifs. Le processus se déroule en quatre phases qui sont :
a) Premièrement, une phase d’expression où les membres vont dresser l’inventaire des
différents problèmes, les classer et déterminer lequel ils traiteront en priorité.
b) Deuxièmement une phase d’analyse qui consistera à affiner l’étude du problème grâce aux
outils auxquels les membres ont été formés.
Le cercle vérifie sur le terrain le bien-fondé de ces analyses et consulte les personnes et les
services concernés. Cette phase se conclut par un diagnostic le plus précis possible des causes
du problème.
c) Troisièmement, une phase de résolution de problème qui comprend
• La recherche du plus grand nombre possible de solution,
• Le classement et l’évaluation de leur pertinence,
• La définition et la comparaison de deux ou trois,
• La proposition de la solution à retenir,
• La formulation d’un plan pour la rendre effective.
d) Quatrièmement, une phase de suivi et de contrôle où le cercle doit se soucier des suites de
sa recommandation, du point de vue de la mise en œuvre et du point de vue des résultats
obtenus.
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Les outils utilisés en phase b) sont de plusieurs ordres. Le cercle n’a pas à les maîtriser tous,
d’autant plus que la formation des membres est souvent courte.
• Les outils de collecte : feuille de relevés, histogrammes, cartes de contrôle...
• Les outils de créativité : brainstorming, carte mentale (méthode d'organisation des
idées, sous forme de dessin ou d'arborescence)...
• Les outils d’analyse : diagramme d’Ishikawa (diagramme composé de flèches, souvent
issu d’un brainstorming et qui place le long d’une flèche centrale pointant vers l’effet 3 à
6 arêtes principales constituant les catégories de causes et dans lesquelles sont ajoutées
des flèches représentant les causes relevant de cette catégorie), de Pareto (histogramme
classant les phénomènes par ordre d’importance), QQOQCP (liste de questions permettant
de bien poser un problème)
Exemple : Une non-conformité est apparue sur les produits fabriqués dans l'entreprise X au
niveau du service production. Tous les lots sont non-conformes. Le responsable qualité est
chargé d'analyser les solutions pouvant supprimer la non-conformité.
On a établi sept règles d’or des cercles de qualité :
1. Les membres du cercle doivent être libres de participer (liberté d’adhésion, libre choix
des problèmes à traiter, ambiance et habileté de l’animateur)
2. Miser sur le volontariat
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3. Développer un état d’esprit d’ouverture et de créativité (On fait appel à l’intelligence
du personnel, à sa capacité à suggérer des adaptations pertinentes aux nouvelles
situations).
4. Respecter la dynamique d’un groupe de travail (Confier les responsabilités
d’animation à une personne capable de les assumer, préserver la petite taille du
groupe, fixer un objectif clair pour chaque rencontre, respecter un déroulement et un
calendrier préalablement agréé).
5. Intégrer les cercles dans la gestion usuelle de l’entreprise (L’encadrement doit insérer
les activités des cercles dans la fonction management : en coordonnant leurs travaux,
en assurant l’implantation des recommandations, en fournissant les ressources pour
bien fonctionner).
6. Tabler sur la formation des membres (Formation préalable au démarrage du cercle
suivie d’une formation continue - pour les membres et pour l’animateur).
7. Favoriser les échanges inter-cercles (pour rompre l’isolement, permettre l’émulation,
tirer partie de l’expérience des autres).
Les continuateurs
La théorie des besoins et motivations ne s’est pas résumée à l’apport de Maslow. Beaucoup de
chercheurs ont donné naissance à des modèles inspirés par la voie qu’avait ouverte l’emploi
des théories d’Abraham Maslow.
Notamment, une théorie développée par Douglas Mac Gregor a eu une grande notoriété sous
le nom de théories X et Y. Il a tenté de développer une théorie aidant à la direction. Il étudie
les formations données aux futurs dirigeants et part du principe que l’essentiel de ce qui fait la
fonction de dirigeant est déterminée par l’idée que se font ceux-ci de leur tâche. Cette idée
repose selon lui sur trois hypothèses :
1) L’individu moyen éprouve une aversion innée pour le travail et fera tout pour l’éviter
2) Il faut donc le contraindre et le contrôler, le diriger, le menacer pour obtenir de lui les
efforts nécessaires à la réalisation des objectifs de l’organisation
3) L’individu moyen préfère être dirigé, éviter les responsabilités, est peu ambitieux et
recherche avant tout la sécurité
Mac Gregor démontre l’absence de fondement de cette thèse basée sur des prénotions. Il note
cependant que ces principes sont les seules choses réellement retenues par les étudiants alors
que ceux-ci sont implicites et jamais formulés strictement. La formation n’est pas retenue au
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niveau du contenu des cours mais seulement au niveau de l’idée que se font les dirigeants des
travailleurs.
Il oppose donc une deuxième théorie, Y, à la première :
1) L’effort au travail est aussi naturel que l’effort au jeu ou le plaisir du repos, le travail
peut être source de satisfaction
2) Le contrôle externe et la menace de sanctions ne sont pas les seuls moyens d’obtenir
un travail utile, l’homme peut se diriger lui-même s’il accepte les objectifs de son
travail
3) La meilleure récompense pour obtenir la participation des employés est la satisfaction
de leurs besoins sociaux et égoïstes
4) L’homme ordinaire peut apprendre à accepter et même à rechercher les responsabilités
5) Beaucoup d’hommes sont capables d’un apport créatif dans une organisation
6) Il est rare que toutes les potentialités intellectuelles d’un homme ordinaire soient
utilisées dans le monde d’aujourd’hui
Celle-ci ne permet plus aux mauvais dirigeants de se retrancher derrière la mauvaise nature
humaine et permet de modifier l’approche managériale, ouvrant la porte à la participation du
subordonné dans la direction par objectifs ou remplaçant l’évaluation critique par l’aide en cas
de difficulté.
Cependant, des biais majeurs demeurent dans cette seconde approche. Mac Gregor remplace
une idéologie par une autre car il ne fonde pas plus sa deuxième théorie sur du concret que ne
l’était la première. Il ne permet donc pas d’expliquer les raisons de cette idéologie. La théorie
des besoins trouve ici ses limites qui seront dépassées par l’approche stratégique
Un autre auteur connut un plus grand succès: Frederick Herzberg. Il a en effet proposé de
prendre deux mythes principaux autour de la nature de l’homme, représentés respectivement
par la figure d’Adam et celle d’Abraham.
Adam est créé parfait mais il est expulsé du Paradis Terrestre après avoir goûté au fruit de
l’arbre de la connaissance. Son nouveau milieu est donc aliénant et il y est pour expier sa
faute, cherchant à éviter les nombreux maux de son environnement.
Abraham est un être plein de ressources, au potentiel inné important et qui a été choisi par
dieu pour être son émissaire sur Terre. Il aspire donc à se développer par ses actions.
Les deux sont indépendants, tout individu est donc composé à la fois d’Adam et d’Abraham.
Il en découle deux types de besoins : l’instinct animal d’échapper à la douleur et l’aspiration
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humaine à grandir psychologiquement. Herzberg se sert de cette dichotomie pour tirer de ses
enquêtes empiriques 5 facteurs de satisfaction au travail :
1. les accomplissements
2. la reconnaissance
3. le travail en lui-même
4. la responsabilité
5. l’avancement
Il ne se contente pas d’interroger le contentement. Il livre aussi les facteurs de
mécontentement :
1. la politique de l’administration de l’entreprise
2. les qualités et défauts du supérieur
3. la rémunération
4. les relations interpersonnelles
5. les conditions de travail
Il nomme les premiers facteurs valorisants et les seconds facteurs d’ambiance.
On voit qu’Herzberg vise à parer les lourdeurs bureaucratiques en matière d’information et
alléger la structure de l’organisation. Cependant, le postulat de développement par le travail
n’est pas plus interrogé. Ces résultats démontrent qu’une meilleure organisation aboutit à des
rendements plus élevés, mais le rôle des valorisants n’y est pas démontré : la question de
comment obtenir cette organisation favorisant de meilleurs rendements reste entière. On peut
rappeler d’ailleurs que ces théories des besoins n’ont jamais pu prouver définitivement le lien
entre satisfaction et productivité : avoir ses besoins satisfaits ne va pas nécessairement faire
faire son travail à quelqu’un. Le lien a davantage été établi entre insatisfaction et absentéisme,
maladie ou turnover.
Cependant, cette approche, comme les autres issues de la théorie des besoins, a le mérite de
réhabiliter la motivation au travail. Elle permettra aussi à Herzberg de faire la distinction entre
satisfaction et insatisfaction : les deux ne sont pas liées et ont des causes différentes. Elles ne
constituent pas un simple arc allant du plus satisfait au plus insatisfait. Ainsi des sanitaires
sales sont une source importante d’insatisfaction, mais le fait qu’ils soient propres n’apportera
pas de satisfaction particulière à l’employé qui considérera cela normal. Ceci explique que des
employés bénéficiant de tout un ensemble de critères censés les satisfaire soient malgré tout
insatisfaits ou que des employés n’ayant pas de raisons de se plaindre ne soient pas non plus
satisfaits. Ce que Herzberg appelle la théorie bifactorielle des satisfactions est très important.
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Il distingue les facteurs d’hygiène, source d’insatisfaction, et les facteurs de satisfaction. Les
premiers sont liés au contexte du travail, à l’environnement du salarié, les seconds sont liés au
contenu du travail et aux relations entre personnes et groupes.
Les facteurs de motivation vont être plus approfondis par un certain nombre d’auteurs. C’est
le cas de Campbell, Lawler et Porter qui définissent, dans un modèle appelé expectation-
valence, la motivation au travail en retenant trois éléments principaux :
1. La valence des récompenses qui concerne l’intérêt que vont représenter ces dernières
(sont elles suffisantes eu égard aux efforts nécessaires ?) ;
2. Les résultats que l’employé se pense capable d’obtenir (évaluation personnelle de ses
chances) ;
3. Les récompenses que peuvent lui apporter ses résultats professionnels (l’employé peut
être jugé sur des critères qui ne lui semblent pas les mieux adaptés pour son travail15)
Ce modèle permet d’expliquer que chacun saisit son travail différemment car il met en avant
non seulement la diversité des psychologies individuelles mais aussi la possible rupture entre
les modes de jugement de l’entreprise et les différentes tâches à remplir à un poste.
En outre, ils ajoutent que les récompenses peuvent être externes (salaire, avantages sociaux)
ou internes (estime, augmentation des responsabilités, liberté d’action).
Dans le même esprit, l’idée d’équité ressentie par l’individu a été analysée par Jacques,
Adams et Weick. Celle-ci se fonde sur le principe que chacun estime plus ou moins
consciemment son apport à l’entreprise (estimé en référence à la compétence, à l’expérience,
au sérieux, au temps) et qu’il compare ce qu’il pense apporter à ce qu’il reçoit
personnellement et en comparaison aux autres membres de l’entreprise (en terme de salaire,
estime, statut, responsabilité). L’employé peut se juger lésé. On parle alors de « dissonance
cognitive »16. Il adaptera son comportement en fonction de ce jugement et pourra ainsi être
motivé à travailler ou au contraire démotivé par son sentiment d’iniquité. Si le sentiment
d’équité semble influer sur la motivation au travail, il faut cependant rester conscient que cette
notion demeure difficile à rendre opératoire car il ne s’agit pas d’une équité objective mais du
vécu psychologique des personnes. Garantir une certaine forme d’équité ne préserve donc pas
de ce sentiment et de son corollaire, la démotivation.
15 Un commercial favorisant la recherche de nouveaux clients se sentira lésé si les critères d’évaluation de son travail ne portent que sur le chiffre d’affaire, mais cette évaluation pourra en satisfaire d’autres.16 De Festinger en 1957 : état de tension psychologique ressenti par un individu lorsqu’il perçoit que deux informations qu’il considère comme vraies sont contradictoires. Il va donc essayer de réduire celle-ci en recherchant des informations supplémentaires de façon à vérifier ses connaissances ou en rejetant les informations qu’il considère gênantes. Ce deuxième cas peut aboutir à des refoulements.
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On associe à l’idée de motivation l’idée d’implication. Cette dernière est définie comme « le
degré auquel une personne s’identifie psychologiquement à son travail ou l’importance du
travail pour son image de soi » et « la mesure dans laquelle la performance au travail affecte
l’estime de soi de l’individu » (Lodahl et Keijner).
Ils reconnaissent donc une dimension cognitive concernant la connaissance qu’à l’individu de
soi-même et de son identité, une dimension conative, liée à l’action de l’individu, sa part dans
la production et enfin une dimension évaluative, l’individu liant cette action à la définition de
sa valeur personnelle. On voit donc comment le travail peut se lier au plus haut des besoins de
Maslow, celui d’accomplissement et garantir à l’organisation l’implication de ses membres.
Bien qu’on puisse reprocher leur behaviorisme aux théories des besoins, celles-ci ont tout de
même donné des résultats assez intéressants en ce qui concerne l’analyse du poids du groupe.
Une expérience devenue très célèbre de Kurt Lewin a ainsi illustré le phénomène de
résistance aux changements et l’influence qu’y exerce le groupe.
Lors de l’entrée dans le conflit des américains pendant la deuxième guerre mondiale, les
autorités ont voulu inciter la population à consommer les abats, parties méprisées et difficiles
à conserver, pour éviter le rationnement des autres morceaux de viande. Le problème était
donc de changer les habitudes d’un groupe, en l’occurrence les ménagères américaines.
Kurt Lewin fut appelé par les autorités pour proposer une méthode efficace. Il effectua deux
types de tests sur des clubs de ménagères de petites villes. Certains furent conviés à des
conférences vantant les mérites des abats et indiquant des recettes pour bien les préparer (et
les présenter). Les autres clubs furent informés brièvement du but à atteindre puis incités à
mettre en place des discussions où l’on demandait aux ménagères de trouver ensemble, sous
la houlette d’un animateur, des idées pour faire changer les habitudes « d’autres ménagères
comme elles » à l’égard de ces viandes.
Les effets sur la consommation furent dix fois supérieurs dans le deuxième cas.
On ne s’est en effet pas adressé à un individu solitaire, comme on le fait avec des conférences
(ou de manière plus générale avec de la communication de masse), mais à un collectif. On
identifie ici ce que l’on nomme les normes de groupe. Il est plus facile selon Lewin de
modifier les attitudes d’un groupe que celles d’un individu qui craint de s’écarter de son
groupe d’appartenance et d’en être mis au banc. Le fait de laisser au groupe le soin de trouver
ses propres solutions est un facteur supplémentaire de succès évitant les tensions souvent
issues d’impositions extérieures. Ceci est appelé le « changement planifié » car issu d’un
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processus négocié par l’ensemble des acteurs et mis en place progressivement par
l’organisation.
Le groupe est en effet un acteur fondamental à prendre en compte comme nous avions déjà pu
le soutenir. Les théories des motivations vont permettre de comprendre un peu mieux son
influence, ses logiques et la portée de son pouvoir.
La normalisation - consistant pour les individus appartenant à un groupe à construire des
représentations identiques du monde pour demeurer dans un même cadre de référence et ainsi
améliorer la communication et donc le fonctionnement du groupe - a été mise en évidence en
1936 par Sheriff.
Cette influence peut s’avérer radicale au point de nier l’évidence. L’École de Palo Alto
multipliera ainsi les expériences basées sur le mensonge et la modification de la réalité pour la
majorité d’un groupe. Les personnes ayant vu la réalité non modifiée abandonnaient leur
croyance face au reste du groupe qui était pourtant dans le tort.
Une expérience de Stanley Milgram est ainsi très connue pour les questions dérangeantes
qu’elle pose. Il a pu vérifier que certaines personnes pouvaient faire des choses qu’elles
réprouveraient en temps normal sous l’influence des normes du groupe. Son expérience est la
suivante. Une personne recrutée par annonce est placée devant une console électrique. Un
chercheur en blouse blanche lui indique que sa tâche sera d’administrer une sanction à un
élève attaché à une chaise électrique si celui-ci répond mal aux questions qui seront posées.
Les expérimentateurs sont placés à côté de la personne testée et lui demandent d’augmenter la
charge électrique de 15 volts à chaque mauvaise réponse. L’élève est en fait un acteur qui
simulera au fur et à mesure une douleur de plus en plus grande et des malaises. A 150 volts, il
est chargé de supplier qu’on le libère et à 285 il doit pousser un cri d’agonie. Les résultats
sont frappants : la moyenne des chocs administrés au 30ème et dernier essai est de 212 volts.
Un peu plus de la moitié des testés sont allés jusqu’à 450 volts et seulement un quart ont
interrompu l’expérience avant 225 volts.
Ceci nous permet non pas de juger l’âme mauvaise de l’humanité mais de voir l’influence que
peut avoir un groupe sur la personne.
Milgram les classe en trois catégories :
1. L’affiliation incite les individus conformistes à coopérer mais ils seront également
conventionnels et dépendants ;
2. La mise en conformité favorise le consensus qui facilite l’action individuelle et
sociale ;
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3. Enfin, la légitimation permet au point de vue majoritaire de jouir du prestige de la
vérité et de la norme.
Ceci se vérifie dans les organisations à risque où le travail est dangereux. Une acceptation
ouverte de ce danger n’étant pas possible, les groupes forment des règles de conjuration du
danger que les membres seront contraints de suivre17.
Cette fonction coercitive du groupe amène à envisager l’idée de leadership qui va compléter
l’approche par formes d’autorité.
Lewin, aidé de Homans et Bales, insiste sur le fait que le leader est produit par le groupe. A
l’opposé de l’opinion courante plaçant les leaders comme des êtres extraordinaires dotés de
facultés spécifiques qui seules l’ont rendu capable d’en arriver là, ils montrent ce que cela
suppose d’adhésion du groupe. Transplanté dans un autre environnement, le leader n’aura pas
toujours les mêmes résultats.
On doit distinguer leader de manager. Là où le pouvoir du second est dû à des critères
exogènes au groupe (succession, nomination), le leader ne le détient pas nécessairement de
l’institutionnalisation du rôle qu’il remplit mais de ses rapports avec le groupe dans lequel il
évolue. Il est bien sûr préférable de bénéficier de ce leadership car notre autorité s’exercera
ainsi sur le groupe entier et non sur chaque individu. On a vu à quel point le groupe a un
pouvoir supérieur à la somme des individus le composant. Le bénéfice à tirer de cette
dynamique est donc fondamental.
On a classé les types de leaderships en trois catégories : le leader autoritaire, le leader
démocratique et le leader permissif. Le premier décide sans tenir compte de l’opinion du
groupe, le deuxième propose et négocie les décisions au sein du groupe, le dernier laisse faire
le groupe et se tient juste disponible si l’un des membres a besoin de lui. Cette typologie a été
critiquée pour la méthode peu rigoureuse qui a servi à la mettre en place et l’engagement
idéologique qui sous tend les résultats mais elle montre, au moins dans les grandes lignes, le
climat que ces attitudes peuvent engendrer. Ainsi, les leaders autoritaires et permissifs créent
un climat tendu, agressif entre les membres du groupe et ont pour conséquence de rendre le
groupe dépendant de la présence du leader pour avoir un rendement efficace. Le leader
démocratique obtient les résultats opposés. Ces résultats ont été testés sur des classes d’enfant
et ont effectivement abouti à ces climats, mais il semble difficile de déterminer si ces styles
donneront les mêmes effets dans tous les contextes.
17 Par exemple les jeux d’adresse périlleux du BTP ou le refus de s’équiper de casques ou de harnaisDiffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
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Le courant structuro-fonctionnaliste, dont nous avons déjà parlé lors de la critique de la
bureaucratie, entretient des liens étroits avec l’approche des motivations qu’il a aussi essayé
de compléter. L’absence de prise en compte de la relation de l’individu à l’organisation est
déplorée. Les notions de rôle, de fonction, de contrôle ou d’intégration ne sont pas assez
mises en avant selon ce courant. Les « systèmes de rôles dominants » expliquent en effet
beaucoup de comportements : reprenant l’expérience du test-room, ils déplorent que l’accent
n’ait pas été mis sur le fait que les ouvrières essayaient de se conformer à l’image de « la
bonne ouvrière » qu’elles avaient, d’où des conflits entre représentations. Par ailleurs,
s’intéresser au groupe finissait par occulter que ce groupe ou ses membres devaient aussi
s’accorder avec un système en place, composé de règles, d’objectifs, de liens contractuels et
informels.
Le fonctionnalisme issu des théories des besoins est adapté au structuralisme car on prend
cette fois en compte les besoins du système qui, selon cette école, entrainent des
comportements de ses membres.
La question qu’ils se posent principalement est celle de la survie d’une organisation à travers
toutes les évolutions qu’elle subit. L’accent sera donc mis sur l’explicitation de comment des
individus aux personnalités différentes apprennent un modèle de relation qui leur est imposé
par l’organisation.
Robert K. Merton que nous avons déjà cité est l’un des représentants les plus connus de cette
école. Outre le concept de dysfonction que nous avons déjà examiné, il complexifie
l’approche de l’idée de fonction en avançant qu’il existe des fonctions latentes et manifestes.
Les fonctions manifestes, créées dans un but précis par l’entreprise, peuvent donner naissance
à des fonctions latentes, inattendues mais qui peuvent se révéler vitales pour l’entreprise18.
Bien que voulant ainsi expliquer le changement social (question de fond des structuro-
fonctionnalistes), Merton ne se penche pas assez sur les membres de l’organisation et en reste
à un niveau général dans la définition de ses concepts. S’il est évident que ces deux types de
fonctions sont présents dans un système, il est en effet difficile d’en tirer des explications
pratiques sur l’évolution des organisations.
Talcott Parsons va essayer de se centrer sur les normes imposées et créées par les systèmes.
Ce concept explicatif reconnu comme central en sociologie va être appliqué par Parsons aux
organisations avec succès.
18 Par exemple les clubs de sport qui deviennent des lieux de sociabilité.Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/49
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Il définit les organisations comme un système social organisé pour la réalisation de certains
buts. Ceci implique deux choses : 1) que l’organisation se structure en conséquence et 2)
qu’elle tienne compte du fait que les individus qui travaillent en son sein sont différents. Il va
donc falloir obtenir un système social cohérent, visant un but commun, bien qu’il soit
composé d’individus et groupes différents. On voit ici la thèse structuro-fonctionnaliste
appliquée de manière claire : l’organisation est comparée à un organisme vivant dont la survie
dépend de ses relations avec son environnement. Parsons établit une catégorisation des
organisations en se basant sur leurs buts et les fonctions qu’elles remplissent dans le système
social global. Il propose un modèle abstrait où les structures sociales sont interdépendantes.
Chaque organisation a donc une fonction, comme les reins ou le cœur dans le corps humain.
L’armée a pour but de défendre la nation, les entreprises ont pour but de produire tel ou tel
type de biens, etc. Et ces organisations sont dépendantes les unes des autres pour mener à bien
leur tâche. Elles ne sont donc jamais totalement réductibles à leur but. Par exemple une
entreprise produisant un bien doit respecter des normes dictées par la société l’environnant.
Parsons propose que les organisations s’assurent que quatre fonctions essentielles qu’elles
partagent avec les autres systèmes sociaux soient remplies :
• La fonction de reproduction des normes et des valeurs : il va s’agir de définir les
orientations fondamentales qui vont guider les activités des membres.
• La fonction d’adaptation : il faudra de même garantir que nous disposons des
ressources nécessaires à l’accomplissement des buts poursuivis.
• La fonction d’exécution : qui implique de gérer, pour arriver à ces buts, les ressources
humaines et matérielles nécessaires.
• La fonction d’intégration : où il sera cette fois question d’harmoniser le tout que forme
cette structure, notamment en s’assurant de la loyauté de ses membres.
Ainsi, une structure d’ensemble est bien établie et donne aux gestionnaires la possibilité
d’agir sur des facteurs essentiels. Ils peuvent essayer de faire que le système normatif propre à
la fonction que remplit leur entreprise19 soit fonctionnel, c’est à dire qu’il puisse résoudre les
problèmes posés par la situation, c'est-à-dire l’environnement20.
19 On doit effectuer un certain nombre de tâches et bénéficier d’un certain nombre de ressources pour remplir telle fonction : l’armée a besoin de ressources humaines de différents types, de chars, de missiles, de balles, pour fonctionner, elle doit organiser des manœuvres, etc.20 Une armée qui fonctionne est celle capable d’obtenir des fond, de motiver des nouveaux membres, de se déployer sur des territoires, de se faire accepter des populations civiles, etc.
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Néanmoins, ce modèle anthropomorphique suppose trop vite cette volonté d’autorégulation
qui ne laisse pas voir les stratégies personnelles ou de groupes à l’intérieur d’une structure.
On suppose que l’action des membres s’ajuste aux besoins de leur organisation, ce qui a été
remis en cause. Cette vision est à l’origine de l’image de l’entreprise allant de l’avant comme
un seul homme.
Cette école des besoins et motivations, si elle a donné de nombreux outils susceptibles de
comprendre l’organisation et d’y agir, pêche donc par l’application trop littérale de l’idée de
besoin. Tout d’abord, elle ne différencie pas toujours de qui provient celui-ci (individu,
groupe, organisation, société) et établit parfois des confusions entre eux. D’autre part, elle
hiérarchise des besoins qui sont dans les faits à la fois plus chaotiques mais aussi souvent liés
dans une même situation ou action21. Enfin, elle suppose trop régulièrement et sans
vérification une harmonie ou un but commun entre les membres, ce qui a pour effet de
masquer l’existence de buts antagonistes, de conflits d’intérêts, etc.
On peut clore cette partie sur les besoins en proposant le modèle d’Amitaï Etzioni,
structuraliste américain s’inspirant et complétant les propositions de Weber.
Son apport principal est d’avoir soutenu l’impossibilité pour une entreprise de satisfaire tous
les groupes la composant. Il ajoute donc cette idée de buts antagonistes à l’analyse des
besoins et n’en fait pas juste une conséquence d’une mauvaise organisation mais le symptôme
de conflits d’intérêts réels et permanents (comme ceux opposant la direction et les employés
par exemple).
Les besoins de l’organisation et de ses membres n’étant jamais satisfaits totalement, il est
donc logique que l’organisation mette en place un système de récompense de ceux se
conformant à ses règlements et de pénalisation de ceux qui ne le font pas.
Etzioni en conclue que le succès de celle-ci dépend de sa capacité à contrôler ses participants.
Un contrôle informel est selon lui insuffisant, le respect des normes, règlements et ordres ne
peut se faire qu’avec la mise en place d’un système formellement structuré de distribution de
récompenses et de sanctions.
Il classe les moyens de contrôle en 3 catégories :
• Physique, ce qui aboutit au pouvoir coercitif (fusil, fouet)
• Matériel, ce qui aboutit au pouvoir utilitaire (argent, avantages)
21 Par exemple, la promotion peut être à la fois l’assouvissement d’un besoin de sécurité par la plus grande rémunération qu’il apporte permettant de voir l’avenir avec plus de confiance, mais aussi d’appartenance car permettant d’accéder à un groupe social désiré ou encore d’accomplissement car on réalise ainsi une réussite professionnelle qui nous importe beaucoup.
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• Symboliques, qui aboutissent au pouvoir normatif (prestige, estime, amour,
acceptation)
Ces différentes formes vont être utilisées selon la position hiérarchique des contrôlés : les
supérieurs subissent en général le joug de moyens moins aliénants.
Il faut donc comparer des membres de même rang pour pouvoir comparer la structure de
pouvoir de différentes organisations ou des membres de rangs différents au sein d’une même
organisation s’il s’agit de diagnostiquer cette structure.
Etzioni établit une comparaison selon le mode de contrôle sur les échelons les plus bas dont il
tire une classification.
Ainsi, en rangeant les organisations par ordre décroissant selon le degré de coercition, on
obtient les camps de concentration, les maisons de correction traditionnelles (il travaille dans
les années 50 et 60), les hôpitaux psychiatriques de détention puis les camps de prisonniers de
guerre.
Pour le pouvoir utilitaire, on obtient les usines, les bureaux, les banques et les organisations
militaires en temps de paix.
Enfin, pour le pouvoir normatif, on obtient les organisations religieuses, les organisations
idéologiques et politiques, les collèges et les universités, les associations volontaires, les
écoles et les hôpitaux psychiatriques à but thérapeutique.
Etzioni considère ensuite le degré de participation de chaque membre dans son organisation
pour établir le degré de concordance entre les buts de l’organisation et les buts de ses
membres. Il en tire trois types d’implication :
1. L’aliénation où les buts de l’organisation sont en grande partie contraires aux buts des
membres. Il y a dissociation entre membres et organisation (ex : prisonniers de guerre
dans un camp, détenus dans une prison).
2. L’implication calculée où une certaine convergence est constatée mais constamment
repensée, évaluée par les membres. Il s’agit d’une implication courante dans les
entreprises.
3. L’implication morale où la convergence est grande entre les deux types de buts. C’est
pourquoi l’implication va au-delà de la simple association économique et entre dans le
domaine moral. C’est le cas dans les partis politiques ou des Églises.
En croisant ces deux typologies, il obtient neuf catégories d’organisation :
Types de pouvoir Types d’implicationaliénative calculée morale
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Coercitif 1 2 3Utilitaire 4 5 6Normatif 7 8 9
Il note que certaines corrélations entre types de pouvoir et d’implication vont favoriser
l’émergence des cas 1, 5 et 9. Celles-ci seront plus stables que les autres. Les autres formes
sont condamnées à la disparition à terme ou à l’évolution vers une forme stable.
Chaque structure des formes que nous évoquons va être fortement distincte. En particulier, le
rôle du leadership, le pouvoir de pénétration et le champ d’action y seront différents.
Rôle du leadership :
Le pouvoir de contrôle qu’une organisation possède va reposer soit sur 1) des fonctions
spécifiques (les chefs de service), 2) une personnalité (un homme persuasif) 3) les deux.
Le pouvoir personnel est toujours normatif, il se base sur la manipulation de symboles pour
susciter l’engagement. Quant au pouvoir fonctionnel, il peut être normatif, coercitif ou
utilitaire. Etzioni appelle fonctionnaire celui qui tire son pouvoir de sa fonction dans
l’organisation. Ceux disposant de capacités personnelles sont appelés leaders informels. Ceux
disposant des deux sont appelés leaders formels.
Les organisations coercitives ne peuvent avoir que des fonctionnaires, les normatives sont
principalement constituées de leaders formels et les utilitaires peuvent voir un grand
mélange22.
Pouvoir de pénétration :
Ces leaderships sont chargés de faire respecter les normes et règlements en vigueur. Mais les
organisations vont différer selon le pouvoir de pénétration des ces règles et normes. Certaines
vont avoir un pouvoir de pénétration limité, c'est-à-dire qu’elles n’auront pour objectif que de
contrôler un nombre limité d’activités accomplies en leur sein (c’est le cas des prisons).
D’autres seront au contraire très vastes comme les hôpitaux par exemple. D’autres vont aussi
chercher à faire appliquer des règles et normes en dehors de leur sein et donc infiltrer d’autres
organisations comme les organisations religieuses. Plus l’organisation est pénétrante, plus les
efforts seront grands pour maintenir un contrôle efficace (cf les dogmes religieux).
Le champ d’action :
Le dernier élément concerne le nombre d’activités accomplies conjointement par les membres
de l’organisation. Plus il est vaste, plus les membres agissent en commun (ex : usine très
22 Par exemple, il observe qu’en cas d’aliénation, dans des usines dures, cas 4, il y aura des leaders informels ouvriers. S’il y a une implication calculée, cas 5, alors le leadership formel prédominera.
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parcellisée vs groupe autonomes). Les institutions totales ont le champ d’action le plus
étendu.
Le champ d’action et le pouvoir de pénétration ne sont pas nécessairement liés. Par exemple,
l’armée établit des règles pour un plus petit nombre d’activités que celles qui sont accomplies
conjointement.
Plus le champ d’action est répandu, plus le contrôle normatif est renforcé. De même, il est
nécessaire au contrôle coercitif, mais ne convient pas au contrôle utilitaire.
C’est ce constat qui a poussé les entreprises à se retirer d’activités éducatives, récréatives ou
de logement qu’elles occupaient autrefois pour leurs employés afin d’améliorer leur structure
de contrôle.
Le schéma d’Etzioni est un classique du management qui mérite néanmoins d’être complété
(notamment la dose de pouvoir varie d’une organisation à une autre) mais demeure rigoureux
et opératoire.
Tentatives de mise à jour des facteurs définissant une organisation
Toutes ces théories proposent de comprendre les éléments jouant dans le bon fonctionnement
d’une organisation. Des auteurs vont chercher à aller plus loin dans la compréhension de
celle-ci en arrivant à en proposer une définition exhaustive qui prendrait en compte tous les
éléments qui vont jouer pour obtenir une action organisée à l’optimum.
La théorie économique classique et néoclassique
La théorie classique issue de l’économie en dit assez peu sur l’organisation.
Elle se base sur des agents représentatifs comme le consommateur ou le producteur, et
l’entreprise n’y est définie que comme une unité de production sans plus de détails. Elle n’est
là que pour convertir des flux entrants (les input : matières premières, composants, énergie,
facteur travail, capital, informations) en flux sortants (les output : biens et services produits).
Dans ce contexte, on ne peut voir ce tout « entreprise » que comme un élément totalement
rationnel cherchant la maximisation des résultats. Les problèmes d’organisation sont
totalement passés sous silence. On parle alors de « boite noire » pour définir cette unité de
production et les économistes ont longtemps estimé qu’ils n’avaient pas à en explorer le
contenu.
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Pour expliquer le fonctionnement des marchés, la théorie darwinienne des espèces est réduite
au concept de survie du plus capable et transférée à l’économie. Des physiocrates à Adam
Smith en passant par Ricardo, ce principe devient le dogme économique.
Au tournant du 18ème et du 19ème siècle, Jeremy Bentham va développer une théorie
philosophique qui demeure répandue dans les milieux économiques. Selon lui, les actions
humaines sont fondamentalement motivées par la poursuite du plaisir et l’évitement de la
douleur (on remarque la proximité avec la partie Adam de la théorie d’Herzberg). Le cumul
de ces actions égoïstes est à long terme profitable pour la société. Cette théorie que l’on peut
qualifier « d’égoïsme éclairé » complète naturellement la théorie de la régulation naturelle des
marchés de Smith et simplifie l’analyse économique puisque le travail y est considéré comme
une nécessité pénible que l’homme cherche à fuir et que seule la crainte de la famine le
pousse à effectuer.
Il reviendra à Ronald H. Coase de troubler cet ordre en posant la question du pourquoi de
l’existence d’entreprises. A partir de lui se développera une théorie de la firme qui cherchera à
répondre à quelques questions fondamentales à leur propos : comment sont elles contrôlées ?
Quels sont les objectifs poursuivis par ces lieux de coordination ?
Les économistes sont donc contraints d’abandonner leurs hypothèses de rationalité et
d’optimisation. On constate la même remise en cause que celle touchant au fonctionnement de
l’humain où la théorie de l’homo economicus rationnel est battue en brèche. William Baumol
enfoncera le clou en dénonçant lors du congrès annuel de l’American Economic Association
le paradoxe d’une discipline plaçant la fonction entrepreneuriale comme décisive dans le
processus de développement économique (voir Joseph Schumpeter pour le rôle attribué à
l’entrepreneur, notamment dans la dynamique des innovations) mais ne prenant jamais en
compte, même implicitement, le rôle de l’entrepreneur dans ses constructions théoriques. Il
dira lors de cette conférence « la théorie de la firme ignore l’entrepreneur ; comme si la pièce
Hamlet était jouée sans référence au Prince du Danemark, avec un fantôme d’envergure ».
La théorie managériale
Une première étape sera franchie avec l’idée d’entreprise managériale issue des travaux
d’Adolph Berle et Gardiner Means (1932). Celle-ci s’oppose à ce que l’on appelait dans la
théorie classique la firme-point, au service d’un but unique de maximisation du profit. Elle
reconnait la pluralité des objectifs poursuivis par des agents différents (notamment la rupture
entre d’un côté les propriétaires/actionnaires et de l’autre les dirigeants).
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Les deux auteurs ont étudié 200 sociétés pour comprendre l’organisation du pouvoir. Ils
concluent que dans la moitié de celles-ci, le pouvoir est concentré dans les mains des
dirigeants salariés tandis que l’actionnariat est dilué. Ils appellent ce mode de régulation
économique caractérisé par la séparation entre la fonction de propriété et la fonction de
direction le « capitalisme collectif ». L’analyse économique de l’entreprise tirera parti de cette
distinction pour se développer. En effet, la séparation entre ces fonctions rend possible les
conflits entre elles. Bien que les intérêts de ces deux fonctions convergent régulièrement,
William Baumol va s’attacher à montrer que les buts des entrepreneurs (les dirigeants) -
supposés être en toute logique la maximisation des profits de leur entreprise, tandis que les
actionnaires cherchent pour leur part à obtenir les dividendes maximum, buts convergents
donc - peuvent différer. Il note que les dirigeants cherchent en général à maximiser les
résultats (le chiffre d’affaire) et non les profits. Ceux-ci ont en effet tout intérêt à ce que ce
chiffre d’affaire soit le plus élevé puisque c’est lui qui indique la taille des entreprises et donc
le salaire de leur dirigeant. « Les salaires des hauts dirigeants apparaissent comme bien plus
étroitement liés à l’échelle des opérations de la firme qu’à sa profitabilité ». Il testera son
hypothèse en s’aidant de modèles mathématiques et pourra en conclure qu’à niveau
acceptable de profit, les dirigeants vont favoriser la croissance de leur entreprise et la
conquête de parts de marché. De nombreux auteurs et Baumol lui-même chercheront par la
suite à affiner cette constatation en substituant la maximisation du taux de croissance des
ventes au profit, ou encore la référence à certaines dépenses ou le taux annuel de croissance
(estimation à partir des ventes, de l’effectif et de la capitalisation boursière). Toutes ces
remarques ayant pour intérêt de bien illustrer la diversité des objectifs poursuivis. On peut
d’ailleurs y ajouter des motivations d’ordre non pécuniaires comme le prestige ou la carrière.
L’évolution dans le temps de l’entreprise est une autre manière d’enrichir la vision des buts
dans l’organisation. Il peut y avoir en effet rupture entre créateurs et participants ultérieurs,
ces derniers rejoignant l’entreprise pour d’autres raisons que celles ayant motivé les créateurs.
Chester Barnard en conclue qu’une organisation, pour survivre ou prospérer, doit satisfaire
certains buts :
• soit ses buts premiers (logique de mission), mais ceux-ci ne sont pas toujours clairs.
Ce peut être le cas d’associations par exemple, où les raisons de leur existence sont en
général explicitées dans leurs statuts, mais la plupart des entreprises n’ont pas
d’objectifs aussi clairement affichés.
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• soit satisfaire les buts des membres (logique de fonctionnement), ce qui complexifie le
problème. Il y a en effet divers buts à faire entrer dans la balance pour trouver une
stabilité. Par exemple, un dirigeant peut choisir d’assurer un minimum de rentabilité à
son entreprise mais de conserver les talents qui s’y trouvent en leur proposant des
salaires élevés, des perspectives de carrière et des emplois intéressants.
La convergence entre ces deux types de buts est moins fréquente que l’on ne peut l’espérer.
Max Weber notait déjà l’existence d’organisations continuant d’exister après avoir perdu leurs
buts initiaux. Celles-ci satisfont alors d’autres types de buts des membres. Le problème
devient alors de gérer ces divers buts et les contradictions qu’ils peuvent engendrer. Ceci va
bien sûr à l’encontre de la vision communautaire de l’entreprise qu’on peut déceler dans des
expressions du type « buts de l’organisation », « les buts communs ». Philippe Bernoux
souligne : « il n’y a pas de buts communs, mais les objectifs des dirigeants. La conséquence
en est une désacralisation de l’autorité, dont les directives sont comprises comme des choix
faits par des acteurs et non imposés par une nécessité ».
Il faut donc distinguer les buts de l’organisation des objectifs individuels, lesquels peuvent
varier et se hiérarchiser différemment. On est loin de la « fonction de prévoyance » de Fayol.
En effet, l’élaboration d’un programme d’action en vue de préparer l’avenir passait selon lui
par tous les services et les fonctions de l’entreprise et devait répondre aux caractéristiques
suivantes : l’unité (tous les programmes techniques, commerciaux, financiers, doivent être
unifiés par des objectifs compatibles et convergents) ; la continuité (les prévisions à long
terme doivent être reliées aux prévisions à court terme) ; la flexibilité (le programme unifié
doit être suffisamment souple pour s’adapter aux circonstances) ; la précision (il ne doit pas
être vague au risque de se lancer davantage dans une aventure que dans une entreprise). Cette
vision édénique ne colle en rien à l’idée de multiplicité des objectifs, de leur versatilité et de
leur cohérence toute relative.
La théorie comportementale de l’organisation
La théorie comportementale de l’organisation va tenter de proposer une vision plus réaliste de
ces buts réunis dans l’organisation, principalement par le travail de James March et de
Richard Cyert. Ils proposent de voir l’organisation comme « une coalition interactive de
différents groupes d’individus, aux objectifs conflictuels ». Ils estiment qu’un accord global
ne réduit pas les risques de conflit car les problèmes sont traités successivement et trouvent
des réponses locales. Leur apport est d’avoir proposé de partir des stratégies d’acteurs (ou des
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coalitions d’acteurs) pour comprendre le contrôle du processus décisionnel. Ils iront jusqu’à
professer que seuls « les acteurs ont des objectifs ; les collectivités n’en ont pas ». L’étude se
centrera donc sur ces individus cherchant à arriver à leurs fins par des alliances. Les auteurs
en déduisent trois modes possibles de définition des objectifs :
• Un processus de discussion (qui permet de fixer les termes généraux de la coalition et
sa composition)
• Un processus interne de contrôle (définissant, élaborant et révisant les objectifs)
• Un processus d’ajustement par l’expérience (qui altère les accords selon les
changements survenant dans l’environnement)
Les individus agissent en fonction des autres, en réponse ou en anticipation de leurs actions.
Ils pourront mettre en place des stratégies plus ou moins offensives. Les objectifs seront
hiérarchisés, mais selon un ordre qui dépendra des jeux de pouvoir entre chaque groupe. La
hiérarchie variera donc selon ces derniers, d’une entreprise à une autre mais aussi au sein
d’une entreprise.
Le problème qui se pose au niveau de l’organisation est donc de maintenir un minimum de
stabilité, de limiter l‘incertitude. Pour cela elle mettra en place des « procédures internes »
gérant les réactions à court terme (par exemple, la négociation avec les fournisseurs de délais
de livraison standards ou de prix fixes à l’année). Ces routines vont permettre une certaine
prévisibilité qui restera tant que le statu quo tiendra (donc tant que la situation est jugée
satisfaisante par les groupes).
Face à un événement non prévu s’engage une recherche de solution adaptée. Dans ce cas, elle
n’est pas la recherche de la solution optimale, elle se base sur un « surplus organisationnel »,
c'est-à-dire un excédent de ressources permettant de ne pas modifier sa conduite23. Ce mou
organisationnel (caractérisé par l’excédent des ressources disponibles sur les ressources
nécessaires, cf théorie Y) est l’élément assurant la stabilité relative de l’organisation.
March et Cyert proposent donc ici un modèle de prise de décision en situation conflictuelle
(juxtaposition de rationalités locales, sans cohérence d’ensemble) qui préserve un certain
niveau de stabilité.
Ces auteurs préfigurent ce que sera l’analyse stratégique en insistant sur cette caractéristique
de stratégie de groupe que l’analyse behavioriste mettait de côté, mais ils ne font qu’évoquer
le pouvoir sans lui donner un rôle central, ce que Crozier et Friedberg feront. De la même
23 Exemple : dans un service commercial, les bugs informatiques seront pris en charge par l’un des commerciaux, dépassant ici sa fonction, ce qui permet de ne pas avoir à modifier l’organisation.
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manière, on peut reprocher à March et Cyert d’avoir proposé un modèle descriptif, utile pour
la compréhension de l’entreprise, mais difficilement utilisable.
L’école de la contingence
D’autres auteurs vont s’attacher à de nouvelles dimensions de l’organisation pour tenter d’en
faire découler sa forme. Le principe de cette école nommée « école de la contingence » sera
de faire reconnaître la diversité des formes d’organisation, empiriquement évidente. Ils vont
donc chercher à faire découler l’efficacité des organisations de leur structure particulière
rattachée à un contexte particulier (qui pourra être ses objectifs mais nous verrons aussi qu’ils
se pencheront sur d’autres éléments).
Exemple : l’armée et une agence de publicité ont des objectifs très différents. La seconde
travaille sur des projets précis qui nécessitent créativité, travail d’équipe, communication, et
adaptation aux caractéristiques du client. On peut en conclure la nécessité d’une structure
souple, peu formalisée (règles, normes, etc.) et peu hiérarchisée (autonomie personnelle,
rapports d’égal à égal, etc.). L’armée quant à elle se situe à l’opposé avec la nécessité d’une
structure très hiérarchisée, réglementée précisément afin de coordonner et d’encadrer de près
des grands groupes d’individus pour exécuter parfaitement et le plus rapidement possible les
ordres donnés. Les deux sont cependant efficaces.
Les auteurs de cette école vont tenter de répondre à des questions se posant sur le terrain :
pourquoi telle entreprise est performante alors que telle autre ayant la même activité ne l’est
pas ? Pourquoi deux firmes, de secteurs très différents, ayant la même structure, réussissent
toutes les deux ? A contrario, pourquoi deux firmes appartenant au même secteur et ayant la
même organisation ont des résultats inégaux ?
Ils vont établir une typologie qui se basera sur la reconnaissance des entreprises efficaces, la
définition du type de structure qu’elles ont adopté et le contexte dans lequel elles l’ont fait.
Ces règles lieront des caractéristiques de l’organisation ou de l’environnement à un type de
structure efficace.
Les structures seront donc considérées comme efficaces, non dans l’absolu, mais en fonction
d’un contexte. Pour reprendre les deux cas vus plus haut, la coordination informelle très
développée de l’agence de publicité se justifie par le fait que chaque projet mené est différent.
Les actions répétitives nécessitant de l’ordre, l’armée exige à l’opposé une structure fortement
hiérarchisée. Chaque organisation est performante dans son domaine car la structure
correspond aux caractéristiques de l‘activité poursuivie.
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Pionnière dans cette manière d’approcher les organisations, Joan Woodward réalise dans les
années cinquante une étude portant sur les entreprises de plus de 100 salariés de la South
Essex en Angleterre. Son but est d’établir un lien entre le succès de certaines d’entre elles et
les modèles d’organisation à la mode. Elle en tire la conclusion de l’inapplicabilité d’une
formule générique à tout type d’entreprise. Dans les différences justifiant l’emploi de
plusieurs modèles, elle retient la technologie utilisée. Elle définit la technologie non comme
l’innovation technologique mais comme le système de production adopté dans le processus de
production par les entreprises elles-mêmes. Tout d’abord, elle établit une typologie des
systèmes de production.
Un premier système correspond à la production unitaire ou de petite série (artisanat, luxe,
publicité). Le deuxième correspond à la grande série (automobile ou électronique grand public
(hi-fi, électroménager, micro-informatique). Un troisième est nommé processus continu et
correspond à la chimie ou aux distilleries. Elle les classe selon la prévisibilité des résultats, la
petite série ayant la plus faible. On va ainsi du processus continu à la petite série avec un
niveau intermédiaire constitué par la grande série. Les facteurs de production sont en effet
mieux connus selon elle dans le dernier système. Elle décrit ensuite pour chaque structure le
modèle le plus efficace qu’elle a rencontré dans son étude empirique.
Ainsi, à la petite série correspond un fonctionnement souple, doté d’un système de
communication informel ; les systèmes de production en grandes séries sont plus rigides et
hiérarchisées (on voit donc apparaître plus de règles formalisées) ; les systèmes de production
en continu ont quant à elles un encadrement important mais avec une structure souple. Elle en
tire une règle d’organisation : les niveaux hiérarchiques et le taux d’encadrement augmentent
avec la prévisibilité des techniques de production.
Cette définition de l’organisation par le facteur technologique a fait des émules qui ont
cherché à mieux cerner encore l’origine d’une organisation efficace en trouvant le ou les bons
facteurs la définissant.
Ainsi, Arthur Stinchcombe lie la structure à la période historique durant laquelle les
organisations sont nées. Il distingue cinq périodes dont la période pré-usine, le 19ème siècle,
l’âge du chemin de fer, l’âge moderne et la 5ème époque, qui voient chacune apparaître une
forme privilégiée d’entreprise. Peter Blau va quant à lui tenter de les définir en s’attachant au
critère de la taille (le nombre d‘individus présents dans l’organisation).
Un courant va dépasser ces facteurs internes pour plus particulièrement s’attacher aux
rapports de l’organisation avec son environnement, et sur comment celui-ci va influer sur son
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évolution. Alfred Chandler sera l’un des premiers à défricher ce terrain en 1962, suivi
rapidement par Edward Burns puis Paul Laurence et Jay Lorsch. Le travail initial de Chandler
porte sur l’histoire des entreprises américaines de la première moitié du 20ème siècle,
particulièrement la General Motors (automobile), Dupont (chimie), Jersey Standard Oil
(raffinerie) et Sears Roebuck (détaillant). Il en tire une conclusion générale « une stratégie
nouvelle se développe quand on ne connaît pas les contraintes et les besoins – créés par
l’évolution démographique et celle des revenus et des technologies – pour employer les
ressources existantes ou les investissements d’une façon plus profitable ». Les nouvelles
stratégies sont donc rendues nécessaires par l’évolution de l’environnement et viennent parer
à de l’incertitude. Ces évolutions vont faire que l’entreprise subira différentes phases de
développement : la croissance en volume, l’expansion géographique, l’intégration verticale
avec une spécialisation en départements fonctionnels, la diversification qui provoque la
multiplication des divisions spécialisées. L’entreprise change donc de stratégie pour faire face
à l’environnement. Cette notion de stratégie est définie comme « l’établissement d’objectifs et
de direction d’action pour atteindre ces objectifs, rationnellement et dans un environnement
donné ». La structure découlera selon Chandler de ces différentes stratégies.
Thomas Burns va compléter ce travail en définissant les environnements et les structures
qu’ils impliquent. Son travail repose sur l’étude de 20 compagnies anglaises. Il a défini cinq
types de prédictibilité de l’environnement, du plus stable au moins stable, en se servant
d’indicateurs comme le taux de changement de la technologie (entendue comme Woodward)
et du marché des ventes.
Le plus stable était celui d’une fabrique de fibres de rayonne. L’organisation des conditions
de production visait la stabilité maximale. Tout était formulé par programmes. Les
fluctuations de la demande étaient considérées comme anormales et reprochées au bureau des
ventes. L’organisation fonctionnait sur la base de plans, avec des bas niveaux hiérarchiques
sans autorité, peu informés et responsabilisés. Les rôles étaient quant à eux très définis dans
les situations normales, mais chaque employé savait aussi jusqu’où il pouvait laisser aller une
situation au-delà de la normale avant de prévenir son supérieur.
Le deuxième type demandait de petits ajustements dans l’organisation. Il s’agissait d’une
fabrique d’appareillage électrique. Les contrats requéraient un petit nombre de travaux
particuliers demandant un effort d’amélioration léger mais constant. L’organisation était donc
dotée d’un peu plus de flexibilité bien que des plans aient été produits pour parer à certains
imprévus. Les tâches étaient relativement moins formalisées, même aux plus bas niveaux
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hiérarchiques, de même que l’autorité et la responsabilité. Burns note que les communications
transversales à la hiérarchie y étaient fréquentes.
Le troisième environnement se trouvait dans un marché stable, mais avec une technologie très
changeante. Il s’agissait d’une entreprise de radiotélévision où les technologies utilisées
évoluaient perpétuellement et rapidement. L’organigramme était pour ainsi dire inexistant. En
revanche, la structure était plus adaptable, se basant sur de nombreuses réunions de
coordination, des postes peu définis ou spécialisés.
Le quatrième type cumulait incertitude de la technologie et de la demande. Il se trouvait dans
la plupart des entreprises d’électronique. On trouvait alors un effort explicite et conscient de
non spécification des tâches ou de la structure d’autorité. Tous les postes étaient imprécis,
même si personne ne semblait s’en plaindre.
Le dernier environnement reprend le quatrième avec une systématisation de l’incertitude. Les
entreprises, nouvelles et dans le domaine de l’électronique par exemple, évoluaient dans une
incertitude totale. L’organisation était alors presque totalement non définie. Les employés se
voyaient attribuer leurs tâches en fonction du travail à faire sur le moment et en fonction de ce
que les autres pouvaient faire ou non.
Burns note que ces structures sont adaptées à l’environnement, en bon disciple de l’école de la
contingence. Pour compléter cette analyse, il propose deux types extrêmes d’organisation
qu’il relie aux deux types extrêmes d’environnement. Le premier type est nommé mécanique
et correspond à des conditions stables :
1) Division des problèmes et des tâches entre spécialistes
2) Exécution de chaque tâche plus ou moins complètement isolée de l’exécution des
autres tâches
3) Contrôle de l’exécution des tâches par le supérieur hiérarchique immédiat
4) Définition précise du travail de chaque rôle fonctionnel
5) Structure hiérarchique
6) Localisation de la connaissance des problèmes au sommet de la hiérarchie
7) Communications presque uniquement verticales
8) Insistance sur la loyauté et l’obéissance
9) Considération plus grande pour une connaissance interne des problèmes que pour une
connaissance générale
On peut rapprocher ce modèle de l’organisation bureaucratique wébérienne.
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Le deuxième type convient aux conditions instables, c'est-à-dire quand de nombreux
problèmes nouveaux surviennent et ne peuvent être répartis entre les spécialistes embauchés
par l’organisation :
1) Continuelle redéfinition des tâches
2) Participation de chacun bien au-delà des ses limites de responsabilité
3) Réseau compliqué de contrôle, d’autorité et de communication
4) Localisation de la connaissance des problèmes partout dans l’entreprise et non plus
seulement à la tête
5) Nombreuses communications latérales
6) Communications qui sont plutôt des informations ou des avis que des instructions ou
des décisions
7) Connaissance technique plus appréciée que la loyauté
L’évolution de l’environnement ne se traduit pas par une évolution facile d’un extrême à
l’autre dans les organisations. Notamment, les employés des organisations mécaniques la
freinent car elle modifie leur statut et leur pouvoir jusqu’alors bien précisés. Souvent, les
organisations mécaniques adoptent donc des évolutions minimales et optent pour trois types
de solutions précaires que Burns identifie :
1) Les personnes rencontrant un nouveau problème dans la firme le renvoient au
supérieur car il ne relève pas de leur responsabilité bien définie. Les problèmes
s’accumulent donc au niveau supérieur qui aura donc tendance à lui aussi renvoyer
plus haut dans sa hiérarchie. Ceci produit ce qu’il appelle un phénomène de retard-
remontée vers le haut dans l’organisation.
2) L’organisation crée des postes spécifiques pour parer à ces problèmes nouveaux.
L’existence de ces postes est donc liée à la perpétuation du problème. Burns appelle
cette organisation la « mechanistic jungle ».
3) Enfin, l’organisation crée des comités temporaires mais ceux-ci, surtout si leur
pérennité est grande, entrent en concurrence avec la structure classique.
Pour réussir un changement, Burns préconise donc de comprendre trois systèmes sociaux qui
composent l’organisation afin de leur faire accepter.
Le premier système est le système d’autorité formelle qui découle des buts et des technologies
de l’organisation. Le deuxième est le système de carrières, car selon Burns toutes les
personnes ont des préférences pour leur travail et leur salaire. Le dernier est le système de
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pouvoirs et des relations entre individus et entre services que chacun utilise pour obtenir une
plus grande maîtrise sur les décisions.
Thompson ajoutera que lorsque l’environnement est trop incertain, une solution de
l‘organisation est d’en intégrer les activités en espérant ainsi mieux les contrôler.
Paul Lawrence et Jay Lorsch vont proposer une analyse plus finalisée de ces travaux qui
illustrera bien la pensée de l’école de la contingence. Ils partent du principe que les
organisations font face à leur environnement en se fractionnant en unités pour que chacune
traite plus efficacement une partie des conditions externes à l’environnement. Ils vont
constater que les écoles classiques ou des relations humaines n’ont pas réglé le problème de
comment dessiner une structure d’organisation dans chaque cas précis et vont tenter de parer à
cette lacune. Ils vont étudier 10 entreprises américaines (six de Chimie, deux d’emballage et
deux d’alimentaire) choisies pour leurs différences en matière d’environnement afin
d’analyser :
1) la relation entre la structure interne d’une entreprise et le degré d’incertitude de son
environnement. Ils divisent donc les entreprises en trois sous-systèmes : marketing,
économico-technique, scientifique. Ils prennent comme hypothèse que plus le sous-
environnement est certain, plus sa structure doit être formalisée.
2) Les différences dans les sous-environnements et comment elles génèrent des structures
différentes. Ils veulent découvrir aussi les moyens d’intégration pour les organisations
ayant des sous-systèmes très différenciés.
Ils axent donc leurs études sur l’intégration mais aussi sur ce qu’ils appellent la
différenciation, c'est-à-dire « les différences d’attitudes et de comportements et non
uniquement le simple fait du fractionnement et de la spécialisation ».
Ils en définissent quatre dimensions :
1) La nature des objectifs de chaque division : par exemple certains objectifs des
vendeurs (volume des ventes notamment) les différencient beaucoup de leurs
collègues de la sous-structure de production (bas coût de production notamment)
2) L’orientation temporelle de chaque division : par exemple, les ingénieurs de
production sont occupés par des objectifs à court terme tandis que ceux de conception
le sont par des objectifs à plus long terme
3) Les relations personnelles dans chaque division : qui peuvent être centrées sur la tâche
à accomplir, ce qui est le cas quand la tâche est bien définie, ou plutôt sur les
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compétences ou aptitudes des personnes lorsque celles-ci sont plus floues ou
complexes
4) La formalisation de la structure de chaque division : certaines sont très hiérarchisées,
d’autres ont beaucoup moins de règles et de contrôles.
Ces éléments vont permettre de mesurer pour chaque entreprise si elle est très différenciée ou
pas selon l’homogénéité de ses divisions. En parallèle, ils ont mesuré l’incertitude des
environnements qu’ils avaient distingué. L’environnement scientifique se mesure par la
stabilité des technologies employées. La dimension marketing renvoie à la possibilité de
connaître à l’avance la demande pour les produits. Quant à l’environnement technico-
économique, il jauge la possibilité de caractériser plus ou moins fortement les tâches de
production et d’administration. Par exemple, le rendement d’un matériau peut être plus ou
moins connu. Chacun de ces environnements a été mesuré à l’aide de trois grandeurs : la
validité (plus ou moins certaine) des informations utilisées ; l’exactitude (plus ou moins
certaine) des relations causales ; le temps (plus ou moins long) pour connaître les résultats.
Ceci leur a permis de définir un indice d’incertitude globale pour chaque type
d’environnement qu’ils ont pu rapprocher des quatre dimension de la différenciation, ce qui
leur a donné le schéma suivant :
Incertitude de
l’environnement
Elevée Moyenne Basse
Formalisation de la
structure
Basse Moyenne Elevée
Relations
interpersonnelles
Tâche Aptitude tâche
Orientation
temporelle
Long terme Moyen terme Court terme
Nature des objectifs Pas de relationIls démontrent que les firmes les plus efficaces respectent ces relations dans leurs divisions.
Par exemple, l’entreprise de plastique la plus performante a :
- Un service de recherche peu structuré, orienté à long terme, avec des relations
personnelles basées sur les tâches pour faire face à un environnement incertain
- Un service marketing moyennement structuré, orienté à moyen terme, avec des
relations internes basées sur les aptitudes individuelles pour faire face à un
environnement moyennement incertain
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- Des services de production et d’administration très structurés, orientés à court terme et
avec des relations centrées sur la tâche pour faire face à un environnement certain.
Cependant, ils ajoutent que cette adéquation environnement-différenciation ne suffit pas, il
faut lui associer l’intégration. En effet, la coordination entre les divisions est essentielle au
bon fonctionnement d’une firme et plus ces divisions seront diversifiées entre elles plus elle
sera nécessaire. Il faut donc trouver le degré optimal d’intégration selon l’environnement.
Leur enquête leur a logiquement permis de montrer que les entreprises ont des intégrations
faibles entre deux divisions très différenciées et inversement. Ils ont aussi pu constater que les
firmes les plus performantes ont l’intégration la meilleure à niveau de différenciation égal.
Plus généralement, les cas d’entreprises ayant une intégration adaptée sont ceux réussissant le
mieux.
Ils ont donc cherché à recenser ces moyens d’intégration pour fournir aux entreprises n’ayant
pas réussi à mettre en place un système adapté des outils. Ils sont variés :
• Contacts entre managers
• Comités
• Services de liaison
• Règles interdépartementales (sur le budget par exemple)
• Structure matricielle
Plus le nombre de moyens utilisés est grand, meilleure est l’intégration, quel que soit le type
utilisé. Ceux-ci ont trois modes de fonctionnement : contrainte hiérarchique, éludation des
difficultés ou confrontation dont le dernier est indéniablement le plus efficace.
Ils ont fini par proposer deux règles d’organisation généralement valables :
1) Grouper les activités qui ont les mêmes orientations vis-à-vis de l’environnement et
qui nécessitent d’être très intégrées pour leur exécution (ce qui peut se faire par la
hiérarchie) ; dans le cas d’activités à orientations communes mais faible nécessité
d’intégration pour l’exécution ou l’inverse, il n’y a pas de règles valables, il faut donc
savoir ce que l’on veut optimiser
2) Choisir les moyens d’intégration : la hiérarchie est rarement suffisante, il faut donc en
trouver d’autres et les bâtir à un niveau où les connaissances utiles existent
Henry Mintzberg figure aujourd’hui comme le plus connu des auteurs de l’école de la
contingence. Ses travaux ont largement conquis les milieux managériaux. Son but est
« d’éclairer le lien entre la structure d’une organisation et son fonctionnement interne ». Il
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rejette comme ses collègues de la contingence l’idée d’une bonne organisation, surtout la
taylorienne. Mais il va plus loin en ajoutant que la structure n’est pas liée de manière
mécanique à son environnement. Elle va aussi dépendre des buts de ses dirigeants. Il parlera
donc « d’ajustement » en ce qui concerne les rapports de l’organisation avec son
environnement et de « cohérence » pour le fonctionnement interne.
Il propose des modèles d’entreprises où il insiste sur le fait que l’important n’est pas de
s’attacher à une seule variable mais au réseau d’interrelations entre plusieurs de celles-ci pour
comprendre la structure. Il va donc tenter de comprendre en quoi une configuration
particulière est issue de la combinaison d’éléments simples. Il part du principe que pour
qu’une organisation soit efficace, il faut à la fois se référer à la situation de l’organisation dans
son environnement et à une cohérence interne entre les paramètres de conception. Il n’y a
donc pas une bonne configuration mais un nombre limité, et ce en référence à des principes de
cohérence et d’ajustement.
Il propose donc six modèles de base dans cette typologie. Chacun possède un équilibre propre
établi autour d’une force dominante qui structure les relations. Il recense six points d’appuis
possibles : le centre opérationnel, le sommet stratégique, la ligne hiérarchique, la
technostructure, le support logistique et l’idéologie. Le centre opérationnel est constitué par
les individus qui effectuent le travail de base de l’entreprise. Le sommet stratégique est
constitué par le manager (il en existe toujours un, même dans les plus petites organisations).
La ligne hiérarchique fera le lien entre le sommet stratégique et le centre opérationnel. La
technostructure est constituée par des groupes de spécialistes qui remplissent les tâches
administratives, de contrôle, de planification sans être situés dans la ligne hiérarchique. Le
support logistique vient aussi aider la structure hiérarchique en offrant des services de
recherche, de paie, de relations publiques, etc. L’idéologie renvoie quant à elle à un ensemble
de valeurs, croyances, traditions propres à l’organisation. Nous allons voir dans le détail à
quoi renvoient chacun de ces points avec l’examen des modèles.
Configuration entrepreneuriale : structurée autour du sommet stratégique (caractéristique
des entreprises naissantes). La direction exerce le contrôle sur les prises de décision et
coordonne par supervision directe sur le centre opérationnel. Il s’agit donc d’une structure
centralisée, simple, informelle, flexible, laissant peu de place à la ligne hiérarchique et aux
supports logistiques. Le contexte de contingence est celui d’un environnement simple et
dynamique, par exemple un commerçant transformant son magasin en libre-service en se
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diversifiant sur un marché local. La stratégie est fortement liée aux positions de leader dans
des créneaux protégé.
Configuration bureaucratique : la technostructure y est la force dominante et elle recherche
la rationalisation à travers la standardisation des procédés de travail. Elle convient à un
environnement stable et simple où la rationalisation peut aider au contrôle. Par exemple une
poste nationale, un constructeur automobile. Ils ont en commun l’utilisation de routines très
standardisées. La stratégie se décide sur la base de programmes (ou plans) qui voient alterner
longues périodes de stabilité et moments de crises.
Organisations divisionnalisées : la force structurante est ici la ligne hiérarchique. Le système
de contrôle y est essentiellement fondé sur les éléments de la performance financière. Il s’agit
d’un contexte de marché diversifié où les entreprises regroupent les unités de production dans
des divisions avec services commercial et administratif intégrés. Il y a donc un siège, qui
formule la stratégie du groupe, et des divisions qui formulent la stratégie propre à un marché.
Le risque de balkanisation ou de concurrence entre divisions est évident.
Organisation professionnelle : le centre opérationnel détient la force dominante. Il a déjà été
évoqué sous le terme de bureaucratie professionnelle à propos des hôpitaux ou des universités
mais on peut aussi ajouter les sociétés d’ingénieries ou les cabinets de consultants. La
coordination est réalisée par la standardisation du savoir et des qualifications, ce qui permet
une grande autonomie grâce à l’expertise partagée des membres. Le contexte de contingence
est stable bien que complexe. La stratégie est marquée par une alternance entre fragmentation
et cohésion nécessaire sur laquelle l’organisation va chercher un équilibre.
Organisation innovatrice (adhocratie) : le support logistique prédomine. Cette organisation
est centrée sur l’innovation et la résolution des problèmes « ad hoc ». Les organisations
utilisant des technologies de pointe en font partie, tout comme les laboratoires créant des
prototypes. Les experts techniques y côtoient les managers dans des équipes
multidisciplinaires. L’environnement est complexe et dynamique, évoluant sur des
technologies de pointe et des changements de produits fréquents. La stratégie y est souvent
issue de la base hiérarchique, les managers ayant plus un rôle de mise en forme que
d’initiative (la base hiérarchique étant constituée des experts).
Organisation missionnaire : ce dernier cas se trouve lorsque la force dominante se trouve
dans l’idéologie ou la culture. Ces entreprises utilisent en général, derrière une structure
classique, des éléments culturels pour mobiliser les membres. On voit le cas dans les
supermarques comme MacDonald’s, IBM, Apple, Toyota, Nike, Adidas, etc. La coordination
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se fait alors en référence à un système de normes et croyances partagées et qui remplacent les
procédures classiques. Les unités sont en général de taille assez restreinte et l’intégration y
joue un grand rôle de sélection. Elles sont décentralisées, l’idéologie commune et le système
de valeurs et de croyances assurant le contrôle social.
L’environnement dont parle Mintzberg regroupe le système sociopolitique (législation,
système éducatif, relations professionnelles, etc.), les clients et fournisseurs, les tendances du
marché, la vie des produits. Leur évolution expliquera le passage d’une configuration à une
autre.
La cohérence interne du système est quant à elle liée à la dynamique des acteurs. Il l’étudiera
en se penchant sur la conception des différents postes de travail, l’organisation des équipes, la
définition de la taille des unités, etc.
L’école de la contingence a considérablement enrichi l’approche des organisations mais elle a
aussi ses limites qui vont être abordées par la théorie de la dépendance en ressources et par
l’analyse stratégique.
La théorie de la dépendance en ressources
La théorie de la dépendance en ressources va plus loin que celle de la contingence en ce qui
concerne la prise en compte de l’environnement. Cette dernière parlait seulement de
contrainte générale s’exerçant sur l’organisation mais ne prenait pas en compte les multiples
interactions liant une entreprise à son milieu. Elle a ainsi fait passer l’idée d’une adaptation de
la part des managers, bien que tous les éléments de l’environnement ne soient pas aussi
importants. Jeffrey Pfeffer et Gerald R. Salancik vont modifier ce cadre.
Ils posent que les organisations sont hétéronomes (vs autonomes) : elles dépendent totalement
de leur milieu extérieur pour obtenir leurs ressources (matières premières, brevets, main
d’œuvre, argent, appui des collectivités locales, des banques) et ceci va provoquer des jeux de
pouvoir d’autant plus forts que celles-ci sont rares. La ressource principale étant bien sûr
l’argent, convertible en n’importe quel autre type de ressource. La gestion des fonds sera donc
primordiale.
L’environnement est constitué de tous les individus ou groupes d’individus qui, directement
ou indirectement, peuvent affecter l’organisation. Les échanges qu’elle entretient sont
nécessaires à sa survie et seront toujours plus ou moins déséquilibrés en faveur ou en défaveur
de l’entreprise24. La multiplication des sources est un moyen de parer à cette position de
24 Selon le principe de la nécessité qui veut que plus la ressource lui est nécessaire, moins l’entreprise est en position de force.
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faiblesse. Chaque groupe peut donc exercer sur l’organisation une pression plus ou moins
forte selon sa position avantageuse ou non.
Michaël Porter, dans une analyse mêlant dépendance et stratégie, a mis en avant cinq groupes
pour la pression qu’ils peuvent exercer sur une organisation et dont découlera son modèle des
5 forces.
• Les concurrents directs : ils appartiennent au même secteur d’activité que
l’entreprise et sont présents sur les mêmes marchés ; leur force dépend de la
concentration du secteur.
• Les nouveaux entrants : leur menace sera forte si les barrières à l’entrée sur le
marché sont peu dissuasives (faibles coûts d’entrée, peu d’économies d’échelle)
• Les fournisseurs : leur pouvoir de négociation dépend de leur nombre mais aussi de
la nature des liens qui les lient à la firme
• Les clients : comme les fournisseurs, leur pouvoir de négociation est lié à leur nombre
et à l’organisation de la clientèle (associations de consommateurs par exemple)
• Les concurrents indirects : la menace des produits de substitution est plus ou moins
forte selon les secteurs et dépend notamment de l’évolution des technologies
La dépendance peut se gérer de trois manières : l’éviction du dirigeant, l’adaptation par la
sélection, la transformation de l’environnement.
Le premier cas est extrême et a lieu lorsqu’aucune autre solution n’est possible. Quand une
organisation ne peut accepter des exigences sans que celles-ci ne modifient trop son équilibre,
une solution peut être de remplacer le dirigeant. Il s’agit alors d’une mesure symbolique pour
desserrer la contrainte.
Mais la majorité des cas place une organisation devant des contraintes gérables. Ce sera le
rôle du manager que de consacrer une part de son temps suffisante pour répondre à ces
demandes émanant de l’extérieur. Pour cela, le manager aura à effectuer une sélection parmi
la liste des demandes, toutes n’ayant pas la même importance ou ne touchant pas au même
niveau. La priorité ira bien sûr aux groupes dont les liens sont décisifs pour l’organisation. En
ce qui concerne la gestion des demandes auxquelles elle ne peut accéder, plusieurs techniques
sont proposées. Tout d’abord, il est fondamental que l’organisation entretienne le secret sur sa
manière de répondre aux demandes, que ses partenaires ne connaissent pas ses habitudes et
puissent les faire valoir. En ce qui concerne la réponse définitive, deux modalités sont
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possibles : le refus clair ou le déplacement du conflit, consistant à mettre en avant des
contradictions dans les demandes qui lui sont faites.
L’idéal demeure de pouvoir modifier son environnement de façon à limiter sa dépendance.
Les rapports de force existants peuvent évoluer, notamment par la diversification des
ressources nécessaires, le lobbying, la fusion (qui noie ces relations de dépendances dans un
ensemble plus grand), les accords (cf co-investissements technologiques) ou rachats. Cette
réduction de la dépendance engendre néanmoins des coûts de coordination qui peuvent freiner
ces démarches.
Les théories de la contingence auront du mal à aborder les problématiques du pouvoir, du
conflit et de la culture dans une organisation, comme le prouve la tentative de Mintzberg de
définir une septième catégorie, appelée « arène politique », non applicable à des organisations
mais qui viendrait plutôt colorer de dimensions supplémentaires les six premiers modèles que
nous avons vu précédemment. Les approches par la culture et par l’analyse stratégique
aborderont directement ceux-ci.
La systémique
La théorie systémique contextualisée de Michel Crozier qui va nous permettre d’introduire le
courant de l’analyse stratégique partage d’ailleurs nombre des postulats de l’école de la
contingence. En effet, le principe des systèmes veut qu’il soit « aussi important d’identifier
l’ensemble, la totalité des éléments et des relations entre les éléments que d’analyser
indépendamment les attributs de chacun d’eux », un principe respecté par les deux. On peut
définir les systèmes comme « un ensemble de parties interdépendantes agencées en fonction
d’un but ». Ceci introduit à l’idée de complexité, « éléments différents et combinés d’une
manière qui n’est pas immédiatement claire pour l’esprit, qui est difficile à analyser » selon le
Larousse. Un système simple liant deux éléments conduit à un type de relation, mais dès que
nous augmentons le nombre d’éléments, alors ceux-ci entraînent l’apparition de n(n-1)/2
relations entre eux où n est le nombre d’éléments.Tout peut être un élément dans ce système,
homme ou machine.
Dans un système complexe se met en place ce que Igor Ansoff a appelé le principe
d’émergence qui veut que 2 + 2 soit différent de 4 (et sans Big Brother pour l’imposer !).
C’est à dire que ces relations vont créer des effets de synergie positifs (la mise en commun
des efforts va générer plus que la somme des efforts pris isolément) ou négatifs (les éléments
mis en relation se gênent dans leur travail et aboutissent à un résultat inférieur à la somme des
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efforts de chacun pris isolément). On expérimente ceci à chaque fois que l’on se retrouve trop
nombreux dans une cuisine, lors d’un déménagement, dans une réunion, dans une liste de
destinataires de mails, etc.
Joël de Rosnay l’exprime sous cette forme : « l’accroissement de la diversité des éléments,
l’accroissement du nombre de liaisons entre ces éléments et le jeu des interactions non
linéaires conduisent à des comportements difficilement prédictibles. Surtout si l’on se fonde
sur les seules propriétés de ces éléments ». À travers cette déclaration, c’est toute la tradition
scientifique occidentale qui est remise en cause. En effet, depuis Aristote, le principe la
gouvernant est la rationalité, que Descartes a parfaitement définie dans le discours de la
méthode : « diviser chacune des difficultés […] en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il
serait requis pour mieux les résoudre ». Connaître passe donc dans cette optique par découper
l’objet en petits morceaux compréhensibles puis par analyser chacun pour comprendre le tout.
Le tout est la somme de ses parties dans cette approche, contrairement au principe de
l’émergence. La systémique trouve plutôt ses racines dans les théories pascaliennes, comme
« je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de
connaître le tout sans connaître particulièrement les parties ».
Simplifier ne permet pas simplement de comprendre, cela altère aussi irrémédiablement
l’objet que nous tentons d’approcher et nous donne au final des connaissances erronées.
Complexe n’est donc pas compliqué. Comme le soulignera Edgar Morin avec son sens de la
formule : « l’ennemi de la complexité, ce n’est pas la simplicité, c’est la mutilation », dont il
précisera les formes « la mutilation peut prendre la forme de conceptions unidimensionnelles
ou de conceptions réductrices ».Un système compliqué est composé de nombreux éléments
mais ayant des relations simples. La complexité advient avec la variété de ses constituants ou
de leurs fonctions spécialisées avec des relations non linéaires.
L’analyse stratégique
L’analyse stratégique doit surtout aux chercheurs Michel Crozier et Erhard Friedberg. Elle
n’est pas à confondre avec la discipline « stratégie » enseignée en sciences économiques et de
gestion et qui correspond à la formation finale des futurs managers, discipline assez complexe
à circonscrire puisqu’elle appelle à de nombreuses compétences mais que Jacques Rojot
propose de définir ainsi : « la stratégie de l’organisation est l’établissement d’objectifs et de
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directions d’action pour atteindre ces objectifs, rationnellement et dans un environnement
donné ».
L’approche qui est ici abordée est fondamentalement différente des précédentes, même si elle
leur emprunte des remarques. En effet, toutes ces théories envisageaient l’organisation comme
une réponse à des contraintes objectives, plus ou moins complexes et rationalisables. Selon
Crozier et Friedberg, l’axe change : L’organisation est un construit, non une réponse.
Ils tentent donc de construire un modèle d’analyse des organisations qui permette de rendre
compte de l’action concrète des individus dans les organisations. Cette approche considère la
stratégie comme une logique que l’on ne peut repérer qu’après coup. La stratégie s’étudie à
travers les comportements des acteurs, elle n’est pas un “ projet conscient et clair ”, elle se
traduit par des formes d’action et peut revêtir une forme soit offensive (augmenter son
potentiel d’action), soit défensive (préserver son potentiel d’action).
Nous allons reprendre les traits définissant une organisation pour voir comment ils sont
envisagés par l’analyse stratégique :
• Division des tâches
• Distribution des rôles
• Système d’autorité
• Système de communications
• Systèmes de contribution-rétribution
La division des tâches est un principe fondamental de l’organisation qui la différencie des
groupes non structurés. Le travail peut être formalisé par écrit ou non mais doit dans tous les
cas être assez clairement réparti entre les acteurs pour que l’un n’empiète pas sur l’autre. Le
travail est donné pour une durée déterminée à ceux qui l’exécutent. Une liste des tâches à
accomplir affectée à chaque responsable de cette tâche peut exister.
La distribution des rôles. Chaque membre a une tâche plus ou moins définie comme l’a voulu
le premier trait. La notion de rôle vient s’y ajouter pour rappeler que chacun peut l’accomplir
d’une manière particulière. Cette idée de rôle donne tout son sens au terme acteur25 vis-à-vis
du terme agent (tradition économique et déterministe). La métaphore théâtrale peut paraître
audacieuse dans le monde sérieux du travail mais toute personne ayant déjà occupé une place
dans une organisation a pu se rendre compte qu’elle ne la remplissait pas de la même manière
que ses collègues ou que son prédécesseur. Les membres d’une organisation sont donc bien
25 Métaphore théâtrale : chacun a un texte à lire mais peut l’interpréter de manière très différente, aboutissant à deux pièces totalement différentes.
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des acteurs, capables d’interpréter d’une manière personnelle une fonction identique. L’accent
est mis sur leur autonomie relative et moins sur les contraintes objectives (bien que celles-ci
ne soient pas évacuées totalement).
Le système d’autorité veille à l’adéquation des buts de l’individu aux buts que les
organisateurs ont fixés à l’organisation (et non pas aux « buts de l’organisation » qui ne va
pas avec le rôle actif, constructeur, des acteurs). Il ne s’agit plus de buts propres à une
organisation mais de buts propres à certains acteurs qui sont arrivés à les imposer comme buts
que poursuivra l’organisation. Ceci fait écho à la phrase de Bernoux déjà évoquée « il n’y a
pas de buts communs, mais les objectifs des dirigeants. La conséquence en est une
désacralisation de l’autorité, dont les directives sont comprises comme des choix faits par des
acteurs et non imposés par une nécessité ». Le système d’autorité fonctionne sur le modèle de
la carrière : être nommé à une fonction d’autorité ne va pas de soi mais une fois nommé, celui
qui occupe cette fonction doit progresser dans la carrière (pas comme une élection). Le
principe pyramidal veut que l’accès à un niveau supérieur exclue le retour à un niveau
inférieur (dans une même entreprise tout du moins).
Le système de communication doit mettre en relation les individus entre eux. Il est quasi
systématiquement conçu sur le principe du passage des injonctions de l’autorité, donc à sens
unique et sans prise en compte des possibilités de communications horizontales. Ceci est bien
sûr très criticable. Une bonne organisation doit permettre la circulation de la communication
entre tous et dans tous les sens. L’armée sert ici d’exemple par le système de retour de
l’information qu’elle a su créer dans une structure très lourde aux niveaux hiérarchiques très
éloignés. Un autre élément important de ce système est la rapidité avec laquelle le contact
peut être établi. Il n’y a hélas pas de solution toute faite et le système de communication devra
être construit en fonction des caractéristiques de l’organisation.
Le système de contribution-rétribution précise ce que les membres doivent apporter et ce
qu’ils recevront en retour. Il s’agit donc de définir les termes de l’échange. Le droit du travail
prévoit que le salarié se place sous l’autorité de son employeur autorisé donc à lui donner des
ordres, en retour de quoi il perçoit un salaire que l’employeur est tenu de lui verser.
Cependant ces termes ne disent rien des raisons pour lesquelles un individu se fait embaucher
ni de celles qui poussent un employeur à le faire.
L’activité du groupe humain que forme l’organisation doit pour cela être analysée. L’analyse
stratégique se base sur quatre postulats fondamentaux à retenir :
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1. L’organisation est un « construit contingent » qui résulte de son contexte comme des
actions de ses membres.
2. L’acteur conserve une certaine liberté dans sa marge de manœuvre, il n’est « jamais
complètement enfermé dans son rôle ».
3. Les objectifs de l’organisation ne coïncident jamais totalement avec ceux des acteurs.
4. Dans ses choix et ses calculs l’acteur ne dispose que d’une rationalité limitée, en fait il
« ne cherche pas l’optimisation mais la satisfaction ».
La rationalité limitée
Ce principe central dans l’analyse stratégique mérite que l’on s’y attarde un peu. Supposer de
quelqu’un qu’il est capable d’être rationnel, c’est lui prêter la capacité de disposer d’une
information exhaustive de tous les éléments nécessaires à la prise de décision, de connaître
intégralement tout le faisceau de conséquences directes et indirectes qui découleront de
chaque choix, de comprendre parfaitement la situation face à laquelle il se trouve confronté.
Ceci aboutit à la solution optimale. Mais cette situation est impossible à obtenir.
James G. March et Herbert A. Simon critiquent cette vision rationnelle en montrant les quatre
facteurs devant être remplis pour pouvoir bénéficier d’une prise de décision optimale. La
rationalité pourra être considérée comme absolue si et seulement si ces quatre facteurs sont
remplis :
1) Le décideur est unique et possède un ensemble de préférences ordonnées : ses
objectifs sont clairs et stables
2) Toutes les possibilités de choix doivent faire partie d’un ensemble donné et fini :
l’ensemble des possibles est connu
3) Toutes les conséquences des choix doivent être parfaitement révélées et ce, tant en cas
de certitude qu’en situation de risque ou d’incertitude
4) L’individu possède un ordre de valeur d’usage pour chaque possibilité, c'est-à-dire un
critère objectif lui permettant de hiérarchiser les différentes solutions envisagées pour
choisir la meilleure
Ce contexte est bien évidemment extrêmement rare à trouver.
Ces éléments objectifs doivent aussi être couplés à tout un tas d’autres éléments d’ordre
interactionnels qui troublent encore plus la possibilité de rationaliser les décisions :
l’ensemble des possibles et de leurs conséquences nous demeure bien évidemment souvent
inconnu, mais de plus nous avons souvent une contrainte de temps qui nous oblige à décider
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sans même avoir le loisir d’organiser nos propres connaissances limitées ; ajoutons nos
stratégies personnelles, qui vont venir influer sur les décisions que nous prenons, que ce soit
la volonté d’évincer un concurrent ou des inimitiés et amitiés qui nous poussent à modifier
nos choix.
Les concepts fondamentaux
L’analyse stratégique va donc s’attacher à comprendre, pour chaque cas, le construit
spécifique qu’est l’organisation. Elle ne fournira pas des typologies à appliquer selon certains
facteurs mais exigera toujours un temps de collecte d’informations26 qui seront analysées à la
lumière de concepts explicatifs. Ils sont au nombre de trois : système d’action concret, zone
d’incertitude et pouvoir.
Globalement, les auteurs insistent sur le fait que l’acteur s’insère dans un système d’action
déjà constitué et en évolution constante. Les enjeux stratégiques vont apparaître dans
l’organisation à travers l’incertitude qui vient modifier des situations « stabilisées » pour en
faire des enjeux pour les acteurs. Toutefois « pour qu’elle soit pertinente, l’incertitude est à
spécifier en ce qu’elle bouscule réellement le jeu des acteurs, comme un apprentissage de
nouvelles règles ». L’analyse de ces incertitudes passe aussi par l’étude des « dysfonctions »
dans l’organisation, qui peuvent révéler des comportements et logiques rationnelles, alors
qu’elles apparaissaient a priori comme irrationnelles. Les « zones d’incertitude » permettent
d’éclairer les stratégies des acteurs et sont à considérer en fonction de leurs rapports avec le
pouvoir. Celui-ci fait l’objet d’une conception relationnelle et interactive: « Ainsi défini, le
pouvoir ne peut être que réciproque [...] le pouvoir est plus une structuration de la relation
qu’une imposition. On entre dans une relation de pouvoir pour obtenir de la coopération ».
La position occupée dans l’organisation, comme la capacité à modifier les règles du jeu
constituent aussi des facteurs qui renforcent le pouvoir de l’acteur.
Le système d’action concret :
Le système d’action concret est central dans l’analyse des organisations. En effet,
l’organisation est vue comme un construit contingent, donc comme un ensemble composé de
membres ayant des stratégies particulières, le tout structuré dans un ensemble de relations
régulières soumises aux contraintes changeantes de l’environnement, donc évoluant en
permanence lui-même (exemple : changement d’objectifs, embauches, licenciements, plan de
formation, nouveaux contrats, etc).
26 Un terrain bien sûr mais aussi des renseignements sur l’historique de l’organisation, ses rapports avec son environnement, une approche la plus exhaustive possible.
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Dans ce cadre, le système d’action concret est un ensemble de mécanismes par lesquels sont
stabilisés les processus de négociation et à travers lesquels se forge l’action collective. Tout
contexte d’action est sous tendu par un « système d’action concret », qui structure ce contexte
par des règles du jeu (un cas de système d’action concret : Crozier observe des ouvrières de la
SEITA qui manipulent leurs machines avec la bienveillance des ouvriers d’entretien et des
chefs d’atelier, bien que ceci ne relève pas de leurs fonctions). La notion de système d’action
concret suppose un minimum d’interconnaissance, de circulation d’informations pour
permettre des anticipations correctes des comportements et un minimum d’intercontrôle. C’est
grâce à ce système que les intérêts individuels et ceux de l’organisation vont pouvoir être
conciliés. Ce système permet aux acteurs de conserver une certaine autonomie tout en
organisant leur coopération, de plus il se caractérise par des phénomènes de structuration et de
régulation. Crozier et Friedberg en donnent la définition suivante: « on peut définir le système
d’action concret comme un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses
participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure par
des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux ». Ce mécanisme de régulation
passe par une production et une intériorisation des règles par un groupe. Le concept de
système d’action concret permet donc de mettre en évidence la façon dont les différents
groupes d’acteurs structurent leurs relations et leurs interactions, alors qu’ils se trouvent dans
une situation « d’interdépendance stratégique ».
Pour revenir sur l’exemple des commerciaux chargeant l’un des leurs de l’entretien de leur
ordinateur, on peut analyser à la lumière de l’analyse stratégique le pouvoir qu’ont eu les
informaticiens pendant les années 90 : il repose sur différents facteurs comme l’idéologie
accompagnant l’informatique dans les milieux entrepreneuriaux, l’absence de personnel
compétent, l’organisation reposant sur le bon fonctionnement informatique des organisations,
qui leur a donné différents droits comme le salaire ou le fait de ne pas s’habiller de manière
stricte alors que leur position hiérarchique n’était pas particulièrement élevée. Ces droits ne
sont plus de mise aujourd’hui car ces facteurs de pouvoir ont été contrés ou ont disparu et ne
demeure que la position hiérarchique.
On peut distinguer deux autres concepts centraux dans cette approche : la zone d’incertitude,
le pouvoir.
La zone d’incertitude :
La formalisation des règles ne peut jamais totalement tout prévoir, il reste donc des zones
d’incertitude dans lesquelles les jeux de pouvoir vont être menés (si pas d’incertitude, alors le
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pouvoir aussi serait prévu). Ces incertitudes peuvent revêtir de multiples formes : on pense
naturellement à celles provoquées par l’environnement tels les changements de technologie, le
recrutement de nouveaux membres, l’évolution des marchés et de leur régulation mais de
manière plus endogènes les maladies du personnel, les pannes, les ententes entre acteurs sont
aussi des causes d’incertitudes.
Crozier et Friedberg refusent de prendre celles-ci pour des données subies passivement par les
acteurs. Elles sont des contraintes, qui peuvent être très fortes, mais que les acteurs vont
intégrer dans leur jeu. Il n’y a pas de contrainte mécanique. En rentrant dans le jeu des
acteurs, celles-ci vont augmenter ou diminuer leur autonomie et par là leur pouvoir, auquel
l’incertitude est toujours liée. Cette idée d’autonomie prend aussi de multiples formes :
formelle quand un responsable se voit déléguer une responsabilité de décision27. Plus implicite
quand il s’agit par exemple d’une définition de fonction28. L’incertitude, tout comme
l’autonomie, sont donc décelables partout et ont un poids fondamental dans le fonctionnement
de l’entreprise. Ce point doit être accepté pour la mise en place d’une analyse stratégique,
mais il n’est pas si partagé que cela. Tout un ensemble de catégories professionnelles auront
en effet tendance à insister sur le fait qu’elles ne sont pas libres du fait des contraintes
hiérarchiques29. Mais des contraintes fortes ne sauraient pour autant annihiler cette idée
d’autonomie, même limitée (nous verrons qu’il y a des sources de pouvoir qui permettront de
renforcer cette autonomie). Ceci place la négociation – car on l’a vu, le pouvoir n’est plus un
donné mais une interaction - au centre de l’analyse.
En ce qui concerne l’incertitude provoquée par l’environnement, cette autonomie est aussi
avérée (en opposition aussi aux discours laissant penser que « l’entreprise n’a pas le choix… »
etc). Il s’agit encore une fois de contraintes, qu’il serait insensé de nier, mais qui n’imposent
de réponse d’un seul type en aucun cas. Exemple : nécessité d’informatiser mais cela ne dit
rien sur comment on le fera, sur les choix orientés plutôt vers l’équipement ou vers la
formation des personnels, sur le retentissement dans l’organisation entière ; autre exemple,
nécessité de délocaliser est un choix issu d’impératifs économiques mais on peut choisir un
27 Il aura par la suite à rendre compte de celle-ci mais cela n’empêche pas qu’il est autonome au moment de la prendre.28 Un ouvrier doit faire marcher sa machine, il dispose d’une certaine marge d’autonomie qui dépendra de sa compétence, par exemple s’il peut régler sa machine sans faire appel à un régleur.29 Les ouvriers bien sûr, mais aussi les jeunes cadres ou jeunes diplômés. Dans l’exemple de la compétence en matière de réglage d’un ouvrier, Crozier et Friedberg détaillent le cas des ouvriers disposant de cette maîtrise. Ils peuvent ensuite jouer sur le régleur en lui laissant entendre qu’ils pourraient refuser de le faire et donc gêner l’emploi du temps déjà chargé de ce dernier. Ils rendent ainsi leur comportement imprévisible et créent de l’incertitude qui devra être gérée, notamment par le maintien de bonnes relations.
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autre modèle de croissance, etc. L’interdépendance ne doit pas être comprise comme une idée
déterministe (ni unilatérale), mais plutôt dans le cadre de ce que nous avons vu de la
systémique.
Le pouvoir :
Cette notion va être posée comme le problème central en organisation (remplaçant les idées
de besoins ou de motivations). Elle permet de mieux cerner le fonctionnement réel de celles-ci
en délaissant les tentatives d’harmonisation des intérêts antagonistes qui s’y confrontent. Jeux
de pouvoir et rivalités internes étaient ignorés en faveur de l’unité d’ensemble. Celle-ci est
bien sûr nécessaire mais elle ne doit pas pour autant faire oublier que son avènement et sa
stabilité dépendent de fonctionnements internes qui ne seront bien compris qu’à la lumière de
l’analyse du pouvoir. Les objectifs diffèrent selon les groupes et les acteurs constituant
l’entreprise, ceux-ci ayant des formations et des fonctions différentes qui leur donnent une
vision différente des buts de l’entreprise et des moyens d’y parvenir. Il y a donc des conflits
de pouvoir entre stratégies discordantes et nécessité d’un pouvoir les arbitrant.
Le pouvoir peut être défini très généralement comme « la capacité pour certains individus ou
groupes d’agir sur d’autres individus ou groupes ». On voit d’ores et déjà le caractère
relationnel du pouvoir que nous avons déjà évoqué : il ne s’agit pas d’un attribut mais d’une
relation. L’idée de relation amène aussi l’idée de réciprocité : celui qui détient le pouvoir peut
contraindre son subordonné à agir mais ce dernier peut exécuter sa tâche de multiples
manières. Notamment en y mettant plus ou moins de zèle ou en insistant sur tel ou tel aspect
de la tâche. Si le supérieur intensifie la pression, le subordonné pourra alors demander des
choses en échange (plus de moyens, une augmentation, une mutation, etc). C’est le principe
de la réciprocité : celui qui reçoit un ordre peut exercer une pression en retour, pression
d’autant plus forte qu’il sait l’importance que la tâche revêt pour son supérieur. Cependant,
cette réciprocité n’aboutit pas nécessairement à un renversement de la relation de pouvoir. La
relation de pouvoir est en effet définie comme une relation déséquilibrée : hormis quelques
cas exceptionnels, le supérieur a davantage de ressources que son subordonné30.
On donne donc une définition plus précise de pouvoir que nous avons déjà vue avec Weber et
qui sera « le pouvoir de A sur B est la capacité de A d’obtenir que B fasse quelque chose qu’il
n’aurait pas fait sans l’intervention de A ». Cette définition ne permet cependant pas de saisir
l’idée de réciprocité et nécessite d’être adaptée pour donner « le pouvoir de A sur B est la
30 D’autant plus qu’outre le pouvoir formellement défini, celui-ci jouit aussi d’une meilleure maîtrise du système d’information, de son système de relations, etc.
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capacité de A d’obtenir que, dans sa relation avec B, les termes de l’échange lui soient
favorables ».
Pour parvenir à ses fins, faire faire à B ce qu’il désire, A dispose de ressources. La plus
évidente est bien sûr celle de la contrainte (physique, administrative, matérielle). Il s’agit alors
d’un pur rapport de force. On considère que toute relation de pouvoir est constituée au moins
en partie ou de manière hypothétique à la référence à la force. Mais la force, pour constitutive
qu’elle soit des relations de pouvoir, n’est pas nécessairement l’aspect dominant de celles-ci.
Ici, les formes d’autorité définies par weber autour d’un principe de légitimité vont être
convoquées (charismatique, traditionnelle, rationnelle-légale) pour rappeler que la relation de
pouvoir voit souvent un dominé consentant ou tout du moins acquiesçant. Celles-ci, surtout la
rationnelle-légale, vont permettre aux supérieurs hiérarchiques d’exercer leur autorité en
n’ayant que rarement à faire appel à la contrainte. Contrainte et autorité restent donc
distinctes, l’idéal étant qu’elles se recouvrent.
Quatre sources de pouvoir sont évoquées par Crozier et Friedberg : l’expertise, la maîtrise des
relations avec l’environnement, la communication (la maîtrise de l’information), la maîtrise
des règles formelles.
L’expertise est définie comme « la possession d’une compétence ou d’une spécialisation
fonctionnelle difficilement remplaçable. L’expert est le seul qui dispose du savoir-faire, des
connaissances et de l’expérience du contexte qui lui permettent de résoudre certains
problèmes cruciaux pour l’organisation. Sa position est donc bien meilleure dans la
négociation aussi bien avec l’organisation qu’avec ses collègues. Du moment que de son
intervention dépend la bonne marche d’une activité, d’un secteur, d’une fonction très
importante pour l’organisation, il pourra la négocier contre des avantages ou des privilèges ».
C’est le cas des informaticiens que nous évoquions, et de manière plus générale des
ingénieurs dans un domaine précis. Cependant, cette définition simple cache des difficultés
sur le terrain. En effet, beaucoup d’experts spécialisés sont incapables d’envisager les
répercussions générales de leurs choix sur l’organisation, comme le prouve le nombre de
projets n’aboutissant pas (innovation qui ne trouve pas son marché, réorganisation n’arrivant
pas à passer la résistance au changement). L’expertise ne peut donc non plus être totalement
définie a priori, elle dépend d’un certain nombre de compétences calculables mais qui doivent
être réévaluées à la lumière des jeux de pouvoir dans une entreprise31. Il faut donc plus
31 Par exemple, dans un cas où un dirigeant a convaincu ses collègues de la nécessité de l’introduction d’une technologie et que ce dernier fait appel à un expert en lui faisant sentir sa dépendance, le dirigeant est le réel détenteur du pouvoir, pas l’expert personnellement.
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évoquer la compétence liée à un statut stable dans l’entreprise que l’expertise à proprement
parler. Autre élément, la reconnaissance de cette compétence. Si un expert n’est pas reconnu
par les membres de l’organisation pour laquelle il fait ses propositions, alors elles resteront
lettres mortes. C’est le problème que nous avions évoqué avec les commissions de spécialistes
de l’organisation fayolienne. En définitive, cette ressource n’est donc pas la plus efficace pour
obtenir une position forte.
La maîtrise des relations avec l’environnement est une source plus stable et plus importante.
Le principe de la nécessité de la communication avec l’environnement et du pouvoir de
l’information est évident. Ceci permet de mieux maîtriser l’incertitude32. L’échange avec
l’environnement est permanent et vital. Celui qui maîtrise les relations avec l’environnement
et qui les communique à l’entreprise33 a un pouvoir basé sur la connaissance qu’il a des
réseaux dans les deux domaines interne et externe.
Une troisième source assez proche est la communication. Un bon réseau de communication
est très difficile à mettre en place. Les cas de projets échouant pour cause de mauvaise
transmission des informations nécessaires sont légions34. Tout individu est dépendant
d’informations et par conséquent de ceux qui les détiennent. Ceci explique le pouvoir des
responsables des systèmes d’information ou des secrétaires, particulièrement de direction.
Détenir des informations que l’on va choisir de donner ou pas offre un grand pouvoir car elles
se révèlent souvent déterminantes dans les décisions à prendre. Le partage d’information a
donc une dimension stratégique dépendant de nos objectifs propres et de ceux que l’on prête à
nos correspondants.
Enfin, une dernière source répertoriée par les auteurs est la maîtrise des règles
organisationnelles. On avait vu que ces règles étaient là tout autant pour contraindre que pour
protéger les individus, encore faut il les connaître et savoir lesquelles s’appliquent dans les
situations auxquelles nous sommes confrontés.
Dans cette perspective les comportements des salariés peuvent êtres assimilés à des stratégies
déterminées en fonction de leurs buts, et ce dans un contexte plus ou moins favorable selon
leur position au sein de l’organisation. L’entreprise est, dans cette approche, envisagée
comme une « aire de jeu » où évoluent différents types d’acteurs avec des rationalités limitées
32 Par exemple : être au courant d’un projet de lancement de nouvelle campagne d’un concurrent, de nouvelles dispositions juridiques influant sur l’exercice de l’organisation.33 Connaître les juges pour un policier, connaître les clients ou des commerciaux concurrents pour un commercial, connaître un grand nombre de fournisseurs pour un responsable de production, etc.34 Soit car on n’arrive pas à convaincre, comme lorsque l’on propose une campagne sans la justifier suffisamment, soit car on exécute mal la tâche par manque d’informations.
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et contradictoires et où se conjuguent des logiques organisationnelles, technologiques et
sociales.
Cette approche permet donc de démonter la complexité de l’action humaine dans un cadre
organisationnel et par là même l’impossibilité de sa codification. Mais plus encore cette
approche permet de souligner que la question de la rationalisation dans l’entreprise ne peut y
être résolue que temporairement et doit donc être constamment travaillée
Culture et organisation
Définition anthropologique de la culture : « toute culture peut être considérée comme un
ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles
matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion. Tous ces systèmes
visent à exprimer certains aspects de la réalité physique et de la réalité sociale, et plus encore,
les relations que ces deux types de réalité entretiennent entre eux et que les systèmes
symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les autres. » Claude Levi-Strauss.
La culture caractérise donc une société particulière. On est loin pour l’instant de l’objet
organisation. Mais la valeur explicative de la culture pour tout ce qui concerne les règles non
écrites d’une société nous permet de faire un parallèle avec les organisations où nous avons vu
que les dysfonctions irréductibles de celles-ci créaient toujours de l’informel, du non écrit.
La notion de culture est relativement récente dans le champ d’étude de l’entreprise. Elle est
apparue dans le vocabulaire managérial français dans les années 80, précédée par les Etats-
Unis pendant la décennie précédente. Son développement concomitant d’une crise
économique semble illustrer la volonté des dirigeants d’entreprises de contrer la critique du
monde de l’entreprise en tentant d’obtenir l’adhésion de leurs employés aux objectifs qu’ils
avaient définis. Elle est donc en partie perçue comme un outil stratégique aux mains des
managers, et ceci se remarque en pratique assez souvent, ce qui ne doit pas empêcher de voir
tout un courant de recherche qui s’est aussi intéressé à la culture d’entreprise pour en
comprendre la naissance et les ressorts sans intention managériale directe. Cette notion a donc
fait l’objet, pour une part, de nombreux développements où son succès est en dû en partie à un
effet de mode, mais aussi aux vertus qui lui ont étés accordées, comme la capacité de motiver,
d’impliquer, de fidéliser et de développer la performance des salariés, et donc des entreprises.
D’autre part, les grands mouvements de fusion/acquisition et les difficultés relationnelles qui
en découlaient ont encouragé les chercheurs à se pencher sur l’image qu’avaient les employés
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de leur entreprise, le choc des mentalités, etc, le tout renvoyant à un ensemble de valeurs et
pratiques qui permettent de proposer une approche de l’organisation centrée sur la culture.
L’étude des organisations sera toujours tiraillée entre cette recherche de connaissance sur le
fonctionnement humain organisé dont il est possible de tirer des règles de meilleure entente,
mais qui valide continuellement l’idée de partage du travail, d’implication des membres,
d’engagement réciproque pour arriver à cela, et des tentatives de récupération manipulatoires
pour utiliser ces connaissances de manière à obtenir le maximum de ses partenaires sans avoir
à s’engager soi-même. L’idée de culture illustre particulièrement bien ce partage : il est
indéniable que l’approche des organisations par la culture éclaire énormément sur les logiques
de regroupement, d’appartenance, ou d’exclusion en montrant comment des cultures
spécifiques sont partagées par les membres, mais il est aussi aisé de voir comment cette idée
de culture de l’organisation peut être manipulée en tentant d’imposer une culture forgée par la
direction de manière à orienter les comportements et valeurs des personnes vers leurs
objectifs. J. P. Le Goff, dans Le mythe de l’Entreprise, présente le cas de certains projets et
chartes d’entreprises (documents censés codifier et formaliser la culture d’entreprise) faisant
l’objet d’une forme d’instrumentalisation des notions d’éthique, de morale et même de la
participation des salariés, qui peuvent correspondre à une tentative d’imposition d’une
« culture légitime » par « l’autorité légitime » dans l’organisation. Dans ce cas précis, le
changement de culture exprime bien un rapport de pouvoir puisque l’objectif de ce type de
démarche est la mobilisation et le contrôle des actions et des comportements des salariés. Le
but final étant de faire de l’entreprise la nouvelle communauté d’appartenance de référence
pour l’individu ; ce qui permet une extension de la relation de subordination salarié/entreprise
au delà du cadre défini par le droit du travail. Ce qu’on voit, sous une forme manipulatoire ou
naturelle, dans les organisations idéologiques (partis politiques, mouvements religieux, etc).
On peut commencer par caractériser les traits qui permettent d’aborder la culture en
entreprise. En trois points :
1. C’est un système composite et multidimensionnel, dans lequel on peut inclure divers
éléments qui sont à la base de la vie sociale d’un groupe (idées, valeurs, rôles, codes,
objectifs, procédures, règles, normes, méthodologies…).
2. C’est un système symbolique qui produit et entretient des croyances qui sont utilisées
par le groupe pour construire ses idéaux et donner un sens (autre qu’économique) à
son action.
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3. C’est un système effectif qui peut être utilisé par le management, parfois de façon
exclusive, pour mettre en avant un socle commun à l’ensemble des membres de
l’organisation (en utilisant parfois de façon plus ou moins justifiée la notion d’identité)
et ainsi les fédérer autour des objectifs définis par le management.
On peut distinguer deux tendances dans l’approche des organisations par la culture. Une
tendance plutôt managériale qui se préoccupe plus de changement immédiat et où l’on pense
qu’une culture peut être inculquée aux salariés : elle est alors envisagée comme une variable
(c'est-à-dire un contenu) de l’organisation (« l’entreprise a une culture »). Un autre courant
s’attache plutôt à sa construction au fil du temps comme à sa dimension constitutive de
l’organisation. Il ne serait pas possible de l’abstraire et d’en changer par la simple volonté
d’un décideur : elle serait alors une métaphore ou un mode de description de l’organisation
(« l’entreprise est une culture »).
L’idée de culture d’entreprise a longtemps été limitée par l’idéologie universalisante régnant
dans les sciences humaines et qui cherchait à retrouver les invariants derrières les variations
de surface. Cette approche va donc se déployer avec la remise en cause des théories
monolithiques que nos avons vues, notamment avec le développement de l’école de la
contingence ou de l’analyse stratégique. Un premier cas de recherche menée dans cette
optique est celle de Geert Hofstede qui va analyser les employés de l’entreprise IBM sur cinq
continents et dans cinquante pays différents pour conclure que si ceux-ci font face à des
problèmes similaires, leur façon de répondre différera énormément selon leur origine
nationale. Les entreprises internationales ont en effet été un matériau particulièrement riche
pour imposer cette idée de diversité culturelle en exposant les managers à des mésententes et
aux différences de réaction face aux mêmes problèmes qui invalident définitivement l’idée
d’invariants.
Ce premier cas nous amène à nous attarder sur les ressorts de ce qui forme une culture. La
notion de culture est en effet problématique dans sa définition, et ce dans tous les champs des
sciences sociales. La polysémie du terme souligne un problème plus général lié à cette
notion : il existe une multitude d’approches théoriques et de définitions, qui peuvent êtres
contradictoires, parfois au sein de mêmes courants de pensée. Par conséquent l’emploi de
cette notion implique des précautions particulières. Les travaux vont en effet mettre en avant
des liens différents qui permettent de former la culture à analyser : entre une culture et une
nation, une culture et une pratique ou un métier voire même une forme d’anthropologie
universelle de la culture.
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En organisation, les premières recherches s’éloignant du modèle universaliste ont
naturellement porté sur les cultures nationales. Les chercheurs ont scindé celles-ci en quatre
dimensions : la distance hiérarchique, le degré d’individualisme, le degré de masculinité et le
contrôle de l’incertitude ; auxquelles on peut ajouter une autre dimension mise en évidence
plus récemment, l’orientation de la vie vers le long ou le court terme. Des questions ont été
préparées pour sonder chacune de ces dimensions.
Ainsi, la distance hiérarchique est mesurée grâce à des questions portant sur le pouvoir, le
style de direction, l’attitude d’encadrement la plus appréciée, la communication avec les
supérieurs. Les résultats établissent une relation avec des groupes de langues : les pays de
langue romane ont un indice élevé tandis que ceux de langue germanique sont bas. On appelle
cet indice l’IDH (indice de distance hiérarchique).
En ce qui concerne l’individualisme, Hofstede définit les sociétés qui le sont comme « celles
où les personnes doivent se prendre en charge seules et où les liens entre les individus sont
lâches ». Il y oppose les sociétés collectivistes où les individus sont liés et se soutiennent
mutuellement. La collectivité y offre une protection en échange de laquelle l’individu donne
sa loyauté. On la mesure en calculant la place accordée dans les relations de travail aux
personnes ou aux affaires elles-mêmes (une firme collectiviste cherchera à nouer des relations
personnelles avant de conclure un marché par exemple). L’individualisme est calculé par le
biais de questions portant sur le temps pour soi, la liberté, le goût pour les challenges, la
formation, les conditions de travail, l’utilisation des capacités (selon l’employé et
l’employeur). L’indice, appelé IND (indice de l’individualisme), semble corrélé négativement
avec l’IDH : les pays les plus individualistes sont ceux où la distance hiérarchique est la plus
basse. On lie aussi ce taux à la richesse nationale. Les États-Unis et la Grande Bretagne ont
les taux les plus élevés, suivis d’assez loin par la France, le Portugal étant en queue
Le degré de masculinité, donnant lieu à l’indice IMA (indice de masculinité), distinguent les
sociétés masculines, où les rôles sont clairement différenciés (i.e. souvent dans une répartition
distinguant un homme fort assurant la réussite et une femme faible s’occupant du foyer). Dans
le cas contraire, les rôles sont interchangeables. Cet indice est calculé par des questions sur la
rémunération, la reconnaissance, l’avancement, le challenge, la hiérarchie, la coopération, le
cadre de vie, la sécurité de l’emploi (les quatre premiers étant associés au masculin, les quatre
suivants au féminin). Le Japon a le taux le plus élevé, les États-Unis ont un taux beaucoup
plus moyen, la France se situe encore plus bas et les Pays-Bas comme la Suède ont tout deux
des taux très faibles. Cette différence se traduit visiblement dans les comportements :
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négociation et compromis s’opposent à rapport de force et confrontations. L’IMA est lié à
l’âge : plus les individus sont jeunes, plus l’IMA est élevé.
Le contrôle de l’incertitude correspond à l’ensemble des mécanismes mis en œuvre pour gérer
l’anxiété engendrée par l’incertitude. Elle y est définie comme une expérience subjective dont
les racines plongent dans l’irrationnel. L’indice ICI (contrôle de l’incertitude) est formé par
des questions portant sur le stress au travail, le besoin de règles, le désir de stabilité. Les pays
de culture latine (Europe et Amérique), germanophones et le Japon ont généralement un taux
ICI élevé. Il est plus faible pour les pays anglo-saxons, le reste des pays asiatiques ou
l’Afrique. On lie souvent l’ICI à l’histoire de la nation.
La cinquième dimension relevée distingue orientation vers le long ou le court terme. Dans le
premier cas, sont mises en avant des valeurs telles que la persévérance, le sens de l’économie.
Dans le second, l’importance de la « face », le respect des traditions, la réciprocité des
politesses. Ceci aboutit à un indice ILT (indice d’orientation à long terme) où les pays
asiatiques ont les scores les plus élevés (long terme) et les pays occidentaux les scores les plus
faibles (court terme).
Ces indices portent sur des sociétés, les questions posées ne doivent donc pas nécessairement
obtenir des réponses convergentes chez chaque individu, ce qui est calculé est la récurrence
statistique dans une société. Par exemple, il ne sera pas nécessaire que chaque personne ayant
répondu aux questions portant sur l’ICI ait réuni à la fois besoin de règles et désir de stabilité,
ce qui est analysé est le taux de réponses globales allant en faveur du besoin de règles, le taux
de réponses globales allant en faveur du désir de stabilité, etc.
Les conséquences pratiques sur les organisations sont de deux ordres : d’une part la direction
des hommes (façon de les motiver, de les commander), et d’autre part la structuration de
l’organisation.
Ceci donnera tout d’abord naissance à l’idée de management culturel, qui s’intéresse plutôt à
la direction des hommes. Elle se fonde sur l’idée qu’il est nécessaire de gérer la culture de
l’organisation pour pouvoir en tirer parti dans l’efficacité de l’organisation générale. Maurice
Thévenet insiste ainsi sur son rôle primordial dans l’intégration puisqu’elle va servir de
référence aux membres, leur permettre d’agir en cohérence. Certains auteurs vont même
jusqu’à avancer que la culture peut remplacer la structure pour orienter les comportements
vers les objectifs globaux de l’organisation. Ces fonctions supposent néanmoins la possibilité
de diriger cette culture, et donc l’existence d’outils adéquats. Ceux-ci sont constitués par le
recrutement, la formation, la communication interne et externe. Ils représentent en effet des
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canaux de transmission par lesquels la gérer en partie. Par exemple, en sélectionnant les
candidats à l’embauche par l’intermédiaire de tests de personnalité et retenant ceux dont les
valeurs concordent avec celles identifiées dans l’entreprise ; en axant les formations sur des
domaines particuliers et en profitant de ces moments pour renforcer l’adhésion à cette
culture ; en proposant des actions de team building ; en diffusant sa culture dans son discours
externe, dans son journal interne, son intranet, les déclarations de ses dirigeants, etc.
Un concept complémentaire à ces outils est celui de « focalisation ». Les auteurs qui l’ont
élaboré (Ramanantsao et Hoffstetter) montrent que chaque organisation a une identité fondée
sur un axe principal, ce qu’ils appellent « l’objet principal de focalisation ». Ils définissent la
focalisation de l’identité comme « le processus par lequel les aspirations et les actions des
membres d’une même entité économique et sociale convergent vers un même élément,
constituant ainsi l’ossature de l’identité ». Cet objet de focalisation peut être très divers : un
produit, un domaine d’activité, un mode de comportement, un leader charismatique.
Comprendre cet objet va permettre de comprendre la nature et les axes fondamentaux de la
culture de l’organisation et donc de mieux la gérer ou la faire évoluer, en faisant alors un atout
pour les managers et non plus une contrainte, ou un frein.
En ce qui concerne la structuration de l’organisation, les deux dimensions principales qui la
déterminent, à savoir la division du travail et la coordination, correspondent selon les auteurs
Daniel Bollinger et Geert Hofstede à deux dimensions relevées dans la constitution de la
culture : la distance hiérarchique et le contrôle de l’incertitude. Ainsi, à la valeur de l’IDH
correspondra un degré équivalent de centralisation et l’ICI renseignera sur le degré de
formalisation de l’organisation (standardisation, rôle des experts, etc). Les chercheurs
proposent en conclusion aux managers culturels quatre modèles rencontrés de par le monde :
• Pour deux indice faibles, on trouve une « organisation qui ressemble à une place de
marché : ni formalisée, ni centralisée » (Scandinavie, pays anglo-saxons)
• Avec un IDH fort et un faible ICI, on trouve le modèle de la « famille élargie » (Inde,
côte d’Ivoire et certains pays d’Asie)
• Avec un IDH faible et un fort ICI, on trouve une organisation qualifiée de « machine »
(Allemagne)
• Avec deux taux forts, on trouve une « organisation bureaucratique pyramidale », très
formalisée et centralisée (Japon, France)
Les organisations doivent savoir adapter leurs règles aux cultures locales pour réussir. Les
organisations multinationales posent le problème de cette diversité culturelle. Souvent, la Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
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culture dominante est celle du pays d’origine (souvent aussi celle des hauts-dirigeants). Il est
nécessaire alors de disposer de dirigeants biculturels qui sauront faire le lien entre le
personnel d’un pays déterminé et la super-structure. Cette compétence biculturelle est très
difficile à acquérir (même s’il ne s’agit pas d’une compétence totale mais limitée au domaine
professionnel), d’autant plus que tout n’est pas traductible d’une culture à l’autre. On peut
remarquer que la tendance américaine est de faire peser cette nécessité de double-compétence
sur les non-américains (en employant des locaux disposant aussi de la culture américaine)
tandis que les autres pays tendent à expatrier des individus du pays d’origine. La cohabitation
de deux cultures dans ces organisations, même avec une culture dominante, ne va pas sans
heurts, certaines étant plus ou moins compatibles. Hofstede note l’ethnocentrisme des théories
du management en général mais constate aussi la difficulté de faire admettre la diversité « il
n’y a pas de norme en matière de culture. C’est là un message inconfortable, tout autant que
celui de Galilée déclarant au XVIIème siècle que la terre n’était pas le centre de l’univers. »
Certaines organisations posent le problème culturel de manière encore plus forte : des
organisations comme l’ONU, l’Union Européenne, l’UNESCO, reposent sur un modèle
multiculturel où aucune culture n’est dominante. Il n’y a donc pas d’imposition d’un modèle
qu’il s’agirait seulement de traduire. Ceci provoque une difficulté majeure puisque les
membres ne partagent pas nécessairement les mêmes valeurs (naturelles ou imposées), facteur
essentiel au bon fonctionnement d’une organisation. On assiste dans ces cas à une forte
rotation du personnel. Les concours encouragent par ailleurs à cette rupture culturelle puisque,
pour éviter toute subjectivité, ils sont axés sur les savoirs et peu sur les valeurs ou les « savoir-
être ». Les objectifs sont souvent flous, multiples et parfois même contradictoires. La solution
consiste alors à tenter de forger une forte culture organisationnelle « propre », « personnelle »,
basée sur le métier, différente de toute identité nationale35.
Mais la culture n’est pas seulement un outil permettant de distinguer des nations. Le concept a
permis de comprendre les fonctionnements des organisations selon des critères plus précis.
Les recherches vont se déployer essentiellement dans le domaine des différences entre
catégories socioprofessionnelles, soit vers les raisons de la formation de communautés de
travail, ce qui lie à la problématique plus générale de l’identité au travail.
Les catégories socioprofessionnelles ont été analysées par Renaud Sainsaulieu qui a choisi de
cerner des « comportements de groupe » qui serviront à définir une culture spécifique. Le
terme de culture ne s’applique donc pas seulement à l’entreprise mais aussi à des sous-parties
35 Par exemple, cas où un diplomate se définirait plus par cette fonction que par son origine nationale.Diffusable sous licence Creative Commons – CC BY-SA 3.0
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comme des ateliers, des services, des catégories professionnelles. Il se fonde pour la définir
sur des éléments comme la position hiérarchique, les situations de travail ou l’organisation
technique de la production.
Dans l’entreprise qu’il étudie, il distingue neuf modèles culturels. Les ouvriers non qualifiés
peuvent soit développer un modèle de « retrait » si l’implication dans l’entreprise est faible
(femmes, immigrés), soit un modèle d’« unanimisme » si l’implication est plus forte (ouvriers
spécialisés, fondeurs). Les ouvriers qualifiés oscillent quant à eux entre une « solidarité
démocratique » s’ils ont affaire à des techniques classique en présence d’OS ou un
« séparatisme » s’ils ont affaire à une technique de pointe. Les techniciens ont un
comportement influencé par l’attrait de la position cadre et le souvenir de l’atelier qui les
pousse à entretenir des « affinités sélectives ». Les cadres ont de leur côté un modèle basé sur
la « stratégie » eu égard à leur confrontation aux problèmes d’autorité et de résistance de
l’organisation. L’« individualisme » ou l’« entente et compromis » peuvent se trouver chez les
employés de bureau selon leur degré d’intégration à l’organisation et au groupe. Enfin, les
agents de maîtrise suivent un modèle d’« intégration » qui justifie par là leur position
hiérarchique.
Les individus arrivant dans l’entreprise ont une culture propre et il leur faut faire cet
apprentissage de la culture particulière à un groupe de travail. Sainsaulieu n’a pas fait de
comparaison interentreprises dans cette étude mais nous pouvons supposer que cette culture
de groupe va aussi évoluer selon l’entreprise. Sainsaulieu s’est vu reproché l’aspect
« modélisé » de ses résultats qui pourraient laisser penser qu’il s’agit d’une typologie
utilisable dans d’autres entreprises. Or les théories culturelles ont en commun avec l‘analyse
stratégique de réfuter cet aspect réducteur des modèles généraux. La culture doit être
reconstruite pour chaque cas et ce selon certains critères.
Trois dimensions principales vont aboutir à la formation de cette culture spécifique :
1. La culture antérieure de chaque individu (H/F, Rural/citadin, culture familiale, culture
ethnique, culture au travail acquise dans une autre entreprise, etc.)
2. La situation de travail proprement dite (catégorie socioprofessionnelle, type de travail)
3. La situation stratégique des rapports de pouvoir (politique de la direction,
syndicalisme, conflits sociaux, relations particulières de pouvoir propres à un service
ou un atelier, etc.)
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On peut donc lier cette théorie très facilement à l’analyse stratégique puisqu’on peut lire à
travers cette définition la référence à des éléments comme le pouvoir ou le système d’action
concret.
Pour fournir une définition synthétique et opératoire de la culture d’entreprise qui reprenne
ces traits structurants, nous reprendrons la définition fournie par Maurice Thévenet en y
apportant quelques précisions. La culture organisationnelle peut être envisagée comme :
• un ensemble de références, composé de valeurs, de signes et de symboles...
• ... partagées dans l’organisation et marquant les comportements et attitudes de ses
membres...
• ... et construites tout au long de son histoire en réponse aux problèmes, à la fois
internes et externes, rencontrés par l’entreprise, et ce sous l’influence conjuguée des
individus et de l’environnement.
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