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••• LA NOTION DE COMPÉTENCE permet de concevoir et mettre en place une éducation «globale» qui relie les différents temps et espaces éducatifs, ainsi qu’une formation qui se développe tout au long de la vie. Ces différents aspects bousculent notre modèle scolaire traditionnel et font débat. Quelles sont la place et la mission principale de l’École dans la société ? L’École doit-elle diplômer ou certifier les compétences acquises ? L’École doit-elle prendre en compte des compétences extra- scolaires ? Toutes les disciplines scolaires peuvent-elles s’enseigner par compétences ? Philippe Perrenoud (1) place le débat autour d’une crise de l’École fonda- mentale forcée de se légitimer. Mais le sociologue s’interroge : «quand l’École prétend préparer à la vie», est- ce «développer des compétences ou enseigner d’autres savoirs ?». «Les réformes curriculaires en cours ne questionnent pas la pertinence des savoirs scolaires traditionnellement enseignés. Elles se contentent d’insister sur la nécessité d’apprendre à s’en servir, à les mobiliser dans des situa- tions complexes. Mouvement légitime, mais qui s’arrête au milieu du gué.» Pour résumer, la question des réformes curriculaires en cours ne fait pas qu’in- terroger le mode de transmission et d’acquisition de savoirs ou de compé- DOSSIER n°168 août-septembre 2013 leNSEIGNANT 13 Les compétences au cœur de la réforme scolaire Et si le changement passait par les compétences ? Le concept de compétences dépasse largement le socle commun de connais- sances et de compétences en touchant notamment la formation professionnelle, l’évaluation, la certification des élèves, l’éducation non formelle. Les réformes engagées forment un tout cohérent, invitant à un changement profond du système éducatif. Ce dossier vous propose d’en mesurer les enjeux.

Les compétences au coeur de la réforme scolaire

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Dossier 168 de la revue l'Enseignant du SE-Unsa

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Page 1: Les compétences au coeur de la réforme scolaire

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LA NOTION DE COMPÉTENCE permetde concevoir et mettre en placeune éducation «globale» quirelie les différents temps etespaces éducatifs, ainsi qu’uneformation qui se développe toutau long de la vie. Ces différentsaspects bousculent notre modèlescolaire traditionnel et font débat. Quelles sont la place et la missionprincipale de l’École dans lasociété ? L’École doit-elle diplômerou certifier les compétencesacquises ? L’École doit-elle prendreen compte des compétences extra-scolaires ? Toutes les disciplinesscolaires peuvent-elles s’enseignerpar compétences ? Philippe Perrenoud(1) place le débatautour d’une crise de l’École fonda-mentale forcée de se légitimer. Maisle sociologue s’interroge : «quandl’École prétend préparer à la vie», est-ce «développer des compétences ouenseigner d’autres savoirs ?». «Lesréformes curriculaires en cours nequestionnent pas la pertinence dessavoirs scolaires traditionnellementenseignés. Elles se contentent d’insistersur la nécessité d’apprendre à s’enservir, à les mobiliser dans des situa-tions complexes. Mouvement légitime,mais qui s’arrête au milieu du gué.» Pour résumer, la question des réformescurriculaires en cours ne fait pas qu’in-terroger le mode de transmission etd’acquisition de savoirs ou de compé-

DOSS

IER

n°168 • août-septembre 2013 • l’eNSEIGNANT 13

Les compétences au cœur

de la réformescolaire

Et si le changement passait par les compétences ? Le concept decompétences dépasse largement le socle commun de connais-

sances et de compétences en touchant notamment la formationprofessionnelle, l’évaluation, la certification des élèves,

l’éducation non formelle. Les réformes engagées forment un tout cohérent, invitant à un changement profond du système

éducatif. Ce dossier vous propose d’en mesurer les enjeux.

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tences, elle dépasse l’enjeu didactique et pédagogique enposant la question : que faut-il enseigner à tous, d’unemanière ou d’une autre ?

Travailler et évaluer par compétencesDe nombreux professeurs se sont par ailleurs emparés dela notion de compétence pour son apport à l’acted’apprendre lui-même. L’entrée par compétences, c’est l’obli-gation de mettre des mots sur ce que doivent savoir faire lesélèves et qui n’est pas toujours explicite ou explicité. Avecles compétences, l’enseignant partage avec l’élève etformalise avec lui les attendus de la réussite. Par exemple, dans de nombreux collèges, des expérimenta-tions de classes sans notes sont menées en 6e et parfoisau-delà. Les principales motivations sont de rendre le travailet l’évaluation plus explicites, de laisser le temps aux élèvesde progresser, de reconnaître ces progrès, de porter unregard collectif et partagé sur le travail des élèves. Mais leséquipes pédagogiques ont dû bien souvent adapter le livretde compétences conçu par le ministère. Pour Olivier Rey(2), «la généralisation des livrets de compé-tences dans les établissements scolaires porte des questionsconcrètes qui font souvent de l’évaluation le vrai pointd’entrée des compétences dans les classes. Si de nombreuxtravaux ont permis de préciser ce que peuvent être les compé-tences dans l’éducation, leur évaluation reste en effetproblématique».

Les expérimentations diverses permettent de lever lesambiguïtés et malentendus sur l’approche par compétences.Pour Annie di Martino et Anne-Marie Sanchez(3), la mobili-sation de ressources passe d’abord par leur nécessaireacquisition. Professeures en collège et formatrices dans l’aca-démie de Versailles, elles militent pour transformer le soclecommun de compétences en couteau suisse, dont chaqueenseignant peut saisir les différentes lames pour mieuxorganiser les apprentissages et clarifier la relation pédago-gique. Concernant l’évaluation, elles précisent qu’une«compétence ne peut se voir, elle ne peut se manifester quepar des productions dont les indicateurs sont concrets etobservables». Elle se mobilise notamment dans des situa-tions et des tâches complexes. Ce souci opératoire est partagépar Cécile Walkowiak et Francis Blanquart(4) qui invitent àtravers les compétences, à faire dialoguer et coopérer lesdisciplines, pour donner plus de sens aux apprentissagesdes élèves. In fine, c’est bien aussi l’autonomie des élèvesqui est visée.

De nouvelles compétences professionnelles ?Loin de dicter une pédagogie officielle, travailler par compé-tences permet aux collègues d’investir leur libertépédagogique dans un cadre collectif, en élargissant leurpalette de compétences professionnelles. Différencier,prendre en charge la difficulté scolaire, accompagner lesélèves dans leurs apprentissages par de l’aide ciblée, par du

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14 Syndicat des enseignants - UNSA • www.se-unsa.org

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tutorat..., ces quelques missions prennent une place de plusen plus importante dans le métier d’enseignant. Mais leministère peine à mettre en cohérence les référentiels decompétences. Les compétences du référentiel professionnel(pour le master) listent de manière trop large ce qu’unprofesseur doit maîtriser, et elles ne sont pas en adéquationavec les compétences identifiées pour les concours de recru-tement. Elles ne guident pas pour l’heure, la formationcontinue des enseignants, ni même leur évaluation. De manière générale, les réformes engagées émergent decompromis boiteux, parfois faiblement conceptualisés etprécipités (le socle commun et le LPC en sont les meilleursexemples). Pour l’heure, elles esquissent une œuvrepointilliste loin d’être achevée.

Anthony Lozac’h

Références :(1) Philippe Perrenoud, «Quand l’école prétend préparer à la vie... Développer des

compétences ou enseigner des savoirs», ESF éditeur – Cahiers Pédagogiques, 2011

(2) Olivier Rey, «Le défi de l’évaluation des compétences», Dossier Internet de l’Ifé, juin 2012

http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.php?parent=accueil&dossier=76&lang=fr

(3) Annie di Martino, Anne-Marie Sanchez, «Socle commun et compétences, pratiquespour le collège», ESF éditeur – Cahiers Pédagogiques, 2011

(4) Francis Blanquart, Céline Walkowiak, «Réussir l’école du socle – en faisantdialoguer et coopérer les disciplines», ESF éditeur – Cahiers Pédagogiques, 2013

CLAIRE KREPPER, secrétairenationale

LA NOTION DE COMPÉTENCE est porteuse d’avancéesintéressantes dans le domaine pédagogique. Sa

dimension intégrative et son ouverture sur l’«agir»doivent permettre de donner du sens aux apprentis-sages scolaires. Ce sens échappe à des élèves demoins en moins en connivence avec les attentes d’uneinstitution scolaire qui, elle-même, est de plus en plusen décalage avec les nouvelles approches sociales de la connaissance. En 2005, avec le socle commun,s’est ouverte une période de tâtonnements et d’expérimentations qui se sont superposés auxfonctionnements traditionnels. Les dérives technocra-tiques liées au pilotage par les résultats n’ont paspermis aux approches par compétences de prendreleur essor car elles en ont masqué le sens. La Refondation devra s’appuyer sur une nouvelleapproche des compétences, de leur définition, de leur«didactisation», de leur évaluation. C’est le combat quele SE-Unsa mènera dans les mois à venir auprès dutout nouveau Conseil supérieur des programmes.

L’AVI

SD

U

SYNDICAT

LEXIQUE• COMPÉTENCES

Le ministère a adopté une définition proche

de celle retenue par l’Union européenne. Une

compétence consiste ainsi en la mobilisation

d’un ensemble de ressources diversifiées

internes (connaissances, capacités, habiletés)

et externes (documents, outils, personnes).• CURRICULUM

Selon Roegiers, le curriculum constitue l'archi-

tecture pédagogique d'un système éducatif, et

conditionne à la fois la manière dont sont rédigés

les programmes, les pratiques de classe,

l'évaluation des acquis des élèves, la formation

des enseignants et la conception des manuels

scolaires. Il combine des décisions de nature

politique (la politique éducative) et des décisions

de nature technique (la gestion de l'éducation).

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PÉDAGOGIE

«Les compétences s’op-posent aux connaissances»Les connaissances sont constitutivesdes compétences, comme les capacitéset les attitudes. Exercer une compé-tence nécessite de mobiliser ces troisressources dans des situations diverses.La compétence ne doit pas seconfondre avec un savoir-faire. L’Écolecontribue toujours à l’acquisition deconnaissances.

«Les compétences viennentdu monde du travail»L’évaluation des compétences est unepratique ancrée dans le monde profes-sionnel, mais ne s’y réduit pas. À l’École, elle ne poursuit pas lesmêmes finalités car il s’agit d’évaluer ledegré d’acquisition des compétencesdu socle commun. Ce dernier vise bienla poursuite d'études. Par ailleurs, descourants pédagogiques ont investidepuis longtemps le champ descompétences sans lien avec lemanagement.

«L’évaluation par compé-tences donne du travailsupplémentaire»L’évaluation du socle commun via leLPC s’est imposée en plus de l’éva-luation traditionnelle. Or, les deux sontdifficilement compatibles. Le Ministrea simplifié la validation du LPC pourrépondre à ces critiques. Mais laréflexion sur l’évaluation des élèves doitêtre globale car les limites de l'éva-luation chiffrée sont connues. L’enjeu

est bien, grâce aux compétences,d’évaluer moins et mieux les élèvesselon des modalités partagées.

«Les disciplines sont mena-cées par les compétences»Les disciplines contribuent à l’acqui-sition de compétences propres et decompétences transversales. Le problème est surtout l’inégale identi-fication et «didactisation» descompétences selon les disciplines.L’enjeu est de pouvoir clarifier cetteconstruction, ce que doit permettre laréécriture du socle commun et desprogrammes. Par ailleurs, s’il s’agit bien de choisirquels contenus seront enseignés, celane signifie absolument pas la dispa-rition des disciplines.

«On ne peut pas enseigner lescompétences transversales»Les compétences 6 (civiques et sociales)et 7 (autonomie et initiative) du soclecommun sont dites transversales carelles ne portent pas sur un programmespécifique d’enseignement maisconcernent toute action pédagogiqueet éducative. Si leur évaluation ne peutdonc senvisager de manière identique,ces compétences sont déterminantespour la réussite scolaire. Elles contribuent à expliciter lesattendus scolaires. Par ailleurs, lacompétence «apprendre à apprendre»est oubliée pour l’instant des compé-tences transversales.

Anthony Lozac’h

16 Syndicat des enseignants - UNSA • www.se-unsa.org

En finir avec les idées reçues Tous les arguments (ou pseudo-vérités) sont bonspour freiner la mise en œuvre réelle des compétencesà l’École. Et si on parlait vrai ?

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n°168 • août-septembre 2013 • l’eNSEIGNANT 17

• Rendre nos élèves compétents, c’est leur donner lesmoyens de construire eux-mêmes leurs connaissances, afin que celles-ci nesoient pas seulement théoriques. Cette construction se fait par l’expérience,

la recherche, le tâtonnement. L’enseignant devient alors un guide en fournissant aux élèves de quoi arriver à résoudre les

problèmes au fur et à mesure que ces derniers le demandent.C’est à l’enseignant de proposer des tâches complexes et depréparer les outils permettant de les résoudre, ces derniers

n’étant pas donnés de manière identique aux élèves. Ce typede démarche devrait permettre à beaucoup d’enfants de

prendre l’habitude de ne pas être passifs face à une situationproblème en étant toujours dans une position de chercheur de

sens puis de solution(s).Yannick Kiervel, PE en CM2

• Pour moi, enseigner par compétences c’est d'abord avoir une idée précisede qui sont mes élèves, leurs points forts et leurs points faibles, de

pouvoir en discuter avec eux, de mettre en place des stratégiesde travail individuel, de sortir d'une évaluation sommative

dans laquelle ils ne regardent que les chiffres, les dédai-gnent ensuite et ne s'emparent jamais de ce qu'il y a dans

leur copie. En fait, mon cheminement concernant le travailpar compétences, c'est le fruit de mon travail de rechercheet de veille pédagogique personnelle sur Internet. J'ai aussiété conforté par le numéro des Cahiers pédagogiques sur

les compétences, et enfin par le travail avec SACoche(*)

qui a tout de suite permis un autre contact avec les élèves et les parents.

(*) SACoche est un logiciel libre de suivi d’acquisition de compétences et d’évaluation développé par l’association Sésamath.

Gaëtan Perrin, professeur de Mathématiques en collège

• Travailler par compétences induit des changements dans la conduite de la classe. Cela passe forcément par une mise en activité importante,

la pédagogie frontale a presque disparu. Étant moins face à eux, je suis plusavec eux. Je les accompagne, et lorsque j’interviens pour une mise

en perspective, un récit, je constate une bien meilleure attention.Les élèves savent qu’ils doivent acquérir des compétences,

précises, et identifiées. Ils ont toujours avec eux leur référentielqui est un outil de travail essentiel : dès qu’une compétence

est évoquée, ils l’ouvrent et vérifient ce qu’ils ont à faire. Ils ontgagné en autonomie et en efficacité. Ils travaillent par groupe,

peuvent s’entraider, ils se déplacent dans la classe pourdemander de l’aide, aller chercher un livre, un netbook...

Olivier Quinet, professeur d’Histoire en collège

Retrouvez l’intégralité de ces témoignages sur notre blog «École de demain»

Ils en disent

Page 6: Les compétences au coeur de la réforme scolaire

EN PRATIQUE

MONTAIGNE DISAIT : «Mieux vaut une têtebien faite que bien pleine». Pour EdgarMorin, ce que signifie une tête bienpleine est clair : c’est une tête où lesavoir est accumulé, empilé, et nedispose pas d’un principe de sélectionet d’organisation qui lui donne sens.Une tête bien faite signifie que, plutôtque d’accumuler le savoir, il estbeaucoup plus important de disposerà la fois d’une aptitude générale à poseret traiter des problèmes et de principesorganisateurs quipermettent de relierles savoirs et de leurdonner sens.Proposer des tâchescomplexes à nosélèves, c’est bien leurpermettre de construire ces compé-tences indispensables dans un mondeinstable et incertain.Et si travailler par situations complexesétait aussi une façon d’intégrer la diffé-renciation pédagogique sans devoirorganiser de multiples variantes d’unemême tâche ? La différenciation est tropsouvent pensée comme une indivi-dualisation des tâches, voire desobjectifs. Cette approche est chrono-phage pour l’enseignant. Et elle estcontreproductive pour les élèves carelle contribue à creuser les écarts parune baisse des exigences pour lesélèves en difficulté.Quand on propose une tâchecomplexe, on lance un défi et on soudele groupe classe dans un mouvementd’ensemble. D’abord incrédules («leprof nous propose un truc impos-sible !»), les élèves se mobilisentvolontiers pour imaginer comment onpourrait procéder. Aucun n’a laréponse, même pas le «crack» de la

classe. Ce défi est à affronter ensembleet sa richesse est en mesure demobiliser cognitivement tous lesélèves. Certains élèves vont faire le lien entredes connaissances théoriques,construites ou en cours deconstruction, et leur utilité pour traiterla situation. D’autres vont être amenésà acquérir des savoirs qui leurmanquent et ce sera aussi l’occasiond’exercer et de développer des compé-

tences d’organisation dutravail, d’échanges engroupe...La variété des tâches àmener au sein de lasituation complexe per-met à chacun de prendre

une place active et le fait que ledéfi nécessite plusieurs

séances de travail donne aux élèvesfragiles la possibilité de s’inscrirepleinement dans le travail à ladeuxième ou à la troisième séance. Laisser aux élèves une latitude dansle choix de la démarche, les outils àutiliser et favoriser le travail à plusieurspermet une différenciation et unenrichissement des possibles. Il estalors assez aisé pour l’enseignant depiocher dans l’environnement qu’il aconçu, de quoi accompagner chaqueélève : un outil, une procédure d’uncamarade à copier, une aide adaptée.Une phase finale de formalisation desapprentissages réalisés permet àchacun d’intégrer, en y attribuant dusens, les savoirs scolaires rencontrésau cours du travail.

Stéphanie deVanssay

Plus d’éléments etdes exemples

concrets sur notreblog École de demain

Différencier par les tâchescomplexes

Avec les situationscomplexes, on lance

un défi, on soude le groupe classe

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