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La microangiopathie diabétique La survenue de la microangiopathie diabétique est corrélée à l’équilibre glycémique. Un abaissement de l’HbA1c de 1 % diminue le risque d’apparition ou d’aggravation de la rétinopathie diabétique de 30 %. On regroupe sous ce terme les complications spécifiques du diabète que sont : la rétinopathie, la glomérulopathie et la neuropathie diabétiques. En effet, ces complications sont souvent associées, formant la classique triopathie diabétique. Corrélation avec l’équilibre glycémique Leur survenue et leur évolutivité sont étroitement corrélées à la durée du dia- bète et au degré d’équilibre glycémique. Il est maintenant prouvé que l’équilibre du diabète de type 1 grâce à une « insulinothérapie optimisée » permet d’en prévenir l’apparition ou d’en freiner l’évolution (DCCT). Il en va de même en ce qui concerne le diabète de type 2, bien que les modalités de l’optimisation thérapeutique restent difficiles à définir (UKPDS). Toutefois, lorsque ces complications sont installées, l’équilibre parfait du dia- bète ne peut ni les faire régresser ni même stopper l’évolution inexorable. Il per- met néanmoins de freiner l’aggravation. Cependant, la guérison du diabète par greffe pancréatique, permet après 10 ans de faire régresser des lésions histologiques de néphropathie diabétique. Mais l’objectif d’une normalisation glycémique est hors de portée, en dehors d’une guérison du diabète par greffe du pancréas ou parfois par bypass gastrique en cas d’obésité sévère. Paradoxalement, l’amélioration rapide de l’équilibre métabolique peut initiale- ment être responsable d’une aggravation transitoire de la rétinopathie ou de la neuropathie. Cette aggravation semble se faire sur le mode ischémique avec apparition au niveau de la rétine de nodules cotonneux secondaires à une obs- truction artériolaire et développement éventuel d’une polyneuropathie ou d’une mononeuropathie aiguë motrice et/ou douloureuse, parfois spectaculaire mais pratiquement toujours réversible. L’hypothèse la plus communément avancée pour expliquer cette aggravation initiale transitoire est celle d’une chute brusque du flux sanguin capillaire entraînée par le retour à la normoglycémie, provo- quant l’ischémie des vaisseaux malades. (On peut, par analogie, évoquer le rôle aggravant d’un traitement énergique d’une hypertension artérielle chez un patient ayant une artérite sévère des membres inférieurs). 18

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La microangiopathie diabétique

� La survenue de la microangiopathie diabétique est corrélée à l’équilibre glycémique. Un abaissement de l’HbA1c de 1 % diminue le risque d’apparition ou d’aggravation de la rétinopathie diabétique de 30 %.

On regroupe sous ce terme les complications spécifiques du diabète que sont : la rétinopathie, la glomérulopathie et la neuropathie diabétiques. En effet, ces complications sont souvent associées, formant la classique triopathie diabétique.

Corrélation avec l’équilibre glycémiqueLeur survenue et leur évolutivité sont étroitement corrélées à la durée du dia-bète et au degré d’équilibre glycémique.

Il est maintenant prouvé que l’équilibre du diabète de type 1 grâce à une « insulinothérapie optimisée » permet d’en prévenir l’apparition ou d’en freiner l’évolution (DCCT).Il en va de même en ce qui concerne le diabète de type 2, bien que les modalités de l’optimisation thérapeutique restent difficiles à définir (UKPDS).

Toutefois, lorsque ces complications sont installées, l’équilibre parfait du dia-bète ne peut ni les faire régresser ni même stopper l’évolution inexorable. Il per-met néanmoins de freiner l’aggravation.

Cependant, la guérison du diabète par greffe pancréatique, permet après 10 ans de faire régresser des lésions histologiques de néphropathie diabétique. Mais l’objectif d’une normalisation glycémique est hors de portée, en dehors d’une guérison du diabète par greffe du pancréas ou parfois par bypass gastrique en cas d’obésité sévère.

Paradoxalement, l’amélioration rapide de l’équilibre métabolique peut initiale-ment être responsable d’une aggravation transitoire de la rétinopathie ou de la neuropathie. Cette aggravation semble se faire sur le mode ischémique avec apparition au niveau de la rétine de nodules cotonneux secondaires à une obs-truction artériolaire et développement éventuel d’une polyneuropathie ou d’une mononeuropathie aiguë motrice et/ou douloureuse, parfois spectaculaire mais pratiquement toujours réversible. L’hypothèse la plus communément avancée pour expliquer cette aggravation initiale transitoire est celle d’une chute brusque du flux sanguin capillaire entraînée par le retour à la normoglycémie, provo-quant l’ischémie des vaisseaux malades. (On peut, par analogie, évoquer le rôle aggravant d’un traitement énergique d’une hypertension artérielle chez un patient ayant une artérite sévère des membres inférieurs).

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PhysiopathologieL’hyperglycémie chronique est en effet responsable de perturbations précoces de la microcirculation.

Sur le plan fonctionneln une augmentation du débit, de la pression et de la perméabilité capillaires, secondaires à une libération accrue de prostaglandines PGE2, PGI2, et de monoxyde d’azote (NO). Toutefois, au niveau des nerfs, l’œdème endoneural dû à l’hyperperméabilité serait responsable d’un défaut de la circulation capillaire endoneurale avec développement d’une ischémie chronique expliquant la résis-tance paradoxale à l’ischémie observée très précocement au cours de la neuropa-thie diabétique ;n une perte de l’autorégulation hémodynamique avec vasoplégie artériolaire d’amont. Cette vasodilatation pourrait être secondaire, au niveau de la rétine, à une situation métabolique de pseudo-hypoxie tissulaire avec production de radi-caux libres de l’oxygène. Elle s’expliquerait, au niveau du glomérule rénal, par l’augmentation de la réabsorption gluco-sodée tubulaire proximale. Quoi qu’il en soit, cette vasodilatation avec perte de l’autorégulation hémodynamique explique le retentissement sur la microcirculation de l’hypertension arté-rielle, ou même d’une pression artérielle « normale haute » ;n une tendance thrombogène avec notamment une augmentation du facteur de Willebrand synthétisé par les cellules endothéliales et une augmentation de la viscosité sanguine parallèle à l’augmentation du fibrinogène, responsable en particulier d’une hyperagrégabilité érythrocytaire.

Sur le plan histologiqueLes premières lésions observées sont de deux types :n d’une part la mort des péricytes, cellules de soutien enchâssées dans la paroi des capillaires et communiquant avec les cellules endothéliales. Ces cellules dérivent histologiquement des cellules musculaires lisses et ont des propriétés contractiles. Elles assureraient le maintien du tonus capillaire et contrôleraient la prolifération des cellules endothéliales. Au niveau du rein, on insiste aujourd’hui sur le rôle des podocytes et de la protéine néphrine qui forment le diaphragme interpodocytaire. L’hyperglycémie serait responsable d’un défaut de production de néphrine et d’une mort cellulaire par apoptose des podocytes. Ces altérations expliqueraient l’augmentation de la perméabilité de la membrane basale à l’al-buminurie, dont la sécrétion est elle-même délétère ;n d’autre part une synthèse accrue de la matrice extracellulaire (collagène, fibronectine, laminine) avec épaississement de la membrane basale et expansion du mésangium glomérulaire. Cette augmentation de synthèse protéique par les cellules endothéliales rétiniennes et les cellules mésangiales rénales semble être secondaire à l’augmentation du glucose intracellulaire provoquant une glycation protéique susceptible de modifier l’expression génique. En effet, cette déré-gulation de la synthèse de la matrice extracellulaire provoquée par une culture initiale en milieu enrichi en glucose persiste après plusieurs passages cellulaires en milieu normoglucosé. Il existerait donc une véritable mémoire génique de

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l’hyperglycémie. De plus, l’accumulation de matrice extracellulaire s’expliquerait par un défaut de catabolisme par les métalloprotéinases.

Sur le plan biochimiqueOn ne connaît pas encore les mécanismes liant l’hyperglycémie aux perturba-tions fonctionnelles et histologiques observées. Toutefois, il est intéressant de remarquer que les tissus cibles de la microangiopathie diabétique se caracté-risent par une pénétration libre du glucose intracellulaire si bien que le taux de glucose intracellulaire reflète le taux de glucose extracellulaire. Cette hypergly-cocytie entraînerait une augmentation des voies métaboliques non insulinodé-pendantes du glucose. Trois voies sont tout particulièrement incriminées :n la voie du sorbitol-fructose pourrait être responsable d’une pseudo-hypoxie métabolique (augmentation du rapport NADH/NAD, augmentation du rapport lactate/pyruvate) et d’une diminution de la Na-K ATPase. Elle pourrait être à l’origine de la mort précoce des péricytes rétiniens riches en enzyme contrôlant cette voie métabolique : l’aldose réductase ;n la glycation protéique serait donc non seulement extracellulaire, mais aussi et peut-être surtout intracellulaire. Elle serait responsable de la perturbation d’un certain nombre d’activités enzymatiques telles que la Na-K ATPase, mais surtout d’une modification de l’expression génique avec notamment augmentation de la synthèse de collagène ;n la voie du sorbitol peut être inhibée par les inhibiteurs de l’aldose réductase et la glycation protéique peut être inhibée par l’aminoguanidine. Les études animales ont donné des résultats très encourageants. Les études chez l’homme avec les inhibiteurs de l’aldose réductase ont plutôt été décevantes, et l’amino-guanidine semble être à l’origine d’effets secondaires obérant les essais cliniques humains ;n l’activation de la protéine kinase C. L’hyperglycémie chronique serait capa-ble d’activer une isoenzyme de la protéine kinase C grâce à une synthèse de dia-cyl glycérol. Or, la protéine kinase C est suspectée de favoriser l’action des facteurs de croissance, stimuler l’angiogenèse et la production de collagène. Elle pourrait donc jouer un rôle clé dans la pathogénie de la microangiopathie diabétique ;n l’activation de la voie des hexosamines. En hyperglycémie intracellulaire, le fructose 6 phosphate participe à d’autres voies métaboliques que la glycolyse. Le fructose 6 phosphate est ainsi converti en glucosamine 6 phosphate par une amidotransférase : la GFAT. L’inhibition de cette enzyme bloque l’hyperproduc-tion de TGF, de TGF et de PAI1 induite par l’hyperglycémie.n le stress oxydant. L’essentiel de la production d’espèces réactives de l’oxy-gène se fait dans les mitochondries. Compte tenu du danger que représentent les espèces réactives de l’oxygène, de nombreux mécanismes de défense existent dans les cellules. La balance entre production d’espèces réactives de l’oxygène et mécanismes de défense anti-oxydant détermine le degré de stress oxydant auquel seront exposées les cellules. Les travaux du groupe de Brownlee montrent que l’hyperglycémie est responsable d’une production accrue d’espèces réactives de l’oxygène dépassant les capacités de détoxicification, diminuant notamment la demi-vie et donc l’efficacité du NO et favorisant l’apoptose cellulaire.

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Facteurs modulateurs (protecteurs ou aggravants)La responsabilité de l’hyperglycémie chronique est en faveur d’une théorie métabolique uniciste. Cependant, la constitution des lésions est étroitement dépendante de la spécificité tissulaire. Il existe donc des facteurs locaux ou généraux, aggravants ou protecteurs, expliquant d’une part la discordance par-fois observée entre l’équilibre métabolique et la survenue des complications, d’autre part la dissociation fréquente des complications de rétinopathie, de glo-mérulopathie et de neuropathie.n L’hypertension artérielle est un facteur aggravant majeur de la glomérulo-pathie diabétique mais aussi de la rétinopathie diabétique. Elle ne semble, en revanche, jouer aucun rôle dans l’évolutivité de la neuropathie diabétique.n Le glaucome primitif (en entraînant une augmentation de la pression inters-titielle ?) et la myopie sévère (en entraînant une diminution des besoins en oxy-gène de la rétine ?) sont des facteurs protecteurs reconnus de la rétinopathie diabétique sévère.n Le décollement partiel du vitré, semble favoriser (pour des raisons méca-niques ?) la prolifération rétinienne. Au contraire, un décollement total du vitré, d’ailleurs plus fréquent chez le diabétique que dans la population générale, est un facteur de protection de la prolifération rétinienne.n L’âge ( 50 ans) semble être un facteur indépendant de protection vis-à-vis de la rétinopathie proliférante et de la glomérulopathie diabétiques, mais il est, en revanche, un facteur de susceptibilité majeure de la neuropathie diabétique, expliquant que l’on puisse observer chez des patients de 70 ans, une neuropa-thie diabétique sévère en l’absence de toute rétinopathie.n Le sexe masculin et la grande taille (en raison de la longueur axonale ?) seraient des facteurs de susceptibilité de la neuropathie diabétique.n L’artérite des membres inférieurs, en majorant l’ischémie neuronale, est également un facteur d’aggravation de la neuropathie diabétique.n L’hyperlipidémie serait un facteur d’aggravation de la glomérulopathie diabé-tique, de même que plus généralement l’ensemble des facteurs de risque d’athé-rosclérose, y compris les antécédents familiaux d’athérome et l’insulinorésistance elle-même. En effet, si près de 50 % des diabétiques insulinodépendants déve-loppent une rétino-pathie sévère, seulement la moitié d’entre eux présentent une glomérulopathie clinique. Et si l’incidence annuelle de la rétinopathie sévère reste stable, autour de 3 %, après 20 ans de diabète, celle de la glomérulopathie s’ef-fondre après 20 ans de diabète pour tomber à 3 ‰ après 30 ans d’évolution. Autrement dit, le diabétique qui n’a pas développé de glomérulopathie dans les 30 premières années de sa maladie, a un risque très faible de la voir apparaître, même si son diabète a toujours été mal équilibré et s’il a une rétinopathie sévère. Il existe donc des facteurs de protection ou de susceptibilité de l’atteinte glomé-rulaire. Ces facteurs sont essentiellement d’ordre génétique car plusieurs études ont montré l’existence d’une agrégation familiale de la glomérulopathie diabétique. Les progrès de la génétique moléculaire permettront la détermination des facteurs de susceptibilité de la microangiopathie diabétique. On pourra ainsi dépister les patients à haut risque de microangiopathie, en particulier de glomé-rulopathie. En attendant, force est de proposer à tous les diabétiques un objectif

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glycémique les mettant, autant que faire se peut, à l’abri des complications de microangiopathie.

Pour en savoir plusClark CM, Lee A. Prevention and treatment of the complications of diabetes mellitus. N Engl J

Med 1995 ; 332 : 1210–7.The Diabetes Control and Complications Trial Research Group. The relationship of glyce-

mic exposure (HbA1c) to the risk of development and progression of retinopathy in the Diabetes Group and Complications Trial. Diabetes 1995 ; 44 : 968-83.

Grimaldi A. et al., Traité de diabétologie, Flammarion 2005, Paris.Izzedine H., Infections urinaires et diabète, chap. 20, p. 584-92.Klein R. Hyperglycemia and microvascular disease in diabetes. Diabetes Care 1995 ; 18 :

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