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2 Consultation de l adolescent Avant denvisager ce que peut être ou ce que doit être la consultation dun adolescent, il convient de poser trois questions : quest-ce que ladolescence ? Une longue période de maturation ; quels sont les problèmes spécifiques de ladolescent ? L autonomie, lidentité, lexercice de la sexualité ; quel est le médecin le mieux placé pour laider à les résoudre ? Un médecin qui doit être compétent en médecine du développement et pratiquer avec confidentialité, confiance, temps, intérêt, dialogue singulier. Quest-ce que ladolescence ? L adolescence constitue une étape capitale dans le développement de lindi- vidu. Elle marque en effet la fin de lenfance, lémergence, laffirmation de lindividualité avant lâge adulte. La puberté (voir le chapitre 19), par le bou- leversement physique et psychologique qui la caractérise, en est un des événements. Si le début de ladolescence est facile à cerner (il coïncide avec les premiers signes pubertaires), il nexiste pas de critère précis pour en définir lachèvement. Mais si lon admet que lindividu nest réellement adulte quà partir du moment où il accède à lautonomie sociale et financière, force est de constater quà notre époque, ladolescence est une très longue période. En effet, la puberté est aujourdhui beaucoup plus précoce et lautonomie sociale beaucoup plus tardive quelles ne létaient dans les siècles, voire les décennies antérieures. Et même si la proportion dindividus ayant des problèmes de santé parmi la population adolescente reste stable, elle est plus importante au regard de lensemble de la population. Le médecin y est, par conséquent, de plus en plus confronté. Cette longue période où ladolescent vit encore dans sa famille est ainsi très souvent marquée par des crises plus ou moins exprimées. En effet, les aspirations individuelles sont en contradiction avec les contraintes fami- liales et parentales, ce qui est souvent source de conflits. Bien gérés, ces conflits « normaux » pourraient être très constructifs pour aider à la matu- ration de la personnalité. On pourrait presque considérer quils sont indispensables et quil faut peut-être se méfier des adolescents sans problème. Guide pratique de la consultation pédiatrique Ó 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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2 Consultationde l’adolescent

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vant d’envisager ce que peut être ou ce que doit être laconsultation d’un adolescent, il convient de poser trois questions :� qu’est-ce que l’adolescence ? Une longue période dematuration ;

� quels sont les problèmes spécifiques de l’adolescent ?L’autonomie, l’identité, l’exercice de la sexualité ;

� quel est le médecin le mieux placé pour l’aider à les résoudre ?Un médecin qui doit être compétent en médecine dudéveloppement et pratiquer avec confidentialité, confiance,

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temps, intérêt, dialogue singulier.

Qu’est-ce que l’adolescence ?L’adolescence constitue une étape capitale dans le développement de l’indi-vidu. Elle marque en effet la fin de l’enfance, l’émergence, l’affirmation del’individualité avant l’âge adulte. La puberté (voir le chapitre 19), par le bou-leversement physique et psychologique qui la caractérise, en est un desévénements.Si le début de l’adolescence est facile à cerner (il coïncide avec les premiers

signes pubertaires), il n’existe pas de critère précis pour en définirl’achèvement. Mais si l’on admet que l’individu n’est réellement adultequ’à partir du moment où il accède à l’autonomie sociale et financière, forceest de constater qu’à notre époque, l’adolescence est une très longue période.En effet, la puberté est aujourd’hui beaucoup plus précoce et l’autonomie

sociale beaucoup plus tardive qu’elles ne l’étaient dans les siècles, voire lesdécennies antérieures. Et même si la proportion d’individus ayant desproblèmes de santé parmi la population adolescente reste stable, elle est plusimportante au regard de l’ensemble de la population. Le médecin y est, parconséquent, de plus en plus confronté.Cette longue période où l’adolescent vit encore dans sa famille est ainsi

très souvent marquée par des crises plus ou moins exprimées. En effet, lesaspirations individuelles sont en contradiction avec les contraintes fami-liales et parentales, ce qui est souvent source de conflits. Bien gérés, cesconflits « normaux » pourraient être très constructifs pour aider à la matu-ration de la personnalité. On pourrait presque considérer qu’ils sontindispensables et qu’il faut peut-être se méfier des adolescents sansproblème.

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14 Guide pratique de la consultation pédiatrique

Problèmes spécifiques de l’adolescenceComme tout un chacun, un adolescent peut présenter une maladie aiguë ouchronique, avoir un accident ou ressentir unmalaise, mais du seul fait de cettemaladie, de cet accident, de ce malaise, il peut rater son entrée dans la vieadulte ou du moins la redouter. Cette hantise de l’échec, du ratage, qu’il soitscolaire, relationnel ou sexuel, est une donnée que le médecin ne doit jamaisoublier.On a parlé longtemps de « crise de l’adolescence » ; mieux vaut sans doute

parler des aspirations de l’adolescent, qui sont de trois sortes.

Aspiration à l’autonomieToute l’adolescence est un désir d’autonomie, dont on a vu qu’elle était deplus en plus tardive. L’adolescent a besoin de se démarquer de la pression qu’ilressent de la part de la famille comme une contrainte. Son évolution intellec-tuelle le conduit progressivement et naturellement à penser par lui-même :il aspire tout aussi naturellement à agir par lui-même, à échapper aux interditset aux conseils. Il veut se soustraire à la dépendance. Il veut être libre.Cela passe par le rejet de ses attaches antérieures, de son enfance, de safamille. Il doit « critiquer » et s’opposer. Cette révolte apparente qui n’estpas spécifiquement dirigée contre les parents est un passage normal dansl’apprentissage de l’autonomie.

Aspiration à l’exercice de la sexualitéL’éveil de la sexualité est un phénomène biologique autant que pulsionnel.L’adolescent assiste aux transformations de son corps, découvre le désir,entend parler du plaisir avant de le ressentir. Même si, préalablement etlongtemps avant, une éducation sexuelle a été entreprise intelligemment,les notions même de désir et de plaisir ne peuvent se découvrir que par soi-même. Et cette découverte de soi, qui en même temps est confrontation auxautres, est angoissante : angoisse de la normalité, angoisse de la relation, de lacomparaison à l’autre (même si cette angoisse est souvent enfouie, masquéepar une désinvolture de façade).L’autoérotisme ou la masturbation sont une étape nécessaire à cette

découverte de soi et de l’autre. Il faut la dédramatiser. C’est un moyen derépondre à l’éveil de la sexualité.Le flirt est ensuite le premier pas de la sexualité à deux, et les premières

rencontres sont des moments essentiels du développement de la personnalité.Quelqu’un devient important en dehors des amis ou des parents. Ces nouvellesrelations permettent à l’identité de s’affirmer.

Aspiration à l’identité et à la normalitéDans son univers mental, comme dans son corps, il n’est plus celui qu’il étaithier, mais il ne sait pas lequel il sera demain. Il prend conscience de son moi

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2. Consultation de l’adolescent 15

mais n’est pas immédiatement capable de le maîtriser. Il se sent incompris desautres (et il l’affirme), mais l’essentiel de son problème existentiel est qu’il nese comprend pas lui-même, se pose des questions sur le monde extérieur, surlui-même et sa place dans lemonde. Il souhaite tantôt freiner, tantôt accélérercette transformation profonde qu’il ressent. Il est instable, incertain, enfermésur lui-même ou au contraire extraverti, mais souvent il manque de confianceen lui, et s’inquiète de sa normalité.Tout cela est normal : il faut du temps pour se construire et mûrir, mais qui

peut lui expliquer le rythme lent de son évolution ?

La « crise d’adolescence »� C’est un processus d’identification, d’individualisation, de différenciation

et d’autonomisation.� Pour devenir un individu à part entière, le jeune doit se différencier de ses

modèles afin d’accéder à terme à l’autonomie.� Du fait de la longévité actuelle de l’adolescence, la crise d’adolescence

devient un passage quasi obligé avec :– des attitudes d’opposition : dire systématiquement l’inverse de ce qu’af-

firment les modèles parentaux ;– des conflits nombreux autour des droits et des devoirs de l’adolescent

(argent de poche, sorties, scolarité. . .) ;– des conduites de transgression qui consistent le plus souvent à tester la

« solidité » et l’affectivité des parents.� Les filles font des crises plutôt intrafamiliales et plus explosives. Les garçons

sont plus dans des manifestations extrafamiliales qui peuvent paraître,pour l’entourage proche, plus silencieuses.

� Il faut savoir cependant que pour environ 90 % des jeunes adolescents, ceprocessus s’effectue sans trop de difficultés.

Quel médecin pour l’adolescent ?Historiquement, ce sont les pédiatres qui les premiers se sont intéressés auxproblèmes spécifiques de la médecine des adolescents. Est-ce à dire que laformation pédiatrique, son mode de pensée préparent mieux que tout autreà l’approchemédicale des adolescents ? Sans aucun doute, car lemédecin quia l’expérience de l’enfant raisonne, en permanence, devant un individu qui sedéveloppe, se transforme, évolue tant physiquement que psychiquement,mûrit. Le terme « maturation » est le maître mot de l’adolescence comme ill’est de l’enfance. Il a l’habitude également, plus que d’autres, de voir l’indi-vidu dans son contexte familial et extrafamilial.Cela ne veut pas dire que le mieux placé soit obligatoirement celui qui a

assuré la surveillance et les soins depuis la petite enfance. Le « médecin defamille » est parfois trop vécu comme le médecin des parents. Un autremédecin doit alors assurer le relais. L’important est qu’il ait l’expérience dela médecine du développement.

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16 Guide pratique de la consultation pédiatrique

Enfin, au-delà des connaissances médicales, il est une compétence quis’acquiert avec le temps chez tout bon praticien. Elle est faite d’un intérêt,d’un certain dynamisme, de patience et de chaleur humaine. L’adolescenta besoin d’être écouté, pris au sérieux, rassuré. Il faut donc lui donner le rôled’interlocuteur principal, tout en accordant aux parents une place et uneécoute suffisantes.Pour réussir ce type de consultation, il faut du temps, surtout s’il s’agit de la

première consultation. Or toutes les études démontrent que ce sont lespatients auxquels lesmédecins consacrent lemoins de temps en consultation.Il faut y remédier. Si le médecin manque de temps, qu’il sache proposer unautre rendez-vous dans un court délai en en expliquant les raisons et ainsil’intérêt qu’il porte à l’adolescent en dehors de l’urgence. Bien sûr, cetteconsultation, ce dialogue avec l’adolescent sont d’autant plus faciles que lemédecin le suit depuis son plus jeune âge. Il connaît sa famille, sa personnalité,son parcours, les problèmes qu’il a pu rencontrer.Quoi qu’il en soit, pour faciliter cette consultation, on peut proposer

à l’adolescent de remplir avant ou pendant le début de celle-ci (pendantque le médecin voit le ou les parent[s]) un autoquestionnaire confidentiel quia le mérite de le rassurer sur la confidentialité et le respect du secret profes-sionnel, sur l’intérêt que le médecin porte à certains soucis courants à cettepériode. Il permet de plus au médecin de gagner du temps en lui donnant lapossibilité d’approfondir ou de rebondir sur telle ou telle réponse.Un des plus utilisés est celui du service de médecine pour adolescents du

CHU de Bicêtre (figure 2.1). Il s’agit d’un questionnaire confidentiel compor-tant 41 items à réponses fermées (oui/non) et deux items à réponse libre. Sontnotamment abordés les habitudes générales, les consommations, les condui-tes à risques, les symptômes flous, les inquiétudes développementales, lesrelations avec les parents et les pairs, la sexualité, les idées suicidaires. On peutle télécharger sur le site de l’Inpes (www.invs.sante.fr), qui fournit de plus undocument complet sur la prise en charge de l’adolescent, ainsi que d’autresquestionnaires (voir « Pour en savoir plus »).

Règles fondamentales de la consultationde l’adolescentL’adolescent n’est plus l’enfant d’hier, même s’il est encore dépendant de sonenvironnement. Même si sa maturation n’est pas achevée, il revendique(consciemment ou inconsciemment) le droit d’exister par lui-même.Dès lors, il ne doit pas être vu et entendu à travers l’écran que constituent les

parents.Trois règles fondamentales sont à respecter.

L’adolescent doit être reçu et examiné en tête-à-têteCela ne veut pas dire que les parents doivent être exclus. Il suffit, s’ils accompa-gnent l’adolescent, de leur demander de patienter dans la salle d’attente. Ildoit exposer lui-même le motif de la consultation.

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[(Figure_1)TD$FIG]

Figure 2.1Autoquestionnaire du service de médecine pour adolescents du CHU de Bicêtre.Alvin P. Relation de soins enmédecine généraliste avec l’adolescent. In: Alvin P.,Marcelli D.Médecinede l’adolescent (2e éd.). Paris, Masson, 2005 : p. 61.

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18 Guide pratique de la consultation pédiatrique

Les parents seront vus ensuite, avec son accord, et sauf demande de sa part,en sa présence.Cette façon de procéder a le double avantage demontrer à l’adolescent que

l’on s’intéresse d’abord à lui-même et de le réintroduire discrètement dans lecercle familial, dont il a trop tendance à s’affranchir.Le fait que l’adolescent vienne à la consultation et/ou pénètre dans le cabinet

de prime abord seul ou accompagné d’un oudes parents donne une indicationen soi sur les relations intrafamiliales (autonomie, indépendance, confiance. . .).Au départ, il faut lui laisser le choix, mais dans le cas où il vient seul, il est bon

de lui proposer dans un deuxième temps de revenir avec ses parents : il estlibre de l’accepter ou non. Il est bon qu’il sache que la possibilité lui en estlaissée. Souvent, il accepte et en est même soulagé.

Pendant le temps où le médecin est en tête-à-têteavec lui, il faut l’informer de son droit au secret médicalLe terme de « confidentialité » doit être prononcé : l’adolescent encomprend le sens et la portée. Il apprécie que le médecin lui propose cecontrat sans qu’il ait besoin de le revendiquer. Dès lors, il sait qu’il peut selivrer aux confidences, qu’il ne sera pas trahi.

Aucune décision ne peut être prise sans son accordLes décisions thérapeutiques, la demande d’examen et plus encore le conseild’aller voir un consultant doivent être négociés en tête-à-tête.Lorsque les parents seront vus, en présence de l’adolescent généralement,

les décisions leur seront annoncées de telle façon qu’elles ne puissent êtrerécusées.Sans doute faut-il un certain tact, car les parents ne sont pas souvent

disposés à abandonner une parcelle de leur autorité. Il faut leur présenter leschoses comme réfléchies, mesurées. . . La formule « nous sommes convenus »est habituellement très bien acceptée.

Conduite de l’examen

Premier temps : analyse des symptômes qui motiventla consultation, quels qu’ils soientCes symptômes sont :

n le mode d’apparition ; n l’ancienneté des troubles ; n la durée et la constance dans le temps ; n les facteurs déclenchants.

Deuxième temps : analyse du contexteElle concerne :

n les habitudes de vie ; n les conditions de vie actuelle et les événements marquants de la vieantérieure ;
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2. Consultation de l’adolescent 19

n

le sommeil (voir le chapitre 23) ; n la nutrition ; n l’entente avec les pairs, la vie sociale ; n le rendement et le parcours scolaire ; n la pratique du sport et son intensité ; n le temps passé devant les écrans (et surtout le Web) ; n l’entente avec les parents ; n l’image de soi ; n la sexualité et les relations amoureuses ; n les aspects dépressifs ; n la sociabilité ; n l’usage de médicaments ; n l’usage d’alcool, de tabac, de drogue. . .

L’examen clinique complet est essentiel et ne doit pasêtre bâclé, même si le médecin est convaincu qu’il seranormalIl faut ainsi, entre autres, peser,mesurer afin de vérifier la corpulence (indice demasse corporelle [IMC]), préoccupation souvent essentielle à cet âge, surtoutchez les filles qui ont souvent tendance à se trouver trop grosses. Il fautégalement vérifier le stade pubertaire pour anticiper la question souventinavouée sur la taille définitive, et en profiter pour parler du statut vaccinal.L’examen clinique a la vertu de rassurer l’adolescent sur son propre corps et

sur sa normalité (qui est souvent pour lui source d’inquiétude). C’est d’ailleursparfois à l’occasion de cet examen que viendront les réponses aux questionsauxquelles il n’avait jusqu’alors pas, par timidité, réserve ou pudeur, voulurépondre.

Le décodage n’est pas toujours simpleEn effet, bien souvent, l’adolescent ressent des difficultés qu’il a du malà exprimer verbalement : son malaise est flou, le vocabulaire pour l’exprimerest imprécis, il redoute d’utiliser un vocabulaire qui pourrait – pense-t-il –choquer le praticien ou simplement ne pas être compris.Aussi, consciemment ou inconsciemment, beaucoup d’adolescents choisis-

sent-ils d’exprimer leur malaise à travers des plaintes somatiques : céphalées,palpitations, vertiges, douleurs abdominales, fatigue. . . Le médecin (et c’estlégitime), même s’il est convaincu qu’il est en présence d’un « mal-être »,redoute, en banalisant le symptôme, depasser à côté d’unemaladie organique.Mais il sait aussi qu’en somatisant un symptôme fonctionnel, il risque de passerà côté du vrai problème, et même de l’aggraver.

Quelle attitude adopter ?Sauf cas d’urgence, sauf maladie organique évidente, mieux vaut éviterd’emblée un traitement et/ou des examens complémentaires compliqués.

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En revanche, demander à revoir l’adolescent en prescrivant d’ici la pro-chaine consultation quelques règles précises d’hygiène et de nutrition estsouvent un bon moyen.La première consultation a été une prise de contact, une mise en confiance.Il s’est établi à travers le dialogue une certaine relation de confiance entre

l’adolescent et le praticien.

Étude de quelques cas particuliersIl n’est pas possible d’envisager toutes les catégories de plaintes exprimées parl’adolescent qui se présente en consultation.Les plus fréquemment exprimées sont les problèmes respiratoires, derma-

tologiques, musculosquelettiques et gynécologiques, mais on l’a vu, entre laplainte et la réalité, il y a souvent un décalage.Ainsi, une jeune fille consultera volontiers pour des vergetures alors qu’elle

ne parlera pas de l’obésité qui la préoccupe. Un garçon centrera sespréoccupations sur une acné, alors qu’il est peut-être beaucoup plusangoissé par ses problèmes relationnels avec les autres. . .Trois situations méritent une place particulière : la demande de

contraception, la maladie chronique, la nécessité de faire appel à unconsultant.

Problèmes gynécologiquesIls vont nécessiter d’emblée, sinon assez rapidement, une consultationspécialisée, mais l’adolescente mal préparée, mal informée, ne sait pas à quis’adresser et redoute d’aller voir « le gynécologue de maman ».C’est presque toujours le cas lorsqu’il y a une demande pressante de contra-

ception. Elle s’adresse volontiers au généraliste.Cette consultation, autant et plus que toute autre, requiert que soient

respectées les règles fondamentales édictées sur la nécessité du tête-à-tête,sur l’assurance de la confidentialité.L’interrogatoire, l’examen clinique sont tout aussi indispensables que dans

toute autre consultation d’adolescent, ne serait-ce que pour déceler unecontre-indication à l’utilisation d’une pilule estroprogestative.Mais il serait grave de laisser croire à la jeune fille que, sous le prétexte de

l’urgence, le praticien n’est qu’un « distributeur de pilule ».Il faut que cette consultation soit assortie d’une information aussi précise

que possible sur la physiologie, sur les autres moyens de contraception lesmieux adaptés, sur les moyens de prévention des maladies sexuellementtransmissibles (le sida, l’hépatite B et les infections à papillomavirus dont laprévention est possible grâce à la vaccination), sur le préservatif.Il faut aussi que, dès cette première consultation, soit envisagée et

programmée rapidement la consultation spécialisée indispensable et la sur-veillance régulière qui s’impose.

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Méthodes contraceptives de premier choixpour les adolescentes� Les méthodes contraceptives de premier choix pour les adolescentes sont

le préservatif masculin et la contraception hormonale, surtout estropro-gestative. L’association des deux méthodes peut être envisagée chez cer-taines d’entre elles, notamment lorsque l’objectif est d’apporter uneprotection à la fois contraceptive et contre les infections sexuellementtransmissibles (IST), ainsi qu’en cas de craintes de non-utilisation ou dedifficultés de manipulation des préservatifs.

� La contraception estroprogestative, quelle que soit sa forme, présente, outreson efficacité contraceptive, l’avantage d’avoir des effets bénéfiques en casde dysménorrhée, syndrome prémenstruel, ménorragie, kystes fonction-nels de l’ovaire et acné (plutôt fréquents à cet âge).

� La contraception microprogestative peut être envisagée et préférée à unecontraception estroprogestative, si la jeune fille ne présente pas d’indi-cation particulière (telle que kystes fonctionnels de l’ovaire, acné, etc.)et supporte bien ce type de contraception. Elle est surtout indiquée encas de contre-indication à la contraception estroprogestative. Cetteméthode expose néanmoins à des difficultés prévisibles d’observanceet à des anomalies menstruelles, lesquelles sont souvent mal supportéesà cet âge.

� Il faut aussi informer l’adolescente de l’existence d’une contraceptiond’urgence hormonale en lui indiquant qu’elle n’est pas efficaceà 100 %. Elle est d’autant plus efficace qu’elle est utilisée plus préco-cement après le rapport non protégé. La fraction des grossessesprévenues par progestatif seul (Norlevo�, Vikela�) varie de 95 % lorsquela prise est réalisée avant 24 heures à 58 % lorsqu’elle est réalisée entre48 et 72 heures. L’EllaOne� est efficace jusqu’à 5 jours après le rapportmais est beaucoup plus cher.

Maladie chroniqueLa maladie chronique, même si elle est connue et assumée depuis long-temps, va poser des problèmes lors de l’adolescence, parfois en raisond’une poussée évolutive, souvent aussi en fonction des réactions secondairesqu’elle suscite.

L’adolescence, amplificateur de la maladie chroniqueIl est vrai qu’à cette période de grandemutation physique et physiologique, lamaladie chronique est plus difficile à contrôler.Le diabète, jusque-là correctement équilibré, devient instable, difficile

à traiter, émaillé d’accidents hypoglycémiques et/ou de poussées de cétose.Mais il est vrai aussi que cette affection chronique jusque-là acceptée

devient un « handicap » mal vécu, une injustice dans un monde hostile.L’angoisse qu’il suscite est, en elle-même, amplificateur de la maladie.

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22 Guide pratique de la consultation pédiatrique

Attitudes de déniTrès fréquemment, l’adolescent atteint de maladie chronique rejette sa mala-die, le monde médical qui l’entoure.Le diabète (comme l’asthme) en est l’exemple le plus éclairant, où l’on voit

l’adolescent abandonnerparfois son traitementouse traiterde façon fantaisiste,adopter des habitudes alimentaires anarchiques, refuser toute surveillance.Ces conduites de rejet de la maladie sont éminemment dangereuses et

s’apparentent parfois à des conduites véritablement suicidaires. Elles sonttoutefois faciles à comprendre pour peu qu’on réfléchisse à ce qu’est l’ado-lescent qui revendique son autonomie, sa liberté sexuelle et la quête de sonidentité.Le rôleduspécialistequi le suitpour sonaffectionchroniqueest important,mais

l’adolescent le récuse parfois sous prétexte qu’il est le médecin de son enfance.Le généraliste doit pouvoir prendre efficacement le relais. Il ne doit pas

rejeter, sermonner (comme les parents), fermer la porte.Son rôle est au contraire d’expliquer à l’adolescent que d’un traitement

correct de sa maladie chronique dépend sa normalité. Il peut sortir, s’amuser,poursuivre ses études, mener une vie sexuelle, faire du sport, bref, être en toutpoint normal, à la seule condition de se surveiller et de se traiter.Il est lui-même et lui seul entièrement responsable de sa normalité, car c’est

de lui seul que dépendent la prise en charge de sa maladie et sa maîtrise. Lemédecin ne peut que l’aider, le conseiller.

Recours au spécialisteLe recours au spécialiste (gynécologue, dermatologue, diabétologue. . .) estparfois indispensable et il faut y souscrire à une condition : il n’est pas questionde se défausser sur quelqu’un d’autre.L’adolescent qui est venu voir le pédiatre ou le généraliste (seul ou avec ses

parents) a fait une démarche importante. La première consultation a été pourlui l’occasion de tisser des liens de confiance avec le praticien. La décisionbrutale qui consisterait à l’adresser à un spécialiste serait vécue pour luicomme un rejet.

Si l’avis du spécialiste apparaît indispensable, cette nouvelleconsultation doit être expliquée, négociée, librement consentieL’adolescent doit comprendre qu’il est adressé au spécialiste parce que,précisément, on le prend en considération, que l’on ne minimise pas sessymptômes. Il doit savoir qu’il est adressé au spécialiste pour avis, mais quesa prise en charge globale reste du domaine du médecin à qui il a accordé saconfiance et fait ses confidences.

Faut-il faire appel au psychiatre ?Dans certains cas, c’est indispensable, mais hormis les cas d’urgence (risquesuicidaire, syndrome dépressif majeur, anorexie mentale), cela ne doit jamaisêtre fait de première intention. Et si le recours à une aide psychiatrique

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2. Consultation de l’adolescent 23

apparaît utile,mieux vaut que l’adolescent soit adressé dans unpremier tempsdans une structure non psychiatrique où l’avis d’un psychiatre pourra êtresollicité.Pourquoi tant de précautions ? D’une part parce que, dans l’immense

majorité des cas, l’adolescent n’est pas un malade mais un individu normal,fragile car en mutation. D’autre part parce que le mot de « psychiatrie » intro-duit dans l’univers mental de l’adolescent la notion même « d’anormalité »,c’est-à-dire ce contre quoi il lutte désespérément dans ses moments dedifficulté. Vouloir se défausser sur le confrère psychiatre du « mal-être » d’unadolescent, c’est courir le risque de le voir fuir, refuser, et partant s’enfoncer unpeu plus dans son mal-être.

Leçons à retenir pour prendre en chargeun adolescentLa consultation de l’adolescent est sans aucun doute difficile. Mais elle estriche d’enseignement.La majorité des adolescents, il faut le savoir, traversent cette période sans

drame. Toutefois, il est fréquent qu’à l’occasion d’une affection bénigne ousévère, oumême sans raison apparente, apparaisse une angoisse qui risque dele déstabiliser. Les parents – parce que ce sont les parents – sont mal placéspour y répondre. Le médecin choisi par l’adolescent, s’il sait gagner saconfiance, est le mieux placé pour accompagner.

Prendre en charge un adolescent, c’est. . .� Être formé à la médecine de l’enfant, en ayant toujours présent à l’esprit

que l’adolescent n’a pas achevé sa maturation.� Comprendre, de façon simple, quels sont les problèmes de l’adolescence.� Accepter le tête-à-tête (sans exclure les parents) en assurant l’adolescent

de la confidentialité.� Être à l’écoute, ne pas s’ériger en donneur de conseils, respecter son désir

d’autonomie et sa liberté de décision.� Prendre son temps pour la première consultation et le revoir aussi souvent

que nécessaire.

Pour en savoir plus

Alvin P, Marcelli D. Médecine de l’adolescent. 2e éd. Paris: Masson; 2005.Collectif. Entre nous. Comment initier et mettre enœuvre une démarche d’éducation pour la

santé avec un adolescent ? www.invs.sante.fr. 2009.Godeau E, Arnaud C, Navarro AF. La santé des élèves de 11 à 15 ans en France. 2006 :

Données françaises de l’enquête internationale. Paris: Inpes, coll. Études santé; 2008.www.invs.sante.fr.

Michaud PA, Alvin P, Deschamps JP, Frappier JY, Marcelli D, Tursz A, et al. La santé desadolescents. Lausanne: Payot: Paris: Doin ; Montréal: Presses de l’Université deMontréal; 1997.

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24 Guide pratique de la consultation pédiatrique

Recommandation pour la pratique clinique. Propositions portant sur le dépistage individuelchez l’enfant de 7 à 18 ans, destinées aux médecins généralistes, pédiatres et médecinsscolaires. Paris: Haute Autorité de santé; 2005. www.has-sante.fr.

Stheneur C, Alvin P, Boudaillez B, Gronnier P, Jacquin P, Picherot G, et al. Com’ado de laSociété française de pédiatrie. La première consultation avec un adolescent. Arch Pédiatr2009;16:1309-12.