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Certifié ISO 14001 La biodiversité qui nous entoure Numéro 9 février 2012

Echos science :La biodiversite qui nous entourent

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février 2012 | numéro 9 | ECHOS SCIENCE 1Certifié ISO 14001

La biodiversité qui nous entoure

Numéro 9février 2012

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out au long de l’histoire de notre planète, depuis qu’elle existe, la vie, dans sa diversité, a connu des crises : les spécialistes en comptent une tous les dix millions d’années, dont cinq majeures au cours desquelles un grand nombre d’espèces se sont effondrées ou ont disparues, incapables de s’adapter à des cataclysmes ou des changements

profonds des conditions du milieu naturel, notamment du climat. La durée dans le temps de ces crises, souvent appe-lées extinctions, a été de l’ordre du million d’années, sauf pour la dernière, la plus longue et la plus connue (mais pas la plus intense) parce qu’elle est liée à la disparition des di-nosaures. Aujourd’hui, l’érosion de la biodiversité est sans équivalent historique. Elle est si rapide qu’elle dépasse d’un facteur mille au moins toutes celles évoquées plus haut, au point que les scientifiques se demandent si la sixième extinc-tion n’est pas en route. Au rythme actuel de disparition des espèces, ce sont des pans en-tiers du vivant qui sont voués à l’extinction. On estime qu’à la fin du XXIe siècle, la moitié des végétaux et des ani-maux peuplant océans et continents de notre Terre depuis l’apparition de l’Homme néolithique aura dis-parue. Car c’est bien l’homme qui, en se multipliant, s’est imposé partout sans se soucier des fragiles équilibres naturels qui l’entourent.L’homme est au cœur de l’écosystème, il y puise ses res-sources, ses biens. Il fait partie intégrante de la diversité biologique dont il est issu par bifurcation au cours de l’évo-lution. Car toutes les espèces, celles vivantes aujourd’hui comme celles disparues et retrouvées fossilisées dans les roches, ont une origine commune. La blatte, la fougère, le diplodocus, le bonobo ou l’homme étaient potentiellement « en germe » dans les premières bactéries apparues il y a 3,5 milliards d’années. C’est l’image d’un arbre de vie dont le toit de la frondaison, représenté par les espèces actuelle-ment en vie (1 à 2%), coiffe une hécatombe d’espèces pa-rentes disparues représentant 98 à 99% de l’ensemble de la biodiversité planétaire.Tout semble parti des bactéries. Elles existaient donc bien avant et lui survivront. Les bactéries sont à la base de toute la complexe diversité du vivant. Elles ont su inventer la photosynthèse en consommant l’hydrogène de l’acide sulfu-

TL’homme et la biodiversité

ECHOS SCIENCE - Le magazine scientifique et de l’innovation du Technopôle de l’Environnement Arbois-Méditerranée

SOMMAIRE

Le CEntre de Synthèse et d’Analyse sur la Biodiversité, s’installe sur le Technopôle de l’environnement Arbois-Méditerranée

Gradients de diversité génétique des végétaux en région méditerranéenne

Comprendre l’effet des variations environnementales, sur la démographiedes populations d’animaux sauvages

Modéliser la biodiversité végétale en région méditerranéenne

L’écologie globale au service de la biodiversité

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Directeur de la publication : Alexandre MedvedowskyDirecteur de la rédaction : Alice GrimaudConseiller scientifique : Daniel NahonRédaction : Eric Garnier, Claire Salomon, Xavier Le Roux, Bruno Fady, Cyrille Conord, Alexandre Millon, Agathe Leriche, Frédéric Medail Jérémy Migliore, Virgile Noble, Alex Baumel Wolfgang Cramer, Thierry TatoniCouverture : Calanques près de Cassis, xdr.

ECHOS SCIENCENuméro 9 Février 2012

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L’érosion de la biodiversité est sans équivalent historique.

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par Alexandre MedvedowskyPrésident du Technopôle de l’Environnement

Arbois-Méditerranée

Édito

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rique de l’atmosphère primitive. Et quand ce dernier vint à manquer, elles utilisèrent l’hydrogène de la molécule d’eau. L’oxygène n’était alors qu’un déchet ! Au fil des centaines de millions d’années et avec l’appétit féroce des bactéries qui n’arrêtaient pas de se multiplier, l’oxygène devint si abon-dant qu’il envahit les océans, puis l’atmosphère permettant aux bactéries de s’adapter et à la vie de se diversifier. Et dès que la vie se diversifie, les prédateurs des uns et des autres se développent. Car la biodiversité c’est une solidarité fatale !Aujourd’hui les bactéries sont présentes partout. Ce sont les organismes vivants les plus abondants et les plus adaptables aux variations de milieu, car elles contiennent en elles tous les éléments nécessaires à leur propre reproduction et, par leur taille, cent fois plus petites que la plupart des cellules, elles réagissent très rapidement. Elles sont partout disais-je, si bien qu’un individu en pleine santé porte cent fois plus de bactéries que de cellules humaines.Si l’homme ne peut vivre sans bactéries, il ne peut vivre tout simplement sans la foisonnante biodiversité qui l’entoure. C’est une solidarité vitale, mais c’est aussi une solidarité fatale. Prenons un exemple.Au fur et à mesure de son développement, l’homme a in-venté l’agriculture voici environ 11000 ans. Il a touché la terre pour la retourner et la cultiver, ce faisant il s’habituait aux milliards de bactéries que contient chaque motte de glaise, en domestiquant les animaux et le chien en premier, il fut en contact avec des virus et des bactéries nouveaux. En développant ses défenses immunitaires l’agriculteur est devenu plus résistant au point que 10 agriculteurs tenaient plus, face à la maladie, qu’un seul chasseur-cueilleur. Mais en augmentant la production alimentaire, les regroupements de population devenaient plus denses et donc plus aptes à contracter des maladies. Ce fut depuis ce temps là et jusque de nos jours, la course en avant pour plus de maladies voire d’épidémies ou plus de santé. Une course entre solidarité vitale et solidarité fatale.Car les maladies infectieuses se sont développées avec la domes-tication des animaux. Par promiscuité nouvelle, par solidarité et besoin vital, les maladies infectieuses ont infesté l’homme. Car les principaux tueurs de l’humanité sont la variole, la grippe, la tuberculose, le paludisme, la peste, la rougeole, le choléra, le typhus… Et ils sont issus des animaux. Tout comme d’ailleurs la plupart des maladies émergentes aujourd’hui, le sida, ébola etc. N’oublions pas que les germes européens ont accompa-gné la conquête des Amériques par les espagnols, décimant les populations indigènes plus que par les armes.Les microbes sont autant que nous un produit de sélection naturelle. Ils s’adaptent pour survivre et en tuant leur hôte,

ils se multiplient, se répandent. Les bactéries elles- mêmes sont victimes d’infections virales car les virus, encore plus petits, ont besoin d’envahir une cellule pour en utiliser les outils nécessaires à leur reproduction. En cela ils diffèrent fondamentalement des bactéries.Mais où trouver les réponses aux infections bactériennes ou virales ? Dans la vie elle-même. De nombreux antibiotiques sont en fait des produits naturels de bactéries ou de champi-gnons qui eux-mêmes résisteront aux molécules qu’ils pro-duisent pour lutter contre les bactéries rivales. Ce faisant, elles transportent un ADN bactérien à une autre bactérie et par ce transfert elles les rendent résistantes aux antibiotiques.Tout au long de son développement l’humanité a su utiliser la diversité biologique à son avantage, faisant appel à des mo-lécules issues de végétaux ou du métabolisme animal pour se soigner comme ce fut le cas par exemple pour vaincre le paludisme ou le tétanos. Mais aussi pour mieux se nourrir ou mieux vivre : ainsi nos alliées i n t e s t i n a l e s , les bactér ies , règlent une par-tie de notre di-gestion, sont des sources de vitamines, interviennent dans la fabrication des fromages, des salamis, des cornichons ; d’autres permettent de recycler l’eau ou de digérer des polluants….Ces quelques exemples glanés dans la recherche scientifique montrent combien le monde vivant est inter dépendant. L’homme dessert sa propre destinée en ignorant cela et en éliminant de larges parts de vie sur Terre. Se targuer d’étu-dier l’environnement et le développement durable, c’est en premier lieu montrer la place importante que la biodiversité tient au sein des sociétés humaines. C’est ce que l’Europôle méditerranéen de l’Arbois a voulu signifier en présentant sa candidature pour accueillir le CESAB, centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité qui est créé par la Fonda-tion pour la Recherche sur la Biodiversité. Aujourd’hui, le CESAB, s’installe dans nos murs attiré par les équipes de recherche de l’université Paul Cézanne, du CNRS , de l’IRD, de l’INRA, du CIRAD déjà en place, notamment de l’IMEP qui, dès le début de 2012 se nommera désormais IMBE : institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie. Avec le CESAB et sa visibilité internationale, c’est aussi la com-munauté des chercheurs qu’on fête ce jour, et il paraissait utile de marquer l’événement par la parution d’un numéro d’ Échos Science dédié aux recherches menées à l’Arbois sur la biodiversité et l’écologie. n

Le monde vivant est interdépendant“

L’homme et la biodiversité

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CESAB

Qu’est-ce que le CESAB ?Programme phare ambitieux, original et structurant de la Fon-dation pour le Recherche sur la Biodiversité (FRB), le CEntre de Synthèse et d’Analyse sur la Biodiversité (CESAB : http://www.fondationbiodiversite.fr/programmes-phares/cesab) a été lancé il y a maintenant deux ans. Il s’installe sur le Technopôle de l’Environnement Arbois-Méditerranée, en cette fin d’année 2011. Pourquoi créer ce nouveau centre, unique en Europe, et quelles en sont les spécificités ?Les équipes de chercheurs collectent et analysent une multitude de données sur la biodiversité, dans différents lieux, à différentes échelles, sur différentes variables… Cependant, la réponse à certaines questions majeures concernant la biodiversité nécessite des informations qui dépassent souvent les jeux de données issus d’études menées par des équipes individuelles ou des consortia constitués pour des programmes de recherche, quelle qu’en soit la pertinence ou la qualité individuelle. Le potentiel d’analyses nouvelles et de synthèse des données acquises lors d’études hétérogènes et non coordonnées reste aussi largement sous-exploité.L’objectif premier du CESAB est de révéler ce potentiel : l’as-semblage et la combinaison de données existantes, ainsi que la réflexion poussée autour de nouveaux concepts, sont générateurs de nouvelles avancées, tant en recherche fondamentale qu’en recherche appliquée ; ils peuvent alimenter des problématiques inédites et faire avancer significativement les fronts de connais-sance. Le CESAB doit permettre ce type d’activité de recherche qui ne s’appuie pas sur la collecte de nouvelles données primaires, mais utilise au mieux les données existantes, souvent dispersées, pour aborder des questions cruciales portant sur tous les aspects de la biodiversité.Le CESAB est né du constat fait par la FRB qu’il n’existait actuel-

lement aucun programme ou structure de recherche, au niveau national ou européen, permettant de développer ces activités de synthèse et d’analyse. Le CESAB s’inspire du modèle du National Center for Ecological Analysis and Synthesis (NCEAS) localisé à Santa Barbara en Californie (http://www.nceas.ucsb.edu/), qui fonctionne depuis 1995. Comme l’a clairement démontré le NCEAS, le développement d’un tel centre présente un potentiel de production scientifique de très haut niveau, en créant des synergies à forte valeur ajoutée. Le CESAB permettra d’augmenter la visibilité de la recherche française, en renforçant l’intégration de ses chercheurs dans le tissu international.Programme phare de la FRB, le CESAB s’est également doté de locaux permettant d’accueillir ces groupes de scientifiques dans les meilleures conditions de travail. Situé sur le Technopôle de l’Environnement Arbois-Méditerranée, au deuxième étage du bâtiment dit « Plate Forme Technologique », le CESAB offre en effet des locaux adaptés au mode de travail des groupes de chercheurs, ainsi que des systèmes d’informations et de connais-sances novateurs permettant la mise en commun et l’échange d’importants jeux de données. Le CESAB bénéficie en outre de l’accessibilité exceptionnelle du Technopôle depuis la France et l’étranger. Enfin, la proximité de nombreux services dont un hôtel partenaire, permettra aux chercheurs de s’insérer aisément dans la vie locale.

Comment fonctionne le CESAB ?Pour répondre à ses ambitions, le CESAB soutient des projets de recherche sélectionnés dans le cadre d’appels à proposition de recherche annuels. Les projets déposés sont soumis à un processus de sélection rigoureux, coordonné par le Comité Scientifique du CESAB. Ce Comité est composé de chercheurs représentant une très large gamme de disciplines, pertinentes

Le CEntre de Synthèse et d’Analyse sur la Biodiversités’installe sur le Technopôle de l’environnement

L’étude de la biodiversité à tous les niveaux d’intégration, évolutif, fonctionnel et taxo-nomique, représente un axe de recherche qui s’est considérablement renforcé depuis la prise de conscience des modifications majeures du monde vivant engendrées par les changements globaux. En effet, la biodiversité forme un élément essentiel au maintien de l’équilibre des grands cycles biogéochimiques et des interactions bioti-ques, mais est également d’une importance capitale dans la capacité des écosystè-mes à fournir des services indispensables au développement économique et social de la société humaine (services nutritionnels, sanitaires, énergétiques ou culturels).

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Le batiment Henri Poincaré voulu aux normes BBC par le Technopôle, accueille le Cesab.

Eric Garnier (à gauche), Directeur Scientifique du CESAB CNRS-INEE, Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (UMR 5175),

1919, route de Mende, 34293 Montpellier Cedex 5

Claire Salomon (au centre), Directrice Opérationnelle du CESAB

Xavier Le Roux (à droite),Directeur de la FRB Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité

195, rue Saint Jacques, 75005 Paris

pour traiter tous les aspects relatifs à la biodiversité, de la biologie aux sciences humaines.Les groupes de travail sont constitués de 14 experts au maxi-mum. S’ils ont en général une forte assise internationale, ils doivent être pilotés ou co-pilotés par un chercheur exerçant son activité dans un laboratoire français. Une part substan-tielle du financement accordé correspond au salaire d’un chercheur post-doctorant rattaché à chacun des groupes de travail, ce qui constitue un renforcement de capacités important pour de jeunes chercheurs, formés dans des la-boratoires français.En moyenne, le CESAB finance quatre nouveaux groupes de travail par an. Chaque groupe étant financé pour une période de trois ans, le centre accueillera annuellement douze groupes en régime de croisière. Chacun de ces groupes se réunit typiquement deux fois par an dans les locaux du CESAB, au cours de sessions de travail de 5 à 10 jours, représentant un flux annuel d’environ 200 personnes sur le site du Technopôle.

Les attendus des groupes de travail portent tout d’abord sur des contributions scientifiques devant conduire à des avancées majeures dans le domaine de la biodiversité, ainsi que sur la mise à disposition publique de jeux de données de grande ampleur, largement réutilisables après leur valo-risation initiale par les groupes de travail. Au plan local, les experts présents sur le site lors des sessions de travail pourront être sollicités pour intervenir dans des formations universitaires, animer des tables rondes ou présenter des conférences à destination du grand public, par exemple. Les relations avec les autres structures présentes, académiques ou à vocation plus appliquée, restent à établir, tant au niveau national que régional, mais le Technopôle de l’Arbois, qui revendique clairement une orientation portée sur l’environ-nement, constitue un cadre de choix pour l’expression de certaines des activités du CESAB.

Les projets de rechercheDix-sept propositions de recherche ont été reçues en réponse au premier appel lancé en juillet 2010. Les quatre premiers groupes sélectionnés ont ainsi pu commencer leurs travaux dans le courant du premier trimestre de l’année 2011. Ces projets sont les suivants :

• BETSI : traits biologiques et écologiques des invertébrés du sol pour évaluer la réponse de ces organismes à différents filtres environnementaux (pollution, pratiques agricoles,

changements globaux…) et réaliser un indice biologique du sol (coordinateur : Mickaël Hedde, INRA Versailles).

• DIVGRASS : assemblage, analyse et partage des données sur la diversité fonctionnelle des plantes pour comprendre les effets de la biodiversité sur le fonctionnement des éco-systèmes dans le cas des prairies permanentes françaises (coordinateur : Philippe Choler, CNRS-INEE, Grenoble).

• GASPAR : approche générale des relations espèces-abon-dance des communautés de poissons dans le contexte du dépérissement des récifs coralliens (coordinateur : Michel Kulbicki, IRD Banyuls-sur-Mer).

• NETSEED : réseaux sociaux et gestion de l’agrobiodiver-sité : une approche interdisciplinaire pour analyser comment les systèmes locaux de distribution des semences influencent la diversité des plantes domestiques (coordinateur : Doyle McKey, CNRS-INEE, Montpellier).

La deuxième édition de l’appel confirme le succès du CESAB, y compris dans sa vocation internationale. Ainsi, 23 projets ont été présentés, avec une très nette participation de cher-cheurs étrangers. Ces propositions sont actuellement en cours d’évaluation, et la sélection finale des quatre nouveaux projets interviendra dans le courant du mois de décembre 2011.

En conclusionLe CESAB est un programme emblématique de l’apport de la FRB dans le paysage français de la biodiversité : il s’agit en effet d’une structure unique au rayonnement international, qui contribuera à faire progresser de façon substantielle nos connaissances, et à renforcer la visibilité de la communauté biodiversité française au niveau mondial. De plus, le séjour d’experts reconnus au plan mondial sur le Technopôle de l’Arbois constitue une opportunité de renforcer au plan local une thématique qui constitue certainement l’un des grands enjeux scientifique et sociétal du XXIe siècle. n

La deuxième édition de l’appel confirme le succès du CESAB”

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DIVERSITÉ GÉNÉTIQuE

Il est encore peu courant d’utiliser la diversité génétique, celle qui s’exprime au niveau des gènes entre populations d’une même espèce, pour fournir des indications biogéographiques et mesurer la biodiversité. Et pourtant ! La façon dont la diversité des gènes se structure dans et entre les popula-tions est un indicateur puissant des effets du passé et exprime d’une cer-taine manière le potentiel évolutif des espèces. La discipline qui s’intéresse à la structuration des gènes et des généalogies de gènes dans l’espace,

la phylogéographie, retrace l’histoire évolutive des espèces depuis le Ter-tiaire ou le Quaternaire, et apporte ainsi un regard nouveau aux résultats issus de la paléoécologie. Ces gènes, d’origine mitochondriale, chloroplas-tique ou nucléaire, ont permis par exemple de préciser les grandes voies de migration des espèces européennes au cours de l’Holocène, suite au ré-chauffement climatique qui a suivi la dernière grande glaciation (figure 1), ainsi que les zones refuges glaciaires desquelles elles sont issues.

Biodiversité et diversité génétique

Gradients de diversité génétique des végétaux en région méditerranéenne

Figure 1.Reconstruction de la présence d’Abies alba (Sapin pectiné) en Europe au cours de l’Holocène sur la base d’enregistrement pollen fossile (en haut). Reconstitution des ensembles génétiques ayant donné lieu aux populations actuelles (en gauche) ; en fond jaune et rouge, les lignées mitochondriales anciennes ; points colorés : les lignées nucléaires plus récentes. Les populations contemporaines de Sapin dans les Alpes dérivent d’au moins trois refuges glaciaires, un dans le nord de l’Italie, un sur la côte dalmate et un dans les Balkans. Le refuge calabrais n’a pas contribué au repeuplement des Alpes. D’après Liepelt et al., 2009.

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Bruno Fady (à gauche), [email protected]

Cyrille Conord (à droite), [email protected]

Plus classiquement, la diversité spé-cifique est l’indicateur le plus fré-quent de la biodiversité. Le nombre d’espèces par unité de surface (leur richesse), leur particularisme quant à la région qu’elles occupent (leur endémisme) sont des moyens fré-quemment utilisés pour estimer la diversité biologique d’un lieu donné. L’idée communément admise de l’existence de points chauds de bio-diversité à l’échelle du globe dérive du croisement entre la présence d’un grand nombre d’espèces, notamment endémiques, dans un espace où elles sont particulièrement menacées. n

le poids de l’histoire climatiquePlusieurs études récentes montrent que la diversité génétique et la diversité spécifique peuvent évoluer en parallèle. En effet, la sé-lection naturelle, la migration et les goulots d’étranglement démographiques peuvent tout à la fois modifier la richesse spécifique et la diversité génétique. La diversité de l’un devrait alors pouvoir être un indicateur de la diversité de l’autre. Ce constat devrait permettre des avancées substantielles dans la mise en place des programmes de conser-vation de la biodiversité, censés, depuis la tenue de la Convention sur la Diversité Bio-logique en 1992, protéger toute la diversité de la vie sur terre. C’est cette hypothèse que nous avons testé avec la flore vasculaire du bassin méditer-ranéen, comparant sa diversité spécifique avec la diversité génétique d’une partie de ses représentants, les arbres, et ce à l’échelle

de l’ensemble du bassin méditerranéen. En utilisant une approche par régression linéaire et en normalisant les données issues de la littérature, nous avons assigné à chaque po-pulation étudiée une coordonnée géographi-que et une valeur de diversité génétique. Par ailleurs, nous avons assigné à chaque pays riverain du bassin méditerranéen une valeur de richesse spécifique en utilisant les données disponibles dans la seule base de données taxonomique floristique disponible en ligne pour le bassin méditerranéen, Med-Checklist. L’existence de données paléo-écologiques pour l’Europe permet par ailleurs d’aller rechercher dans les conditions écologiques du passé les raisons pour les structures spatiales de di-versité observées dans le présent. Ce modèle mathématique simple (la corrélation linéaire) permet donc de tester deux contraintes ma-jeures sur la biodiversité floristique en région méditerranéenne : 1) la contrainte climatique qui montre un gradient longitudinal à l’échelle du bassin méditerranéen, et 2) la contrainte

géographique/spatiale qui conditionne les déplacements possibles des espèces.Les résultats de ce travail montrent que la flore de la Méditerranée orientale et la côte de l’ex-Yougoslavie sont plus particulièrement riches en espèces, bien que la diversité demeure forte dans les autres pays du pourtour méditerra-néen. La diversité génétique des arbres est, elle, distribuée selon un gradient longitudinal qui augmente d’ouest en est, de la péninsule ibérique au Proche-Orient (figure 2).

Diversités spécifique et génétique en Méditerranée :

Le cèdre de Chypre (Cedrus brevifolia Henry), conifère

emblématique de l’endémisme de cette île méditerranéenne, il présente

un niveau de diversité génétique élevé, comme l’ensemble des arbres

de la partie orientale du bassin méditerranéen.

Cédraie de cèdres du Liban, Barouk, Liban (photo F. Médail)

Ce constat devrait permettre des avancées

substantielles dans la mise en place

des programmes de conservation de la

biodiversité

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DIVERSITÉ GÉNÉTIQuE

Les principales conclusions de ce travail sont multiples. En ce qui concerne la richesse spécifique en plantes sur le pourtour méditerra-néen, il convient définitivement de rajouter la côte de l’ex-Yougoslavie

aux dix ensembles reconnus comme points-chauds régionaux de diversité floristique en Méditerranée par Médail et Quézel en 1997.La deuxième conclusion concerne l’organisation générale de la diver-sité en Méditerranée. Si la diversité spécifique est bien définie par une mosaïque de points-chauds répartis sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, ce n’est pas le cas de la diversité génétique qui suit globalement une tendance à l’augmentation d’ouest en est. Ainsi, les deux mesures de diversité, spécifique et génétique, ne semblent pas superposables à l’échelle du bassin méditerranéen. En conséquence, mettre en place des programmes de conservation basés exclusivement sur la diversité spécifique ne pourra que marginalement prendre en compte la diversité génétique, qui constitue pourtant un des indicateurs du potentiel évolutif des populations

Enfin, tout indique que le climat passé, notamment celui du dernier maximum glaciaire, a joué un rôle considérable dans la mise en place des structures actuelles de diversité génétique en région médi-terranéenne. Le climat du dernier maximum glaciaire, inégalement défavorable dans l’espace, a pu réduire plus fortement la taille des populations à l’ouest du bassin méditerranéen et à basse altitude qu’à l’est et à plus haute altitude. Avec une empreinte marquée dans leur diversité génétique ! Nul doute que les changements climatiques actuels laisseront eux aussi leurs empreintes sur les populations actuelles, notamment celles dont la démographie est affectée néga-tivement par les températures moyennes élevées. n

l’organisation de la flore vasculaire en Méditerranée

Points-chauds et gradients de biodiversité :

Le sapin pectiné (Abies alba Mill.), à la reconquête des pelouses sommitales de la montagne de Lure dans le sud de la France, un espace aux multiples enjeux de conservation.

Cette tendance est positivement corré-lée avec le gradient climatique du der-nier maximum glaciaire (il y a 21 000 ans), allant de plus froid et sec à l’ouest de l’Europe à plus chaud et humide à l’est de l’Europe. La diversité géné-tique des pins méditerranéens, elle, augmente significativement depuis les basses altitudes jusqu’aux plus hautes altitudes, tendance que l’on retrouve dans un autre climat méditerranéen du monde, la Californie (figure 3). Il s’agit sans doute d’une confirmation du rôle négatif du climat froid de la dernière ère glaciaire sur la diversité génétique de végétaux exigeants en températures (espèces thermophiles). n

Figure 2.Carte des forêts sur le pourtour de la Méditerranée (ci-dessus, d’après Quézel et

Médail, 2003). Augmentation de la diversité génétique forestière d’Ouest en Est dans le bassin méditerranéen. (ci-contre, d’après Fady et Conord, 2010).

Figure 3.Augmentation de la diversité

génétique (hétérozygotie) en fonction de l’affinité

bioclimatique chez les pins méditerranéens et californiens

(A : groupe thermophile, B : groupe mésophile, C : groupe montagnard). D’après Fady et

Conord 2010.

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DÉMOGRAPHIE DES POPuLATIONS

Alexandre Millon [email protected]

Dans le contexte actuel des changements globaux, la modélisation peut prédire l’impact des conditions fu-tures sur la taille et la répartition des populations ani-males ou végétales. La modélisation a un inconvénient majeur : ces prédictions, aussi précises qu’elles soient, demeurent approximatives. Mais la modélisation pré-sente aussi des avantages importants : elle permet de tester l’impact de différents scénarios de changement, d’optimiser des stratégies de conservation en intégrant de manière rigoureuse différents facteurs écologiques, évolutifs, économiques ou sociétaux dans un cadre de réflexion unique. En bref, une modélisation basée sur des hypothèses rigoureusement évaluées, est un outil flexible et robuste, indispensable à la gestion et à la protection de la nature. La pertinence des prédictions reposent sur une compréhension en profondeur des mécanismes qui limitent ou régulent les populations.

l’effet des variations environnementalessur la démographie des populations d’animaux sauvages

Comprendre

our autant, l’essen-tiel du travail de modélisation ac-tuellement repose sur l ’analyse des patrons et ignore,

par commodité et simplicité, les pro-cessus démographiques sous-jacents.

Les quinze dernières années ont en effet vu un nombre croissant d’application de modèles dits de niche. Ces modèles reposent sur la caractérisation de l’en-veloppe climatique optimale observée actuellement pour les espèces consi-dérées et la projection spatiale (lati-tudinale, longitudinale, altitudinale)

de ces enveloppes selon les scénarios climatiques envisagés par les scien-tifiques. Cette approche est particu-lièrement performante d’un point de vue qualitatif : nous disposons en effet de données de type présence/absence pour un nombre important de taxons, appartenant à des groupes variés.

P

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À partir de ces données, il est donc d’ores et déjà possible de dessiner les contours des grands types de réponse des espèces animales et végétales aux changements climatiques. Néanmoins, ce type de modélisation, sur la base des enveloppes climatiques, souffre de plusieurs lacunes, qui font l’objet de travaux intensifs de recherche actuelle-ment. Premièrement, nous connaissons relativement peu les capacités réelles de dispersion des espèces, qu’elles soient animales ou végétales. Caractériser ce paramètre de dispersion est bien évi-demment d’une importance cruciale dans l’optique de prédire la capacité des populations « à suivre » le déplacement de leur zone climatique optimale. Un autre inconvénient repose sur la négli-gence des processus démographiques à l’œuvre au sein des populations, et qui sont les réels moteurs de leurs réponses futures, à la fois dans l’espace et dans le temps. Si l’utilisation de la modélisation de type enveloppe climatique s’explique

en partie par l’urgence de la situation, il n’en reste pas moins que des travaux axés sur la caractérisation des liens entre processus démographiques et variables environnementales s’avèrent critiques, mais sont paradoxalement encore très rares.

Le travail de recherche poursuivi repose justement sur la caractérisation de ces processus démographiques : comment les changements globaux, pas seule-ment de nature climatique, mais aussi ceux liés aux modes d’usage des sols, influencent le taux de fécondité, le taux de mortalité (dynamique temporelle) et la probabilité de dispersion (dynamique spatiale) des individus. Ce type de modé-

lisation est par essence complémentaire à la modélisation de niche et il permet d’appréhender de manière fine les pro-cessus démographiques. Il se base sur un nombre forcément réduit d’espèces ou de systèmes pour lesquels nous disposons de données suffisantes. Ces processus pourront in fine être intégrés dans des modèles de niche afin d’en améliorer la robustesse des prédictions.

La modélisation de l’influence des condi-tions environnementales (climat, habitat, ressources alimentaires, parasites, etc.) sur la démographie nécessite la récolte de données à long terme, afin de caracté-riser une gamme aussi large que possible de conditions environnementales. Les

Un autre inconvénient repose sur la négligence des processus démographiques”“

L’étude de la démographie ou de la dynamique d’une population repose principalement sur l’estimation de trois processus : fécon-dité, survie/mortalité, émigration/immigration. Aussi simples qu’ils soient, ces processus s’avèrent assez complexes à appréhender pour des populations d’animaux (ou de plantes) dans un contexte naturel. Le processus le plus difficile à estimer est sans nul doute la dispersion (émigration/immigration), du fait du caractère fini (!!) des sites d’étude et de l’impossibilité de suivre un nombre important d’individus dans leur déplacement à vaste échelle.

Le Busard cendré est une espèce de rapace diurne dont une des particularités est de nicher au sol, principalement dans les plaines céréalières en France. Sa population en France est estimée à 4000-5000 couples, dont les trois-quarts environ se reproduisent dans les champs de blé ou d’orge d’hiver, exposant ainsi leur nichée à la destruction au moment des moissons. Un important réseau de bénévoles s’est mis en place depuis une trentaine d’année en

France avec pour objectif de protéger les nichées en lien avec le monde agricole. Plusieurs centaines de personnes s’activent chaque année pour protéger cette espèce, sur plus de 1200 nids à travers tout le pays.

Mes travaux sur la dynamique du Busard cendré ont mis en évi-dence l’importance de la dispersion à large échelle. La compré-hension de ce processus est indispensable à la mise en place de mesures de conservation pertinentes et efficaces à l’échelle de la France et de l’Europe qui concentre la majorité de la population mondiale de l’espèce. Les jeunes oiseaux peuvent sillonner le pays pendant une à trois années, échantillonner différentes régions plus ou moins favorables (en termes de proies ou de densités de congénères), avant de se fixer pour une première reproduction, parfois à plusieurs centaines de kilomètres de leur lieu de nais-sance. Et même après cette première reproduction, les femelles peuvent se reproduire successivement à plusieurs centaines de

Etude de la dispersiondu Busard cendré à vaste échelle spatiale

Modéliser les processus démographiques pour prédire les réponses des espèces aux changements

DÉMOGRAPHIE DES POPuLATIONS

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février 2012 | numéro 9 | ECHOS SCIENCE 11

Opération de marquage d’un poussin de Busard cendré en 2008 dans le Puy-de-Dôme (Auvergne). La combinaison unique que ce mâle porte sur ses ailes

permettra son identification, trois ans plus tard : il se reproduit dans l’Aube à quelques 300 km de son lieu de naissance, avec une femelle originaire des Deux-

Sèvres (Poitou-Charentes).

Aussi simples qu’ils soient, ces processus s’avèrent assez complexes à appréhender ”“

kilomètres. En s’appuyant sur le réseau de bénévoles dont nous animons le volet scientifique depuis plus de dix ans, nous avons mis en place un ambitieux programme de marquage depuis 2007, au cours duquel plus de 5000 poussins ont été marqués avec des marques alaires jusqu’en 2010. Cette technique permet l’identifica-tion individuelle sans avoir à capturer à nouveau les oiseaux ; elle a préalablement été testée et aucun effet délétère sensible n’a pu être

détecté (pour plus d’informations, voir le site www.busards.com). Les contrôles d’oiseaux marqués sont actuellement en cours et confirment le caractère exceptionnel de la dispersion du Busard cendré, avec des nidifications en Allemagne, Autriche, Hongrie, Espagne, etc. Ces contrôles ne sont pas seulement effectués en Europe mais aussi en Afrique subsahélienne ou plusieurs missions ont permis de récolter des données sur les stratégies d’hivernage.

Les menaces potentielles durant cette période étaient jusqu’ici presque totalement méconnues. L’analyse quantitative de ces données permettra d’identifier les régions sources et puits (régions dont la dynamique de population est positive ou négative, respectivement) à l’échelle de la France. Cela permettra d’optimiser la répartition de l’effort humain et financier à mettre en œuvre pour préserver cette espèce, fleuron de la biodiversité des milieux agricoles.

relations fonctionnelles ainsi caractéri-sées entre conditions environnementales (température, précipitations, abondance de ressources alimentaires, abondance des ennemis naturels, etc.) et les paramètres démographiques (mortalité, fécondité), sont intégrées à un modèle de dynamique de population dont les résultats permet-tront de prédire la dynamique de la popu-lation étudiée dans le futur en fonction de différents scénarios de changements des conditions environnementales. De telles données reposent sur la mise en place d’un suivi d’individus au sein de la population. Ce suivi s’effectue par le biais du marquage

individuel, typiquement le baguage pour les oiseaux, qui permet de suivre les indi-vidus tout au long de leur vie, de mesurer leur succès de reproduction et à l’échelle de la population, d’estimer des taux de survie en tenant compte de la détection imparfaite des individus.

La difficulté majeure de suivis démogra-phiques sur les animaux sauvages réside dans le fait que, contrairement aux suivis démographiques des populations hu-maines, où chaque naissance et chaque mort sont strictement enregistrées, il est très difficile d’observer la mort d’un

animal dans la nature. Typiquement, un individu non observé lors d’une session d’observation peut soit : être vivant mais n’avoir pas été détecté, être vivant mais avoir immigré en dehors du site d’étude, ou être mort. Des modèles statistiques tenant compte de la détection impar-faite ont été développés pour permettre d’estimer de façon non biaisée la survie. De tels types de suivi sont par essence très lourds à mener, sur un pas de temps suffisamment long, pour produire des données utilisables.

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ECHOS SCIENCE | numéro 9 | février 201212

une collaboration étroite entre acteurs gestionnaires de la Nature et biologistes de la conservation

DÉMOGRAPHIE DES POPuLATIONS

Pour les oiseaux, on doit les conduire typi-quement sur dix ans au minimum, idéa-lement trente ans. De ce fait, de tels jeux de données sont souvent générés par des naturalistes amateurs ou des gestionnaires de la Nature. Par leur présence intensive sur le terrain, les naturalistes/gestionnaires accumulent une somme de connaissances

unique sur le fonctionnement des habitats et des espèces et assurent une récolte de données à des échelles spatiale et tem-porelle, que nous scientifiques sommes rarement à même d’atteindre. Une étroite collaboration entre ces deux communautés peut apporter d’importants bénéfices réci-proques, en améliorant tout à la fois la per-

tinence de la recherche scientifique et l’effi-cacité des actions de gestion/conservation de la Nature. Dans le contexte actuel de crise de la Biodiversité, il apparait comme indispensable d’optimiser l’utilisation des connaissances et des moyens (humains, financiers) afin de gérer et/ou de conserver au mieux la Nature et ses ressources. n

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février 2012 | numéro 9 | ECHOS SCIENCE 13

Au cours des dernières années, de nombreuses études montrent l’existence de changements profonds dans le fonctionnement des écosystè-mes à travers l’Europe, sous l’effet conjoint des changements climatiques et des changements d’usage des sols.

Un des modifications les plus spectaculaires concerne l’effondrement de populations de mi-cro-mammifères (lemmings, campagnols) dont les cycles de population, ponctués tous les 3-5 ans de véritables pullulations à large échelle spatiale, ont disparu de manière synchrone

dans de nombreux écosystèmes. Situées au bas des chaînes trophiques, ces espèces de rongeurs sont de véritables pierres angulai-res au sein d’écosystèmes aussi variés que les «steppes agricoles» espagnoles, les plaines céréalières intensives françaises, la toundra laponne ou encore la taïga scandinave.

Les changements observés dans la dynamique des lemmings et campagnols seraient à même d’engendrer une réorganisation profonde des écosystèmes et représentent par conséquent un enjeu majeur pour la conservation des agro-systèmes européens. En effet, de nombreuses espèces de prédateurs, dont certaines à haute

valeur patrimoniale comme le Milan royal, les Busards cendré et Saint-Martin, ou encore le Renard polaire, espèce emblématique du Grand nord et actuellement au bord de l’extinction en Europe, sont intimement liées à la dynamique de ces espèces proie.

Notre projet Ecocycles, financé par l’agence européenne BiodiveRsA, a pour objectifs de : (I) caractériser ces changements de dynamique de proie, (II) relier ces changements à des facteurs climatiques et d’usage des sols, (III) mesurer l’impact de ces changements de dynamique

des proies sur la dynamique des prédateurs, et (IV) mesurer les éventuels effets cascades propagés à d’autres espèces au sein des éco-systèmes (par exemple, augmentation de la prédation sur des proies alternatives à valeur patrimoniale ou commerciale).

Un premier résultat de modélisation, basée sur la relation proie (Campagnol agreste) - préda-teur (Chouette hulotte) au Royaume-Uni, montre que si le régime des proies observé lors des douze dernières années se répète de manière régulière, la population de ce prédateur est très probablement vouée à l’extinction à l’échelle d’une centaine d’année.

Altération des cycles de populations

de micro-mammifères et impact sur la démographie de leurs prédateurs

Capture d’un mâle de Chouette hulotte âgé de 12 ans en 2009 (Forêt de Kielder, Royaume-Uni). L’individu sur la photo a été bagué poussin et a ainsi été suivi tout au long de sa vie, permettant notamment de caractériser la variabilité temporelle de l’investissement dans la reproduction. Un tel suivi conduit sur une soixantaine de couples depuis plus de 30 ans a permis de caractériser les liens étroits entre la démographie de ce prédateur et la dynamique de sa proie, le Campagnol agreste.

Situées au bas des chaînes trophiques, ces espèces de rongeurs sont de véritables pierres angulaires ”“

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ECHOS SCIENCE | numéro 9 | février 201214

BIODIVERSITÉ VÉGÉTALE

algré des efforts sans précédent, on observe un net déclin de la biodi-versité, et ce, à un rythme alarmant. Récemment, le ré-

chauffement climatique s’est ajouté à la liste des menaces pesant sur la biodiversité, telles que la dégradation ou la fragmentation des habitats par l’homme. La demande sociétale en faveur de la préservation de la biodiversité est devenue particulièrement importante, mais il demeure nécessaire d’établir nos actions sur des bases scientifiques solides car nos moyens demeurent limités.

Pourquoi modéliser la biodiversité ?En biogéographie et écologie, la connaissance de la distribution et de la dynamique de po-pulation des espèces est un enjeu crucial. L’approche intégrative, qui considère l’his-toire biogéographique d’une région, permet d’expliquer les occurrences d’espèces ou de lignées génétiques, d’examiner les gradients de diversité, d’analyser les conséquences biologi-ques et écologiques des changements globaux, et finalement de contribuer à la conservation de la biodiversité et des écosystèmes.La modélisation de la distribution d’une ou plu-sieurs lignées génétiques, d’espèces, d’écosystè-mes ou de biomes englobe des objectifs variés :

• mieux estimer l’influence respective des pa-ramètres environnementaux, biologiques et anthropiques dans la distribution de la biodiversité ;

• identifier de façon rigoureuse les zones de plus forte biodiversité (points-chauds ou hotspots) ou d’endémisme ;

• examiner les conséquences des changements climatiques sur la distribution future de la biodiversité;

• tester certaines hypothèses biogéographi-ques, liées par exemple à la présence et à la localisation de zones-refuges lors des glaciations ;

• confronter les distributions de biodiversité évolutive, fonctionnelle ou taxonomique (ou entre groupes taxonomiques), et les aires protégées actuelles ou futures.

La tâche n’est pas facile, car l’organisation et la dynamique de la biodiversité résultent de la combinaison complexe de processus paléogéographiques, climatiques, biologi-ques et écologiques, mais également d’une emprise humaine ancienne et omniprésente qui a façonné les paysages et leurs diversités, et ceci particulièrement en région méditer-ranéenne.Parallèlement à une amélioration croissante des données disponibles sur la répartition des espèces (bases de données d’observations), le développement des systèmes d’information géographique (SIG) et des logiciels d’analyse statistique spatiale a engendré un essor de

l’utilisation des statistiques spatiales et de la modélisation comme méthodes d’étude des modalités d’organisation de la biodiversité. Comparée à l’observation in situ et aux mo-dèles expérimentaux, la modélisation est en effet un moyen rapide et accessible pour étu-dier la répartition des espèces, leur dynami-

que et leur dispersion sur de vastes échelles spatiales ou temporelles. La modélisation, tant mécaniste qu’empirique (voir encadré), constitue donc un outil très utilisé dans la description des patrons de biodiversité. Mais il existe une variété de modèles de descrip-tion, explication et prédiction de la distribu-tion des espèces. Ces modèles reposent sur des hypothèses et algorithmes différents et leur utilisation est fortement dépendante des objectifs de l’analyse, et bien sur des données disponibles.

MLa modélisation de

la distribution d’une ou plusieurs lignées

génétiques, d’espèces, d’écosystèmes ou de biomes englobe des

objectifs variés

L’étude de la biodiversité à tous les niveaux d’intégration, évolutif, fonctionnel et taxo-nomique, représente un axe de recherche qui s’est considérablement renforcé depuis la prise de conscience des modifications majeures du monde vivant engendrées par les changements globaux. En effet, la biodiversité forme un élément essentiel au maintien de l’équilibre des grands cycles biogéochimiques et des interactions biotiques, mais est également d’une importance capitale dans la capacité des écosystèmes à fournir des services indispensables au développement économique et social de la société humaine (services nutritionnels, sanitaires, énergétiques ou culturels).

Modéliser la biodiversité végétaleen région méditerranéenne

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février 2012 | numéro 9 | ECHOS SCIENCE 15

par (de gauche à droite)

Agathe Leriche [email protected]

Frédéric Medail [email protected]

Jérémy Migliore [email protected]

Virgile Noble [email protected]

Alex Baumel [email protected]

Les différents modèles de distribution d’espèces

La région méditerranéenne constitue l’un des 34 points-chauds de bio-diversité de la planète, tant par la richesse en espèces que par le niveau élevé d’endémisme. Cette biodiversité est associée à une grande diver-sité d’écosystèmes et de paysages, forgée par un relief tourmenté, des climats contrastés et une histoire biogéographique complexe. Comme l’ont montré les études basées sur la distribution des lignées génétiques (phylogéographie), le bassin méditerranéen abrite aussi de nombreuses populations d’espèces animales ou végétales originales sur le plan généti-que et qui ont pu persister localement lors des phases environnementales défavorables (notamment les glaciations du Pléistocène) dans des zones refuges. Cette biodiversité remarquable induit de grandes difficultés dans le recueil des données nécessaires à son analyse, et les connais-sances sur son organisation à une échelle macroécologique restent ainsi très réduites. Seules des démarches empiriques ont jusqu’alors permis

d’identifier des points-chauds régionaux de biodiversité, et ce pour un seul groupe taxonomique, les plantes à fleur et les fougères.Le pourtour méditerranéen a parallèlement concentré au fil du temps une population humaine grandissante, qui exerce des pressions croissantes sur les systèmes naturels. Par ailleurs, les changements climatiques ont déjà des répercussions sur les systèmes naturels et humains. Les tendances au réchauffement, et l’augmentation des événements clima-tiques extrêmes modifient les aires de distribution géographique de nombreuses espèces terrestres et marines. De plus, l’intensification des échanges commerciaux conduit à l’introduction d’espèces exotiques dont certaines deviennent envahissantes et participent à l’homogénéisation biologique des faunes et flores régionales, et à de sévères dysfonction-nements écologiques.Malgré les forts enjeux liés à la conservation de la biodiversité médi-terranéenne, la compréhension des facteurs expliquant sa distribution géographique reste réduite et disparate. Il s’agit pourtant d’un préalable indispensable à toute stratégie de conservation, notamment en vue de la modélisation des risques liés aux changements globaux. Dès lors, les principales questions qui émergent sont les suivantes :• où se situent les zones de haute biodiversité évolutive, fonctionnelle et

taxonomique et quels sont les facteurs environnementaux qui régissent ces distributions en Méditerranée ? Ces diversités connaîtront-elles le même destin ?

• la biodiversité méditerranéenne est-elle bien conservée par le réseau des aires protégées actuellement en place ?

• quels sont les scénarios de gestion les plus favorables pour la conser-vation de la biodiversité face aux changements climatiques et d’usage des sols ?

Les changements climatiques ont déjà des répercussions sur les systèmes naturels”“

En haut et ci-dessus : Sardaigne méridionale, maquis littoral à Lentisque et Myrte (photo F. Médail)

Les modèles mécanistes sont basés sur des processus, ils retranscrivent des mécanismes inhérents au système considéré : ils modélisent la relation entre les variables du milieu et la distri-bution des espèces en terme de physiologie ou phénologie. Les modèles empiriques modélisent la relation entre la distribution des espèces et différentes va-riables environnementales sur des lois générales tirées des ob-

servations, indépendamment des mécanismes sous jacents.Les modèles dits statiques re-posent sur le postulat que les espèces sont à l’équilibre (ou quasi-équilibre) avec leur milieu au moment où elles sont modéli-sées, soit une hypothèse souvent nécessaire pour la prédiction à grande échelle. Par contre, les modèles dynamiques explicitent l’évolution d’un système dans le temps.

Décrypter les diverses facettes de la biodiversité méditerranéenne

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ECHOS SCIENCE | numéro 9 | février 201216

BIODIVERSITÉ VÉGÉTALE

Les aires protégées apparaissent incontestablement comme le principal outil de conservation de la biodiversité in situ à travers le monde. Mais l’efficacité de ces aires protégées reste à prouver et toute stratégie de création de nouvelle aire doit s’appuyer sur des bases scientifiques. De plus, dans le contexte des changements globaux, les politiques et stratégies de gestion adaptative exigent, pour être efficaces, d’anticiper les évolu-tions futures en matière de biodiversité. La planification à moyen et long terme dépendra donc, au moins en partie, des projections basées sur des modèles de changements potentiels. Les défis actuels en matière de conservation résident ainsi dans l’identification et la com-préhension des facteurs environnementaux et des processus structurant la biodiversité, à différentes échelles géographiques et organisationnelles, grâce notamment à une approche de modélisation statistique et d’ana-lyses synthétiques de données multiples (méta-analyses).Si les stratégies de conservation sont aujourd’hui habituellement définies sur la base d’un seul niveau d’organisation (généralement le niveau

spécifique), elles ne peuvent être appliquées de manière efficace qu’en tenant compte de multiples niveaux d’organisation de la biodiversité. Des travaux ont ainsi récemment démontré l’existence d’une certaine congruence entre ces différents niveaux, bien que de nombreuses excep-tions existent, notamment lorsque les taxons sont rares et l’hétérogé-

néité de l’environnement élevée. Identifier et délimiter les zones dans lesquelles la congruence entre les différents niveaux de la diversité existe et existera devient un élément clé pour guider et optimiser la préservation de la biodiversité. Ces approches s’intègrent dans le nouveau

champ disciplinaire de la conservation biogéographique, définie comme l’application des principes, théories et analyses biogéographiques, en vue de la conservation de la biodiversité. La modélisation préalable de la relation entre les variables environne-mentales et la répartition spatiale des différents niveaux de biodiversité à différentes échelles géographiques est un pré-requis indispensable à la mise en œuvre des modélisations prédictives sous des conditions

La modélisation au service d’une conservation biogéographique de la biodiversité

Figure 1.Principaux résultats issus des approches de paléobotanique,

génétique et modélisation bioclimatique conduite sur le

modèle Myrte commun

En biogéographie, il est important de multi-plier les sources de données afin d’analyser la complexité des processus biologiques im-pliqués dans la mise en place, l’évolution et la persistance de la flore, et ce notamment au niveau du carrefour biogéographique qu’est la Méditerranée. Distribué sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, mais également de-puis les îles des Açores et de Madère jusqu’aux rives de la mer Caspienne, en région irano-touranienne, le Myrte commun est une espèce clé pour comprendre l’histoire biogéographique méditerranéenne. Plusieurs types d’approches ont été conduits (fig.1):• Les archives paléobotaniques ont révélé

l’origine ancienne du genre Myrtus (depuis l’Oligocène-Miocène, soit au minimum 30 millions d’années = Ma) et sa répartition sur l’ensemble du pourtour méditerranéen au cours du Pléistocène (depuis 2,6 Ma).

• La phylogéographie a permis de tester diffé-rentes hypothèses évolutives de dynamique des populations de myrte, face à l’histoire tectonique, paléogéographique et paléo-climatique tourmentée de la Méditerranée soulignée par les reconstructions paléoé-cologiques. Les données de séquences ont mis en évidence deux événements majeurs de diversification à la transition Miocène-Pliocène, ainsi qu’au Pléistocène, en relation avec la mise en place progressive du climat méditerranéen, la crise de salinité du Messi-nien (entre 7 et 5 Ma) et les cycles glaciaires/interglaciaires du Pléistocène. On note la per-sistance moléculaire de l’empreinte laissée par l’isolement des populations est-méditer-ranéennes et la plus grande diversification des populations occidentales.

• La modélisation a autorisé un test indépen-dant des scénarios évolutifs précédemment révélés. En particulier le modèle de niche ajusté sur les données de distribution ac-tuelles du Myrte, projeté avec les données climatiques reconstituées du dernier maxi-mum glaciaire (il y a 21 000 ans), montre l’impact des glaciations dans l’extinction des populations les plus septentrionales et le déplacement de l’aire de distribution du Myrte vers les latitudes plus basses, là où les conditions environnementales demeurent favorables.

Dynamique et histoire du Myrte commun en Méditerranée*

L’efficacité de ces aires protégées reste à prouver”“

Crocus de Ligurie (Crocus ligusticus), géophyte endémique des Alpes

maritimes et ligures (photo F. Médail)

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février 2012 | numéro 9 | ECHOS SCIENCE 17

Distribution de la richesse végétale en Méditerranée française continentale*

La modélisation au service d’une conservation biogéographique de la biodiversité

Figure 2. Distribution de la richesse spécifique des phanérophytes et des géophytes en zone méditerranéenne française continentale, selon une maille de 0,1 degré (env. 10 x 10 km).

L’analyse statistique des facteurs à l’origine de la répartition de la richesse spécifique est une approche développée aussi bien à l’échelle du globe qu’aux échelles continentales et régionales. La finesse de l’analyse dépend fortement des données disponibles et la majorité des études se basent sur des groupes limités d’espèces. A l’échelle régionale de la France méditerranéenne continentale, la structure de la richesse spécifique est étudiée chez deux ensembles de végétaux supérieurs ayant des stratégies de vie très différentes : 216 espèces ligneuses (arbre et arbustes) conservant l’hiver leurs bourgeons à plus de 50 cm au-dessus du sol (phanérophytes) et 368 espèces ne conservant durant l’hiver que des organes souterrains de réserve comme les bulbes ou rhizomes (géophytes).

Une corrélation significative (r² = 0.622 ; p < 0.001 ; Fig. 2) est observée entre les distributions de la richesse spécifique en phanérophytes et en géophytes. La relation entre la richesse observée en phanérophytes ou géophytes et différentes variables prédictives potentielles est modélisée à l’aide d’un modèle SAR (spatial simultaneous autoregressive model). Ce modèle de régression prend en compte l’autocorrélation spatiale de la variable à expliquer en l’introduisant comme variable explicative. L’objectif de ce type d’approche par modéli-sation empirique est d’évaluer a priori les pouvoirs explicatifs indépendant ou associés des variables environnementales pour construire in fine un modèle simple (nombre minimum de variables) qui explique au mieux les distributions de richesse. Si les variables climatiques sont généralement considérées comme prépondérantes dans l’explication des patrons ou gradients de biodiversité aux larges échelles, nos premiers résultats appuient l’idée qu’aux échelles plus fines (régionales), d’autres facteurs prennent de l’importance et complexifient l’interprétation. Pour mieux appréhender les biais liés à la topographie locale ou à l’impact de l’homme sur les milieux, des variables d’hétérogénéité spatiale doivent être introduites. Ainsi, la gamme altitudinale explique à elle-seule près de 15 % de la variance de la richesse spécifique en phanérophytes pour la France méditerranéenne continentale (près de 25 % si l’on n’exclut pas la part de l’autocorrélation spatiale).

* Ce projet bénéficie du financement du Conseil régional Provence Alpes Côte d’Azur.

environnementales différentes. Les variables cli-matiques sont généralement considérées comme prépondérantes dans l’explication des patrons de répartition de la richesse spécifique aux lar-ges échelles (globale ou continentale). A l’échelle régionale, la réalité apparaît nettement plus com-plexe (voir encadré). L’hétérogénéité environne-mentale peut ainsi contribuer de manière non négligeable à cette échelle, et doit être évaluée au travers de variables indirectes.

A l’avenir, l’aménagement du territoire, la délimi-tation géographique des aires protégées et la défi-nition des priorités de conservation des espèces devraient reposer davantage sur des approches intégratives, liant composantes biogéographiques, évolutives et fonctionnelles afin de développer une réelle conservation multi-facettes de la diversité du monde vivant. n

Phanérophytes

Géophytes

Page 18: Echos science :La biodiversite qui nous entourent

ECHOS SCIENCE | numéro 9 | février 201218

L’écologie globaleau service de la biodiversité

ÉCOLOGIE

Vingt ans après la conférence de Rio, l’empreinte écologique des activités humaines est dé-battue au niveau international par un public de plus en plus nombreux. Le terme de « glo-balisation » (ou de « mondialisation ») est aujourd’hui utilisé pour qualifier les processus socio-économiques qui remettent sérieusement en question la durabilité des modes de dé-veloppement, tout en étant la cause d’une probable extinction massive d’espèces. Si les éco-logues ont alerté l’opinion publique sur la dégradation de l’environnement depuis plusieurs décennies, de nombreux économistes ont essayé de faire taire ces cris d’alarme. Mais à l’aube du XXIè siècle, il semble urgent de réconcilier nos modes d’utilisation des ressources naturelles avec la préservation de l’intégrité de la nature. C’est le défi que propose de relever l’écologie globale, en s’appuyant véritablement sur l’ensemble des connaissances scientifiques.

Page 19: Echos science :La biodiversite qui nous entourent

février 2012 | numéro 9 | ECHOS SCIENCE 19

Les conditions climatiques sont les principaux facteurs régissant le fonc-tionnement des écosystèmes, et les différentes dynamiques spatio-tem-porelles de l’atmosphère et de la bio-diversité fascinent les écologues de-puis longtemps. La carte établie par Wladimir Köppen en 1918, l’une des premières classifications climatiques globales, est fortement influencée par la formation botanique de son auteur : la température et l’humidité ne sont pas considérées comme des valeurs

physiques abstraites, mais comme des variables structurantes pour les organismes vivants. Un autre déve-loppement transdisciplinaire remar-quable, est celui publié en 1947 par Leslie Holdridge sur « la zonation du vivant » : il consistait à proposer une cartographie du climat en Amérique

centrale, mais sans accès à un réseau de stations météorologiques. Ce travail se basait sur le lien formel entre la structure des écosystèmes et le climat, afin d’en déduire les conditions cli-matiques cartographiées à partir des écosystèmes facilement observables. Une fois la relation (ou le modèle) éta-bli, il a pu être généralisé et fournir les fondements même des premières études relatives aux impacts poten-tiels du changement climatique sur les écosystèmes.

Cependant, l’écologie globale moderne ne traite pas seulement des relations entre climat et végétation. Parmi les préoccupations globales, aussi bien fondamentales que méthodologiques, se pose le problème du recensement et la hiérarchisation des facteurs qui influencent le fonctionnement des

écosystèmes. Quelques aspects sont particulièrement importants : les composantes physiques du climat, la chimie de l’atmosphère (notamment la concentration en CO

2), les dépôts

atmosphériques de nutriments et de polluants, les modes d’utilisation des terres et des ressources marines, les changements dans les modes d’occu-pation du sol, etc… Tous ces facteurs interviennent souvent de manière parallèle, en causant des effets diffé-renciés sur les organismes, les com-munautés et les écosystèmes. Dans une approche scientifique de ces phénomènes, il est important de se démarquer de la considération trop extrémiste de « l’écosystème origi-nel dégradé », malgré l’amère réalité de cette situation dans de nombreux endroits de la planète. Fondamenta-lement, tous les écosystèmes actuels sont structurés par un environne-ment physico-chimique « naturel » et par les activités humaines qui agissent depuis des siècles. En outre, les conditions « naturelles » peuvent aussi grandement fluctuer et causer des changements locaux importants chez les populations ou commu-nautés. Les écologues doivent donc chercher à démêler ces différents for-çages d’une manière impartiale,

Wolfgang Cramer (à gauche), [email protected]

Thierry Tatoni (à droite), [email protected] paysage du Sahel ? Il s’agit en fait d’un pâturage complètement desséché lors de la canicule de 2003 en Lorraine (ph. W. Cramer).

En français, le mot « global » peut être employé aux deux sens du terme et cette ambiguïté est intéressante dans le couplage avec le mot « écologie ». En première intention, « global » renvoie aux enjeux planétaires, perçus sur des échelles très vastes, mais ce terme peut aussi être considéré comme un synonyme de « intégré » (ce qui n’est pas le cas pour la plupart des autres langues). On pourrait alors parler « d’écologie intégrée », avec des approches multi-échelles, multi-sectorielles et pluri-disciplinaires, même dans des contextes régionaux, voire locaux. L’écologie globale a l’ambition de couvrir les deux acceptions du terme, mais seule la langue française permet de traduire ceci en un seul terme.

Les deux significations du terme « global »

Observer globalement pour étudier la structure des écosystèmes

Tous ces facteurs interviennent souvent de manière parallèle, en causant des effets différenciés sur les organismes, les communautés et les écosystèmes”

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ECHOS SCIENCE | numéro 9 | février 201220

ÉCOLOGIE

Les plantes à la surface de la terre sont toutes affectées par le changement climatique, la chimie atmosphérique, l’utilisation des terres et les interactions entre ces divers facteurs. Pour étudier ces mécanismes en écologie globale, le “Lund Potsdam Jena Dynamic Global Vegetation Model for managed Land (LPJmL)” a été développé et est maintenant largement utilisé. Pour neuf types de végétaux et les onze plus importants types de cultures, LPJmL calcule le bilan de carbone et d’eau, ainsi que les relations dynamiques avec les changements de l’environnement, y compris les régimes de perturbations (incendies) et modes d’utilisation des terres. Les résultats du modèle LPJmL ont été utilisés pour informer les processus de politiques globales, par exemple le GIEC et le rapport de la Banque Mondiale sur le développement mondial.

un modèle générique et dynamique d’écosystème terrestre

Représentation schématique d’une zone terrestre telle que simulée par le modèle LPJmL.

Comparaison entre l’évolution de l’activité

photosynthétique au sein de la Sibérie (ligne bleue), observée par le satellite AVHRR et des

simulations utilisant un modèle d’écosystème basé

sur les processus (ligne rouge). Le satellite AVHRR

a permis de détecter le changement dans l’activité

de la végétation après les impacts climatiques de

l’éruption de la montagne Pinatubo, tandis que le modèle a identifié

les changements liés à l’activité physiologique.

et ils peuvent le faire en utilisant toute une gamme de méthodes d’observations, d’expérimentations, et en s’appuyant aussi sur des processus modèles ; ces derniers imitent par exemple les traits fonctionnels des organismes et leur dépendance vis à vis de l’environnement ou leurs interac-tions les uns avec les autres.Au cours de ces dernières années, les ca-pacités d’observation en écologie globale ont atteint un nouveau stade, non seule-ment grâce à une disponibilité accrue et une meilleure qualité des données satel-litaires, mais aussi au développement de réseaux internationaux de scientifiques, bien souvent sous l’impulsion de grands programmes tels que l’Earth System Science Partnership (ESSP). Ironiquement, les pre-miers indicateurs rendant véritablement compte des changements globaux dans le fonctionnement des écosystèmes pro-viennent des satellites météorologiques à partir desquels nous pouvons désormais

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février 2012 | numéro 9 | ECHOS SCIENCE 21

Palmeraie de palmiers-dattiers, ensablée et colonisée par une plante envahissante Haloxylon persicum (Tunisie, Kébili) (photo F. Médail)

Au cours de ces dernières années, les capacités d’observation en écologie globale ont atteint un nouveau stade”“

faire de solides approximations de la quantité du rayonnement photosynthétique actif. Ces données globales sont disponibles avec une ré-solution quotidienne et une couverture tempo-relle de plus de vingt ans. Elles permettent ainsi de détecter des changements significatifs dans l’activité biologique, mais elles offrent aussi la possibilité d’améliorer les modèles de change-ments des écosystèmes qui sont ensuite utilisés pour des extrapolations prospectives. Expérimenter et modéliser pour comprendre le fonctionnement global des écosystèmesLe grand défi de l’écologie globale pourrait être résumé de la façon suivante : comment sub-venir, de manière satisfaisante, aux besoins de sept milliards d’êtres humains sur une planète, tout en respectant l’intégrité fonctionnelle des écosystèmes et leurs capacités d’adaptation-évo-lution ? Toutefois, sur le plan scientifique, cette préoccupation ne constitue pas une véritable

expérience, et ce pour deux raisons principales. Premièrement, une expérimentation appro-priée nécessite un témoin où le même système fonctionne sans le forçage des facteurs que l’on veut tester. Deuxièmement, le changement an-thropogénique actuel imposé au système Terre comprend les rétroactions de nos observations elles-mêmes : nous pouvons espérer que notre connaissance croissante de l’écologie globale permettra d’atténuer les contraintes dont on souhaite évaluer les effets et, de fait, de modifier les résultats. L’expérimentation peut néanmoins fournir des connaissances importantes sur les processus fondamentaux contrôlant les éco-systèmes. Mais, pour que les expérimentations soient pertinentes, elles doivent tester des fac-teurs environnementaux susceptibles de jouer un rôle important dans un avenir prévisible. Par exemple, la mise en place d’un réseau de stations expérimentales, in situ, visant à simuler les changements climatiques à venir, par des systèmes d’exclusion de pluie (cf. encadré 3) doivent permettre d’avoir des réponses antici-

pées sur le comportement des formations forestières et arbustives méditerranéennes en cas de réduction significative des précipitations.Le troisième pilier de l’écologie globale est le développement de modèles appropriés pour l’expérimentation numérique sans véritables manipulations des écosystèmes. Forcément, ces modèles sont des simplifications du monde réel, et l’un des aspects les plus délicats du travail est de définir le niveau de simplification lui-même. Actuellement, beaucoup de modéli-sations d’écosystèmes ont adopté le concept de «types fonctionnels» pour réduire la diversité des écosystèmes réels à un niveau qui permet de simuler des processus, et ce, même dans des environnements qui ne sont pas très bien ren-seignés. Idéalement, ces types sont définis afin de rendre compte des caractéristiques les plus importantes de l’histoire de vie des espèces, et de généraliser la réponse des organismes, no-tamment dans des situations de changements climatiques ou d’augmentation de la teneur en CO

2 atmosphérique. Les modèles éco-

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ÉCOLOGIE

systémiques continentaux ou marins sont de plus intégrés dans les modélisations du système Terre, ce qui permet d’étudier l’ensemble des ré-troactions entre la dynamique globale du climat, le cycle du carbone et les activités humaines.Sur la base des informations validées, issues des observations de terrain, des expérimenta-tions et de la modélisation, l’écologie globale interroge la stabilité et l’évolution des écosys-tèmes de la planète, notamment à partir des scénarios établis. Il faut souligner que ces scé-narios ne sont pas pris comme des prédictions sur le devenir le plus probable des conditions environnementales, mais ils fournissent des supports appropriés pour extrapoler certaines tendances. Par exemple, s’interroger si les potentialités alimentaires de la planète sont en adéquation avec l’ensemble des besoins de l’homme, tout en se préoccupant de la dura-bilité des ressources naturelles et de la stabilité du climat, est un questionnement qui relève de l’écologie globale. Même si, jusqu’ici aucune réponse satisfaisante n’a été fournie sur cette problématique, plusieurs études ont montré que l’approvisionnement alimentaire est moins une question de disponibilités de terres arables,

de nutriments ou d’eau, qu’un problème de modulation de la demande. On sait aujourd’hui que les ressources naturelles s’épuiseront bien plus rapidement si la consommation de viande continue à augmenter fortement et que ça ne serait pas la cas si les populations humaines op-taient majoritairement pour des régimes plutôt végétariens. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, où l’écologie globale étend sa réflexion jusqu’au domaine des sciences humaines et sociales, y compris l’économie.

Des services écosystémiques et l’appréhension globale de la biodiversité Depuis quelques années, le lien entre l’écolo-gie globale et les sciences sociales s’est en effet considérablement développé en se focalisant sur les possibilités de quantifier la valeur éco-nomique des écosystèmes et de la biodiversité, notamment à travers la notion de services éco-systémiques.

À l’instar d’initiatives internationales comme le Millenium Ecosystem Assessment, les écologues et les économistes peuvent travailler ensemble

pour faire ressortir l’importance du fonctionne-ment des écosystèmes sur le plan économique. Plus récemment, l’étude très remarquée TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity, www.teeb.org) apporte des précisions explicites issues de l’écologie globale, et ce d’une façon tout à fait accessible pour les politiques et les décideurs.

On peut bien sûr émettre de nombreuses ré-serves sur la monétarisation des écosystèmes, notamment car il subsiste encore beaucoup d’inconnues sur les organismes vivants, les éco-systèmes et leur rôle pour l’humanité. Toutefois, en refusant de hiérarchiser les enjeux entre, par exemple, le développement industriel et la conservation des espaces naturels, on risque de nuire à la qualité des décisions qui sont prises et in fine, de faire régresser toujours plus les sociétés humaines dans leurs rapports avec les ressources naturelles. Ainsi, l’écologie globale se transpose aux niveaux local et régional : quasiment toutes les décisions sur les modes d’utilisation des terres sont prises au niveau local, basées sur des critères de positionnement régionaux et s’inscrivant dans des contextes socio-environnementaux plus globaux. L’éco-logie globale vise à soutenir une telle prise de décision, en intégrant, de manière objective, les conflits d’usages, tout en considérant simulta-

Il faut souligner que ces scénarios ne sont pas pris comme des prédictions”“

Sansouires du Salins du Caban, proches du complexe industriel de Fos-sur-Mer (photo T. Baumberger)

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Les forêts méditerranéennes, résultats de siècles d’anth-ropisation, s’avèrent potentiellement très sensibles aux changements globaux, notamment climatiques, qui affectent déjà la région et vont se manifester avec plus d’intensité dans les décennies à venir. Pour comprendre le fonctionnement de la chênaie pubes-cente et prévoir ses évolutions futures, une plateforme expérimentale a été mise en place le site de l’Observa-toire de Haute-Provence (OHP) à St- Michel-l’Observatoire, près de Forcalquier, au sein d’une chênaie d’une centaine d’hectares.Sur la base d’un système de passerelles installées à de-meure au niveau de la canopée, il s’agit de pouvoir suivre les performances et le fonctionnement de cet écosystème forestier, en le soumettant à des stress hydriques variables,

simulant un changement climatique potentiel. L’aridification prédite pour les années à venir, est ainsi simulée par un système d’exclusion de 30% des précipitations inciden-tes sur une partie du site expérimental. Ce dispositif est complété par la mise en place de stations automatisées de mesure (mésoclimat, croissance des arbres, etc), avec transmission en temps réel des données.Ainsi, cette station expérimentale complète un réseau de sites d’études des forêts et des matorrals qui recoupe les trois principales essences du Nord de la Méditerranée : le chêne vert près de Montpellier, le pin d’Alep près de Roquefort-La-Bedoule, le chêne pubescent à St-Michel-l’Observatoire, et les formations de garrigue (massif de l’Etoile, près de Marseille).

Des plateformes expérimentales in situ pour une approche globale du fonctionnement des écosystèmes méditerranéens

nément les changements globaux qui affectent l’ensemble des systèmes.

À la lumière des concepts qui sous tendent l’écologie globale et de ses champs d’application, nous sommes aussi amenés à reconsidérer les enjeux liés à la dynamique de la biodiversité. En intégrant la notion de services « éco-systémiques », d’intégrité des écosys-tèmes ou encore de fonctionnement écologique, ce sont toutes les espèces qui deviennent un objet de préoccupa-tion en terme de conservation et non plus exclusivement les espèces rares et/ou endémiques. La biodiversité quali-fiée « d’ordinaire » est en quelque sorte réhabilitée, car elle recoupe la grande majorité des espèces qui « rendent ser-vice » à l’humanité, tout en assurant la plupart du temps l’ossature fonction-nelle des écosystèmes. De plus, des hypothèses formulées dans le champ de l’écologie globale font état d’une plus grande vulnérabilité de la biodiversité « ordinaire » face aux changements glo-baux, en l’absence de mesures de pro-tections adéquates ou de toute forme

d’anticipation en matière de mesures de gestion.

Même si nous ne sommes qu’au début du développement des recherches en écologie globale, les réflexions enta-mées et les premiers résultats obtenus ont déjà conduit à des applications importantes dans la planification éco-logique et l’aménagement du territoire. Tel est le cas en France de la mise en place des trames vertes et bleues (TVB) ou des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE). Parallè-lement, la biodiversité est pensée dans une acception de plus en plus large, en faisant une place significative à sa dimension socio-économique. Elle fait désormais l’objet de plans stratégiques visant à améliorer les connaissances et ses modes de conservation, en intégrant conjointement les aspects naturalistes, écologiques et humains. De manière exemplaire, et pour répondre le plus efficacement possible à tous les enjeux socio-environnementaux liés à la biodi-versité, la région PACA a officiellement lancé, en 2010, sa Stratégie Globale

de la Biodiversité. L’objectif d’une telle démarche s’inscrit parfaitement dans le courant de l’écologie globale, car il s’agit de montrer que la préoccupation « biodiversité » doit être au cœur de toute forme de développement du-rable, l’approche globale permettant de faire ressortir tous les services, directs et indirects, rendus par la biodiversité à l’humanité.

Cependant, comment envisager une gestion de la biodiversité, au niveau local et même régional, sans une inté-gration plus générale, aussi bien sur le plan des grands processus socio-éco-nomiques que des bouleversements environnementaux ? En proposant des changements d’échelle systématiques, et en intégrant un grand nombre de catégories de facteurs structurants, l’écologie globale apparaît désormais comme l’outil conceptuel et méthodo-logie le plus approprié pour investiguer les problématiques environnementales majeures, comme les effets du change-ment climatique ou la dynamique de la biodiversité. n

L’objectif d’une telle démarche s’inscrit parfaitement dans le courant de l’écologie globale”“

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