1 -La Maladie Mentale en Droit Penal en France, Ghica Lemarchand

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LA MALADIE MENTALE EN DROIT PENAL EN FRANCE

De manire gnrale, la maladie mentale est analyse par le Code pnal comme un trouble psychique ou neuro-psychique . Le terme de trouble dsigne un tat dagitation, de confusion ou dmotion dans lequel se trouve quelquun (Larousse). Il dsigne une rupture dquilibre dans une action normale, mme sil connat des natures diverses. Les rvoltes et actes sditieux reprsentent des troubles politiques, laltration des rapports entre personnes entrane des troubles familiaux, sociaux. Si le droit est familier des troubles de fait, constitus par laction dinquiter un possesseur dans la jouissance de son bien, par un acte matriel, ou des troubles de droit, par la revendication juridique dun droit, dun trouble de voisinage, dun trouble lordre public, constitu par linfraction, le sujet propos fait rfrence au registre mdical. La mdecine dfinit le trouble comme la perturbation dans laccomplissement de laction physique ou psychique pouvant se manifester au niveau dun appareil, dun organe ou dun tissu . Les troubles digestifs ou respiratoires se distinguent des troubles de la personnalit, par leurs origine et manifestation. Le trouble mental ne reoit pas de dfinition mdicale stricte, car il dsigne un ensemble de pathologies dordre psychiatrique et psychologique. Il sagit dun ensemble daffections caractrises par des manifestations psychologiques ou comportementales significatives entranant une dtrioration marque des capacits cognitives, affectives ou relationnelles de la personne. Les expressions de troubles psychiques, psychologiques ou maladies mentales y sont associes, alors que les problmes de sant mentale dsignent des tats qui naffectent pas la vie normale de la personne. Le Code pnal dfinit le trouble psychique ou neuropsychique, qui semble recouvrir la notion gnrique de maladie mentale, dans le cadre des causes dirresponsabilit pnale. Lorsquune personne commet une infraction sous lemprise dun tel trouble, le droit pnal lui accorde une prise en charge spcifique, en assurant lquilibre entre le respect des deux intrts majeurs qui le sous-tendent. Dune part, la protection de la socit et de lordre public rend ncessaire une rponse linfraction. Dautre part, la personne touche par un trouble mental subit une diminution de sa capacit de comprendre et de vouloir et doit tre protge dans sa libert individuelle et sa sant. La mdecine influe donc doublement sur le droit pnal : dabord, elle dfinit le trouble mental et ensuite, elle dcide de sa prise en charge. Ce rapport troit mdico-lgal, au sens le plus strict du terme, conduit une mdicalisation de la responsabilit juridique et avance limprieuse ncessit dune expertise psychiatrique pour valuer la responsabilit pnale de tout criminel. La criminologie tablit une corrlation entre le passage lacte criminel et la psychologie du dlinquant. Cette approche ne doit pas conduire un excs, celui de rduire tous troubles du comportement et tout passage lacte

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criminel au seul dterminisme psychologique ou psychiatrique. Dans ce cas, la rponse linfraction est exclusivement mdicale. Si le droit pnal a su viter le pige de la rpression pour les personnes malades, il doit savoir viter le pige des soins vis--vis de tous les dlinquants. Laugmentation des attentes de la socit vis--vis de la mdecine risque de conduire une psychiatrisation de tout comportement dans une socit. Deux drives doivent tre vits. Dune part, il ne faut pas assimiler automatiquement les crimes les plus horribles des crimes commis par des malades mentaux. Certains dlinquants souffrent de troubles sociaux, ils distinguent le bien du mal et choisissent de faire le mal en adoptant des formes de dlinquance trs violentes et marquantes. Ce que certains dsignent comme la folie morale ne constitue nullement une forme de trouble mental. Dautre part, la psychiatrie nest pas une science exacte et elle ne peut soigner et protger de toute rcidive lors de la prise en charge de sujets atteints de troubles sociaux. Pse sur elle une obligation de moyens, mais nullement une obligation de rsultat. Les juristes dgagent rapidement une rflexion sur linutilit de la responsabilit pnale des fous . Muyart de Vouglans1 crit, en 1780, les insenss, les furieux, les imbciles sont exempts daccusation privs de la libert desprit ncessaire pour commettre le crime , ils sont assimils aux enfants et animaux. Traditionnellement, la personne ayant commis linfraction sous lemprise de la folie ne peut pas tre condamne mort, mais une peine sur ses biens peut tre prononce, ainsi que des dommages et intrts. Le Code pnal dfinit les effets du trouble mental sur la responsabilit pnale de lauteur dune infraction. Larticle 122-1 ouvre le chapitre consacr aux causes dirresponsabilit et dattnuation de la responsabilit pnale et consacre un rgime juridique spcifique aux personnes ayant commis linfraction sous lemprise dun trouble mental. Cependant, par un paralllisme de raisonnement, ltude du trouble mental ne saurait tre limite la personne mise en cause. La dficience psychique de la victime donne aussi lieu des dispositions spcifiques. Le droit pnal accorde donc une considration particulire au trouble mental, sous sa forme active (participant linfraction) ou passive (victime). Il puise une inspiration protectrice de la personne atteinte de trouble mental dans la mdecine et limporte au sein du droit pnal de fond et de forme. La notion de trouble mental prend une dimension symbolique au sein de la responsabilit pnale (I) et produit des effets damlioration de la personne en soufrant (II). I. LE TROUBLE MENTAL, INSTRUMENT DE MESURE DE LA RESPONSABILITE PENALE Dans la tradition spiritualiste hrite de lAntiquit grecque, le droit pnal franais a conu la responsabilit pnale fonde sur le libre-arbitre et la volont de lindividu. Dans son sens tymologique premier, la personne ne saurait1

MUYART DE VOUGLANS P.-F., Les lois criminelles de France dans leur ordre naturel , 1780.

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rpondre de ses actes (la responsabilit dcoule du mot latin respondere signifiant rpondre) que lorsquelle a choisi de commettre linfraction. Mais les juges tudient les capacits personnelles du dlinquant afin de vrifier son existence et se penchent sur la qualit de son discernement et de sa volont. Le droit pnal trouve ici le point dquilibre entre deux conceptions extrmes de la rpression : dune part, prendre en compte seulement linfraction dont la peine est la consquence automatique, et, dautre part, tenir compte de lindividu et apprcier ses qualits intrinsques. La qualit du libre-arbitre produit des consquences directes sur la responsabilit pnale. A. LE TROUBLE MENTAL, ATTEINTE AU LIBRE-ARBITRE Dans sa Philosophie pnale , Gabriel Tarde2 rappelle que la responsabilit a comme fondement la libert du vouloir . La doctrine pnale distingue les notions dimputabilit et de culpabilit qui, runies, permettent de retenir la responsabilit pnale dune personne. En labsence, dune seule de ces composantes, la responsabilit pnale disparat. 1. LE LIBRE ARBITRE, FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE PENALE En dfinissant la raison pratique, raison que lhomme prouve dans la conscience du devoir, Kant3 fonde le pouvoir de discerner et de choisir un comportement adapt, ce qui impose la jouissance du libre-arbitre. Le choix libre de laction, ou de linfraction, devient le fondement moral du droit pnal. Le Code pnal de 1810 a choisi un fondement objectif de la responsabilit pnale et a pos le postulat du libre-arbitre comme base prexistante de la responsabilit. Le clbre article 64 disposait quil ny avait ni crime ni dlit lorsque le prvenu tait en tat de dmence au moment de laction . Ce texte rompait avec les rgles applicables au Moyen-ge, selon lesquelles on punissait svrement les criminels qui taient des malades mentaux, car on considrait quils taient possds par le dmon. Cependant, le texte mme de larticle 64 encourait plusieurs critiques qui rendaient difficile son application : la rfrence la dmence tait peu pertinente car elle ne correspondait aucune affection particulire ; le texte semblait effacer linfraction elle-mme et limitait les effets aux deux catgories les plus graves. Les thories positivistes4 reniant le libre-arbitre ont dvelopp des tudes sur le dlinquant dtermin par sa constitution biologique, ses tendances innes ou son milieu (la thorie du criminel-n). La responsabilit sociale devait remplacer la responsabilit morale. Les dlinquants, qui sont des malades deux-mmes ou de la socit, doivent tre traits, afin de gurir de leurs2 3

TARDE G., Philosophie pnale , 1890. KANT E., critique de la raison pure , 1781, Critique de la raison pratique , 1788. 4 Lcole positiviste italienne : LOMBROSO C., Lhomme criminel , 1876 ; FERRI E., Sociologie criminelle , 1884 ; GAROFALO R. ; Manifeste du positivisme pnal, introduction la dfense sociale , introduction Criminologie , 2e d. 1890.

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affections. Leur dlinquance tant une expression de leur maladie, ils ne sont pas pnalement responsables, mais doivent tre traits en vue de protger la socit. Les traitements mis en place peuvent tre trs varis, allant dune neutralisation totale du dlinquant des traitements mdico-sociaux afin dassurer leur retour et leur intgration dans la socit. Le vocabulaire mdical remplace le vocabulaire juridique avec lapparition des indices anti-socialit, de mesures de sret visant le traitement de la dlinquance . Cette gnralisation de la dlinquance comme expression dun trouble social facilite son assimilation un trouble mental. La thorie no-classique pose le postulat du libre-arbitre qui doit permettre de doser la libert individuelle pour juger lhomme ayant commis lacte rprhensible. Selon Garraud5, si lincohrence totale entrane lirresponsabilit, sil ny a quaffaiblissement du discernement, le juge doit accorder des circonstances attnuantes . La circulaire Chaumi du 12 dcembre 1905 a introduit la nouvelle catgorie des anormaux mentaux non irresponsables (plusieurs degrs de conscience entranaient plusieurs degrs de responsabilit pnale). Les experts devaient dire dans quelle mesure les personnes taient responsables et au juge den tenir compte dans la fixation de la peine travers la prise en compte des circonstances attnuantes. La psychiatrie mdicolgale et criminelle a consacr de nombreuses tudes lexpertise pnale qui doit dterminer la capacit dimputation dont dcoule la responsabilit pnale et qui suppose la libert de juger et de discerner. Selon lapprciation de M. Merle et Vitu6, la folie tait assimile avec certitude une maladie mentale alinante de lesprit, exclusive du discernement et de la libert de dcision, qui devait fonder lirresponsabilit des dments . Se dtachent deux thories diffrentes de limputabilit et de la culpabilit, qui runies, permettent de fonder la responsabilit pnale. 2. LIMPUTABILITE Limputabilit est difficile circonscrire et elle se dfinit partir dune relation matrielle et psychologique entre linfraction et lauteur. Certains auteurs distinguent limputabilit matrielle ou objective 7 de limputabilit morale ou subjective8. Limputabilit matrielle est le lien de causalit qui unit linfraction au comportement de lauteur et est dsigne sous lappellation dimputation 9. Limputabilit morale renvoie la libert et la volont de lindividu 10. Elle est la possibilit de mettre une certaine attitude intellectuelle rprhensible au compte de celui qui la adopte de manire totalement consciente et libre 11.5 6

GARRAUD R., Trait thorique et pratique de droit pnal franais , 1888-1894, n 267. MERLE R. et VITU A., Trait de droit criminel. Problmes gnraux de la science criminelle. Droit pnal gnral. , T. 1, d. Cujas, 1997, n 523. 7 GARRAUD R., Trait thorique et pratique de droit pnal franais , 1888-1894. 8 LEVASSEUR G., Droit pnal gnral , Prcis Dalloz, 2000. 9 CONTE Ph. et MAISTRE DU CHAMBON P., Droit pnal gnral , Armand Colin, 2002, n 351. 10 LEVASSEUR, Limputabilit en droit pnal , RSC 1983, p. 1. 11 SAINT-GERAND V., La culpabilit dans la thorie de la responsabilit pnale , thse Lyon, 2000, n 102.

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Elle constitue la substance thique de linfraction12. La rfrence la volont devient essentielle du point de vue de la prise en compte de la personne. Lauteur de lacte engage sa responsabilit car il est dot dune libert (qui lui permet de vouloir ses actes) et dune conscience (qui lui permet de distinguer la valeur morale de son acte). Limputabilit rsulte donc de la libert de comprendre et de vouloir13. Limputabilit a t parfois explique comme un lment subjectif de la faute, notamment en droit civil. Elle se trouvait donc intgre la structure de lincrimination et devenait une condition de llment moral. Une question difficile est de savoir si limputabilit est un lment de linfraction (intgre llment moral) ou un lment de la responsabilit pnale. Le fait dintgrer limputabilit llment moral prsente deux inconvnients majeurs. Dune part, elle aboutit une unit des fautes civile et pnale, alors que la loi de 200014 leur a rendu leur autonomie, confirme par la loi du 5 mars 2007 15. Dautre part, limputabilit conduit lapplication de la mthode dapprciation in concreto, privilgie dans le cadre des fautes simples (article 121-3, alina 3, in fine), comme qualifies. Limputabilit est donc un lment constitutif de la responsabilit pnale et sentend dans un sens matriel (la causalit qui permet de mettre linfraction au compte de la personne) et dans un sens subjectif et intellectuel (comme le lien entre la volont de la personne et lacte accompli). Limputabilit permet de dterminer quelles conditions une personne peut tre dclare responsable et se distingue de la capacit pnale , qui dsigne laptitude de la personne subir la sanction pnale et en tirer bnfice. Limputabilit conduit la notion de culpabilit 16 qui repose sur la faute commise par lauteur de linfraction. La culpabilit est aussi difficile dfinir et elle repose sur la participation fautive linfraction de la part de son auteur17. Limputabilit prcde la culpabilit car la faute ne peut tre reproche son auteur que sil tait pourvu de discernement et de volont. La jurisprudence rcente privilgie une conception de plus en plus matrialiste de linfraction la dmonstration dun lien matriel entre linfraction et lauteur permet dinduire sa culpabilit. La faute est souvent dduite des comportements matriels. La culpabilit privilgie ainsi limputation (limputabilit matrielle) par rapport limputabilit morale. Ces deux notions de culpabilit et dimputabilit napparaissent pas dans la loi. Ce sont des constructions doctrinales bties dans un but de clarification.12 13

DANA A.-C., Essai sur la notion dinfraction pnale , LGDJ, 1982, n 209. Crim. 13 dcembre 1956, LABOUBE, D. 1957, p. 349 : la question de limputabilit est un pralable ncessaire la responsabilit pnale. Elle repose sur les critres cumulatifs dintelligence et de volont et dfinit le discernement. 14 Loi n 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant prciser la dfinition des dlits non-intentionnels dite loi FAUCHON. 15 Loi n 2007-297 du 5 mars 2007 relative la prvention de la dlinquance. 16 ORTOLAN J., Elments de droit pnal , 1875, Les conditions gnrales de la responsabilit suivant la science rationnelle. Intelligence, raison, volont et libert . 17 MERLE R. et VITU A., Trait de droit criminel. Problmes gnraux de la science criminelle. Droit pnal gnral. , T. 1, d. Cujas, 1997.

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Cependant, lexistence de limputabilit ne saurait tre nie pour deux arguments majeurs. Dune part, le fondement de la responsabilit pnale est dordre moral puisque seuls le discernement et la volont libre permettent dy accder. Dautre part, le trouble mental a t inscrit par le lgislateur au sein des causes dirresponsabilit pnale subjectives, dsignes par la doctrine sous lappellation de causes de non-imputabilit18. Cette assimilation smantique apporte des prcisions quant la nature de la cause dirresponsabilit (qui repose sur la personne ou la personnalit de son auteur) et quant son rgime juridique (elle est personnelle son auteur et ne saurait se transmettre aux autres participants linfraction qui peuvent voir leur responsabilit pnale engage et maintenue). B. LES EFFETS DU TROUBLE MENTAL SUR LA RESPONSABILITE PENALE Larticle 122-1 du Code pnal dispose nest pas pnalement responsable la personne qui tait atteinte, au moment des faits, dun trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrle de ses actes . La rforme de 1994 a galement intgr laltration du discernement, dont les consquences sont diffrentes : elle nest pas une cause dirresponsabilit puisque larticle 122-1, alina 2, nonce que la personne demeure punissable en cas daltration du discernement, mais que la juridiction doit tenir compte de cette circonstance lorsquelle dtermine la peine et fixe le rgime . 1. LE TROUBLE MENTAL TOTAL Larticle 122-1 C. pn. tudie lexistence du trouble mental total qui abolit le discernement et exige pour cela trois conditions cumulatives. Dune part, le lgislateur dfinit le trouble mental comme un trouble psychique ou neuropsychique . Le trouble psychique relve dune forme de trouble exclusivement mentale, alors que le trouble neuro-psychique vise un trouble ayant une cause physique dtermine (ex. une lsion neurologique). Cette expression est plus large que celle de dmence employe par lancien Code pnal, le lgislateur ayant consacr linterprtation extensive de la jurisprudence. Elle recouvre un nombre important de manifestations mdicales, sans distinguer selon la cause du trouble (congnitale ou survenue par accident) ou sa forme (gnrale ou spciale, paranoa, schizophrnie19). Dautre part, larticle 122-1, alina 1er, dfinit le trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli le discernement ou le contrle de ses actes . Lemploi de cette double hypothse donne une dfinition de la cause dirresponsabilit. Soit la personne a perdu la capacit de comprendre ces actes et elle ne peut plus interprter la ralit de ses actes. Soit18

DEBOVE F., FALLETTI F., JANVILLE Th., Prcis de droit pnal gnral et de procdure pnale , P.U.F., collection Major, 2010. 19 Crim. 18 fvrier 1998, Bull. n 66 : la chambre daccusation prononce une dcision de non-lieu en etenant le fait que lauteur atteint dune forme grave de psychose schizophrnique aurait commis son insu les actes de viol et homicide volontaire qui lui sont reprochs.

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la personne a perdu la capacit de vouloir et elle ne matrise plus ses actes. Lemploi du terme ou par le lgislateur indique que les deux hypothses entranent individuellement lirresponsabilit pnale de lauteur. Enfin, le trouble mental doit imprativement tre concomitant avec la commission de linfraction. Cette rgle est logique, car le trouble doit tre en relation en linfraction pour annuler la responsabilit pnale. Il faut que lacte rprhensible ait t commis sous lempire de ce trouble mental, condition difficile prouver dans le cadre des folies et psychoses intermittentes. Lorsque ces trois conditions sont runies et que le trouble mental total est caractris par le juge, larticle 122-1, alina 1er, produit des effets radicaux sur la responsabilit pnale car le dlinquant en est totalement exonr. Le trouble mental total constitue une cause dirresponsabilit pnale pour toutes les infractions, crimes, dlits et contraventions 20. Cet effet dirresponsabilit ne vise que le malade lui-mme. Si la ralisation de linfraction implique plusieurs personnes, les complices et coauteurs de la personne souffrant du trouble mental demeurent responsables individuellement. En effet, le trouble psychique ne supprime pas lexistence de linfraction qui demeure punissable pour les autres participants. Larticle 122-1 C. pn. prcise nest pas punissable la personne , constituant le trouble mental en une cause subjective dirresponsabilit affectant limputabilit de la personne. Cette mme raison qui conduit penser que la responsabilit pnale de la personne morale reste possible en cas de trouble psychique de son reprsentant, mais cette solution devrait tre confirme par la jurisprudence. La personne irresponsable pnalement demeure nanmoins tenue aux rparations civiles en vertu de larticle 414-3 C.Civ. qui dispose que Celui qui a caus un dommage autrui alors qu'il tait sous l'empire d'un trouble mental n'en est pas moins oblig rparation. . Le trouble mental est donc une cause dirresponsabilit pnale, mais pas une cause dirresponsabilit civile. 2. LE TROUBLE MENTAL PARTIEL Larticle 122-1, alina 2, envisage le trouble mental partiel et comble une des principales lacunes du systme mis en place par lancien Code pnal. Il envisage la situation des personnes atteintes dun trouble psychique ou neuropsychique ayant altr leur discernement ou le contrle de leurs actes, sans pour autant avoir totalement supprim leur libre-arbitre. Les conditions sont quivalentes celles du trouble psychique ayant altr totalement le discernement, mme si son apprciation se rvle plus dlicate. Le trouble mental partiel est constitu par toute maladie ayant des effets sur la volont ou sur le raisonnement du malade. Cependant, laffaiblissement des capacits dintelligence ou de la volont doit rsulter dun tat subi et ne pas tre la consquence dune faute antrieure ou dun risque dlibrment assum.20

Crim. 14 dc. 1982 : le prvenu nest pas responsable de ses actes car la psychose dont il tait atteint au moment des faits ne lui permettait aucun contrle volontaire de ses pulsions destructrices.

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Lintoxication volontaire lalcool ou aux drogues, qui anantit ou amoindrit la volont et la conscience, en est un excellent exemple. Deux thses saffrontent. Les tenants de la thse rpressive considrent quune telle intoxication constitue une faute en elle-mme et, puisque nul ne peut se prvaloir de sa propre turpitude , il serait choquant de laisser lagent tirer bnfice dun acte fautif et dangereux dun point de vue social. Le courant permissif considre quune telle intoxication a des effets indniables sur la volont de la personne et sa responsabilit pnale ne pourrait tre engage que sur le fondement des infractions non intentionnelles. La jurisprudence traditionnelle a toujours refus de prendre en compte les dysfonctionnements choisis comme une cause dirresponsabilit pnale, quil sagisse du trouble mental 21 ou de la contrainte. Cette interprtation prtorienne est en parfait accord avec lanalyse du lgislateur. Il est naturel que livresse ne soit pas admise comme forme de trouble mental influant sur la responsabilit pnale, alors quelle est spcifiquement rprime par la lgislation pnale de deux manires. Dune part, combine avec un autre comportement, elle constitue une infraction-obstacle dont la rpression doit empcher la survenance dun dommage (la conduite en tat divresse). Dautre part, elle aboutit une circonstance aggravante des atteintes involontaires la vie ou lintgrit de la personne. Cette mme analyse vaut pour lusage des stupfiants qui est incrimin de manire autonome ou comme circonstance aggravante lors de la conduite dun vhicule terrestre moteur22. Une difficult gnrale caractrise ltude du trouble mental, mais elle se trouve accrue dans le cadre du trouble mental partiel la difficult de la preuve. Lexistence dun trouble mental nest jamais prsume, elle doit tre prouve. Comme les juges ne disposent pas des facults mdicales ncessaires pour dterminer le trouble psychique, ils ordonnent une expertise psychiatrique. Les conclusions de lexpert ne lient pas juridiquement le juge, mme si, en pratique, ce dernier suit lavis de lexpert. Lexistence du trouble mental est une question de pur fait qui relve de lapprciation souveraine des juges du fond. La Cour de cassation nexerce aucun contrle sur lexistence ou la qualification du trouble psychique. Les experts jouent un rle important au sein des procdures sur la base de larticle 122-1, ce qui peut aboutir une pollution de la justice23. La loi du 5 mars 2007 a redfini les rgles applicables aux expertises afin damliorer le systme de la preuve24. Les effets de la reconnaissance dun trouble psychique ayant altr partiellement le discernement sur la responsabilit pnale sont plus difficiles 21

Crim. 5 fvrier 1957, Bull. n 112 : ltat divresse nest pas constitutif dun trouble mental et nentrane pas dirresponsabilit ou dattnuation de la responsabilit pnale, au contraire, les juges peuvent tre incits, dans les faits, renforcer la rpression. 22 Loi 2003-87 du 3 fvrier 2003 relative la conduite sous lemprise de substances ou plantes classes comme stupfiants. 23 BOUCHERD J.-P., Lexpertise mentale en France entre pollution de la justice et devoir dobjectivit , Dr. pn. 2006, tude n 3. 24 Loi n 2007-297 du 5 mars 2007 relative la prvention de la dlinquance

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dterminer que dans le cadre de son abolition. Aprs la circulaire Chaumi, il a t propos que le juge tienne compte des degrs de conscience du malade pour dterminer des degrs de responsabilit pnale. Le projet de C.P. de 1978 proposait de crer un rgime mdico-rpressif. Lemprisonnement aurait t excut sous un rgime mdico-psychologique dans un tablissement pnitentiaire spcialis. Ces propositions ont t abandonnes compte tenu des difficults pratiques suscites. La politique pnale contemporaine se caractrise par deux volutions majeures. Premirement, larticle 122-1, alina 2, dispose la juridiction tient compte du trouble psychique lorsquelle dtermine la peine et en fixe le rgime . Le lgislateur ne fait nullement obligation au juge dadoucir la rpression, puisquil lui laisse carte blanche pour apprcier ltendue de la rpression. Les auteurs considrent cette disposition comme une mesure dattnuation de la responsabilit pnale du malade, mme si rien, dans la lettre du texte, nempche le juge daggraver la rpression compte tenu de la dangerosit du dlinquant ou de la gravit du trouble caus. Le caractre attnuant du trouble mental partiel est dduit de lapplication des principes gnraux du droit pnal. Le juge pnal est tenu par le respect de la lgalit pnale, qui lui impose un maximum lgal au-del duquel il ne peut aller. Cependant, il dispose dune grande libert dans la dtermination de la peine, en vertu du principe de la personnalisation des peines. Les consignes donnes par le lgislateur dans larticle 122-1, alina 2, ne peuvent aller que dans le sens dune attnuation de la peine, compte tenu de la cause spcifique du trouble mental partiel et nullement en application du pouvoir gnral de personnalisation des peines. Deuximement, des efforts sont engags afin damliorer le traitement des personnes atteintes de troubles psychiques. De nombreux tablissements de ladministration pnitentiaire disposent dunits de soins spcialement amnages qui prennent en charge les personnes malades. Mme si les moyens restent insuffisants, des investissements sont prvus et une prise de conscience collective a lieu.Le trouble mental ne doit pas recevoir une dfinition extensive. Certaines personnes commettent des actes quelles savent interdits et nuisibles, mais dclarent obir des pulsions irrsistibles (la pyromanie). Mme si aucune rgle absolue na t dgage en la matire, gnralement ces personnes ne bnficient daucune attnuation de la responsabilit et la politique pnale se rvle fort rpressive leur gard. Une approche de droit pnal compar permet de constater que toutes les lgislations europennes retiennent lirresponsabilit pnale du malade mental. En Allemagne, les personnes atteintes de troubles mentaux ne font pas lobjet dune sanction pnale, mais dune mesure de sret. Limputabilit attnue est relie une capacit amoindrie de discernement entranant une rduction facultative de peine. En Espagne, le trouble mental total entrane lirresponsabilit, alors que le trouble partiel donne lieu une responsabilit attnue avec rduction automatique de peine. Si toutes les lgislations distinguent irresponsabilit et attnuation, leurs effets pratiques ne sont pas

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identiques. Les consquences de lirresponsabilit pnale des dlinquants atteints dun trouble mental peuvent amener deux situations diffrentes en lgislation compare. Dans un premier cas, le juge est dessaisi au profit de la juridiction administrative qui peut prononcer ou non un internement. Dans un deuxime cas, le juge pnal conserve aprs le non-lieu le pouvoir de dcider des mesures appliques au dlinquant malade mental, tant pour la dure que la nature des soins. Cette analyse du droit pnal national et compar montre que la souffrance du sujet cause par le trouble mental dont il est affect reoit une analyse particulire en droit pnal et suscite une protection pnale accrue. II. LE TROUBLE MENTAL, SOURCE DUNE PROTECTION PENALE ACCRUE Le trouble mental suscite des dispositions spcifiques au sein du droit pnal, des mesures lorigine dun systme de protection renforce. Sil est naturel que cette protection accrue profite aux victimes, le droit pnal ltend au dlinquant, en raison du trouble dont il est atteint. A. LA PROTECTION DU DELINQUANT ATTEINT DUN TROUBLE MENTAL La procdure subsquente lexistence dun trouble mental touchant le dlinquant a t substantiellement modifie par la loi du 25 fvrier 2008 25, rvisant aussi bien la procdure pnale applicable, que lventail des mesures que le juge pnal peut prononcer26. 1. LA PROCEDURE RENOVEE Avant la loi du 25 fvrier 2008, la constatation de lexistence dun trouble mental emportait des effets radicaux car la juridiction rpressive ne pouvait prononcer aucune mesure contre la personne ayant commis linfraction 27. Les juridictions dinstruction prononaient des dcisions de non-lieu, le tribunal correctionnel tait tenu de relaxer et la cour dassises acquittait. Le systme tait considr comme insuffisant et dfectueux et trois rapports se sont longuement penchs sur ces questions. Le rapport de la commission Sant-Justice, prside par M. Burgelin28, tudie de manire approfondie la dangerosit psychiatrique lie aux troubles mentaux et propose dinstaurer une audience spcifique statuant sur limputabilit des faits devant une chambre spcialise du T.G.I., afin de permettre un vritable dbat judiciaire, mme en cas de dclaration25

Loi n 2008-174 du 25 fvrier 2008 relative la rtention de sret et la dclaration dirresponsabilit pour trouble mental 26 PRADEL J., Une double rvolution en droit pnal franais avec la loi du 25 fvrier 2008 sur les criminels dangereux , D. 2008, chron., p. 1000. 27 DANET J. et SAAS C., Le fou et sa dangerosit , un risque spcifique pour la justice pnale , RSC 2007, p. 779. 28 Sant, justice et dangerosits : pour une meilleure prvention de la rcidive - Rapport de la Commission santjustice prside par Monsieur Jean-Franois Burgelin, La documentation franaise, Rapports publics.

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dirresponsabilit pnale pour troubles mentaux de lauteur des faits. Le rapport dinformation dpos au Snat le 22 juin 2006 29 lance des pistes de rflexion sur la prise en charge des individus dangereux. Le rapport de la mission de rflexion prside par M. le dput Garraud 30 conclut une modification de la procdure pnale en matire de trouble mental, sans instituer de nouvelles instances. Ces rflexions conjugues ont conduit ladoption de la loi du 25 fvrier 2008 introduisant la rtention de sret pour les individus particulirement dangereux et modifiant les mesures applicables aux personnes atteintes de troubles mentaux. Lexpos des motifs de la loi met laccent sur la critique du systme prcdent qui ne tenait pas compte suffisamment des souffrances de la victime, employait une terminologie insatisfaisante, renvoyant limage dun effacement de linfraction elle-mme, ne permettait pas la juridiction pnale dexaminer les consquences civiles du dommage caus par linfraction. La loi du 9 mars 2004 avait dj modifi, en partie, le droit applicable en exigeant que le juge dinstruction qui rend une ordonnance de non-lieu motive par le trouble psychique ne se prononce pas sur la qualification des faits mais prcise sil existait des charges suffisantes lgard du malade. Le juge pnal se prononait donc sur limputabilit des faits et nullement sur la culpabilit de la personne 31. La procdure mise en place par la loi du 25 fvrier 2008 sinspire des modles europens (notamment nerlandais) et distingue les rgles applicables au stade de linstruction et au stade du jugement (art. 706-53-13 et s. du Code de procdure pnale). La doctrine franaise la critique, car elle est perue comme une atteinte au fondement objectif du droit pnal classique32. Elle permet de prononcer des sanctions lgard des personnes dpourvues de discernement ou volont, ne remplissant pas les conditions de limputabilit morale 33. Au stade de linstruction, lorsque le juge dinstruction estime que la personne poursuivie doit bnficier de larticle 122-1, alina 1, il doit en informer les parties et le procureur de la Rpublique qui peuvent demander la saisine de la chambre de linstruction qui doit statuer dans le cadre dune audience publique et contradictoire sur la question de limputabilit. En labsence de sa saisine, le juge dinstruction rend une ordonnance dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental qui peut faire lobjet dun appel. La chambre de linstruction examine le dossier en premier et en dernier ressort le dossier constituant un29

Les dlinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques : comment concilier la protection de la socit et une meilleure prise en charge mdicale ? , Rapport d'information N 420 (2005-2006) de MM. Philippe GOUJON et Charles GAUTIER, fait au nom de la commission des lois, de la mission d'information et de la mission d'information de la commission des lois, dpos au Snat le 22 juin 2006 30 Rponses la dangerosit , Rapport sur la mission parlementaire confie par le Premier ministre M. Jeanpaul Garraud, dput de la Gironde, sur la dangerosit et la prise en charge des individus dangereux, octobre 2006, La Documentation Franaise, Rapports publics. 31 DELAGE P.-J., La dangerosit comme clipse de limputabilit et de la dignit , RSC 2007, p. 797. 32 MISTRETTA P., De la rpression la sret, les derniers subterfuges du droit pnal. A propos de la loi relative la rtention de sret et la dclaration dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental , JCP G 2008, act. 145. 33 CONTE P., Aux fous ? , Dr. pn. 2008, repre 4.

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double degr automatique (art. 706-22 C.P.P.). Une vritable audience implique la personne mise en examen, les parties civiles, les tmoins et les experts. Le prsident peut ordonner doffice ou la demande des parties la comparution personnelle de la personne poursuivie, si son tat le permet. Lorsquelle comparat, la personne est ncessairement assiste dun avocat. Ce dernier est prsent aussi lorsquelle nest pas en tat de comparatre. Les dbats sont publics et larrt est rendu en audience publique, sauf cas classiques de huis clos. A lissue de laudience, la Chambre de linstruction peut rendre une des trois dcisions suivantes : un non-lieu poursuivre classique si les charges sont insuffisantes ; un renvoi devant le tribunal correctionnel ou la mise en accusation devant la cour dassises si la personne ne souffre pas dun trouble mental ; un arrt de dclaration dirresponsabilit pour cause de trouble mental lorsque les charges sont suffisantes et que la cause dirresponsabilit dabolition du discernement est prsente. Dans ce dernier cas, elle dissocie nettement limputation matrielle de limputabilit psychologique. Lauteur matriel est judiciairement dsign, mme sil ne peut pas voir sa responsabilit pnale retenue. Si la partie civile demande, elle ordonne le renvoi devant le tribunal correctionnel pour quil se prononce sur les intrts civils de la victime et peut prononcer des mesures de sret lencontre de la personne. Cet arrt ne peut que faire lobjet dun pourvoi en cassation, seule voie de recours envisageable. Ce double degr automatique ne sera rellement respect que lorsque les collges de trois juges dinstruction entreront en vigueur pour respecter la fois la collgialit et le double degr de juridiction. Au stade du jugement, la cour dassises rend un arrt portant dclaration dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental et peut, ensuite, statuer sans lassistance du jury sur les dommages et intrts. Le tribunal correctionnel rend un jugement de dclaration dirresponsabilit pour cause de trouble mental et considre la demande de rparation civile. Les deux juridictions peuvent prononcer des mesures de sret. Cette mme procdure peut tre applique devant la juridiction de proximit, le tribunal de police et la chambre des appels correctionnels, mais elles ne peuvent pas prononcer des mesures de sret. La dcision de la juridiction est inscrite au casier judiciaire. Cependant, le Conseil constitutionnel a mis une rserve dinterprtation en limitant linscription au casier du seul prononc des mesures de sret. Le projet de loi tendant amoindrir le risque de rcidive criminelle et portant certaines dispositions de procdure pnale, adopt par lAssemble nationale en premire lecture le 24 novembre 2009 comporte une mesure spcifique pour adapter le droit pnal la jurisprudence constitutionnelle : la limitation de linscription au casier judiciaire des dcisions dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental au cas o une mesure de sret a t ordonne par la juridiction. 2. LEVENTAIL ELARGI DES MESURES APPLICABLES Selon lancien systme, le juge rpressif qui concluait lirresponsabilit de la personne atteinte dun trouble psychique ne pouvait prononcer aucune mesure

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lgard de la personne. Le sujet relevait alors de la procdure administrative de droit commun dinternement de la personne qui ne distingue pas selon que la prsonne souffrant du trouble mental a commis ou non une infraction. Le prfet, assist dune commission dpartementale des hospitalisations psychiatriques, prend une mesure de placement doffice. Le pouvoir dordonner la fin du placement doffice dune personne relaxe est confie deux psychiatres nappartenant pas ltablissement. Leurs dcisions doivent tre concordantes et rsulter dun examen individuel spar du sujet. La loi du 25 fvrier 2008 modifie considrablement les prrogatives du juge judiciaire en la matire. Lautorit judiciaire a la facult de prononcer une hospitalisation doffice et une srie de mesures de sret entranant un certain nombre de restrictions (art. 706-135 C.P.P.). Lorsque lautorit judiciaire la prononce, elle doit aviser immdiatement le prfet (et la commission des hospitalisations psychiatriques) qui prend toute mesure utile (art. L 3213-7 du Code de la sant publique). Pour viter toute rupture dans la prise en charge et lhospitalisation, la dcision de lautorit judiciaire est soumise trois conditions. Seul un arrt ou un jugement dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental (pas une simple ordonnance) peuvent la prononcer. Une expertise psychiatrique doit tablir que ltat de la personne ncessite des soins et compromettent la sret des personnes ou portent atteinte, de faon grave, lordre public (critres prvus lidentique par larticle L 3213-1 justifiant une hospitalisation doffice linitiative du prfet). La dcision doit tre motive. Les auteurs soulignent lavance constitue par cette nouvelle comptence de lautorit judiciaire qui est gardienne des liberts individuelles 34. Les autres mesures de sret pouvant tre prononces rappellent celles susceptibles dtre prescrites dans le cadre dun sursis avec mise lpreuve ou le suivi sociojudiciaire : interdiction dentrer en contact avec la victime ou certaines personnes dsignes ou certaines catgories de personnes, notamment les mineurs, de frquenter certains endroits, dtenir ou porter une arme, exercer certaines activits professionnelles ou bnvoles, suspension ou annulation du permis de conduire. Leur dure doit tre fixe par la juridiction et ne peut excder 20 ans en matire criminelle et 10 ans en matire correctionnelle. La personne soumise ces mesures peut demander leur leve ou leur modification au juge des liberts et de la dtention. Si la personne mconnat ses obligations, larticle 706-139 prvoit un nouveau dlit passible de deux ans demprisonnement. Cependant, il semble difficile de lappliquer une personne dont le discernement a t aboli. Toutes ces nouvelles dispositions, constituant des rgles de procdure et des mesures de sret, devraient tre immdiatement applicables, en vertu des rgles dapplication de la loi pnale dans le temps. Une jurisprudence traditionnelle35 constante36 manant de la Cour de cassation37 estime que les34

H. MATSOPOULOU, Le dveloppement des mesures de sret justifies par la dangerosit et linutile dispositif applicable aux malades mentaux , Dr. pn. 2008, tude n5. 35 Crim. 11 juin 1953, JCP 1953, II, 7708.

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mesures de sret fondes sur la dangerosit et obissant une logique prventive chappe au principe de non-rtroactivit de la loi pnale de fond plus svre et peuvent sappliquer des faits commis antrieurement leur entre en vigueur. La loi du 25 fvrier 2008 a clairement qualifi les mesures des articles 706-135 et 706-136 C.P.P. de mesures de sret, approuve par la majorit de la doctrine (une opinion dissidente38). Par un arrt du 21 janvier 200939, la Cour de cassation sloigne de sa position traditionnelle et interdit lapplication immdiate de ces mesures, mais aussi de la procdure permettant de les prononcer. Cette dcision est mettre en parallle avec la dcision du Conseil constitutionnel du 21 fvrier 2008 40 qui, tout en la qualifiant la rtention de sret de mesure de sret, ne lui applique pas le rgime juridique de la catgorie laquelle elle appartient et en interdit lapplication immdiate41. Cependant, plusieurs observations importantes simposent. Dune part, la Cour de cassation place le dbat sur le terrain de la lgalit pnale et nullement sur celui de la non-rtroactivit de la loi pnale de fond. Ce fondement juridique lui permet de contourner la question de lapplication rtroactive des mesures de sret et ne pas procder un revirement en la matire. Dautre part, la Cour de cassation qualifie les nouvelles mesures introduites par la loi du 25 fvrier 2008 de peines 42. Un nouveau dcoupage des sanctions se dessine en droit pnal : les peines dguises en mesures de sret ou caractre punitif, les mesures de sret et les peines. Enfin, la loi du 25 fvrier 2008 est considre par les juges rpressifs comme une loi indivisible. La cour de cassation refuse de faire une application distributive des mesures de forme et de fond, mthode classique dapplication de la loi dans le temps lorsque la loi est divisible permettant dappliquer chaque disposition le rgime juridique qui lui est propre. Dans larrt du 21 janvier 2009, les juges font une apprciation globale et interdisent lapplication immdiate de la nouvelle procdure mise en place pour le prononc des mesures. Surtout, la cour de cassation vise exclusivement les mesures de larticle 706-136. Le fait de ne pas viser larticle 706-135, qui prvoit lhospitalisation judiciaire doffice, permettrait de laisser la porte ouverte lapplication immdiate de cette mesure, mais cette position doit tre confirme par les juges.36 37

Crim. 22 juin 2004, D. 2005, p. 1522 Crim. 30 janvier 2008, AJ pnal 2008, p. 242, obs. M. HERZOG-EVANS 38 H. MATSOPOULOU, Le dveloppement des mesures de sret justifies par la dangerosit et linutile dispositif applicable aux malades mentaux , Dr. pn. 2008, tude n5. 39 Crim. 21 janvier 2009, AJ Pnal , p. 178, obs. J. LASSERRE CAPEDEVILLE ; Dr. pn. 2009, tude 9 : le principe de la lgalit des dlits et des peines fait obstacle lapplication immdiate dune procdure qui a pour effet de faire encourir une personne des peines prvues larticle 706-136 du CPP que son tat mental ne lui faisait pas encourir sous lempire de la loi ancienne applicable au moment o les faits ont t commis . 40 Cons. Const. 21 fvrier 2008, n 2008-562 DC, JO 22 fvrier 2008 : le Conseil constitutionnel a mis une rserve dinterprtation en indiquant que la dclaration dirresponsabilit ne devrait pas tre inscrite au casier lorsque aucune mesure de sret nest prononce car elle ne semble pas lgalement ncessaire et elle porte une atteinte excessive la protection de la vie prive. 41 GHICA-LEMARCHAND C., La rtention de sret , Revue du Droit public, 2008, p. 1381. 42 DELAGE P.-J., Vrit et ambigut autour de limputabilit morale. A propos de larrt de la Chambre criminelle du 21 janvier 2009 , RSC 2009, p. 69.

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Si le trouble mental produit essentiellement des effets sur limputabilit, composante de la responsabilit pnale du dlinquant, son existence peut se rvler du ct de la victime. Il suscite une protection pnale due toute victime dune infraction, accrue par la vulnrabilit intrinsque de cette victime. B. LA PROTECTION DE LA VICTIME ATTEINTE DUN TROUBLE MENTAL Le Code pnal ne retient pas la terminologie du trouble mental afin de tenir compte dun tat mental dficient de la victime, mais utilise la dficience psychique de la personne. Sa prise en compte est double : le trouble mental peut constituer un lment constitutif dune incrimination spcifique ou permettre laccroissement de la svrit de la rpression, en tant que circonstance aggravante. 1. DES INCRIMINATIONS SPECIFIQUES Le trouble mental conduisant une alination des facults intellectuelles de la personne est utilis par le lgislateur comme lment constitutif dincrimination dans plusieurs textes. Labus frauduleux de ltat dignorance et de faiblesse43 a t cr par la loi du 12 juin 2001 de lutte contre les sectes pour protger lintgrit physique et morale de la personne. Larticle 223-15-2 C.P. offre une protection pnale spcifique trois catgories de personnes : les mineurs, les personnes dune particulire vulnrabilit, les personnes en tat de sujtion physique ou psychique. Si le critre de la minorit reoit une dfinition lgale objective, les deux autres catgories sont dtermines par rapport des critres dfinis par la loi, mais soumis lapprciation du juge, et prsentant une inspiration psychologique. Dune part, les personnes dune particulire vulnrabilit sont dtermines par des critres numrs par une liste limitative : due lge, une maladie, une infirmit, une dficience physique ou psychique, ou un tat de grossesse . Si linfirmit ou la dficience physique reposent sur des lments objectifs, la prise en compte de la dficience psychique savre plus difficile. Le lgislateur sest content de viser la dficience sans exiger un degr de gravit minimale. Cela permet au juge de tenir compte du trouble mental total ou partiel dans le cadre de la particulire vulnrabilit. Dautre part, les personnes en tat de sujtion psychologique ou physique ne sont pas clairement dfinies par la loi. La sujtion doit rsulter de certains procds afin daboutir la qualification pnale lexercice de pressions grave ou ritres ou de techniques propres altrer leur jugement et doit aboutir laltration du discernement, au mme titre que la dficience psychique. Ce rattachement commun permet leur assimilation dans le cadre de lincrimination, mais interdit

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GHICA-LEMARCHAND C., Droit pnal spcial , Vuibert, DynaSup., 2007, n 399.

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une interprtation extensive. Le lgislateur entend rserver cette qualification aux faits les plus graves et aux hypothses les plus douloureuses. La simple existence de cet tat ne prsume pas de lapplication de lincrimination. Labus frauduleux de ltat dignorance ou de faiblesse est ncessairement une infraction intentionnelle, mme en labsence de dfinition lgale dans le texte de lincrimination. Cette intention frauduleuse se teinte dune dimension particulire car le texte dincrimination prcise que ltat de particulire vulnrabilit doit tre apparent ou connu de lauteur des faits . Si certaines dficiences psychiques sont visibles et, par voie de consquence, faciles prouver, tel nest pas toujours le cas pour les dficiences psychologiques. En labsence de la preuve de sa connaissance, lincrimination ne peut tre retenue. Si le trouble mental ne constitue pas le mobile de linfraction, il explique le choix de la victime. Larticle 226-14 C.P. cr une drogation lobligation au secret professionnel garantie pnalement et autorise la rvlation du secret lorsque la personne informe les autorits judiciaires, mdicales ou administratives de privations, svices, atteintes ou mutilations sexuelles infliges un mineur ou une personne qui nest pas en mesure de se protger en raison de son ge ou de son incapacit physique ou psychique. La loi du 5 mars 2007, relative la prvention de la dlinquance, modifie cette disposition lgard du mdecin. Si ce dernier ne pouvait rvler au procureur de la Rpublique, sans laccord de lintress, que les infractions commises sur un mineur, la nouvelle loi lautorise procder de manire identique lgard de la personne qui nest pas en mesure de se protger en raison dune incapacit psychique. Larticle 434-4 CP cr un dlit imputable aux personnes nayant pas inform les autorits des privations, mauvais traitements ou atteintes sexuelles infliges un mineur de quinze ans ou une personne qui nest pas en mesure de se protger en raison de son ge, dune maladie, dune infirmit, dune dficience physique ou psychique ou dun tat de grossesse. Les deux incriminations reposent sur lexistence dun trouble mental, mais une gradation peut tre observe. Larticle 226-14 retient une dfinition gnrale et plus large de la personne qui nest pas en mesure de se protger et qui peut constituer un cas de drogation au secret professionnel. En revanche, lobligation de rvlation prvue par larticle 434-4 est sanctionne pnalement et ne sapplique quaux personnes souffrant dune dficience psychique, au sens strict. 2. LAGGRAVATION DE LA REPRESSION Le trouble mental affectant la victime permet de lui accorder une protection accrue et se traduit par une aggravation de la sanction normale afin de donner une mesure plus juste de la peine, prenant en compte la gravit de lacte et ses circonstances de commission et tenant la personnalit de lauteur de linfraction et de la victime. La circonstance aggravante englobe la dficience psychique dans le cadre de la particulire vulnrabilit de la victime. Le contenu

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de la particulire vulnrabilit est strictement dfini par le lgislateur, elle est due son ge, une maladie, son infirmit, une dficience physique ou psychique ou un tat de grossesse . Cette circonstance aggravante a connu un franc succs avec le nouveau Code pnal, car elle sapplique un nombre accru dinfractions, alors que ses critres ont t renouvels. Elle a vocation sappliquer de nombreuses infractions. Elle est prsente aux articles 221-4 3 (le meurtre), 221-5 3 (lempoisonnement), 222-3 2 et 222-4 (la torture accompagne ou non dactes de barbarie), 222-82 (les violences ayant entran la mort), 222-10 2 (les violences ayant entran des mutilations), 222-12 2 (les violences ayant entran une incapacit de travail suprieure huit jours), 222-15 (ladministration des substances nuisibles), 222-24 3 (le viol), 222-29 3 (lagression sexuelle), 225-7 2 (le proxntisme), 225-16-2 (le bizutage), 311-4 5 (le vol facilit par cet tat), 321-2 2 (lextorsion), 313-2 4 (lescroquerie), 322-3 (les destructions dgradations, dtriorations sans danger pour les personnes facilites par cet tat). Les infractions contre les biens sont concernes par cette circonstance aggravante, alors quelle vise la personne de la victime et son domaine naturel appartient aux infractions contre les personnes. Cependant, une distinction de fond spare les deux catgories. Dans les infractions contre les biens, la vulnrabilit due au trouble mental doit avoir facilit la commission de linfraction, alors que dans le cadre des infractions contre les personnes, il suffit que la vulnrabilit soit constate pour quelle aboutisse laggravation de la rpression. La procdure pnale senrichit de rgles fonctionnelles afin dassurer la protection effective de la victime atteinte dun trouble psychique. Cette dernire est ncessairement assiste et reprsente dans le cadre de la procdure (exigence pose par la Cour europenne des droits de lhomme). Une des difficults majeures lgard des infractions perptres sur des personnes atteintes de troubles mentaux est den avoir connaissance afin de pouvoir engager des poursuites. La prescription peut se rvler un obstacle la rpression. Lorsque la partie poursuivante a t place dans limpossibilit, du fait dun obstacle constitutif de force majeure ou de circonstance insurmontable , dexercer son droit daction publique, le droit de prescription doit tre suspendu pendant tout le temps o cette partie sest ainsi trouve dans limpossibilit dagir44. Le juge applique la procdure pnale la maxime civiliste contra non valentem agere non currit praescriptio . Le trouble mental peut constituer ainsi un obstacle de fait empchant lcoulement du dlai de prescription et permettant lexercice effectif des droits procduraux dans le cadre du procs quitable. CLAUDIA GHICA-LEMARCHAND Matre de confrences Universit Paris-Est, Paris XII44

GUINCHARD S. et BUISSON J., Procdure pnale , Litec 2008, n 1266.

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