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Althusser et Mao Étienne Balibar Une lecture créatrice et imaginative d’Althusser est possible et nécessaire. Dans cette préface à un recu langue chinoise des Œuvres d’Althusser, Étienne Bali propose une introduction à la vie et à la recherche philosophe marxiste, en mettant l’accent sur la port ses textes pour des lecteurs chinois. Audelà des ra politi!ues de l’engagement philosophi!ue d’Althusser, l’in"uence singuli#re !u’a eu sur lui $ao %edong, en !ue philosophe et dirigeant révolutionnaire, est mis lumi#re par Balibar. Des textes sur la contradiction &évolution culturelle, l’image pro'etée de la )ccident a mar!ué la tra'ectoire philosophi!ue althussérienne, aussi estil particuli#rement d’* revenir pour engager des relectures fécondes de itinéraire marxiste. Louis Althusser + (1918-1990) est l’une des grandes figures marxisme « critique » du e si!cle euro"#en$ dont l’%u&re a connu "endant quelques ann#es un retentissement mondia a&ant de som'rer dans un ou'li relatif elui-ci$ tout *tre en train de laisser "lace + un nou&el int#r*t$ en "u'lication "osthume de nom'reux in#dits du "hiloso"he modifient et #largissent tr!s sensi'lement notre "erce "ens#e$ en "artie d, au fait que$ la con oncture mond nou&eau chang# "ar ra""ort + ce qu’elle #tait au momen mort$ qui co/ncidait a&ec la fin de la « guerre froide des questions qu’il a "os#es ou des notions qu’il a "r "araissent + nou&eau utiles "our r#fl#chir sur notre " m*me si c’est$ n#cessairement$ dans un sens diff#rent qu’elles re&*taient autrefois

Althusser Et Mao

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Althusser

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Althusser et Maotienne Balibar

Une lecture cratrice et imaginative dAlthusser est possible et ncessaire. Dans cette prface un recueil en langue chinoise desuvresdAlthusser, tienne Balibar propose une introduction la vie et la recherche du philosophe marxiste, en mettant laccent sur la porte de ses textes pour des lecteurs chinois. Au-del des raisons politiques de lengagement philosophique dAlthusser, linfluence singulire qua eu sur lui Mao Zedong, en tant que philosophe et dirigeant rvolutionnaire, est mis en lumire par Balibar. Des textes sur la contradiction la Rvolution culturelle, limage projete de la Chine en Occident a marqu la trajectoire philosophique althussrienne, aussi est-il particulirement ncessaire dy revenir pour engager des relectures fcondes de cet itinraire marxiste.Louis Althusser1(1918-1990) est lune des grandes figures du marxisme critique du XXesicle europen, dont luvre a connu pendant quelques annes un retentissement mondial, avant de sombrer dans un oubli relatif. Celui-ci, toutefois, semble tre en train de laisser place un nouvel intrt, en partie d la publication posthume de nombreux indits du philosophe, qui modifient et largissent trs sensiblement notre perception de sa pense, en partie d au fait que, la conjoncture mondiale ayant nouveau chang par rapport ce quelle tait au moment de sa mort, qui concidait avec la fin de la guerre froide, certaines des questions quil a poses ou des notions quil a proposes paraissent nouveau utiles pour rflchir sur notre prsent, mme si cest, ncessairement, dans un sens diffrent de celui quelles revtaient autrefois.N en 1918 Alger dans une famille de la petite bourgeoisie (non pas proprement parler une famille de colons, mais une famille de fonctionnaires et demploys travaillant en Algrie), Althusser reut une ducation scolaire trs classique, double dune ducation religieuse trs intense. Il semble que dans son adolescence, il ait t un catholique trs fervent, avec des tendances mystiques et une orientation politique plutt conservatrice. Reu en 1939 au concours dentre lcole normale suprieure de Paris (ENS), il se prparait des tudes de philosophie lorsque survint la Secondeguerre mondiale. Sa vie allait en tre bouleverse. Mobilis, puis fait prisonnier par larme allemande avec des millions dautres soldats franais en droute, il fut envoy dans un camp de prisonniers (stalag) o il passa cinq annes. Ses conditions denfermement relativement favorables (comme infirmier du camp) lui permirent toutefois de lire, travailler, et nouer de nombreuses relations, dont celles de jeunes militants communistes. la libration, il reprit ses tudes lENS, passa rapidement lagrgation, puis fut lui-mme nomm enseignant charg de la prparation des lves lagrgation, un poste quil occupa jusqu la fin de sa vie active et qui fit de lui le conseiller de plusieurs gnrations de philosophes franais, dont certains (Foucault, Derrida, Serres, Bourdieu, Badiou, Bouveresse, Rancire) devinrent ensuite clbres. Pendant une brve priode, Althusser continua dappartenir des groupes catholiques militants (mais cette fois orients gauche, notamment ceux qui appuyaient lexprience des prtres ouvriers, qui furent bientt condamns et excommunis par lEglise catholique)2.Il crivit pour eux plusieurs essais. En 1948 il adhra au Parti communiste franais, alors dirig par Maurice Thorez. Aurol de son rle dans la rsistance loccupation allemande et appuy sur le prestige de lURSS (qui contrlait sa politique et ses dirigeants par lintermdiaire du Kominform, ayant succd au Komintern en 1943), le PCF tait alors le parti politique le plus puissant de France, rivalisant avec le Gaullisme. Les esprances rvolutionnaires y taient trs fortes, mme si le Parti, dans le cadre du compromis de Yalta, avait en fait renonc essayer de conqurir le pouvoir. la mme poque, Althusser fit la connaissance dHlne Rytman-Legotien, qui devint sa compagne (et plus tard sa femme). Plus ge que lui dune dizaine dannes, elle avait t membre du PCF ds avant la guerre et dun rseau de rsistance communiste, mais elle avait t exclue du parti sous laccusation de dviation trotskyste dans des conditions qui nont toujours pas t entirement lucides. Elle exera une grande influence sur la formation des ides politiques dAlthusser et surtout sur sa reprsentation de lhistoire du mouvement communiste.Pendant la priode de la guerre froide, o les intellectuels communistes faisaient lobjet, sinon de rpression, du moins de suspicion, et contribuaient eux-mmes leur isolement par une attitude intellectuelle extrmement sectaire (sous-tendue par la doctrine philosophique des deux sciences, nonce en 1947 par Jdanov, et qui stendait aussi au domaine de la philosophie, de la littrature et de lart), Althusser ne publia que quelques articles, essentiellement dans des revues de pdagogie o il prsenta les thses du matrialisme historique et du matrialisme dialectique, ainsi quune discussion des courants dominants de la philosophie de lhistoire. Il se tint donc lcart du marxisme militant3.Son travail personnel en dehors de lenseignement de la philosophie classique porta sur la philosophie politique et les matrialistes de la priode des Lumires, ainsi que sur Pascal et Spinoza, figures antithtiques de lantihumanisme lge classique, qui restrent pour lui de bout en bout des sources dinspiration. Dans la suite de son Diplme dEtudes Suprieures, consacr Lide de contenu dans la philosophie de Hegel, il continua galement approfondir sa connaissance de Hegel et des uvres philosophiques de Marx, en particulier les uvres de jeunesse, alors rcemment publies. Il ny a pas de raison de douter que ses conceptions politiques aient t alors conformes la ligne dominante des partis communistes, en particulier au moment des crises du camp socialiste (comme la rvolution hongroise de 1956) et des guerres coloniales (dont la guerre dAlgrie, o le PCF apporta un soutien limit linsurrection)4.La priode suivante revtit un caractre tout fait diffrent. Avec la rvlation des crimes de Staline au 20eCongrs du PCUS en 1956, suivi par le lancement de la dstalinisation au 22econgrs de 1960, lensemble du monde communiste (de part et dautre du rideau de fer) tait entr dans une poque de turbulences dont il ne devait plus sortir. Cependant la pense de Marx tait en train dacqurir un norme prestige en particulier dans la jeunesse tudiante, exalte par lexemple des guerres anti-imprialistes (en particulier lAlgrie et le Vietnam), par le succs de la rvolution cubaine, et sensible la crise montante des structures sociales autoritaires. Jean-Paul Sartre, le plus clbre philosophe franais de lpoque, avait dclar en 1960, dans saCritique de la raison dialectique, que le marxisme tait lhorizon philosophique indpassable de notre temps), et la question de la nature de la thorie marxiste devint une question nvralgique aussi bien pour les organisations communistes et beaucoup de leurs militants que pour de trs nombreux intellectuels, en particulier des philosophes et des spcialistes des sciences humaines, des artistes, des crivains. Les interventions dAlthusser, relatives linterprtation de la pense de Marx et au problme de lhumanismesocialiste, eurent un retentissement inattendu, dabord en France, ensuite ltranger. Aprs la publication en 1965 dePour Marx(recueil de ses articles de 1961 1965) et deLire le Capital(crit en collaboration avec ses lves Roger Establet, Pierre Macherey, Jacques Rancire et moi-mme), Althusser devint un philosophe clbre et suscita de nombreux dbats et polmiques lintrieur et en dehors de cercles communistes et marxistes, en France et ltranger. Il apparut comme lun des protagonistes de ce quil appela lui-mme plus tard la querelle de lhumanisme, qui agita toute la philosophie franaise. Lantihumanismethorique dfendu par Althusser contre les humanismes chrtiens, existentialistes, marxistes, constituait videmment une faon indirecte de rcuser la tendance dominante dans la dstalinisation khrouchtchvienne, non seulement sur le plan philosophique mais sur le plan politique. Il sattaquait la combinaison dconomismeet dhumanisme, caractristique ses yeux de lidologie bourgeoise dominante, au nom de laquelle certains prsageaient la convergence des deux systmes sociaux, le capitalisme et le socialisme. Mais il le faisait au nom dune conception de la philosophie et avec des instruments thoriques qui navaient rien voir avec ceux du matrialisme dialectique, thoris par Staline aprs la mort de Lnine et officialis dans tout le monde communiste. Rpudiant lhritage hglien au sein du marxisme en dpit de certaines vidences des textes, la conception de la philosophie propose par Althusser se rclamait de lintellectualisme et du matrialisme de Spinoza, en qui elle voyait le vritable fondateur dune thorie delidologiecomme structure de limaginaire social, qui construit la subjectivit individuelle une thorie la fois annonce et manque par Marx. Elle contribua de ce fait mme puissamment la renaissance des tudes spinozistes et de linfluence du spinozisme qui marqua toute cette poque. Elle empruntait galement lpistmologie historique de Cavaills (1903-1944), Bachelard (1884-1962) et Canguilhem (1904-1995) lide dune discontinuit (ou coupure) entre la connaissance commune et la connaissance scientifique, qui permet de penser la dialectiquedu savoir comme un progrs sans finalit, se droulant dans llment duconceptet non pas sous la primaut de laconscience(dont le critre tait dominant dans les thorisations de la vrit venues de Descartes, de Kant et de la phnomnologie). Enfin cette philosophie recherchait une alliance entre la pense de Marx et celle de Freud, fondateur de la psychanalyse encore ignor et mme rejet par le marxisme officiel, tel que lavait de son ct restaur Jacques Lacan (1901-1981). Il sagissait l pour Althusser la fois de montrer la relation de constitution rciproque entre lidologie et linconscient, et de construire une nouvelle conception de la temporalit et de la causalit, donc de la pratique.Par toutes ces innovations, le discours philosophique dAlthusser dbordait trs largement le cercle des dbats entre marxistes, ou plutt il faisait de ceux-ci un aspect dune entreprise philosophique plus gnrale laquelle, en dpit de lincertitude de ce terme, on donna bientt le nom destructuralisme. Althusser fut donc le point de rencontre, et de fcondation mutuelle, entre le structuralisme et le marxisme. Aux yeux de ses disciples, il fit esprer leur fusion. Comme tous les structuralistes, il dveloppa une thorie dusujetqui en fait, non pas une origine idale de la connaissance et de la volont, mais un effet des multiples pratiques sociales, des institutions, du langage et des formations de limaginaire, une action de la structure5. la diffrence des autres structuralistes, il chercha dfinir une notion de la structurequi ne repose pas sur lidentification dinvariantsformels (comme en mathmatiques, en linguistique ou mme en anthropologie) mais sur la combinaison surdtermine de multiplesrapports sociaux, dont la figure concrte se modifie dans chaqueconjoncturehistorique. Il entendait ainsi faire servir la notion de structure, non seulement lanalyse des phnomnes dereproductionsociale, mais surtout celle des phases dervolution(dont les rvolutions socialistes contemporaines taient ses yeux le modle). Lhistoire pourrait ainsi tre pense la fois comme procs (sans sujet) et comme vnement (sans finalit).Je continue de penser que cette construction philosophique, ou plutt le programme de recherches quelle mettait en place, constituent une grande entreprise, dont toutes les possibilits nont pas t puises. Elle laisse aussi derrire elle de belles problmatiques inacheves, comme celle de la lecture symptomale des uvres thoriques et artistiques (qui a certainement influenc la dconstruction de Derrida) et celle de la temporalit diffrentielle de lhistoire (souvent proche de la pense de Walter Benjamin, quAlthusser ignorait totalement) toutes deux contenues dans les contributions dAlthusser Lire le Capital. Cependant, dans la priode suivante ds avant les vnements de Mai 68, auxquels Althusser ne participa pas, mais qui eurent sur lui un effet traumatique Althusser fit subir sa philosophie de profonds remaniements. Il entra dans une priode dautocritique, puis dereconstructionde sa pense sur des bases nouvelles, mais qui ne se fixrent jamais de faon stable. Sans oublier Spinoza, mais rpudiant le structuralisme et la coupure pistmologique, il chercha donner la philosophie et par voie de consquence la thorie de lhistoire un caractre beaucoup plus directement politique. Comme il avait t accus la fois par les porte-paroles officiels du PCF et par certains de ses jeunes disciples, devenus les animateurs des organisations maostes daprs mai, davoir sous-estim limportance de la lutte de classe et des positions de classe en philosophie, il entreprit de revaloriser celle-ci, bien que selon ses propres termes. Il ne faut pas oublier ici que cette tentative prend place dans un contexte marqu, en Europe, par dimportantes luttes et mouvements sociaux, mais aussi par leur dchirement entre des tendances gauchistes, ultra-rvolutionnaristes, et des tendances rformistes qui aboutirent dans les annes 1970 la constitution de ce quon a appel leurocommunisme, lequel choua finalement transformer le jeu politique en France, en Italie ou en Espagne, avant dtre recouvert par la vague nolibrale. Dans le nouveau dispositif quil essaye dinventer pour sa pense, Althusser semble alors se replier sur des problmes plus classiquement marxistes (cependant que de leur ct les philosophies poststructuralistes sloignaient de plus en plus du marxisme: mais il faudrait apporter des nuances ce diagnostic). Certains de ses problmes ont pourtant une rsonance trs large, quon peroit mieux aujourdhui. Il en va ainsi notamment de sa thorie de linterpellation idologique et de la constitution des appareils idologiques dtat, extraite en 1971 dun manuscrit rest alors indit sur lareproduction des rapports sociaux6.Cette thorie constitue une contribution majeure lanalyse des processus dassujettissementet desubjectivation, dont on voit aujourdhui (aprs la mise jour de leurs propres indits) quelle a reprsent une incitation et un grand dfi pour des contemporains comme Bourdieu et Foucault (aux prises avec leurs propres questions du capital symbolique et du rapport de pouvoir). Elle inspire aujourdhui en particulier des thoriciens du droit ou des fministes qui insistent sur la performativit des discours (en particulier Judith Butler)7.La publication posthume du livre dAlthusser sur Machiavel,Machiavel et nous(crit entre 1972 et 1976), permet aussi de mieux comprendre comment ces rflexions sur la reproduction des formes de lassujettissement idologique sarticulent une rflexion sur laction politique collective, qui suppose toujours de djouer lidologie. Elles rsonnent avec sa nouvelle dfinition pragmatique de la philosophie, non pas comme une mthodologie de la connaissance ou comme une exploration dialectique du concept dhistoire, mais comme une lutte de classes dans la thorie, ou plus gnralement comme un exercicestratgiquede la pense, destin identifier les rapports de forces entre les discours, mme les plus abstraits, dont rsultent des effets de conservation (que Gramsci appelait des effets dhgmonie) ou de rsistance et de rbellion contre ltat de choses existant.Plutt quun systme, le travail philosophique dAlthusser dans cette priode (constamment interrompu et dvi par les controverses politiques et les contrecoups de ses pisodes maniaco-dpressifs) constitue un vaste chantier de questions ouvertes, dans lesquelles le problme du rapport entresubjectivit et action politiquesest en quelque sorte substitu au problme du rapport entrestructure sociale et conjoncture historique.Mieux, il est venu le compliquer et, dans une certaine mesure, le dconstruire. Moins encore que dans ltape prcdente, il ny a de construction systmatique complte ou de thses conclusives quon pourrait identifier comme les principes de la philosophie dAlthusser. Mais il y a une pratique thorique, un effort de pense, tantt hardi, tantt plus dfensif, qui tmoigne des capacits de mtamorphoses dune pense dinspiration marxiste, et de la pertinence du croisement entre la politique et la philosophie pour interroger lactualit, cest--dire (comme dira Foucault) lontologie de ce que nous sommes, dans le prsent et dans le changement du prsent. Cet effort, on le sait, fut interrompu par une succession dvnements tragiques qui ne sont peut-tre pas sans lien entre eux: dabord, sur le plan collectif, louverture de la crise gnralise du socialisme rel et de la pense marxiste (dont Althusser lui-mme fit le diagnostic dans une clbre intervention au colloque de novembre 1977 Venise, sur Pouvoir et opposition dans les socits postrvolutionnaires, organis par les communistes dissidents du groupe italienIl Manifesto)8; ensuite, sur le plan personnel, le meurtre de sa femme Hlne, commis par Althusser en novembre 1980 au cours dun pisode dpressif et dlirant (qui conduisit son internement dans un tablissement psychiatrique, dont il ne sortit que pendant quelques annes au milieu des annes 1980).De la priode suivante datent, prcisment, plusieurs documents importants, encore plus fragmentaires que les prcdents (en dpit de la longueur de certains dentre eux). Dabord un texte autobiographique:Lavenir dure longtemps(rdig en 1984), qui ouvre prcisment cette collection duvres dAlthusser publie en chinois, et qui contient de prcieuses rvlations sur sa vie et sur les transformations de sa pense. Comme toujours dans le cas dcrits autobiographiques qui ont aussi une dimension apologtique, surdtermine dans le cas dAlthusser par ses tendances autocritiques ou mme autodestructrices, il convient de ne pas prendre pour assures toutes les rvlations ou confessions quil contient. On manque encore dune biographie complte dAlthusser (celle quavait commence Yann Moulier-Boutang tant reste pour linstant inacheve)9.On retiendra surtout de cette priode les crits fragmentaires consacrs lide du matrialismealatoireune expression forge par Althusser pour sopposer au matrialisme dialectique et pour nommer le fil invisible qui relierait entre eux les philosophes atomistes de lAntiquit grco-latine (Dmocrite, Epicure, Lucrce) des penseurs classiques aussi htrognes que Machiavel (en raison de sa thorie de la vertu et de la fortune gouvernant les vnements politiques), Spinoza (en raison de son opposition absolue lide dune finalit dans la nature et dans lhistoire), Rousseau (en raison de sa prsentation des commencements de la civilisation humaine comme une succession daccidents dans leDiscours sur lOrigine de lingalit), Marx tel que linterprte Althusser en le dcantant de son hglianisme, et mme certains aspects de la philosophie contemporaine (par exemple Derrida en raison de sa critique de lide dorigine et de sa thorie de la dissmination des traces). vrai dire les thmes du matrialisme alatoire ne sont pas absolument nouveaux dans la pense dAlthusser, ils ne font que radicaliser et reformuler dans un nouveau code philosophique des positions prsentes ds le dbut, en particulier travers linsistance dAlthusser sur le primat de la conjoncture dans la conceptualisation de lhistoire, comme lont bien montr certains commentateurs rcents10.Ils coexistent avec une reprsentation du communisme non pas comme un stade venir dans lvolution de lhumanit, mais comme un mode de vie ou un ensemble de pratiques quiexiste dj,dans les interstices de la socit bourgeoise, chappant la domination des formes marchandes mtaphore venue lointainement dEpicure travers certaines formules de Marx sur le dveloppement des changes marchands dans les pores ou les marges des communauts traditionnelles. Dans leur inachvement et leur caractre fragmentaire, ils sont bien accords lesprit dune poque la ntre qui se caractrise la fois par une trs grande incertitude quant la prennit des rapports de pouvoir et de domination de toute sorte, et par une multiplication de changements culturels et sociaux dont la combinaison en une seule forme culturelle (et a fortiori politique) est tout fait imprvisible. Dans ce contexte, les essais fragmentaires du dernier Althusser ont une immense valeur dbranlement des valeurs tablies (dautant quils ne perdent jamais de vue la question de la domination de certains tres humains par dautres et de leurs espoirs dmancipation). Mais il ne faut videmment pas en attendre des explications compltes et actuelles du monde dans lequel nous vivons.Il est trs important, et trs heureux, quune dition des uvres dAlthusser soit aujourdhui prsente au public chinois, au-del du peu qui existait jusqu prsent11.Bien sr, elle fait partie dun processus plus gnral, qui met la disposition des intellectuels, des universitaires, des tudiants et mme du grand public de ce pays, tout lensemble de la production intellectuelle de lOccident capitaliste dont il avait t priv pendant des dcennies, et va ainsi lui permettre de jouer un grand rle dans les changes intellectuels du monde mondialis, comme cest dj le cas dans dautres domaines. Il serait souhaiter, videmment, que le public franais soit lui aussi mieux inform de ce quont t et sont aujourdhui les dbats philosophiques en Chine. Pour linstant, ce nest vrai que de quelques spcialistes, et labsence de traductions suffisantes constitue un obstacle presque insurmontable. terme cela devrait conduire aussi une rflexion conduite en commun sur les questions de traduction et la faon dont elles affectent luniversalit des catgories de pense et le partage des histoires12.Mais je pense aussi quil y a des raisons spciales pour lesquelles les lecteurs chinois peuvent sintresser la trajectoire intellectuelle et politique dAlthusser, car celle-ci a crois la Chine plus prcisment le communisme chinois construit autour de la pense de Mao Zedong diffrentes reprises, et en a t trs profondment influence. Dun autre ct, nous avons besoin nous-mme dun regard critique sur cette rencontre, car il est probable quelle tait trs dpendante de certaines mythologies rpandues en Occident, dont il nous faut rectifier les dformations et les excs. La raction de lecteurs chinois limage que nous leur renvoyons de leur histoire pourrait videmment nous y aider.La premire rencontre dAlthusser avec la pense de Mao sest produite en deux temps, autour du texte Sur la contradiction, gnralement prsent aujourdhui dans le cadre des Quatre Essais philosophiques censs avoir t rdigs par Mao Zedong partir de ses cours de matrialisme dialectique dispenss Yenan en 1937. Ce texte avait t traduit dans la revue officielle du PCF, lesCahiers du Communisme, en 1952. Nous savons aujourdhui quAlthusser avait t boulevers par la lecture de ce texte, qui avait fait sur lui leffet dune rvlation13.Dune part Mao, dirigeant de la rvolution chinoise victorieuse moins de trois ans auparavant, lui apparaissait comme un nouveau Lnine: en effet, pour la premire fois depuis 1917, le dirigeant dun parti communiste qui tait la fois un philosophe marxiste de premier plan (donc un philosophe tout court) et un stratge politique de gnie, conduisait les forces rvolutionnaires la victoire, et se montrait capable den rflchir conceptuellement les fondements. Il incarnait donc lunit de la thorie et de la pratique. Dautre part lexpos de Mao, entirement consacr la loi de lunit des contrairesinhrente aux choses , considre comme loi fondamentale de la dialectique matrialiste, ne comportait aucune allusion dautres lois (contrairement lexpos de Staline dansMatrialisme dialectiqueet matrialisme historiquede 1938, lui-mme inspir par les notes dEngels sur la dialectique de la nature), et il omettait compltement, en particulier, la loi de la ngation de la ngation qui est lhritage le plus vident de la logique hglienne dans le marxisme officiel. Enfin, dans sa prsentation des notions de contradiction principale et contradiction secondaire, aspect principal et aspect secondaire de la contradiction, contradictions antagoniques et non-antagoniques, et des possibilits de permutations entre ces diffrents termes, qui commandent leur utilisation politique, il ne se contentait pas dindications formelles, mais faisait abondamment rfrence aux particularits de la rvolution chinoise (en particulier les fluctuations de son rapport avec le nationalisme). Suivant le tmoignage de Lucien Sve, Althusser considra alors quon se trouvait en prsence dune innovation dcisive dans lhistoire de la philosophie marxiste, de nature renouveler compltement sa comprhension et son enseignement (en particulier dans les coles de parti) et mettre fin au dogmatisme et au formalisme qui les caractrisaient ses yeux. Mais, dans limmdiat, il nen fit aucun usage public14.Cet usage intervint dix ans plus tard, lorsque, somm de rpondre aux critiques souleves par son article Contradiction et surdtermination de dcembre 1962 (ultrieurement repris dansPour Marx,1965), il entreprit de proposer une refonte intgrale du problme de la dialectique matrialiste, dans larticle prcisment intitul Sur la dialectique matrialiste(De lingalit des origines) (paru dansLa Penseen aot 1963, puis galement rdit dansPour Marx). Je nentreprendrai pas ici de rsumer cet essai, quon lira dans le volume correspondant de la traduction chinoise, et qui est lun des plus clbres de son auteur, pierre dangle de ce que jai dcrit plus haut comme sa premire philosophie. Je voudrais seulement attirer lattention sur le fait quAlthusser fait ici de Mao le porteur, sinon linventeur, de deux ides qui, ses yeux, marquent la coupure avec lhritage hglien dans le marxisme: dune part lide de lacomplexitdes composantes dune totalit (essentiellement une totalit sociale, historique, comme la Russie de 1917, ou la Chine des annes 1930, ou la France des annes 1960), qui serait irrductible un principe simple, unique, ou encore lexpression dune essence; dautre part lide delingalitconstitutive de tout dveloppement ou processus, qui fait que laccentuation des contradictions ne conduit pas des dpassements (comme dans le schma hglien de la ngation de la ngation), mais des dplacements, des condensations et des ruptures. Il sagit l de laspect philosophique pur des dveloppements dAlthusser, mais il convient de sinterroger aussi sur leur dimension politique conjoncturelle. Le problme vient du fait que, en 1963, Mao Zedong tait un auteur mal connu dans le PCF et, de toute faon, considr comme insuffisamment orthodoxe (au mme titre que Gramsci dailleurs, mme si ctait pour des raisons opposes). Cette mauvaise rception tait surdtermine par le dveloppement dj bien avanc des dsaccords politiques entre le PC Chinois et le PC sovitique, qui marquait le dbut et contenait certains des prodromes de ce qui allait devenir la grande scission du communisme dtat au XXesicle. Dans ce conflit, le PC franais avait pris position, finalement, pour la position sovitique, donc pour Khrouchtchev contre Mao, mais ce ralliement navait pas t immdiat, loin de l. En 1956, au moment du 20eCongrs du PCUS, Thorez et Mao avaient t les seuls dirigeants communistes citer Staline (mort en 1953) dans leurs discours, et ils staient conjointement opposs la publication du rapport secret de Khrouchtchev dnonant les crimes de Staline, qui lanait la dstalinisation. Comment ne pas se demander alors quel effet devait produire sur les cadres et les dirigeants du PCF la conjonction, dans les textes dAlthusser, dune critique de lhumanisme, dune dnonciation de la catgorie de culte de la personnalit (prsente comme introuvable dans le marxisme), du refus demployer la notion de stalinisme ( laquelle il prfra toujours celle de dviation stalinienne), enfin de rfrences logieuses au gnie philosophique de Mao? Trs vraisemblablement comme une tentative de perptuer les vieilles rsistances la dstalinisation plutt que comme le fondement dune nouvelle critique de gauche du stalinisme, qui tait probablement plus conforme ses objectifs. quoi sajoute le fait que la dstalinisation dans le PCF (et dautres partis communistes) tait plus verbale que relle,et ne touchait en rien le mode de fonctionnement du parti (qualifi de centralisme dmocratique).Il nest videmment pas question de suggrer que les intentions dAlthusser, en commentant comme il le faisait le texte de Mao sur la contradiction, se ramnent des calculs tactiques, ou des tentatives de jouer sur les tensions internes de lappareil du parti. Je crois plutt quil voulait montrer, contre tout contrle et toute discipline impose, quun intellectuel communiste dont lengagement est irrprochable pouvait et devait prendre son bien thorique en toute libert, l o il le trouvait (dailleurs il citait galement Gramsci, bien que de faon plus critique, et en cherchant le dissocier de la faon dont il tait alors utilis pour justifier la ligne du PC Italien sous la direction de Togliatti, quon peut caractriser comme ultra-khrouchtchvienne, favorable une dstalinisation plus radicale). Mais je pense aussi quAlthusser ne pouvait pas tre assez naf pour ne pas savoir que, dans le monde communiste, les rfrences des autorits thoriques fonctionnent toujours comme des instruments de classification et didentification des intellectuels, auxquels on ne faisait pas confiance pour viter par eux-mmes les dviations. Et de toute faon ces rfrences devaient grandement faciliter, aprs coup, le rapprochement dAlthusser avec les positions prochinoises, tout en y engendrant de nouveaux malentendus15.Rapprochement et malentendus interviennent quelques annes plus tard, dans ce quon peut considrer comme laseconde rencontredAlthusser et du maosme. Mais elle se fait dans des conditions et avec des objectifs bien diffrents. Lorsque se cre, en dcembre 1966, lUJCML, organisation officiellement maoste issue dune scission de lUnion des Etudiants Communistes encourage par les autorits chinoises, beaucoup des dirigeants de ce groupe sont des lves ou des disciples dAlthusser, en particulier Robert Linhart avec qui il maintiendra toujours son amiti et rflchira plus tard de nombreux sujets, depuis les origines du retournement de lURSS en rgime totalitaire jusqu la pratique militante de lenqute ouvrire. Ces raisons personnelles ne sont pas les seules. On observe alors en Occident chez les intellectuels communistes les plus radicaux (ou les plus opposs aux stratgies dmocratiques parlementaires mises en uvre sans grand succs par les partis communistes occidentaux) un immense intrt pour la Rvolution Culturelle chinoise (officiellement lance en 1966), interprte ou plutt imagine par eux comme un mouvement de dmocratisation radicale, qui serait dirig contre le bureaucratisme du parti et de ltat chinois, lanc par de jeunes ouvriers et tudiants, et appuy par Mao Zedong contre les dirigeants embourgeoiss de son propre parti et les tendances capitalistes dans le socialisme. Do la sympathie dAlthusser pour le mouvement maoste ses dbuts (bien quil ft certainement oppos la scission), et le double jeu auquel pendant quelque temps il se livra entre la discipline du PCF, quil esprait toujours influencer, et la collaboration avec les jeunes maostes. En 1967 prcisment (dans le numro 14 des Cahiers Marxistes-Lninistes Organe thorique et politique de lUnion des Jeunesses Communistes Marxistes-Lninistes, dat de novembre-dcembre 1966) paraissait un article anonyme Sur la rvolution culturelle, qui tait en fait rdig par lui, comme on le sut immdiatement16.Dans cet article Althusser se rfre aux dclarations du PC Chinois expliquant et lgitimant la rvolution culturelle, mais il en donne une interprtation fonde sur sa propre reconstruction du matrialisme historique en termesdinstancesou deniveauxde la formation sociale, telle que lavaient inaugurePour MarxetLire le Capital.La rvolution culturelle en tant que rvolution idologique de masse viendrait rvolutionner la superstructure idologique, de mme que la prise du pouvoir sattaque la superstructure politique et la transformation des rapports de production linfrastructure conomique. Et cette rvolution dans la superstructure idologique serait, long terme, la condition mme du succs des deux autres, donc un moment dcisif de la lutte des classes, qui se droule justement dans lidologie (faite dattitudesou demursautant et plus que dides une ide quon retrouvera plus tard dans sa dfinition des appareils idologiques dtat)17.Le double jeu ainsi pratiqu par Althusser lui cota extrmement cher sur le plan politique aussi bien que sur le plan affectif, car il lui valut dtre immdiatement dnonc, avec une grande violence, par les porte-paroles des deux camps. On peut donc se demander ce qui conduisit Althusser prendre ce risque. En plus des raisons personnelles que jai dj voques, et compte tenu du fait que sur la base dinformations errones relevant en ralit de la propagande le vritable dtail des vnements se droulant en Chine lui tait inconnu, ce qui le conduisait voir les lments de la critique de gauche du stalinisme l o elle nexistait sans doute pas, ou ntait pas laspect principal, je crois quil y avait une raison plus gnrale, ancre dans le convictions communistes les plus profondes dAlthusser. La scissiondu mouvement communiste international lui apparaissait comme un phnomne dramatique, affaiblissant non seulement le camp socialiste mais lensemble des forces anticapitalistes et anti-imprialistes. Mais il pensait, ou esprait, quelle serait provisoire, en raison de laffrontement commun avec limprialisme. Il nimaginait visiblement pas que ce fussent limprialisme et le capitalisme qui puissent, au contraire, jouer sur les antagonismes idologiques et gopolitiques entre pays socialistes pour les assujettir sa stratgie et prparer leur changement de camp. Et je prsume quil pensait aussi que, le jour o la runification se ferait, des philosophes marxistes devraient se trouver l pour accompagner cette relance rvolutionnaire dune refonte de la thorie marxiste, agissant en quelque sorte comme des mdiateurs vanouissants (ou disparaissant dans leur propre intervention, comme il lcrirait dansLnine et la philosophieen 1968). Cest pourquoi aussi bien entendu il ne sagit l que dune hypothse de ma part il voulait entretenir des amitis dans chaque camp, ou ne se couper de personne (objectif videmment irralisable, et destin se retourner contre lui).Je nentends pas suggrer que ces vicissitudes du rapport dAlthusser la pense Mao Zedong et aux mouvements maostes en Occident contiennent le secret des dplacements de sa pense philosophique et politique mme si elles contribuent en expliquer les tensions internes. Je veux encore moins suggrer quelles formeraient la raison principale pour laquelle des lecteurs chinois daujourdhui peuvent sintresser la pense dAlthusser et son histoire. Je tenais nanmoins les rsumer mes risques et prils pour une raison qui va au-del de lanecdote: dans le monde daujourdhui, la Chine qui continue se rclamer de Mao non seulement comme fondateur de son tat (alors que la Russie ne se rclame plus de Lnine), mais comme inspirateur de sa politique, occupe une position tout fait paradoxale. Officiellement dsigne comme socialiste et gouverne par un parti communiste, elle est devenue la puissance tendanciellement hgmonique du monde capitaliste, mme si cest sous des formes institutionnelles qui lui sont tout--fait propres, trs diffrentes du libralisme et mme du no-libralisme. Nous avons besoin, pour envisager notre avenir commun, de comprendre la fois son histoire relle et limage qui en a t perue ltranger (en particulier par des philosophes et des thoriciens de la rvolution et de la lutte des classes), pour faire la diffrence entre les deux et instituer de nouveaux concepts, mais aussi de nouvelles images. La communication au public chinois des uvres dAlthusser, accompagne dune connaissance aussi prcise que possible de leur contexte, fait partie (mme modestement) de cette comprhension.Il me reste remercier une fois de plus ceux qui mont demand de rdiger cette introduction, et souhaiter une bonne lecture, aussi critique et imaginative que possible, tous les lecteurs venir de la collection qui commence.Paris, le 22 mars 2015

1. [Le titre du texte est de la rdction dePriode] Cest pour moi un trs grand honneur de prfacer ldition chinoise dune collection trs tendue desuvresde Louis Althusser (1918-1990) dont jai t dabord llve lEcole Normale Suprieure de Paris (entre 1960 et 1965), puis le collaborateur (en particulier pour le livre collectifLire le Capital, issu dun sminaire tenu sous sa direction en 1964-1965). Je dois cet honneur lamicale insistance des responsables de cette dition chinoise, et particulirement de M. Wu Zhifeng, qui est venu me trouver Paris, o il sjournait en particulier pour consulter les Archives Althusser dtenues par lIMEC, et avec qui jai eu plusieurs conversations trs intressantes. Je veux les remercier tous de leur confiance et leur dire mon amiti. Ce signe damiti stend aussi, bien entendu, aux futurs lecteurs des ouvrages publis ici. Comme ces ouvrages proviennent dun continent loign, avec qui les communications ont longtemps t difficiles, et dont lhistoire moderne est trs diffrente de la leur (mme si nous sommes maintenant entrs ensemble dans la mondialisation), et remontent une poque qui (sauf pour les plus anciens dentre eux) appartient un pass historique, cest--dire oubli, ils auront peut-tre des difficults reconstituer toutes les intentions et les sous-entendus des textes quils vont lire. Je suis sr que les prsentations et les annotations des diteurs vont leur faciliter grandement la tche. De mon ct, je veux me limiter ici quelques considrations gnrales introductives sur la personne et luvre de Louis Althusser, suivies de quelques remarques sur les raisons qui rendent une traduction de ses uvres en chinois particulirement significative, et mme importante. []2. Il sagit du groupe Jeunesse de lEglise, dont les animateurs taient le Pre Maurice Montuclard O.P. et sa compagne Marie Aubertin. Louvrage de Thierry KeckJeunesse de lEglise 1936-1955. Aux sources de la crise progressiste en France, Prface dEtienne Fouilloux, Editions Karthala Paris XX04, donne dabondants dtails sur limportance du rle quy joua le jeune Althusser (dj indique dans la biographie de Yann Moulier Boutang) et des amitis durables quil y noua. [Note ajoute pour la parution franaise] []3. Jdanov est cit en exergue dans un texte de jeunesse dAlthusser, aux accents trs staliniens: Le retour Hegel. Dernier mot du rvisionnisme universitaire, dirig contre Jean Hyppolite (dont il deviendra plus tard lami et le collaborateur lENS, et dfendra souvent linterprtation de Hegel contre celle de Kojve) (texte publi en 1950 dansLa Nouvelle Critique,rdit inEcrits philosophiques et politiques, Tome I, Stock-IMEC, 1994, p. 243-260). [Note ajoute pour la parution franaise] []4. Trs rvlatrice est, de ce point de vue, lanalyse du gaullisme propose dans louvrage indit de 1978, Marx dans ses limites (inEcrits politiques et philosophiques, Tome I, cit., p. 428 sq.) [Note ajoute pour la parution franaise] []5. Cette expression fut forge par un groupe de disciples communs dAlthusser et de Lacan (Yves Duroux, Jacques-Alain Miller, Jean-Claude Milner). Voir la rdition desCahiers pour lAnalyse(revue du Cercle dEpistmologie de lEcole Normale Suprieure) procure par lUniversit de Kingston, volume 9 (article sign par J.-A. Miller seul) (http://cahiers.kingston.ac.uk/pdf/cpa9.6.miller.pdf). []6. Louis Althusser,Sur la reproduction, Presses Universitaires de France, Collection Actuel Marx Confrontations, 2edition, 2011. []7. Voir Judith Butler,The Psychic Life of Power. Theories in Subjection (1997) etExcitable Speech. A Politics of the Performative(1997). []8. Il Manifesto:Pouvoir et opposition dans les socits postrvolutionnaires, Editions du Seuil, Paris 1978. Lintervention dAlthusser est galement reproduite aujourdhui dans le volume: Louis Althusser,Solitude de Machiavel, Editions prpare et commente par Yves Sintomer, PUF, Actuel Marx Confrontations, 1998 (pages 267-280). []9. Yann Moulier-Boutang,Louis Althusser: une biographie (1repartie), Grasset, 1992 (rdition en 2002,Le Livre de poche). []10. En particulier Emilio de Ipola dans son livreAlthusser, El infinito adios,Siglo XXI Editores, 2007 (trad. fr.Althusser. Ladieu infini,Prface dEtienne Balibar, PUF 2012, et Warren Montag, dans son livreAlthusser and His Contemporaries:Philosophys Perpetual War, Duke University Press, 2013. []11. Jai plaisir rappeler ici grce aux indications que me donne M. Wu Zhifeng quil y a eu une dition hors commerce dePour Marxavec en Appendice leslments dautocritiquede 1972, traduite par Mr. Gu Liang, The Commercial Press, Pking, Octobre, 1984. Il sagissait dune dition lintrieur, rserve pour certains lecteurs. Auparavant, Mr. Gu Liang avait traduit lessai Marxisme et Humanisme, et lavait publi dans la revueInternational Philosophy TodayDcembre, 1979: ce fut le premier article dAlthusser publi en Chine. Jai fait personnellement la connaissance de Gu Liang en 1983 loccasion du colloque pour le Centenaire de la mort de Marx organis par Georges Labica lUniversit de Paris-10 Nanterre, et nous sommes devenus amis. Traducteur professionnel aux Editions en langues trangres de Pkin, il avait notamment particip la traduction franaise des uvres de Mao Zedong, mais pendant le temps libre quil gagnait sur le sommeil, il traduisait aussi en chinois les uvres de philosophes et dhistoriens franais qui lui paraissaient importants. Je veux ici saluer son rle de pionnier dans lintroduction de luvre dAlthusser en Chine. []12. Pour la langue anglaise, des travaux trs intressants existent aujourdhui, par exemple ceux de Lydia Liu (Professeure Beijing et New York), qui a dirig le volumeTokens of Exchange: The Problem of Translation in Global Circulations, Duke University Press, 2000. []13. Ces informations ont t donnes par le philosophe Lucien Sve, dans sa communication au colloque sur luvre dAlthusser organis en mars 2015 par la revueLa Pense.Lui-mme ancien lve dAlthusser lENS, puis son ami, Sve fut lun des protagonistes du dbat des annes 1960 au sein du PCF autour de la dialectique et de lhumanisme marxiste. Aprs que (au Comit Central dArgenteuil, en 1966), la direction du PCF eu rgl le conflit entre le marxisme humaniste de Roger Garaudy et le marxisme antihumaniste dAlthusser en les renvoyant dos dos, Lucien Sve devint officieusement le philosophe du parti, en dsaccord avec Althusser sur le renversement de la dialectique et la possibilit de lanthropologie philosophique, mais toujours personnellement en trs bons termes avec lui. La publication annonce de leur correspondance, stendant sur plus de trente ans, constituera un document de premire importance pour comprendre cette priode du communisme franais et la place quy occupa Althusser. []14. La question de lattribution de ces textes philosophiques Mao Zedong, et surtout celle de leur degr doriginalit par rapport aux modles sovitiques quil avait tudi et dont il avait pu sinspirer, a donn lieu de nombreuses discussions et polmiques: cf. ltude dtaille de Nick Knight,Marxist Philosophy in China: From Qu Qiubai to Mao Zedong, 1923-1945(Dordrecht: Springer, 2005), o lon apprend en particulier que ltudeSur la contradictionntait quelundes exposs consacrs par Mao Zedong aux lois de la dialectique, ce qui veut dire quil navait pas, en ralit, limin la ngation de la ngation. Il reste quand mme tout fait significatif que ce soitseulementcet expos sur la contradiction comme identit des contraires que Mao a voulu publier (et sans doute retravailler) pour lui donner une large diffusion. Dautre part le recueil des Essais philosophiques paru en 1966 comprend dautres textes (notamment De la pratique, galement issu des cours de Yenan), auxquels Althusser ne sest jamais intress. []15. Dans une correspondance suscite par la communication que je lui avais faite de cette prface, Lydia Liu me signale une concidence trs intressantequi appellerait des recherches supplmentaires. Sa question tait la suivante: As I go back to Althussers critique of humanism in 1964, it occurred to me that a similar critique was undertaken in China, especially by literary critic Chou Yang. Both Althusser and Chou were targeting the USSR. I wanted to consult with you about Althussers knowledge of Chou Yangs work in 1963-64. Was he aware of this work? Or did Althusser follow the articles published in Peking Review? Did the French left-wing intellectuals and communists read this journal Peking Review regularly? If not, did you have other access to the theoretical work done by Chinese Marxist intellectuals in the 1960s? Sur ma rponse que ma connaissance du moins Althusser ntait pas au courant de cette critique (en tout cas ne sy rfrait pas), Lydia Liu mcrit encore ceci: Indeed, both Althusser and Chou Yang (literary critic and one time Minister of Culture) were reacting to Khrouchtchevs revisionism and its not surprising that they made the same argument about humanism, calling it petty-bourgeois ideology. I am fascinated by this because Chou Yang had participated in the first Afro-Asian Writers Conference in Tashkent in 1958 (inspired by Bandung) where Third-World writers relied on humanism to condemn the inhumanity of colonialism and imperialism (in the same vein as would Frantz Fanon inLes Damns de la Terre). Im still trying to sort out the complex entanglement between socialist humanism which you discuss in the context of dsaccords politiques entre le PC chinois et le PC sovitique and the Bandung inspired humanism. I wonder if theres more to the geopolitics of humanism than petty-bourgeois ideology. I emphasize geopolitics because the State Department of the U.S. tried to infiltrate the Bandung conference by mobilizing a number of Asian countries (Pakistan, the Philippines, Japan, etc.) to speak on its behalf, forcing Chou Enlai to make a concession to human rights as embodied by the Universal Declaration of Human Rights. Some of the declassified documents seem to direct our attention to other interpretations of humanism in the Cold War outside Marxist discussions. [Note ajoute pour la parution franaise] []16. On peut trouver cet article, post en 2013 sur le site de la revue lectroniqueDcalages. An Althusser Studies Journal:http://scholar.oxy.edu/decalages/vol1/iss1/8/[]17. Dans cette brve signalisation de la seconde rencontre dAlthusser avec le maosme, je centre lattention sur ses relations avec les tudiants fondateurs de lUJCML, dont certains taient ses lves et amis, ce qui me semble lessentiel. Je laisse de ct la question de savoir quel moment Althusser entra en relations suivies avec Charles Bettelheim, lui-mme visiteur rgulier Pkin (il se prvalait de relations personnelles avec Zhou Enla) et partisan des positions chinoises dans la division du Mouvement Communiste international: au plus tard en tout cas aprs la parution deLire le Capital, qui dtermina une longue squence de collaboration entre les deux quipes de chercheurs, dont la trace se fait sentir dans certaines de leurs publications. [Note ajoute pour la parution franaise] []tienne Balibar