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LABORATOIRE D'ETHNOLOGIE DE PARIS V - SORBONNE 12, rue Cujas - 75005 Paris
ARGONAUTES - CENTRE DE RECHERCHE ET CONSEIL EN SCIENCES HUMAINES 26, avenue Ledru-Rollin - 75012 Paris
GRETS - EDF.DER 1, avenue du Général de Gaulle - 92141 Clamart Cedex
CONTRAT DE RECHERCHE
ANTHROPOLOGIE DE LA DOMOTIQUE AU QUOTIDIEN
SYNTHESE DOMOTIQUE
JUILLET 1995
EDF - DEPARTEMENT GRETS
MINISTERE DE L'EQUIPEMENT, DU LOGEMENT, DES TRANSPORTS ET
DE L'ESPACE - PLAN CONSTRUCTION ET ARCHITECTURE
Direction scientifique
Dominique DESJEUX
Professeur d'anthropologie sociale et culturelle à l'Université Paris V - Sorbonne
Rédaction : Dominique DESJEUX
Etude réalisée par : Patricia MEDINA, Sociologue, chercheur à Argonautes, Sophie
ALAMI, Sociologue, chercheur à Argonautes, Dominique DESJEUX
Avec la participation de : Véronique BEILLAN, Sociologue, chercheur au Grets -
EDF, Cécile BERTHIER, Sociologue, chercheur à Argonautes, Sophie TAPONIER,
Chercheur au laboratoire d'Ethnologie de Paris V – Sorbonne
SOMMAIRE
INTRODUCTION ............................................................................................................... 3
1 - Ambiguïté du terme "demande sociale" : comment poser le problème du
changement .................................................................................................................... 4
2 - Postulats méthodologiques et théoriques : importance des pratiques et de la
routine pour expliques la demande ................................................................................ 7
3 - Résumé des principaux résultats sur la diffusion de la domotique, et de sa
perception par les usagers .............................................................................................. 10
4 - La diffusion de la domotique est structurée par les différentes divisions de
l'espace urbain et de l'univers domestique ..................................................................... 13
CHAPITRE I : L'OFFRE DE DOMOTIQUE .................................................................. 16
Introduction : la domotique, une filière en émergence dans un marché du
logement étroit ....................................................................................................................... 16
1 - Les décideurs urbains face à la gestion de la vie des quartiers ...................................... 17
2 - Le marché du logement : un espace étroit ..................................................................... 20
3 - La place de la domotique dans le marché du logement : un placement à terme
pour les opérateurs ........................................................................................................ 21
CHAPITRE II : LE POIDS DE LA DOMOTIQUE DANS LA DECISION
D'ACHAT D'UN LOGEMENT A BROCELIANDE ....................................................... 24
1 - La zone de Brocéliande : un développement en alvéoles, à l'image
globalement positive ..................................................................................................... 24
2 - Le projet de lotissement domotique .............................................................................. 27
3 - Les habitants du lotissement domotique ....................................................................... 28
4 - La domotique : un facteur marginal .............................................................................. 32
CHAPITRE III : LA DOMOTIQUE EN PRATIQUE .................................................... 33
1 - L'équipement des logements du lotissement domotique ............................................... 33
2 - L'évaluation des équipements existants ......................................................................... 34
3 - L'évaluation des modules optionnels ............................................................................. 39
CHAPITRE IV : LES REPRESENTATIONS DE LA DOMOTIQUE ......................... 42
Introduction ........................................................................................................................... 42
1 - L'imaginaire de la demande : désir de maîtrise et peur de la perte de contrôle
de son quotidien ............................................................................................................ 42
2 - Les représentations des professionnels : la domotique, c'est la gestion,
centralisée et à distance ................................................................................................. 44
CONCLUSION .................................................................................................................... 50
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................. 53
INTRODUCTION
Le point de départ de notre enquête est la découverte d'un lotissement équipé en
"domotique", en dehors de toute situation expérimentale, dans un des sous quartiers
d'Angers, ville moyenne de l'ouest de la France, que nous appellerons Brocéliande tout au
long de notre enquête. Ce sous quartier fait lui-même partie d'un espace qui a fait l'objet
d'un aménagement urbain, sous forme de Zone d'Aménagement Concertée (ZAC).
La "domotique", au départ de notre enquête, possède un contenu flou. C'est d'abord un
nom à côté d'une maison témoin, sur un panneau qui permet de découvrir que les maisons
"domotiques" sont équipées au gaz, par GDF, et qui n'en dit pas plus. Notre enquête va nous
permettre de reconstruire le contenu du champ de la "domotique" suivant l'usage qui en est
fait par les différents acteurs concernés par sa diffusion.
Le choix de faire une recherche sur la "domotique", fait suite à la réalisation de
plusieurs enquêtes sur des questions de chauffage collectif, sur des expérimentations
d'automates de régulation de l'énergie électrique et sur l'organisation familiale de l'espace
domestique autour de l'électricité et des objets électriques1, pour edf-grets.
Avec cette enquête, nous souhaitons faire avancer la connaissance de la vie quotidienne
ordinaire en ville, et donc nous donner les moyens de comprendre vers quoi évolue
l'habitat en ville, du triple point de vue des nouvelles technologies domestiques en
émergence, de la diversification des offres de services urbains et de la dynamique du
développement urbain. C'est un travail d'ethnologie et de micro-sociologie qui cherche à
faire émerger les "évidences invisibles" de la vie de tous les jours, évidences qui sont
souvent oubliées parce qu'elles désenchantent la réalité par leur banalité.
Tout le monde les connaît déjà. Mais elles sont la plupart du temps oubliées au moment
d'en tenir compte pour évaluer les chances de succès de la diffusion d'une innovation. Ces
évidences sont gommées au profit d'analyses plus prophétiques qui survalorisent les
capacités souvent importantes de la technique, en terme de communication par exemple, et
au détriment des contraintes ordinaires de la vie sociale qui limitent singulièrement ces
possibilités.
1 - Cf. Dominique Desjeux, en collaboration avec Cécile Berthier, Sophie Jarraffoux, Isabelle Orhant et Sophie Taponier (1995), sur L'anthropologie de l'électricité au quotidien, l'Harmattan, (sous presse).
Mais il faut se souvenir que c'est le banal et l'ordinaire, les contraintes du quotidien, qui
fondent la nécessité de l'enchantement, comme moyen de leur échapper. La conduite du
changement, dont la diffusion des innovations est une des variantes, demande qu'à la
fois les acteurs sociaux connaissent la réalité, tout en la niant dans l'imaginaire, pour
la dépasser.
1 - AMBIGUÏTE DU TERME "DEMANDE SOCIALE" : COMMENT POSER LE PROBLEME
DU CHANGEMENT
Cette recherche, menée entre 1993 et 1994, est commanditée par EDF-GRETS et par le
Plan Construction (ministère de l'Aménagement du Territoire, de l'Équipement et des
Transports). Elle cherche à répondre à une question principale : quelles sont les
chances de développement de la "domotique" sur le marché de l'habitat individuel,
ou même collectif, quand l'achat et l'usage de l'installation domotique dépendent de
l'usager. Ceci s'oppose à une situation de recherche où l'usager accepte d'expérimenter,
pour EDF, une nouvelle technique2, ou à une situation où l'office HLM, par exemple, est le
décideur et le gestionnaire de l'installation domotique, appliquée à la régulation du
chauffage notamment, sans que l'usager soit impliqué dans le processus de décision.
Cela revient à se demander si la "domotique" peut représenter une nouvelle forme de
service pour la gestion des habitations ou pour résoudre des problèmes domestiques pour
les habitants, ou si la "domotique" correspond finalement à une demande sociale.
Le premier constat est que, pour le moment, la "domotique" ne correspond à
aucune demande des particuliers.
La "domotique" entre dans une stratégie de l'offre de la part d'opérateurs comme EDF,
GDF, des promoteurs immobiliers ou des sociétés comme TEFAL. Cette stratégie
correspond à une double contrainte, diversifier leurs marchés et rechercher de nouvelles
technologies permettant de nouvelles valeurs ajoutées. L'offre de domotique s'inscrit dans
un contexte où le marché du bâtiment est déprimé, et donc dans lequel les opérateurs
recherchent des moyens d'innover pour le relancer.
Le marché national de l'électricité est lui-même saturé. EDF cherche, d'un côté, à étaler
la consommation, pour limiter les pointes, dont l'existence entraîne des surcoûts
d'investissement en installations qui ne sont utilisées à plein que quelques jours par an, et,
de l'autre, cherche à développer ses marchés à l'international3.
2 - Cf les enquêtes que nous avons menées pour EDF-GRETS sur des sites d'expérimentation de l'option tarifaire "Ttempo", et du gestionnaire d'énergie "Starbox", etc. (S. Taponier et alii, 1995, 1993) 3 - Cf notre étude, Analyse des stratégies de mobilisation des ressources humaines à l'international au sein d'EDF, pour la DAI (Direction des Affaires Internationales), en 1995
Parallèlement il existe déjà sur le marché du bâtiment industriel un produit, la Gestion
Technique Centralisée (GTC), dont certaines utilisations, comme le contrôle automatisé de
la sécurité par rapport aux fuites d'eau ou de gaz, ou par rapport au feu, semblent
intéressantes à transposer vers l'habitat des particuliers. De plus, en habitat collectif,
spécifiquement dans le secteur HLM, qui est souvent à la pointe des expérimentations
sociales, il existe déjà des systèmes automatisés de régulation du chauffage.
Plusieurs éléments concourent donc, au début des années quatre-vingt-dix, à se poser la
question de l'opportunité d'une relance du marché de l'habitat, en le valorisant par l'ajout de
techniques de programmation, d'automatisation et de contrôle à distance, avec le minitel
tout particulièrement. Il est donc proposé une offre de produit qui a fait ses preuves dans
un autre univers, celui de l'entreprise, qui permettrait, en même temps, de résoudre une
partie des contraintes qui pèsent sur les "offreurs", et dont il est espéré qu'elle va rencontrer
une demande chez les particuliers, ou en habitat collectif.
Mais, le deuxième constat est que le fait qu'il n'y ait pas de demande de
"domotique", et que l'initiative vienne de l'offre, ne signifie rien a priori sur ses
chances positives ou négatives de développement, contrairement à ce que le
développement du marketing et de la communication publicitaire pourrait laisser croire.
Toute la vie sociale n'est pas commandée par la demande. Elle est organisée autour d'une
tension entre l'offre et la demande.
En effet si dans les années soixante, il a été formulé de nombreuses critiques quant à la
non prise en compte du marché et des demandes de la clientèle par les ingénieurs qui
inventaient et fabriquaient des produits sans s'occuper de leur mise en marché, il en a été
oublié aujourd'hui que l'offre d'innovation technique n'est pas mécaniquement liée à une
demande, et ceci pour au moins une raison, c'est qu'il est difficile d'imaginer une demande
pour quelque chose qui n'existe pas pour le demandeur.
La première conclusion est que c'est en réalité, le terme de demande qui est lui-même
ambigü. Il est souvent associé à l'intention, à la motivation et à la demande explicite des
personnes qui sont interviewées, comme si les acteurs sociaux étaient entièrement
conscients de ce qu'ils voulaient, ce qui n'est pas le cas dans la vie quotidienne de chacun,
et comme si quand un acteur demande un changement ou exprime une frustration, il
souhaitait changer réellement, ce qui est encore moins le cas.
Ceci ne veut pas dire qu'il n'existe pas d'aspiration au changement, mais que le lien
entre ce qui est exprimé verbalement par une personne, puis ses intentions, et enfin ce
qu'elle pense implicitement ou inconsciemment, ne va pas de soi. Entre l'intention, ou
l'aspiration, ou la demande, et le passage à l'action, il y a les contraintes sociales, que
celles-ci jouent contre l'intention d'innover, ou au contraire obligent à changer à l'encontre
de ce que souhaite l'acteur. C'est pourquoi nous partirons, pour notre enquête, non pas des
"motivations", mais des contraintes et des pratiques, pour étudier la demande, comme nous
le justifierons ci-dessous.
La deuxième conclusion est qu'il reste bien deux phénomènes vrais aujourd'hui,
mais séparément. D'un côté, il y a une innovation technique, la "domotique", qui se
construit suivant une logique de l'offre, sans lien mécanique avec la demande4, mais dont
on sait que sans cette offre la demande ne pourra pas exister. De l'autre côté, on sait par les
sciences humaines et le marketing qu'une innovation ne pourra se diffuser que si elle
correspond d'une façon ou d'une autre à une "demande", à un "besoin", à des contraintes
sociales, c'est à dire en fait si elle résout un problème du quotidien, si le "coût" du
changement est ressenti comme acceptable par ceux qui adoptent l'innovation, ou si le coût
de la résistance à la contrainte de changement est trop fort. Ce qui reste problématique, ce
n'est pas ici la logique de l'offre ou celle de la demande, mais celle de leur rencontre5 .
Il est certain que les ingénieurs inventent et mettent au point des innovations. Il est
certain que les familles ont des problèmes quotidiens à résoudre, de coût énergétique, de
sécurité ou de diminution de la pénibilité des tâches journalières, sans compter la gestion
des relations affectives au sein du couple, de la famille ou entre générations. Ce qui reste
incertain, c'est la correspondance entre la solution technique offerte et la solution
domestique attendue.
La gestion de cette incertitude est en partie de l'ordre de la construction sociale.
Nous avons choisi l'échelle d'observation micro-sociale, celle du jeu entre des acteurs
sociaux concrets, tels que GDF, les acheteurs de maisons dans un lotissement "domotique",
les responsables techniques municipaux, les promoteurs, etc..., pour rendre compte de cette
construction.
Une enquête comme celle-ci entre elle-même dans ce jeu de réduction de l'incertitude et
de construction du lien entre l'offre et la demande. Réduire l'incertitude signifie à la fois
qu'il est possible de trouver des structures et des logiques sociales qui permettent de la
prévision, mais aussi que le résultat final restera toujours imprévisible soit quant à
l'adoption elle-même de la "domotique", soit quant au moment de son adoption, soit quant
4 - Il est possible cependant de trouver des liens indirects entre les chercheurs et les ingénieurs, du côté de l'offre, et les usagers, du côté de la demande, à travers la médiation de la vie quotidienne, qui montrent que "l'offre" est en contact avec la "demande", même si ces liens ne sont pas explicites. Cf. l'enquête sur les logiciels informatiques en milieu agricole de Sophie Taponier et Dominique Desjeux (1994). 5 - Ces deux logiques sont elles-mêmes problématiques quand les sociologues les analysent en soi, que ce soit sur le versant de la "science en action" et de la diffusion des innovations (cf. Bruno Latour et Michel Callon ; ou Dominique Desjeux, Sophie Taponier et Sophie Alami, sur l'ORSTOM ou l'ENITA de Bordeaux) ou sur celui du comportement du consommateur, de l'usager ou du malade, c'est à dire du processus concret de décision de faire tel ou tel choix (cf. nos travaux en ethnomarketing, ou sur l'agriculture, ou sur les itinéraires thérapeutiques).
au contenu de ce qui sera adopté ou rejeté dans les différentes fonctions domestiques
proposées par la "domotique".
Réduire l'incertitude, c'est finalement estimer des chances de diffusion de la
"domotique" par rapport à ce que les sciences humaines et sociales nous apprennent des
mécanismes et des processus de décision, des interactions sociales ou du poids des groupes
de pression, et des schémas mentaux ou des normes sociales qui organisent le quotidien,
au-delà des seuls logiques juridiques, techniques ou économiques, logiques qui, par
ailleurs, font parties intégrantes du jeu social.
2 - POSTULATS METHODOLOGIQUES ET THEORIQUES : IMPORTANCE DES
PRATIQUES ET DE LA ROUTINE POUR EXPLIQUES LA DEMANDE
Cette incertitude du lien entre offre et demande nous a amené à faire trois choix
méthodologiques.
Le premier choix a été de "déconstruire" les termes de "domotique", de "service"
et de "délégation", déconstruire au sens que nous ne sommes pas partis des définitions
établies par les ingénieurs, les chercheurs en sciences sociales ou les institutions
administratives, qui ont leur propre logique de production, et par là, leur propre légitimité.
Nous avons accepté ces sens comme des "points de vue" parmi d'autres, et notamment par
rapport aux usagers.
Si le lien entre offre et demande de "domotique" est incertain, il nous a semblé
important d'éviter de postuler qu'il existe un "bon" ou un seul "vrai" sens de la
"domotique", du "service" ou de la "délégation", sous peine d'éliminer une donnée du
problème, et donc de perdre une chance de pouvoir le résoudre, qui est celui de
l'irréductible diversité de sens donné à ces termes entre l'offre et la demande6. C'est
pourquoi nous avons laissé pour le moment le terme "domotique" entre guillemets.
Le deuxième choix a été de partir des pratiques et non des motivations ou des
intentions déclarées des usagers. Puisque le terme de "domotique" est polysémique, voire
inconnu pour les usagers, il paraissait difficile de trouver des intentions par rapport à lui. Il
fallait trouver des indicateurs des problèmes à résoudre dans lesquels la "domotique"
pourrait ensuite avoir des chances de "s'encastrer", pour reprendre un terme de
l'anthropologie économique.
Ces indicateurs, ce sont les pratiques domestiques au quotidien. Elles sont effectuées
directement ou par "délégation" dans la maison, - avec le soutien de la famille proche ou
6 - Le sens d'un mot n'existe pas en soi. Il est lié à un usage social en situation, même si, les usages n'étant pas infinis dans une société donnée et à une époque donnée, ces sens existent en nombres limités.
élargie -, ou par l'intermédiaire des services du quartier, de la ville ou au-delà, avec la
vente par correspondance par exemple. Les pratiques se décomposent en quatre grands
ensembles : les pratiques de délégation à des objets, l'électroménager, ou à des acteurs
sociaux, la famille, les services à domicile ou ceux de quartier ; les pratiques de
routinisation et d'automatisation ; les pratiques de programmation-anticipation et,
leurs symétriques, les pratiques d'improvisation. La description de ces quatre formes de
pratiques permet de repérer les problèmes à résoudre, les solutions de chacun et les coûts
ou avantages de l'introduction éventuelle de la "domotique".
La demande n'est pas analysée comme une intention déclarée par des acteurs, mais
comme un phénomène invisible qui se déduit de la structure du quotidien. La structure
est prise comme une cristallisation à un moment donné des pratiques journalières des
acteurs. Elle peut être remise en cause par un événement extérieur, comme le changement
de localisation d'un service public, comme celui du bureau de poste à Brocéliande, qui
remet en cause toutes les routinisations inconscientes des parcours journaliers entre l'école,
la billetterie automatique et la grande surface du quartier, par exemple, ou l'évolution de la
situation professionnelle ou familiale, comme le chômage, la naissance d'un enfant ou le
passage à la retraite.
Notre hypothèse centrale est que la recherche de la routinisation des pratiques par
les acteurs est paradoxalement au coeur du processus d'innovation. Si la "domotique"
permet de mieux routiniser, de baisser la charge mentale liée à telle ou telle activité
quotidienne, elle aura plus de chance de se développer que si elle demande de trop
réfléchir ou de faire encore plus attention. La recherche du plaisir, notamment pour les
personnes férues de technique et de "bidouillage" électronique, et celle du sens, à travers
l'approche culturelle tout particulièrement, sont deux autres grandes voies d'explication de
l'innovation. Elles seront mises entre parenthèses dans notre analyse, parce qu'elle ne
prennent pas en compte les contraintes sociales. Elles prennent plutôt en compte les
motivations. Elles relèvent donc d'un autre découpage de la réalité.
Le troisième choix a été de penser la diffusion de la "domotique" comme un grand
système d'action entre des acteurs fonctionnant à des échelles d'information et de
décision très différentes, depuis les responsables urbains qui décident de l'aménagement
d'un espace qui intègre des contraintes concernant des dizaines de communes en
concurrence ou en alliance pour son contrôle, jusqu'aux décisions domestiques de partage
des tâches au sein de la maison, en passant par des fournisseurs de services à l'échelle du
quartier.
Puisque c'est la mise en contact qui est problématique, entre l'offre d'innovation et la
demande, il nous semble important de faire sortir le champ de l'étude de la décision
d'innover du seul champ de la motivation et de la cognition propres aux usagers ou
consommateurs, ou du seul processus de décision et des calculs des décideurs
administratifs ou industriels, pour analyser comme un seul champ celui de la
production des innovations et celui de la consommation de ces innovations. Ceci
permet d'éviter de postuler que les consommateurs ou les usagers sont passifs, et qu'ils ne
fonctionnent que comme des récepteurs de l'offre. Celle-ci tient compte de ce qui est émis
par la demande, notamment en commandant des études ou des enquêtes, comme celle-ci, à
travers le courrier qui arrive à la mairie ou par des réunions de quartier.
Le principal postulat théorique qui permet de réduire l'incertitude des
comportements face à l'innovation est notre postulat structuraliste "soft". Nous
postulons que les acteurs ne sont pas des pures intentions, qu'ils agissent sous contraintes
de la vie sociale, qu'ils incorporent des habitus sociaux, qu'ils cherchent à stabiliser une
partie de leur activité et donc qu'il est possible de découvrir des régularités de
comportement, et donc du certain, et donc en partie du prévisible.
Les acteurs ont finalement de bonnes raisons de laisser se cristalliser sous forme de
structure automatisée, dont l'indicateur concret est la routine, leurs pratiques
domestiques au quotidien, en suivant les normes sociales incorporées liées au sexe, à
l'âge ou à la classe sociale, et suivant une dynamique liée aux cycles de vie7. C'est dans
cette interaction entre effet d'acteur, effet de structure et effet de situation que va
s'encastrer ou non la domotique, qu'elle va être réinterprétée, sélectionnée ou rejetée, par le
jeu, sous contraintes, des usagers.
En résumé, si la "domotique" permet de routiniser/automatiser, de déléguer, de
programmer par anticipation ou d'improviser dans l'univers domestique, ses chances
de diffusion seront d'autant accrues, toujours sous réserve du jeu des contraintes
sociales.
7 - Ceci ne nie pas les variations de comportement individuel. Par définition chaque individu est unique. Ce qu'apporte la sociologie, c'est justement une description des formes de régularités sociales au-delà des diversités individuelles, dont on ne peut rien faire ou rien dire socialement si elles restent pures diversités individuelles. Les entretiens qui sont passés auprès d'individus uniques sont ensuite analysés dans le sens d'une recherche de ce qui est social pour chaque acteur. Le sens du terme d'acteur est différent de celui des "tourainiens" (Wieviorka, Dubet), qui semblent réserver l'usage de ce terme aux groupes sociaux porteur d'un avenir, d'une force de changement, voire d'un certain messianisme, ce qui n'est pas le sens ici. Pour nous, à la différence des "tourainiens", tout individu analysé du point de vue de sa dimension sociale est considéré comme un acteur A la différence des "crozériens", comme Erhard Friedberg (1994 ), qui se limitent à l'analyse du jeu des acteurs et de leurs calculs, nous pensons que certains, d'un point de vue macro-social, gagnent plus souvent que d'autres et donc qu'il existe des classes sociales, des structures et de la longue durée historique qui organisent la place des acteurs dans une société. Plus généralement, nous pensons que l'acteur disparaît du champ de l'observation à l'échelle macro-sociale, qui est celle du Suicide de Durkheim par exemple. A l'opposé des "bourdieusiens" nous pensons qu'il existe bien des différences d'échelle d'observation, et qu'on ne peut tout observer en même temps (cf. Pierre Bourdieu, dans Raison pratiques 1994), même si la réalité est un tout (cf. Dominique Desjeux, "Tiens bon le concept, j'enlève l'échelle d'observation", à paraître dans la revue Logiques Sociales à l'Harmattan).
L'univers domestiques est organisé en territoires, publics, - comme le salon -, privés, -
comme la cuisine -, et intimes, comme la chambre ou la salle de bains. L'usage de ces
territoires dépend du partage des sexes ou des âges. Le contrôle de ces territoires représente
des enjeux entre les membres de la famille. La diffusion de la "domotique", comme
objet technique, va suivre la ligne de pente de ces territoires.
L'enquête sur le quotidien, domestique et urbain, consiste donc à repérer le contenu de
ces pratiques, et à faire apparaître si la domotique fonctionne en homologie avec l'une ou
l'autre de ces quatre formes de pratiques. Sa diffusion aura d'autant plus de chances de se
réaliser qu'elle s'intégrera à une ou plusieurs de ces formes.
Le concept de diffusion est ici utilisé dans une perspective interactionniste et
constructiviste, c'est-à-dire que l'adoption d'une innovation est analysée comme la
résultante d'un jeu social, d'un effet de réseau ou de rapports de pouvoir, avant d'être un
processus de choix personnel lié à des motivations, de diffusion en tâche d'huile ou de
modèle épidémiologique8.
L'analyse des interactions familiales montre qu'il est peu probable que la domotique
reprenne tel quel le fonctionnement qu'on lui connaît dans l'entreprise avec la Gestion
Technique Centralisée (GTC), centrée principalement sur la détection des pannes
techniques.
Il y a une vingtaine d'années, l'informatique en entreprise s'est développée au début pour
automatiser les fiches de paye et la gestion. Une fois transférée vers la maison, la gestion
domestique n'a eu que peu de succès, au profit notamment des jeux vidéos ou du traitement
de texte. L'informatique a été réinterprétée par rapport aux usages familiaux, comme le
minitel avec le "minitel rose".
De même, la fonction de gestion centralisée de la GTC a des chances d'être
réinterprétée, pour la future "domotique", par les ménagères, par leurs conjoints ou par
leurs enfants. La régulation du chauffage peut relever de la gestion comme du confort.
Mais les volets roulants ou l'aspiration centralisée relèvent plus du confort. La domotique
sera probablement plus réinterprétée comme un élément de confort de la maison ou
de protection par la sécurité-alarme, que comme une technique de prévention des
incidents liés à l'eau, au gaz ou au feu, comme c'est le cas en entreprise.
3 - RESUME DES PRINCIPAUX RESULTATS SUR LA DIFFUSION DE LA DOMOTIQUE, ET
DE SA PERCEPTION PAR LES USAGERS
8 - Ce sont des modèles ou micro-psychologiques, à base d'attitudes, et/ou macro-psychologiques, sans interactions sociales concrètes, mais à partir de données statistiques(cf. Henri Mendras et Michel Forsé, dans Le changement social, 1983, sur "La diffusion des innovations", A. Colin).
Les maisons individuelles de Brocéliande comprennent un certain nombre
d'aménagements "domotiques", ou perçus comme tels, fournis pour toutes les maisons : un
chauffage avec programmation, des volets roulants automatiques, une commande à
distance, et une aspiration centralisée qui permet à l'aide d'un long tuyau d'aspirer la
poussière en se branchant sur des bouches dans le mur. Le lotissement est précâblé, ce qui
permet d'avoir un module de sécurité avec quatre options : une alarme anti-intrusion contre
les vols, et des systèmes de détection de fuite d'eau, de gaz et d'incendie. Il y a aussi la
possibilité d'avoir une ouverture automatique de la porte de garage et un arrosage
automatique du jardin.
La domotique n'existe pas en soi. C'est, pour les usagers, un ensemble de technologies
qui ont toutes pour fonction de baisser la pénibilité de certaines tâches, de diminuer les
charges mentales ou de permettre des économies, grâce principalement à l'automatisation
et à la centralisation.
L'enquête montrera qu'aucun des habitants du lotissement domotique n'a acheté
d'option, au moins au moment de la recherche. On est donc bien dans une logique de
l'offre, qui, pour le moment ne rencontre pas de demande, puisque personne n'a acheté
d'option et que tout le monde s'est contenté de ce qui était vendu avec la maison.
L'offre porte principalement sur ce qui peut améliorer, ou donner une valeur ajoutée, à
l'habitat, et ceci suivant deux filières.
La première filière en émergence, est celle liée aux grands opérateurs, comme EDF-
GDF et à des acteurs qui peuvent espérer une valorisation ou une diversification de leurs
activités.
Cette première filière de diffusion de la domotique s'inscrit, de façon directe ou
indirecte, dans quatre espaces de la compétition urbaine, qui sont aussi des marchés : la
compétition intercommunale pour conserver la "bonne population", qui est l'espace des
élus locaux et des responsables urbains ; le marché du logement pour les promoteurs
privés ou les offices HLM9 ; le marché de l'énergie, avec la compétition entre EDF, GDF, ou
les distributeurs de fuel ; et le marché de la réparation et de l'entretien, avec les contrats
de maintenance des installations domotiques.
Dans cette première filière, liée à la construction, les "grands décideurs urbains"
d'Angers ne semblent pas avoir de visées précises quant à la domotique, comme moyen de
réguler la diversité des populations. La domotique ne semble pouvoir résoudre leurs
problèmes d'urbanisme. Ils ne seront donc pas des prescripteurs potentiels.
9 - L'enquête de Sophie Taponier et Cécile Berthier (1993) sur les systèmes de chauffage électriques "bi-
jonction" et "base plus appoint" montre que pour les gestionnaires de HLM, la gestion de l'énergie est à la fois un enjeu économique, un enjeu pour le maintien du bâti en bon état de marche - qui peut être menacé par des pratiques de chauffage qui détériorent le bâti - et un enjeu pour maintenir la fidélité de leurs locataires.
Par contre, les promoteurs privés sont présentés, dans les interviews, comme liés à EDF,
du fait des faibles coûts de l'installation des équipements électriques de chauffage qui
permettent de baisser le coût d'achat des logements. Mais à Angers, c'est GDF qui a pris
l'initiative en "démarchant" les promoteurs pour leur présenter des réalisations domotiques
et leur proposer des réductions financières sur l'installation. C'est pourquoi le lotissement
domotique est équipé en gaz.
Pour les promoteurs, la domotique a permis d'avoir une remise par rapport au surcoût
potentiel de l'installation, et de valoriser l'image de qualité du lotissement. Ce sont les
prescripteurs privilégiés.
Pour GDF ce lotissement a été l'occasion de développer son marché, même si c'est un
gain à la marge de ses activités.
Le marché de la maintenance est un sous marché de celui des promoteurs. Ceux-ci
sont des prescripteurs pour l'installation et l'entretien. Parallèlement il faudrait ajouter, aux
acteurs déjà repérés et qui jouent un rôle dans la diffusion de la domotique, les bureaux
d'études qui travaillent en entreprise sur la Gestion Technique Centralisée et qui peuvent
jouer un rôle de relais et d'expérimentation technologique.
Pour les usagers, la domotique a été réinterprétée, de façon implicite, comme un moyen
de distinction sociale.
La domotique paraît donc pour le moment, pour les différents offreurs, un moyen
de développer trois autres marchés : la vente de logements de qualité, l'installation
d'équipements énergétiques qui permettent ensuite l'usage de telle ou telle énergie, et à la
marge un moyen d'élargir leur clientèle pour les entreprises de maintenance de
technologies domestiques.
Il existe également une seconde filière qui démarre. Elle cherche à diffuser la
domotique directement auprès des particuliers. Il s'agit des magasins vendant des
produits domotiques "prêts à consommer" - comme par exemple "Domissimo" de TEFAL
-, qui ne nécessitent aucune installation particulière - câblage ou autre - et qui sont destinés
aux logements individuels. Un locataire du lotissement, en cours de déménagement, avait
commandé un tel système pour sa nouvelle maison, mais comme propriétaire.
L'important est de retenir que pour les usagers du quartier de Brocéliande, la domotique
est finalement un élément de prestige social, à la marge, au sein d'une décision plus large,
celle d'acheter une maison, un élément de gestion et d'économie avec la programmation du
chauffage, un élément de confort avec l'aspiration centralisée, qui n'est pas considérée
comme de la domotique pour les spécialistes, et les volets roulants. Mais elle est assez peu
un moyen de commande à distance et pas du tout un élément de sécurité du bâtiment, alors
que l'offre était centrée sur ces deux fonctions.
Par rapport à son origine industrielle, la domotique a donc déjà été largement
réinterprétée, soit comme un moyen de confort, en sélectionnant parmi les fonctions de
centralisation, d'automatisation et de programmation, celles qui concourent à faire baisser
les charges mentales de la gestion du quotidien et la pénibilité de certaines tâches, sans
augmenter les coûts d'investissement, soit comme moyen de faire des économies de
chauffage, beaucoup plus que comme un outil de sécurité par rapport aux fuites ou au feu.
Il apparaît par contre que, si la sécurité-alarme des personnes et des biens contre les vols
et les agressions n'est pas utilisée dans le lotissement, ce secteur est bien perçu comme une
potentialité pour la filière hors BTP, pour du matériel d'alarme qui n'utilise pas de câblage.
Dans le BTP, le développement de la sécurité-alarme semble suspendu à la fois de la
croissance de "l'imaginaire de l'insécurité" et de celle des sociétés de surveillance, ou en
tout cas des "terminaux" qui reçoivent les signaux d'alarme.
4 - LA DIFFUSION DE LA DOMOTIQUE EST STRUCTUREE PAR LES DIFFERENTES
DIVISIONS DE L'ESPACE URBAIN ET DE L'UNIVERS DOMESTIQUE
L'espace urbain peut être divisé en deux grands espaces, celui des nomades et celui de
sédentaires10. Mais les applications potentielles de la domotique ne se divisent pas de
façon simple entre ces deux groupes. En effet, la gestion de la distance et de l'absence de la
maison, problème propre aux nomades, si elle indique "en creux" une potentialité d'intérêt,
ne peut pas suffire à donner les conditions et les chances de l'adoption d'une nouvelle
technologie.
L'espace urbain est aussi divisé en classes sociales, dont nous avons essayé de saisir
la dimension en choisissant des sous quartiers composés de groupes sociaux différenciés.
La domotique apparaît comme un marqueur social potentiel important. Elle nécessite
des revenus suffisants pour l'achat, un capital technologique domestique pour la familiarité
et un réseau social pour la faire fonctionner en terme d'aide pour son utilisation. Son
10 - La distinction nomades/sédentaires nous vient d'abord de Merton qui distinguait les "locals" et les
"cosmopolites" et du CSO de Michel Crozier dont un des chercheurs, Francis Pavé, l'a réutilisée pour montrer que contrairement aux idées reçues, dans l'analyse des organisations, il existait des formes de coopération souterraines entre les salariés qui faisaient leur carrière sur place, dans une même entreprise et ceux qui faisaient carrière grâce à une mobilité forte entre leurs lieux de travail, au sein du groupe (Revue Française de Sociologie, 1979 XX-3). Nous l'avons ensuite utilisée pour les nomades sahéliens, dans le cadre d'une analyse de leur stratégie de survie et de leurs conflits avec les sédentaires (cf. D. Desjeux (en collaboration avec S. Taponier), 1994, Le sens de l'autre, Stratégies, réseaux et culture en situation interculturelle). Puis nous l'avons transposée en France, sous forme métaphorique, et notamment ici dans l'univers d'un quartier, pour repérer les deux pôles d'organisation des services à l'extérieur ainsi que l'existence éventuelle de formes de coopération ou de conflits, ou de juxtapositions, entre les nomades et les sédentaires. Cf. cependant l'article de Chantal de Gourmay sur "L'âge du citoyen nomade" (Esprit, novembre 1992) qui discute la pertinence aujourd'hui des notions de nomade, de sédentaire ou d'errance, à la vue de l'importance du développement des technologies de communication immatérielle fondée sur l'ubiquité, et donc sur la négation du déplacement.
utilisation dépendra aussi du positionnement des acteurs dans les cycles de vie, et
notamment des contraintes de temps qui pèsent au début du cycle de la vie adulte avec les
enfants.
De l'étude des activités au quotidien, il ressort que l'univers domestique, et son
extension immédiate le sous quartier et les services de proximité, sont d'abord des
espaces féminins. Les hommes n'y sont en quelque sorte qu'à la marge. Ceci veut dire que
le développement de la domotique devra en tenir compte d'une façon ou d'une autre, soit en
visant son utilisation par les femmes, soit en faisant attention à ne pas menacer le territoire
féminin11.
Au sein de l'univers domestique, la capacité à programmer ou à manier une
technologie domestique ne paraît pas liée à un sexe, l'homme ou la femme, mais au
territoire que chacun occupe. Hors de son territoire, chacun peut devenir tout à fait
incompétent. La domotique ne renvoie pas à l'univers masculin mais à des territoires
de pratiques qui sont sexués. Son introduction à la maison peut être masculine, et ceci
est en partie lié à son origine professionnelle et masculine. Mais son utilisation ne sera pas
mécaniquement masculine.
L'utilisation des technologies domotiques dans la sphère du quotidien domestique va
autant dépendre des cadres de l'imaginaire qui structurent le rapport au temps et qui
conditionnent les possibilités de délégation, de routinisation et de programmation, pour les
nomades ou les sédentaires, que de l'importance des gestions invisibles incorporées dans le
choix routinisé des itinéraires quotidiens ou dans les tâches ménagères, pour les femmes
notamment. Mais cet imaginaire et ces routinisation ne sont pas immuables.
Il peut aussi se mettre en place un processus de familiarisation et d'apprentissage qui
joue sur les représentations, puis sur les pratiques et les nouvelles routines. Ces ruptures
apparaissent tout particulièrement à l'occasion des changements liés à l'évolution des
cycles de vie.
L'exemple des jeux vidéo, pour l'étape de l'adolescence aux débuts du cycle de vie,
montre l'émergence d'un enjeu de territoire autour du contrôle des pratiques des jeux
électroniques, que ce soit par rapport à l'occupation, conflictuelle ou partagée, du salon et
de la télévision, par les jeunes générations, ou par le choix des jeux vidéos suivant les
sexes, les garçons préférant les jeux de "baston", au contraire des filles.
11 - Notre découpage nous fait privilégier l'univers domestique, et spécifiquement l'univers féminin. Ceci
étant de l'ordre du découpage, il y a un effet d'observation qui pourrait faire croire que cet univers est autonome de celui de la production. Au contraire nous pensons qu'il y a un continuum entre les différents univers, comme le rappellent Fine et Leopold dans The world of consumption (1993). Mais l'échelle d'observation, le découpage centré sur l'univers domestique, ne permettent pas de décrire empiriquement cette liaison. Au mieux nous avons cherché le lien avec les décideurs urbains, ce qui n'allait pas de soi. Bien sûr il existe des indices de ce continuum, avec notamment la question de la nomadisation liée au travail. De même la gestion de la mobilité et le choix du logement sont directement liés au domaine de la production, et du "choix" d'un travail.
CONCLUSION
Dans cette synthèse, nous nous limiterons à la présentation des principaux résultats tirés
du cas du lotissement de Brocéliande. L'étude de la vie quotidienne, comme moyen de
repérage des structures d'attente des divers équipements domotiques, sera présentée dans
un livre en préparation.
Cette synthèse comprendra quatre parties : l'offre de domotique, le poids de la
domotique dans le choix d'acheter un logement, les pratiques de la domotique et, enfin, ses
représentations.
Nous voulons suggérer que la domotique fait partie d'un univers plus large, celui de
l'électronique, qui constitue la matrice générale dans laquelle peuvent s'intégrer les
différentes technologies du quotidien, informatique domestique, câble vidéo, jeux
électroniques, multimédias, alarmes, gestionnaires d'énergie ou volets roulants.
Ces technologies s'organisent autour des quatre grandes pratiques de la vie quotidienne,
de délégation, de routinisation, de programmation et d'improvisation. Elles ne sont pas
neutres socialement.
C'est le principal apport de l'étude de la vie quotidienne, de rappeler qu'une technologie
fonctionne dans un cadre social préexistant, structuré par des classes, des âges et des sexes,
et que les interactions sociales qui constituent la base du processus de décision d'adopter
une innovation sont encastrés dans ces structures.
Ces technologies domestiques ne sont pas à la portée de tous actuellement. Elles
possèdent un coût, elles demandent du capital social et intellectuel. En logement
individuel, elles restent des produits haut de gamme, loin des possibilités des populations
défavorisées.
L'enquête ne dit pas sous quelle forme technologique concrète va se développer la
"domotique". Mais elle montre que, sous réserve que l'offre continue à prendre des risques
face à une diffusion incertaine, la "domotique" va suivre des réseaux et des territoires
sociaux de diffusion, déjà en place, soit de façon "indolore" à travers le logement collectif
locatif, soit à travers le logement individuel de qualité supérieure, pour une population de
cadres moyens et supérieurs.
Elle montre enfin que sa diffusion peut être masculine et féminine, et que la population
jeune arrivera sur le marché potentiel du logement avec un "habitus électronique", c'est à
dire une familiarité, sans commune mesure avec celle que les adultes possèdent
aujourd'hui.
L'étude ne fait apparaître que peu d'éléments sur ce que pourrait apporter la domotique
en faveur du développement futur des services liés aux personnes, et en dehors du
logement. Elle apparaît pour le moment comme une technologie plus liée à l'amélioration
de l'habitat qu'à celle du lien social, sauf dans le cas de la sécurité-alarme.
L'arrivée, par exemple, d'une nouvelle génération de retraités "baby-boomer", autour des
années 2005 à 2010, peut changer les données du problème, du fait de leur nombre, si cette
génération s'avère plus sensible à l'insécurité. La situation peut changer de même, si les
tensions entre générations adultes augmentent, notamment pour la "génération sandwich",
celle des adultes qui ont à la fois la charge des jeunes sans travail et qui continuent de
cohabiter jusqu'à trente ans, et la charge des parents âgés dépendants. "L'électronique"
pourrait permettre de garder des formes de contacts en cas de problèmes de santé, de
sécurité ou de lien social entre nomades et sédentaires ou entre générations, à l'intérieur du
réseau familial.
CHAPITRE I
L'OFFRE DE DOMOTIQUE
INTRODUCTION : LA DOMOTIQUE, UNE FILIERE EN EMERGENCE DANS UN MARCHE
DU LOGEMENT ETROIT
L'urbanisme est ici analysé comme un système d'action concret ouvert avec des acteurs
qui, chacun à leur niveau, de l'habitant au décideur municipal, prennent des décisions, que
ce soit sur l'aménagement urbain ou l'achat d'un logement d'habitation. Tous ces choix sont
supposés créer des effets d'interaction entre les acteurs et sur leurs décisions12, même s'ils
ne sont pas toujours observables directement.
Ces choix concourent, par des effets d'agrégation de décisions concrètes, par des effets
de représentation des attentes ou des réactions supposées des différents acteurs entre eux,
et sous l'effet des contraintes et des structures sociales ou technico-économiques, à une
construction de la ville, dans laquelle la domotique va jouer ou non un rôle.
Cette approche ne postule rien a priori sur le sens que chaque acteur donne à cette
construction, ni sur la distribution des atouts que chaque acteur possède, ni sur la
cohérence de cette construction.
De fait, un objet technique, la domotique, devient un analyseur de la dynamique urbaine
d'une ville. En retour, l'analyse de cette dynamique, à partir des décisions des acteurs, peut
permettre de mieux cerner la place qui est aujourd'hui assignée à la domotique, qu'il
s'agisse du logement et des usages de l'énergie qui lui sont liés, ou du quartier et des
pratiques de service qui s'y déroulent.
La domotique étant dans une phase d'offre, il faut remonter en aval de l'innovation, au
niveau des acteurs qui structurent le jeu urbain, et plus spécialement celui de l'habitat, pour
comprendre les chances de développement de la domotique, c'est-à-dire le jeu de
contraintes dans lequel elle s'insère.
En effet, si la domotique ne s'intègre dans aucun jeu social, que ce soit celui de
l'architecture et des techniques de fabrication du logement, celui de l'énergie, ou celui de la
12
- Ce type d'approche, qui analyse le lien entre l'offre et la demande comme un ensemble d'interactions, a été utilisé, dés 1986, par F. Dupuy et J.C. Thoenig dans La loi du marché, l'Harmattan, Paris, 1986.
sécurité et des assurances, ou encore celui des services à domicile liés aux activités
domestiques du quotidien et aux formes diverses de la télécommunication, si donc la
domotique n'est poussée par aucune des institutions qui sont liées à ces différentes
activités, on voit mal comment elle pourrait connaître un réel développement.
L'objectif est donc, dans cette partie, de saisir la façon dont s'intègre un lotissement
domotique dans une dynamique urbaine plus générale. La description de cette
dynamique urbaine part d'un point de vue, celui des représentations que les décideurs
urbains, au niveau municipal, se font de leurs objectifs et des indicateurs qu'ils se
construisent pour arbitrer, puis apprécier le bon fonctionnement de leurs décisions. Elle est
enrichie par le point de vue de professionnels de l'habitat (promoteur, cabinet d'ingénierie,
architecte), de représentants d'entreprises, commerciale ou de maintenance, ainsi que du
point de vue d'EDF-GDF.
La domotique est en effet le révélateur de plusieurs batailles et compétitions autour de
différents marchés : le "marché de la gestion urbaine", le marché du logement, le marché
de l'énergie, et celui du bâtiment et des services connexes au secteur du BTP. Elle ne
constitue cependant pas pour tous les acteurs concernés, directement ou indirectement, un
enjeu de même importance.
1 - LES DECIDEURS URBAINS FACE A LA GESTION DE LA VIE DES QUARTIERS
La réflexion en matière d'aménagement urbain à Angers semble s'organiser, pour une
part, autour de la nécessité d'attirer et de fixer un certain type de population, considérée
comme génératrice de vie sociale mais aussi de revenus pour la ville.
La réflexion qui en découle met l'accent sur la notion "d'image" des quartiers qui
apparaît constituer un élément déterminant de la gestion des populations. Elle semble en
effet conditionner l'implantation des habitants et, par voie de conséquence, le
développement de la ville ou du moins de ses différentes entités que sont les quartiers.
Ainsi, autour de la gestion de "l'image" des quartiers d'Angers, différents impératifs
viennent s'imbriquer. Ils renvoient à la gestion des flux de population et aux outils
mobilisés par les décideurs publics pour tirer parti de ces flux.
Le premier impératif est d'attirer "les bonnes populations" ; le second relève de la
nécessité d'assurer une vie sociale dans les quartiers en réunissant les conditions
souhaitables à la création de flux de populations différentes ; le troisième renvoie aux
contraintes des "lobbies" de citoyens, qu'il s'agisse de commerçants préoccupés par la
pérennité de leurs activités, de parents ou de personnes âgées revendiquant des
aménagements, de l'Évêché sensible à toute décision d'implantation d'école, ou encore
d'habitants désireux de protéger la valeur de leur bâti. Même si c'est à la marge, en terme
de préoccupation pour les décideurs urbains, la création du lotissement domotique va
s'insérer dans cette dynamique.
a - Gérer les flux de population en jouant sur l'image des quartiers
Dans leur rôle de gestion urbaine, les décideurs publics angevins s'efforcent de
développer une politique urbanistique qui tienne compte de l'évolution des populations
qu'ils doivent administrer. Pour cela, ils mobilisent diverses sources d'information, qui
transitent par différents organismes (sociétés d'aménagement, ateliers d'urbanisme,
associations de quartier,...), et qui portent à la fois sur des données démographiques mais
aussi sur les enjeux de vie par rapport aux quartiers, aux espaces naturels, à l'état du parc
de logement et qui s'efforcent d'appréhender l'état de la demande en logement.
Sans entrer dans la genèse de la politique angevine, elle semble s'être, dans les années
80, préoccupée de reconquérir le centre-ville, avant de se tourner, dans les années 90, vers
les faubourgs. La reconquête du centre a donné lieu à des opérations de réhabilitation, de
rénovation, celle des faubourgs s'est notamment traduite par la construction d'ensembles
neufs. Le lotissement domotique s'installera à la frontière de la ZAC des faubourgs.
En aménageant les faubourgs, l'objectif est de stabiliser, dans une commune spécifique,
dans le cas présent Angers, une "bonne population", en terme de vie sociale et de source de
revenus pour la ville, c'est-à-dire, principalement pour les décideurs, des familles avec
enfants.
Mais la réalisation de cet objectif se heurte à une double mobilité de la population, qui
demande à la ville d'Angers de fournir un effort spécifique de "séduction" d'une population
en mouvement.
En effet, le recensement de 1982 avait fait apparaître une baisse de la population
d'Angers, concomitante à une migration des Angevins en direction des communes
limitrophes.
De plus, la municipalité doit faire face à une mobilité de la population jugée
"importante" : entre deux recensements, un tiers de la population de la ville change de
logement. Cette mobilité semble liée à différents phénomènes, notamment l'augmentation
du nombre d'étudiants (26 000 en 1994), celle des demandes de décohabitation des jeunes
désireux de quitter leurs parents, ainsi que celles du nombre des séparations familiales, du
fait des divorces.
Enfin, la municipalité doit tenir compte de la progression du nombre de personnes de
plus de soixante ans, population dont la gestion s'avère "délicate".
Les décideurs sont donc soumis à une contrainte globale de gestion de la "mixité", au
sens large, dans les différents quartiers de la ville. Il s'agit de maintenir un équilibre en
terme de population entre actifs et inactifs, entre étudiants, famille avec enfants et
personnes âgées, entre Français et population étrangère, entre populations "difficiles" et
populations "sans problème".
Cette gestion a des répercussions directes sur l'offre en logement de la ville et se traduit
par ailleurs par une recherche d'équilibre entre les différents types d'habitat proposés :
collectif ou individuel, locatif ou en accession à la propriété, avec ou sans aide sociale. La
dominante de tel ou tel habitat contribue à la construction de l'image positive ou négative
d'un quartier. Or, "l'image", la "réputation" d'un quartier conditionnent la décision d'achat
d'un logement et de façon plus générale l'implantation de tel ou tel service. La "bonne
image" permet donc d'attirer une population qui dans le cas échéant se dirigerait vers
d'autres communes.
Le lotissement domotique étudié s'inscrit dans cette gestion urbaine globale. Si le
quartier d'accueil du lotissement ne semble pas au centre d'une problématique spécifique
d'aménagement urbain, il s'intègre dans celle de la ZAC limitrophe, elle-même partie
prenante de la stratégie de réaménagement des faubourgs.
La reconstitution simplifiée du processus de décision de création, puis d'aménagement
de cette ZAC est révélatrice des enjeux urbains auxquels se trouve confrontée une
municipalité. Élue sur une base de gauche, avec pour objectif une politique d'habitat
collectif, la municipalité a modifié sa stratégie de départ au regard des informations
transmises par les services d'urbanisme et d'aménagement. La zone d'implantation de la
ZAC bénéficiait ainsi d'une image fortement négative. Face aux dangers de voir sa
population migrer vers d'autres communes, la municipalité a infléchi le programme de
construction de logements à majorité collectifs de la ZAC vers de l'habitat individuel, afin
de revaloriser l'image du quartier. Le lotissement domotique à la marge de la ZAC
participe de cette politique d'image et de jeu par rapport au marché.
b - Les services comme enjeu de la "vie" d'un quartier
Pour "séduire" les populations, la gestion de la vie des quartiers constitue un élément
déterminant. Pour les décideurs urbains, gérer un quartier c'est permettre des échanges
sociaux et gérer des flux, que ce soit des flux de communication ou des flux financiers.
Cette gestion est la résultante de compromis avec des groupes de pression au titre
desquels les commerçants semblent particulièrement actifs, soucieux de bénéficier de
mouvements de population suffisants pour assurer leur pérennité. L'implantation de
services est donc au coeur de la gestion urbaine, une logique de "proximité" s'avérant
constituer une condition importante de la dynamisation du quartier.
Ainsi, tout lotissement entre dans le jeu des zones d'influence des centres commerciaux
et la "qualité" des services offerts par le quartier constituera aux yeux d'acquéreurs ou de
locataires potentiels un réel critère décisionnel. Dans le cas du lotissement domotique
analysé, ce critère est intervenu dans le processus d'acquisition des pavillons.
2 - LE MARCHE DU LOGEMENT : UN ESPACE ETROIT
Le discours des personnes ressources interviewées, parmi les décideurs urbains et les
professionnels du BTP de la région angevine, témoigne de l'évolution nationale du marché
du logement en milieu urbain13, qui, de façon schématique, peut être découpée en trois
grandes périodes : une phase de construction de logements neufs majoritairement sous
forme d'habitats collectifs (phase de 1955 à 1975) ; une phase de réhabilitation du cadre
bâti qui s'accompagne d'une chute de la construction de locatifs sociaux mais d'une
progression de l'habitat de type maison individuelle, essentiellement en zones périurbaines
(de 1975 au milieu des années 1980) ; une phase de déclin de la construction de maisons
individuelles et d'essor du marché du logement ancien (de 1985 à 1995).
A Angers, la demande de logements s'exprime sous forme d'habitats individuels, alors
que l'offre est plutôt à dominante de logements collectifs. Mais en même temps, cette
demande n'est pas solvable, d'où la forte demande de logements sociaux14, qui se dirige
notamment vers le locatif. Cette demande correspond à une population de jeunes qui ne
peuvent pas épargner, mais qui constituent un marché important pour les promoteurs
Angevins, du fait des 26 000 étudiants, et à certaines populations plus défavorisées.
Dans ces conditions de forte demande en logements locatifs, le marché angevin de
l'achat de logements apparaît relativement étroit. Il est confiné entre une population de
jeunes sans épargne, une population de personnes âgées déjà logée, et une population
intermédiaire relativement solvable mais qui se sent menacée dans son emploi. Le coeur de
cible que constituait la population de cadres et d'agents de maîtrise s'avère plus "frileux"
dans son processus d'accession à la propriété, du fait du sentiment d'insécurité lié aux
incertitudes de l'emploi.
Enfin, le marché du logement est d'autant plus étroit que la mobilité résidentielle n'est
pas non plus un marché libre. Les déterminants de la demande en logement ne se
13
- Pour une analyse de cette évolution, se reporter notamment à l'ouvrage Marché du logement et stratégies
résidentielles : une approche de géographie sociale, textes présentés par M-H Le Goascoz et F. Madoré, L'Harmattan, Paris, 1993, et plus particulièrement l'article de F. Madoré, "La question du logement : d'une économie de production à la gestion des stocks". Pour une analyse de la politique publique du logement et du cadre institutionnel qui "contrôle" le marché du logement, se reporter à l'article de P. Bourdieu et R. Christin, "La construction du marché : le champ administratif et la production de la 'politique du logement'", Actes de la recherche, n°81/82, mars 1990. 14
- La "demande" est ici entendue comme le fruit d'un ajustement entre l'habitat idéalement souhaité et l'habitat effectivement recherché par les individus ; il s'agit donc d'une demande formulée sous contrainte.
limitent pas à des éléments d'ordre strictement économique mais renvoient à bien d'autres
facteurs. Les résultats des recherches menées dans le domaine du logement et sur la
trajectoire résidentielle ont en effet souligné l'importance des caractéristiques sociales des
individus, de leur histoire familiale, de leur statut professionnel, dans les projets et les
statuts résidentiels15.
Aussi, le choix d'un logement dans un lotissement domotique est à appréhender non
seulement au regard des avantages techniques du bâti mais aussi à la lumière d'invariants
qui structurent les choix en matière de statut résidentiel et de type d'habitat. La
localisation du logement s'avère un élément déterminant, dans la mesure où "la
répartition spatiale des acquéreurs au sein d'une agglomération est en partie fonction de
pratiques sociales et culturelles différentielles, de représentations et de valeurs attachées à
un quartier"16.
3 - LA PLACE DE LA DOMOTIQUE DANS LE MARCHE DU LOGEMENT : UN
PLACEMENT A TERME POUR LES OPERATEURS
Si la gestion urbaine et le marché du logement structurent l'espace dans lequel vient
s'insérer la domotique, cette technologie est par ailleurs investie par différents acteurs à
l'affût de nouveaux marchés.
Il semble en fait que l'existence de la domotique et sa diffusion découlent, pour le
moment, de paris sur l'avenir formulés par un certain nombre d'acteurs professionnels,
privés ou institutionnels. La perception des professionnels présents autour de la domotique
vient renforcer l'hypothèse d'une diffusion par l'offre de cette innovation.
Le premier opérateur intéressé est EDF-GDF. La domotique s'inscrit dans son champ
d'activité dans la mesure où certaines de ses applications relèvent du domaine du chauffage
et de l'éclairage. Confronté à un contexte de "déréglementation" du marché de l'énergie et
soucieux de conserver la place de "ses" énergies sur le marché des énergies, EDF-GDF
développe un certain nombre de réflexions portant sur la fidélisation de ses clients.
15
- Les modèles explicatifs du choix des individus en matière de logement renvoient notamment aux "principaux facteurs déterminants de la demande en logement : le capital économique, le capital culturel, le capital technique, la structure et la composition de l'ensemble du capital, la trajectoire sociale, l'âge, le statut matrimonial, la position dans le cycle de vie familial, le nombre d'enfants", cf. l'article de P. Bourdieu et M. de Saint Martin, "Le sens de la propriété : la genèse sociale des systèmes de préférences", in Actes de la recherche, n°81/82, mars 1990. De plus, le choix du logement, du statut d'occupation, de sa localisation, du type d'habitat fait aussi intervenir les "effets de transmission entre générations, les effets d'alliance entre lignées, (...) des logiques familiales, professionnelles", analyse développée dans "Le logement, une affaire de famille", C. Bonvalet, A. Gotman (éd.), L'Harmattan, 1993. 16
- Cf. Marché du logement et stratégies résidentielles, textes présentés par M-H Le Goascoz et F. Madoré, L'Harmattan, Paris, 1993.
Elles sont orientées, notamment, vers la maîtrise de l'énergie et la diversification des
services. Pour EDF, cela consiste à fournir une offre qui s'appuie sur l'atout principal de
l'énergie électrique, sa souplesse d'utilisation, qui permet de faire varier à volonté les
dépenses d'énergie suivant les pièces de la maison, les saisons ou les heures de la journée.
Pour GDF, cela consiste à trouver des formes de financement de ce qui constitue son
principal handicap, le coût élevé des installations de chauffage au gaz.
La domotique s'inscrit dans cette double préoccupation et apparaît fortement soutenue
par EDF-GDF. Elle semble cependant constituer un enjeu au sein même de cet établissement
entre ses deux composantes, EDF et GDF17, ou du moins s'intégrer dans des stratégies de
développement concurrentes.
Fort d'une expertise technique, fruit de travaux réalisés en interne, EDF-GDF s'efforce
notamment de diffuser une information auprès des principaux acteurs du secteur du BTP.
Dans sa stratégie de positionnement sur le marché de la domotique, EDF-GDF cherche donc
à mobiliser un réseau d'entreprises par le biais d'alliances plus ou moins formalisées, à
travers, notamment, la pratique des agréments. De même, la mobilisation du minitel dans
le cadre d'équipements domotiques relève apparemment d'une stratégie similaire
d'alliances.
De leur côté, constructeurs, sociétés de service et distributeurs considèrent la domotique
comme un marché potentiel relevant notamment du chauffage et de la sécurité-
alarme. Ainsi certains groupes privés se transforment en moteur du mouvement
"domotique" :"Le lobby BTP est très puissant. Merlin-Gérin, c'est un lobby domotique. Ils
vont continuer à se battre." (architecte).
Des acteurs a priori étrangers au BTP, domaine initial de diffusion de la domotique, se
mettent aussi sur les rangs :"Carrefour a essayé de se lancer. Ceux qui vendent de la
micro-informatique aussi. (...) Maintenant, on commence à trouver de la domotique en
grande surface de bricolage ; il y a du Tefal chez Castorama et même à la Fnac." (société
de distribution spécialisée en domotique & installateur).
La domotique suscite peu à peu des alliances entre les différents intervenants
indispensables à sa diffusion. Des filières de compétence se constituent autour de la
domotique, regroupant notamment les constructeurs et les réseaux de distribution grand
public, puis entre les distributeurs et les installateurs-artisans comme des électriciens ou
des "alarmistes".
17
- "Nous sommes EDF-GDF ; on veut qu'en tant que service public on soit le meilleur. Mais c'est deux entreprises différentes et deux politiques commerciales différentes." (agent EDF-GDF)
Le cas du lotissement étudié, le lotissement domotique de Brocéliande à Angers,
regroupe ainsi différents intervenants qui montrent comment se constitue les filières de
diffusion de la domotique dans l'habitat individuel. La première est celle des BTP, avec
des acteurs publics, - pour les certifications techniques -, GDF, les constructeurs, des
bureaux d'études, des architectes, des installateurs et des entreprises de maintenance. La
deuxième est celle de la grande distribution.
La première filière permet un transfert de connaissance des acteurs publics vers ceux du
privé, assurant ainsi la diffusion d'une connaissance de la domotique et permettant une
familiarisation avec cet univers technologique. Foires, expositions, sessions d'information
et de formation, sont ainsi l'occasion de sensibiliser et d'initier un certain nombre de
professionnels. Ces pratiques conduisent à terme à une banalisation de la domotique
auprès des professionnels prescripteurs.
La seconde filière semble moins intéressante pour les BTP, puisqu'elle n'amène que peu
de valeur ajoutée au bâti. Ce sont des appareils d'alarme ou de communication qui ne
demandent pas d'installation spécifique au moment de la construction. Par contre elle peut
devenir une filière de service entre les habitants et leur environnement urbain.
CHAPITRE II
LE POIDS DE LA DOMOTIQUE DANS LA DECISION
D'ACHAT D'UN LOGEMENT A BROCELIANDE
Le lotissement domotique étudié est implanté dans une zone qui apparaît à la fois
comme un espace en construction, au sens technique et social du terme, mais aussi
relativement hétérogène. Cet espace a une structure alvéolaire, où se côtoient différents
types d'habitations et de populations de façon relativement juxtaposée. Le lotissement
domotique s'intègre dans cet espace sans le modifier : il vient constituer une nouvelle
alvéole. Cette nouvelle alvéole, dans le cas présent, va contribuer à la construction positive
de l'image du quartier.
Le lotissement domotique est une entité récente, socialement et architecturalement
différenciée, fruit d'une logique de valorisation immobilière : la domotique est apparue
comme un outil intéressant de rentabilisation d'une opération positionnée "haut de
gamme". Cependant, si l'équipement domotique du lotissement a pu représenter un des
arguments commerciaux particulièrement mis en avant par le promoteur, il ne constitue
pas un argument décisif dans les choix formulés par les acquéreurs. La décision
d'installation dans le lotissement domotique apparaît liée à des facteurs d'un autre ordre,
relevant plus de la localisation, du cadre bâti et du rapport qualité/prix.
1 - LA ZONE DE BROCELIANDE : UN DEVELOPPEMENT EN ALVEOLES, A L'IMAGE
GLOBALEMENT POSITIVE
La zone d'implantation du lotissement domotique est une zone en pleine mutation,
touchée par le développement urbain récent de la ville d'Angers, notamment la politique de
redynamisation des faubourgs.
A l'origine, cette zone regroupait des exploitations horticoles avec un habitat constitué
principalement de maisons individuelles, datant du début du siècle. Dans les années
soixante-dix, la zone a connu un nouvel essor avec l'installation d'un petit centre
commercial et le développement de lotissements. Cet essor a conduit à la cohabitation, sur
un même espace, de différents types d'habitats.
Aujourd'hui, cinq groupes d'habitations sont identifiables : des maisons individuelles,
du début du siècle, qui constituent la première trame d'urbanisation de cette zone et qui se
trouvent actuellement disséminées dans le quartier ; des résidences de standing, les
résidences que nous appellerons "Himalaya" et "Mont-Blanc", datant des années soixante-
dix ; des bâtiments correspondant à des HLM de deux époques différentes, une barre de
HLM que l'on a nommée "le Puy de Dôme", construction d'une vingtaine d'années rénovée
récemment, et un ensemble de bâtiments nouveaux que l'on a nommés "les Andes" ; une
"cité d'urgence" composée de maisons individuelles ; et enfin, le lotissement domotique,
ensemble de vingt-cinq maisons individuelles construites au début des années quatre-vingt-
dix.
Ainsi, peu à peu, le développement de cette zone se poursuit. Depuis une vingtaine
d'années, des habitations ont été construites et continuent à se construire, des axes routiers
ont été réalisés. Ils découpent et structurent ce qui était, naguère, la "campagne". Ainsi, cet
espace prend forme ou plus exactement "des formes" dans la mesure où aucune unité
architecturale ne prédomine. La zone environnant le lotissement domotique se compose
donc d'îlots contrastés, parfois physiquement séparés par des voies de communication,
dont certaines sont relativement fréquentées.
La zone étudiée est non seulement en construction du point de vue matériel mais aussi
social. L'espace que constitue l'environnement immédiat des habitations situées autour du
lotissement domotique est un espace aux contours flous, qui ne semble pas avoir une
réalité sociale et dont la définition spatiale n'est pas clairement repérée. Les habitants ne
perçoivent pas cet espace comme un quartier au sens traditionnel du terme, avec
notamment toute la dimension affective qui lui est souvent associée18. La délimitation du
quartier varie en fonction des habitants et de leur "histoire" dans le quartier. Cette
"histoire" fait par ailleurs souvent défaut, une partie de la population n'étant arrivée que
récemment sur ce site.
Pour certains, ce sont les quartiers périphériques qui permettent la délimitation. La non-
appartenance à ces quartiers devient, en négatif, indicateur d'appartenance à un espace
distinct. Les quartiers limitrophes constituent fréquemment des points de repère. Plus
anciens et bénéficiant apparemment d'une identité relativement définie dans l'esprit des
interviewés, ils permettent de situer la zone étudiée comme une zone intermédiaire, entre
des centres plus nettement définis. D'autres personnes identifient l'espace du "quartier" à
partir des ruptures physiques que sont les axes de circulation. Il s'agit souvent de personnes
à mobilité réduite, pour qui les axes routiers fonctionnent aussi comme des "frontières". La
construction d'axes de circulation et notamment de voies rapides a un impact certain sur le
18 - A ce sujet, se reporter au travail de Kaj Noschis sur la Signification affective du quartier, Libraires des
Méridiens, Paris, 1984, qui analyse notamment le lien existant entre cadre bâti et appropriation de l'espace.
quartier, et suscite chez certains habitants un sentiment d'enclavement. La difficulté à
identifier la zone d'implantation de leur logement comme un quartier clairement défini se
retrouve par ailleurs dans la difficulté de certains à nommer cet espace.
L'hétérogénéité des habitations, et, de fait, des populations implantées sur cet espace,
accentue la difficulté des habitants à appréhender cette zone comme une entité clairement
définie, d'autant que les interactions entre les populations des différents groupes de
logements sont très faibles.
Populations en situation de précarité, ouvriers, classes moyennes et supérieures,
Français de souche et immigrés, propriétaires et locataires, différentes catégories
cohabitent, sans créer de relations sociales stables. Chaque type d'habitat et de population
se trouve isolé dans un îlot différent, séparé des autres par de nombreuses "barrières" :
différence architecturale du logement, véhicule par ailleurs de différenciation sociale, mais
aussi séparation physique par le biais notamment des grands axes routiers. Cette séparation
"physique" est de plus accentuée par la configuration de certains groupes d'habitations : les
résidences de standing, Himalaya et Mont Blanc, sont refermées sur elles-mêmes,
organisées autour d'un espace vert central, le lotissement domotique est isolé par un mur
qui l'encercle, la cité d'urgence semble "cachée", invisible, à l'écart des grandes voies de
circulation.
Le quartier semble se définir "en creux" par ses limites extérieures, ses grandes
avenues. Il exprime plus une unité fonctionnelle qu'une unité sociale. C'est un espace qui
s'organise aussi en fonction des itinéraires utilitaires liés aux services. Ainsi, le lotissement
domotique entre dans la dynamique de développement d'un micro-ensemble urbain dont
l'unité ne paraît pas évidente pour les usagers19.
La perception du développement du quartier varie en fonction des habitants. Au coeur
de cette perception nous retrouvons, comme pour les décideurs urbains, la notion
"d'image" du quartier, pour certains positive, pour d'autres menacée.
Pour les commerçants, le développement urbain a plutôt un impact positif sur le quartier
dans la mesure où il signifie une augmentation de la population. De même, pour certains
habitants, ce développement est synonyme de plus grande commodité du fait de
l'augmentation des activités et des services.
Pour d'autres, notamment les plus anciens habitants de cette zone, la dynamique
urbaine actuelle est de l'ordre de la perturbation. Il s'agit de perturbations "sonores",
avec l'augmentation de la circulation. Il s'agit aussi de perturbation "anticipée" en terme
d'insécurité et de "dévalorisation" du quartier. La construction de HLM, l'arrivée de
populations d'origines variées, le mode d'accession au logement ne font pas l'unanimité.
L'hétérogénéisation apparemment tardive du quartier en terme social inquiète certains
19 - Ce manque de perception d'une unité n'est pas forcément perçu comme négatif. C'est un constat.
habitants, souvent les plus anciens sur le site et notamment ceux des résidences Himalaya
et Mont-Blanc. La mixité des populations suscite en effet des réactions variées, qui ne sont
pas toutes défensives mais qui soulignent malgré tout une sorte de perte de "standing" du
quartier. Dans ce processus d'évolution du quartier et de son image, le lotissement
domotique, perçu comme un habitat de "standing", participe de la "bonne image" du
quartier. Le rythme "satisfaisant" des ventes aux yeux du promoteur des maisons
domotiques peut en partie en témoigner.
Finalement, tout se passe comme si l'image du quartier s'était composée suivant un
processus d'agrégations de différentes alvéoles, les unes positives, les autres négatives,
l'image globale basculant vers le positif aujourd'hui.
2 - LE PROJET DE LOTISSEMENT DOMOTIQUE
La conception du projet de lotissement n'incluait pas initialement de volet domotique.
Réalisée dans un contexte de concurrence entre promoteurs, mais de marché déprimé,
l'acquisition du terrain a en fait été effectuée dans l'optique de construire une résidence
pour personnes âgées, mais qui n'a pas eu de suite.
Puis le projet a évolué vers de l'habitat individuel. Ce repositionnement a été basé
sur la connaissance plus ou moins formelle que le constructeur avait de la demande. La
perception du constructeur était celle de l'existence d'une demande en logements20, et
plutôt en logements individuels.
Ce repositionnement répond cependant à une contrainte forte de "rentabilisation" du
prix d'achat du terrain. Deux éléments, la proximité du centre-ville et la facilité d'accès
aux services, expliquent en partie le coût élevé du terrain. Ils ont conditionné, pour une
grande part, le positionnement "haut de gamme" du projet.
Le choix de ce positionnement n'est pas sans risque. Il inscrit en effet le bâti dans un jeu
de concurrence plus incertain, sur la partie la plus étroite du marché, l'enjeu étant de se
démarquer de l'offre en logements et notamment des habitations de "standing"
avoisinantes. L'option domotique a généré un surcoût financier de l'ordre de 10 000 à 35
000 francs par maison, suivant les sources. Le caractère "risqué" de cette décision apparaît
d'autant plus fort que le coût des logements se situait déjà à environ 120 000 francs au-
dessus de la moyenne du marché local, du fait du prix du terrain.
La domotique va jouer ce rôle de différenciation du produit et de valorisation du
bâti. Elle ne découle cependant pas d'une démarche "spontanée" du constructeur. Elle a été
20 - "Dans l'Ouest, il y a une forte démographie et un fort besoin en logements. Dans l'Ouest, avoir son
logement, c'est une finalité." (promoteur)
suscitée par l'antenne GDF de Rennes. Elle relève du "superflu" et ne prend sens que dans
une logique de recherche de différenciation d'un produit "haut de gamme". Si cette option
comportait un "risque", elle offrait par ailleurs un atout, la subvention de GDF, qui ramenait
le coût du logement à un prix plus acceptable pour le marché.
L'adoption des équipements domotiques découle donc de la conjonction de deux
éléments favorables : la démarche de promotion d'un "incitateur institutionnel", GDF, et le
contexte fortement concurrentiel d'un marché, celui du logement individuel de standing.
3 - LES HABITANTS DU LOTISSEMENT DOMOTIQUE
Les contraintes financières qui ont pesé sur le promoteur et le positionnement choisi,
situent les maisons du lotissement domotique étudié dans la gamme des produits chers,
entre 780 000 et 820 000 francs, alors qu'à Angers "60 % de la population ne gagne que le
SMIC." Ces logements s'adressent donc à une population relativement aisée. La
population du lotissement regroupe en effet des personnes qui appartiennent aux classes
supérieures ou moyennes.
Avant d'habiter le lotissement, la plupart des ménages que nous avons rencontrés
habitaient Angers,- le centre-ville, un autre quartier ou le quartier du lotissement -, ou les
communes environnantes, depuis les communes limitrophes de la ville jusqu'aux villages
distants de vingt ou trente kilomètres. Parmi ces ménages, tous n'ont pas forcément eu un
itinéraire résidentiel sédentaire sur la région : plusieurs, avant leur précédent habitat sur
Angers, ont déménagé à de nombreuses reprises, en France et à l'étranger. Pour les autres
ménages qui n'arrivent pas d'Angers ou de ses environs, les uns viennent de Nantes, et les
autres d'une autre région de province.
Les raisons du déménagement, relativement diverses, sont malgré tout liées à des
évolutions structurelles du cycle de vie dans la situation du ménage. Nous pouvons
repérer trois grandes évolutions à l'origine de la mobilité résidentielle des habitants du
lotissement.
La première est l'arrivée de la retraite. Plusieurs des ménages rencontrés sont retraités,
et c'est le changement de mode de vie lié à l'arrêt de l'activité professionnelle, ainsi que
l'anticipation d'un éventuel affaiblissement des capacités physiques lié à l'âge qui ont
été à l'origine de la décision de déménager.
Ainsi un couple retraité, auparavant propriétaire d'une maison dans une commune
limitrophe, l'a revendue pour acheter dans le lotissement une maison plus fonctionnelle
avec un terrain plus petit, qui demande moins d'entretien. Ces qualités sont d'autant plus
requises aujourd'hui que ces personnes possèdent parallèlement une maison de campagne
qu'elles occupent de plus en plus souvent du fait de leur plus grande disponibilité. Un autre
couple choisit de revenir sur Angers, région d'origine de la femme, à partir du moment où
l'homme se libère des contraintes professionnelles en prenant sa retraite. Certains des
ménages entrant en situation de retraite étaient déjà auparavant propriétaires de leur
habitation. Mais pour d'autres, ce changement de situation est le moment où le couple
quitte la location et choisit d'investir financièrement dans une maison neuve.
La deuxième est liée à une évolution structurelle de la famille, qui s'articule
éventuellement avec l'étape de l'investissement en propriété. Ainsi par exemple, dans
un cas c'est l'arrivée d'un troisième enfant qui rend le logement précédent trop étroit, et
cette étape concorde avec le moment où le couple, auparavant locataire de son logement, a
suffisamment capitalisé pour investir et devenir propriétaire de son habitation.
Dans d'autres cas, le couple est déjà propriétaire d'une maison aux environs d'Angers,
mais l'arrivée des enfants en âge de scolarisation, et leur demande croissante en terme de
services,- sportifs et de loisirs notamment -, conduisent les parents à revendre pour
réinvestir dans une maison plus près de la ville. C'est alors la nécessité que les enfants
aient une plus grande autonomie en matière d'accessibilité aux différents services qui
suscite la décision de déménager.
Enfin c'est parfois la décision de devenir propriétaire qui prévaut dans le choix de
déménager, plus qu'un réel changement au sein de la famille.
La troisième évolution est liée au changement du lieu de travail de l'homme. Cette
origine de la mobilité résidentielle est donnée par des ménages propriétaires, et par des
ménages en location dans le lotissement. Dans le cas des personnes en location, le choix
est moins réfléchi et les exigences par rapport au logement moins fortes, dans la mesure où
louer est moins impliquant qu'acheter.
Les ménages propriétaires ont été confrontés à une double contrainte : à la fois la
nécessité de trouver un logement à Angers du fait de la mutation de l'époux dans la région
mais aussi du fait de la difficulté à trouver un logement en location pour une famille
nombreuse.
Les trois principaux critères qui président au choix du logement pour les interviewés
sont d'une part la localisation, d'autre part le cadre bâti, et enfin le rapport qualité/prix
de l'habitation. Localisation et qualité du bâti sont deux critères en général étroitement
articulés, puisque c'est la possibilité de disposer d'une maison neuve, avec un jardin, à
proximité du centre-ville qui fait l'intérêt majeur du lotissement aux yeux des ménages
rencontrés.
Le premier critère est la localisation de la maison. Pour certains couples c'est le
critère déterminant. Pour d'autres, la situation du lotissement en milieu urbain a constitué
un premier facteur de décision. De fait, pour l'ensemble des interviewés, le lotissement a
été choisi pour sa proximité avec le centre-ville, proximité considérée aussi bien en terme
de distance géographique que de facilité d'accès autorisée par la desserte par bus. La
qualité du réseau de transports publics et sa commodité est en effet un critère de
décision fréquemment cité. Cette proximité est appréciée parce qu'elle permet de bénéficier
des avantages de la ville en terme de services et d'animation, tout en évitant les
inconvénients liés au bruit et à la circulation automobile21. Les interviewés apprécient ainsi
le caractère calme, tranquille et aéré du quartier.
La notion de proximité renvoie non seulement à la localisation du lotissement par
rapport au centre-ville mais aussi par rapport au lieu de travail. Certains ménages,
ceux qui sont locataires notamment, ont choisi ce quartier essentiellement sur la base de la
praticité par rapport au lieu de travail. Pour d'autres ménages, la proximité se décline sur
un registre plutôt affectif. Pour eux, le quartier a été choisi sur des critères plus
personnalisés, notamment parce qu'ils ont de la famille ou des proches, installés dans le
quartier même ou dans le secteur environnant. Comme nous l'avons déjà souligné, les
trajectoires résidentielles sont en effet rarement neutres : l'héritage familial influe
notamment sur les statuts résidentiels et la localisation des ménages22.
Le second critère de choix du logement renvoie aux caractéristiques du bâti. Nous
pouvons distinguer trois ordres d'arguments dans le discours des interviewés liés soit à
l'espace privé qu'il s'agisse de la maison proprement dite ou du jardin, soit à l'espace semi-
privé du lotissement.
La décision d'achat d'une maison suppose un premier arbitrage portant sur le type de
logement, maison individuelle ou appartement. Certains ménages étaient déterminés à
acquérir une maison plutôt qu'un appartement. La maison est ainsi perçue comme un
logement offrant plus d'espace et plus commode pour une famille avec enfants. Pour
ces ménages, la distinction qui prédomine entre maison et appartement, renvoie à la
présence d'un jardin, élément fondamental du choix du logement. Le jardin renvoie
notamment au sentiment d'espace déjà souligné, il est envisagé comme une extension
possible de la maison. Pour ces ménages, le jardin est indissociable de la conception des
attributs d'un logement agréable. Il fait partie de l'imaginaire de la "maison idéale" et
dans le cas présent a l'avantage de ne pas demander trop d'entretien vue sa taille restreinte.
21 - Cependant, le chapitre III du rapport d'enquête, montre que ceci est en partie de l'ordre de l'imaginaire et
que le moyen de transport privilégié reste la voiture.
22 - Les travaux présentés sous le titre Le logement : une affaire de famille abordent, dans le détail, cet aspect
de la position résidentielle des ménages, (Haumont N., Ségaud M. (éd.), 1989).
Par ailleurs, la sensation d'espace que procure un logement du type "maison" est pour
certains associée à une plus grande autonomie. D'autres jugent la maison comme plus
pratique qu'un appartement, moins contraignante, du fait qu'il n'y ait pas d'étage pour
monter les courses par exemple.
Le second arbitrage pose le choix de "l'ancien" ou du "neuf". La préférence pour le
neuf s'inscrit parfois dans une logique d'accession à la propriété non plus comme une
sédentarisation définitive mais comme une opération immobilière. Cet élément est sans
doute particulièrement pertinent aux yeux des propriétaires qui ont acheté ce logement, non
pas pour y habiter, mais pour le louer. Sur les vingt-cinq maisons du lotissement, onze sont
en effet en location.
Le troisième arbitrage porte sur la qualité du bâti. L'architecture de la maison
apparaît comme un élément influent dans la décision. Les interviewés ont trouvé ses
volumes agréables, et apprécié sa clarté. Outre la luminosité qu'elle offre, l'orientation de
la maison est jugée positivement pour l'intimité qu'elle permet de protéger. Par ailleurs, la
maison a été appréciée pour son caractère fonctionnel et facile d'entretien. Ces qualités
sont particulièrement influentes aux yeux des interviewés retraités, qui prévoient le jour où
ils seront peut-être affaiblis physiquement, ainsi qu'aux yeux des mères de famille
nombreuses, soucieuses de limiter le poids des tâches domestiques. Finalement, les
habitations du lotissement associent l'intérêt d'une maison (garage, jardin privatif, de plain-
pied) à ceux d'un appartement (fonctionnalité). Enfin, le chauffage, au gaz et par le sol au
rez-de-chaussée, a été un élément influent dans le choix de la maison.
La plupart des ménages rencontrés apprécient l'organisation spatiale du lotissement.
Le mur qui l'entoure ne fait pas réellement l'objet de critique de la part des habitants du
lotissement. Seule une personne déplore sa présence. Elle ne remet cependant pas sa
fonction de "clôture" et de "protection" en cause mais estime que ce mur "fait un peu
bunker" et déclare qu'elle aurait préféré des haies.
Enfin, le troisième groupe de facteurs qui influent dans la décision d'acquisition d'un
pavillon du lotissement est l'appréciation du rapport entre qualité du bâti et prix de vente.
Ce rapport est toujours établi à partir d'une comparaison avec d'autres offres. Suivant les
interviewés, il peut être envisagé de trois points de vue différents : soit les personnes
estiment avoir visité des maisons de meilleure qualité mais plus chères ; soit elles estiment
avoir visité des maisons de moins bonne qualité et néanmoins plus chères ; soit elles
estiment avoir visité des maisons moins chères, mais de moins bonne qualité. Dans ce cas,
la qualité rejoint le critère de facilité d'entretien et de fonctionnalité. Enfin pour certains, la
notoriété du promoteur constitue un signe de la qualité de la construction.
4 - LA DOMOTIQUE : UN FACTEUR MARGINAL
La présence des équipements domotiques n'est pas spontanément citée parmi les critères
qui ont joué dans la décision d'acquisition ou de location du pavillon. Le degré d'influence
de la domotique dans le choix de la maison apparaît relativement marginal mais varie
cependant selon les personnes.
Pour quelques interviewés, la domotique a constitué un critère positif dans le processus
d'évaluation du logement : "La domotique, ça a contribué également (au choix). Ça facilite
la vie de tous les jours, le ménage," ou "Mon mari a vu cette résidence et il a absolument
voulu la domotique. Ça lui a plu."
D'autres, au contraire, affirment qu'elle n'a eu aucune influence positive : "On a essayé
de s'informer quand on a vu ce que c'était : en fait, on peut très bien vivre sans domotique,
ça n'apporte rien..." ou "La domotique ça ne correspondait pas à un besoin. Il y avait
énormément d'options domotiques, mais on n'était pas obligé de les prendre."
Néanmoins, il semble que dans la plupart des cas, la domotique, même si elle ne
représente rien de précis en elle-même, intervient dans le processus de décision des
habitants. Son influence se situe à deux niveaux : d'une part elle peut constituer un signe
déclencheur de l'intérêt pour le pavillon, d'autre part elle constitue un signe de la
qualité de la construction, et attire par son caractère novateur.
Finalement, les critères de choix du logement sont révélateurs d'une partie des
contraintes qui organisent la gestion de la vie quotidienne domestique, et que chacun a
implicitement intériorisées. Choisir un logement, c'est aussi tenter de minimiser les
coûts humains liés à sa gestion : diminuer la pénibilité et dépenser moins d'énergie
humaine, avoir plus d'espace pour diminuer les tensions familiales, mais aussi trouver un
plaisir esthétique, suivant un "bon rapport" qualité/prix. Dans cette enquête, la domotique
n'est pas explicitement mise en lien avec ces contraintes. Elle joue plus une fonction dans
l'imaginaire, comme signe de réassurance sur la qualité de la maison.
CHAPITRE III
LA DOMOTIQUE EN PRATIQUE
1 - L'EQUIPEMENT DES LOGEMENTS DU LOTISSEMENT DOMOTIQUE
L'équipement des logements se constitue principalement d'un chauffage au gaz et d'un
certain nombre d'équipements regroupés sous le terme de "système domotique
modulaire"23.
L'offre de base comporte un système de régulation du chauffage et de l'eau sanitaire
à partir d'une centrale de programmation et de régulation24. Ce système permet de
réguler deux zones de chauffage : le rez-de-chaussée qui bénéficie d'un chauffage par le
sol et l'étage qui est équipé de radiateurs. Quatre modes de réglage sont possibles :
confort, économique, hors gel et une possibilité de programmation permettant de
différencier les températures en fonction des pièces et des plages de temps.
Ce système de programmation, grâce à un modem, peut être commandé à distance par
minitel. Les maisons sont également équipées de volets roulants motorisés, également
commandables à distance, et d'un système d'aspiration centralisé. Les pavillons par
ailleurs ont été précâblés pour permettre l'installation de quatre options. L'ensemble de ces
équipements, que certains qualifient "d'équipement domotique obligatoire", aurait
représenté, d'après les usagers, 35 000 francs du prix global de vente de la maison.
Les habitants peuvent donc compléter ce système de base par l'ajout d'un module de
sécurité pour l'alarme anti-intrusion et la détection des fuites d'eau, de gaz et d'incendie ;
d'un système d'arrosage automatique du jardin ; d'un système d'ouverture automatique de la
porte du garage.
Selon les interviewés, le coût de ces modules optionnels s'élève à 40 000 francs, soit un
total de 75 000 francs pour l'ensemble des équipements proposés.
L'installation des pavillons permet par ailleurs le téléreport pour le gaz, l'eau et
l'électricité. Un relevé simultané des compteurs est donc possible à partir d'un seul point du
lotissement accessible en permanence, et sans avoir à pénétrer à l'intérieur du domicile.
23 - Terminologie de l'installateur.
24 - Il s'agit de l'équipement Kiterm de la société Satel.
L'installation et la mise en service des équipements n'ont pas posé de problèmes
majeurs. Les équipements les plus "complexes" semblent être le chauffage et la centrale de
régulation. Deux sociétés distinctes sont intervenues pour l'installation et la mise en service
de ces équipements. Une société s'est chargée de l'installation du chauffage et de la
centrale de programmation. Une seconde est intervenue pour leur mise en service et
s'occupe donc de la maintenance de ces équipements. L'opération de mise en service du
système de chauffage et d'eau chaude ne semble pas avoir posé de difficultés.
Cependant, la compétence "domotique" sur laquelle elle repose a nécessité un temps
d'apprentissage de la part de la société de maintenance. Cet apprentissage, dans un premier
temps, s'est fait à partir d'expériences dans le domaine du logement collectif et a été
complété par des formations ponctuelles. La mise en service correspond principalement au
réglage de la centrale de régulation.
2 - L'EVALUATION DES EQUIPEMENTS EXISTANTS
Mis en contact avec une offre domotique, les habitants du lotissement Brocéliande
apprécient les options de base, sans pour autant témoigner d'un enthousiasme débordant.
Le chauffage est perçu comme l'élément principal d'application de la domotique dans le
pavillon. Les volets roulants et l'aspiration centralisée font aussi partie de l'offre. Quant à la
possibilité de commander les équipements à distance, elle n'est quasiment pas utilisée et
les pratiques de programmation restent faibles et cantonnées à l'utilisation du chauffage.
Les pratiques existantes relatives au chauffage s'organisent autour des fonctions de
régulation de la température et de programmation des cycles de chauffage. Ces
pratiques s'avèrent peu fréquentes et semblent nécessiter un certain temps d'apprentissage.
Le chauffage est donc programmable en fonction des plages horaires et des pièces, et une
sonde assure une régulation en fonction de la température extérieure.
Les pratiques de programmation se font en fonction de l'emploi du temps des ménages
et de leur rythme de vie. L'objectif est de faire varier automatiquement la température, en
fonction de la présence/absence des membres du foyer dans les différentes pièces de la
maison et de la distinction jour/nuit. La programmation est aussi mobilisée pour gérer le
chauffage en cas d'absence. Dans ce cas, une modulation entre l'étage et le rez-de-chaussée
est parfois opérée. Dans le cas de programmation pour cause d'absence prolongée du
domicile, l'inertie du système de chauffage par le sol apparaît comme un des éléments pris
en compte pour "penser" la programmation au même titre que les temps d'occupation du
logement et le rythme de vie des ménages.
Le recours à la fonction programmation du chauffage reste très variable suivant les
interviewés. Certains ménages n'utilisent pas cette fonction. Dans un premier cas, le
réglage du chauffage effectué par la société d'installation lors de l'arrivée du ménage dans
la maison les satisfait, et les interviewés n'ont jamais ressenti le besoin de le modifier. Ils
se contentent donc éventuellement de régler manuellement les radiateurs de l'étage, mais
ne manipulent pas la centrale de programmation située dans le garage.
Dans un second cas, les interviewés expliquent qu'ils n'utilisent pas la programmation
parce qu'ils ne sont pas convaincus de la pertinence d'un tel système notamment du
fait de l'inertie du chauffage au sol qui rend l'opération plus contraignante que
pratique.
D'autres, et notamment les femmes rencontrées, associent la programmation à une
pratique délicate. Elles ne s'y intéressent pas, ou du moins la délèguent à leur conjoint. Il
semble en effet que, dans le lotissement, la programmation du chauffage soit une tâche
plutôt masculine.
La faiblesse d'utilisation de la programmation par les femmes rencontrées dépend
cependant du rythme de vie professionnelle du conjoint et de la fréquence de ses absences
du domicile conjugal. Un apprentissage de la programmation se fait en effet sous
contrainte, lorsque le conjoint est peu présent et notamment s'absente pour des
périodes plus ou moins longues. L'apprentissage sous contrainte de la programmation est
un des grands principes de base que nous retrouvons tout au long de l'enquête. Cette
contrainte est liée à l'impossibilité de déléguer du fait de l'absence de "l'autre expert
domestique".
Certaines femmes contournent malgré tout la nécessité d'apprendre à programmer soit
en arguant de l'inutilité d'avoir à modifier la programmation, soit en se reposant sur la
compétence d'autres hommes, et notamment de leurs voisins.
Les pratiques d'utilisation de la programmation varient d'autre part en fonction de la
familiarité que les individus ont avec leur équipement. Certains interviewés soulignent la
difficulté d'utilisation et un certain temps d'apprentissage apparaît nécessaire.
L'apprentissage du système peut passer par une "appropriation" des informations
contenues dans le manuel d'utilisation. Mais la notice explicative est jugée obscure et sa
compréhension ne semble pas immédiate. Elle semble davantage s'adresser à des "initiés"
qu'à des profanes, la formulation des explications est perçue comme inadaptée aux
utilisateurs, qui rédigent parfois "leur" propre mode d'emploi. L'apprentissage peut aussi
passer par un recours à des personnes extérieures au ménage, les techniciens de l'entreprise
qui a réalisé l'installation du système ou les voisins.
La compréhension, la maîtrise du système de chauffage se fait donc selon les individus
de façon autonome avec le manuel d'explication, ou de façon assistée avec l'intervention
d'un technicien, d'un voisin, ou des deux. Il semble que ce soit essentiellement des hommes
qui font appel aux personnes extérieures et qu'à travers cette demande d'aide se développe
un certain lien social, mais sur un mode ponctuel.
L'ensemble des personnes interviewées se déclarent satisfaites par le système de
chauffage installé dans leur maison qu'elles considèrent comme un élément de "confort".
Le système de chauffage par le sol existant au rez-de-chaussée est ainsi plébiscité. Le
chauffage par le sol constitue une source de satisfaction d'autant plus grande que les
interviewés ont expérimenté auparavant d'autres modes de chauffage. Leur principal critère
de satisfaction est la qualité de la régulation de la température et l'absence de
variation. L'obtention d'une température constante est attribuée à la fois au mode de
diffusion de la chaleur et au caractère programmable du chauffage. Les interviewés
apprécient la souplesse du système de chauffage qui permet une régulation manuelle de
chaque radiateur. "Dans les chambres, on a la possibilité de fermer les radiateurs. Si j'aère
une pièce le matin, j'éteins le radiateur" 25.
La qualité du chauffage obtenue, son mode de diffusion, sa régularité mais aussi la
maîtrise que permettent les accessoires de programmation (centrale et thermostats
individuels) et l'utilisation du gaz, énergie jugée moins onéreuse que l'électricité, semblent
amoindrir les inquiétudes classiques des ménages à l'égard du coût du
chauffage. Cependant l'argument économique souvent mis en avant par les constructeurs
pour promouvoir les systèmes de programmation et de régulation du chauffage n'est pas
évoqué de façon spontanée par les ménages rencontrés. Interviewés sur le coût de leur
chauffage, ils témoignent d'une certaine hésitation quant à l'évaluation de ce coût, même
s'ils ont le sentiment que leur nouveau mode de chauffage sera relativement économique26.
Quelques remarques ont cependant été formulées qui viennent éclairer les attentes des
utilisateurs à l'égard des applications de la domotique aux procédés de chauffage. Un
interviewé regrette de ne pas pouvoir programmer le chauffage en intégrant des variations
hebdomadaires :"On a un boîtier KITERM. On peut régler par heure et par jour. Il y a des
heures où on peut régler par tranches de demi-heure, mais on ne peut pas varier d'une
semaine sur l'autre."
25 - Cette remarque renvoie à une attente souvent formulée par les particuliers, qui apprécient la
centralisation des commandes de programmation mais souhaitent cependant conserver la possibilité d'avoir
un contrôle "mécanique" sur chaque radiateur (cf. l'étude sur La décision d'achat des radiateurs électriques
Triotherm-Simar).
26 - Les perceptions relatives au coût financier du chauffage, celles portant sur le gaz, énergie généralement
perçue comme moins onéreuse que l'électricité, sont en cohérence avec les études réalisées par Argonautes
pour EDF et notamment l'étude sur L'option tarifaire Bleu, blanc, rouge version six prix, janvier 1993, ou
celle sur Le procédé de chauffage Elion, juin 1993 ainsi que la recherche sur l'Anthropologie de l'usage de
l'énergie au quotidien, décembre 1993. La difficulté à apprécier les économies réalisées à la suite de
l'adoption d'un système de gestion du chauffage a aussi pu être observée au cours de l'étude sur le système
Triotherm-Simar.
La commande à distance permet, par le biais d'un minitel et d'un modem, de moduler les
équipements de base du pavillon que sont le chauffage et les volets roulants. L'utilité de la
fonction "commande à distance" est soulignée par certains interviewés mais cette fonction
n'est généralement pas utilisée.
L'attrait de la commande à distance relève essentiellement du domaine du chauffage. Il
renvoie à la fois à une fonction de modulation à distance mais aussi à celle de
consultation, de vérification de l'état de l'espace domestique, fonction qui rejoint l'aspect
sécuritaire, comme dans le cadre des équipements optionnels.
Une utilisation de la commande à distance des volets est ponctuellement évoquée. En
effet la domotique, par le biais de la commande à distance des volets roulants, permet de
moduler l'ensoleillement nécessaire aux plantes. Elle apparaît comme une possibilité de
"maintenir" la vie dans la maison, même lorsque les habitants sont absents, la possibilité
d'assurer la "continuité de la vie", même s'il s'agit en l'occurrence d'une vie végétale.
Cependant, dans la pratique, aucune des personnes rencontrées n'utilise la commande à
distance si ce n'est quelques interviewés qui l'ont expérimenté par curiosité27.
Dans certains cas, l'utilisation de cette fonction est rendue techniquement impossible,
certains ménages ne possédant pas de minitel. D'autres se heurtent à des problèmes liés
apparemment à l'installation même du système, problèmes qu'ils n'ont cependant pas
encore jugés utile de résoudre. Lorsque la fonction commande à distance est
opérationnelle, sa non-utilisation est notamment liée à une absence de besoin de ce type de
fonction. La relative sédentarité de certains ménages rend par exemple inutile ce type
de service28. Ainsi, la commande à distance relève dans l'esprit de certains ménages du
domaine du "gadget".
Aussi, certains interviewés ne nient pas l'intérêt de la commande à distance mais ne
perçoivent pas son "utilité". Dans leur cas, il semble que l'utilité de cet outil soit encore de
l'ordre de la probabilité et non de l'évidence. Il paraît probable que l'intérêt perçu de
l'utilisation de la commande à distance soit inférieur au "coût" lié à son utilisation, "coût"
entendu au sens de A. Moles29, incluant non seulement le facteur financier mais aussi les
coûts non-financiers attachés à l'utilisation de cet outil.
27 - Nous trouvons ici un cas classique en sociologie, de bonne opinion déclarée d'un produit, et d'une non
utilisation en pratique.
28 - Ces deux cas sont des bons exemple du danger de se limiter aux intentions, pour comprendre une
décision. Ici deux conditions font obstacles à une intention éventuelle d'utilisation : le manque d'une base
matérielle, le minitel, ce qui est soluble par ailleurs, et le mode de vie sédentaire.
29 - Abraham Moles montre, sur la base de l'analyse micropsychologique, que l'obtention d'un objet implique
une série de comportements, de choix, qui ont un coût. Ce coût peut être ramené à quatre facteurs : le prix de
l'objet, l'énergie et le temps consommés pour l'obtention de cet objet et le coût psychologique généré par le
processus d'accès ou d'emploi de cet objet. Pour une analyse détaillée, se référer à l'ouvrage de A. Moles,
Micropsychologie et vie quotidienne, 1976. C'est aussi en partie le même raisonnement utilisé par
l'économiste Becker pour expliquer un arbitrage décisionnel, entre du temps et de l'argent.
De même, la simulation de présence permise par la commande à distance des volets est
jugée peu pertinente dans la mesure où cela ne constitue pas un élément suffisant de
dissuasion aux yeux de certains ménages et peut, en cas d'infraction, se retourner contre les
utilisateurs : "Je peux relever mes rideaux à distance, mais ça ne sert à rien. Les
cambrioleurs savent que c'est un lotissement domotique et que ce n'est pas parce que les
volets sont parfois ouverts, parfois fermés que ça veut dire que la maison est habitée. En
plus, si vous vous faites cambrioler et que tout n'était pas fermé, l'assurance ne joue pas."
Enfin, la possibilité de commande à distance n'est pas mobilisée non pas parce qu'elle
n'est pas en soi jugée intéressante mais parce qu'elle ne permet pas de réaliser les
modulations souhaitées par heure ou par semaine.
Les volets roulants, en eux-mêmes, sont perçus par certains habitants du lotissement
domotique comme un élément de confort, un atout "pratique" de la maison. L'avantage
procuré est de pouvoir les manipuler sans avoir à sortir de la maison. Ces volets sont par
ailleurs jugés d'une manipulation aisée, ce qui facilite leur utilisation voire l'encourage. Ils
contribuent également à créer une atmosphère agréable et confortable dans la maison. A
cet aspect "cocooning" s'ajoute un élément sécuritaire, les volets étant perçus comme une
protection face à d'éventuels "agresseurs". Enfin, ces volets constituent aussi pour certains
habitants une protection contre le froid.
Si certains habitants du lotissement se déclarent très satisfaits de la présence des volets
roulants, d'autres en revanche n'en voient pas l'avantage ou regrettent même des volets plus
traditionnels.
Enfin, ces volets sont considérés comme un élément à double tranchant. La commodité
est appréciée mais le mode de fonctionnement exclusivement électrique est condamné30.
L'aspirateur centralisé constitue une des composantes du "package domotique" de
base installé dans les pavillons du lotissement Brocéliande. L'ensemble des interviewés
l'utilise et son appréciation est globalement positive même si cela reste un outil
perfectible.
Fréquemment comparée aux aspirateurs traditionnels, l'aspiration centralisée est jugée
plus pratique. Les habitants du lotissement domotique interviewés soulignent notamment
l'avantage de n'avoir à manipuler qu'un flexible dans un logement construit sur deux
niveaux. Outre le fait que le flexible soit aisément transportable d'un niveau à l'autre du
logement, sa longueur est aussi source de satisfaction dans la mesure où elle permet de
nettoyer de grandes superficies sans avoir à changer de bouche d'aspiration.
30 - La dépendance à l'égard de l'électricité est porteuse, dans l'imaginaire des individus, d'une peur parfois
excessive de la "panne", de la "coupure". L'électricité catalyse fréquemment une réelle "angoisse". Voir à ce
sujet l'étude réalisée par Argonautes à la demande d'EDF sur Les variations de tension électrique : opinions
et représentations des usagers, mai 1992.
Le principe même de l'aspiration centralisée est plébiscité. Il nécessite globalement
moins de manipulations qu'un aspirateur traditionnel. La phase de "traitement" ou de
manipulation des déchets recueillis apparaît notamment plus commode. En étant relié à un
bac situé dans le garage des pavillons, ce système supprime la manipulation de sacs
poussiéreux à l'intérieur des pièces habitées.
3 - L'EVALUATION DES MODULES OPTIONNELS
Les pavillons du lotissement étudié ont été précâblés pour permettre l'installation d'un
module de sécurité, comportant quatre options qui sont la surveillance-intrusion, la
détection des fuites d'eau, de gaz et d'incendie. En outre, deux options complémentaires
étaient également proposées dans l'offre domotique : l'arrosage automatique et l'ouverture
automatique de la porte du garage. Selon les interviewés, le coût de ces modules optionnels
avoisinait 40 000 francs.
Dans la pratique, aucun des ménages rencontrés, et semble-t-il aucun des ménages du
lotissement, n'a opté pour les modules optionnels, excepté les propriétaires de la maison
témoin qui en bénéficient de facto.
Interviewés sur ces modules optionnels, les ménages ont essentiellement commenté le
module de sécurité et de façon beaucoup plus ponctuelle le système d'ouverture
automatique de la porte du garage.
Si certains s'estiment intéressés par certains modules optionnels, l'appréciation
globalement recueillie est plutôt réservée à l'égard de ces options jugées inutiles, peu
efficaces, inadaptées ou onéreuses.
Certains ont une compréhension relativement précise des possibilités d'équipement de
leur logement : "On peut avoir l'ouverture automatique du garage et l'alarme. Au départ,
il y avait un équipement domotique obligatoire, pour 35 000 francs, qui comprenait le
chauffage, les volets roulants et des cellules photoélectriques sur toutes les conduites
d'eau. S'il y a une fuite et si vous êtes raccordé au minitel, ça téléphone chez vous, au
travail. S'il y a une fuite de gaz ou d'eau, c'est pareil. Sinon, c'était 75 000 francs pour
l'ensemble des modules. Il y a une alarme pour 20 000 francs et l'ouverture du garage
pour 10 000 francs et le reste, je ne sais plus."
D'autres ne semblent pas avoir mémorisé l'information qu'ils ont pu avoir sur les
modules complémentaires. Ces personnes sont fréquemment des personnes de sexe
féminin. Le positionnement de la domotique a été pensé essentiellement en fonction des
hommes. Bien que certaines options renvoient à des pratiques relevant classiquement du
territoire domestique féminin, la démarche marketing ne semble pas avoir inclus les
femmes du lotissement dans les cibles à toucher ou du moins ne semble pas les avoir
envisagées comme un interlocuteur pertinent dans le processus d'achat de ce type
d'équipement.
Si aucun ménage rencontré n'a fait installé de modules optionnels, certains se déclarent
cependant intéressés par le module de sécurité. L'alarme anti-intrusion séduit ainsi
quelques personnes. De même, la détection incendie suscite de l'intérêt. Cependant, ces
modules suscitent globalement un certain nombre de réserves.
Le premier groupe de réserves émis souligne le caractère "inutile" de ces équipements.
L'alarme anti-intrusion est ainsi jugée inutile dans un contexte de relative sécurité : "On
n'hésite pas pour l'alarme : ça ne nous paraît pas intéressant, on se sent en sécurité dans
ce quartier." Le sentiment de sécurité est pour certains renforcé par le sentiment à la fois
de ne pas être réellement exposé mais aussi de ne pas avoir suffisamment d'objets de
valeur pour investir dans une alarme. La "confiance" relative de ces ménages à l'égard de
leur environnement ne les conduit pas à exclure la possibilité d'un cambriolage, mais tout
se passe comme si non seulement ces personnes n'avaient pas de biens suffisamment
"importants" pour "valoir" une protection du type alarme, mais aussi comme si elles
souhaitaient éviter d'y songer en adoptant la "politique de l'autruche".
Le second groupe de remarques interpelle l'efficacité de certains modules et notamment
du module de sécurité. L'alarme anti-intrusion n'est pas perçue comme dissuasive vis-à-vis
des cambrioleurs qui de toutes façons seraient capables de déjouer le système de
protection. D'autres personnes estiment, qu'en cas de cambriolage effectif, l'alarme se
révélerait inutile si aucun relais humain n'est proposé : "L'alarme, ça nous intéresserait,
mais pas vraiment. S'il n'y a personne au bout... Il faut être obligatoirement raccordé à
quelqu'un. Il y a deux sortes d'alarme, les bruyantes et il faut quelqu'un à côté, et les non-
bruyantes qui préviennent à distance. Nous, on ne pourrait mettre qu'une alarme non-
bruyante. Mais, ensuite, il faut un contrat avec une société de gardiennage ou être
raccordé à trois ou quatre personnes qui devraient prévenir le commissariat et avoir les
clés. Car le commissariat ne rentre pas sans quelqu'un qui a les clés de la maison, c'est
normal." La crainte de ces personnes est donc que l'alarme soit totalement inutile en
l'absence d'un "relais humain". Ainsi, même si certaines personnes estiment l'alarme
intéressante, la nécessité de mettre en place un dispositif humain d'assistance et souvent
perçu comme une carence du système proposé. Un ménage désireux à terme d'adopter
l'alarme anti-incendie et fuites, abonde dans ce sens en soulignant la nécessité d'impliquer
les voisins dans le dispositif de sécurité. Cependant, même dans le cas de ce ménage,
l'alarme anti-incendie apparaît plus comme une sorte "d'ultime solution", sans doute utile
lorsqu'il est trop tard pour prévenir, un recours qui ne peut remplacer la vigilance
humaine. L'alarme apparaît finalement comme un moyen de limiter les dégâts éventuels
mais pas de les éviter.
Un troisième groupe de critiques, bien que relativement marginales, souligne l'aspect
dangereux de certains modules optionnels. L'ouverture automatique du garage est
dénoncée comme pouvant renverser les enfants. De même, l'alarme évoque chez certaines
personnes une perte de maîtrise possible sur les équipements de la maison. En adoptant
des systèmes de sécurité perfectionnés, l'utilisateur se met dans une situation de
dépendance qui peut s'avérer plus contraignante qu'utile, notamment en cas de
dysfonctionnement.
Un quatrième groupe d'arguments est évoqué par les interviewés au sujet de certains
modules optionnels. Leur coût est jugé peu attractif voire pour certains prohibitif. Si
l'importance du facteur prix est soulignée par de nombreux interviewés, elle varie
cependant en fonction du statut de résidence. Le statut de locataire n'incite pas à s'équiper
en modules supplémentaires et rend ces ménages plus sensibles au critère du prix.
Un dernier groupe de réserves émises ne remet pas en question les modules proposés
mais renvoie plutôt à un rapport relativement classique à la technique. Certains interviewés
perçoivent la domotique comme un monde de possibles bien trop riche
comparativement à leurs besoins. Ils utilisent peu les potentialités offertes par les
modules de base et déclarent ne pas ressentir le besoin des fonctionnalités proposées,
l'offre est perçue comme trop élaborée. Relevant dans l'esprit du public d'une
technologie de pointe, la domotique est en outre perçue comme une technologie en
mouvement, dont les produits deviennent obsolètes sitôt sortis. Le sentiment d'une
durée de vie relativement courte de ces produits prévaut chez certaines personnes et ne
constitue pas un encouragement à leur "adoption".
Enfin, certaines personnes ont des besoins spécifiques auxquels les modules proposés
n'apportent pas de réponse satisfaisante. Ainsi, un ménage de personnes malentendantes se
déclare intéressé par les systèmes d'alarme ou de détection, mais en souhaitant remplacer
les signaux sonores par des signaux lumineux.
En s'installant dans le lotissement, certains habitants se sont trouvés confrontés à
différents types de problèmes. Certains problèmes relèvent de la qualité du bâti, d'autres de
la prise en charge de la voirie ou encore des équipements installés dans le logement. Mais
finalement, il semble que les difficultés rencontrées soient globalement "acceptables" et
que la domotique ne pose pas de problème d'envergure.
Cependant, si les dysfonctionnements des différents modules de l'offre domotique ne
semblent pas fréquents, l'information relative aux intervenants techniques à contacter en
cas de problème ne semble pas relever d'une grande clarté dans l'esprit des habitants. Un
apprentissage du "service après-vente" est nécessaire, non seulement parce que les
habitants n'identifient pas précisément les intervenants techniques éventuels et leurs
compétences, mais aussi parce que ces intervenants passent eux-mêmes par une phase
d'apprentissage qui concourt à renforcer le flou qui existe dans l'esprit de certains.
L'analyse des pratiques des équipements domotiques nous rappelle que la construction
sociale de la diffusion d'une innovation passe aussi par des questions de logistiques et
d'apprentissage, et pas uniquement par de la cognition, même si les représentations
organisent aussi le processus de diffusion.
CHAPITRE IV
LES REPRESENTATIONS DE LA DOMOTIQUE
INTRODUCTION
Pour estimer les chances de développement de la domotique, au-delà des contraintes du
quotidien et de l'évolution des cycles de vie, il faut aussi comprendre dans quel univers de
représentations symbolique la domotique s'inscrit, autant du point de vue de la demande
des usagers urbains que de l'offre des professionnels.
Plus généralement, l'imaginaire symbolique est une des instances qui organise le
processus de décision des acteurs sociaux. Cet imaginaire est souvent ambivalent. Il est fait
d'attirance, de souhait de libération dans l'imaginaire des contraintes du quotidien, et de
crainte de perdre la maîtrise de ce même quotidien.
1 - L'IMAGINAIRE DE LA DEMANDE : DESIR DE MAITRISE ET PEUR DE LA PERTE DE
CONTROLE DE SON QUOTIDIEN
Vu du côté de la demande potentielle, le terme domotique n'évoque rien de précis dans
l'esprit des habitants du quartier, hormis ceux qui ont mémorisé l'accroche publicitaire
promouvant les pavillons du lotissement de Brocéliande.
Cependant, les évocations recueillies31 viennent illustrer un imaginaire relativement
classique. L'univers de la "domotique" suscite attrait et inquiétude. Il renvoie à la
"modernité" dans ce qu'elle peut avoir de positif à l'esprit des individus, à des processus de
délégation, d'automatisation ou de programmation, aux progrès des techniques de
communication, mais aussi à une perte de maîtrise et apparaît, indirectement, comme un
vecteur de différenciation sociale32.
31
- Les résultats présentés ci-dessous sont issus à la fois d'entretiens semi-directifs mais aussi d'un travail associatif réalisé en animation de groupe. 32
- Ces résultats sont en cohérence avec ceux d'études antérieures réalisées par Argonautes et notamment l'étude relative à L'option tarifaire Bleu, blanc, rouge version six prix, réalisée pour EDF en janvier 1993, qui évoque un imaginaire de la gestion domestique de l'électricité globalement similaire.
La domotique est identifiée comme relevant de technologies de pointe incarnant le
progrès et la modernité. Les maisons du lotissement Brocéliande sont en effet
fréquemment associées à des "maisons ultramodernes qui ont la domotique !"
L'univers de la "modernité" évoque la possibilité de "délégation", d'externalisation, de
toutes les tâches jugées pénibles, notamment celles concernant l'espace domestique. La
délégation est synonyme de plus grande liberté en permettant une économie de temps et
d'énergie physique et la domotique apparaît ainsi comme le moyen de lever des
contraintes : "(La domotique), c'est pour faciliter la vie quotidienne."
Ces contraintes renvoient souvent à l'univers de la propreté et aux tâches qui y sont
liées. Les évocations recueillies relèvent parfois de services ou de systèmes existants mais
auxquels vient se mêler un désir de délégation totale. Les fonctions de programmation et
d'automatisation sont souvent évoquées conduisant certains interviewés à considérer la
domotique comme un instrument relevant de la magie, du merveilleux ou encore de la
science-fiction, permettant de réduire mouvements, efforts physiques et charge
mentale :"Un robot pour faire le ménage, je dis oui tout de suite. Pour la cuisine, l'idéal,
ce serait que le robot aille faire les courses et fasse la cuisine. C'est vraiment les choses
qui me font horreur et, à la limite, je serpillerais."
La domotique vient dans l'imaginaire des interviewés repousser certaines limites, à la
fois temporelles ("on gagne du temps") et physiques.
Elle est ainsi associée à des instruments tels le "téléphone vidéo" ou le "visiophone". La
gestion à distance relève aussi de cet imaginaire où l'éloignement physique n'est plus une
contrainte majeure.
Elle est aussi perçue comme un vecteur d'économie, et plus précisément, d'économie
d'énergie : "Pour le chauffage, ça m'intéresserait et les volets aussi, peut-être que je m'en
servirais. Ce serait pour faire des économies d'énergie."
Les perceptions recueillies autour du terme "domotique" expriment, par ailleurs, une
certaine appréhension. Si la technologie est perçue comme un progrès, elle est aussi, pour
certains, synonyme de dépendance. Cette appréhension relève à la fois de la peur de
"perdre le contrôle" et d'être dépossédé de certaines tâches : "Les volets qui s'ouvrent tous
seuls ! Mais c'est des super-gadgets ! Et le jour où il y a une panne d'électricité, on est
enfermé dedans !"
Les perceptions évoquées autour de la domotique sont pour certaines marquées par la
proximité du lotissement Brocéliande. Dans l'esprit d'une partie des interviewés, "la
domotique" est alors perçue à travers cette expérience particulière. Ces personnes ne
s'expriment plus en faisant référence à "la domotique", notion souvent abstraite et opaque,
mais en fonction des "maisons domotiques". L'image qui prédomine est alors marquée par
le coût financier de ces logements, positionnant la domotique dans l'univers de la cherté :
"C'est des maisons très chères. Il y a tout le confort dedans, mais c'est très cher." ou "Pour
avoir des maisons comme ça il faut avoir deux salaires."
Le désir de bien être et la peur de la dépossession composent la base de l'imaginaire qui
organise les représentations de la domotique, mais plus généralement aussi, celles du
changement. Bien que classique, cet imaginaire confirme l'importance à accorder à
l'évolution des représentations que les acteurs se font de leur dépense d'énergie humaine et
de leur fatigue dans les tâches quotidiennes, la domotique pouvant servir à compenser la
perte d'énergie liée à l'âge et à diminuer les charges mentales.
2 - LES REPRESENTATIONS DES PROFESSIONNELS : LA DOMOTIQUE, C'EST LA
GESTION, CENTRALISEE ET A DISTANCE
Si les particuliers n'ont pas spontanément de discours sur la domotique, les
professionnels rencontrés ont un discours plus construit. Pour eux, la domotique renvoie à
une technologie et des applications relativement identifiées, marquées par la fonction de
gestion.
Interviewés sur leurs perceptions de la domotique, les professionnels rencontrés ont
exposé leur analyse du "marché de la domotique". La diffusion de la domotique apparaît
ainsi non seulement constituer un enjeu, comme nous l'avons souligné précédemment,
mais aussi un objet de débat, certains s'avérant plus optimistes que d'autres. Ce débat
permet en partie d'appréhender les conditions et les freins au développement de la
domotique tels qu'ils sont perçus par les professionnels impliqués.
Développée dans l'univers de l'habitat collectif et du bâtiment industriel, cette fonction
de gestion apparaît organiser la vision du développement de la domotique dans le domaine
du logement individuel.
La domotique est souvent définie par les professionnels à travers ses applications et ses
fonctionnalités. Les applications les plus citées relèvent dans un premier temps de la
gestion "des charges" et notamment du chauffage : "La domotique, c'est la gestion de
charges, du chauffage, de tout ce qui est fluide" (décideur urbain), ou "(L'intérêt de la
domotique ?) Les gens peuvent gérer leurs installations, plus avoir d'autres options.
Aujourd'hui, la domotique c'est la gestion du chauffage, de l'énergie," (EDF-GDF), ou
encore "Pour les équipements, c'est du chauffage ; c'est en grosse partie de la régulation,
des automates de régulation ", (cabinet d'ingénierie).
Outre le chauffage, la gestion des éclairages dans l'univers professionnel est évoquée :
"Il y a la partie gestion de l'éclairage, c'est gérer les horaires de fonctionnement de
l'éclairage pendant les heures de bureau. A partir d'une certaine heure, il y a un éclairage
de veille. Les éclairages, ça fait trois ou quatre ans que c'est intégré dans les systèmes. (...)
Il y a un éclairage qui n'est plus fixé par l'interrupteur. Tout est ramené par commande à
une centrale pour commander une ou deux lampes" (cabinet d'ingénierie).
Enfin, mais de façon très marginale, les applications dans le domaine de la sécurité sont
évoquées : "La domotique, c'est aussi l'anti-intrusion et c'est rassurer les gens." (EDF-
GDF)
La domotique apparaît essentiellement comme la possibilité d'optimiser les dépenses
d'énergie et de ce fait, représente une source d'économie : "On regarde là où il y a des
économies à faire. Le plus gros poste dans l'habitat, c'est le chauffage. La domotique, c'est
donc d'abord des systèmes de régulation" (cabinet d'ingénierie), ou "La domotique permet
d'optimiser la consommation" (société de maintenance).
Dans ce contexte, l'impact sur la gestion du budget des ménages constitue, dans l'esprit
d'une partie des professionnels, l'argument clef de "l'intérêt" de la domotique :
"Maintenant, (en collectif) on conserve les anciennes installations et on raccorde des
suites de compteurs thermiques par logement. Les locataires payent ainsi vraiment ce
qu'ils consomment... Car tout le monde ne chauffe pas de la même façon.... Ce système
baisse la facture globale de chauffage : les gens sont sûrement plus sensibles à
ça."(cabinet d'ingénierie).
En se dotant d'outils tdomotiques, la gestion "rationnelle" des énergies est vécue comme
possible : "Je suis un pro-domotique. Ça permet de gérer sa propre énergie, de la
maîtriser. Il y a les mêmes avantages en individuel. Le gain est visible sur le plan de la
consommation. Et avoir une température linéaire, c'est un réel plus en terme de confort. Il
y a aussi un gain de temps dans la mesure où le réglage se fait une fois pour
toutes."(société de maintenance).
L'optimisation apparaît ainsi constitutive de l'offre domotique et, dans l'esprit de
certains professionnels, représente un facteur de différenciation entre les technologies qui
appartiennent à la classe de la domotique et celle qui n'en font pas partie. L'appellation
"domotique" est ainsi refusée à l'aspiration centralisée mais accordée aux volets roulants :
"L'aspiration centralisée, ce n'est plus une innovation au niveau technique. C'est un
réseau de tuyaux dans la maison qui est centralisé au garage... Ce n'est pas réellement de
la domotique. La domotique, c'est plutôt gérer au mieux les équipements. C'est comme les
volets électriques, avec lesquels on peut faire de la simulation de présence." (cabinet
d'ingénierie)
Dans une logique d'amélioration de la gestion de l'habitat, la domotique apparaît
d'autant plus attrayante aux yeux des professionnels qu'elle vient faciliter la maintenance,
comme cela existe déjà pour les batiments industriels : "La gestion technique centralisée,
c'est une seule gestion technique qui reprend tous les éléments. On peut contrôler le
défaut. On peut gérer le secours. (...) La régulation, c'est les automatismes, la gestion.
C'est la gestion des défauts techniques et la gestion des équipements." (cabinet
d'ingénierie)
Dans le discours des professionnels, la fonction de gestion est par ailleurs
"démocratisée" à travers la domotique dans la mesure où l'utilisateur, en habitat collectif,
se voit doter des moyens pour réaliser par lui-même ce contrôle, et "assouvir" son désir de
maîtrise évoqué précédemment : "(La GTC) c'est un système plus rapide et ça permet de
gérer son installation : le client, avant, il voyait le relevé des factures sans comprendre.
Maintenant, il gère son installation : il voit d'où vient le défaut. Ils font un suivi de
température sur leur matériel" (cabinet d'ingénierie).`
Ainsi, en rendant possible l'interaction entre l'utilisateur et les équipements, la
domotique assure une fonction de "communication" : "L'aspiration centralisée, ce n'est
pas de la domotique. La domotique, c'est la capacité à converser avec son logement. Le
logement vous dit : aujourd'hui j'ai consommé tant. C'est un échange qui se produit au-
delà d'une intervention manuelle." (décideur public)
En outre, la domotique est définie par la possibilité de commande à distance, fonction
permettant une gestion délivrée de la contrainte de présence auprès des équipements : "La
domotique, pour le consommateur, c'est le pouvoir de réguler à distance" (société de
maintenance), ou "On peut parler de domotique en fonction de la programmation et quand
on peut gérer à distance" (cabinet d'ingénierie).
Après l'optimisation, la gestion à distance apparaît en effet comme un second critère de
distinction de l'offre domotique : "La domotique pour moi, c'est pouvoir communiquer à
distance. Sinon les détecteurs, la programmation, ça a toujours existé, ce n'est pas de la
domotique. La domotique, c'est fédérer ces équipements pour pouvoir les commander à
distance. C'est la régulation à distance." (promoteur)
La commande à distance est ainsi perçue comme la condition de la "toute puissance",
l'instrument du désir de maîtrise : "Commander à distance, c'est posséder encore plus son
bien, c'est pouvoir le maîtriser à tout instant. (...) La domotique, ça donne un sentiment de
puissance." (architecte)
Gestion, optimisation, maîtrise et contrôle, sans considération de lieu et d'espace,
s'accompagnent fréquemment d'un souci de centralisation des commandes : "La
domotique c'est la gestion de tous les équipements de la maison. (...) C'est automatiser,
coordonner ; ça permet de contrôler depuis un endroit toutes les installations" (décideur
urbain).
Ainsi la domotique est une alliance de différentes fonctions organisées autour de la
fonction de gestion : "La domotique, c'est la communication avec le téléphone et le
répondeur, l'énergie avec la climatisation, le chauffage, la sécurité, l'automatisation. Il
faut que tous les systèmes soient compatibles entre eux, commandables à distance et
centralisés" (société de distribution spécialisée en domotique & installateur).
Optimisation et gestion renvoient, pour les professionnels, à l'univers de la maîtrise.
Mais pour eux c'est positif et sans menace. Nous sommes dans l'univers du connu, de la
technologie apprivoisée. C'est autour de la symbolique de la maîtrise, et de son symétrique,
la peur de la perte, que se situe la plus forte tension potentielle entre l'offre de techniciens,
ou d'ingénieurs, et les attentes des usagers.
La diffusion d'une innovation comme la domotique passe par une gestion de l'angoisse
de cette perte de maîtrise, ou de l'inconnu, que représente le nouveau. C'est ce qui explique
en partie l'importance des contraintes comme mode d'explication du changement : la
contrainte est le moyen de passer à l'action, et donc de résoudre l'angoisse qui naît de
l'inconnu. Cette angoisse explique ce que les professionnels désignent sous le terme de
freins potentiels au développement de la domotique.
Aujourd'hui, si elle semble être sortie du strict cercle des programmes soutenus par les
organismes publics pour concerner les filières industrielles et de l'habitat collectif, la
domotique, pour l'habitat individuel, apparaît cependant se situer dans une phase de
diffusion relativement "confidentielle", qualifiée parfois de "balbutiements".
Les professionnels interviewés se partagent cependant en deux catégories : les "pro-
domo" et les "domo-sceptiques". Si tous ont une vision de la diffusion de la domotique,
leurs évaluations varient non seulement sur les univers porteurs d'applications mais aussi
sur le rythme de cette diffusion. Les plus réservés sont, bien évidemment, les
professionnels les moins directement impliqués, le développement de la domotique ne
conditionnant en aucune mesure le volume de leurs activités et leur connaissance des
produits étant la plus partielle.
Parmi les problèmes de diffusion de la domotique, une partie des professionnels
souligne la complexité d'utilisation de certains produits proposés. Ils soulignent la
nécessité d'une simplification de l'offre, processus que certains estiment déjà initié par les
constructeurs : "On se retrouve souvent face à un affichage digital : ça pose des difficultés
de programmation. Les chiffres sont sur un tout petit écran. Maintenant, les constructeurs
ont simplifié. Avant, il fallait appuyer plusieurs fois pour trouver la bonne fonction."
(cabinet d'ingénierie)
Cette simplification renvoie à la logique même de fonctionnement de certains
équipements, jugée trop éloignée de celle des utilisateurs : "C'est comme l'horloge du four
programmable pour cuire le poulet : les gens sauraient faire en mettant un cavalier, mais
s'il faut appuyer sur des boutons ! Vous savez, ces écrans où toutes les informations
défilent sous forme de chiffres. Si on pouvait écrire "cuire-poulet-pour-telle-heure" ce
serait simple. En fait, la manière de parler de la machine ne traduit pas le bon sens avec
lequel on parle : c'est un trop gros frein. Ça pourra évoluer très fort, le jour où ces
systèmes seront calés sur le bon sens." (architecte)
Dans l'état actuel de l'offre, certains interviewés estiment que la domotique s'adresse
plutôt à des populations possédant un certain "capital" socioculturel, capital
indispensable pour manipuler des équipements dominés par des logiques principalement
techniques : "La domotique, pour les gens de la Z.U.P., c'est loin, très loin ! Dans la
Z.U.P., on peut se demander si ce serait vraiment sérieux d'avoir de la domotique ? Est-ce
sûr que ce n'est pas trop compliqué pour moi ? C'est comme l'ordinateur. Ce sont les
logiques d'ingénieurs qui s'accumulent. C'est comme les montres où il faut appuyer pour
avoir l'heure : moi, je ne sais pas faire." (architecte)
Pour d'autres, la simplification de l'offre passe aussi par une offre modulaire. Il
semblerait que la domotique ou plus exactement l'offre technique ait en effet évolué d'une
approche centralisée vers une approche plus modulaire : "Nous, on fait de la gestion
technique centralisée, de la gestion technique du bâtiment, de la gestion technique
d'équipements. Mais, on préfère parler de gestion technique du bâtiment, on ne veut plus
tout centraliser sur un même point ; on évite de centraliser." (cabinet d'ingénierie)
La complexité, c'est aussi une offre trop performante au regard des besoins du
destinataire final : "Vous savez, les gens, ils utilisent en moyenne trois fonctions sur
n'importe quel système alors c'est pas la peine de les multiplier ! Ça les effraie." (société
de distribution spécialisée en domotique & installateur), ou "La domotique, c'est des
systèmes disproportionnés pour des petites maisons." (architecte)
Certains professionnels jugent inadapté le type de communication adopté pour "vanter"
les mérites de la domotique. Une première constatation renvoie au décalage qui existe
entre la formulation de la demande et celle de l'offre. Certains estiment que le terme
domotique, souvent mis en exergue, peut paraître dissuasif, ou plus exactement ne pas
susciter de "déclic" dans l'esprit des consommateurs : "Les clients, ils ne parlent pas de
domotique. Ils parlent de leur problème. Ils parlent de distance, de chauffage ; ils sont
inquiets pour leurs biens." (société de distribution spécialisée en domotique &
installateur). D'autres jugent la communication autour de la domotique trop "sélective"
socialement, pour "les jeunes cadres modernes". De plus sont coût est élevé. C'est le frein
le plus fréquemment cité par les professionnels, rejoignant ainsi la perception des
particuliers. : "Ça apporte un plus, mais on n'est pas près de démocratiser ça en France.
C'est encore cher ; ça coûte plus de 10 000 francs par logement." (EDF-GDF)
Au-delà des questions de mise au point technique, de communication et de sélection
sociale, la domotique se heurte à deux autres obstacles : son coût, qui fait prendre de forts
risques financiers aux promoteurs, et la non prise en compte de son intérêt par les
décideurs urbains.
L'obstacle financier semble particulièrement important dans le domaine du logement
individuel, où l'adoption de l'équipement domotique est synonyme de repositionnement et
d'une prise de risque relativement importante : "Je ne crois pas que la domotique puisse se
développer dans l'individuel. Dans le secteur de la maison individuelle, c'est de la
"poussière". Les pavillonneurs ne cherchent pas à faire un produit différent. Ils sont
tellement incompétents : ils vendent toujours la même maison. Un produit banal doit être
équilibré dans ses prix : une maison comme ça c'est 700 000 francs. Équiper ces maisons
de domotique, c'est changer de marché : le prix augmente. Il y en a qui font des maisons
plus grandes : ils appellent ça des "demeures", mais cela ne touche pas nos régions un peu
modestes... la domotique, ce serait plutôt en banlieue parisienne" (architecte). Des
promoteurs, ayant expérimenté la domotique dans des lotissements, et pris le risque
financier, confirment ce diagnostic. Ils pensent qu'ils ne recommenceraient pas, à moins
d'une baisse non négligeable du coût d'installation.
L'autre obstacle est institutionnel. Bien que structurant indirectement le champ de
diffusion de la domotique, les décideurs urbains ne se sentent pas impliqués dans le
débat autour de la domotique. Sans pour autant postuler la nécessité de leur implication,
il paraît cependant intéressant de souligner leur relatif désintérêt à l'égard de la domotique :
"La domotique ne fait pas partie des solutions à privilégier pour nous. Aujourd'hui, (...)
notre priorité c'est d'infléchir les promoteurs à construire de plus grands logements. La
domotique, on ne voit pas ce que ça peut amener. On perçoit mal le devenir de la
domotique. On a déjà du mal à faire valoir l'intérêt du câble, que la Ville soutient, alors...
La domotique nous paraît très accessoire ; ça me paraît être un gadget de gens qui
peuvent se le payer. (...) La domotique, on ne s'en occupe pas. En clair, la domotique n'est
pas un service public. En plus, la domotique nécessite des coûts supplémentaires."
(décideur urbain)
Dans le discours des décideurs urbains, l'offre domotique apparaît en effet fortement
empreinte de l'image à double tranchant du "gadget", à la fois matérialisation d'un progrès
technologique mais aussi objet étonnant et superflu : "(Si on me proposait d'en construire)
j'y regarderais à deux fois. Ça a un caractère de gadget encore. Ça n'a pas encore un
caractère de plus-value technologique aux yeux de la population." (décideur public)
Les trois conclusions les plus visibles sont que les chances de réussite de la domotique
sont liées à la prise en compte de l'inexistence de la domotique dans les représentations des
usagers, au profit de questions techniques ponctuelles sur le quotidien, celle de la diversité
des imaginaires, entre techniciens et habitants, quant à la nouveauté technique, et celle du
déficit de relais sociaux dans la diffusion de l'innovation. Pour que la domotique se diffuse,
il ne suffit pas qu'il y ait une offre, et une demande, il faut aussi des "intermédiaires", des
relais sociaux et logistiques33.
33
- La sous-estimation, souvent inconsciente, des relais de la diffusion d'une innovation en France, est probablement due au vieux fond rural et artisan français, dont l'idéologie est de lutter contre les "intermédiaires parasites" !
CONCLUSION
Pour tenter de clarifier le débat sur les chances de diffusion de la domotique, nous
allons introduire une distinction entre "les échelles d'observation" du sociologue, et "les
échelles d'action" des acteurs sociaux.
Du point de vue du sociologue qui réalise une enquête par entretien et par observation,
par comparaison avec le sociologue qui travaille sur des résultats statistiques, à une échelle
macro-sociale, les acteurs sont tous à la même échelle d'observation, ici l'échelle micro-
sociale.
Ils prennent des décisions, ils agissent dans une sphère commune, l'espace urbain,
considéré comme un système d'action concret, composé d'acteurs ayant des interactions
directes ou indirectes, des stratégies, des représentations et des pratiques. Dans tous les cas,
il est possible de décrire ou de faire l'hypothèse d'un lien interactif concret entre les actions
des uns et des autres.
Ce système d'action peut s'analyser comme une "filière" verticale entre des acteurs
concernés par la progression du produit depuis sa production jusqu'à sa consommation, ou
"à l'horizontal" entre des acteurs concernés par le produit à une étape spécifique de la
filière.
A l'intérieur de ces systèmes d'action, ce qui varie d'abord c'est l'aire d'influence de
décision des acteurs, c'est ce que nous appellerons "l'échelle d'action". Pour les décideurs
urbains, par rapport aux acteurs de l'univers domestique, leurs décisions sont prises à un
niveau que l'on peut appeler "central", celles de la famille ou du quartier étant considérées
comme plus "locales".
Mais le "central" n'est pas considéré, ici, comme plus "global" ou comme ayant une
meilleure vision des choses. Il a une autre vision des choses. Il est soumis à plus de
pressions sociales, à son échelle d'action. Paradoxalement, tout acteur "central" décide et
agit "localement", relativement à son échelle d'action, même si les effets de ses décisions
ont une portée qui dépasse celle de son échelle d'action immédiate, puisqu'elles organisent
à leur tour des acteurs situés à d'autres échelles d'action, dans un quartier, une maison ou
une entreprise, mais sur lesquelles le décideur a peu d'information à son échelle d'action.
Ensuite ce qui varie entre les acteurs sociaux, c'est l'importance "centrale" ou
"marginale" que chacun va accorder au problème qui est étudié dans l'enquête, ici, la
domotique.
Ce qui fait varier enfin les pratiques des acteurs, ce sont, ou les représentations de
chaque groupe d'appartenance, ou les variations liées à la position que chaque acteur
occupe le long du cycle de vie, ou liées aux appartenances de classes, de sexe ou de
génération. Ces variables sont, elles, plus de l'ordre de l'échelle d'observation macro-
sociale. Mais nous pouvons en construire des indices à l'échelle micro-sociale grâce aux
choix de quartiers différenciés socialement, et à une approche structurale qui permet des
généralisations, mais non pondérées par du quantitatif.
La complexité de l'analyse et de l'estimation des chances de diffusion de la domotique
tient justement à ces différences d'échelle d'action entre acteurs, et à l'importance centrale
ou marginale que chacun accorde à la domotique.
Les opérateurs cherchent à mobiliser un système d'acteurs en créant différentes formes
de filières suivant que leurs préoccupations sont plutôt du côté des BTP ou du côté de la
grande consommation. Ils doivent à la fois proposer des solutions techniques fiables et à
coût supportable par rapport aux moyennes du marché local de l'habitat.
Jusqu'à maintenant l'offre s'est surtout centrée sur l'habitat collectif et les bâtiments
industriels, avec la GTC. C'est le centre de la diffusion de la domotique actuellement.
Les opérateurs cherchent aujourd'hui à entrer sur le marché de la maison individuelle
par deux voies, celle de la régulation du chauffage par automate, et si possible par
télécommande, parce que le "retour sur investissement" paraît plus visible pour les usagers
que pour les volets roulants ou l'arrosage automatique, et celle de la sécurité alarme qui
correspond à la fois à un imaginaire d'insécurité, présent de façon latente ou réel dans
certains quartiers ou pour certains groupes sociaux, et à des investissements plus faibles
que ceux nécessaire au câblage du bati. C'est du matériel que l'on peut trouver facilement
en grande surface.
L'incertitude qui pèse aujourd'hui sur le développement de la domotique vient du fait
que le niveau "central" des décideurs urbains se sent peut concerné, que le nombre
d'acteurs mobilisés au niveau "local" ou dans la "filière" est encore faible, et que la
demande est limitée à un groupe social plutôt propriétaire, restreint et "privilégié"
financièrement.
A l'échelle d'observation micro-sociale, la diffusion semble dépendre d'une stratégie
"incrémentale", par progression successive, d'occupation du terrain urbain, en partant de
l'habitat collectif vers éventuellement l'individuel, des propriétaires vers les locataires et en
s'appuyant sur les professions qui recherchent de nouveaux marchés autour de l'habitat.
Mais l'incertitude est telle, et donc aussi les risques financiers qui lui sont associés, que
la poursuite de cette stratégie dépendra de décisions "centrales" soit au niveau des
opérateurs importants, soit au niveau politique. Cependant, contrairement au vidéo-câble
qui demande une politique urbaine centrale, la domotique peut laisser place à une stratégie
de développement "modulaire", plus progressive. Surtout son développement participera
de celui plus général de "l'électronique" à la maison, qui lui-même dépendra de l'évolution
décrite plus haut par rapport à la mobilité ou à la sédentarisation, le rapport entre les sexes
et les générations, et l'univers des incertitudes quant au travail et aux relations
internationales.
Pour terminer, nous nous essayons à faire deux hypothèse "structurales" sur les chances
de la domotique.
La première est démographique. Les populations âgées vont devenir importantes dans
les vingt ans à venir, comme nous l'avons rappeler en introduction avec les "baby-
boomers". Un certain nombre n'acceptera pas la "sédentarisation" hospitalière ou en
maisons spécialisées. Ils seront demandeurs, de technologies qui limitent les dépenses
d'énergie, c'est à dire de tout ce qui est de l'ordre de l'automatisation, ou de technologies
qui relient à distance pour la santé ou la sécurité-alarme. L'hypothèse structurale est que
de nouveaux besoins vont naître de la baisse "d'énergie" d'une partie de la
population qui va, elle, en augmentant.
Nous pouvons faire aussi une deuxième hypothèse. Les formes de travail paraissent se
transformer, avec la diminution relative du salariat et la montée du travail "à son compte".
Les métiers se pratiquant en dehors des usines ou des bureaux semblent se développer. La
maison peut devenir un lieu plus important de cohabitation entre la vie professionnelle et
la vie familiale, cohabitation qui par le biais du travail pourrait être favorable au
développement de la domotique, ou de "l'univers électronique".
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