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Correspondances en Onco-hématologie - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2011 14 14 dossier thématique Risques organiques Partie II Cardiotoxicité des chimiothérapies chez l’enfant Chemotherapy-induced cardiotoxicity in children A. Zemmoura, M. De Guillebon, J.B. Thambo* RÉSUMÉ Summary » La cardiotoxicité des chimiothérapies est une cause majeure de morbi-mortalité chez les enfants survivant du cancer. Il existe des spécificités pédiatriques qui doivent être connues. Les complications cardio-vasculaires sont diverses selon la molécule utilisée, mais les troubles du rythme, les atteintes coronariennes et les cardiomyopathies prédominent. La cardiotoxicité des anthracyclines, de mécanisme complexe, requiert une prévention, un dépistage et un traitement particulier. Un suivi au long cours est nécessaire. Mots-clés : Cardiotoxicité – Anthracyclines – Chimiothérapies – Cancer – Enfant – Insuffisance cardiaque. Chemotherapy-induced cardiotoxicity is a major cau of morbidity and mortality in childhood cancer survivo Paediatric specificities must be known. Cardiovascu complications depend on the molecule used; arrhythm coronary artery disease and cardiomyopathies are the m frequent. Anthracycline-induced cardiotoxicity is comp and it requires specific prevention, screening and treatme Follow-up must be continued on long term basis. Keywords: Cardiotoxicity – Anthracyclines – Chemothera – Cancer – Childhood – Heart failure. L es cancers de l’enfant de moins de 15 ans sont une maladie rare qui représente seulement 1 % de l’ensemble des cancers. Leur incidence est de 120 pour 1 million d’enfants par an en moyenne, soit un risque d’environ 1 pour 700. Cela correspond à près de 2 000 nouveaux cas par an en France, où ils représentent la deuxième cause de mortalité au-delà de l’âge de 1 an, après les causes accidentelles. Leur pro- nostic est bien meilleur que celui des cancers de l’adulte, puisque le taux de guérison tous cancers confondus est de l’ordre de 75 à 80 %. Ainsi estime-t-on aujourd’hui que plus d’un adulte sur 1 000 a été guéri d’un cancer traité dans l’enfance. Ce taux de survie élevé implique que la prévention, le diagnostic précoce et le traitement des complications liées aux chimiothérapies soient effectués de manière optimale. Parmi ces complications, celles de la sphère cardio-vasculaire font partie des plus sévères. En effet, la mortalité liée aux causes cardiaques est 10 fois plus éle- vée chez les survivants du cancer que chez les enfants sains (1). Les complications cardio-pulmonaires sont la troisième cause de mortalité après la récidive du cancer primaire et l’apparition d’un second cancer. Types de cardiotoxicité De manière générale, toutes les atteintes cardiaques peuvent apparaître avec les traitements des cancers (tableau I). Quelques complications sont toutefois plus fréquentes : cardiomyopathie dilatée ou restrictive, péricardite, valvulopathie, coronaropathie précoce, arythmie. Les anthracyclines et la radiothérapie thoracique sont les principales causes de cardiotoxicité. Les autres agents incriminés sont nombreux, notamment le cyclo- phosphamide, l’ifosfamide, le cisplatine, la carmustine, le busulfan, la méchloréthamine et la mitomycine. Cas particulier des anthracyclines Physiopathologie Les anthracyclines sont de loin la cause la plus fréquente de cardiotoxicité. Cette toxicité a été décrite pour la première fois en 1967 chez des enfants traités pour leucémie. Les agents les plus souvent mis en cause sont la doxorubicine, la daunorubicine, l’épirubicine * Service des pathologies congénitales de l’adulte et de l’enfant, hôpital cardio- logique du Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux.

Cardiotoxicité des chimiothérapies chez l’enfant · 1144 Correspondances en Onco-hématologie - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2011 dossier thématique Risques organiques

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Correspondances en Onco-hématologie - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 20111414

d o s s i e r t h é m a t i q u e

Risques organiquesPartie II

Cardiotoxicité des chimiothérapies chez l’enfantChemotherapy-induced cardiotoxicity in childrenA. Zemmoura, M. De Guillebon, J.B. Thambo*

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» La cardiotoxicité des chimiothérapies est une cause majeure de morbi-mortalité chez les enfants survivant du cancer. Il existe des spécificités pédiatriques qui doivent être connues. Les complications cardio-vasculaires sont diverses selon la molécule utilisée, mais les troubles du rythme, les atteintes coronariennes et les cardiomyopathies prédominent. La cardiotoxicité des anthracyclines, de mécanisme complexe, requiert une prévention, un dépistage et un traitement particulier. Un suivi au long cours est nécessaire.

Mots-clés : Cardiotoxicité – Anthracyclines – Chimiothérapies – Cancer – Enfant – Insuffi sance cardiaque.

Chemotherapy-induced cardiotoxicity is a major cauof morbidity and mortality in childhood cancer survivoPaediatric specificities must be known. Cardiovascucomplications depend on the molecule used; arrhythmcoronary artery disease and cardiomyopathies are the mfrequent. Anthracycline-induced cardiotoxicity is compand it requires specifi c prevention, screening and treatmeFollow-up must be continued on long term basis.

Keywords: Cardiotoxicity – Anthracyclines – Chemothera– Cancer – Childhood – Heart failure.

L es cancers de l’enfant de moins de 15 ans sont une maladie rare qui représente seulement 1 % de l’ensemble des cancers. Leur incidence est

de 120 pour 1 million d’enfants par an en moyenne, soit un risque d’environ 1 pour 700. Cela correspond à près de 2 000 nouveaux cas par an en France, où ils représentent la deuxième cause de mortalité au-delà de l’âge de 1 an, après les causes accidentelles. Leur pro-nostic est bien meilleur que celui des cancers de l’adulte, puisque le taux de guérison tous cancers confondus est de l’ordre de 75 à 80 %. Ainsi estime-t-on aujourd’hui que plus d’un adulte sur 1 000 a été guéri d’un cancer traité dans l’enfance.Ce taux de survie élevé implique que la prévention, le diagnostic précoce et le traitement des complications liées aux chimiothérapies soient eff ectués de manière optimale. Parmi ces complications, celles de la sphère cardio-vasculaire font partie des plus sévères. En eff et, la mortalité liée aux causes cardiaques est 10 fois plus éle-vée chez les survivants du cancer que chez les enfants sains (1). Les complications cardio-pulmonaires sont la troisième cause de mortalité après la récidive du cancer primaire et l’apparition d’un second cancer.

Types de cardiotoxicité

De manière générale, toutes les atteintes cardiaques peuvent apparaître avec les traitements des cancers (tableau I). Quelques complications sont toutefois plus fréquentes : cardiomyopathie dilatée ou restrictive, péricardite, valvulopathie, coronaropathie précoce, arythmie.Les anthracyclines et la radiothérapie thoracique sont les principales causes de cardiotoxicité. Les autres agents incriminés sont nombreux, notamment le cyclo-phosphamide, l’ifosfamide, le cisplatine, la carmustine, le busulfan, la méchloréthamine et la mitomycine.

Cas particulier des anthracyclines

PhysiopathologieLes anthracyclines sont de loin la cause la plus fréquente de cardiotoxicité. Cette toxicité a été décrite pour la première fois en 1967 chez des enfants traités pour leucémie. Les agents les plus souvent mis en cause sont la doxorubicine, la daunorubicine, l’épirubicine

* Service des pathologies congénitales de l’adulte et de l’enfant, hôpital cardio-logique du Haut-Lévêque,

CHU de Bordeaux.

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Cardiotoxicité des chimiothérapies chez l’enfant

et l’idarubicine. Le mécanisme physiopathologique de cette toxicité est multifactoriel.

✓ Le mécanisme principal est la formation de radicaux libres produits par le métabolisme des anthracyclines via un complexe anthracycline-fer. Les cardiomyocytes sont particulièrement susceptibles aux dommages de ces espèces radicalaires en raison de leur métabolisme oxydatif élevé et de leur faible capacité de défense (défi cit fonctionnel en enzymes oxydatives). Par ailleurs, les anthracyclines ont une haute affi nité pour les phos-pholipides et les cardiolipides des membranes mito-chondriales, d’où leur accumulation dans les cellules cardiaques.

✓ Les anthracyclines perturbent l’homéostasie calcique, en étant responsables d’un relargage intracellulaire de calcium à partir du réticulum sar-coplasmique.

✓ Enfi n, les anthracyclines inhibent l’expression des gènes codant pour les protéines de l’appareil contrac-tile des cardiomyocytes : actine, myosine et troponine.Le cœur de l’enfant en croissance est particulièrement sensible à cette toxicité (2).

Types de cardiotoxicitéLes présentations cliniques de la cardiotoxicité aux anthracyclines sont multiples.

✓ Cardiotoxicité aiguë : elle apparaît dans les heures qui suivent l’administration des anthracyclines. Les anomalies électrocardiographiques sont fréquentes (30 % des patients), habituellement transitoires et asymptomatiques. Il peut s’agir de tachycardie sinu-sale, d’arythmie supraventriculaire ou ventriculaire, ou encore de trouble de la repolarisation avec allon-gement de l’intervalle QT. Les décès liés aux troubles du rythme sont exceptionnels, classiquement liés à des anomalies électrolytiques concomitantes (d’où le contrôle systématique de la kaliémie avant l’in-jection). Le mécanisme de ces arythmies aiguës est particulier : il s’agit d’une toxicité directe de l’an-thracycline ou de ses métabolites sur le myocarde, associée à une libération de catécholamines et d’histamine et à une modification des mouvements ioniques transmembranaires cardiaques. Toutes ces anomalies régressent habituellement à l’arrêt du traitement.

Tableau I. Eff ets cardiotoxiques potentiels des chimiothérapies chez l’enfant.

Traitement Dose toxique Toxicité aiguë Toxicité chronique

Doxorubicine > 300 mg/m2 Arythmie, myopéricardite, mort subite, IDM Cardiomyopathie, IC

Mitoxantrone > 100-140 mg/m2 IC, dysfonction VG, modifi cations ECG, arythmie, IDM -

Cyclophosphamide > 100-200 mg/kg Nécrose myocardique hémorragique, dysfonction VG, IC, modifi cations ECG Inconnue

Ifosfamide Dose conventionnelle Modifi cations ECG, IC, arythmie Inconnue

Cisplatine Dose conventionnelle IDM, Raynaud, modifi cations ECG Inconnue

Fluorouracil Dose conventionnelle Ischémie myocardique, choc cardiogénique, mort subite, cardiomyopathie dilatée

Inconnue

Trastuzumab Dose conventionnelle Dysfonction VG, IC Cardiomyopathie

Paclitaxel Dose conventionnelle Mort subite, bradyarythmie, dysfonction VG, IC, IDM Inconnue

Amsacrine Dose conventionnelle Arythmie ventriculaire, modifi cations ECG Cardiomyopathie

Cytarabine Dose conventionnelle IC, péricardite, arythmie Inconnue

Arsenic Dose conventionnelle Arythmie, péricardite Inconnue

Interféron-α-2a Dose conventionnelle Hypotension, arythmie Cardiomyopathie

IL-2 Dose conventionnelle IDM, myopéricardite, arythmie ventriculaire, mort subite, hypotension Cardiomyopathie dilatée

Mitomycine Dose conventionnelle IC IC

Vincristine Dose conventionnelle IDM, hypotension, neuropathie autonome cardiaque Inconnue

Vinblastine Dose conventionnelle IDM, Raynaud Inconnue

Busulfan Dose orale conventionnelle Fibrose endocardique, HTAP, tamponnade Inconnue

Trétinoïne Dose conventionnelle Péricardite, IDM Inconnue

Pentostatine Dose conventionnelle IDM, arythmie IC

Étoposide Dose conventionnelle IDM, modifi cations ECG Inconnue

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Risques organiquesPartie II

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✓ Cardiotoxicité subaiguë : elle se manifeste dans les semaines ou les mois qui suivent le début du traite-ment, par une péricardite ou une myocardite pouvant aboutir au décès par défaillance ventriculaire gauche avec œdème pulmonaire ou choc cardiogénique.

✓ Cardiotoxicité chronique : c’est celle qui pose le plus de problèmes en pratique clinique ; elle se mani-feste dans l’année qui suit la chimiothérapie par une cardiomyopathie dilatée hypokinétique (fi gure), dose-dépendante.On parle de cardiotoxicité tardive lorsque les anoma-lies apparaissent dans les années ou les décennies qui suivent l’arrêt de l’exposition.

Incidence et dose cumuléeL’incidence de la cardiotoxicité chronique augmente en fonction de la durée de suivi et de la dose cumulative d’anthracyclines. Ainsi, pour la doxorubicine, il n’existe pas de dose assurant une innocuité totale, des doses minimes pouvant être responsables d’une dysfonc-tion cardiaque tardive (3). Néanmoins, la littérature pédiatrique apporte des informations précieuses, avec une valeur seuil que l’on peut raisonnablement situer à 300 mg/m2. Ainsi, pour J.P. Krischer et al. (4), une dose cumulée supérieure à 550 mg/m2 augmente le risque de cardiotoxicité par 5. Pour L.C. Kremer et al. (5), le risque relatif de développer une cardiomyopathie après expo-sition à une dose supérieure à 300 mg/m2 après 15 ans de suivi serait égal à 12. K. Nysom et al. (6) évoquent également la dose de 300 mg/m2 comme facteur de risque de dysfonction cardiaque avec 8 ans de recul. Plus récemment, M. Tukenova et al. (7) retrouvent un risque relatif de mortalité cardio-vasculaire après une dose cumulée supérieure à 360 mg/m2 égal à 4,4. Les équivalences de doses des anthracyclines liées à la doxorubicine sont rappelées dans le tableau II.

Facteurs de risqueLes autres facteurs de risque de cardiotoxicité aux anthracyclines sont l’âge inférieur à 5 ans lors de l’ex-position, le sexe féminin, la race noire, la combinaison à d’autres chimiothérapies, l’irradiation médiastinale ou une maladie cardiaque préexistante (cardiomyo-pathie, coronaropathie, valvulopathie…) [tableau III]. Des pics sériques élevés d’anthracycline lors de perfu-sions courtes seraient également un facteur favorisant la toxicité chronique (8).

PréventionDu fait de leur efficacité, les anthracyclines restent indispensables pour le traitement de nombreuses néoplasies. Réduire simplement les doses diminue-rait leur effi cacité oncologique. Néanmoins, on pourra chercher à réduire leurs indications : plusieurs essais randomisés ont montré que l’on pouvait se passer des anthracyclines à la phase d’induction des leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) de bas risque.

Figure. Échographie cardiaque transthoracique d’un patient atteint de myocardiopathie dilatée hypokinétique sévère aux anthracyclines. Incidence parasternale grand axe. Image de gauche en bidimensionnel : ventricule gauche dilaté et globuleux. Image de droite en mode TM (Temps/Mouvement) : ventricule gauche dilaté ; fraction de raccourcissement et fraction d’éjection (par méthode de Teicholz) altérées.

Tableau II. Équivalences de doses des anthracyclines.

Traitement de référence Facteur de conversion

Doxorubicine 50 mg/m2 de doxorubicine75 mg/m2 d’épirubicine

60 mg/m2 de daunorubicine100 mg/m2 de zorubicine

125 mg/m2 de mitoxantrone10 mg/m2 d’idarubicine

Tableau III. Facteurs de risque de cardiotoxicité aux anthracyclines chez l’enfant.

Dose cumulée d’anthracycline > 300 mg/m2

Âge < 5 ans

Sexe féminin

Race noire

Pics sériques élevés lors de l’administration (bolus)

Irradiation médiastinale concomitante > 30 Gy

Chimiothérapie associée : trastuzumab, cyclophosphamide, bléomycine, vincristine, amsacrine, mitoxantrone

Facteurs de risque cardio-vasculaire (hypertension artérielle, dyslipidémie, diabète) ou cardiopathie préexistante

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Cardiotoxicité des chimiothérapies chez l’enfant

La prévention de la cardiotoxicité des anthracyclines se fonde sur 3 axes.

✓ Modifi er les modalités d’administration : la perfusion continue, en diminuant les pics sériques, est préférable aux injections discontinues en bolus. Cette modalité, dont l’effi cacité est largement reconnue chez les adultes, est néanmoins débattue pour ce qui concerne la popu-lation pédiatrique (9).

✓ Utiliser des dérivés de la doxorubicine moins toxiques comme l’épirubicine ou les anthracyclines liposomales.

✓ Utiliser des cardio-protecteurs : une longue liste de cardio-protecteurs a été testée en pédiatrie (Van Dalen EC, Caron HN, Dickinson HO et al. Cochrane Database Syst Rev 2008;(2).CD003917).Le seul traitement actuel susceptible de limiter la cardio-toxicité des anthracyclines est le dexrazoxane, chélateur du fer qui inhibe la formation des complexes anthra-cycline-fer. Plusieurs essais cliniques encourageants ont été menés chez l’enfant, avec une cardio-protec-tion à court terme sans eff et négatif sur l’activité anti-tumorale. Ainsi, parmi 16 études cliniques impliquant 1 500 enfants, une seule étude rapporte une diminution de l’effi cacité oncologique, mais sans eff et sur la survie (10-13). Des études à long terme sont néanmoins néces-saires, certains auteurs soulignant une augmentation de la toxicité non cardiaque de la cure en cas d’association avec le dexrazoxane (mucite, hématotoxicité) et un risque accru de leucémie secondaire.

DépistageAucune étude n’a évalué l’impact d’un dépistage et d’un traitement précoce sur la morbidité et la mortalité de la cardiotoxicité. Il n’existe à ce jour aucun consensus sur l’attitude à adopter en cas d’apparition d’une dys-fonction ventriculaire gauche au cours d’un traitement par anthracyclines. Un suivi très rapproché des enfants exposés aux anthracyclines semble néanmoins indis-pensable. Les recommandations du Children’s Oncology Group (14), publiées en février 2008 au titre d’opinions d’experts, proposent un suivi systématique fondé sur les examens suivants.

✓ Un examen clinique : sur le plan fonctionnel, on s’attachera à rechercher une dyspnée, des douleurs thoraciques, des palpitations ou une intolérance à l’ef-fort. L’examen physique comprendra une auscultation cardio-pulmonaire et la recherche de signes d’insuffi -sance cardiaque congestive.

✓ Un électrocardiogramme de repos à la recherche d’une arythmie atriale ou ventriculaire, de troubles conductifs, d’un microvoltage, d’une hypertrophie ven-triculaire gauche ou de troubles de la repolarisation. On note parfois un allongement de l’intervalle QT corrigé en

fi n de traitement par anthracyclines, qui peut conduire à contre-indiquer certains médicaments.

✓ Une échocardiographie avec évaluation de la fonc-tion systolique (fraction de raccourcissement et frac-tion d’éjection par méthode de Teicholz et méthode de Simpson biplan) et évaluation de la fonction diastolique du ventricule gauche (fl ux doppler transmitral). Les nouvelles techniques de doppler tissulaire et d’analyse de la déformation (2D strain) n’ont pas été étudiées dans cette population. En cas de fenêtre ultrasonore insuffi sante, on peut s’aider d’une ventriculographie isotopique ou d’une IRM.La place du dosage biologique de la troponine et du BNP (Brain Natriuretic Peptide) est discutée, plusieurs études ayant montré des résultats divergents sur la corrélation avec une dysfonction cardiaque à long terme.Le rythme des examens varie selon l’âge au moment du traitement, la dose cumulée d’anthracyclines et les anté-cédents d’irradiation médiastinale (tableau IV). Cette surveillance doit être systématiquement prolongée, y compris à l’âge adulte, du fait du risque de survenue d’une dysfonction ventriculaire gauche tardive.

TraitementLe traitement aux anthracyclines de la cardiomyopathie est celui des cardiomyopathies dilatées. Le traitement historique digitalo-diurétique a été remplacé par une association comprenant :

Tableau IV. Recommandations du Children’s Oncology Group pour le suivi par échocardiographie des enfants exposés aux anthracyclines.

Âge au traitement

Irradiation thoracique

Dose cumulée Fréquence recommandée

< 1 an Oui

Non

Quelle que soit la dose

< 200 mg/m2

> 200 mg/m2

Tous les ans

Tous les 2 ansTous les ans

1 à 4 ans Oui

Non

Quelle que soit la dose

< 100 mg/m2

100-300 mg/m2

> 300 mg/m2

Tous les ans

Tous les 5 ansTous les 2 ansTous les ans

≥ 5 ans Oui

Non

< 300 mg/m2

> 300 mg/m2

< 200 mg/m2

200-300 mg/m2

> 300 mg/m2

Tous les 2 ansTous les ans

Tous les 5 ansTous les 2 ansTous les ans

Quel que soit l’âge, quand la FEVG diminue sur un examen

- - Tous les ans

FEVG : fraction d’éjection du ventricule gauche.

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Risques organiquesPartie II

✓ des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA2), dont le chef de fi le en pédiatrie est le captopril ;

✓ des bêta-bloquants spécifi ques de l’insuffi sance cardiaque (bisoprolol, carvédilol, métoprolol) ;

✓ des antialdostérones (spironolactone) ; ✓ des diurétiques de l’anse (furosémide) en cas de

signes congestifs.Les IEC et les ARA2 sont des vasodilatateurs artériels systémiques qui diminuent la post-charge du ventricule gauche ; ce sont aussi des bloqueurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) qui permettent de lutter contre les eff ets délétères de ce système humoral sur le remodelage ventriculaire. Ils limitent la dilata-tion ventriculaire gauche et l’altération de la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) et l’on constate même dans certains cas un “remodelage inverse” avec diminution du volume télésystolique du ventricule gauche et amélioration de la FEVG. Leur utilisation, bien validée chez les adultes atteints de cardiotoxicité aux anthracyclines (15, 16), est largement adoptée, malgré un niveau de preuve moins important chez l’enfant (17).Les états de choc cardiogénique, rares, nécessitent l’ad-mission en unité de soins intensifs cardiologiques pour l’usage d’inotropes positifs (dobutamine, milrinone, lévosimendan).

Dans le cas particulier des jeunes femmes en âge de procréer ayant été exposées aux anthracyclines, une surveillance échocardiographique rapprochée est préconisée avant et pendant la grossesse (surtout au troisième trimestre), en raison d’un risque réel d’aggra-vation de l’insuffi sance cardiaque (14), et également lors de l’accouchement, qui représente une surcharge de travail importante pour le cœur.

Conclusion

La cardiotoxicité des chimiothérapies est un problème dont l’incidence augmente en raison de l’amélioration de la survie dans les cancers de l’enfant. Les anthracy-clines sont les principaux agents incriminés. L’incidence de la cardiomyopathie dilatée augmente en fonction de la dose cumulative d’anthracyclines et du temps d’exposition après la chimiothérapie. La mesure préven-tive la plus utilisée actuellement reste la réduction des indications des anthracyclines quand cela est possible : induction des LAL de bas risque ou maladie de Hodgkin, par exemple. Le dexrazoxane semble néanmoins très prometteur pour limiter la cardiotoxicité des anthracy-clines. Le dépistage de ces complications, qui repose principalement sur l’échocardiographie, doit être régulier et doit être poursuivi sur le long terme. ■

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R é f é r e n c e s