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1 Chronique Environnement & Technique de décembre 2004 – Emmanuel ADLER Boues d'épuration, déchets organiques, réflexions pour une cohérence "La tentation de la réglementation naît toujours de l'absence d'initiative de terrain". Francis Mer, Discours du 11 juillet 2002 "La France a l'honneur des plus belles et des plus sages ordonnances qui soient en Europe mais aussi la réputation de les faire plus mal exécuter qu'aucun autre Etat". Pussort, conseiller d'état et chef du conseil de police de Paris (1660-1670) Faut-il mélanger les boues d'épuration avec les autres déchets ? L'objet de cette réflexion est de questionner, sous les différentes facettes de la gestion des déjections humaines, la signification du mélange des boues d'épuration, résidu solide issu des stations d'épuration des eaux usées (STEP) des égouts publics, avec les autres déchets produits par la communauté au sens large, principalement déchets verts et ordures ménagères des collectivités publiques mais également déchets agricoles et industriels. La question, aussi étrange paraisse-t-elle, mérite d'être posée car la réglementation, engagée dans une démarche d'individualisation des flux de matières associée à une standardisation des procédures, crée des obstacles aux traitements combinés des déchets organiques, entrant par là en conflit avec d'autres intérêts. Pour aborder cette question, une analyse en 6 temps est adoptée comme l'illustre le schéma ci-dessous qui sous-entend 7 types d'intérêts distincts : Une réglementation actuelle très restrictive malgr des v ux pieux Au travers d'une lecture réglementaire dans un premier temps, car c'est la réglementation qui crée un marché pour la gestion des déchets, les avantages et inconvénients du mélange des résidus organiques sont considérés. Actuellement, la réglementation qui s'applique aux conditions de mélange des déchets fermentescibles a diverses origines, nationales et communautaires et principalement relatives aux risques sanitaires. En France, la clef d'entrée de la classification des supports de culture 1 et des 1 "Les supports de culture sont des produits destin s servir de milieu de culture certains v g taux. Leur mise en uvre aboutit la formation de milieux possédant une porosité telle qu'ils sont capables à la fois d'ancrer les organes absorbants des plantes et de leur permettre d'être en contact avec les solutions nécessaires à la croissance ". Les teneurs en N, P2O5 et K2O ne doivent pas dépasser chacune 2% (sur produit brut). " Ils se différencient des amendements organiques par une teneur plus élevée en matières inertes. Mais ils contiennent aussi des matières d'origine végétale, fermentées ou susceptibles de fermenter, fréquemment dénommées humigènes". Cependant certains supports de culture n'apportent pas de matière organique comme : laine de verre, histoire réglementaire agronomique sanitaire économique politique symbolique

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Chronique Environnement & Technique de décembre 2004 – Emmanuel ADLER

Boues d'épuration, déchets organiques, réflexions pour une cohérence

"La tentation de la réglementation naît toujours de l'absence d'initiative de terrain". Francis Mer, Discours du 11 juillet 2002

"La France a l'honneur des plus belles et des plus sages ordonnances qui soient en Europe mais aussi la réputation de les faire plus mal exécuter qu'aucun autre Etat".Pussort, conseiller d'état et chef du conseil de police de Paris (1660-1670)

Faut-il mélanger les boues d'épuration avec les autres déchets ?L'objet de cette réflexion est de questionner, sous les différentes facettes de la gestion des déjections humaines, la signification du mélange des boues d'épuration, résidu solide issu des stations d'épuration des eaux usées (STEP) des égouts publics, avec les autres déchets produits par la communauté au sens large, principalement déchets verts et ordures ménagères des collectivités publiques mais également déchets agricoles et industriels. La question, aussi étrange paraisse-t-elle, mérite d'être posée car la réglementation, engagée dans une démarche d'individualisation des flux de matières associée à une standardisation des procédures, crée des obstacles aux traitements combinés des déchets organiques, entrant par là en conflit avec d'autres intérêts. Pour aborder cette question, une analyse en 6 temps est adoptée comme l'illustre le schéma ci-dessous qui sous-entend 7 types d'intérêts distincts :

Une réglementation actuelle très restrictive malgré des vœux pieuxAu travers d'une lecture réglementaire dans un premier temps, car c'est la réglementation qui crée un marché pour la gestion des déchets, les avantages et inconvénients du mélange des résidus organiques sont considérés. Actuellement, la réglementation qui s'applique aux conditions de mélange des déchets fermentescibles a diverses origines, nationales et communautaires et principalement relatives aux risques sanitaires. En France, la clef d'entrée de la classification des supports de culture1 et des

1 "Les supports de culture sont des produits destinés à servir de milieu de culture à certains végétaux. Leur mise en œuvre aboutit à la formation de milieux possédant une porosité telle qu'ils sont capables à la fois d'ancrer les organes absorbants des plantes et de leur permettre d'être en contact avec les solutions nécessaires à la croissance ". Les teneurs en N, P2O5 et K2O ne doivent pas dépasser chacune 2% (sur produit brut). " Ils se différencient des amendements organiques par une teneur plus élevée en matières inertes. Mais ils contiennent aussi des matières d'origine végétale, fermentées ou susceptibles de fermenter, fréquemment dénommées humigènes". Cependant certains supports de culture n'apportent pas de matière organique comme : laine de verre,

histoire

réglementaire

agronomique

sanitaireéconomique

politique

symbolique

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matières fertilisantes2 (MF) constituées d'amendements3 et d'engrais4, est basée sur la nature de l'action et la composition analytique. Comme le détaille le schéma ci-après, la réglementation sur les déchets organiques est complexe, distinguant les matières fertilisantes selon ce qu'il est désormais admis de nommer "logique déchets" ou "logique produits" :

Procédures de retour au sol des matières organiques (Source5 : Recyclage agronomique des matière organiques, D. Plumail et S. Ducotet, Biomasse Normandie)

(*) Autorisation provisoire de vente – Autorisation provisoire d’importation

laine de roche, vermiculite,… Ils répondent à l'une des normes suivantes : NF U 44-551 (supports de culture) et NF U 44-571 (supports de culture avec engrais). 2 Les matières fertilisantes MF sont des produits destinés à assurer la nutrition des végétaux ou à améliorer les propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols. Elles comprennent fertilisants minéraux (engrais) et amendements. Les fertilisants minéraux (engrais) sont des produits dont la fonction majeure est d'apporter aux plantes des éléments nutritifs (éléments majeurs, éléments secondaires et oligo-éléments). Les fertilisants minéraux sont des substances solides, fluides ou gazeuses contenant un (engrais simple) ou plusieurs (engrais composés) éléments nutritifs majeurs (N, P, K) sous une forme inorganique. Les fertilisants organo-minéraux contiennent à la fois des matières organiques d'origine végétale et/ou animale et des matières fertilisantes minérales. Ils doivent contenir au minimum un pour cent d'azote d'origine organique. Dans les fertilisants organiques, la totalité des éléments fertilisants a une origine animale ou végétale. Ce sont notamment les déjections animales, les poudres de cuirs, les poudres de cornes, etc...3 “Matières fertilisantes apportées aux sols et dont la fonction principale est d’améliorer leurs propriétés physiques et/ou chimiques et/ou biologiques” (définition norme AFNOR U 42-041, mars 1985). Les amendements organiques améliorent l’aération et la cohésion du sol ainsi que sa capacité à retenir les éléments fertilisants. Les teneurs en N, P2O5 et K2O ne doivent pas dépasser chacune 3% sur produit brut. Ils répondent aux normes NFU 44051, 44095 (amendements organiques) ou NFU 44071 (amendements organiques avec engrais).4 “Matières fertilisantes dont la fonction principale est d’apporter aux plantes des éléments (ou nutriments) directement utiles à leur nutrition” (définition AFNOR, norme U 42-041). Selon la législation, tout produit dont une des teneurs en N, P2O5 ou K2O dépasse 3% (sur produit brut) doit être considéré comme engrais. Dans le cadre des produits pouvant contenir des matières organiques issues éventuellement de déchets organiques la norme à considérer est la NF U 42 001 (engrais).5 Revue Environnement et Technique n°205, avril 2001

Effluents et résidus

Logique « produit » Logique « déchet »

Normalisation- amendement organique- engrais organique- support de culture

Homologation, APV/API(*)

Commercialisation/vente

Le producteur n’est responsable du produit que

jusqu’à sa mise sur le marché

Règlement Sanitaire Départemental (RSD)

Réglementation sur les ICPE (autorisation ou déclaration)

Réglementation sur les boues

Epandage permis (plan d’épandage non obligatoire)

Plan d’épandage obligatoire

Epandage interdit

Le producteur est responsable du produit et des incidences sur le milieu jusqu’à la destination finale

Engrais du commerce, composts de déchets verts, composts d’ordures ménagères, composts de déjections animales…

Effluents d’élevage et d’IAA non soumis à la loi sur les ICPE…

Boues et effluents des IAA et des élevages

Boues des stations d’épuration urbaines et des IAA soumises à la loi sur les ICPE

Graisses et matières de vidange de fosses sceptiques non traitéesEffluents et boues non conformes à la réglementation ou dont le retour au sol est interdit

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En qualité de déchets, donc soumis à plan d'épandage, le mélange des bouesd'épuration est encadré par la circulaire6 du 16 mars 1999 qui précise les contraintes qui s'appliquent, fonction de la capacité des STEP et de l'avis du Préfet, autorité administrative territoriale7. La norme d'application obligatoire NFU44095 de mai 2002 sur "les compost contenant des matières d'intérêt agronomique, issues du traitement des eaux" précise que les boues d'épuration sont compostées avec des "co-composants" divers (matières végétales brutes ou transformées, fraction fermentescible des ordures ménagères, déjections animales) soumis à des restrictions "innocuitaire"8.Mais c'est de façon plus conséquente le règlement communautaire sur les déchets animaux CE1774/2002 qui établit des restrictions sur l'utilisation de divers résidus organiques. Ainsi, des contraintes spécifiques décroissantes sont établies sur le recyclage des déchets classés dans la catégorie 1 des produits à risque qui concerneles cadavres d'animaux (animaux familiers, de zoo, et de cirque, de laboratoire), les résidus (boues, graisses, sables, déchets de dégrillage) de traitement des eaux des centres d'équarrissage, dans la catégorie 2 (lisiers et matières stercoraires), et enfin dans la catégorie 3 qui comprend des sous-produits d'abattoirs non commercialisables (sang -sauf ruminants-, plumes, sabots, laine, corne, peaux, poils, fourrure d'animaux sains, sous-produits de poissons, coquilles et résidus d'œufs…). En outre, l'Ecolabel européen pour supports de culture et amendements organiques (décision 2001/688/EC), comme le règlement européen CE n°2092/91 définissant produits végétaux et productions animales issues de l'agriculture biologique, établit des critères très exigeants qui excluent la présence de boues de STEP des intrants agricoles.

Enfin, en ce qui concerne les "vœux pieux", il convient de rappeler les textes réglementaires visant à encourager le recyclage organique dans une perspective de développement durable. Ainsi, au niveau hexagonal, la circulaire du 28 juin 2001 relative à la gestion des déchets organiques souligne que "au delà des déchets verts souvent collectés par apport volontaire, pratique qu'il convient de développer, et au delà des collectes des déchets de cuisine, de jardin ou d'entretien domestique dans les zones pavillonnaires, il existe souvent en zone urbaine des sources de production de matières organiques de qualité, relativement simples à mobiliser, dans les commerces, les entreprises alimentaires et la restauration et qui souvent d'ailleurs rejoignent le circuit des déchets municipaux. Chacune des ces sources de production de déchets organiques présente des caractéristiques propres et ne peut être compostée seule. Comme les déchets organiques des ménages, ces déchets sont souvent très humides et rapidement dégradables. Un mélange avec des déchets plus structurants (taille, déchets de bois, copeaux, ...) et une conduite adaptée du compostage sont indispensables. Ces modalités restent très accessibles mais impliquent une approche locale" toutefois, le même texte avertit que "le mélange de déchets organiques ou de compostsd'origine différente n'est envisageable que s'il garantit le respect de ces règles simples et n'aboutit pas à une dilution d'éléments contaminants". Déjà, la circulaire du 28 avril 1998 relative à la mise en

6 "L'apport de boues liquides, de matières de vidange ou de curage en tête de station d'épuration doit-il être considéré comme un mélange? Non. L'interdiction de mélange, au sens de l'article 4 du "décret-boues", vise le mélange de boues provenant d'unités de traitement différentes, dans le souci de garantir la meilleure traçabilité possible. D'éventuels produits acceptés en tête de station, tout comme les rejets industriels dans le réseau, subissent la filière de traitement de l'eau, produisant des boues. Même s'ils sont susceptibles d'influer sur la qualité des boues, on ne peut considérer qu'il s'agisse de mélange de boues. La traçabilité n'est d'ailleurs pas remise en cause par ces apports, la valorisation des boues relevant clairement du producteur de boues. Il convient toutefois, dans le document d'incidence au titre des procédures de déclaration ou d'autorisation de l'épandage, de prendre en compte l'impact sur les boues de ces apports, au même titre que les rejets non domestiques dans le réseau". En outre, relativement à la question de l'apport de boues liquides, de matières de vidange ou de curage en tête de station d'épuration qui peut-être être considéré comme un mélange, la circulaire répond "Non. L'interdiction de mélange, au sens de l'article 4 du "décret-boues", vise le mélange de boues provenant d'unités de traitement différentes, dans le souci de garantir la meilleure traçabilité possible. D'éventuels produits acceptés en tête de station, tout comme les rejets industriels dans le réseau, subissent la filière de traitement de l'eau, produisant des boues. Même s'ils sont susceptibles d'influer sur la qualité des boues, on ne peut considérer qu'il s'agisse de mélange de boues. La traçabilité n'est d'ailleurs pas remise en cause par ces apports, la valorisation des boues relevant clairement du producteur de boues. Il convient toutefois, dans le document d'incidence au titre des procédures de déclaration ou d'autorisation de l'épandage, de prendre en compte l'impact sur les boues de ces apports, au même titre que les rejets non domestiques dans le réseau".7 Voir nos travaux sur la participation du public (ADLER, 2004)8 A propos de l'innocuité, lire l'édition de cette chronique daté de mars 2004

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œuvre et à l'évolution des plans départementaux d'élimination des déchets ménagers et assimilés avait fixé comme objectif au niveau national que "à terme, la moitié de la production de déchets dont l'élimination est de la responsabilité des collectivités locales doit être collectée pour récupérer des matériaux en vue de leur réutilisation, de leur recyclage, de leur traitement biologique ou de l'épandage agricole. Au niveau de l'approche communautaire, la directive 1999/31/CE du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge des déchets, précise qu'au plus tard en 2017, avec des objectifs et des échéanciers intermédiaires, "la quantité de déchets municipaux biodégradables mis en décharge doit être réduite à 35 % (en poids) de la totalité des déchets municipaux biodégradables produits en 1995...".

En conclusion, la réglementation apparaît relativement contradictoire, prônant d'une part "le principe d'intégrer la valorisation biologique dans un système durable de gestion des déchets adapté à chaque territoire", et d'autre part multipliant les contraintes sur la nature des constituants susceptibles d'entrer dans la formulation d'amendements et d'engrais contenant des boues de STEP.

Des enjeux agronomiques tempérés par des enjeux de qualitéAu travers d'une lecture agronomique hexagonale, il apparaît aujourd'hui, quand hier en manquait, que les amendements organiques sont très abondants voire en excès, couvrant des origines très diverses (urbain, rural, industriel, commercial…). De plus, les pratiques ayant changé, les besoins agronomiques réels9 (voir carte de l'Europe plus bas) sont difficiles à apprécier par l'agriculture moderne. Ainsi, si les apports annuels d'amendements organiques sont compris entre 30 et 44 millions de t, la production française peut être estimée à environ 200 kt d'amendements organiques industriels, 100 kt de composts végétaux utilisés en amendement, 500 kt de composts urbains et 15 kt de composts de boues de STEP. Avec des besoins théoriques satisfaits pourmoins de 3% en terme de flux recyclés aux champs, le potentiel est considérable, même les déjections bovines contribuent de façon équivalente au bilan humique des sols agricoles. Au niveau du mélange de boues avec d'autres constituants, cette opération présente incontestablement de nombreux avantages. En effet, en matière de qualité et d'efficacité du recyclage agronomique des biodéchets, la connaissance est principalement fondée sur l'observation grandeur nature acquise aux champs et validée avec le temps qu'il fait et les années. Sur la base de ce pragmatisme ancestral, c'est l'effet obtenu et mesuré, sur tel sol et telle culture, qui conditionne l'intérêt pour un type de matières fertilisantes précis. Ainsi, s'il n'est pas possible de préjuger des propriétés d'un produit sans essais agronomiques, car l'analyse est insuffisante et les mécanismes en jeu trop complexes (voir les travaux de RITTMO). Au-delà de ce débat sur l'illusion métrologique, il est des certitudes qui méritent d'être rappelées. Ainsi et relativement à l'intérêt du recyclage des matières organiques (MO) pour l'agriculture et l'environnement, les effets bénéfiques associés peuvent s'appréhender globalement comme suit10 :

Action d'amendements et/ou d'engrais Prévention de l’érosion (directe - indirecte par le couvert végétal) Prévention du ruissellement (impact sur l'assainissement et l’urbanisme)

9 La démonstration nationale est réalisée dans "Évaluation du déficit en matière organique des sols français et des besoins potentiels en amendements organiques", O. Roussel, E. Bourmeau et Ch. Walter ORVAL et UMR Sol, Agronomie, Spatialisation, ENSA-INRA Rennes, publié dans la revue Étude et Gestion des Sols, Volume 8, 1, 2001 - pages 65 à 81http://www.inra.fr/Internet/Hebergement/afes/egs/numero81-2001/ROUSSEL.PDF10 ADLER E. (2001) Réflexions sur pollution organique et recyclage, In TSM n°7-8, juillet-août 2001ADLER E. (2001) Enjeux de la gestion des boues d’épuration et autres déchets organiques, Colloque HYDROTOP, Marseille, avril 2001

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Recyclage des résidus organiques (philosophie du développement durable)

Au niveau du sol et à un plan microscopique, la matière organique assume différentes fonctions essentielles (BALESDENT, 1998) :

Action physique (réserve en eau; stabilité structurale : perméabilité/aération/biologie; autoprotection des MO par création d’agrégats stables)

Action nutritive progressive (minéralisation de N, P et S) Action énergétique (oxydation C et H)

A l'exception notable des réserves de nature sanitaire liée à la présence de composés potentiellement dangereux (éléments traces métalliques ou organiques et pathogènes), il n'existe que des bonnes raisons de favoriser le recyclage des biodéchets par le sol.Relativement à l'intérêt de mélanger des biodéchets de différentes origines pour un obtenir un produit agronomique supérieur, cette connaissance est vieille comme l'agriculture et il en va de même pour les ingrédients en cuisine. En effet, sur le plan agronomique tout d'abord, le compostage, voie royale pour l'élaboration de matières fertilisantes, impose un dosage particulier de différents intrants afin d'obtenir une formulation chimique et physique proportionnée. Au niveau de l'élaboration du produit enfin, le mélange de MO complémentaires permet :

d'assurer une composition cohérente - au niveau analytique (chimie & biologie)- au niveau physique (tenue, hygrométrie)

d'améliorer l'efficacité du compostage - stabilisation de la fraction labile et réduction du C/N- hygiénisation des composants- maîtrise des odeurs- contrôle des paramètres du procédé- réduction de volume- facilité de manutention

Par ailleurs et au niveau de la pratique les installations industrielles de transformation, les procédés de mise en œuvre sont relativement simples mais aussi assez onéreux11

(broyage ou mélange/homogénéisation, insufflation ou aspiration d'air, déshydratation/séchage). Au niveau de la diversité des intrants, le Guide des matières organiques, édité par l'Institut Technique de l'Agriculture Biologique avec l'aide de l'ADEME et du Ministère de l'agriculture, présente exactement 38 fiches techniques détaillées (LECLERC et al, 2001) et l'ensemble de ces MO peut être classé par grandes familles comme suit :

Végétaux purs (algues, bois rameaux fragmentés, compost de broussailles, fumier et compost de champignonnière, de déchets verts, écorce et sciure)

Déchets municipaux composés (boues d'épuration, compost de biodéchets des ménages Déchets d'élevage (lisier, fumier & compost de fumier de bovins, d'ovins, de porcins, de volailles,

d'équins, fientes et fumier de volailles) Déchets d'abattoirs (cornes et onglons, cuirs et peaux, déchets de laine, farine d'os, de plumes, de

poisson, de sang, de viande) Autres (guano, lombricompost, tourteau de ricin, vinasse concentrée, tourbe)

11 Pour réaliser une installation de compostage de type industriel, il faut veiller aux nuisances olfactives et prévoir un traitement de l'air qui exige couverture, ventilation et un réacteur (bio ou physico-chimique) qui alourdit les investissements de base.

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Carte12 des taux de matière organique dans les sols de l'UE(seuil critique à 2%)

Des restrictions sanitaires croissantesAu niveau de la qualité "sanitaire" des composts, la réglementation, comme cela a été évoqué plus haut, établit de nombreuses restrictions, la liste des composés à analyser ne cessant de s'allonger au fil des années. Ainsi et en France, si la norme NFU44041 encadrant l'utilisation agricole des boues en vigueur de 1985 à 1997 ne considérait que 8 éléments métalliques (Cadmium, Chrome, Cuivre, Mercure, Nickel, Plomb, Sélénium et Zinc), la réglementation de 1997 rajoutait à cette première liste 10 nouveaux paramètres de type "composés-traces" (total des 7 principaux PCB, Fluoranthène, Benzo(b)fluoranthène et Benzo(a)pyrène) et agents pathogènes (Salmonella, œufs d'helminthes et Enterovirus). Au niveau communautaire, le projet de révision de la directive sur les boues de 1986 prévoyait dans sa version 2 (27.04.2000) des seuils pour 7 nouveaux paramètres type "composés organiques" (AOX13, LAS14, DEHP15, NPE16, PAH17, PCB18 et PCDD/F19). En outre en matière de "biodéchets" (biowaste) stricto sensu, le second draft pour le projet de directive sur les composts (12.02.2001) prévoyait des seuils pour 2 autres paramètres (Salmonella spp et Clostridium perfringens). Enfin, la norme NFU 44095 relative au compost de boues a retenu 9

12 M. Robert (2004). "La stratégie européenne de protection des sols" – Colloque "Stratégie européenne de protection des sols" –AFES, Paris- Juin 2004 - http://www.inra.fr/Internet/Hebergement/afes/publications/Robert-MObiodiversite.pdf13 Sum of halogenated organic compounds.14 Alkylbenzene sulphonates linéaires.15 Di(2-ethylhexyl)phthalate.16 Nonylphenol et nonylphenolethoxylates avec 1 ou 2 groupes ethoxy.17 Total des acenapthene, phenanthrene, fluorene, flouranthene, pyrene, benzo(b+j+k)fluoranthene, benzo(a)pyrene, benzo(ghi)perylene et indeno(1, 2, 3-c, d)pyrene.18 Somme des composés polychlorinated byphenils 28, 52, 101, 118, 138, 153, 180.19 Polychlorinated dibenzodioxins/ dibenzofuranes.

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éléments trace (ET), 3 composés traces organiques (CTO) et 6 micro-organismes d'intérêt sanitaire, soit un record de 18 paramètres à caractère sanitaire.

Clairement, les contraintes analytiques relatives à l'innocuité des matières fertilisantes limitent le développement de solutions avec déchets mélangés, favorisant de fait le traitement de mono-produits, la notion de dilution de la pollution par mélange étantrelativement équivoque. Enfin, les débats actuels sur les perturbateurs endocriniens, substances traces (résidus de médicaments, enzymes biologiques…) engendrant des modifications hormonales sur les animaux supérieurs, laissent envisager de futures contraintes sanitaires, augmentant nombre de paramètres et coûts d'analyse…

Des acquis historiques oubliésDe très nombreux documents attestent de l'expertise acquise par les sociétés humaines en matière de gestion des biodéchets et de fertilité agricole. Au premier siècle déjà, Pline écrivait dans son Histoire Naturelle que "tous les auteurs s'accordent à considérer les excréments humains comme une excellente base d'engrais pour formuler des mélanges", conviction réitérée au 10ème siècle par Constantin Porphyrogénete, empereur d'Orient dans son ouvrage intitulé "Les Géoponiques", et par Ibn Al-Awwam, agronome Hispano-Arabe de Séville dans "Le livre de l'agriculture, Kitâb Al-Filâha".. Le 19ème siècle puis le 20ème, avec l'essor des sciences agronomiques et de l'édition,fournit de très nombreuses références relatives à l'intérêt et à l'art de mélanger et préparer le compostage des biodéchets, quelques titres étant proposés ci-après :

CHAPTAL J., Traité de chimie appliquée à l'agriculture, Paris, 1823. DE DOMBASLE M., "Traité d'Agriculture", Paris 1840. PAULET M., L'engrais humain, Paris, 1853 PIERRE I., Chimie agricole, Paris, 1884 MUNTZ A., GIRARD A.C., Les engrais (3 tomes), Paris, 1889 LEZE R., Utilisation des débris des animaux, Paris, 1907 HALL A., Fertilizers and manures, London, 1909 CALMETTE A., IMBEAUX et POITEVIN, Egouts et vidanges, ordures ménagères et

cimetières, Baillière, 1911 HOWARD, A., and WAD, Y. D. The Waste Products of Agriculture: Their Utilization as

Humus, London, 1931 GAROLA C.V. et J., Engrais, Paris, 1933 LEFEBVRE A., Les engrais, Paris, 1947

Dans les faits, en l'absence d'engrais de synthèse, les déchets organiques riches en azote, principalement les déjections de tout type et les cadavres animaux, ont fait l'objet de recyclage en agriculture sous des formes diverses et variées, le plus souvent en mélange. Ainsi et à titre d'exemple, la société Pepety et Comp. déposait le 5 juin 1848 à Marseille un brevet relatif à l'élaboration des "herbes marines animalisées", engrais composé d'algues, de chaux et d'excréments humains solides…

Les 2 illustrations ci-dessous rappellent l'existence ancienne d'un marché et de professions spécialisées dans la collecte et la transformation des déjections humaines :

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Illustration extraite du dictionnaire del'argot parisien

(Loredan Larchey, 1872)

Illustration extraite de Thunder, Flush and Thomas Crapper

(Adam Hart-Davis,1997)

A propos de la rationalité des logiques économique et politiqueDe façon contemporaine mais pas seulement20, la lecture économique et politique des conditions de gestion des boues et immondices fait apparaître une relative absence de cohérence, flou qui masque en fait des luttes de pouvoirs essentiellement locales pour contrôler le marché financier associé, aspect crucial mais non abordé dans ce travail21. C'est pourquoi de très nombreux cas illustrent tout l'intérêt de projets dans lesquels des boues de STEP sont mélangées avec d'autres résidus. Les quelques exemples présentés ci-après présentent diverses opérations de valorisation organique. De façon démonstrative donc, quelques cas de compostage ou de valorisation matière jugés représentatifs, ont été listés comme suit :

- boues d'épuration et déchets verts en 2004, plus d'une centaine d'unités produisent du compost à partir de boues et déchets verts, par ex. Artois compost (55 kt/an), Brulhois compost (15 kt/an), Bury, Castelnaudary, St Jean d'Illac

- boues d'épuration urbaines et écorce de pins + déchets verts de collectivitésles 9 STEP de la Communauté d'agglo de La Rochelle (17) et ses 18 communes (200 000 équivalent.habitants) produisent 5kt/an de compost (MESSAGER et al, 2001)

- boues d'épuration laitières et urbaines, déchets verts d'agro-industries et de collectivitésla Société coopérative agricole VIVADOUR22 installée dans le sud ouest a mis en place une plateforme de compostage de capacité égale à 10 kt/an

- compost avicole et déchets verts TERRIAL, en Bretagne, transforme par compostage des sous-produits (composts avicoles, composts végétaux, fientes de volailles séchées) et produit 15 kt/an (engrais organo-minéraux; amendements et engrais organiques).

- compost de déchets verts de collectivités, de marcs de raisins et de plantes médicinalesSERPOT, en Touraine, fabrique des engrais organo-minéraux (7 kt/an) et du compost (9 kt/an) à partir de déchets verts en mélange avec résidus de plantes médicinales et marcs de raisins.

20 Les boues de Paris sous l’ancien régime, contribution à l’histoire du nettoiement urbain au 17ème et 18ème siècles, thèse de doctorat EHESS, novembre 1985 - Jacques Bourgeois-Gavardin 435 pages.21 Pour connaître les chiffres, voir l'étude de marché sur les boues d'épuration du Club AtoutBoues, 2004 www.atoutboues.fr.st22 http://www.vivadour.com/fr/environnement2.html

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- boues industrielles et déchets vertsElf Atochem à Mont (Pyrénées) valorise comme fertilisant les sous-produits du Lactame 12, matière première du Rilsan 12, polyamide technique, l'activité compostage certifiée ISO 9002 et ISO 14001.

- biodéchets des ménages et boues d’épuration L’usine de Edmonton, Alberta (Canada) traite de façon conjointe environ 140 000 t/an de biodéchets des ménages et 25 000 t/an de boues d’épuration pour produire du compost.

- perspectives énergétiques (BRODER, 2001)La municipalité de Midletown, New York a initié le projet de construction d’une unité industrielle de production d’éthanol pour un budget de 100 MUSD. Dimensionnée pour une capacité totale de 230 ktde déchets municipaux et 72 kt de boues, l’usine devrait produire environ 50 000 m3 d’éthanol/an, principalement en substitution au methyl tertiaire butyl éther MTBE utilisé comme additif à l’essence et supposé cancérigène et peu biodégradable.

- méthanisation de biodéchets Une unité pilote de méthanisation de biodéchets des ménages et de lisier de bovins fonctionne en Suisse (350 t/an de déjections et 50 t/an de biodéchets des ménages).Mise en route en 1997, l’usine KOMPOGAS située près de l’aéroport de Zurich, Suisse, transforme 13 kt/an de biodéchets des ménages (tri à la source) pour une population de 1000 000 habitants(KELLEHER, 2001).

Des perspectives de recherche en sciences humainesHistoriquement et dans le cadre d’une approche principalement technicienne et sanitaire d'une part, des prescriptions ont été élaborées pour définir ce qu’il faut faire et ne pas faire des déchets produits individuellement et collectivement en quantité importante et croissante, avec un intérêt tout particulier pour le devenir des déjections humaines. L'analyse de l'état des lieux met en évidence la difficulté récurrente des villes à gérer leurs souillures, les systèmes adoptés, complexes à mettre en œuvre, faisant l'objet de fréquentes remises en question. Si des travaux à caractère technologique et analytique sont abondants dans le domaine considéré, il n’existe pas d’approche scientifique visant à analyser l’histoire de la gestion de ces déchets (excreta humains, ordures ménagères, graisses de restauration collective, fumiers, boues d’épuration, déchets verts, graisses, composts, résidus alimentaires…) pour apporter un éclairage aux débats actuels, à l'occasion stériles. Ces débats, qui gravitent autour d’enjeux techniques et scientifiques sans issue assurée (explosion des incertitudes), pourraient très utilement être intégrés à une analyse dynamique historique des conditions de gestion de ces déchets en relation avec les modes de décisions, les notions d'hygièneet de propriété privée, évoluant ainsi vers une réelle gestion collective inscrite dans un territoire.

D’autre part et au quotidien, notre civilisation vit désormais à l'heure du principe de précaution, du développement durable, de la traçabilité et de la participation citoyenne. En fait riche et un peu égarée, elle vit surtout dans la psychose de l'infernal terrorisme, y compris celui d'un empoisonnement par l'excrément souillant l'aliment industriel, négligeant les enjeux fondamentaux de l'hygiène domestiques ! Dans ce contexte ultra sécuritaire et aux performances analytiques démultipliées, la gestion sociale et technique des déchets organiques fermentescibles met en œuvre 3 forces principales. Alors que la philosophie ambiante et traditionnelle prône le recyclage (et le mélange optimisé des intrants), alternative à la décharge et à l’incinération, que les réglementations associées deviennent chaque jour plus contraignantes, alimentées par des recherches pointues et segmentées, et que l'opinion publique, et au-delà ses édiles, est à la recherche de points de repère, le débat public interdisciplinaire est plus que jamais nécessaire. C'est pourquoi, étudier les conditions des mélanges intégrant les boues de STEP doit désormais impliquer des chercheurs en sciences humaines à côté des ingénieurs et biologistes, ceci afin d'accompagner avec cohérence les fonctionnaires rédacteurs des réglementations. Si, sur le plan rationnel, les mélanges

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sont utiles, il appartient à la société d'encadrer et de surveiller ces pratiques. Mais définir ces règles, au niveau communautaire, national et local, ne peut être raisonnablement réalisé que par un travail continu d'éducation et de concertation. Ainsi,les questions philosophiques (faut-il ou non brûler les immondices ?) sont susceptibles d'être alors mises à jour, en particulier en analysant des thèmes comme les nuisances olfactives et l'historique des systèmes de gestion…

Bibliographie

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