Cours 6-Droit Des Biens

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  • 8/14/2019 Cours 6-Droit Des Biens

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    Cours 6 Droit des biens

    Quest-ce que le droit des biens ?

    A la base du droit des biens rgne la distinction entre les personnes et les

    choses. La personne est sujet de droit ; les choses sont objet de droit. A

    cet gard, il faut dailleurs bien remarquer que ltre humain est le seul

    tre vivant considr comme un sujet de droit, donc comme titulaire de

    droits et dobligations. Les animaux entrent dans la catgorie des choses,

    objets de droit. Certes, on entend souvent parler des droits de lanimal

    et lon peut certainement se fliciter que les animaux bnficient dune

    protection. Mais, juridiquement, cette expression na aucun sens : les

    animaux ne peuvent pas avoir de droits ni dobligations. Ils peuvent

    seulement faire lobjet dune protection, par exemple travers la sanctiondes personnes qui les soumettent des actes de cruaut. Ainsi, le droit

    est binaire : il nexiste pas de catgorie intermdiaire entre les personnes

    et les choses ; lanimal est donc une chose, mme sil sagit dune chose

    particulire, qui peut tre objet de proprit.

    Le droit divise donc le monde en deux catgories : les personnes et les

    choses. Les personnes sont rgies par le droit des personnes ; les choses

    par le droit des biens. Les personnes ont des droits sur les choses, par

    exemple sur les choses dont elles sont propritaires. En 1re approximation

    on peut donc dire que le droit des biens rgit les droits des personnes sur

    les choses. Il organise les rapports de lhomme avec les choses. Mais en

    ralit, la notion de bien est bien difficile cerner, dautant que le Code

    civil ne la dfinit pas, alors mme quil sagit lvidence dune notion

    fondamentale. Et dire quun bien cest une chose est approximatif. En

    effet, et la formule est connue, toutes les choses ne sont pas des biens et

    tous les biens ne sont pas des choses.

    Toutes les choses ne sont pas des biens.En effet, bien que la notion

    de bien soit difficile dfinir, il est en tout cas acquis que seules leschoses susceptibles dtre appropries peuvent tre qualifies de biens :

    les biens sont les choses utiles pour lhomme et susceptibles

    dappropriation prive. Ds lors, le droit des biens est le droit des choses

    appropries. Or, toutes les choses ne sont pas appropriables et ne sont

    donc pas juridiquement des biens.

    Il en est ainsi des res communis, les choses communes. Selon larticle 714

    du Code civil, ce sont les choses qui nappartiennent personne et dont

    lusage est commun tous . Elles nappartiennent donc personne parce

    quelles ne peuvent tre appropries et doivent servir lutilit de tous :

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    lair, locan, le soleil Tout le monde peut en jouir, mais personne nen

    est propritaire. Encore faut-il prciser que toute appropriation nest pas

    absolument impossible : il est possible de sapproprier une fraction de ces

    choses communes (une bouteille deau, une bombonne dair comprim).

    Il ne faut pas confondre les choses communes, les res communis, avec leschoses sans matre. Les choses sans matre sont celles qui

    nappartiennent personne un moment donn mais qui sont

    susceptibles dappropriation (ex. : le chien errant). Le Code civil sest

    intress certains dentre eux : les immeubles sans matre. Ainsi, larticle

    539 prvoit que les biens des personnes qui dcdent sans hritiers ou

    dont les successions sont abandonnes appartiennent lEtat. Larticle

    713 prvoit que les biens qui nont pas de matre appartiennent la

    commune sur le territoire de laquelle ils sont situs . Si la commune

    renonce exercer ses droits, la proprit est transfre de plein droit lEtat. Il nexiste donc pas de vritables immeubles sans matre puisque

    faute de matre priv, cest la commune ou lEtat qui en devient

    propritaire. En revanche, il existe de vritables meubles sans matre. On

    en distingue classiquement deux types : les res nullius et les res

    derelictae. Les res nullius sont les choses qui nappartiennent personne

    et que personne ne sest jamais appropries (ex. : gibier, poissons). Les

    res derelictae sont les choses qui ont t appropries mais qui ont t

    abandonnes par leur ancien matre. Toutes ces choses sans matre ne

    sont pas appropries mais elles peuvent ltre, et pourront donc trequalifies de biens, ce qui les distingue donc des res communis.

    Dautres choses sont traditionnellement exclues de la catgorie des biens,

    parce quon considre quelles ne sont pas susceptibles dune vritable

    appropriation. Il sagit en particulier du corps humain. Le corps humain est

    le sige de la personne, cest la personne mme, et il ne peut donc pas

    tre qualifi de bien. Cela permet dexclure lesclavage et de sopposer au

    commerce de lhumain1.

    Tous les biens ne sont pas des choses, ou plutt des chosesmatrielles. Le terme chose est en effet le plus souvent employ pour

    dsigner des objets ayant une existence physique, matrielle. Les choses

    matrielles sont celles que lon peut percevoir par les sens, que lon peut

    toucher, voir Or, certains biens sont immatriels : ils nont pas

    dexistence physique mais sont pourtant juridiquement considrs comme

    des biens. Il en est ainsi, par exemple, du droit dauteur : ici, le bien, ce

    nest pas seulement le support physique de luvre ; le bien cest luvre

    1 Il est vrai nanmoins que les progrs scientifiques pourraient conduire une certaine

    appropriation du vivant, comme le dmontrent les dbats sur la brevetabilit du vivant(des squences gntiques par exemple).

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    en tant que telle. Ce qui a de la valeur dans un roman cest lesprit de

    lauteur quil manifeste, et non le papier, qui na, lui, quune trs faible

    valeur. Et cest luvre de lesprit en elle-mme qui est la proprit de

    lauteur. Autre exemple : les valeurs mobilires, telles que les actions,

    nont pas dexistence physique, pourtant elles ont une valeur conomiquevidente, et ce sont juridiquement des biens. En outre, la doctrine

    considre plus gnralement que les droits eux-mmes sont des biens. Et

    ces droits, en tant que tels, nont pas dexistence physique. Ainsi, dans le

    patrimoine dune personne figurent ses droits, qui sont juridiquement des

    biens (le droit de proprit sur telle chose, le droit de crance lgard

    dune personne). Si lon poussait lextrme ce raisonnement, il ne

    serait mme plus ncessaire de sinterroger sur lobjet sur lequel porte le

    droit (objet matriel ou immatriel), le bien tant tout simplement le droit,

    et non lobjet du droit. Prcisment, selon une partie de la doctrine, il

    existerait une confusion entre les choses et les droits sur les choses, par

    exemple entre la maison et le droit de proprit sur la maison. Cest le

    droit sur la chose qui constituerait le bien, et non la chose elle-mme. Mais

    cette doctrine est critique par certains, qui estiment que le droit de

    proprit ne peut tre considr comme un bien sans absurdit. Il ny a

    pas de sens considrer comme objet dappropriation linstrument mme

    de lappropriation (F. Znati). Quoi quil en soit de ce dbat, il est clair

    que les biens ne sont pas seulement les choses ayant une existence

    physique, mais aussi des choses immatrielles, incorporelles, ds lors

    quelles ont une utilit et une valeur conomique et quelles peuvent treappropries.

    Il faut galement voquer le lien indissociable entre le droit des biens et la

    notion de patrimoine : en effet, les biens entrent dans le patrimoine de la

    personne. Le patrimoine est ainsi un contenant, le rceptacle juridique des

    biens. Au sein du patrimoine on trouve, lactif, les biens, c'est--dire

    toutes les choses et les droits qui ont une valeur pcuniaire (au passif on

    trouvera les dettes, les obligations).

    Sources du droit des biens et projet de rforme

    Le droit des biens trouve sa source essentielle dans le Code civil, et plus

    prcisment dans le livre 2e du Code civil intitul des biens et des

    diffrentes modifications de la proprit (art. 516 710). Ici comme en

    droit des contrats, on trouve dsormais dautres dispositions, extrieures

    au Code civil, rglementant certains biens : code rural, code de

    lenvironnement, code de lurbanisme Mais le Code civil reste le sige du

    droit des biens. Pour lessentiel, les dispositions datent de 1804 et nont

    pas t modifies depuis. Il ny a eu aucune grande rforme des

    dispositions du Code civil relatives aux biens depuis 1804. Or, il est clair

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    que le patrimoine des personnes a beaucoup volu depuis deux sicles.

    Lorganisation sociale, les sources de richesses, ont chang. A certains

    gards, les dispositions du Code civil ne paraissent plus en adquation

    avec les ralits conomiques et sociales de notre temps. Il suffit de

    prendre quelques exemples. Tout dabord, les dispositions du Code ont tcrites pour une socit rurale, agricole qui nest plus la ntre. Le

    vocabulaire lui-mme le dmontre qui voque longuement, de manire

    quelque peu suranne, les choses du monde rural, comme les moulins

    vent (art. 519), les semences donnes aux fermiers, les pigeons des

    colombiers, les lapins de garenne et autres ruches miel (art. 524)

    Ensuite, conformment au contexte de lpoque, les biens considrs

    comme les plus importants par le Code civil sont les immeubles. On

    considrait alors quils taient seuls dignes dune vritable protection car

    ils taient les biens prsentant la plus grande valeur. Les meubles enrevanche taient quelque peu dnigrs (on reproduisait alors la

    conception exprime par le vieil adage res mobilis, res vilis). Or, il est clair

    quaujourdhui les immeubles ne sont plus les seuls avoir une valeur

    conomique importante : les plus grandes fortunes du monde

    appartiennent des crateurs dentreprises dont la principale richesse est

    leurs socits, et plus exactement leurs parts sociales ou leurs actions. Or,

    ces parts sociales sont des biens meubles. De ce point de vue encore, le

    Code civil nest donc plus adapt aux ralits, les biens meubles pouvant

    avoir une valeur considrable.

    Enfin, et dans le mme esprit, les dispositions du Code civil ont t

    rdiges en considration des biens matriels, du monde physique (la

    maison, le champ du fermier). Or, aujourdhui, les biens immatriels ont

    envahi le patrimoine des personnes et ont parfois une grande valeur

    conomique : valeurs mobilires, actions de socits, droits dauteur,

    droits de proprit industrielle (brevets, marques) L encore, le Code

    nest pas adapt cette ralit2.

    Toutes ces volutions rendent souhaitable une rcriture des textes duCode civil relatifs au droit des biens. Certes, comme en droit des contrats,

    la jurisprudence a jou un rle important pour faire voluer le droit

    franais en dpit de textes inchangs depuis 1804. Par exemple, cest elle

    qui a dvelopp la thorie des troubles anormaux de voisinage, et elle a

    prcis de nombreuses rgles sur lesquelles le Code est trop flou ou mal

    rdig. Mais il reste quil peut paratre souhaitable que le Code civil soit le

    reflet de la socit actuelle et que ses dispositions soient donc rvises. Et

    2 Encore que, sagissant du dernier exemple, il nappartient probablement plus au Code

    civil de sen proccuper, depuis quexiste un Code de la proprit intellectuelle,rglementant la fois les droits de proprit industrielle et le droit dauteur.

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    Comme pour les contrats, il existe ici plusieurs classifications des biens. La

    principale oppose les biens meubles et immeubles (section 1). Il existe

    ensuite des classifications secondaires (section 2).

    Section 1 La classification principale : les meubles et les

    immeubles

    Le Code civil oppose les biens meubles et les biens immeubles. En effet,

    selon larticle 516, tous les biens sont meubles ou immeubles . Tous les

    biens doivent donc entrer dans lune ou lautre de ces deux catgories. La

    catgorie des meubles est la catgorie ouverte : tout ce qui nest pas

    immeuble est meuble. Ainsi, les immeubles sont en nombre limit. En

    revanche, les meubles sont en nombre illimit. Il faut voir dabord le

    critre de distinction (1) puis lintrt de la distinction (2).

    1 Le critre de distinction des meubles et des immeubles

    Le critre de distinction entre les meubles et les immeubles retenu par le

    Code civil est essentiellement un critre physique : la mobilit (meuble :

    du latin mobilis, mobile). Sont meubles les biens qui peuvent se dplacer

    (animaux) ou qui peuvent tre dplacs (art. 528 : sont meubles par leur

    nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter dun lieu un

    autre, soit quils se meuvent pas eux-mmes, soit quils ne puissent

    changer de place que par leffet dune force trangre ). A linverse, sont

    immeubles ceux qui ne le peuvent pas : il sagit donc des biens qui sontancrs dans le sol (et du sol lui-mme). Mais ce critre physique nest pas

    le seul, puisque le Code civil envisage plusieurs sortes de meubles et

    dimmeubles.

    A Les immeubles

    Selon larticle 517 du Code civil, les biens sont immeubles, ou par leur

    nature, ou par leur destination, ou par lobjet auquel ils sappliquent . On

    distingue ainsi les immeubles par nature, les immeubles par destination

    et les immeubles par lobjet auquel ils sappliquent.Les immeubles par nature. Il sagit des choses dont il est de la nature

    mme dtre immeubles. On applique donc ici le critre physique : est

    immeuble par nature ce qui est immobile, ce qui ne peut tre dplac. Il

    sagit donc du sol et de tout ce qui est attach au sol, comme les

    constructions ou les vgtaux. Le Code en donne quelques exemples :

    larticle 518 dispose ainsi que les fonds de terre et les btiments sont

    immeubles par leur nature . Il cite de mme les moulins vent ou eau

    fixs au sol (art. 519), les rcoltes pendantes par les racines et les fruits

    des arbres non encore recueillis (art. 520) Ainsi les vgtaux et lesarbres sont immeubles tant quils adhrent au sol ; ds lors en revanche

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    quils sont coups, ils deviennent meubles. Dans le mme esprit,

    sagissant des btiments, il faut prciser que les matriaux de

    construction sont lorigine meubles, quils deviennent ensuite immeubles

    une fois intgrs au btiment, et quils redeviennent meubles aprs

    dmolition du btiment (art. 532).Les immeubles par destination. Les immeubles par destination sont

    des biens qui ne sont pas par nature immeubles, mais que lon considre

    comme tels parce quils servent un immeuble. Par nature ils sont donc

    meubles, mais en raison de leur lien avec un immeuble on les considre

    eux-mmes comme des immeubles. Lhypothse type est celle dune

    personne propritaire dun immeuble par nature et dun meuble, qui

    affecte le meuble limmeuble.

    Deux conditions sont ncessaires pour tre en prsence dun immeublepar destination : lappartenance du meuble et de limmeuble au mme

    propritaire, et un rapport de destination entre le meuble et limmeuble.

    Le Code civil admet trois sortes de destination : la destination agricole, la

    destination industrielle et lattache perptuelle demeure.

    La destination agricole (art. 524) : les meubles affects au service dune

    exploitation agricole sont des immeubles par destination. Le Code en

    donne plusieurs exemples comme les instruments agraires, les animaux

    tels que les abeilles des ruches miel, les engrais, les semences, la

    paille

    La destination industrielle : de mme les meubles affects au service dun

    tablissement industriel sont immeubles par destination. Ici aussi, larticle

    524 du Code civil en cite plusieurs exemples, comme les outils ncessaires

    lexploitation des forges et autres usines. Le Code civil ne lenvisageait

    pas lpoque, mais il faut aujourdhui ajouter la destination

    commerciale : par exemple, les lits garnissant un htel sont des

    immeubles par destination parce quils servent une exploitation

    commerciale.

    Lattache perptuelle demeure : le Code civil indique que sont

    galement des immeubles par destination tous les meubles que le

    propritaire a attachs au fonds perptuelle demeure . Il sagit des

    ornements agrmentant un immeuble, ds lors quils lui sont attachs

    perptuelle demeure , c'est--dire quils lui sont solidement attachs

    (critre matriel). Il faut que lon puisse dceler la volont du propritaire

    de les intgrer limmeuble, de les immobiliser, den faire une partie

    intgrante de limmeuble (critre psychologique). Le Code en cite

    plusieurs, tels que les meubles scells en pltre ou chaux ou

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    ciment , les meubles qui ne peuvent tre dtachs sans tre fracturs

    et dtriors (art. 525).

    Dans tous les cas, la justification de la qualification dimmeuble par

    destination est la suivante : il sagit de simplifier les choses en appliquant

    un rgime juridique unique limmeuble et aux meubles qui lui sont lis.Cela permet de ne pas dissocier ce qui, en pratique, doit aller ensemble.

    Ainsi, par exemple, limmeuble est en principe vendu avec tous les

    immeubles par destination. De mme, la saisie de limmeuble emportera

    saisie des immeubles par destination (le crancier naura donc pas

    pratique une saisie immobilire + des saisies mobilires). De mme

    encore, en cas de dcs de lagriculteur par exemple, la proprit des

    champs et des biens ncessaires leur exploitation ne devra pas tre

    spare : le mme hritier devra recevoir limmeuble par nature et

    limmeuble par destination.

    Les immeubles par lobjet auquel ils sappliquent. Ici, la loi ne

    sintresse plus aux choses en tant que telles, aux choses matrielles. Elle

    sintresse aux droits portant sur les choses. Elle indique ainsi que les

    droits portant sur une chose immobilire doivent eux-mmes tre qualifis

    de biens immeubles. Le Code civil en donne une liste (qui nest

    quindicative) : lusufruit des choses immobilires ; les servitudes ou

    services fonciers ; les actions qui tendent revendiquer un immeuble .

    Ainsi, par exemple, lorsque lusufruit porte sur un bien immeuble, il est lui-

    mme considr comme un bien immeuble.

    Le projet de rforme reprend la division tripartite des immeubles (par

    nature, par destination, par leur objet), mais il en modernise et simplifie

    les dfinitions. Par exemple, les textes sur les immeubles par destination

    sont considrablement allgs, sans modifier pour autant le droit positif :

    Par leur destination, sont immeubles les meubles attachs ou affects

    un immeuble par leur propritaire commun. Est prsum attach un

    immeuble, sauf preuve contraire, tout meuble qui ne peut en tre dtach

    sans dtrioration ou qui a t conu ou adapt pour y tre intgr. Estprsum affect un immeuble, sauf preuve contraire, tout meuble

    ncessaire son exploitation (art. 528). Exit donc la foule dexemples

    parfois suranns ou en tout cas inutiles (pigeons colombiers, lapins de

    garenne, ruches miel, pressoirs, alambics cf. art. 524 actuel). Les

    textes sont ainsi rationnaliss.

    B Les meubles

    Ici aussi, le Code civil distingue plusieurs catgories de meubles : les

    meubles par nature et les meubles par dtermination de la loi (art. 527).La jurisprudence en a ajout une 3e : les meubles par anticipation.

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    Les meubles par nature. On applique nouveau le critre physique :

    sont des meubles par nature les biens qui peuvent se dplacer ou tre

    dplacs. Il en est ainsi, par exemple, des animaux, des meubles

    meublants4, des vtements

    Les meubles par dtermination de la loi. Comme pour les immeubles,il sagit non plus de sintresser aux choses elles-mmes, mais aux droits

    portant sur les choses. Sont donc meubles par dtermination de la loi les

    droits portant sur des meubles. Ainsi, lusufruit est un meuble lorsquil

    porte sur une chose mobilire, et un immeuble lorsquil porte sur une

    chose immobilire. Larticle 529 donne quelques exemples des meubles

    par dtermination de la loi : il nonce que sont des meubles par

    dtermination de la loi les obligations et actions qui ont pour objet des

    sommes exigibles ou des effets mobiliers . Sont donc galement des

    meubles par dtermination de la loi les actions de socits ou partssociales.

    Les meubles par anticipation. Il sagit de biens immeubles qui sont

    traits juridiquement comme des meubles parce quils se destinent le

    devenir. Le droit anticipe donc sur la ralit, et les traite dores et dj

    comme des meubles. Il en est par exemple ainsi des fruits des arbres :

    tant quils sont sur larbre ce sont en principe des immeubles par nature ;

    mais ils sont destins tre cueillis et donc devenir des meubles ; on

    peut donc les qualifier de meubles par anticipation et les considrer dj

    comme des meubles, bien quils soient encore sur larbre. Il faut prciser

    que cette notion nexiste pas dans le Code civil. Cest la jurisprudence qui

    la consacre. Cela permet dallger le rgime applicable ces biens. En

    effet, on le verra, la vente de meuble et la vente dimmeuble ne sont pas

    soumises au mme rgime. Le rgime de la vente dimmeuble est

    beaucoup plus lourd que celui de la vente de meuble. La qualification de

    meuble par anticipation permet dappliquer le rgime plus souple de la

    vente mobilire, mme si, au moment de la vente, la chose est encore

    attache au sol. Ainsi, une rcolte sur pied (fruits, bls, bois) sera

    soumise au rgime de la vente mobilire, bien que la rcolte soit encoreattache la terre. Ds lors que les parties ont conclu le contrat sur ces

    immeubles en considration du moment o ils deviendront meubles, on

    les considre ds lorigine, ds la formation du contrat, comme des

    meubles.

    4 Les meubles meublants sont les meubles du langage courant. Le Code le prciseexpressment en son article 534 : les mots meubles meublants ne comprennent que les

    meubles destins lusage et lornement des appartements, comme tapisseries, lits,siges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature .

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    Ici aussi, le projet de rforme reprend le triptyque des biens meubles

    (par nature, par leur objet, par anticipation). Ainsi, la cration

    jurisprudentielle des meubles par anticipation est consacre (art. 532 : le

    propritaire de choses susceptibles dtre dtaches dun immeuble et

    son cocontractant peuvent, par anticipation, les considrer commemeubles : ainsi les rcoltes sur pied, les matriaux extraire dune mine

    ou dune carrire, les produits devant provenir dune dmolition ).

    Sagissant des meubles par nature, la formulation est simplement

    modifie : au lieu de dfinir les meubles par nature (ceux qui peuvent se

    dplacer ou tre dplacs, cf. art. 528 actuel), le projet propose un

    article 530 se contentant de dire que toutes les choses corporelles,

    autres que celles vises aux articles 527 et 528, ainsi que toutes les

    choses incorporelles, sont meubles . La dfinition procde donc par

    renvoi la catgorie des immeubles et consacre le principe selon lequel

    tout ce qui nest pas immeuble est meuble. Mais il sagit bien, selon la

    terminologie en vigueur, des meubles par nature.

    2 Intrts de la distinction des meubles et des immeubles

    Sous lAncien droit on considrait que seule la terre avait une vritable

    valeur conomique. Les autres biens taient considrs comme ayant une

    valeur ngligeable (res mobilis, res vilis). On estimait donc quil fallait que

    le rgime applicable aux biens immobiliers leur octroie une protection plus

    grande quaux autres. Il fallait notamment permettre den assurer la

    conservation dans les familles nobles qui les possdaient. Aujourdhui, les

    consquences de la qualification de bien meuble ou immeuble ont bien sr

    volu. Mais il reste que les immeubles sont souvent mieux protgs que

    les meubles parce que le Code civil avait adopt cette perspective. Au

    demeurant, il reste vrai que, pour de nombreuses personnes, les biens

    immobiliers forment lessentiel de leur fortune.

    Cela se manifeste de plusieurs manires. On se contentera de quelques

    exemples. Tout dabord, les ventes de meubles et dimmeubles ne sont

    pas soumises au mme rgime. Le rgime de la vente dimmeuble est pluslourd : la vente doit ainsi tre publie officiellement, alors que la vente de

    meuble na pas ltre, et cela implique en outre des frais. Plus

    gnralement dailleurs, tous les transferts de proprit immobilire

    doivent tre publis (quil sagisse de vente, de donation, de

    succession). La proprit immobilire est certains gards mieux

    protge que la proprit mobilire. Ainsi, les saisies auxquelles peuvent

    procder les cranciers sur les biens de leur dbiteur sont soumises des

    rgimes diffrents selon quelles portent sur un immeuble ou sur un

    meuble. Or, la procdure est beaucoup plus lourde en matire de saisie

    immobilire quen matire de saisie mobilire, afin de protger les droits

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    du propritaire de limmeuble. La vente dimmeuble peut galement tre

    rescinde pour cause de lsion (si elle porte au moins sur les 7/12e), alors

    que la vente de meuble ne le peut pas. Lide est quen principe il

    convient de ne pas remettre en cause les conventions librement conclues,

    mme si elles apparaissent dsquilibres. Mais ce principe a t cartpour la vente dimmeuble : le lgislateur a estim que la lsion, le

    dsquilibre grave devait tre sanctionn ds lors quil porte sur un bien

    constituant bien souvent lessentiel de la richesse dune personne.

    Dautre part, les pouvoirs que peuvent exercer les personnes sur ces biens

    diffrent : par exemple, lorsquune personne est place sous tutelle, le

    tuteur peut librement vendre les meubles appartenant la personne

    protge, alors quil ne peut vendre un immeuble quavec lautorisation du

    juge des tutelles. De mme, lorsque deux poux sont propritaires dun

    immeuble, lun dentre eux ne peut pas le vendre sans laccord de lautre,alors quil peut vendre un meuble commun (en principe du moins). Cela

    manifeste, encore une fois, une volont de protger davantage la

    proprit immobilire.

    Section 2 Les classifications secondaires

    Il en existe plusieurs.

    1 Biens consomptibles et non-consomptibles

    Les biens consomptibles, comme leur nom lindique, sont ceux quipeuvent tre consomms. Plus prcisment, il sagit des biens prissables,

    qui se consument, prissent par le premier usage. Ex. un fruit est un bien

    consomptible : ds quil sera utilis, c'est--dire mang, il disparatra. Pour

    tre qualifi de bien consomptible, il faut que la chose prisse au 1er

    usage, et non seulement quelle suse. Ainsi, par exemple, une voiture

    nest pas un bien consomptible, bien quelle suse lusage.

    Cette distinction produit quelques consquences, notamment sur le terrain

    des contrats de restitution comme le prt, puisque les biens consomptiblesne peuvent pas tre restitus aprs usage. Il est vident que le prt

    usage, c'est--dire le prt par lequel une personne prte son bien une

    autre pour quelle lutilise, charge de le rendre, est impossible en

    prsence dun bien consomptible, puisque lusage dtruit la chose. Seul un

    prt la consommation est donc concevable : dans ce cas, lemprunteur

    sengage restituer une chose quivalente celle quil a reu. On ne peut

    pas non plus louer une chose consomptible car on ne pourrait pas la

    rendre. Dans le mme esprit, lusufruit implique un rgime particulier

    lorsquil porte sur une chose consomptible. En principe, lusufruitier, c'est-

    -dire celui qui a lusage et la jouissance dune chose, doit la restituer au

    11

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    terme de lusufruit. Or, cela nest pas possible en prsence dune chose

    consomptible. Lusufruitier dune chose consomptible ne peut restituer le

    bien quil a utilis et donc dtruit ; il doit donc restituer une chose de

    mme valeur (art. 587). On parle alors de quasi-usufruit .

    2 Biens fongibles et non-fongibles

    Les biens fongibles sont ceux qui sont interchangeables. Par exemple, les

    exemplaires du mme livre empils sur le prsentoir dune librairie. Ce

    sont en gnral des choses de genre, qui ne peuvent tre identifies que

    par leur qualit et leur quantit (par ex. du bl). A linverse, les biens non

    fongibles, ou corps certains, ne sont pas interchangeables parce quils

    sont uniques : par exemple la toile Guernica de Picasso nest pas

    interchangeable avec un autre tableau.

    Ici aussi, une diffrence en dcoule au sujet des contrats de restitution :ces contrats impliquent imprativement la restitution de la chose elle-

    mme lorsquils portent sur une chose non-fongible. En revanche, la

    restitution peut porter sur chose quivalente si le contrat porte sur une

    chose fongible.

    Il y a aussi une diffrence en matire de vente. En principe, le transfert de

    proprit a lieu au moment de la conclusion du contrat sil porte sur un

    corps certain. En revanche, il est report lindividualisation de la chose

    sil porte sur une chose de genre : le transfert de proprit interviendra aumoment o la chose sera mesure ou pese Ainsi, les risques ne psent

    sur lacheteur quune fois que la chose a t individualise.

    3 Biens frugifres et non-frugifres

    Cette distinction prend en compte la capacit de certains biens en

    produire de nouveaux. Les biens frugifres sont des biens qui fournissent

    des fruits, au sens juridique du terme. Les biens non-frugifres sont ceux

    qui nen produisent pas. Les fruits sont les biens que fournit un autre bien

    sans altration de sa substance

    5

    .Le Code civil voque trois catgories de fruits : les fruits naturels, les fruits

    industriels et les fruits civils (art. 582). Les fruits naturels sont ceux

    produits par la nature, qui sont le produit spontan de la terre (art.

    583) : les fruits du sens courant, le foin Les fruits industriels sont ceux

    obtenus par lindustrie de lhomme. Les fruits civils sont les revenus, les

    5 Ils se distinguent des produits qui sont fournis par un bien en en altrant lasubstance. Exemple : les loyers perus grce la location dun immeuble sontdes fruits : ce sont des biens fournis par limmeuble sans en altrer la substance ;

    linverse, les pierres extraites des carrires sont des produits car,progressivement, ils vont altrer la substance de la carrire.

    12

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    sommes dargent produites priodiquement par une chose : les loyers

    des maisons, les intrts des sommes exigibles, les arrrages des rentes

    (art. 584). Les principaux fruits civils sont les loyers quun propritaire

    retire de la location de son bien.

    Le Code civil a pris en compte cette catgorie de biens afin de prciser lesort des fruits. Ils appartiennent en principe au propritaire du bien

    frugifre qui les produit. Mais lhypothse de lusufruit a conduit le

    lgislateur apporter des prcisions. Il prvoit que lusufruitier a le droit

    de jouir de toutes espces de fruits, soit naturels, soit industriels, soit

    civils, que peut produire lobjet dont il a lusufruit (art. 582).

    Chapitre 2 Le droit de proprit

    Le droit de proprit est le principal droit, le droit le plus absolu quune

    personne peut avoir sur un bien. Lors de la rdaction du Code civil, le droit

    de proprit a t conu comme lun des piliers du droit civil, comme lun

    des droits les plus sacrs consacrs par la loi civile. Quelques annes plus

    tt, la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 elle-mme

    classait la proprit dans la catgorie des droits naturels et

    imprescriptibles de lhomme (art. 2), et le qualifiait de droit inviolable

    et sacr (art. 17). Il en rsulte que le droit de proprit est un droit de

    valeur constitutionnelle, la Dclaration des droits de lhomme et ducitoyen faisant partie du bloc de constitutionnalit. Cest dire limportance

    du droit de proprit, et plus prcisment de la proprit individuelle, dans

    le droit moderne. Sa dfinition mme dans le Code civil dmontre la

    majest que ses auteurs ont voulu lui donner. Larticle 544 du Code civil,

    lun des textes les plus clbres de ce Code, dispose que la proprit est

    le droit de jouir et de disposer des choses de la manire la plus

    absolue . En outre, aujourdhui, le droit de proprit est protg par de

    nombreuses conventions internationales, comme la Convention

    europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts

    fondamentales par exemple. Larticle 1er du Protocole additionnel n 1

    prvoit en effet que chacun a droit au respect de ses biens. Nul ne peut

    tre priv de sa proprit que pour cause dutilit publique et dans les

    conditions prvues par la loi et les principes gnraux du droit

    international .

    Laffirmation trs forte du droit de proprit dans le Code civil de 1804

    visait mettre fin la conception de la proprit qui rgnait sous lancien

    rgime. A cette poque, toute personne ne pouvait pas devenir

    propritaire et acqurir un droit absolu sur les choses, du moins les choses

    13

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    immobilires6. La proprit immobilire tait un privilge qui ntait pas

    accord tous. On distinguait ainsi le domaine minent et le

    domaine utile : le domaine minent ne pouvait appartenir quaux

    seigneurs ; le domaine utile pouvait tre acquis par ceux qui exploitaient

    la terre. Mais en ralit ces personnes obtenaient seulement la jouissancedes terres ; elles ne pouvaient en devenir pleinement propritaires, car

    leur position sociale le leur interdisait ; elles devaient en outre payer des

    redevances aux seigneurs pour exploiter la terre. Ce sont donc les

    seigneurs qui restaient propritaires de la terre. Ainsi, laffirmation du

    caractre absolu du droit de proprit dans le Code civil met clairement fin

    ce systme et rtablit lgalit civile au regard de la proprit, dans la

    continuit des acquis de la Rvolution franaise. Chaque citoyen pourra

    dsormais acqurir sa terre et en tre seul propritaire. Par cet article, les

    auteurs du Code civil ont clairement affirm une idologie librale et

    individualiste.

    Mais encore faut-il savoir exactement ce que recouvre ce droit absolu.

    Pour le savoir, il faut dabord examiner ce quon appelle les attributs

    de la proprit (section 1). Nous verrons ensuite les caractres du droit de

    proprit (section 2).

    Section 1 Les attributs de la proprit

    On appelle attributs de la proprit les prrogatives auxquelles la

    proprit donne droit. La proprit a trois attributs, que lon dsigne leplus souvent par leur appellation latine : usus, fructus, abusus. Lusus cest

    le droit dusage (1) ; le fructus le droit de jouissance (2) ; labusus le

    droit de disposition (3). Lorsque ces trois attributs sont runis, on est en

    prsence dun droit de proprit. Larticle 544 nvoque expressment que

    le fructus et labusus ( la proprit est le droit de jouir et de

    disposer ), mais il est admis que lusus est implicitement vis. Le projet

    de rforme propose de laffirmer expressment : le droit de proprit

    serait dfini comme le droit exclusif et perptuel duser, de jouir et de

    disposer des choses et des droits (art. 534).

    1 Le droit duser de la chose

    Lusus dsigne le droit duser ou de ne pas user de la chose dont on est

    propritaire. Il sagit de la prrogative la plus lmentaire du droit de

    proprit. Lusus comporte dabord un aspect positif, le droit dutiliser la

    chose, en y habitant, en lutilisant Il faut nanmoins prciser quen

    ralit lusus ne se conoit pas pour une catgorie de biens : les biens

    6 Chacun tait en revanche pleinement propritaire de ses meubles, mais ils taientconsidrs comme ayant une valeur ngligeable.

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    consomptibles, c'est--dire ceux qui prissent par lusage. User de la

    chose, cest donc en mme temps la dtruire, c'est--dire en disposer.

    Dans ce cas, on dit que lusus se confond avec labusus.

    Lusus comporte ensuite un aspect ngatif, le droit corrlatif de ne pas

    user de la chose. Cela signifie quune personne ne peut pas tre prive deson droit de proprit parce quelle nutilise pas son bien ou encore parce

    quelle le laisse se dgrader : elle est pleinement en droit de ne pas en

    user si elle le veut, sans que cela remette en cause sa proprit.

    2 Le droit de jouir de la chose

    Le fructus est le droit de jouir de la chose, c'est--dire le droit den

    percevoir les fruits. Tous les fruits produits par la chose (naturels,

    industriels, civils) appartiennent au propritaire de la chose (art. 546 : la

    proprit dune chose, soit mobilire, soit immobilire, donne droit surtout ce quelle produit ). Il est par suite libre den faire ce quil veut.

    Il faut relever que la notion de fructus a donn lieu une importante

    polmique depuis quelques annes par rapport une question

    particulire : celle de limage des biens. La question est de savoir si le

    fructus confre au propritaire le droit exclusif dexploiter limage de ses

    biens, c'est--dire le droit dexploiter son bien sous forme de

    photographie. Si tel est le cas, le droit de proprit sopposerait toute

    exploitation de limage des biens par les tiers non propritaires. Sur cepoint, la jurisprudence a volu en plusieurs tapes. Pendant un temps, la

    Cour de cassation a pu ladmettre : le propritaire a seul le droit

    dexploiter son bien, sous quelque forme que ce soit () ; lexploitation du

    bien sous la forme de photographies (par un tiers) porte atteinte au droit

    de jouissance du propritaire (Cass. 1re civ., 10 mars 1999, JCP 1999, II,

    10078, note P.-Y. Gautier). La solution tait nouvelle. En effet, pour la 1 re

    fois, la Cour de cassation faisait une interprtation trs extensive des

    termes de larticle 544 du Code civil : elle admettait que le fructus sur une

    chose corporelle stend sa dimension incorporelle, c'est--dire son

    image. Cette solution a suscit des critiques et sa porte fut limite par

    plusieurs dcisions ultrieures. Les juges ont dabord pu retenir des

    solutions plus mesures, afin de concilier les droits du propritaire de la

    chose photographie, les droits artistiques du photographe et mme

    lintrt du public. Ainsi des juges ont-ils pu noncer que le droit du

    propritaire de la chose sur son image lui permet seulement dempcher

    lexploitation commerciale de cette image, mais que cette image pouvait

    tre utilise lorsquelle rpond un souci pdagogique dinformation

    relevant de la libert dexpression (au sujet de la reproduction de

    limage dun chteau dans un ouvrage sur le patrimoine franais, CA Paris,31 mars 2000, D. 2001, p. 770). Mais les critiques ont continu.

    15

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    LAssemble plnire de la Cour de cassation est finalement intervenue et

    a largement limit la porte de la jurisprudence antrieure : elle a affirm

    que le propritaire dune chose ne dispose pas dun droit exclusif sur

    limage de celle-ci ; quil peut toutefois sopposer lutilisation de cette

    image par un tiers lorsquelle lui cause un trouble anormal (Cass. Ass.Pln., 7 mai 2004, Bull. civ. n 10, JCP 2004, II, 10085, D. 2004, 1545).

    Ainsi, la protection de limage du bien nest pas un attribut du droit de

    proprit ; elle nest pas un lment du fructus appartenant exclusivement

    au propritaire. Simplement, le propritaire peut sopposer lutilisation

    de limage de son bien si elle lui cause un trouble anormal.

    3 Le droit de disposer de la chose

    Principe. Le dernier attribut du droit de proprit, le plus important, est

    labusus. Il sagit du droit de disposer du bien. Cela signifie que lepropritaire a le droit daccomplir tous les actes juridiques et matriels

    entranant la perte de toute ou partie du bien. Les actes matriels

    consistent en la destruction matrielle de la chose. Les actes juridiques

    entranant la perte de la chose sont ceux par lesquels il abandonne tout ou

    partie de son droit de proprit : il labandonne totalement sil conclue un

    contrat transfrant la proprit une autre personne (vente, donation) ; il

    labandonne en partie sil en donne lusage et/ou la jouissance une autre

    personne, par exemple en en donnant lusufruit.

    Labusus comporte aussi un versant ngatif : le droit de ne pas disposer dela chose, c'est--dire de la conserver. Le propritaire a donc le droit de

    sopposer ce que son bien soit cd ou dtruit.

    Limites. Nanmoins, en dpit de laffirmation du caractre absolu du droit

    de proprit, et donc notamment du droit de disposer du bien, des limites

    y sont apportes, par la loi, la jurisprudence, ou mme de manire

    conventionnelle. En voici quelques exemples.

    Il existe tout dabord des limites au droit de cder un bien. Ainsi,

    lorsquun bien est donn ou lgu une personne (ie transmis partestament), le donateur ou le testateur peut imposer la personne

    gratifie de conserver le bien durant toute sa vie, afin de le transmettre

    son tour lors de sa mort une personne dsigne (v. art. 1048 c. civ. :

    une libralit peut tre greve dune charge comportant lobligation

    pour le donataire ou le lgataire de conserver les biens ou droits qui en

    sont lobjet et de les transmettre, son dcs, un second gratifi,

    dsign dans lacte). Cest donc ici la volont du prcdent propritaire

    qui prime.

    16

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    Il existe ensuite des limites au droit de conserver un bien. La limite la

    plus radicale est bien sr la destruction force du bien.

    Exceptionnellement, la loi limpose, notamment pour des raisons de

    scurit. Par exemple, elle impose la dmolition des btiments menaant

    ruine, c'est--dire les btiments qui menacent de seffondrer et donc decauser des dommages (L. 21 juin 1898). Elle impose parfois celle des

    animaux dangereux (art. L. 211-11 c. rur.). Certaines limites sont moins

    catgoriques. Par exemple, la loi impose parfois au propritaire dun bien

    de le cder une personne publique. La Dclaration des droits de

    lhomme et du citoyen le prvoit, de mme que larticle 545 du Code civil :

    nul ne peut tre contraint de cder sa proprit, si ce nest pour cause

    dutilit publique, et moyennant une juste et pralable indemnit . Il

    existe plusieurs cas o une personne peut tre contrainte dabandonner sa

    proprit, mais qui relvent tous de la mme philosophie : cette privation

    de proprit intervient pour des raisons dintrt gnral, dutilit

    publique :

    Lexpropriation dutilit publique. Lexpropriation pour cause dutilit

    publique a pour effet de dpouiller le propritaire de son immeuble ou

    dune partie de son immeuble, moyennant le versement dune indemnit.

    Il nest en effet pas concevable quune personne puisse tre prive de sa

    proprit par lAdministration, mme si une cause dutilit publique le

    justifie, sans tre indemnis.

    Rquisition. La rquisition est un procd permettant ladministration

    dimposer aux particuliers de lui rendre certains services grce leurs

    biens, dans un but dintrt gnral. Suivant les cas, elle permet soit un

    usage temporaire du bien appartenant une personne (cela se traduit par

    une location force), soit un usage dfinitif qui se concrtise donc par une

    vente force. Les biens immeubles ne peuvent faire lobjet que dune

    rquisition temporaire.

    Nationalisation. Une nationalisation est une expropriation lgislative des

    propritaires ou actionnaires dentreprises industrielles ou commerciales.Il sagit donc de dpouiller une personne de la proprit de son entreprise.

    Lentreprise est alors transmise lEtat et devient une entreprise

    nationalise . Ici aussi, la nationalisation ne peut intervenir quen

    contrepartie dune indemnisation. Bien que les nationalisations portent

    une atteinte particulirement flagrante au droit de proprit, elles ont t

    admises par le Conseil constitutionnel. Pour cela, il a commenc par

    rappeler les termes de larticle 17 de la Dclaration des droits de lhomme

    et du citoyen : la proprit tant un droit inviolable et sacr, nul ne peut

    en tre priv si ce nest lorsque la ncessit publique, lgalement

    constate, lexige videmment et sous la condition dune juste et

    17

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    pralable indemnit . Il a ensuite nonc que les nationalisations taient

    acceptables au motif quelles taient ncessaires pour donner aux

    pouvoirs publics les moyens de faire face la crise conomique, de

    promouvoir la croissance et de combattre le chmage et procdaient donc

    de la ncessit publique au sens de larticle 17 de la Dclaration de 1789 (Cons. Const., 16 janvier 1982).

    Confiscation. La confiscation est une sanction pnale qui permet de

    transfrer autoritairement des biens lEtat. Elle simpose par exemple

    pour retirer de la circulation les objets dangereux.

    Section 2 Les caractres du droit de proprit

    On reconnat classiquement trois caractres au droit de proprit : il est

    absolu, exclusif et perptuel. Le projet de rforme propose de les noncer

    expressment dans le Code civil, en retouchant la dfinition du droit deproprit : La proprit est le droit exclusifetperptuel duser, de jouir

    et de disposer des choses et des droits. Elle confre son titulaire un

    pouvoir absolu sous rserve des lois qui la rglementent (art. 534).

    1 Caractre absolu du droit de proprit

    Larticle 544 du Code civil le proclame : la proprit est le droit de jouir

    et de disposer des choses de la manire la plus absolue . Il sagissait

    alors de bien montrer la force du droit de proprit. Mais cette affirmation

    est en ralit surtout symbolique. En effet, absolu ne signifie pas illimit.On la vu, des limites peuvent tre apportes au droit de proprit,

    notamment au droit de disposer de son bien, tout particulirement pour

    cause dutilit publique. De plus, larticle 544 le reconnat lui-mme,

    immdiatement aprs avoir affirm le caractre absolu du droit de

    proprit : la proprit est le droit de jouir et de disposer des choses de

    la manire la plus absolue, pourvu quon nen fasse pas un usage prohib

    par les lois ou par les rglements . Larticle 544 envisage le respect des

    rgles lgales et rglementaires, mais il faut savoir que la jurisprudence

    elle-mme a dvelopp deux limites importantes au droit de proprit :elle sanctionne lusage abusif de ce droit, afin de protger les tiers ; elle a

    galement dvelopp la thorie des troubles anormaux de voisinage.

    Labus du droit de proprit. Comme la plupart des droits, le droit de

    proprit est susceptible dabus, et cet abus doit tre sanctionn. Certes,

    cela semble contradictoire avec laffirmation du caractre absolu du droit

    de proprit. Mais, on la vu, larticle 544 ne ladmet que sous rserve de

    ne pas faire un usage prohib du droit de proprit. Or, selon la

    jurisprudence, lusage abusif est un usage prohib. Labus de droit limite

    donc lexercice du droit de proprit. Par exemple, la jurisprudence a pu

    18

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    admettre que le fait ddifier une construction sur son terrain dans le seul

    et unique but de gner son voisin est un usage abusif du droit de

    proprit. Il y a donc abus lorsque le droit de proprit est utilis dans le

    but de nuire autrui. Quant la sanction, lusage abusif du droit de

    proprit engage la responsabilit civile du propritaire. Labus constitueune faute, qui oblige rparer le dommage subi par la victime, sur le

    fondement de larticle 1382 du Code civil. Le plus souvent, cela se soldera

    par le versement de dommages et intrts. Plus exceptionnellement, une

    rparation en nature peut tre ordonne (par ex., destruction de la

    construction).

    Le projet de rforme propose de consacrer cette construction

    jurisprudentielle dans le Code. Il propose un article 535 selon lequel nul

    ne peut exercer son droit de proprit dans lintention de nuire autrui .

    Les troubles anormaux de voisinage. La thorie de labus de droit

    sest prolonge par la conscration en jurisprudence de la thorie des

    troubles anormaux de voisinage. En effet, il arrive assez frquemment que

    lexercice du droit de proprit provoque une gne plus ou moins grande

    pour les voisins (bruit, odeurs, fume, manque de luminosit). Bien sr,

    la vie sociale implique une gne normale. Il ne sagit donc pas de

    sanctionner tous les comportements qui peuvent peu ou prou dranger les

    voisins. Chacun doit supporter les inconvnients normaux du voisinage.

    Mais, selon la jurisprudence, lorsque cette gne devient anormale,

    excessive, une sanction peut intervenir. A lorigine, cette sanction est

    intervenue sur le fondement de la thorie de labus de droit. Aujourdhui

    elle sen est dtache : les troubles anormaux de voisinage sont

    sanctionns de manire autonome. On peut remarquer que le projet de

    rforme du droit des biens envisage de consacrer cette autonomie, en

    intgrant au Code civil un texte propre aux troubles anormaux de

    voisinage : il propose un article 629 selon lequel nul ne doit causer

    autrui un trouble excdant les inconvnients normaux du voisinage . La

    construction jurisprudentielle serait ainsi consacre. En effet, ce texte

    reprend, avec une formule simplement retouche, celle pose par lajurisprudence titre de principe gnral : nul ne doit causer autrui un

    trouble anormal de voisinage (Cass. 3e civ., 19 novembre 1986, Bull. civ.

    III, n 172). Reste prciser les conditions et les effets de cette

    responsabilit du propritaire.

    Sagissant des conditions de la responsabilit, celle-ci prsente une

    originalit par rapport au droit commun : il sagit dune responsabilit sans

    faute. La responsabilit du propritaire peut tre engage mme sil na

    commis aucune faute, mme sil ne fait quexercer ses prrogatives

    lgales. En cela, les troubles anormaux de voisinage se distinguent

    19

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    dsormais clairement de labus de droit, qui implique une faute. La seule

    condition est celle dun dommage, qui tient au trouble anormal. Le trouble

    anormal est celui qui est important ou rptitif, et qui dpasse un certain

    seuil de tolrance : cest le dsagrment qui excde ce que la vie en

    socit impose. Ce caractre anormal sapprcie au regard de plusieurscritres : temps (jour/nuit, dimanche ou semaine), lieu (environnement

    urbain ou rural). On peut aussi prendre en compte la situation

    personnelle du voisin.

    Pour chapper une condamnation, lauteur des nuisances peut invoquer

    des faits justificatifs. Le fait justificatif ne peut pas tre labsence de faute,

    puisque celle-ci nest pas une condition de la responsabilit pour trouble

    anormal de voisinage. Quels sont donc les faits justificatifs ? Tout dabord,

    lantriorit du trouble constitue parfois un fait justificatif : il sagit du fait

    que le trouble existait avant linstallation du voisin. Cette solution estretenue lorsque le trouble mane dune installation agricole ou

    industrielle. Dans ce cas, on considre quen sinstallant, le voisin

    connaissait lexistence de la nuisance, et quil la donc accepte en

    connaissance de cause. Il ne peut donc pas venir sen plaindre par la suite,

    sauf ce que les nuisances augmentent par rapport ce quelles taient

    auparavant. La jurisprudence admet galement comme fait justificatif la

    faute de la victime. Comme en droit commun de la responsabilit, la faute

    de la victime est une cause dexonration de responsabilit. De mme, la

    force majeure peut tre invoque.

    A dfaut de fait justificatif, lauteur du trouble doit rparer le prjudice

    subi par la victime. Elle se fait en gnral par le versement de dommages

    et intrts. Le juge peut aussi ordonner la cessation ou la diminution du

    trouble : par exemple, il peut ordonner que soient effectus des travaux

    afin de diminuer les nuisances (sonores, odorantes). En revanche, le

    juge ne peut pas interdire une activit, mme prjudiciable pour les

    voisins, si elle a t autorise par ladministration. Ce serait en effet une

    violation de la sparation des pouvoirs. Dans ce cas, il pourrait tout au

    plus ordonner des travaux damlioration.

    2 Caractre exclusif de la proprit

    Ce caractre est proche du caractre absolu mais sen distingue. Le

    caractre exclusif est ce qui exclue le partage. Cela signifie quen principe

    le propritaire est seul exercer un droit complet sur son bien. Par

    consquent, il peut sopposer ce que les tiers exercent des prrogatives

    sur son bien (pntration sur sa proprit par exemple).

    Le caractre exclusif de la proprit souffre cependant dexceptions. Ilexiste en effet des mcanismes trs courants permettant de mettre en

    20

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    place des proprits collectives. Il en est ainsi, par exemple, de

    lindivision : il y a indivision lorsque plusieurs personnes sont titulaires de

    droits identiques et concurrents sur un mme bien. Il sagit donc de la

    situation juridique dans laquelle plusieurs personnes sont propritaires

    dun mme bien au mme titre. Concrtement, chaque membre delindivision est titulaire dune quote-part du bien (1/2, ). Cela rsulte le

    plus souvent dune succession : par exemple, une personne dcde en

    laissant trois enfants, qui vont recueillir sa maison. Cela va crer une

    indivision dans laquelle chacun des enfants possde 1/3 de la pleine

    proprit de la maison. Dans ce cas, on le voit, la proprit est partage ;

    cest une proprit collective. Il en rsulte toute une srie de rgles pour

    rgir la gestion de lindivision.

    3 Caractre perptuel de la proprit

    La proprit est perptuelle. Il sagit du seul droit rel (ie portant sur une

    chose) bnficiant de ce caractre. Les autres ont tous une limite de

    temps : ils sont soit viagers, c'est--dire quils steignent avec la mort

    (usufruit, droit dusage et dhabitation), soit temporaires (bail

    emphytotique). Le caractre perptuel du droit de proprit produit

    deux consquences : ce droit ne steint pas par le non-usage ; il dure

    aussi longtemps que la chose.

    Le droit de proprit ne steint pas par le non usage. En dautres

    termes, le droit de proprit est imprescriptible. Cette rgle a t affirmepar la Cour de cassation ds 1905 (req., 12 juillet 1905). Une absence

    dusage, quelle quen soit la dure, nempche pas le propritaire de faire

    respecter ses droits. Par exemple, un propritaire ne perd pas ses droits

    sur un chemin quil na pas utilis ni entretenu depuis plus de trente ans.

    Cela a galement permis aux successeurs dun collectionneur de tableaux

    de revendiquer la proprit de toiles qui avaient disparu durant la 2e

    guerre mondiale. En effet, aucun dlai de prescription ne peut tre oppos

    au propritaire7. De plus, une solution contraire obligerait le propritaire

    user de son droit dusage, alors quil bnficie rciproquement du droit dene pas sen servir. Le projet prvoit de consacrer ce principe

    expressment dans le Code civil : la proprit ne se perd pas par le non

    usage. Laction en revendication est perptuelle (art. 537).

    Le droit de proprit dure aussi longtemps que la chose8. Puisque

    le droit de proprit ne steint pas par le non-usage, la seule limite

    7 malgr la gnralit des termes de larticle 2262 du Code civil (ancien), qui dcideque toutes les actions tant mobilires quimmobilires sont prescriptibles par trente ans,

    ce texte ne sapplique pas laction en revendication intente par le propritaire , Cass.2e civ., 14 novembre 1979.

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  • 8/14/2019 Cours 6-Droit Des Biens

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    temporelle du droit de proprit est la dure de vie de la chose elle-

    mme : tant que celle-ci subsiste, le droit de proprit demeure (sauf ce

    que le propritaire dcide de sen sparer avant, par exemple en la

    vendant ; en revanche la proprit ne steint pas avec la mort, ce droit

    tant transmissible aux hritiers) ; lorsquelle disparat, le droit deproprit disparat avec elle.

    8 Il existe nanmoins une exception pour les droits de proprit industrielle (brevet,marques) qui nont quune dure limite. Mais lide mme de proprit est ici

    discutable. Il sagit de monopoles dexploitation octroys pour une dure dtermine parla loi.

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