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Editorial 2006 - A.I.M. 117 Les Innovations de l’Année Médicale 2005-2006 A u cours de sa brève hi stoire, la thérapie gén ique a fait succes sive - ment l’objet d’un optimisme dénué de tout sens critique (malgré les quelques voix qui s’élevaient contre cette euphorie irréaliste) puis d’un défaitisme tout aussi exagéré dont la communauté scientifique, comme le public et la presse, ont aujourd’hui le plus grand mal à s’extraire. Entre concept et applicati on clinique, sa trajectoire a été rapide mais semée d’obs- tacles. C’est un phénomène classique en Médecine. Il suffit de se rappeler les débuts d’applications aujourd’hui passées dans la « routine » médicale, comme la transplant ation d’org anes, la chimiothé rapie des cancers, ou l’uti- lisation des anticorps monoclonaux. Il a fallu dans ces domaines des années de progrès signi ficatif s et d’échecs, de reculs cliniqu es, pour passer du concept à l’application effective. Malgré le pessimisme ambiant et même si les difficultés sont loin d’être vaincues , la seule réalité impor tante est qu’ave c les déficits immunita ires, dé- ficit combiné sévère (SCID) et déficit en Adénosine désamin ase (ADA), et plus ré- cemment avec la granulomatose chro- nique (déficit de l’activité antimicro- bienne des cellules phagocytaires) , la thérapie gé nique a atteint son objectif : le traitement effectif de patients. Bien-sûr les obstacles exist ent, à la fois pour élargir le champs d’application, et aug- menter l’eff icacité et la sécurité de la technologie, mais nous y sommes ! L ’obstacle finalement le plus important est notre connaissance scienti- fique souvent imparfaite, à la fois des outils que nous manipulons (vec- teurs, gènes, cellules) et de la physiopathologie fine des m aladies que nous traitons. Mais malgré tout, on a le sentiment que les progrès cliniques dans le domaine des biothérapies sont moins rapides que les progrès scienti- fiques. Alors pourquoi ? Deux obstacles majeurs existent auj ourd’hui. Le premier est la complexité du système d’autorisation auquel sont soumis ces essais par les agences réglementaires (FDA ( Food an Drug Adminis- tration) aux Etats Unis, AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) en France). L’autre obstacle majeur est le coût énorme des essais cliniques de thérapie génique, essais pourtant indispen- sables pour tester l’efficacité de la technologie et affiner les concepts pré- cliniques et les protocoles thérapeutiques. Le financement des essais est inaccessible aux organismes de recherche, et n’est pas non plus à la portée des petites firmes de biotechnologies. Les Associations contre les maladies ont joué un rôle considérable pour faire avancer le domaine. Les grands la- boratoires pharmaceutiqu es, eux, attendent la démonstration de succès cli- niques pour promouv oir sérieusement des études de thérapie génique. Un cercle vicieux dans le contexte duquel les progrès ne pourront être que très lents. Grâce aux réponses progressivement apportées aux problèmes sécu- ritaires, qui ralentissent aujourd’hui considérablement le développement des essais, le rythme des essais cliniques de thérapie génique dev rait pour- tant s’accélérer, facilitant une participation plus grande des fi rmes de bio- technologie et des grands laboratoires pharmaceutiques. Mais le dernier obstacle, et probablement le plus pernicieux, a été la perception négative du publi c, dont les conséquences ont été majeures sur de multiples aspects. L ’enthousiasme inconsidéré des premiers succès a été suivi d’une couverture médiatique bien plus considérable des effets i n- désirables survenus. En effet, malheureusement trois des enfants traités dans l’essai de A. F ischer (hôpital Necker, Paris) ont développé une leucé- mie avec activation d’un oncogène au niveau du site d’intégration du vec- teur de thérapie génique. Malgré la guérison des autres patients traités et l’absence d’effets indésirables dans les trois autres essais européens, ces tristes complications ont eu des effets délétères majeurs. Le résultat a été le sentiment public général que la thérapie génique, au lieu de tenir ses promesses, était inefficace et même dangereuse. Les compagnies o nt ré- duit leurs efforts dans ce domaine, les start-ups ont eu de plus en plus de mal à trouver des financements, les agences publiques et privées ont ra- lenti leurs investissements. Les effets adverses majeurs chez les enfants SCID ont évidemment conduit à retourner à la paillasse et surtout au modèl e animal, pour com- prendre. Des souris présentant le même déf icit immunitai re que les en- fants SCID ont donc reçu une greffe avec le même vecteur (exprimant le gène de la chaîne gamma du récepteur à l’interleukine 2 ou IL2RG, défi- cient chez les patients SCID). 33% des animaux ont effectivement déve- loppé un lymphome T , démontrant que c’est bien le pouvoir oncogé- nique du gène IL2RG lui-même, et non pas l’intégration du vecteu r de thérapie génique comme on le craignait , qui était à l’origine du dévelop- pement de tumeurs. Si cela pose évidemment un problème crucial pour le traitement des patients SCID, c’est par contre une « bonne nouvelle » pour la thérapie génique en général. Le risque tant redouté de mutage- nèse insertionnelle des vecteurs intégratifs est ainsi nettement remis en question. Cela montre également l’importance du suivi à long terme de l’évalua- tion pré-clinique de ces approches. Le développement tardif des tumeurs chez les souris SCID greffées explique que les premières études, limitées dans le temps, n’aient retrouvé aucune tumeur sur 88 souris traitées par différentes équipes dans le monde, ou même dans des études plus longues chez le gros animal (chien, macaqu e). Il est pourtant prudent de rappeler qu’un même cycle d’enthousiasme - septicisme a marqué le début des traitements par les anticorps monoclo- naux, quand l’ébullition du déb ut a cédé la place à un négativisme bien plus important lors de l’échec des premiers essais. Ce sont pourtant b ien ces premiers essais qui o nt permis d’identifier les problèmes, permettant aujourd’hui à ces molécules d’atteindre le succès thérapeutique et com- mercial que l’on sait. Dans la frilosité ambiante créée par cette épée de Damoclès appelée Risque, n’oublions pas ces résultats posi tifs. Sil faut rester vigilant s sur les indications et la conduite des tests pré-cliniques (et l’AFSSAPS est dans ce domaine notre gardien et notre parte- naire), n’oublions pas d’opposer à la crainte du risque la notion de bénéfice et, comme dans toute démarche théra- peutique de réfléchir toujours en terme de rapport bénéfice-risque. Il n’est pas question de thérapie génique du rhume des foins ou de la gastro-entérite ; il est question de proposer à des patients qui n’en ont souvent aucune, une perspective de traitement d’une affect ion qui men ace leur vie, souve nt à court terme. Et dans ce cadre, ré- pétons le bien haut, nous y sommes !  Dr Nathalie Cartier , directeur de rec herche à l’Inserm U475 (Hôpital Saint-Vincent de Paul, Pari s). [email protected] . Réfléchir toujours en terme de rapport bénéfice-risque « Thé rap ie gé nique, un pe u d’optimisme dans u n mond e de ris que » Dr Natha lie Carti er (Inserm, Pari s) La thérapie génique a atteint son objectif, le traitement effectif de patients

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Editorial

2006 - A.I.M. 117

Les Innovations de l’Année Médicale 2005-2006

Au cours de sa brève histoire, la thérapie génique a fait successive-

ment l’objet d’un optimisme dénué de tout sens critique (malgré les

quelques voix qui s’élevaient contre cette euphorie irréaliste) puis

d’un défaitisme tout aussi exagéré dont la communauté scientifique, comme

le public et la presse, ont aujourd’hui le plus grand mal à s’extraire. Entre

concept et application clinique, sa trajectoire a été rapide mais semée d’obs-

tacles. C’est un phénomène classique en Médecine. Il suffit de se rappeler

les débuts d’applications aujourd’hui passées dans la « routine » médicale,

comme la transplantation d’organes, la chimiothérapie des cancers, ou l’uti-

lisation des anticorps monoclonaux. Il a fallu dans ces domaines des années

de progrès significatifs et d’échecs, de reculs cliniques, pour passer du

concept à l’application effective.

Malgré le pessimisme ambiant et même si les difficultés sont loin d’êtrevaincues, la seule réalité importante est qu’avec les déficits immunitaires, dé-

ficit combiné sévère (SCID) et déficit enAdénosine désaminase (ADA), et plus ré-cemment avec la granulomatose chro-nique (déficit de l’activité antimicro-bienne des cellules phagocytaires),la thérapie génique a atteint son objectif :le traitement effectif de patients. Bien-sûr

les obstacles existent, à la fois pour élargir le champs d’application, et aug-menter l’efficacité et la sécurité de la technologie, mais nous y sommes !

L’obstacle finalement le plus important est notre connaissance scienti-

fique souvent imparfaite, à la fois des outils que nous manipulons (vec-

teurs, gènes, cellules) et de la physiopathologie fine des maladies que nous

traitons. Mais malgré tout, on a le sentiment que les progrès cliniques dansle domaine des biothérapies sont moins rapides que les progrès scienti-

fiques. Alors pourquoi ? Deux obstacles majeurs existent aujourd’hui.

Le premier est la complexité du système d’autorisation auquel sont soumis

ces essais par les agences réglementaires (FDA (Food an Drug Adminis-

tration) aux Etats Unis, AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire

des produits de santé) en France). L’autre obstacle majeur est le coût

énorme des essais cliniques de thérapie génique, essais pourtant indispen-

sables pour tester l’efficacité de la technologie et affiner les concepts pré-

cliniques et les protocoles thérapeutiques. Le financement des essais est

inaccessible aux organismes de recherche, et n’est pas non plus à la portée

des petites firmes de biotechnologies. Les Associations contre les maladies

ont joué un rôle considérable pour faire avancer le domaine. Les grands la-

boratoires pharmaceutiques, eux, attendent la démonstration de succès cli-

niques pour promouvoir sérieusement des études de thérapie génique. Un

cercle vicieux dans le contexte duquel les progrès ne pourront être que très

lents. Grâce aux réponses progressivement apportées aux problèmes sécu-

ritaires, qui ralentissent aujourd’hui considérablement le développement

des essais, le rythme des essais cliniques de thérapie génique devrait pour-

tant s’accélérer, facilitant une participation plus grande des firmes de bio-

technologie et des grands laboratoires pharmaceutiques.

Mais le dernier obstacle, et probablement le plus pernicieux, a été la

perception négative du public, dont les conséquences ont été majeures sur

de multiples aspects. L’enthousiasme inconsidéré des premiers succès a

été suivi d’une couverture médiatique bien plus considérable des effets in-

désirables survenus. En effet, malheureusement trois des enfants traités

dans l’essai de A. Fischer (hôpital Necker, Paris) ont développé une leucé-

mie avec activation d’un oncogène au niveau du site d’intégration du vec-

teur de thérapie génique. Malgré la guérison des autres patients traités et

l’absence d’effets indésirables dans les trois autres essais européens, ces

tristes complications ont eu des effets délétères majeurs. Le résultat a été

le sentiment public général que la thérapie génique, au lieu de tenir ses

promesses, était inefficace et même dangereuse. Les compagnies ont ré-

duit leurs efforts dans ce domaine, les start-ups ont eu de plus en plus de

mal à trouver des financements, les agences publiques et privées ont ra-

lenti leurs investissements.

Les effets adverses majeurs chez les enfants SCID ont évidemment

conduit à retourner à la paillasse et surtout au modèle animal, pour com

prendre. Des souris présentant le même déficit immunitaire que les en-

fants SCID ont donc reçu une greffe avec le même vecteur (exprimant le

gène de la chaîne gamma du récepteur à l’interleukine 2 ou IL2RG, défi

cient chez les patients SCID). 33% des animaux ont effectivement déve-

loppé un lymphome T, démontrant que c’est bien le pouvoir oncogé-

nique du gène IL2RG lui-même, et non pas l’intégration du vecteur de

thérapie génique comme on le craignait, qui était à l’origine du dévelop

pement de tumeurs. Si cela pose évidemment un problème crucial pour

le traitement des patients SCID, c’est par contre une « bonne nouvelle »

pour la thérapie génique en général. Le risque tant redouté de mutage-

nèse insertionnelle des vecteurs intégratifs est ainsi nettement remis en

question.

Cela montre également l’importance du suivi à long terme de l’évalua

tion pré-clinique de ces approches. Le développement tardif des tumeurs

chez les souris SCID greffées explique que les premières études, limitéesdans le temps, n’aient retrouvé aucune tumeur sur 88 souris traitées par

différentes équipes dans le monde, ou même dans des études plus longues

chez le gros animal (chien, macaque).

Il est pourtant prudent de rappeler qu’un même cycle d’enthousiasme -

septicisme a marqué le début des traitements par les anticorps monoclo-

naux, quand l’ébullition du début a cédé la place à un négativisme bien

plus important lors de l’échec des premiers essais. Ce sont pourtant bien

ces premiers essais qui ont permis d’identifier les problèmes, permettant

aujourd’hui à ces molécules d’atteindre le succès thérapeutique et com-

mercial que l’on sait.

Dans la frilosité ambiante créée par cette épée de Damoclès appelée

Risque, n’oublions pas ces résultats positifs. Sil faut rester vigilants sur les

indications et la conduite des tests pré-cliniques (et l’AFSSAPS est dans

ce domaine notre gardien et notre parte-naire), n’oublions pas d’opposer à la

crainte du risque la notion de bénéfice

et, comme dans toute démarche théra-

peutique de réfléchir toujours en terme

de rapport bénéfice-risque. Il n’est pas question de thérapie génique du

rhume des foins ou de la gastro-entérite ; il est question de proposer à des

patients qui n’en ont souvent aucune, une perspective de traitement d’une

affection qui menace leur vie, souvent à court terme. Et dans ce cadre, ré-

pétons le bien haut, nous y sommes !

 Dr Nathalie Cartier , directeur de recherche à l’Inserm U47

(Hôpital Saint-Vincent de Paul, Paris). [email protected]

R é f l é c h i r t o u j o u r s

e n t e r m e d e r a p p o r t

b é n é f i c e - r i s q u e

« Thérapie génique, un peu d’optimisme dans un monde de risque… »

Dr Nathalie Cartier (Inserm, Paris)

L a t h é r a p i e g é n i q u e

a a t t e i n t s o n o b j e c t i f ,

l e t r a i t e m e n t e f f e c t i f

d e p a t i e n t s