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QUAND DIRE, C'EST FAIRE ... ÉCRIRE Robert BOUCHARD Centre de Didactique du Français Université de Grenoble III 1. INTRODUCTION L'enseignant quand il corrige les travaux écrits de ses élèves ne peut établir son diagnostic pédagogique que sur la base du produit scriptural fini (rédaction, dis¬ sertation... etc) que ceux-ci ont écrit précédemment, habituellement en dehors de sa présence. Or il est évident que ce produit ne montre que les traces superficielles, les «fautes», des problèmes d'élaboration rencontrés au cours du processus même de production. L'étude des brouillons avec leurs ratures successives peut être une première méthode de saisie de ce processus de production quand on ne peut pas l'observer «in vivo» (dans le cas des manuscrits d'écrivains par exemple (cf. Grésillon & Lebrave 1 983). Mais leurinterprétation suppose la résolution de problèmes pratiques évidents de relecture des éléments raturés et d'établissement d'une chronologie entre des ratures qui ont pu être effectuées pour la même zone du texte à des moments très différents d'élaboration, premier jet ou relecture. Si un repérage et un classement des phénomènes corrigés, c'est-à-dire posant problème au rédacteur peuvent être ainsi élaborés (cf. Fabre C. 1987), par contre la dynamique même du phénomène de production ne peut que difficilement être ainsi étudiée à l'aide de ce qui ne constitue encore que des traces superficielles. Nous avons donc choisi une autre méthode. Il s'agrt d'observer la production en cours en serrant au plus près la manière dont elle est vécue par l'écrivant mais sans troubler cependant le processus en cours. Nous ne lui demandons pas en consé¬ quence de verbaliser «artificiellement» son activité, ce qui implique un contrôle métalangagier supplémentaire qui risque de parasiter, modifier, le processus normal de production écrite. Nous avons choisi - après et avec d'autres chercheurs (cf. ici même les articles de J. David et de B. Schneuwly) - d'utiliserdes situations d'écriture qui exigent foncttonnellement une verbalisation et le cas échéant une explication ou même une négociation des hypothèses d'écriture, c'est-à-dire tout simplement des situations collectives de production écrite (cf. Bouchard 1988, 1991a et b). L'enre¬ gistrement de l'interaction verbale correspondante, les éventuels brouillons indivi¬ duels ou collectifs, comme le texte définitif constituent un matériel qui permet d'observer avec précision «l'événement de production», dans sa chronologie, avec ses étapes (éventuelles) de planification préalable et de correction a posteriori, ses retours en arrière, ses changements de rythme... Non seulement on peut alors classer les zones grammaticales ou lexicales de difficulté mais on peut aussi prendre en compte, le moment le problème se pose, son temps et ses étapes de résolution les hypothèses successives et les «méthodes» (au sens de l'ethnométhodologie) utilisées par les écrivants, comme les éventuelles relations de causalité entre phénomènes superficiellement distincts qu'une simple analyse a posteriori n'aurait pu percevoir... 67 QUAND DIRE, C'EST FAIRE ... ÉCRIRE Robert BOUCHARD Centre de Didactique du Français Université de Grenoble III 1. INTRODUCTION L'enseignant quand il corrige les travaux écrits de ses élèves ne peut établir son diagnostic pédagogique que sur la base du produit scriptural fini (rédaction, dis¬ sertation... etc) que ceux-ci ont écrit précédemment, habituellement en dehors de sa présence. Or il est évident que ce produit ne montre que les traces superficielles, les «fautes», des problèmes d'élaboration rencontrés au cours du processus même de production. L'étude des brouillons avec leurs ratures successives peut être une première méthode de saisie de ce processus de production quand on ne peut pas l'observer «in vivo» (dans le cas des manuscrits d'écrivains par exemple (cf. Grésillon & Lebrave 1 983). Mais leurinterprétation suppose la résolution de problèmes pratiques évidents de relecture des éléments raturés et d'établissement d'une chronologie entre des ratures qui ont pu être effectuées pour la même zone du texte à des moments très différents d'élaboration, premier jet ou relecture. Si un repérage et un classement des phénomènes corrigés, c'est-à-dire posant problème au rédacteur peuvent être ainsi élaborés (cf. Fabre C. 1987), par contre la dynamique même du phénomène de production ne peut que difficilement être ainsi étudiée à l'aide de ce qui ne constitue encore que des traces superficielles. Nous avons donc choisi une autre méthode. Il s'agrt d'observer la production en cours en serrant au plus près la manière dont elle est vécue par l'écrivant mais sans troubler cependant le processus en cours. Nous ne lui demandons pas en consé¬ quence de verbaliser «artificiellement» son activité, ce qui implique un contrôle métalangagier supplémentaire qui risque de parasiter, modifier, le processus normal de production écrite. Nous avons choisi - après et avec d'autres chercheurs (cf. ici même les articles de J. David et de B. Schneuwly) - d'utiliserdes situations d'écriture qui exigent foncttonnellement une verbalisation et le cas échéant une explication ou même une négociation des hypothèses d'écriture, c'est-à-dire tout simplement des situations collectives de production écrite (cf. Bouchard 1988, 1991a et b). L'enre¬ gistrement de l'interaction verbale correspondante, les éventuels brouillons indivi¬ duels ou collectifs, comme le texte définitif constituent un matériel qui permet d'observer avec précision «l'événement de production», dans sa chronologie, avec ses étapes (éventuelles) de planification préalable et de correction a posteriori, ses retours en arrière, ses changements de rythme... Non seulement on peut alors classer les zones grammaticales ou lexicales de difficulté mais on peut aussi prendre en compte, le moment le problème se pose, son temps et ses étapes de résolution les hypothèses successives et les «méthodes» (au sens de l'ethnométhodologie) utilisées par les écrivants, comme les éventuelles relations de causalité entre phénomènes superficiellement distincts qu'une simple analyse a posteriori n'aurait pu percevoir... 67

FAIRE C'EST

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Page 1: FAIRE C'EST

QUAND DIRE, C'EST FAIRE ... ÉCRIRE

Robert BOUCHARDCentre de Didactique du Français

Université de Grenoble III

1. INTRODUCTION

L'enseignant quand il corrige les travaux écrits de ses élèves ne peut établir sondiagnostic pédagogique que sur la base du produit scriptural fini (rédaction, dis¬sertation... etc) que ceux-ci ont écrit précédemment, habituellement en dehors de saprésence. Or il est évident que ce produit ne montre que les traces superficielles, les«fautes», des problèmes d'élaboration rencontrés au cours du processus même deproduction.

L'étude des brouillons avec leurs ratures successives peut être une premièreméthode de saisie de ce processus de production quand on ne peut pas l'observer«in vivo» (dans le cas des manuscrits d'écrivains par exemple (cf. Grésillon &Lebrave 1 983). Mais leurinterprétation suppose la résolution de problèmes pratiquesévidents de relecture des éléments raturés et d'établissement d'une chronologieentre des ratures qui ont pu être effectuées pour la même zone du texte à desmoments très différents d'élaboration, premier jet ou x° relecture. Si un repérage etun classement des phénomènes corrigés, c'est-à-dire posant problème au rédacteurpeuvent être ainsi élaborés (cf. Fabre C. 1987), par contre la dynamique même duphénomène de production ne peut que difficilement être ainsi étudiée à l'aide de cequi ne constitue encore que des traces superficielles.

Nous avons donc choisi une autre méthode. Il s'agrt d'observer la production encours en serrant au plus près la manière dont elle est vécue par l'écrivant mais sanstroubler cependant le processus en cours. Nous ne lui demandons pas en consé¬quence de verbaliser «artificiellement» son activité, ce qui implique un contrôlemétalangagier supplémentaire qui risque de parasiter, modifier, le processus normalde production écrite. Nous avons choisi - après et avec d'autres chercheurs (cf. icimême les articles de J. David et de B. Schneuwly) - d'utiliserdes situations d'écriturequi exigent foncttonnellement une verbalisation et le cas échéant une explication oumême une négociation des hypothèses d'écriture, c'est-à-dire tout simplement dessituations collectives de production écrite (cf. Bouchard 1988, 1991a et b). L'enre¬gistrement de l'interaction verbale correspondante, les éventuels brouillons indivi¬duels ou collectifs, comme le texte définitif constituent un matériel qui permetd'observer avec précision «l'événement de production», dans sa chronologie, avecses étapes (éventuelles) de planification préalable et de correction a posteriori, sesretours en arrière, ses changements de rythme... Non seulement on peut alorsclasser les zones grammaticales ou lexicales de difficulté mais on peut aussi prendreen compte, le moment où le problème se pose, son temps et ses étapes de résolutionles hypothèses successives et les «méthodes» (au sens de l'ethnométhodologie)utilisées par les écrivants, comme les éventuelles relations de causalité entrephénomènes superficiellement distincts qu'une simple analyse a posteriori n'auraitpu percevoir...

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QUAND DIRE, C'EST FAIRE ... ÉCRIRE

Robert BOUCHARDCentre de Didactique du Français

Université de Grenoble III

1. INTRODUCTION

L'enseignant quand il corrige les travaux écrits de ses élèves ne peut établir sondiagnostic pédagogique que sur la base du produit scriptural fini (rédaction, dis¬sertation... etc) que ceux-ci ont écrit précédemment, habituellement en dehors de saprésence. Or il est évident que ce produit ne montre que les traces superficielles, les«fautes», des problèmes d'élaboration rencontrés au cours du processus même deproduction.

L'étude des brouillons avec leurs ratures successives peut être une premièreméthode de saisie de ce processus de production quand on ne peut pas l'observer«in vivo» (dans le cas des manuscrits d'écrivains par exemple (cf. Grésillon &Lebrave 1 983). Mais leurinterprétation suppose la résolution de problèmes pratiquesévidents de relecture des éléments raturés et d'établissement d'une chronologieentre des ratures qui ont pu être effectuées pour la même zone du texte à desmoments très différents d'élaboration, premier jet ou x° relecture. Si un repérage etun classement des phénomènes corrigés, c'est-à-dire posant problème au rédacteurpeuvent être ainsi élaborés (cf. Fabre C. 1987), par contre la dynamique même duphénomène de production ne peut que difficilement être ainsi étudiée à l'aide de cequi ne constitue encore que des traces superficielles.

Nous avons donc choisi une autre méthode. Il s'agrt d'observer la production encours en serrant au plus près la manière dont elle est vécue par l'écrivant mais sanstroubler cependant le processus en cours. Nous ne lui demandons pas en consé¬quence de verbaliser «artificiellement» son activité, ce qui implique un contrôlemétalangagier supplémentaire qui risque de parasiter, modifier, le processus normalde production écrite. Nous avons choisi - après et avec d'autres chercheurs (cf. icimême les articles de J. David et de B. Schneuwly) - d'utiliserdes situations d'écriturequi exigent foncttonnellement une verbalisation et le cas échéant une explication oumême une négociation des hypothèses d'écriture, c'est-à-dire tout simplement dessituations collectives de production écrite (cf. Bouchard 1988, 1991a et b). L'enre¬gistrement de l'interaction verbale correspondante, les éventuels brouillons indivi¬duels ou collectifs, comme le texte définitif constituent un matériel qui permetd'observer avec précision «l'événement de production», dans sa chronologie, avecses étapes (éventuelles) de planification préalable et de correction a posteriori, sesretours en arrière, ses changements de rythme... Non seulement on peut alorsclasser les zones grammaticales ou lexicales de difficulté mais on peut aussi prendreen compte, le moment où le problème se pose, son temps et ses étapes de résolutionles hypothèses successives et les «méthodes» (au sens de l'ethnométhodologie)utilisées par les écrivants, comme les éventuelles relations de causalité entrephénomènes superficiellement distincts qu'une simple analyse a posteriori n'auraitpu percevoir...

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REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD

Ajoutons que cette méthode semi-expérimentale permet d'observer la sensibi¬lité du processus de production à différentes variables. En modifiant telle ou telledonnée de la tâche «vraisemblable» à accomplir collectivement : genres discursifsproposés, contraintes de registre créées par les situations de réception définies,différences de compétence langagière entre membres des équipes de co-scripteursconstituées, on peut mettre à jour diverses déterminations du phénomène (cf.Bouchard 91a).

Nous insisterons également sur le fait que cette procédure de recherche nevient pas «parasiter» l'activité didactique normale de la classe. Au contraire, cessituations de production écrite collective nous semblent en elles-mêmespédagogiquement positives. Elles contraignent implicitement les élèves à deséchanges métalangagiers fonctionnels. La réflexion grammaticale n'est plus unesimple discipline scolaire, coupée de l'utilisation effective de la langue, mais estintégrée dans cette utilisation, est socialisée dans une activité collective dotéed'enjeux sociaux.

La variation des critères de définition de latâche, intéressante expérimentalementpour les recherches sur le processus de production écrite, nous semble égalementl'être pédagogiquement dans les classes, par les occasions de diversification del'expérience discursive des élèves ainsi créées (cf. Bouchard 91c).

2. LA SITUATION DE PRODUCTION ÉTUDIÉE

Le présent travail porte sur une situation particulière de production écritecollective. Après avoir étudié par ailleurs la production de textes très spécialisés(mathématiques) par des adolescents francophones (1 988), puis par de jeunesadultes scientifiques non francophones (1991b), nous avons pris comme cible uneinteraction dite «exolingue» (Albert & Py 1 986) c'est-à-dire mettant face à face unlocuteur «natif» et un locuteur «non-natif» (alloglotte).

Elle est sinon complètement naturelle du moins vraisemblable c'est-à-diresusceptible de stimuler chez les participants des représentations de l'événementcommunicat'rf et en particulier de la situation de réception du message : uneadolescente française Véronique aide sa correspondante allemande, en séjourlinguistique chez elle, à écrire une lettre à son professeur de français, tout enenregistrant les négociations correspondantes. La transcription fart partie d'un vastecorpus du même type établi par l'équipe d'E. Gûl'ich à l'Université de Bielefeld(Allemagne).

Ajoutons simplement que l'alloglotte apprend le français par ailleurs et queVéronique est encore scolarisée. La langue française est non seulement un moyende communication mais encore une cible consciente d'acquisrtion/apprentissagepour l'une et un objet d'enseignement pour l'autre. Nous nous intéresserons à cetteinfluence de l'école et de son trartement spécifique des problèmes linguistiques surleur mode de négociation metalangagiere. Elle reste sensible surtout par rapport àl'écrit, réalisation linguistique caractéristique de l'école tant en langue maternellequ'en langue étrangère.

Il ne s'agit pourtant que de produire une lettre informelle, familière, appartenantdonc à un genre «ordinaire» (Dabène 87) et non pas scolaire, sans caractéristiques

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REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD

Ajoutons que cette méthode semi-expérimentale permet d'observer la sensibi¬lité du processus de production à différentes variables. En modifiant telle ou telledonnée de la tâche «vraisemblable» à accomplir collectivement : genres discursifsproposés, contraintes de registre créées par les situations de réception définies,différences de compétence langagière entre membres des équipes de co-scripteursconstituées, on peut mettre à jour diverses déterminations du phénomène (cf.Bouchard 91a).

Nous insisterons également sur le fait que cette procédure de recherche nevient pas «parasiter» l'activité didactique normale de la classe. Au contraire, cessituations de production écrite collective nous semblent en elles-mêmespédagogiquement positives. Elles contraignent implicitement les élèves à deséchanges métalangagiers fonctionnels. La réflexion grammaticale n'est plus unesimple discipline scolaire, coupée de l'utilisation effective de la langue, mais estintégrée dans cette utilisation, est socialisée dans une activité collective dotéed'enjeux sociaux.

La variation des critères de définition de latâche, intéressante expérimentalementpour les recherches sur le processus de production écrite, nous semble égalementl'être pédagogiquement dans les classes, par les occasions de diversification del'expérience discursive des élèves ainsi créées (cf. Bouchard 91c).

2. LA SITUATION DE PRODUCTION ÉTUDIÉE

Le présent travail porte sur une situation particulière de production écritecollective. Après avoir étudié par ailleurs la production de textes très spécialisés(mathématiques) par des adolescents francophones (1 988), puis par de jeunesadultes scientifiques non francophones (1991b), nous avons pris comme cible uneinteraction dite «exolingue» (Albert & Py 1 986) c'est-à-dire mettant face à face unlocuteur «natif» et un locuteur «non-natif» (alloglotte).

Elle est sinon complètement naturelle du moins vraisemblable c'est-à-diresusceptible de stimuler chez les participants des représentations de l'événementcommunicat'rf et en particulier de la situation de réception du message : uneadolescente française Véronique aide sa correspondante allemande, en séjourlinguistique chez elle, à écrire une lettre à son professeur de français, tout enenregistrant les négociations correspondantes. La transcription fart partie d'un vastecorpus du même type établi par l'équipe d'E. Gûl'ich à l'Université de Bielefeld(Allemagne).

Ajoutons simplement que l'alloglotte apprend le français par ailleurs et queVéronique est encore scolarisée. La langue française est non seulement un moyende communication mais encore une cible consciente d'acquisrtion/apprentissagepour l'une et un objet d'enseignement pour l'autre. Nous nous intéresserons à cetteinfluence de l'école et de son trartement spécifique des problèmes linguistiques surleur mode de négociation metalangagiere. Elle reste sensible surtout par rapport àl'écrit, réalisation linguistique caractéristique de l'école tant en langue maternellequ'en langue étrangère.

Il ne s'agit pourtant que de produire une lettre informelle, familière, appartenantdonc à un genre «ordinaire» (Dabène 87) et non pas scolaire, sans caractéristiques

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Quand dire, c'est faire... écrire

fortes de registre ou de plan, ni exigence textuelle particulière due à une contraintede longueur par exemple.

Le contrat énonciatif et la définition des «places» correspondantes est simple.La lettre n'a pas de valeur collective, elle est a priori prise en charge par un «je» etnon pas par un «nous», même si techniquement la rédaction implique le coscripteurnatif. Le destinataire lui-même enfin est unique et bien connu des rédacteurs.

3. PRODUCTION ÉCRITE ET DEGRÉS D'«EXOLINGUISME»

La situation «exolingue» choisie a l'avantage, en creusant l'écart langagier etéventuellement culturel entre les participants, de susciter des négociationsmétalangagières plus nombreuses, qui peuvent avoir pour thème la langue elle-même comme la mise en texte ou en page, ou la situation de communication. Ellepermet en particulier d'étudier les procédés facilitateurs utilisés spontanément par lenatif pour aider Pallogtotte à produire un discours écrit. En créant ainsi un effet deloupe, elle rend ces phénomènes plus sensibles à l'observation.

Ajoutons cependant que cette notion d'exolinguisme peut être définie de façonplus ou moins large, en d'autres termes qu'elle comprend des degrés intermédiairesentre endolinguisme pur et exolinguisme pur.

Ainsi comprise elle recouvre non seulement les cas d'échanges entre locuteursde langues maternelles différentes mais aussi tous les cas où les répertoires verbauxdes partenaires ne coïncident pas totalement, y compris quand ils sont réputés avoirla «même» langue maternelle. Dans cette dernière acception, pertinente d'un pointde vue sociolinguistique, la communication exolingue apparaît comme beaucoupplus fréquente que le strict endolinguisme, même au sein d'une seule communautélinguistique.

Cet exolinguisme relatif peut en particulier sembler caractéristique du fonction¬nement de l'école en tant que lieu de contacts entre adultes et enfants, et entreenfants français et «migrants» comme entre enfants français socio-culturellementcontrastés. Il est même implicitement à l'origine de l'idée, paradoxale dans lestermes, d'un nécessaire enseignement scolaire de la langue maternelle. Si l'écolefrançaise a à enseigner le français à des enfants français, c'est bien parce que ceux-ci ne parlent pas tous de la même manière et surtout ne parlent pas tous (et en touscas n'écrivent pas) comme l'école le voudrait.

Situations exolingues et contrat didactique

Dans les situations exolingues caractérisées, le locuteur «natif» se dortimplicitement d'aider son interlocuteur «altoglotte» dans la formulation de sesénoncés. On constate une «bi-focalisation» (Bange 1987) de la communication : leséchanges portent simultanément sur les referents extralinguistiques, objets de laconversation, et sur les moyens linguistiques qui permettent de les exprimer.

Dans les situations exolingues de production écrite collective, on constatemême une «tri-focalisation» (Bouchard 1991 b) de la communication : aux deuxthèmes de négociation précédents s'ajoute celui de la norme propre à l'écrit(négociation de problèmes d'orthographe, de (calli/typo)graphie, de mise en page,de planification du discours, de respect de superstructures textuelles...).

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fortes de registre ou de plan, ni exigence textuelle particulière due à une contraintede longueur par exemple.

Le contrat énonciatif et la définition des «places» correspondantes est simple.La lettre n'a pas de valeur collective, elle est a priori prise en charge par un «je» etnon pas par un «nous», même si techniquement la rédaction implique le coscripteurnatif. Le destinataire lui-même enfin est unique et bien connu des rédacteurs.

3. PRODUCTION ÉCRITE ET DEGRÉS D'«EXOLINGUISME»

La situation «exolingue» choisie a l'avantage, en creusant l'écart langagier etéventuellement culturel entre les participants, de susciter des négociationsmétalangagières plus nombreuses, qui peuvent avoir pour thème la langue elle-même comme la mise en texte ou en page, ou la situation de communication. Ellepermet en particulier d'étudier les procédés facilitateurs utilisés spontanément par lenatif pour aider Pallogtotte à produire un discours écrit. En créant ainsi un effet deloupe, elle rend ces phénomènes plus sensibles à l'observation.

Ajoutons cependant que cette notion d'exolinguisme peut être définie de façonplus ou moins large, en d'autres termes qu'elle comprend des degrés intermédiairesentre endolinguisme pur et exolinguisme pur.

Ainsi comprise elle recouvre non seulement les cas d'échanges entre locuteursde langues maternelles différentes mais aussi tous les cas où les répertoires verbauxdes partenaires ne coïncident pas totalement, y compris quand ils sont réputés avoirla «même» langue maternelle. Dans cette dernière acception, pertinente d'un pointde vue sociolinguistique, la communication exolingue apparaît comme beaucoupplus fréquente que le strict endolinguisme, même au sein d'une seule communautélinguistique.

Cet exolinguisme relatif peut en particulier sembler caractéristique du fonction¬nement de l'école en tant que lieu de contacts entre adultes et enfants, et entreenfants français et «migrants» comme entre enfants français socio-culturellementcontrastés. Il est même implicitement à l'origine de l'idée, paradoxale dans lestermes, d'un nécessaire enseignement scolaire de la langue maternelle. Si l'écolefrançaise a à enseigner le français à des enfants français, c'est bien parce que ceux-ci ne parlent pas tous de la même manière et surtout ne parlent pas tous (et en touscas n'écrivent pas) comme l'école le voudrait.

Situations exolingues et contrat didactique

Dans les situations exolingues caractérisées, le locuteur «natif» se dortimplicitement d'aider son interlocuteur «altoglotte» dans la formulation de sesénoncés. On constate une «bi-focalisation» (Bange 1987) de la communication : leséchanges portent simultanément sur les referents extralinguistiques, objets de laconversation, et sur les moyens linguistiques qui permettent de les exprimer.

Dans les situations exolingues de production écrite collective, on constatemême une «tri-focalisation» (Bouchard 1991 b) de la communication : aux deuxthèmes de négociation précédents s'ajoute celui de la norme propre à l'écrit(négociation de problèmes d'orthographe, de (calli/typo)graphie, de mise en page,de planification du discours, de respect de superstructures textuelles...).

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REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD

L'événement langagier est ators pour une part déterminé par la confrontationdes systèmes linguistiques et des représentations langagières des participants. Il

sera plus ou moins aisé à gérer en fonction de la proximité de ces systèmes(communication endolingue pure, ou relativement endolingue), et dans le cas del'écrit, en fonction aussi de la nature du registre exigé par la srtuation de réceptionvisée. Un mode de coopération communicative, pouvant reposer dans certains casde dissymétrie exolingue sur un véritable «contrat didactique» (cf. de Pietro et al. 89)est chaque fois implicitement élaboré par les participants.

Par exemple, dans cecorpus, enfonctton de leur degré d'implication émotionnellecollective dans les événements relatés, Véronique/Irma oscillent entre deux systè¬mes de «places» (cf. Flahaut 1978) réciproques : celui, symétrique, de complice/complice où on voit la native non seulement corriger formellement l'énoncé de sonamie mais aussi renchérir sur le contenu de celui-ci en jouant sur les modalisationsappréciatives :

Exemple 1 :

I : On va bien ensemble <-

V : On s'entend biende mieux en mieuxtoupurs mieux

I : Ah ouaisV: Hein... et celui dissymétrique d'enseignant/apprenant (de langue et culture française) oùla première corrige automatiquement les productions de la seconde, pour desraisons qui peuvent être uniquement de respect de la norme grammaticale :

Exemple 2 :

1:V:1:

V:1:

on est allé à une amie de/on est allé CHEZ

ah on est allé chez une amie ?hm

de moi

Linguistiquement le contrat varie donc de la coopération linguistique fonction¬nelle, visant l'inter-compréhension orale ...

Exemple 3 :

I : On se laisse comme çaV: HeinI : On se laisse comme çaV : On se laisse ?I : Oui, on le laisse

la laisseHm tout comme ça, la lettre

... au contrat didactique impliquant que l'on ne parle plus de la langue uniquementpour résoudre les problèmes rencontrés en cours de rédaction, mais que l'on profitede celle-ci pour donner/glaner des renseignements sur la langue :

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REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD

L'événement langagier est ators pour une part déterminé par la confrontationdes systèmes linguistiques et des représentations langagières des participants. Il

sera plus ou moins aisé à gérer en fonction de la proximité de ces systèmes(communication endolingue pure, ou relativement endolingue), et dans le cas del'écrit, en fonction aussi de la nature du registre exigé par la srtuation de réceptionvisée. Un mode de coopération communicative, pouvant reposer dans certains casde dissymétrie exolingue sur un véritable «contrat didactique» (cf. de Pietro et al. 89)est chaque fois implicitement élaboré par les participants.

Par exemple, dans cecorpus, enfonctton de leur degré d'implication émotionnellecollective dans les événements relatés, Véronique/Irma oscillent entre deux systè¬mes de «places» (cf. Flahaut 1978) réciproques : celui, symétrique, de complice/complice où on voit la native non seulement corriger formellement l'énoncé de sonamie mais aussi renchérir sur le contenu de celui-ci en jouant sur les modalisationsappréciatives :

Exemple 1 :

I : On va bien ensemble <-

V : On s'entend biende mieux en mieuxtoupurs mieux

I : Ah ouaisV: Hein... et celui dissymétrique d'enseignant/apprenant (de langue et culture française) oùla première corrige automatiquement les productions de la seconde, pour desraisons qui peuvent être uniquement de respect de la norme grammaticale :

Exemple 2 :

1:V:1:

V:1:

on est allé à une amie de/on est allé CHEZ

ah on est allé chez une amie ?hm

de moi

Linguistiquement le contrat varie donc de la coopération linguistique fonction¬nelle, visant l'inter-compréhension orale ...

Exemple 3 :

I : On se laisse comme çaV: HeinI : On se laisse comme çaV : On se laisse ?I : Oui, on le laisse

la laisseHm tout comme ça, la lettre

... au contrat didactique impliquant que l'on ne parle plus de la langue uniquementpour résoudre les problèmes rencontrés en cours de rédaction, mais que l'on profitede celle-ci pour donner/glaner des renseignements sur la langue :

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Quand dire, c'est faire... écrire

Exemple 4 :

V: ... à part ça'I : [apa(R)j

qu'est ce que c'est [apaR] ?V : eh c'est

à part ça c'est une expression que tu mets, ehmpour dire eh d'un autre côté' tu sais

I : ouais maisV : ouais c'est une expression que tu dis

t'as parlé d'quelquechose puis tu dis eh. mhc'est pour dire que tu vas

[parler d'autre choseI : ah ouais, mhm'V : à part ça et eh quepuechose de pas très

[importantI: (rit)

On assiste ators àdes sollicitations métalangagières de l'expert linguistique parl'alloglotte comme à la production spontanée par le natif de commentaires du mêmegenre, éventuellement d'une certaine étendue (cf. ci-dessus).

On pourrait en déduire, au plan du fonctionnement de l'école contemporaine,que l'hétérogénéité des compétences linguistiques dans une même classe n'est pasobligatoirement un obstacle pédagogique. Elle peut engendrer des échangesfructueux où les élèves les plus à l'aise linguistiquement, loin de perdre leur tempsau contact d'élèves «différents», développent leur propre savoir métalinguistique enaidant leurs camarades dans le cadre d'un enseignement mutuel renouvelé.

Le but de ce travail particulier sur ce corpus particulier sera donc l'étude de cetteactivité facilrtatrtoe déptoyée par le locuteur natif (et peut-être plus généralement parle locuteur «linguistiquementdominant») pourpermettreàson interlocuteurd'accomplirla tâche scripturale fixée.

Nous nous intéresserons plus particulièrement à deux phénomènes :

- les représentations de la norme de l'écrit qu'il sera ainsi amené à expliciter,et leur lien éventuel aveccelles développées par l'institution scolaire qu'il n'apas encore quittée ;

- sacapacité à satisfaire les besoins d'aide discursive ou linguistique ressentispar l'alloglotte.

Sur ce dernier point en effet, l'apprenante étrangère va poser des questionsportant sur des phénomènes linguistiques non étudiés en langue maternelle car apriori largement maîtrisés «naturellement» par tous les élèves francophones (ex :

prépositions, genre des substantifs, déterminants, place de l'adjectif...). Pour yrépondre, Véronique devra «bâtir sa grammaire», (s')expliciter (à elle-même) lesrégularités de son fonctionnement linguistique. En effet dans le cadre du «contratdidactique» qui les lie implicitement, Irma va lui demander non seulement la solutionpratique de ses problèmes de langue mais aussi des explications, des justificationsmétalinguistiques plus générales. C'est donc en quelque sorte une grammaire

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Exemple 4 :

V: ... à part ça'I : [apa(R)j

qu'est ce que c'est [apaR] ?V : eh c'est

à part ça c'est une expression que tu mets, ehmpour dire eh d'un autre côté' tu sais

I : ouais maisV : ouais c'est une expression que tu dis

t'as parlé d'quelquechose puis tu dis eh. mhc'est pour dire que tu vas

[parler d'autre choseI : ah ouais, mhm'V : à part ça et eh quepuechose de pas très

[importantI: (rit)

On assiste ators àdes sollicitations métalangagières de l'expert linguistique parl'alloglotte comme à la production spontanée par le natif de commentaires du mêmegenre, éventuellement d'une certaine étendue (cf. ci-dessus).

On pourrait en déduire, au plan du fonctionnement de l'école contemporaine,que l'hétérogénéité des compétences linguistiques dans une même classe n'est pasobligatoirement un obstacle pédagogique. Elle peut engendrer des échangesfructueux où les élèves les plus à l'aise linguistiquement, loin de perdre leur tempsau contact d'élèves «différents», développent leur propre savoir métalinguistique enaidant leurs camarades dans le cadre d'un enseignement mutuel renouvelé.

Le but de ce travail particulier sur ce corpus particulier sera donc l'étude de cetteactivité facilrtatrtoe déptoyée par le locuteur natif (et peut-être plus généralement parle locuteur «linguistiquementdominant») pourpermettreàson interlocuteurd'accomplirla tâche scripturale fixée.

Nous nous intéresserons plus particulièrement à deux phénomènes :

- les représentations de la norme de l'écrit qu'il sera ainsi amené à expliciter,et leur lien éventuel aveccelles développées par l'institution scolaire qu'il n'apas encore quittée ;

- sacapacité à satisfaire les besoins d'aide discursive ou linguistique ressentispar l'alloglotte.

Sur ce dernier point en effet, l'apprenante étrangère va poser des questionsportant sur des phénomènes linguistiques non étudiés en langue maternelle car apriori largement maîtrisés «naturellement» par tous les élèves francophones (ex :

prépositions, genre des substantifs, déterminants, place de l'adjectif...). Pour yrépondre, Véronique devra «bâtir sa grammaire», (s')expliciter (à elle-même) lesrégularités de son fonctionnement linguistique. En effet dans le cadre du «contratdidactique» qui les lie implicitement, Irma va lui demander non seulement la solutionpratique de ses problèmes de langue mais aussi des explications, des justificationsmétalinguistiques plus générales. C'est donc en quelque sorte une grammaire

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Page 6: FAIRE C'EST

REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD

fonctionnelle du discours écrit, non enseignée scolairement, que notre élève en finde scolarité obligatoire, se voit amenée à construire dans ce type de situation.

4. LA GESTION DES PROBLÈMES LANGAGIERS LORS DEL'INTERACTION EXOLINGUE

Les problèmes langagiers rencontrés au cours de la rédaction peuvent avoirtrart aux performances orales des interlocuteurs (cf. «bi-focalisatton»)... aussi bienqu'à la norme générale de l'écrit ou au registre propre au genre sélectionné enfonction de la situation de réception (cf. «tri-focalisation»).

A l'oral ils peuvent être ressentis par l'un comme par l'autre des deux partenaires(cf. exemple 3 ci-dessus). Ne sont ainsi «refusés» que les énoncés impossibles àcomprendre parce que matériellement inaudibles, ou trop complexes dans le casd'un destinataire allogtotte, ou mal formés au point d'être difficilement interprétablesdans le cas d'un destinataire natif.

A l'écrit parcontre le refus pourra avoirdes raisons plus variées, ayant trait à desraisons locales purement linguistiques (bon usage des prépositions par exemple),mais aussi à des raisons contextuelles, discursives (ex. : 7, emploi de «surtout»), ouà des raisons situationnelles, d'acceptabilité sociale (tutoiement ou vouvoiementex. : 5).

4.1. Les reformulations

La solution de ces problèmes linguistiques ou plus largement langagiers passepardes reformulations modifiant localement (corrigeant, complétant . ..) ou globalementl'énoncé non accepté.

Ces reformulations, man'rfestationsdynamiques orales, comparables aux raturesde l'écrit, peuvent être classées en fonction de l'origine énonciative de l'énoncéreformulé : ici énoncé du natif ou de l'alloglotte. La nature de la réalisation matériellede celui-ci - fragment d'intervention orale ou ébauche de formulation écrrte - aégalement son importance. Nous avons évoqué ci-dessus la raretédes reformulations«normatives» des énoncés oraux de l'alloglotte, hors des situations d'enseignementinstitutionnelles ou «contractuelles». Ce critère par exemple peut donc permettre dediscriminer nettement différents types de situations exolingues, en déterminant lanature plus ou moins didactique du contrat qui lie les participants.

Entrent ensurte en ligne de compte, en contraste éventuellement avec cettepremière caractérisation, l'identité du locuteur qui demande cette reformulationexplicitement (ou la suscite implicitement en manifestant sa difficulté de productionou de compréhension), et celle de celui qui la produrt effectivement. Dans le premiercas, on distinguera entre auto ou hétéro-initiation de la reformulation, dans le secondentre auto ou hétéro-reformulation. Cette seconde série de critères permet dedistinguer, dans ces situations exolingues a priori dissymétriques, les «placesréelles» qu'occupent les deux interactants et en particulier d'examiner la capacité del'alloglotte à solliciter des informations linguistiques du natif et la nature de cesinformations.

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REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD

fonctionnelle du discours écrit, non enseignée scolairement, que notre élève en finde scolarité obligatoire, se voit amenée à construire dans ce type de situation.

4. LA GESTION DES PROBLÈMES LANGAGIERS LORS DEL'INTERACTION EXOLINGUE

Les problèmes langagiers rencontrés au cours de la rédaction peuvent avoirtrart aux performances orales des interlocuteurs (cf. «bi-focalisatton»)... aussi bienqu'à la norme générale de l'écrit ou au registre propre au genre sélectionné enfonction de la situation de réception (cf. «tri-focalisation»).

A l'oral ils peuvent être ressentis par l'un comme par l'autre des deux partenaires(cf. exemple 3 ci-dessus). Ne sont ainsi «refusés» que les énoncés impossibles àcomprendre parce que matériellement inaudibles, ou trop complexes dans le casd'un destinataire allogtotte, ou mal formés au point d'être difficilement interprétablesdans le cas d'un destinataire natif.

A l'écrit parcontre le refus pourra avoirdes raisons plus variées, ayant trait à desraisons locales purement linguistiques (bon usage des prépositions par exemple),mais aussi à des raisons contextuelles, discursives (ex. : 7, emploi de «surtout»), ouà des raisons situationnelles, d'acceptabilité sociale (tutoiement ou vouvoiementex. : 5).

4.1. Les reformulations

La solution de ces problèmes linguistiques ou plus largement langagiers passepardes reformulations modifiant localement (corrigeant, complétant . ..) ou globalementl'énoncé non accepté.

Ces reformulations, man'rfestationsdynamiques orales, comparables aux raturesde l'écrit, peuvent être classées en fonction de l'origine énonciative de l'énoncéreformulé : ici énoncé du natif ou de l'alloglotte. La nature de la réalisation matériellede celui-ci - fragment d'intervention orale ou ébauche de formulation écrrte - aégalement son importance. Nous avons évoqué ci-dessus la raretédes reformulations«normatives» des énoncés oraux de l'alloglotte, hors des situations d'enseignementinstitutionnelles ou «contractuelles». Ce critère par exemple peut donc permettre dediscriminer nettement différents types de situations exolingues, en déterminant lanature plus ou moins didactique du contrat qui lie les participants.

Entrent ensurte en ligne de compte, en contraste éventuellement avec cettepremière caractérisation, l'identité du locuteur qui demande cette reformulationexplicitement (ou la suscite implicitement en manifestant sa difficulté de productionou de compréhension), et celle de celui qui la produrt effectivement. Dans le premiercas, on distinguera entre auto ou hétéro-initiation de la reformulation, dans le secondentre auto ou hétéro-reformulation. Cette seconde série de critères permet dedistinguer, dans ces situations exolingues a priori dissymétriques, les «placesréelles» qu'occupent les deux interactants et en particulier d'examiner la capacité del'alloglotte à solliciter des informations linguistiques du natif et la nature de cesinformations.

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Page 7: FAIRE C'EST

Quand dire, c'est faire... écrire

La caractérisation des reformulations en fonction de ces différents critères peutse matérialiser sous la forme du tableau ci-dessous. Il permet un certain nombred'observations quantitatives préalables.

On constate par exemple qu'alors que le natif est seul à se reformuler,l'alloglotte ne produit lui-même qu'un sixième de ses propres reformulations.

D'autre part, il apparaît clairement que ce sont les énoncés de l'alloglotte -essentiellement des tentatives de formulation écrite - qui sont reformulés (presquecinq fois plus). Mais ils le sont pratiquement autant à la demande de leur auteur qu'àl'initiative spontanée du locuteur natif.

On peut remarquer de plus que le nombre de ces reformulations augmenteconsidérablement à mesure que la tâche avance, en particulier celles inrtiées parl'alloglotte lui-même. C'est lui qui, plus que le natif, assume le contrôle de la mise aupoint lexico-grammaticale de la lettre jusqu'au terme de celle-ci.

Le contrat de co-action entre les deux partenaires s'apparente bien à un contratdidactique : elles se donnent pour but non seulement de terminer au plus vite la tâchefixée mais aussi de rapprocher l'interlangue de Paltoglotte de la langue standard.

\ Source des\ énoncés à

, .\ problè-1 n i - \r moo.. .. \ mesdation \des \reformulations \

Natif

Total :

Alloglotte

Total :

Totalgénéral

Natif

Interventionsorales

Formulationsécrites

Auto-initiation

0 3

3

Hétéro-initiation

1 3

4

1 6

7

Alloglotte

Interventionsorales

Formulationsécrites

Langue Inscript

Hétéro-initiation

3 + 1 Z s3 + 12

Auto-initiation

0 2+iz â

2 + 15

3 + 1 2 + 12 £

5 + 2S

Chiffres soulignés : hétéro-reformulationsChiffres non-soulignés : auto-reformulations

Classement et dénombrement des reformulations

Enfin, dans cette étude centrée sur les activités facilitatrices déployées par unlocuteur natif lors de la réalisation d'un discours écrit, nous nous intéresserons aussià la nature plus ou moins explicitement métalinguistique du commentaire quiaccompagne éventuellement la reformulation, et à l'origine de ce besoin éventuel

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Quand dire, c'est faire... écrire

La caractérisation des reformulations en fonction de ces différents critères peutse matérialiser sous la forme du tableau ci-dessous. Il permet un certain nombred'observations quantitatives préalables.

On constate par exemple qu'alors que le natif est seul à se reformuler,l'alloglotte ne produit lui-même qu'un sixième de ses propres reformulations.

D'autre part, il apparaît clairement que ce sont les énoncés de l'alloglotte -essentiellement des tentatives de formulation écrite - qui sont reformulés (presquecinq fois plus). Mais ils le sont pratiquement autant à la demande de leur auteur qu'àl'initiative spontanée du locuteur natif.

On peut remarquer de plus que le nombre de ces reformulations augmenteconsidérablement à mesure que la tâche avance, en particulier celles inrtiées parl'alloglotte lui-même. C'est lui qui, plus que le natif, assume le contrôle de la mise aupoint lexico-grammaticale de la lettre jusqu'au terme de celle-ci.

Le contrat de co-action entre les deux partenaires s'apparente bien à un contratdidactique : elles se donnent pour but non seulement de terminer au plus vite la tâchefixée mais aussi de rapprocher l'interlangue de Paltoglotte de la langue standard.

\ Source des\ énoncés à

, .\ problè-1 n i - \r moo.. .. \ mesdation \des \reformulations \

Natif

Total :

Alloglotte

Total :

Totalgénéral

Natif

Interventionsorales

Formulationsécrites

Auto-initiation

0 3

3

Hétéro-initiation

1 3

4

1 6

7

Alloglotte

Interventionsorales

Formulationsécrites

Langue Inscript

Hétéro-initiation

3 + 1 Z s3 + 12

Auto-initiation

0 2+iz â

2 + 15

3 + 1 2 + 12 £

5 + 2S

Chiffres soulignés : hétéro-reformulationsChiffres non-soulignés : auto-reformulations

Classement et dénombrement des reformulations

Enfin, dans cette étude centrée sur les activités facilitatrices déployées par unlocuteur natif lors de la réalisation d'un discours écrit, nous nous intéresserons aussià la nature plus ou moins explicitement métalinguistique du commentaire quiaccompagne éventuellement la reformulation, et à l'origine de ce besoin éventuel

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REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD

d'explication : origine spontanée ou demande de l'alloglotte, nature du problème,existence d'un commentaire scolaire classique ...

5. LES AUTO-REFORMULATIONS PRODUITES PAR LE NATIF

5.1. Les auto-reformulations auto-initiées : bribes et gloses

Soulignons tout d'abord que ce phénomène d'auto-reformulation auto-initiéeest courant voire systématique en situation endolingue. Il est à l'origine du phéno¬mène de «bribe», de faux départ, remarqué par tous les spécialistes de l'oral«authentique» et en particulier par C. Blanche-Benvéniste et son équipe du GroupeAixois de Recherche en Syntaxe. C'est à eux que nous empruntons le procédé deprésentation tabulaire de nos exemples.

Cependant vu la nature de latâche et le non investissement (de principe) du natifdans la rédaction de la lettre, c'est le type de reformulation le moins fréquent ici :

exemple 5 :

V : ... "que je t'aipromis d'écrire»

V : eh tu mets «que je VOUS ai»I : hm, «je vous ai»c'est la même ?

V : eh ben c'est l'vouvoiementvous avez

vous

I : ah ouais ...

Dans l'exemple ci-dessus il s'agit d'un amélioration d'une première hétéro-reformulation. On pourrart donc la considérer comme une hétéro-reformulation àdouble détente au cours de laquelle se manifeste, après coup, un contrôlemétalangagier, ici portant non pas sur la norme proprement grammaticale mais plutôtsur la norme interactionnelle (opposition sociale entre tutoiement et vouvoiement).

On en trouve cependant aussi des exemples, de nature métalinguistique, quin'ont pas pour but de fournir l'énoncé définitif mais qui viennent après coup. Ils visentà gtoser celui-ci par une sorte de traductton intralinguale afin de mieux le faireaccepter :

exemple 6 :

V : On s'entend biende mieux en mieuxtoupurs mieux

(cf également exemple «surtout» ci-dessous)

5.2. Les auto-reformulations hétéro-initiées :

les réponses métalangagieres

Ces demandes de reformulation, quand elles ne concernent pas l'oral, sontsouvent explicitement ou implicitement, en tout ou partie, des demandes de com-

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REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD

d'explication : origine spontanée ou demande de l'alloglotte, nature du problème,existence d'un commentaire scolaire classique ...

5. LES AUTO-REFORMULATIONS PRODUITES PAR LE NATIF

5.1. Les auto-reformulations auto-initiées : bribes et gloses

Soulignons tout d'abord que ce phénomène d'auto-reformulation auto-initiéeest courant voire systématique en situation endolingue. Il est à l'origine du phéno¬mène de «bribe», de faux départ, remarqué par tous les spécialistes de l'oral«authentique» et en particulier par C. Blanche-Benvéniste et son équipe du GroupeAixois de Recherche en Syntaxe. C'est à eux que nous empruntons le procédé deprésentation tabulaire de nos exemples.

Cependant vu la nature de latâche et le non investissement (de principe) du natifdans la rédaction de la lettre, c'est le type de reformulation le moins fréquent ici :

exemple 5 :

V : ... "que je t'aipromis d'écrire»

V : eh tu mets «que je VOUS ai»I : hm, «je vous ai»c'est la même ?

V : eh ben c'est l'vouvoiementvous avez

vous

I : ah ouais ...

Dans l'exemple ci-dessus il s'agit d'un amélioration d'une première hétéro-reformulation. On pourrart donc la considérer comme une hétéro-reformulation àdouble détente au cours de laquelle se manifeste, après coup, un contrôlemétalangagier, ici portant non pas sur la norme proprement grammaticale mais plutôtsur la norme interactionnelle (opposition sociale entre tutoiement et vouvoiement).

On en trouve cependant aussi des exemples, de nature métalinguistique, quin'ont pas pour but de fournir l'énoncé définitif mais qui viennent après coup. Ils visentà gtoser celui-ci par une sorte de traductton intralinguale afin de mieux le faireaccepter :

exemple 6 :

V : On s'entend biende mieux en mieuxtoupurs mieux

(cf également exemple «surtout» ci-dessous)

5.2. Les auto-reformulations hétéro-initiées :

les réponses métalangagieres

Ces demandes de reformulation, quand elles ne concernent pas l'oral, sontsouvent explicitement ou implicitement, en tout ou partie, des demandes de com-

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Page 9: FAIRE C'EST

Quand dire, c'est faire... écrire

mentaire métalinguistique. L'alloglotte désire un complément d'information gramma¬ticale avant de prendre en compte la forme proposée qui échappe à son savoir ouà son savoir-faire linguistique :

exemple 7 :

V : on est resté... jusqu'à ...I : Pourquoi ne j'pas jusqu'AU'V : jusqu'A parce que après c'est six eh :I : ah ouaisV : tu mets jusqu'AU quand t'as après un aI: aieV: a: eheio uI : ouaisV : ouais mhm une voyelle quoiI : six heures(cf. aussi ex. 4 : «Qu'est ce que c'est «a part ça «?»)

Hétéro-initiations, contrat didactique et contrat «scolaire»

Dans les deux exemples que nous avons cités, l'initiation de la reformulation parl'alloglotte est produite par des questions explicites «pourquoi (pas) ?» «qu'est-ceque c'est ?» On trouve des exemples de ces questtons au début comme à la fin del'interaction. Elles manifestent - surtout la première - que l'alloglotte conservependant toute l'interaction une exigence de clarification métalinguistique qui dépassecelle offerte par une simple paraphrase.

D'autre part le caractère général de la question posée montre aussi qu'elleentend dépasser le contexte discursif particulier de cette tâche précise, pourconnaître d'hypotétiques règles générales de foncttonnement.

On peut y voir une claire manifestation de ce qu'on pourrait appeler un «contratscolaire» excédant par ses exigences le contrat didactique postulé par de Pietro etal. (1987).

Ce dernier ne donnait naissance a priori qu'à des échanges (dits «latéraux» carils s'écartent de la ligne directrice de la conversation) de la forme :

- difficulté de production/compréhension,- reformulation,- acceptation/reprise.

Les échanges métalinguistiques sont ici de la forme :

- difficulté de conceptualisation + question métalinguistique généralisante,- réponse métalinguistique générale (éventuellement sous forme de «règle

scolaire),- (acceptation).

Cesdéveloppementsmétalinguistiques, qui apparaissentsousformede réponse,ne sont pas produits spontanément par le natif. C'est Irma, ralloglotte/apprenante,qui les sollicite, se comportant avec sa camarade native comme, à l'école, avec sonenseignante. Elle est soucieuse non seulement d'avancer dans la tâche, nonseulement d'acquérir par la pratique, mais aussi d'apprendre consciemment,

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Quand dire, c'est faire... écrire

mentaire métalinguistique. L'alloglotte désire un complément d'information gramma¬ticale avant de prendre en compte la forme proposée qui échappe à son savoir ouà son savoir-faire linguistique :

exemple 7 :

V : on est resté... jusqu'à ...I : Pourquoi ne j'pas jusqu'AU'V : jusqu'A parce que après c'est six eh :I : ah ouaisV : tu mets jusqu'AU quand t'as après un aI: aieV: a: eheio uI : ouaisV : ouais mhm une voyelle quoiI : six heures(cf. aussi ex. 4 : «Qu'est ce que c'est «a part ça «?»)

Hétéro-initiations, contrat didactique et contrat «scolaire»

Dans les deux exemples que nous avons cités, l'initiation de la reformulation parl'alloglotte est produite par des questions explicites «pourquoi (pas) ?» «qu'est-ceque c'est ?» On trouve des exemples de ces questtons au début comme à la fin del'interaction. Elles manifestent - surtout la première - que l'alloglotte conservependant toute l'interaction une exigence de clarification métalinguistique qui dépassecelle offerte par une simple paraphrase.

D'autre part le caractère général de la question posée montre aussi qu'elleentend dépasser le contexte discursif particulier de cette tâche précise, pourconnaître d'hypotétiques règles générales de foncttonnement.

On peut y voir une claire manifestation de ce qu'on pourrait appeler un «contratscolaire» excédant par ses exigences le contrat didactique postulé par de Pietro etal. (1987).

Ce dernier ne donnait naissance a priori qu'à des échanges (dits «latéraux» carils s'écartent de la ligne directrice de la conversation) de la forme :

- difficulté de production/compréhension,- reformulation,- acceptation/reprise.

Les échanges métalinguistiques sont ici de la forme :

- difficulté de conceptualisation + question métalinguistique généralisante,- réponse métalinguistique générale (éventuellement sous forme de «règle

scolaire),- (acceptation).

Cesdéveloppementsmétalinguistiques, qui apparaissentsousformede réponse,ne sont pas produits spontanément par le natif. C'est Irma, ralloglotte/apprenante,qui les sollicite, se comportant avec sa camarade native comme, à l'école, avec sonenseignante. Elle est soucieuse non seulement d'avancer dans la tâche, nonseulement d'acquérir par la pratique, mais aussi d'apprendre consciemment,

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Page 10: FAIRE C'EST

REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD

réflexivement. Remarquons cependant que Véronique, elle, ne va pas jusqu'au boutde ce contrat scolaire : si elle produit volontiers des commentaires métalinguistiquesquelquefois d'une certaine longueur parcontre elle neva pas jusqu'à retarder l'apportd'information afin de faire trouver la réponse à l'alloglotte elle même, suivant un rituelpédagogique fréquemment utilisé en classe.

Les réponses métalinguistiques de Véronique

Elle se montre typiquement plus à l'aise dans les explications fonctionnelles del'emploi des formes (cf. «à part ça») que dans les explications formelles de faitsmorphologiques «obligatoires» (cf. «jusqu'au»). Nous pouvons faire l'hypothèsequ'elle peut plus facilement expliciter sa compétence communicative consciente,que sa compétence linguistique «automatique».

Dans ce dernier cas, les commentaires méta-linguistiques sont plus ou moinsappropriés (cf. ex. : 7), car le natif n'a plus simplement à manifester son intuitionlinguistique naturelle mais àverbaliser un savoir métalinguistique largement lacunaire.Par un paradoxe qui n'estqu'apparent, dans l'exemple 7, c'est l'apprenante allemandequi possède la «bonne» règle (au « à le) qu'elle a sans doute dû apprendreexplicitement à l'école, alorsque son amiefrançaise, qui ne Ta acquise qu'implicitement,énonce une «règle» parfaitement non-pertinente.

Remarquons cependant que si elle ne possède pas la «bonne règle» elle n'enabandonne pas pour autant la «bonne place» d'experte linguistique et assume cetteposition en fournissant vaille que vaille une explication même si celle-ci est totale¬ment erronée, construite sur l'«écho» d'une règle scolaire ...

6. LES HÉTÉRO-REFORMULATIONS PRODUITES PAR LE NATIF

Il s'agrt essentiellement d'aides ou de corrections. Ces phénomènes sont trèsimportants quantitativement dans notre corpus. Il s'agrt de la matérialisation la plusdirecte de l'efficacité du contrat inrtial de co-actton proposé par Véronique. Ce contratpeut fonctionner implicitement, chacun apportant sa phrase, son mot ou sonmorphème au discours rédigé en commun selon la règle du jeu proposée initialementpar Véronique :

«fu fais une lettre et puis après j'corr'ige»

Correspondent tout particulièrement à ce projet les hétéro-reformulationshétéro-initiées des énoncés de l'alloglotte.

6.1. Les hétéro-reformulations hétéro-initiées : les corrections

exemple 8 (cf. exemple 9) :

I : On va bien ensembleV : On s'entend bien

On s'entend bienI : Oui "On s'entend bien» (intonation "répétition»)

(cf. aussi exemple 5 «chez/à»)

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REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD

réflexivement. Remarquons cependant que Véronique, elle, ne va pas jusqu'au boutde ce contrat scolaire : si elle produit volontiers des commentaires métalinguistiquesquelquefois d'une certaine longueur parcontre elle neva pas jusqu'à retarder l'apportd'information afin de faire trouver la réponse à l'alloglotte elle même, suivant un rituelpédagogique fréquemment utilisé en classe.

Les réponses métalinguistiques de Véronique

Elle se montre typiquement plus à l'aise dans les explications fonctionnelles del'emploi des formes (cf. «à part ça») que dans les explications formelles de faitsmorphologiques «obligatoires» (cf. «jusqu'au»). Nous pouvons faire l'hypothèsequ'elle peut plus facilement expliciter sa compétence communicative consciente,que sa compétence linguistique «automatique».

Dans ce dernier cas, les commentaires méta-linguistiques sont plus ou moinsappropriés (cf. ex. : 7), car le natif n'a plus simplement à manifester son intuitionlinguistique naturelle mais àverbaliser un savoir métalinguistique largement lacunaire.Par un paradoxe qui n'estqu'apparent, dans l'exemple 7, c'est l'apprenante allemandequi possède la «bonne» règle (au « à le) qu'elle a sans doute dû apprendreexplicitement à l'école, alorsque son amiefrançaise, qui ne Ta acquise qu'implicitement,énonce une «règle» parfaitement non-pertinente.

Remarquons cependant que si elle ne possède pas la «bonne règle» elle n'enabandonne pas pour autant la «bonne place» d'experte linguistique et assume cetteposition en fournissant vaille que vaille une explication même si celle-ci est totale¬ment erronée, construite sur l'«écho» d'une règle scolaire ...

6. LES HÉTÉRO-REFORMULATIONS PRODUITES PAR LE NATIF

Il s'agrt essentiellement d'aides ou de corrections. Ces phénomènes sont trèsimportants quantitativement dans notre corpus. Il s'agrt de la matérialisation la plusdirecte de l'efficacité du contrat inrtial de co-actton proposé par Véronique. Ce contratpeut fonctionner implicitement, chacun apportant sa phrase, son mot ou sonmorphème au discours rédigé en commun selon la règle du jeu proposée initialementpar Véronique :

«fu fais une lettre et puis après j'corr'ige»

Correspondent tout particulièrement à ce projet les hétéro-reformulationshétéro-initiées des énoncés de l'alloglotte.

6.1. Les hétéro-reformulations hétéro-initiées : les corrections

exemple 8 (cf. exemple 9) :

I : On va bien ensembleV : On s'entend bien

On s'entend bienI : Oui "On s'entend bien» (intonation "répétition»)

(cf. aussi exemple 5 «chez/à»)

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Page 11: FAIRE C'EST

Quand dire, c'est faire... écrire

Il s'agit de la manifestation la plus claire du rôle fonctionnel de conseillerlinguistique, assumé par le natif avec le plein assentiment de l'alloglotte. Nous avonsen effet déjà noté que nous obtenions un nombre très comparable d'hétéro-reformulations auto-initiées par l'alloglotte qui demande spontanément au natif del'aider en fournissant une forme linguistiquement plus juste ou discursivement plusappropriée.

C'est essentiellement à propos de problèmes de langue, tels que ceux quetraitent l'école, que Véronique corrige spontanément les propositions d'énoncésformulées par Irma. Sur quatorze conecttons, par exemple, quatre concernent desquestions d'orthographe d'usage, deux des questions de lexique, deux autres desproblèmes de genre des mots, deux enfin des problèmes d'usage des prépositions.

Remarquons enfin qu'elle se lasse assez vite de ce rôle. Lors de la phase finalede la tâche on trouve plus d'hétéro-initiations auto-initiées qu'hétéro-initiées.

6.3. Les hétéro-initiations auto-initiées : les demandes d'aide

Celles-ci peuventposerau natif des problèmes de localisation et d'interprétationde la difficulté de codage rencontrée par l'alloglotte :

exemple 9 :

1:

V1:

V1:V1:V1:

V1:V

1:V

eh:

ou ehm c

ouehm(bas)

depuis lanu'it...la nuit ?

'est'pendantpendantla nuit ?

cette nuit'ehm non non ehm

non ehm.avec nos amis'

.. beaucoup (?)ehm nousehmah

oui

faitmieux' ... dans la nuit ... que dans lepur (rit)SURTOUT P nuitsurtout la nuit

c'estsurtout c'est euh

euhplus la nuit

aue le iour. surtoutI : ouais «ensemble surtout ...»

L'informateur est alors amené àfaire des hypothèses grammaticales sur le typed'amélioration que recherche son co-scripteur. A partir du syntagme pointé par celui-ci «la nuit» et de sa position dans l'énoncé, on constate qu'il procède en deux temps :

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Quand dire, c'est faire... écrire

Il s'agit de la manifestation la plus claire du rôle fonctionnel de conseillerlinguistique, assumé par le natif avec le plein assentiment de l'alloglotte. Nous avonsen effet déjà noté que nous obtenions un nombre très comparable d'hétéro-reformulations auto-initiées par l'alloglotte qui demande spontanément au natif del'aider en fournissant une forme linguistiquement plus juste ou discursivement plusappropriée.

C'est essentiellement à propos de problèmes de langue, tels que ceux quetraitent l'école, que Véronique corrige spontanément les propositions d'énoncésformulées par Irma. Sur quatorze conecttons, par exemple, quatre concernent desquestions d'orthographe d'usage, deux des questions de lexique, deux autres desproblèmes de genre des mots, deux enfin des problèmes d'usage des prépositions.

Remarquons enfin qu'elle se lasse assez vite de ce rôle. Lors de la phase finalede la tâche on trouve plus d'hétéro-initiations auto-initiées qu'hétéro-initiées.

6.3. Les hétéro-initiations auto-initiées : les demandes d'aide

Celles-ci peuventposerau natif des problèmes de localisation et d'interprétationde la difficulté de codage rencontrée par l'alloglotte :

exemple 9 :

1:

V1:

V1:V1:V1:

V1:V

1:V

eh:

ou ehm c

ouehm(bas)

depuis lanu'it...la nuit ?

'est'pendantpendantla nuit ?

cette nuit'ehm non non ehm

non ehm.avec nos amis'

.. beaucoup (?)ehm nousehmah

oui

faitmieux' ... dans la nuit ... que dans lepur (rit)SURTOUT P nuitsurtout la nuit

c'estsurtout c'est euh

euhplus la nuit

aue le iour. surtoutI : ouais «ensemble surtout ...»

L'informateur est alors amené àfaire des hypothèses grammaticales sur le typed'amélioration que recherche son co-scripteur. A partir du syntagme pointé par celui-ci «la nuit» et de sa position dans l'énoncé, on constate qu'il procède en deux temps :

77

Page 12: FAIRE C'EST

REPÈRES N° 3/1991 R.BOUCHARD

il opère différentes tentatives purement formelles, introduction d'une préposition,transformation du déterminant, avant, dans un second temps, de proposer unemodification sémantique, possible dans le co-texte et dans le contexte.

7. DES REFORMULATIONS AUX SOLLICITATIONS DEFORMULATIONS

S'opposent globalement à la catégorie des reformulations essentiellementlocales que nous avons étudiées, les sollicitations de formulations, émises par le natifafin de dynamiser la production de l'alloglotte «Tu veux dire quoi?», «Après ?»(2 fois).

Il s'agrt alors de demandes de verbalisation des projets d'énoncé plus globauxque l'alloglotte est censé avoir préalablement conçus. Elles peuvent porter surdifférents niveaux d'organisation du discours cible.

Il arrive aussi qu'lrmaexplicite elle-même spontanémentses projets énonciatrfs.Ainsi en début de tâche, elle propose une planificatton globale de la lettre «peut êtreje écrire d'abord quelque chose sur moi, et après ensemble». En cours de rédaction,elle intervient de la même manière méta-discursive pour la rédaction d'un épisodeplus particulier «'Hier1, oui, on raconte...».

Dans ces différents cas, toutes ces interventions métalangagières précèdentles formulations écrites. D'autre part elles ne se situent pas à un niveau lexico-grammatical comme les reformulations, qui, dans ce cadre discursif «proto-narratif» ,

ont trait en particulier au micro-système linguistique du repérage temporel (depuis,déjà, toujours, jusqu'à, j'ai/je suis allée...). Elles concernent des phénomènes plusglobaux de planification sémantique ou textuelle de la lettre en cours de production.On peut percevoir à travers elles les représentations du «plan de texte» (JM Adam)sous jacent que possèdent les interactants. Relativement lâche, il repose, plus quesurune organisation globale, sur une structuration pas à pas, par épisodes simplementenchaînés («après ?», «après ?»), s'appuyant sur les macrostructures locales d'unscript «touristique» (évaluation globale du séjour, évocation climatique, liste desdifférents lieux visités...). C'est ce script que sollicite Véronique en cas de panned'inspiration d'Irma. Elle enchaîne alors avec des évocations géographiques (5)«Paris la nuit est très bien», (12) "J'ai vu Beaubourg...», ou météorologique (9) «//ne fart pas beau ici». D'autre part chacun des énoncés ainsi réalisés sur la base deces thèmes est susceptible ensurte d'être accompagné par une evaluation conclusive :

exemple 1 0 :

On est resté jusqu'à six heuresAprès ?Ehm, c'était très bien

Se constituent ainsi des épisodes prédicatifs binaires (information + évaluationconclusive), semblables aux échanges informatifs oraux, s'enchaînant au moyen demarqueurs d'intégration, linéaire comme «ef» ou plus spécifiquement "àpartça» (ci.exemple 4).

Ces négociations des représentations portant sur la macrostructure et laplanification «pas à pas» de ce genre discursif «ordinaire», la lettre informelle, enfin,

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REPÈRES N° 3/1991 R.BOUCHARD

il opère différentes tentatives purement formelles, introduction d'une préposition,transformation du déterminant, avant, dans un second temps, de proposer unemodification sémantique, possible dans le co-texte et dans le contexte.

7. DES REFORMULATIONS AUX SOLLICITATIONS DEFORMULATIONS

S'opposent globalement à la catégorie des reformulations essentiellementlocales que nous avons étudiées, les sollicitations de formulations, émises par le natifafin de dynamiser la production de l'alloglotte «Tu veux dire quoi?», «Après ?»(2 fois).

Il s'agrt alors de demandes de verbalisation des projets d'énoncé plus globauxque l'alloglotte est censé avoir préalablement conçus. Elles peuvent porter surdifférents niveaux d'organisation du discours cible.

Il arrive aussi qu'lrmaexplicite elle-même spontanémentses projets énonciatrfs.Ainsi en début de tâche, elle propose une planificatton globale de la lettre «peut êtreje écrire d'abord quelque chose sur moi, et après ensemble». En cours de rédaction,elle intervient de la même manière méta-discursive pour la rédaction d'un épisodeplus particulier «'Hier1, oui, on raconte...».

Dans ces différents cas, toutes ces interventions métalangagières précèdentles formulations écrites. D'autre part elles ne se situent pas à un niveau lexico-grammatical comme les reformulations, qui, dans ce cadre discursif «proto-narratif» ,

ont trait en particulier au micro-système linguistique du repérage temporel (depuis,déjà, toujours, jusqu'à, j'ai/je suis allée...). Elles concernent des phénomènes plusglobaux de planification sémantique ou textuelle de la lettre en cours de production.On peut percevoir à travers elles les représentations du «plan de texte» (JM Adam)sous jacent que possèdent les interactants. Relativement lâche, il repose, plus quesurune organisation globale, sur une structuration pas à pas, par épisodes simplementenchaînés («après ?», «après ?»), s'appuyant sur les macrostructures locales d'unscript «touristique» (évaluation globale du séjour, évocation climatique, liste desdifférents lieux visités...). C'est ce script que sollicite Véronique en cas de panned'inspiration d'Irma. Elle enchaîne alors avec des évocations géographiques (5)«Paris la nuit est très bien», (12) "J'ai vu Beaubourg...», ou météorologique (9) «//ne fart pas beau ici». D'autre part chacun des énoncés ainsi réalisés sur la base deces thèmes est susceptible ensurte d'être accompagné par une evaluation conclusive :

exemple 1 0 :

On est resté jusqu'à six heuresAprès ?Ehm, c'était très bien

Se constituent ainsi des épisodes prédicatifs binaires (information + évaluationconclusive), semblables aux échanges informatifs oraux, s'enchaînant au moyen demarqueurs d'intégration, linéaire comme «ef» ou plus spécifiquement "àpartça» (ci.exemple 4).

Ces négociations des représentations portant sur la macrostructure et laplanification «pas à pas» de ce genre discursif «ordinaire», la lettre informelle, enfin,

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Page 13: FAIRE C'EST

Quand dire, c'est faire... écrire

sont complétées par des négociations de son organisation paradiscursive : mise enpage, calligraphie, abréviations conventionnelles :

exemple 1 1 :

I : Chère Madame Sûrich

V : Eh tu mets "Madame» comme ça, tu sais, tu mets un «m» au dessus et un «e»

V : Non, non, en haut, comme ça

... ou de sa présentation générale :

I : On la laisse tout comme ça, la lettreV : On la recopie

I : NonV : Pourquoi ?

I : (rit) C'esf beau ... comme çaV : O.k. !

8. CONCLUSION : SITUATIONS EXOLINGUES ET COMPÉTENCEMETALANGAGIERE DES LOCUTEURS NATIFS

Dans les situations exolingues de production écrite d'un discours «ordinaire»,les partenaires agissent en fonction d'un contrat souple de coopération.

Il s'agit d'abord d'un contrat de co-actton organisant matériellement le travail encommun. Cette collaboration est du même type que celle qui peut lier un écrivainpublic et son client. Momentanément d'ailleurs c'est ce qui se passe quand Véroniqueaccepte d'écrire à la place d'Irma en réglant simultanément et tacitement lesproblèmes linguistiques (orthographe, morphologie) correspondants.

Mais à ce contrat pratique s'ajoute, en situation exolingue, un contrat didactiqueorganisant une collaboration spécifique au plan langagier. Il concerne la résolutiondes problèmes de langue rencontrés à l'oral mais surtout à l'écrit par l'alloglotte. Il semanifeste essentiellement lors des nombreuses reformulations hétéro/auto-inrtiéesdes énoncés produits par Irma.

Par ailleurs nous avons constaté qu'il avait tendance, dans le cas de ces co-scripteurs adolescents, à évoluer sans l'atteindre vers un contrat «scolaire». Ilssollicitent/ajoutent spontanément des commentaires méta-linguistiques similaires àceux attendus dans une classe de langue.

De telles situations exolingues de production écrrte collective, permettent doncd'étudier les compétences langagières et métalangagières des participants tellesque les a, en partie au moins, façonnées leur cursus scolaire.

On constate à ce propos que Véronique est plus efficace pour déceler l'énoncémal formé, lui substituer une expression plus grammaticale ou plus acceptable («tu/vous ; «on/nous») et élaborer une paraphrase que pour fournir un commentaire

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Quand dire, c'est faire... écrire

sont complétées par des négociations de son organisation paradiscursive : mise enpage, calligraphie, abréviations conventionnelles :

exemple 1 1 :

I : Chère Madame Sûrich

V : Eh tu mets "Madame» comme ça, tu sais, tu mets un «m» au dessus et un «e»

V : Non, non, en haut, comme ça

... ou de sa présentation générale :

I : On la laisse tout comme ça, la lettreV : On la recopie

I : NonV : Pourquoi ?

I : (rit) C'esf beau ... comme çaV : O.k. !

8. CONCLUSION : SITUATIONS EXOLINGUES ET COMPÉTENCEMETALANGAGIERE DES LOCUTEURS NATIFS

Dans les situations exolingues de production écrite d'un discours «ordinaire»,les partenaires agissent en fonction d'un contrat souple de coopération.

Il s'agit d'abord d'un contrat de co-actton organisant matériellement le travail encommun. Cette collaboration est du même type que celle qui peut lier un écrivainpublic et son client. Momentanément d'ailleurs c'est ce qui se passe quand Véroniqueaccepte d'écrire à la place d'Irma en réglant simultanément et tacitement lesproblèmes linguistiques (orthographe, morphologie) correspondants.

Mais à ce contrat pratique s'ajoute, en situation exolingue, un contrat didactiqueorganisant une collaboration spécifique au plan langagier. Il concerne la résolutiondes problèmes de langue rencontrés à l'oral mais surtout à l'écrit par l'alloglotte. Il semanifeste essentiellement lors des nombreuses reformulations hétéro/auto-inrtiéesdes énoncés produits par Irma.

Par ailleurs nous avons constaté qu'il avait tendance, dans le cas de ces co-scripteurs adolescents, à évoluer sans l'atteindre vers un contrat «scolaire». Ilssollicitent/ajoutent spontanément des commentaires méta-linguistiques similaires àceux attendus dans une classe de langue.

De telles situations exolingues de production écrrte collective, permettent doncd'étudier les compétences langagières et métalangagières des participants tellesque les a, en partie au moins, façonnées leur cursus scolaire.

On constate à ce propos que Véronique est plus efficace pour déceler l'énoncémal formé, lui substituer une expression plus grammaticale ou plus acceptable («tu/vous ; «on/nous») et élaborer une paraphrase que pour fournir un commentaire

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Page 14: FAIRE C'EST

REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD

métalinguistique expliquant le fonctionnement morphosyntaxique de la langue. Sonintuition linguistique, manifestation de sa grammaire implicite de «native» est plusproductive que son savoir grammatical explicite développé à l'école... si ce n'estpeut-être par rapport aux problèmes locaux, orthographiques et lexicaux !

Ce dernier point peut sembler révélateur du type d'attention à la languedéveloppé par notre institution scolaire, comme de ... l'efficacité relative de cetteformation métalinguistique. Cette étude est trop rapide pour prétendre tirer desconclustons définrtives à ce propos. Nous pensons, qu'en créant d'autres situationsde production écrrte spécifiques, il est possible d'évaluer la qualité de cette formationgrammaticale scolaire, quant à des problèmes linguistiques ou pragmatiques précis :

maîtrise explicite de micro-systèmes syntaxiques, de phénomènes ou de genresdiscursifs variés...

Mais nous voudrions insister pour terminer sur l'intérêt pédagogique immédiatde l'utilisation en classe de ces activités (relativement) exolingues.

Cette étude voudrait montrer que l'association au sein de groupes de travaild'élèves «différents», francophones ou non francophones, d'âges ou d'origines,sociales, géographiques, hétérogènes, peut ne pas apparaître comme une simplefatalité pour l'école mais comme une possibilité pédagogique supplémentaire. Ellepermet aux élèves les plus à l'aise linguistiquement de développer leur compétencemétalinguistique dans le même temps où leurs camarades moins avancés profitent,eux, linguistiquement, de cette formation mutuelle.

BIBLIOGRAPHIE

ALBERT J.L. et Py B. (1986), «Vers un modèle exolingue de la communicationinterculturelle : interparole, coopération t conversation», ELA nc 61 , pp. 78-90.

BANGE P. (1 987), «La régulatbn de l'intercompréhenston dans la communbationexolingue», Résumé en vue du Colloque GRAL d'Aix en Provence.

BOUCHARD R. (1 988), «Lire pour réécrire (des discours mathématiques en classe) :

reformulation et enonciation», £LA nc 71, pp. 34-50.

BOUCHARD R. (1991a), «L'acquisition de la compétence discursive écrite en L1 eteb 12», Cahiers de Lingustique Sociale (Université de Rouen) (à paraître).

BOUCHARD R. (1991b), «Interactions exolingues et production écrite :

«trifocalisatton» de la conversation et potentialités acquisitionnelles» in RussierC. Stoeffel E. et Véronique D. (dir.), Acfes du Vile colloque international «Ac¬quisition d'une langue étrangère : perspectives et recherches» (Université deProvence).

BOUCHARD R. (1991c), «Diversification des pratiques discursives écrites ethomogénéisation des représentations : pour un autocontrôle de la cohérencedes projets didactiques innovants» in Schneuwly B. «Diversifierl'enseignementdu français écrit», Neuchâtel, Paris, Delachaux et Niestlé.

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REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD

métalinguistique expliquant le fonctionnement morphosyntaxique de la langue. Sonintuition linguistique, manifestation de sa grammaire implicite de «native» est plusproductive que son savoir grammatical explicite développé à l'école... si ce n'estpeut-être par rapport aux problèmes locaux, orthographiques et lexicaux !

Ce dernier point peut sembler révélateur du type d'attention à la languedéveloppé par notre institution scolaire, comme de ... l'efficacité relative de cetteformation métalinguistique. Cette étude est trop rapide pour prétendre tirer desconclustons définrtives à ce propos. Nous pensons, qu'en créant d'autres situationsde production écrrte spécifiques, il est possible d'évaluer la qualité de cette formationgrammaticale scolaire, quant à des problèmes linguistiques ou pragmatiques précis :

maîtrise explicite de micro-systèmes syntaxiques, de phénomènes ou de genresdiscursifs variés...

Mais nous voudrions insister pour terminer sur l'intérêt pédagogique immédiatde l'utilisation en classe de ces activités (relativement) exolingues.

Cette étude voudrait montrer que l'association au sein de groupes de travaild'élèves «différents», francophones ou non francophones, d'âges ou d'origines,sociales, géographiques, hétérogènes, peut ne pas apparaître comme une simplefatalité pour l'école mais comme une possibilité pédagogique supplémentaire. Ellepermet aux élèves les plus à l'aise linguistiquement de développer leur compétencemétalinguistique dans le même temps où leurs camarades moins avancés profitent,eux, linguistiquement, de cette formation mutuelle.

BIBLIOGRAPHIE

ALBERT J.L. et Py B. (1986), «Vers un modèle exolingue de la communicationinterculturelle : interparole, coopération t conversation», ELA nc 61 , pp. 78-90.

BANGE P. (1 987), «La régulatbn de l'intercompréhenston dans la communbationexolingue», Résumé en vue du Colloque GRAL d'Aix en Provence.

BOUCHARD R. (1 988), «Lire pour réécrire (des discours mathématiques en classe) :

reformulation et enonciation», £LA nc 71, pp. 34-50.

BOUCHARD R. (1991a), «L'acquisition de la compétence discursive écrite en L1 eteb 12», Cahiers de Lingustique Sociale (Université de Rouen) (à paraître).

BOUCHARD R. (1991b), «Interactions exolingues et production écrite :

«trifocalisatton» de la conversation et potentialités acquisitionnelles» in RussierC. Stoeffel E. et Véronique D. (dir.), Acfes du Vile colloque international «Ac¬quisition d'une langue étrangère : perspectives et recherches» (Université deProvence).

BOUCHARD R. (1991c), «Diversification des pratiques discursives écrites ethomogénéisation des représentations : pour un autocontrôle de la cohérencedes projets didactiques innovants» in Schneuwly B. «Diversifierl'enseignementdu français écrit», Neuchâtel, Paris, Delachaux et Niestlé.

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Page 15: FAIRE C'EST

Quand dire, c'est faire... écrire

DAUSENSCHÔN-GAY U., KRAFFT U. (1 991 ), «Rôles et faces conversationnels. Apropos de la figuration en srtuation de contact.» in Russier C. Stoeffel E. etVéronique D. (dir.) Actes du Vile colloque international «Acquisition d'unelangue étrangère : perspectives et recherches» (Université de Provence).

DE PIETRO J.F., MATTHEY M., PY B. (1 987), «Structuration du discours et acqui¬sition en situation exolingue» (Communication au colloque GRAL, Aix-en-Provence, décembre 87).

DEPIETROJ.F.,MATTHEYM.,PYB.(1991), «Acquisitbn etcontrat didactique :fesséquences potentiellement acquisrtbnnelles dans P conversation exolingue».in Russier C. Stoeffel E. et Véronique D. (dir.) Actes du Vile colloque interna¬tional «Acquisition d'une langue étrangère : perspectives et recherches»(Université de Provence).

FABRE C. (1 986), «Des variantes de brouillon au Cours Préparatoire» , E.L.A., n° 62.

FLAHAUT F. (1 978), La parole intermédiaire, Paris, Le Seuil.

GRÉSILLON & LEBRAVE (1983), «Manuscrits Écriture Production linguistique», L

Langages, n° 69.

GÛLICH E. (1 988), «Je vas écriverun lettre à toi», Procédés de production interactived'un texte écrit (Communication orale : colloque GRAL de Montreux ; Universi¬tés de Bâle et Neuchâtel).

PYB. (1989), «L'acquisition dans la perspective de l'interaction», DRLAVn" 41, pp. 83-100.

ANNEXE

Le processus et le produit

1. Le produit : le texte de la lettre

Chère Mme Surich

On écrit ensemble la lettre que je vous ai promis d'écrire. Je suis là depuis unesemaine, maintenant. On fait beaucoup de choses ensemble, surtout la nuit. Parisla nuit est très bien. Hier, on est allé chez une amie de Véronique et on avu un copain.On est resté là jusqu'à six heures. C'était très bien.

Il ne fait pas beau ici. Il y a toujours beaucoup de nuages. A part ça, on s'entendbien, de mieux en mieux.

J'ai vu Beaubourg et les Halles, les Invalides et le Panthéon, et le Grand et lePetit Palais. On a vu des cafés la Seine et la Cité, et je suis allée à une soirée, et jeconnais déjà un café et un cinéma. On est allé voir I' «Année dernière à Marienbad» ...

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Quand dire, c'est faire... écrire

DAUSENSCHÔN-GAY U., KRAFFT U. (1 991 ), «Rôles et faces conversationnels. Apropos de la figuration en srtuation de contact.» in Russier C. Stoeffel E. etVéronique D. (dir.) Actes du Vile colloque international «Acquisition d'unelangue étrangère : perspectives et recherches» (Université de Provence).

DE PIETRO J.F., MATTHEY M., PY B. (1 987), «Structuration du discours et acqui¬sition en situation exolingue» (Communication au colloque GRAL, Aix-en-Provence, décembre 87).

DEPIETROJ.F.,MATTHEYM.,PYB.(1991), «Acquisitbn etcontrat didactique :fesséquences potentiellement acquisrtbnnelles dans P conversation exolingue».in Russier C. Stoeffel E. et Véronique D. (dir.) Actes du Vile colloque interna¬tional «Acquisition d'une langue étrangère : perspectives et recherches»(Université de Provence).

FABRE C. (1 986), «Des variantes de brouillon au Cours Préparatoire» , E.L.A., n° 62.

FLAHAUT F. (1 978), La parole intermédiaire, Paris, Le Seuil.

GRÉSILLON & LEBRAVE (1983), «Manuscrits Écriture Production linguistique», L

Langages, n° 69.

GÛLICH E. (1 988), «Je vas écriverun lettre à toi», Procédés de production interactived'un texte écrit (Communication orale : colloque GRAL de Montreux ; Universi¬tés de Bâle et Neuchâtel).

PYB. (1989), «L'acquisition dans la perspective de l'interaction», DRLAVn" 41, pp. 83-100.

ANNEXE

Le processus et le produit

1. Le produit : le texte de la lettre

Chère Mme Surich

On écrit ensemble la lettre que je vous ai promis d'écrire. Je suis là depuis unesemaine, maintenant. On fait beaucoup de choses ensemble, surtout la nuit. Parisla nuit est très bien. Hier, on est allé chez une amie de Véronique et on avu un copain.On est resté là jusqu'à six heures. C'était très bien.

Il ne fait pas beau ici. Il y a toujours beaucoup de nuages. A part ça, on s'entendbien, de mieux en mieux.

J'ai vu Beaubourg et les Halles, les Invalides et le Panthéon, et le Grand et lePetit Palais. On a vu des cafés la Seine et la Cité, et je suis allée à une soirée, et jeconnais déjà un café et un cinéma. On est allé voir I' «Année dernière à Marienbad» ...

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Page 16: FAIRE C'EST

REPÈRES N" 3/1991 R. BOUCHARD

2. Le processus de production des énoncés (par noyaux proposKionnels)

* 1° Planification de l'interaction par le natif

(0) Chère MadameMme Sûrich

* 2° Planification de l'interaction par le natif (après qui pro quo)

(1 ) On écrit ensemble(on/nous ?)On écrit ensemble la lettre qu'est ce que c'est j'ai drt à Mme S, je vas

écriver un lettre à toi ?aue je. t

vous ai promis d'écrire.

* (Incursion du père interrompant l'événement communicatif)

(2) Je suis là pourdepuis une semaine maintenant.

* (1° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

(3) On fart beaucoup de choses ensemble, la nuitdepuispendantsurtout la nuit.

(5) La nuit à Paris est très bien-Pari? la nuit est très bien.

(6) Hier, on est allé àchez une amie de moi

de Véronique

* (2° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

et on reste avec un amiou avec un copain ?

on a vu un copain

(7) On est resté là jusqu'à six heures(pourquoipas jusqu'au ?)jusqu'à six heures.

(8) C'était très bien.

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REPÈRES N" 3/1991 R. BOUCHARD

2. Le processus de production des énoncés (par noyaux proposKionnels)

* 1° Planification de l'interaction par le natif

(0) Chère MadameMme Sûrich

* 2° Planification de l'interaction par le natif (après qui pro quo)

(1 ) On écrit ensemble(on/nous ?)On écrit ensemble la lettre qu'est ce que c'est j'ai drt à Mme S, je vas

écriver un lettre à toi ?aue je. t

vous ai promis d'écrire.

* (Incursion du père interrompant l'événement communicatif)

(2) Je suis là pourdepuis une semaine maintenant.

* (1° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

(3) On fart beaucoup de choses ensemble, la nuitdepuispendantsurtout la nuit.

(5) La nuit à Paris est très bien-Pari? la nuit est très bien.

(6) Hier, on est allé àchez une amie de moi

de Véronique

* (2° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

et on reste avec un amiou avec un copain ?

on a vu un copain

(7) On est resté là jusqu'à six heures(pourquoipas jusqu'au ?)jusqu'à six heures.

(8) C'était très bien.

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Page 17: FAIRE C'EST

Quand dire, c'est faire... écrire

* (3° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

(9) Il fait pas beau ici.Ici. il ne fait pas beau.

(1 0) Il y a toujours des

beaucoup ou toujours ?toujours beaucoup de

f 1 1 ) A part ça on va bien ensembles'entend bien,

(je ne sakrivages

nuaaes

de mieux en mieux.

; pas dans le ciel ?)

* (Remise en cause ironique de la tâche «expérimentale» (écriture + enregistre¬ment) par l'alloglotte)

M2i J'ai vu Beaubourg

* (4° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

et (des/les)les Halles

le Panthéon. Saint-Michel.les Invalides et le Panthéon, le

Grand et le Petit Palais.

(13) On a vu des cafés, la Seine, la Cité.et la Cité

(14) et jej'aije suis allé à un fête

une soiréeun soirée ?une soirée

(15) Et je déjà connais un café et un cinémasuis allée, non ?

connaisconnais déjà un café et un cinéma.

(1 6i Je suis allée voir «L'année dernière à Marienbad» :

On est allé voir «L'année dernière à Marienbad» ...

Soulignés rapports du natifItaliques : formulations interrogatives

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Quand dire, c'est faire... écrire

* (3° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

(9) Il fait pas beau ici.Ici. il ne fait pas beau.

(1 0) Il y a toujours des

beaucoup ou toujours ?toujours beaucoup de

f 1 1 ) A part ça on va bien ensembles'entend bien,

(je ne sakrivages

nuaaes

de mieux en mieux.

; pas dans le ciel ?)

* (Remise en cause ironique de la tâche «expérimentale» (écriture + enregistre¬ment) par l'alloglotte)

M2i J'ai vu Beaubourg

* (4° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

et (des/les)les Halles

le Panthéon. Saint-Michel.les Invalides et le Panthéon, le

Grand et le Petit Palais.

(13) On a vu des cafés, la Seine, la Cité.et la Cité

(14) et jej'aije suis allé à un fête

une soiréeun soirée ?une soirée

(15) Et je déjà connais un café et un cinémasuis allée, non ?

connaisconnais déjà un café et un cinéma.

(1 6i Je suis allée voir «L'année dernière à Marienbad» :

On est allé voir «L'année dernière à Marienbad» ...

Soulignés rapports du natifItaliques : formulations interrogatives

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Page 18: FAIRE C'EST

REPÈRES N" 3/1 991

ANNEXE 2

R. BOUCHARD

Recensement des reformulations produites par Véronique

(Le n° inrtial indique l'énoncé de la lettre concerné par la reformulation)

Source des Natifénoncés à

problè- Interventions FormulationsInitiation mes orales écritesdesreformulations

NatifNiveau locutoire :

Niveau linguistique :

- Grammaire :

- Lexique :

Niveau discursif :

Niveau communicatif

Auto-initiation

5. paris la nuit

Alloglotte

Interventions Formulationsorales écrites

Langue Inscript

Hétéro-initiation

2. je va/vais

11. de mieux en mieux

1 . tu/vous

0. Mme2. semAine L

12.BEAUbourg12. PanTHeon

2. pour/depuis

6. à/la Palais14,un/une soirée

11. on s'entendbien

14. fête/soirée

6/7. on est resté/on a vu

12. (pas de) et12. (pas de) et

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REPÈRES N" 3/1 991

ANNEXE 2

R. BOUCHARD

Recensement des reformulations produites par Véronique

(Le n° inrtial indique l'énoncé de la lettre concerné par la reformulation)

Source des Natifénoncés à

problè- Interventions FormulationsInitiation mes orales écritesdesreformulations

NatifNiveau locutoire :

Niveau linguistique :

- Grammaire :

- Lexique :

Niveau discursif :

Niveau communicatif

Auto-initiation

5. paris la nuit

Alloglotte

Interventions Formulationsorales écrites

Langue Inscript

Hétéro-initiation

2. je va/vais

11. de mieux en mieux

1 . tu/vous

0. Mme2. semAine L

12.BEAUbourg12. PanTHeon

2. pour/depuis

6. à/la Palais14,un/une soirée

11. on s'entendbien

14. fête/soirée

6/7. on est resté/on a vu

12. (pas de) et12. (pas de) et

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Page 19: FAIRE C'EST

SfUr°Lde! Natifénoncés àproblè- Interventions Formulations

Inîtiatio mes orales écritesdesreformulate

Natif Auto-initiation

Niveau locutoire :

1 . tu fais une lettre

12. fais encoreune fois

Niveau linguistique :

-Grammaire : , . ..,.,,7.jusqua/AU ?

- Lexique :

Niveau discursif : 11. A part ça?

Niveau communicatif

Quand dire, c'est faîre... écrire

Alloglotte

Interventions Formulationsorales écrites

Langue Inscript

Hétéro-Initiation3. com

me ça?

13.comme ça, laSeine?

1 14. soirée tu écriscomment ?

15.connais avecdeux n ? avec s,hein?

116."est" commeça?

I.qu'estcequec'est... ?

3. depuis/surtout

9. toujours/beaucoup12. les/des Halles12. le/la palais

15.jedéjàcon-nais, ça marche ?

| 16. pourquoi nepas s ? (allé(S) ?

5/6. chauss... ?

10. nuages/ciel

1. nous/on?

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SfUr°Lde! Natifénoncés àproblè- Interventions Formulations

Inîtiatio mes orales écritesdesreformulate

Natif Auto-initiation

Niveau locutoire :

1 . tu fais une lettre

12. fais encoreune fois

Niveau linguistique :

-Grammaire : , . ..,.,,7.jusqua/AU ?

- Lexique :

Niveau discursif : 11. A part ça?

Niveau communicatif

Quand dire, c'est faîre... écrire

Alloglotte

Interventions Formulationsorales écrites

Langue Inscript

Hétéro-Initiation3. com

me ça?

13.comme ça, laSeine?

1 14. soirée tu écriscomment ?

15.connais avecdeux n ? avec s,hein?

116."est" commeça?

I.qu'estcequec'est... ?

3. depuis/surtout

9. toujours/beaucoup12. les/des Halles12. le/la palais

15.jedéjàcon-nais, ça marche ?

| 16. pourquoi nepas s ? (allé(S) ?

5/6. chauss... ?

10. nuages/ciel

1. nous/on?

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Page 21: FAIRE C'EST

L'EMPLOI DE QUELQUES CONNECTEURSDANS LES RÉCITS

Une tentative de comparaison oral/écritchez des enfants de 5 à 11 ans

Serge MOUCHON, Michel FAYOL, Jean Emile GOMBERTLEAD / CNRS URA 665

L'objectif du présent travail est d'étudier l'emploi d'un certain nombre de«connecteurs» - ef, mais, alors, soudain (ou tout à coup) tors du rappel oral et écritde récits relatant des événements plus ou moins prévisibles.

Ators qu'à l'oral les liaisons entre les énoncés peuvent être éclairées par lecontexte extralinguistique, à l'écrit, elles doivent être marquées explicitement. Les«connecteurs» sont ces indices explicitant les relations entre deux propositionssuccessives. Ils apparaissent comme des mots ayant perdu leur signification lexicalepropre et pouvant spécifiercertaines des relations structurales du texte. Leur rôle nese limite pas aux relations interphrastiques, mais ils fonctionnent comme des«organisateurs textuels» (Schneuwly, 1 988). Ils constituent la trace des opérationseffectuées par le tocuteur/scripteur pour forger la cohésion textuelle et l'ancrage dutexte dans le contexte. A ce titre et comme le souligne Schneuwly (ibid. p. 1 02) «iln'ya pas de relatbn bi-univoque entre organisateurs textuels et opérations». Cepen¬dant, les «connecteurs» ci-après étudiés (ef, mais, ators, soudain) sont, à de raresexceptions près, les seuls à apparaître dans les récits recueillis. Les conditions deleur acquisition et de leur maîtrise, envisagées ici comme l'un des aspects importantsdu développement des compétences linguistiques de l'enfant, constituent la base decette étude.

Lorsqu'on examine les recherches consacrées aux «connecteurs», deux typesde phénomènes retiennentparticulièrement l'attention. Le premierconcerne l'importantdécalage temporel entre, d'une part, l'apparition des divers types de liaisons dans laproduction spontanée des enfants et, d'autre part, leur maîtrise dans des tâchesexpérimentales de compréhension (Mouchon, Fayol & Gombert, 1 989). Le secondfait apparaître un «retard systématique» de l'écrit sur l'oral. Ainsi, le même enfant qui,ayant déjà appris à écrire, utilise mais ou tout à coup, à l'oral, ne semble employerces «connecteurs», à l'écrit, que plusieurs années plus tard. Ce constat, bien avéré,est surprenant en ce sensqu'aucunejustification claire n'est fournie à ce phénomène.La présente expérience vise à proposer une explication de ce décalage, explicationétayée par des données empiriques.

L'examen des travaux menés à l'oral, fait ressortir une très grande précocité del'acquisition des «connecteurs» élémentaires, à la fois les premiers et les plusfréquents à apparaître dans les récits écrits (Fayol, 1981). Ainsi, l'emploi deconjonctions telles que ou, mais, et (etpis)- ou de leurs équivalents anglais - apparaîtdans le discours spontané des enfants dès l'âge de 3 ou 4 ans ( Bates, 1 976; Brown,1 973 ; Johansson & Sjolin, 1 975). De même, French & Nelson (1 985) montrent que,lorsque l'enfant - même très jeune - dort s'exprimer à propos de situations de la viecourante qu'il connaît bien (des "scripts»; cf. sur cette notion, Fayol, 1 985 ; Fayol &

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L'EMPLOI DE QUELQUES CONNECTEURSDANS LES RÉCITS

Une tentative de comparaison oral/écritchez des enfants de 5 à 11 ans

Serge MOUCHON, Michel FAYOL, Jean Emile GOMBERTLEAD / CNRS URA 665

L'objectif du présent travail est d'étudier l'emploi d'un certain nombre de«connecteurs» - ef, mais, alors, soudain (ou tout à coup) tors du rappel oral et écritde récits relatant des événements plus ou moins prévisibles.

Ators qu'à l'oral les liaisons entre les énoncés peuvent être éclairées par lecontexte extralinguistique, à l'écrit, elles doivent être marquées explicitement. Les«connecteurs» sont ces indices explicitant les relations entre deux propositionssuccessives. Ils apparaissent comme des mots ayant perdu leur signification lexicalepropre et pouvant spécifiercertaines des relations structurales du texte. Leur rôle nese limite pas aux relations interphrastiques, mais ils fonctionnent comme des«organisateurs textuels» (Schneuwly, 1 988). Ils constituent la trace des opérationseffectuées par le tocuteur/scripteur pour forger la cohésion textuelle et l'ancrage dutexte dans le contexte. A ce titre et comme le souligne Schneuwly (ibid. p. 1 02) «iln'ya pas de relatbn bi-univoque entre organisateurs textuels et opérations». Cepen¬dant, les «connecteurs» ci-après étudiés (ef, mais, ators, soudain) sont, à de raresexceptions près, les seuls à apparaître dans les récits recueillis. Les conditions deleur acquisition et de leur maîtrise, envisagées ici comme l'un des aspects importantsdu développement des compétences linguistiques de l'enfant, constituent la base decette étude.

Lorsqu'on examine les recherches consacrées aux «connecteurs», deux typesde phénomènes retiennentparticulièrement l'attention. Le premierconcerne l'importantdécalage temporel entre, d'une part, l'apparition des divers types de liaisons dans laproduction spontanée des enfants et, d'autre part, leur maîtrise dans des tâchesexpérimentales de compréhension (Mouchon, Fayol & Gombert, 1 989). Le secondfait apparaître un «retard systématique» de l'écrit sur l'oral. Ainsi, le même enfant qui,ayant déjà appris à écrire, utilise mais ou tout à coup, à l'oral, ne semble employerces «connecteurs», à l'écrit, que plusieurs années plus tard. Ce constat, bien avéré,est surprenant en ce sensqu'aucunejustification claire n'est fournie à ce phénomène.La présente expérience vise à proposer une explication de ce décalage, explicationétayée par des données empiriques.

L'examen des travaux menés à l'oral, fait ressortir une très grande précocité del'acquisition des «connecteurs» élémentaires, à la fois les premiers et les plusfréquents à apparaître dans les récits écrits (Fayol, 1981). Ainsi, l'emploi deconjonctions telles que ou, mais, et (etpis)- ou de leurs équivalents anglais - apparaîtdans le discours spontané des enfants dès l'âge de 3 ou 4 ans ( Bates, 1 976; Brown,1 973 ; Johansson & Sjolin, 1 975). De même, French & Nelson (1 985) montrent que,lorsque l'enfant - même très jeune - dort s'exprimer à propos de situations de la viecourante qu'il connaît bien (des "scripts»; cf. sur cette notion, Fayol, 1 985 ; Fayol &

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