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 FLODOARD bulletin du collège de philosophie et d’histoire des religions bibliothèque diocésaine Jean Gerson 6, rue du Lieutenant-Herduin 51100 Reims rédaction : Dominique Hoizey avril 2012 n° 33 Trois grandes figures de l’Islam Ibn Arabî, Farid ud-Din 'Attâr et Abd el-Kader Philippe Moulinet,  Les clefs d’Ibn Ara  , Albouraq, 2010 Farid ud-Din 'Attâr, Manteq ut-Tayr , Éditions du Cerf, 2012 Eric Geoffroy,  Abd el-Kader, un spirituel dans la mo dernité, Albouraq, 2010 Ibn Arabî En proposant une lecture commentée du Kitâb Fusûs al-Hikam ou Livre des Chatons des Sagesses, Philippe Moulinet aimerait qu’on  puisse li re cett e somme spirituelle d’Ibn Arabî (1165-1240), considéré comme le plus grand  philosophe musulman, comme un roman, comme « une histoire dans laquelle nous allons nous retrouver ». La page que nous avons choisie, en guise d’invitation à la lecture, est extraite du chapitre 15 « 'Isâ (Jésus) ou la sagesse prophétique ».  lire p. 2  Le  Manteq ut-Tayr  du poète persan Farid ud-Din 'Attâr (1174-1248) narre l’histoire d’oiseaux qui, sous la conduite de la huppe, partent à la recherche de Simorgh, un oiseau fabuleux, qu’ils ont choisi pour roi, et à la fin du voyage, illustration de la recherche de l’Un-Absolu, ils accèdent « à une plus  profonde éternité ».  lire p. 2 Comment en cette année du cinquantenaire des accords d’Evian (18 mars1962) ne pas évoquer la figure de l’émir algérien Abd el-Kader (1807/1808-1883) ? Le livre collectif  Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité , publié sous la direction d’Eric Geoffroy, nous offre l’occasion de découvrir l’homme et l’œuvre.  lire p. 3 Abd el-Kader

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FLODOARD bulletin du collège de philosophie et d’histoire des religions
bibliothèque diocésaine Jean Gerson 6, rue du Lieutenant-Herduin 51100 Reims
rédaction : Dominique Hoizey avril 2012 n° 33
Trois grandes figures de l’Islam
Ibn Arabî, Farid ud-Din 'Attâr et Abd el-Kader
Philippe Moulinet, Les clefs d’Ibn Arabî , Albouraq, 2010 Farid ud-Din 'Attâr, Manteq ut-Tayr, Éditions du Cerf, 2012
Eric Geoffroy, Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité, Albouraq, 2010
Ibn Arabî
En proposant une lecture commentée du Kitâb Fusûs al-Hikam ou Livre des Chatons des Sagesses, Philippe Moulinet aimerait qu’on  puisse lire cette somme spirituelle d’Ibn Arabî (1165-1240), considéré comme le plus grand  philosophe musulman, comme un roman, comme « une histoire dans laquelle nous allons nous retrouver ». La page que nous avons choisie, en guise d’invitation à la lecture, est extraite du chapitre 15 « 'Isâ (Jésus) ou la
sagesse prophétique ».   lire p. 2
  Le  Manteq ut-Tayr   du poète persan
Farid ud-Din 'Attâr (1174-1248) narre l’histoire d’oiseaux qui, sous la conduite de la huppe, partent à la recherche de Simorgh, un oiseau fabuleux, qu’ils ont choisi pour roi, et à la fin du voyage, illustration de la recherche de l’Un-Absolu, ils accèdent « à une plus  profonde éternité ».  lire p. 2
Comment en cette année du cinquantenaire des accords d’Evian (18 mars1962) ne pas évoquer la figure de l’émir algérien Abd el-Kader (1807/1808-1883) ? Le livre collectif  Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité , publié sous la direction d’Eric Geoffroy, nous offre l’occasion de découvrir l’homme et l’œuvre.  lire p. 3
Abd el-Kader
Gabriel (Jibrîl), Marie (Maryam) et Jésus ('Isâ) 
(extrait de Philippe Moulinet, Les clefs d’Ibn Arabî , chapitre 15, « 'Isâ (Jésus) ou la sagesse  prophétique », Albouraq, 2010, pp. 208-209)
C’est en disant « oui » […], en voyant le « deux » en tant que « deux », que nous pouvons être « un avec ». Chacun entretient une relation personnelle avec son Seigneur. L’être de l’un n’est pas l’être de l’autre […]. Dans le cœur cet acte de reconnaissance se traduit par le « oui » éternel. « Jibrîl était porteur du Verbe d’Allâh destiné à Maryam, tout comme l’Envoyé transmet la Parole d’Allâh destinée à sa Communauté ; c’est […] Son Verbe qu’Il a projeté en Maryam et un Esprit provenant de Lui. Le désir amoureux envahit Maryam. » *
La Vierge Marie ne reste pas sur sa première « impression ». Aussitôt elle « entend », elle s’ « accorde » à la Parole de l’ange et le voit tel qu’il est dans sa nature réelle. La suite du texte montre bien que cette « vision » n’a pas lieu dans le monde physique mais dans le monde imaginal. Maryam reconnaît l’ange par les sens imaginaux : « ' Isâ fut créé ainsi à partir d’une « eau réelle » provenant de Maryam et d’une « eau imaginaire »
 provenant de Jibrîl, véhiculée par la qualité humide de son insufflation. En effet, le souffle des corps animés est rendu humide par la présence en lui de l’élément « eau ». Le corps de ' Isâ fut constitué d’« eau imaginaire » et d’ « eau réelle » et se manifesta dans la forme d’un être humain à cause de sa mère et aussi du fait que Jibrîl avait pris la forme sensible d’un homme, afin que l’existenciation dans cet état humain (qui est le nôtre) ne dérogeât pas à la règle ordinaire. »* * Ibn Arabî, Kitâb Fusûs al-Hikam, traduction par Charles-André Gilis, Albouraq, 1997-1998.
L’Annonciation selon le Coran ( Le Coran, traduit de l’arabe par Malek Chebel, Fayard, 2009)
19 – Je ne suis, dit-il, que le messager de ton Seigneur venu pour t’offrir un garçon très pur. 20 – Comment aurais-je un fils, répliqua-t-elle, alors qu’aucun être humain ne m’a approchée et que je
ne suis point une débauchée ? 21 – Il dit alors : Ainsi l’a voulu ton Seigneur. Chose aisée pour lui que de créer un signe évident devant
les hommes et une miséricorde de Notre part. Arrêt décidé et tenu ! 22 – Grosse de l’enfant, elle s’en alla dans un endroit dérobé. Sourate XIX
 Jésus et l’eau de la jarre  (extrait de Farid ud-Din 'Attâr, Manteq ut-Tayr , traduction de Manijeh Nouri, Cerf, 2012, pp.268-269)
2384. Jésus but de l’eau d’un ruisseau d’eau pure, Le goût de cette eau était meilleur que celui d’un sirop d’eau de rose. 2385. Quelqu’un vint remplir une jarre de cette eau et s’en alla ; Jésus but alors l’eau de cette cruche et continua son chemin. 2386. Sa bouche devint amère à cause de l’eau de la jarre, Il s’en retourna et fut tout étonné. 2387. « Mon Dieu, s’exclama-t-il : l’eau de cette jarre et l’eau du ruisseau, Sont pareilles, révèle-moi le secret de cette différence de goût ! 2388. Pourquoi l’eau de cette jarre est-elle si amère, Et pourquoi l’autre est plus douce que le miel ? » 2389. Devant Jésus, la jarre se mit à parler, disant : « Ô Jésus, je suis un vieillard, dit-elle. 2390. Mille fois, sous ces neuf coupoles, Je suis devenue tantôt cruche, tantôt jarre et tantôt baquet ; 2391. Même si on me façonnait encore sous mille formes, J’éprouverais toujours l’amertume de la mort, 2392. Je suis toujours ainsi à cause de l’amertume de la mort, À cause de cela, mon eau ne peut être douce ! » 2393. Ô homme insouciant, écoute le secret de la jarre,
 
L’héritage d’Abd el-Kader  Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité   (Albouraq, 2010). Ce livre, publié sous la
direction d’Eric Geoffroy, est issu de deux colloques tenus, l’un à Damas (2008), l’autre à Strasbourg (2009). Une première partie est consacrée à Abd el-Kader, « un homme de son temps », qui aujourd’hui « nous invite à œuvrer pour un monde universel, cimenté par les vertus que l’humanité doit mettre en commun » (Cheikh Khaled Bentounès, p. 10). Sait-on qu’il avait envisagé en 1848 de se rendre à Rome, accompagné d’une délégation d’oulémas, pour rencontrer le pape Pie IX ? Il fut, comme le rappelle Ahmed Bouyerdene, un précurseur du dialogue interreligieux, mais ses espoirs déçus n’ont probablement pas été étrangers à ce que, quelques années plus tard, il « augure sur un ton apocalyptique une rencontre autrement plus douloureuse » (p. 29) :
 La religion est unique. Et ce par l’accord des prophètes. Car ils n’ont été d’un avis différent que sur certaines règles de détail. […] Si les Musulmans et les Chrétiens avaient voulu me prêter leur attention, j’aurais fait cesser leurs querelles : ils seraient devenus, extérieurement et intérieurement, des frères. Mais ils n’ont pas fait attention à mes paroles : la Sagesse de Dieu a décidé qu’ils ne seraient pas réunis en une même foi. Ne fera cesser leurs divergences que le Messie lorsqu’il viendra.
 Mais il ne les réunira pas seulement par la parole, bien qu’il ressuscite les morts et guérisse l’aveugle et le lépreux. Il ne les réunira que par le sabre et la lutte à mort.   Le Livre d’Abd el-Kader  intitulé : 
 Rappel à l’intelligent, avis à l’indifférent , considérations philosophiques, religieuses, historiques, etc., traduites  par Gustave Dugat, Paris, 1858. Cet ouvrage a été réédité en 2010 par Kessinger Publishing. Sur Gustave Dugat (1824-1894) voir Alain Messaoudi, « Traduire une pensée musulmane dans une perspective chrétienne et sociale
 – Gustave Dugat,  Le Livre d’Abd el-Kader , dans Studia Islamica, nouvelle édition, 2, 2011. Ce numéro des Studia Islamica, consultable en ligne, est entièrement consacré à Abd el-Kader ( 'Abd al-Qdir), « homme d’état,
 penseur et réformateur ».
Abd el-Kader mourut à Damas le 26 mai 1883. Il fut inhumé auprès de la tombe d’Ibn Arabî, son maître spirituel. Deux articles soulignent plus particulièrement sa dette intellectuelle et spirituelle à l’égard de l’œuvre du grand philosophe musulman : « La théophanie des noms divins, d’Ibn Arabî à Abd el-Kader » (Denis Gril) et « Abd el-Kader, lecteur des Fusûs al-Hikam d’Ibn Arabî » (Bakri Aladdin). Cette seconde partie (« spiritualité et métaphysique ») d’ Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité   est particulièrement intéressante. Ainsi le lecteur y découvre-t-il avec curiosité la place occupée dans la pensée d’Abd el-Kader par la photographie, « support actualisé de la théophanie » (Eric Geoffroy). Et, entre autres contributions, signalons celle de Shirine Dakouri : « La femme selon Abd el-Kader al Hassani ». Comme Ibn Arabî, « il l’a quasiment sanctifiée et a fait d’elle la manifestation suprême des noms divins, puisqu’elle conjoint en elle l’action et la réceptivité. Il a su faire parler le sens intérieur des versets coraniques et des paroles prophétiques qui semblent, en apparence, minimiser le rang de la femme, et ainsi donner une valeur ontologique à la femme qui n’a rien à envier à celle de l’homme » (p. 257).
Abd el-Kader 1865 Photo Louis Jean Delton (1807-1891)
 
Soufisme et connaissance de Dieu 
Ibn al-'Arîf, Splendeurs des enseignements soufis, traduit par Jean-Louis Bour, Albouraq, 2012 Stéphane Ruspoli, Écrits des Maîtres soufis 3, traduction et présentation de trois traités de Khotalânî,
 Nûrbakhsh et Kâshânî, Arfuyen, 2012
« Ces enseignements faciliteront le cheminement pour le disciple sur la Voie spirituelle. Ils consolideront sa sincérité et sa certitude qui en sont le fondement, et ils inciteront celui qui les entend à redoubler d’effort face aux épreuves dans la quête de Dieu.» Ainsi s’exprime le maître soufi d’Almeria (Andalousie) Ibn al-'Arîf (1088-1141) pour présenter les Mahâsin al-majâlis ou Splendeurs des enseignements spirituels. Le passage ci-dessous est extrait du chapitre X, « L’amour » (al- mahabba), dans la traduction de Jean-Louis Bour :
Jésus, l’ascète et l’amour de Dieu On raconte que Jésus, au cours d’une de ses pérégrinations, traversa une montagne où se trouvait la
cellule d’un moine. Il s’en approcha et y trouva un dévot au dos recourbé et au corps amaigri. Le reclus avait atteint les limites ultimes de l’ascèse. Jésus le salua, étonné de voir les signes évidents de piété et de dévotion qu’il montrait. Jésus lui demanda :
- Depuis combien de temps es-tu dans cette cellule ? - Depuis soixante-dix ans, répondit l’ascète, je demande à Dieu une chose qu’Il ne m’a pas encore accordée. Ô esprit de Dieu, si tu intercèdes en ma faveur, peut-être ce que je désire me sera-t-il enfin accordé. - Et quel est l’objet de ta requête ? - Je Lui ai demandé de me laisser goûter une quantité infime de ce qu’il y a de plus pur dans Son amour. - Je vais prier pour toi en ce sens.
 Ainsi Jésus pria-t-il pour cet homme, et Dieu dit à Jésus par voie de révélation : « J’ai accepté ton intercession et accordé ce que ta prière demandait. »
 Jésus retourna au même endroit, quelques jours plus tard, pour voir ce qui était advenu du dévot. Il constata que la cellule avait disparu, et que la terre à cet endroit s’était ouverte, formant une grande crevasse. […]  Là il trouva l’ascète, dans une grotte sous la montagne, l’œil fixe et la bouche grande ouverte. Jésus le salua, mais il ne dit rien. Jésus était surpris de voir l’état de cet homme, quand il entendit une voix qui disait : « Ô Jésus ! Il Nous a demandé une quantité infime du plus pur de Notre amour. Mais sachant qu’il serait incapable de le supporter, Nous lui en avons donné seulement la soixante-dixième partie d’un atome, et il en est resté hébété, ainsi que tu peux le voir. Imagine ce qui se serait passé si Nous lui en avions donné plus ! »
Ce sont trois autres maîtres soufis que Stéphane Ruspoli propose à notre lecture : Ishâq Khotalâni (mort en 1423), Mohammad Nûrbakhsh (1392-1464) et 'Abd al-Razzâq Kâshânî (mort en 1329), un des premiers interprètes iraniens d’Ibn Arabî. Stéphane Ruspoli, auquel on doit deux  premiers volumes d’écrits de maîtres soufis, parmi lesquels ceux de Najm Kubrâ (mort en 1221), fondateur de l’ordre mystique des Kubrawis, avertit le lecteur que les textes publiés dans le présent volume de cette excellente série ne sont pas d’un abord aisé : « Leur symbolisme ésotérique peut dérouter le néophyte, mais ils sont fascinants et d’un intérêt exceptionnel. En effet, nos auteurs illustrent en quelques pages inspirées et très denses, voire à l’aide de raccourcis oraculaires, l’essence de la doctrine des soufis qui est à la recherche du dévoilement de Dieu par la voie des théophanies », comme en témoigne le Récit de la troisième vision extatique de Mohammad Nûrbakhsh (pp. 164-165):
 Je vis apparaître des mers de lumières multicolores. Dans chacune de ces mers, je nageai et je plongeai durant un million de tours du grand cycle cosmique. À chaque tour que j’effectuai, la Présence divine se révéla un million de fois, et à chaque théophanie, j’obtins abolition et subsistance. […] Durant un million de tours du grand cycle cosmique, je fus aboli. Puis je subsistai.
 Alors j’entendis ces vers : Ô Quémandeurs de Dieu insatiables, / Ô Chantres nostalgiques de l’ardent désir, / du vin mystique que vous célébrez, / nous avons absorbé le breuvage.