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    Largent de ltatParcours des finances publiques

    au XXe sicle

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    Remerciements

    Par leur amiti, leur soutien, leur aide, leurs critiques ou encore leursconseils, de nombreuses personnes ont contribu l'laboration de cet

    ouvrage. Qu'elles en soient toutes remercies. J'aimerais exprimer magratitude particulire Jean Batou, Franois Bavaud, DominiqueDirlewanger, Andr et Danielle Guex, Brigitte Hevin, Hlne Joly, HansUlrich Jost, Jean-Franois Marquis, Franois Masnata, Malik Mazbouri,Eric Mottu, Monique Pavillon, Stfanie Prezioso, Alfred Rey, Yves Sancey,Charles-Andr Udry, Franois Valloton et Bernard Voutat. Selon laformule consacre, je reste bien videmment seul responsable desanalyses exposes dans ce livre.

    La rdaction de ce livre a t acheve la fin du mois de juin 1997.

    Cet ouvrage est publi avec laide de la Socit Acadmique Vaudoise.

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    Sbastien Guex

    Largent de ltatParcours des finances publiquesau XXe sicle

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    Les ditions Ralits socialespublient des tudes et des travaux portant surles divers aspects de lactivit sociale en Suisse.

    Leur but est de stimulerles changes et les dbats entre les personnes

    engages dans ce champ daction.

    Pierre GilliandJean-Pierre Fragnire

    Responsable ddition : Madeleine Rouiller Gilliand

    Diffusion auprs des libraires :Albert le Grand SA, rue de Beaumont 20, 1700 Fribourg

    1998. ditions Ralits sociales.Case postale 1273. CH-1001 Lausanne

    ISBN 2-88146-095-5Reproduction interdite. Tous droits rservs.

    Imprim en Suisse.

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    Table des matires

    Liste des abrviations ............................................................................. 10

    Chapitre 1Introduction .............................................................................................. 11

    Chapitre 2Les origines de la crise financire de la Confdration suisse :

    une approche ............................................................................................ 172.1 Le dficit budgtaire est la norme. Lquilibre, lexception ........ 172.2 Les parlementaires sont-ils responsables

    de la crise financire de ltat? ........................................................ 192.3 Aux sources de la crise financire de la Confdration suisse ... 41

    2.3.1 Les causes de la croissance des dpenses fdrales .......... 422.3.1.1 La politique sociale .................................................. 462.3.1.2 Les subventions lagriculture ............................... 572.3.1.3 Les dpenses dinfrastructure ................................ 59

    2.3.2 tat fiscal et dficits budgtaires .......................................... 602.4 La politique des caisses vides :

    un autre ferment de la crise financire de ltat fdral .............. 752.4.1 Pourquoi une politique des caisses vides?

    De certains avantages des dficits ....................................... 852.4.2 Les limites de la politique des caisses vides ....................... 97

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    Chapitre 3Fdralisme et dumping fiscal .............................................................. 1013.1 La prennit du fdralisme ............................................................ 101

    3.2 Le fdralisme fiscal et le dumping fiscal ..................................... 1053.3 Les bienfaits du fdralisme fiscal .................................................. 1123.3.1 Modration de la pression fiscale sur les milieux aiss .... 1123.3.2 Fraude fiscale .......................................................................... 1213.3.3 Faiblesse de la redistribution opre par ltat et

    dveloppement de la place financire suisse ..................... 126Chapitre 4Vers la contre-rforme financire ......................................................... 1294.1 Les objectifs long terme des milieux industriels et financiers . 129

    4.2 La charge fiscale suisse en comparaison internationale .............. 1334.3 Ltat social helvtique en comparaison internationale .............. 1444.4 Le poids des impts directs est-il insupportable? ........................ 1484.5 Le rle des chevau-lgers du nolibralisme ................................ 152

    Chapitre 5Lchec du projet de rforme des finances fdralesde dcembre 1990..................................................................................... 155

    5.1 Le projet de rforme du rgime fiscal fdralde dcembre 1990 .............................................................................. 1555.1.1 Allgement des droits de timbre .......................................... 1575.1.2 Remplacement de lICHA par la TVA ................................. 158

    5.2 Le grand patronat divis .................................................................. 1685.3 Le vote du 2 juin 1991 ....................................................................... 178

    Chapitre 6La marche de la contre-rforme financire sacclre ....................... 1796.1 Politique des caisses vides et

    succession de programmes daustrit .......................................... 1816.1.1 Le premier programme dassainissement

    des finances fdrales ............................................................ 1876.1.2 Le deuxime programme dassainissement

    des finances fdrales ............................................................ 1916.1.3 Le troisime programme dassainissement des finances

    fdrales et la dmission de Otto Stich : ou de lutilit,

    de lusure et de llimination dun Conseiller fdralsocial-dmocrate ..................................................................... 194

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    6.2 Dmantlement des droits de timbre et introduction de la TVA 2076.2.1 Lallgement des droits de timbre ........................................ 2076.2.2 Lintroduction de la TVA ....................................................... 211

    6.2.3 La TVA, un impt socialement juste? ................................. 2166.2.4 Lapplication de larticle constitutionnel sur la TVA ......... 227

    6.3 Allgement de limposition des possdants ................................. 2356.3.1 Loffensive contre lIFD et ses mandres ............................ 2356.3.2 Le projet Villiger dallgement

    de limposition des socits .................................................. 2426.3.3 Lallgement de limpt anticip :

    histoire dun enlisement ........................................................ 247

    6.3.4 Lamnistie fiscale : histoire dun autre enlisement ............ 251Chapitre 7Conclusion : survol de la sociologie financire ................................. 2577.1 Un aperu ........................................................................................... 2577.2 Les thmes centraux de la sociologie financire ........................... 270

    7.2.1 La sociologie financire commeanalyse des composantes sociales des finances publiques 271

    7.2.2 La sociologie financire comme

    analyse des composantes financires de la socit ............ 2747.3 Finances publiques et pouvoir ........................................................ 278

    Bibliographie ............................................................................................ 281

    Liste des graphiques et des tableaux ................................................... 303

    Annexes ................................................................................................ 305

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    Liste des abrviations

    ASB Association suisse des Banquiers

    AVS Assurance-vieillesse et survivants

    BoCE Bulletin stnographique officiel de lAssemble fdrale Conseil des tats

    BoCN Bulletin stnographique officiel de lAssemble fdrale Conseil national

    IA Impt anticip

    ICHA Impt sur le chiffre daffaires

    IFD Impt fdral direct

    JAP Journal des Associations patronales

    NQ Le Nouveau Quotidien

    NZZ Neue Zrcher Zeitung

    PIB Produit intrieur brut

    PSS Parti socialiste suisse

    SLI Service libre dinformation

    TVA Taxe sur la valeur ajoute

    UCAP Union centrale des Associations patronalesUSAM Union suisse des Arts et Mtiers

    USS Union syndicale suisse

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    Chapitre 1

    Introduction

    Cette tude entend dcrire et expliquer les volutions, certaines ache-ves, dautres encore en cours au moment o ces lignes sont crites, sur leplan des finances publiques suisses de la fin des annes 1980 la mi-1997.

    Dans ce but, elle essaie dclairer ce pass trs proche en linscrivant dansune perspective de longue dure, celle de lhistoire financire de la Suisseau XXe sicle. Ce faisant, elle aboutit mettre en vidence un certainnombre de continuits et de changements qui ont marqu et marquentencore cette histoire. Et ainsi, elle parvient objectif principal de cetouvrage dgager quelques cls permettant de mieux comprendre lamarche rcente, mais aussi plus lointaine, des finances publiques helvti-ques.

    lorigine de ce livre se trouvent deux considrations troitement lies.

    Lune sinscrit dans une rflexion sur les problmes financiers actuels.Lautre relve dune problmatique peu explore, mais particulirementpertinente, celle initie par la sociologie financire.

    La premire de ces considrations est assez vidente. Depuis la fin desannes 1980, les questions financires prennent une place de plus en plusgrande dans les dbats et les conflits politiques en Suisse. Les discussionset les luttes autour du volume et de la destination des dpenses tatiquesainsi que du volume et de la rpartition de la charge fiscale deviennenttoujours plus pres. Cette focalisation sur les finances publiques tient en

    partie au fait que lon entre nouveau dans une phase de dsquili-bres budgtaires, dont dficits et croissance de lendettement constituentles manifestations les plus visibles. Mais une telle focalisation ne tient passeulement cet aspect. Limportance et lintrt de la priode qui souvre

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    Introduction

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    la fin des annes 1980 rsident aussi, et peut-tre surtout, dans le fait queles dispositions et les agencements mis en place au cours des dcenniesprcdentes dans le domaine des finances publiques sont attaqus de

    faon fondamentale par de puissantes forces sociales. Cette priode inau-gure donc de profondes mutations.Les deux aspects qui viennent dtre mentionns ne sont dailleurs pas

    spcifiques la Suisse. La trs grande majorit des pays a vu, et gnrale-ment plus tt quen Suisse, les finances virer au rouge et les mmes forcessociales passer loffensive. La position centrale acquise par les questionsfinancires dans les discussions et les confrontations publiques reprsenteun phnomne largement rpandu, en Europe et dans le monde. Au curdes critres de convergence fixs par le trait de Maastricht, pour ne pren-

    dre que cet exemple, ne trouve-t-on pas prcisment ceux qui ont trait auniveau de la dette publique et du dficit budgtaire? Et ne sont-ils pas lesplus controverss?

    Au vu des enjeux soulevs, un tel phnomne na rien dtonnant. EnSuisse comme dans la plupart des autres pays, chaque anne, et cela ap-proximativement depuis la Premire Guerre mondiale, une part consid-rable, de lordre de 25 % 50 % voire davantage, de la richesse nationaleproduite est prleve et (re) distribue par ltat. Ce mouvement dappro-priation et de (re) distribution constitue ce que lon peut appeler, par ana-

    logie avec lactivit guerrire, le nerf de lactivit tatique. Mais son am-pleur et son sens entranent des consquences qui vont bien au-del duchamp tatique proprement dit. En fait, rares sont les secteurs de la vie so-ciale qui ne sont pas affects par les mesures prises dans le domaine desfinances publiques. Aussi les choix oprs dans ce domaine exercent-ilsune profonde influence, directe et indirecte, sur lvolution de la socitdans son ensemble. Ils jouent, par exemple, un rle sensible dans le rythmeet les modalits du dveloppement conomique. Ils entranent surtout deconsidrables transferts de valeurs de couches sociales vers dautres, con-

    tribuant ainsi lenrichissement de certaines dentre elles et lappauvris-sement des autres, avec leur cortge de consquences immdiates et m-diates sur le plan socio-conomique et politique, ou encore culturel.

    Cest ici quintervient la seconde considration lorigine de cettetude. Il y a trois quarts de sicle dj, au sortir de la Premire Guerre mon-diale, le clbre conomiste Joseph Schumpeter crivait que lhistoire fi-nancire de chaque peuple constitue une part importante de son histoire engnral, phnomne qui confre au champ des finances publiques unegrande signification symptomatique.

    1

    Autrement dit, si les domaines de

    1. Joseph Schumpeter, Die Krise des Steuerstaats , [1re dition : 1918], repro-duit in R. Hickel (d.), Die Finanzkrise des Steuerstaats. Beitrge zur politischenkonomie der Staatsfinanzen, Frankfurt, 1976, p. 331.

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    Introduction

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    la vie sociale qui ne sont pas touchs par les mesures financires sont rares,linverse est aussi vrai : rares sont les faits sociaux, conomiques, politi-ques, etc. qui nont pas de rpercussions financires. Ds lors, lvolution

    propre aux diffrents domaines de la vie en socit se reflte, ou mieux, serfracte sur le plan des finances publiques, dont ltude offre alors unangle dapproche particulirement fructueux pour approfondir la con-naissance de lhistoire dun pays dans son ensemble.

    Malheureusement, la rflexion de lconomiste autrichien pour per-tinente quelle soit na gure trouv dcho jusqu aujourdhui, excep-tion faite des quelques travaux inspirs dun courant de pense trs mar-ginal, la sociologie financire. La seconde ambition de cet ouvrage, quisinspire du point de vue de J. Schumpeter, ne consiste donc pas seulement

    prsenter une lecture explicative de lhistoire rcente des finances publi-ques suisses, mais aussi, travers cette lecture mme, enrichir la compr-hension de certains aspects marquants de lhistoire helvtique, comme parexemple le maintien dun systme politique fortement fdraliste.

    Lhistoire des finances publiques peut tre aborde sous deux angles :soit travers le discours et laction dans le domaine financier, bref traversla politique financire, soit sous langle des rsultats dune telle politique,cest--dire de la comptabilit publique, des flux chiffrs de recettes et dedpenses tatiques. Ltude qui va suivre emprunte moins la seconde voie

    que la premire. Certes, le ct quantitatif est utilis. maintes reprises,lanalyse porte et sappuie sur des donnes chiffres. Toutefois, elle ne vapas au-del de limites relativement troites sur ce plan. Elle ne tente pas,par exemple, de dissquer anne aprs anne les dpenses et recettes deltat fdral selon leur nature, ainsi que leur destination ou provenancefinales, afin dtablir avec minutie leurs effets prcis, travers le temps,sur les divers secteurs conomiques ou les diverses couches sociales. Celancessiterait de passer au crible le fouillis de la comptabilit fdrale, tra-vail qui constituerait lobjet dune recherche en soi. Ltude se centre donc

    sur la politique financire, cest--dire sur la manire dont, travers lesconflits opposant les diffrents acteurs sociaux dans des circonstances his-toriques concrtes et singulires, des options prcises et particulires enmatire de finances publiques sont adoptes et mises en pratique.

    cet gard, il faut signaler que, parmi les nombreux acteurs intervenantdans le champ des finances publiques, ltude tient prioritairementcompte de lattitude et de laction de trois dentre eux. Dabord, elle ac-corde une large place ce que lon appellera les autorits fdrales, soit unensemble form du Conseil fdral, des Chambres et du sommet de lad-

    ministration fdrale. Ensuite lanalyse se centre sur ce que lon nommerales milieux daffaires, et plus particulirement le grand patronat : soit lesdirigeants des grands tablissements industriels et bancaires du pays,dont les associations fatires, le Vorort surtout, mais aussi lUnion cen-

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    Introduction

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    trale des Associations patronales et lAssociation suisse des Banquiers,ainsi que parfois le Parti radical suisse, constituent lexpression. Enfin, elletraite des principales organisations reprsentant les salaris, le Parti socia-

    liste et lUnion syndicale suisses. Les autres acteurs, comme le petit patro-nat, regroup notamment au sein de lUnion suisse des Arts et Mtiers, lesagriculteurs, dfendus par lUnion suisse des Paysans, ou encore les auto-rits financires cantonales, apparaissent galement, mais leur attitude etleur action ne figurent pas au centre de lanalyse.

    Avant de donner un rapide aperu des diffrents chapitres de cetouvrage, ses principales limites et lacunes mritent dtre releves. Certai-nes proviennent de limpossibilit pour un chercheur isol de travailler etde matriser dans son ensemble une matire protiforme et trs enchev-

    tre. Dautres correspondent au souci de rduire la complexit dun do-maine dj aride. Quoi quil en soit, ltude porte essentiellement sur lesfinances publiques fdrales et naborde gure ce qui relve du niveaucommunal ou, malgr son importance, cantonal. Les quelques brves in-cursions effectues sur le plan cantonal laissent cependant penser que lestendances luvre dans le domaine fdral sont galement valables ceniveau. Les entreprises appartenant la Confdration, les rgies fdra-les (avant tout les CFF et les PTT), sont aussi laisses de ct. Ds lors, ilconviendrait peut-tre dutiliser lexpression finances tatiques la

    place de finances publiques . Afin dviter de trop frquentes rpti-tions, cette dernire expression est malgr tout employe. soulignerenfin que plusieurs thmatiques ne sont pas touches, ou ne sont quef-fleures. Cest notamment le cas de la mise en uvre de nouvelles techni-ques de gestion du secteur public, dsignes sous le nom de New PublicManagement , du mouvement en cours de privatisation dun certainnombre dentreprises publiques, ou encore de lintroduction de taxes qua-lifies dcologiques.

    Cette tude commence, dans le chapitre 2, par tenter de dgager les ori-

    gines des dficits que les pouvoirs publics suisses, en particulier la Conf-dration, connaissent depuis le tournant de la dcennie 1990. Toutefois,elle dfend la conception selon laquelle ces origines ne sont pas seulementdordre conjoncturel, mais aussi structurel. En effet, il savre que, dans lasocit de march gnralise du XXe sicle, les finances de ltat tendentvers un dsquilibre chronique. Ds lors, il simpose de conclure que lesdficits ne peuvent pas tre pleinement compris sils sont analyss defaon isole, comme la rsultante de phnomnes purement ou essentiel-lement conjoncturels. Ils doivent galement tre considrs comme la ma-

    nifestation de phnomnes plus profonds, qui renvoient la structuremme de la socit de march. Aussi lexamen embrasse-t-il demble uneproblmatique assez vaste : il aborde certes les causes immdiates de la si-tuation dficitaire actuelle. Mais il sattache encore davantage identifier

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    Introduction

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    les sources profondes de ce dsquilibre chronique des finances publiquesauquel est donn, pour mieux faire ressortir sa composante structurelle, lenom de crise financire de ltat.

    ce propos, lanalyse critique lide, trs en vogue depuis plus dunedcennie, selon laquelle lune de ces sources profondes rsiderait dans lapropension des responsables politiques lus, appartenant aux gouverne-ments ou aux parlements, accrotre de faon dmesure les dpenses afindtre rlus. Elle avance et discute ensuite une srie de facteurs qui sem-blent nettement plus convaincants. Parmi ceux-ci, un lment notammentse voit mis en exergue et problmatis. Non quil joue un rle plus impor-tant que les autres, mais parce quil est presque toujours laiss dans lom-bre par les tudes traitant de la question des dficits : le fait que les milieux

    daffaires optent frquemment, suffisamment frquemment en tout caspour que lon puisse tablir certaines rgularits, pour une politique derestriction des recettes que lon peut qualifier, parce quelle est conduitedans le but de pousser ou de maintenir ltat dans les chiffres rouges, depolitique des caisses vides.

    Le chapitre 3 traite des rapports entre une particularit du systme po-litique suisse la structure fortement fdraliste de lorganisation deltat et lvolution des finances publiques. Toutefois, cette questionnest pas seulement examine, comme cest gnralement le cas des tudes

    qui labordent, sous langle de linfluence du premier aspect sur le second.La relation inverse est aussi explore. Une telle perspective amne ce cha-pitre notamment la conclusion que la prennit de la structuration fd-raliste du systme politique suisse sexplique en partie par les avantagesconsidrables quune telle structuration entrane, du point de vue finan-cier, pour les milieux daffaires et les couches aises de la population, enparticulier parce quelle incite cantons et communes pratiquer un vrita-ble dumping fiscal leur profit.

    Les trois chapitres suivants sont consacrs analyser, sur le plan fdral

    avant tout, les principales volutions que la priode entame la fin desannes 1980 a connues dans le domaine des finances publiques. Dans cetteoptique, le chapitre 4 prsente le programme financier moyen et longterme que se sont fix les milieux qui se trouvent clairement loffensivedurant cette priode, le grand patronat industriel et bancaire. Ce pro-gramme, ds lors quil vise revenir en arrire sur une srie dlmentsacquis la suite des luttes sociales des nombreuses dcennies prcdentes,peut tre qualifi de contre-rforme financire. Le chapitre 4 discute ga-lement de faon assez approfondie les arguments que ces milieux avan-

    cent pour justifier une telle contre-rforme.Le chapitre 5 dcrit le processus qui a conduit la mise sur pied, puis

    lchec lors du vote populaire du 2 juin 1991, du projet de refonte du

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    Introduction

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    rgime financier de la Confdration centr sur lintroduction de la taxesur la valeur ajoute (TVA). Il tente notamment dexpliquer les raisons quiont amen les milieux daffaires se diviser en deux camps opposs sur ce

    projet, dsaccord qui a puissamment contribu son rejet final.Quant au chapitre 6, il analyse les dveloppements postrieurs ce rejet,

    jusquen juin 1997. Il tudie dabord lorientation suivie face la rappari-tion de dficits relativement substantiels ds 1991; ensuite le processus,couronn de russite celui-l, menant lintroduction de la TVA; enfin lessuccs et les checs des principales autres dmarches avances par les cer-cles patronaux dans le cadre de leur politique de contre-rforme finan-cire.

    En guise de conclusion, le chapitre 7 prsente un bref survol de lappro-

    che mthodologique qui sous-tend les analyses concrtes exposes dans lecorps de louvrage : la sociologie financire. En effet, pour deux raisons aumoins, il apparat trs opportun dattirer lattention sur ce courant de pen-se. Premirement, parce quen dpit de sa fcondit heuristique, il estrest trs marginal, et donc extrmement peu connu dans le champ de larecherche, surtout de langue franaise, consacre aux finances publiques.Deuximement, parce que depuis plus dune dcennie, ce champ sappau-vrit sous leffet de la domination pratiquement sans partage dun nombretrs restreint de paradigmes issus de lindividualisme mthodologique.

    Un tel chapitre na videmment pas la prtention de fournir un expos ex-haustif sur lhistoire et le contenu de la sociologie financire. Il se contentede mettre en vidence plusieurs facteurs, notamment certaines de ses filia-tions intellectuelles, qui ont favoris son mergence lissue de la Pre-mire Guerre mondiale, puis de proposer quelques lments factuels etanalytiques sur son volution au cours du XXe sicle, et pour finir de r-sumer ses thmes de rflexion essentiels.

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    Chapitre 2

    Les origines de la crise financire de laConfdration suisse : une approche

    2.1 Le dficit budgtaire est la norme.Lquilibre, lexception

    En Suisse, les finances des collectivits publiques sont en crise1

    depuisle dbut des annes 1990. Les dficits budgtaires saccumulent, lendette-ment tatique saccrot sensiblement et les plans daustrit se succdent un rythme rapide.

    Si les cris dorfraie intresss lancs par certains milieux peuvent laissercroire que cette situation tranche radicalement avec le pass, un rapidecoup dil rtrospectif montre quil nen est rien. Depuis un sicle environ,

    les dsquilibres financiers des collectivits publiques font partie du pay-sage normal de la politique helvtique. Alors que de tels dsquilibres de-meurent rares entre 1848 et le tournant du sicle, les comptes de la Conf-

    1. noter que le seul emploi de lexpression crise financire nimplique pasici une apprciation sur le degr de gravit de la situation conjoncturelle desfinances publiques helvtiques, dans le sens o cette situation serait jugecomme tant actuellement particulirement grave. Si, de manire gnrale, jeprfre utiliser cette expression plutt que celle, par exemple, de dsquilibre

    budgtaire , cest parce quelle me semble mieux attirer lattention sur le faitque, tendant devenir la norme dans le capitalisme du XXe sicle, de tels d-squilibres ne doivent pas tre analyss seulement comme des phnomnesconjoncturels, mais aussi comme des phnomnes structurels.

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    Les origines de la crise financire

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    dration, des cantons et des communes clturent sur des soldes passifspratiquement deux annes sur trois depuis 1900.

    1

    En outre, si les dficits restent modiques au XIXe sicle, ils atteignent ra-

    pidement au cours du sicle suivant la Premire Guerre mondiale cons-tituant une csure cet gard des proportions peu loignes de cellesque lon connat aujourdhui, mme en temps de paix. Ainsi, le dficit ducompte financier de la seule Confdration oscille entre 1 % et 2 % du Pro-duit intrieur brut (dsormais abrg PIB) de 1919 1923 et touche nou-veau la barre des 1 % en 1936 et 1938.

    2

    Les dsquilibres qui affectent aujourdhui les finances des collectivitspubliques helvtiques ne constituent donc pas un phnomne conjoncturel.Ils sont rvlateurs dune tendance plus profonde, qui nest dailleurs pas

    spcifique la Suisse mais concerne lensemble des pays conomiquementdvelopps.

    3Aux tats-Unis, alors que les comptes de ltat fdral bou-

    clent sur des chiffres rouges trois annes sur dix durant le XIXe sicle, laproportion slve sept annes sur dix au XXe sicle. Et les dficits desannes 1930 sont tout aussi, voire plus importants, que ceux daujourdhui.

    4

    Selon une statistique portant sur lensemble des pays membres de lOCDEdurant la priode 1950-1986, ceux-ci connaissent un dficit budgtaire enmoyenne sept annes sur dix. Pour de grands pays comme les tats-Unis,lAngleterre, la France, lAllemagne et lItalie, cette moyenne est encore plus

    leve : elle atteint huit, et mme neuf annes sur dix.

    5

    1. Rsultat obtenu en faisant pour chaque anne le total des soldes des comptesde la Confdration, des cantons et des communes (depuis 1913 pour ces der-nires). Les donnes sont tires des diffrentes ditions de lAnnuaire statistiquede la Suisseet duMessage concernant le compte dtat, ainsi que de la publicationde lAdministration fdrale des finances, Finances publiques en Suisse 1992,Berne, 1995, pp. 1-2.

    2. Rappelons quentre 1991 et 1996, le dficit du compte financier de la seule Con-fdration slve en moyenne environ 1,3 % du PIB. Sur le solde du compte

    financier de la Confdration, cf. lAnnuaire statistique de la Suisse 1958, Berne,1959, p. 417. Il nexiste pas de donnes relatives au PIB de la Suisse durant cesannes. En revanche, on dispose de donnes sur le revenu national de la Suisse;cf. Rosanna Lorusso, Note sur la construction dune srie pour le revenu cantonalvaudois, Lausanne, Cahiers de recherches conomiques de lUniversit de Lau-sanne, No 8906, 1989, pp. 14-17. On peut raisonnablement estimer que le PIBest gnralement de 10 % suprieur au revenu national, ce qui permet denfournir malgr tout une valuation.

    3. Cf. Paul Masson/Michael Mussa, Long-Term Tendencies in Budget Deficitsand Debt ,IMF Working Paper, 95/128, dcembre 1995, pp. 4a et 4b.

    4. Cf. Gary M. Anderson, The US Federal Deficit and National Debt : A Politicaland Economic History , in J. M. Buchanan et al. (d.), Deficits, New York/Ox-ford, 1986, pp. 11-13.

    5. Cf. Guy Peters, The Politics of Taxation. A comparative Perspective, Cambridge(USA)/Oxford (GB), 1991, p. 80.

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    Si lon prend le concept de crise des finances publiques dans une accep-tion trs lmentaire, soit comme la manifestation dun cart entre lerythme daccroissement des dpenses de ltat et celui, plus lent, de lac-

    croissement de ses recettes, on peut donc affirmer quau XXe sicle, les fi-nances publiques en Suisse, comme dans les autres pays semblables, ten-dent en permanence vers une situation de crise.

    Ds lors, la question des dsquilibres budgtaires que connat actuelle-ment la Suisse se pose sous un autre angle. Le centre dintrt de lanalysedoit se dplacer. Si la maladie est chronique, ce quil sagit prioritairementde comprendre nest plus telle ou telle pousse de fivre particulire, maisles facteurs qui sont la source de la chronicit. Autrement dit, on est ren-voy du problme des dficits actuels en Suisse une problmatique beau-

    coup plus vaste que lon peut prsenter sous la forme de linterrogationsuivante : do vient la tendance des finances publiques helvtiques audsquilibre? Bref, quelles sont les origines de la crise chronique des finan-ces de ltat? Lobjet de ce chapitre est une tentative de donner des l-ments de rponse ces questions.

    2.2 Les parlementaires sont-ils responsables de la crisefinancire de ltat?

    Il existe plusieurs modles explicatifs de la crise financire de ltat endehors de celui auquel je me rattache. Les examiner tous memmneraittrop loin. En revanche, je crois quil nest pas inutile de commencer parsoumettre lun dentre eux la critique. Non quil soit le plus intressant.Mais, martel depuis longtemps dans et par les mdias en Suisse commedans de nombreux autres pays, il a acquis aujourdhui, au moins au seindu large public, une position ce point dominante quil semble quasimentrelever du ce qui va de soi.

    Selon ce modle, qui drive en droite ligne du courant du PublicChoice , lorigine essentielle de la prcarit des finances publiques setrouve du ct des dpenses, et non des recettes. La raison de fond des d-ficits budgtaires, dclarait en fvrier 1995 la Conseillre nationale radi-cale Vreni Sprry, considre comme une spcialiste des questions finan-cires, doit tre cherche en premier lieu dans les dpenseset non dans desdiminutions de recettes.

    1

    Credo repris le mme jour par la Neue ZrcherZeitung (abrge dsormais NZZ) qui accusait la croissance dmesure desdpenses.

    2

    Les vraies raisons, rptait une fois de plus, en octobre 1996,

    1. NZZ, 21 fvrier 1995 [soulign dans le texte]. Les citations en langue trangreont t systmatiquement traduites par mes soins.

    2. Ibid.

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    Kaspar Villiger, chef radical du Dpartement fdral des finances, se si-tuent du ct des dpenses.

    1

    Mais quelle est lorigine de ce que James Buchanan, lun des principaux

    artisans de ce modle, appelle lui aussi des dpenses excessives?

    2

    Les par-tisans du modle discut ici avancent dabord toute une srie de facteursque lon peut appeler classiques dans le sens o ils se retrouvent, avec despondrations et des mises en perspective fort diffrentes, dans tous les mo-dles explicatifs : croissance et vieillissement de la population, industriali-sation et urbanisation, dveloppement de la technologie et de la culture,armement et guerres, etc. Mais, poursuivent-ils, llment le plus impor-tant ne se trouve pas l. En effet, affirment-ils, mme si de tels facteursjouent un rle considrable, ils nexpliquent quen partie la croissance des

    dpenses tatiques.

    3

    Ces lments permettent certes de comprendre cequil faudrait appeler laugmentation normale des dpenses par opposi-tion la croissance dite excessive ou dmesure.

    4

    Or, cest prcismentcet excdent de croissance quil sagit dlucider car cest lui, toujours danscette optique, qui constitue la source essentielle des dficits.

    Afin dexpliquer un tel excdent, le modle met alors en cause certainescaractristiques formelles de la dmocratie parlementaire. Dans sa versionpopulaire destine au grand public, le noyau de lexplication, au-del detoutes les nuances et variantes, est le suivant : le monde politique et plus

    particulirement les parlementaires sont responsables de cet excdent decroissance, et par consquent des dficits budgtaires, parce quils aug-mentent les dpenses tatiques sans se soucier du reste, leur proccupa-tion centrale pour ne pas dire exclusive tant de se crer une clientle etdobtenir ainsi leur (r) lection.

    Citons quelques exemples rcents : Les annes lectorales sont toujours desannes dispendieuses

    5

    , dcrte Otto Stich, chef du Dpartement fdral desfinances. La dmocratie directe, dclare Dick Marty, Conseiller dtat ra-dical tessinois, favorise une logique de dpense. Pour gagner les lections, on

    promet beaucoup, on ralise beaucoup aussi et cela cote.[] Lanne lectorale esttoujours la plus dispendieuse. 6Mme cho chez lconomiste en chef de la

    1. NZZ, 21 octobre 1996.2. James Buchanan, Why Does Government Grow? , in Th. Borcherding (d.),

    Budgets and Bureaucrats : The Sources of Government Growth, Durham, 1977, p. 11.3. Ainsi, un adepte de ce modle prtend quaux tats-Unis seule une proportion

    de lordre de la moiti aux deux tiers de la croissance des dpenses tatiquesprovient de ces facteurs classiques; cf. Thomas Borcherding, The Sources ofGrowth of Public Expenditures in the United States, 1902-1970 , in ibid., p. 56.

    4. Le modle en question se distingue donc par sa dimension fortementnormative; je reviens sur cette question un peu plus loin.

    5. Facts, No 16, 1995, p. 23.6. LHebdo, 22 septembre 1994, p. 12.

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    Socit de Banque Suisse : Linflation de revendications au gr de ligues dlec-teurs qui se font ou se dfont pousse nos hommes politiques, dont les vises sontlectorales [], une surenchre permanente quant la part des dpenses de ltat

    dans le produit national.

    1

    Quant la NZZ, elle martle ce leitmotiv dans sescolonnes : Les politiciens[] veulent en gnral tre rlus et cherchent donc procurer leur clientle le volume le plus lev possible de prestations tatiques

    2

    lit-on en janvier 1995. Nouvelle leon quelques semaines plus tard : Queles reprsentants lus du peuple ne veulent pas se soumettre volontairement cettediscipline[budgtaire, nda], cela va de soi. Il est dans la logique du marchpolitique que ne peuvent manifestement avoir du succs que ceux qui sment g-nreusement les bienfaits au tarif nul [cest--dire sans augmenter les impts,nda].

    3

    En juillet 1995, lancien Rdacteur en chef, Willy Linder, prend le

    relais : Les politiciens et les partis optimisent leurs chances lectorales en serappelant au bon souvenir de leurs lecteurs par un comportement adquat. Il fautreconnatre que la propension faire des cadeaux politiques constitue une ori-gine essentielle du drglement du budget de la Confdration.

    4

    Au mme mo-ment, le journal Finanz und Wirtschaft, galement trs proche des milieuxdaffaires, affirme : La principale origine des dficits budgtaires, qui croissentdepuis le dbut des annes 1990,[] rside dans les largesses du Parlement [].Pour les politiciens, il est plus simple daugmenter les dettes de ltat que de mettreen uvre dimpopulaires conomies ou augmentations dimpts.

    5

    Comme son

    habitude, le Professeur de finances publiques Walter Wittmann ny va paspar quatre chemins : Lendettement de ltat, affirme-t-il en janvier 1996,est indissolublement li notre systme parlementaire, car les politiciensviennent Berne pour piller la caisse fdrale afin dtre rlus.

    6

    La version acadmique ne fait que reprendre ce schma en lui donnantune forme un peu plus sophistique, ceci au moment o souvre une of-fensive en rgle contre les politiques keynsiennes de laprs-guerre. Elletablit une homologie entre le fonctionnement idalis de la dmocratieparlementaire et celui, galement idalis, du march capitaliste. Dans

    une dmocratie affirme J. Buchanan la pression quexerce sur les politi-ciens la concurrence de ceux qui aspirent prendre leur place ressemble la pres-sion exerce sur les entrepreneurs privs. Les entreprises sont en concurrenceentre elles [] pour sattacher la clientle des consommateurs. De manire simi-laire, les politiciens sont en comptition pour obtenir le soutien de llectorat.

    7

    Ds lors, ce modle considre que lattitude rationnelle des responsablespolitiques, en tant quindividus privs en concurrence sur le march lec-

    1. Socit de Banque Suisse, Le Mois conomique et financier, novembre 1994, p. 13.2. NZZ, 22 janvier 1995.

    3. NZZ, 12 mars 1995.4. NZZ, 8-9 juillet 1995.5. Finanz und Wirtschaft, 14 juin 1995.6. Propos cits dans et par le Tages-Anzeiger, 18 janvier 1996.7. James Buchanan/Richard Wagner, Democracy in Deficit. The Political Legacy of

    Lord Keynes, New York/San Francisco/London, 1977, p. 96.

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    toral, consiste maximiser les dpenses (et corrlativement minimiserles impts), car il sagit dune manire particulirement efficace de con-qurir le vote des citoyens. tant entendu que les dputs nauront pas

    payer le prix lectoral de la croissance de la dette, puisque celle-ci re-posera sur les paules de la gnration qui les suivra et qui, actuellement,nest pas en ge de voter.

    Partant de ce modle, le Professeur amricain Guy Peters arrive la con-clusion que les hommes politiques tenteront daugmenter les dpenses pu-bliques[] peu avant les chances lectorales afin daccrotre la probabilit queles citoyens se souviennent de[leurs] bonnes actions et les lisent nouveau.[]Par consquent,[] les annes les plus proches des lections devraient connatredes dficits budgtaires plus levs que les autres annes.

    1

    Trois autres Profes-

    seurs amricains, dont J. Buchanan, prtendent en commun que les d-ficits naissent parce que les politiciens [] trouvent quil est de leur propre intrtde prendre la voie la plus facile dans la politique budgtaire. Ces politiciens ac-croissent leurs perspectives de survie politique en augmentant les dpenses et enengendrant des rductions dimpts .

    2

    Le Professeur allemand Robert vonWeizscker nonce quant lui une thse qui ne peut tre rfute empirique-ment que difficilement , savoir que les dpenses sont leves, en particulierpeu avant les chances lectorales, afin de gagner des voix

    3

    , attitude qui joueun rle dcisif dans lapparition des dficits budgtaires dans les tats d-

    mocratiques. En langage plus imag, le chercheur amricain Edward Tufteexplique que la stratgie des politiciens et douvrir rapidement et srement lerobinet et de remplir labreuvoir de faon avoir un impact sur les lecteurs.

    4

    Dans un des livres les plus rcents consacrs aux finances publiques enSuisse, on peut lire le passage suivant : Tout systme politique dmocratiquena-t-il pas une propension accrotre les dpenses et rduire le fardeau desrecettes?[] Lapproche des lections rend la classe politique plus gnreuse maisaussi moins prvoyante propos de la couverture financire de ses dcisions.

    5

    relever que le modle attribue galement une certaine responsabilit au

    comportement de la bureaucratie tatique, cense accrotre les dpensesdans lobjectif daugmenter ses rmunrations, dagrandir ses pouvoirs,ou encore de maximiser les montants quelle gre.

    6

    Afin de ne pas trop al-longer, je laisse cet aspect de ct.

    1. G. Peters, The Politics of Taxation, op. cit., pp. 11 et 115.2. James Buchanan et al., Government by Red Ink , in J. Buchanan et al. (d.),

    Deficits, op. cit., p. 5.3. Robert von Weizscker, Staatsverschuldung und Demokratie , Kyklos,

    Vol. 45, 1992, p. 58.

    4. Edward Tufte, Political Control of the Economy, Princeton, 1980, p. 10.5. Rmi Jequier, La dcision , in Luc Weber et al., Les finances dun tat fdratif.La Suisse, Paris/Genve, 1992, pp. 336 et 337-338.

    6. Cf. notamment William Niskanen, Bureaucracy and Representative Government,Chicago, 1971.

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    Ouvrons ici une rapide parenthse pour signaler lun des corollairesdune telle conception. Si la prcarit des finances publiques est due ladmocratie parlementaire, il est bien videmment logique de chercher li-

    miter cette dernire. Cest ainsi que les partis de droite, vigoureusementstimuls par les organisations patronales, se sont rcemment battus, enSuisse, afin dintroduire dans la Constitution, sans limitation temporelle,un mcanisme appel frein aux dpenses (Ausgabenbremse) visant restreindre les comptences du Parlement lorsquil sagit daccrotre lesdpenses. Cette proposition a t approuve en votation populaire le12 mars 1995. Dsormais, la majorit qualifie est requise au sein des deuxChambres fdrales pour engager de nouvelles dpenses uniques ou p-riodiques de, respectivement, plus de 20 et plus de 2 millions de francs,

    lexception des dpenses quentranent les tches de la Confdration djancres dans la lgislation existante.1

    Rien de bien dramatique pour le moment. Mais certains projets vontbeaucoup plus loin. Le Conseil fdral projette dintroduire un mcanismelui octroyant le pouvoir de rduire automatiquement les dpenses.

    2

    Unquotidien romand suggre de priver les parlementaires fdraux de leurscomptences budgtaires durant lanne lectorale.

    3

    Les plus hardis,comme R. von Weizscker, proposent de retirer la politique financire desmains du Parlement et de la transfrer une institution qualifie d ind-

    pendante , comme la Banque centrale.

    4

    1. Cf. notamment Paolo Urio/Vronique Mercks, Le budget de la Confdration. Lesystme politique suisse face lquilibre des finances fdrales, Lausanne, 1996,pp. 71-73. De tels freins aux dpenses ont dj t introduits dans le pass plusieurs reprises en Suisse, chaque reprise pour une priode provisoire.Les rsultats ont toujours t extrmement maigres. Cela devrait suffire d-montrer que les sources essentielles de la tendance la hausse des dpensestatiques ne se situent pas au niveau des caractristiques formelles de lorgani-

    sation politique mais au niveau des fondements structurels de la socit demarch gnralis; cf. Heinz Kneubhler, Ursachen der Ausgabenmehrung beimBund insbesondere in der Zeit seit 1913, Schwarzenbach, 1961, pp. 124-125.

    2. Cf. le Rapport du Conseil fdral sur le Programme de lgislature 1995-1999,18 mars 1996,Feuille fdrale 1996, Vol. 2, p. 303, ainsi que Le Nouveau Quotidien[abrg dsormais NQ] du 24 janvier 1995, et la NZZdu 22 fvrier 1996.

    3. Cf. le NQdu 27 janvier 1995.4. Cf. R. von Weizscker, Staatsverschuldung , op. cit., p. 64. R. Tufte, Politi-

    cal Control, op. cit., pp. 149-154, voque des propositions analogues avancesaux tats-Unis. Une fois de plus, de telles propositions nont rien de nouveau.Au dbut des annes 1930, le programme de lAssociation patriotique vau-doise propose de retirer au Parlement linitiative des dpenses, en raison de laprtendue surenchre lectorale; cf. Roland Btikofer, Des gardes civiques lAssociation patriotique vaudoise (1918-1947) , in Hans Ulrich Jost et al., Centans de police politique en Suisse (1889-1989), Lausanne, 1992, p. 127.

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    Que faut-il penser de la conception qui vient dtre prsente? Remar-quons dabord quelle na rien de nouveau. Elle existe au contraire depuissi longtemps quon peut la ranger au nombre des strotypes constitutifs

    de lorthodoxie financire. En 1877 dj, alors que les dpenses publiquesne reprsentent quune petite fraction de celles daujourdhui, le clbreProfesseur franais de science financire Paul Leroy-Beaulieu affirme : Ily a dans nos socits modernes et dmocratiques [] une cause particulire quitend faire hausser[]les dpenses[], cest la dpendance o se trouvent lesmembres du parlement dune foule dintrts particuliers ou locaux. En principe,le rgime parlementaire est regard comme un frein aux dpenses excessives; cestl, en effet, ce quil devrait tre : nous ne pouvons dire quil le soit. []De toutesparts nos dputs fondent sur le budget comme sur une proie; chacun sefforce

    den arracher un lambeau pour le distribuer ses commettants.

    1

    Une dizainedannes plus tard, le Professeur genevois dconomie et de sociologieLouis Wuarin explique quen rgime de dmocratie parlementaire, pourdurer, les gouvernements se voient contraints de[] plaire la masse des lec-teurs[], plaire partout, plaire toujours, attitude qui les amne promettremonts et merveilles, des routes aux uns, des btiments publics aux autres etconstitue donc une menace constante pour lquilibre budgtaire.

    2

    En 1912,un autre Professeur, franais celui-l, ritre que le rgime parlementaire[] est[] enclin des prodigalits fcheuses. Il se prte[] la surenchre

    lectorale. Les membres du parlement se piquent dmulation pour obtenir le votede crdits destins servir des intrts politiques et lectoraux []. Le dpouille-ment des crdits lgislatifs pendant un certain nombre dannes permet assez fa-cilement un il exerc de dcouvrir celles qui sont contemporaines dlectionsgnrales.

    3

    On peut ensuite objecter quelle ne soutient gure une mise en perspec-tive historique, mme rapide.

    4

    Prenons le cas de lAllemagne imprialeentre 1881 et 1913. Durant cette priode, alors que les pouvoirs parlementai-res sont pratiquement inexistants, les dpenses tatiques passent de 9,9 %

    du PIB 17 %, ce qui correspond un accroissement annuel moyen de 1,7 %.Entre 1956 et 1995, les dpenses tatiques passent de 30,8 % du PIB 49,5 %,

    1. Paul Leroy-Beaulieu, Trait de la science des finances, Paris, 1877, Vol. 2, p. 573.2. Louis Wuarin, Le contribuable ou comment dfendre sa bourse, Paris/Genve, 1889,

    pp. 42-45.3. Edgard Allix, Trait lmentaire de science des finances et de lgislation financire

    franaise, Paris, 1912, p. 5. On trouve une argumentation analogue dans des pu-blications suisses comme, par exemple, leJournal de Genve, 21 dcembre 1911,et le Bulletin mensuel de la Socit de Banque Suisse, No 7, juillet 1923, p. 129.

    4. H. Kneubhler, Ursachen, op. cit., pp. 121-124, conteste aussi la pertinencedun tel modle sous langle dune mise en perspective historique.

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    soit une augmentation annuelle moyenne de 1,2 %.1

    Le rythme de crois-sance est donc plus lent durant la phase parlementaire.

    2

    En Italie, il ny pasde diffrence significative entre le rythme de croissance annuel moyen des

    dpenses de ltat central durant la priode fasciste allant de 1923 1938(1,6 %) et celui de la priode dmocratique allant de 1948 1975 (1,5 %).3

    Enfin et surtout, ce modle explicatif ne sappuie gure sur une dmonstra-tion empirique solide.

    4

    Tout semble se passer comme si lvidence du modletait tablie par le simple sens commun un point tel quil ne soit mme pasindispensable de lasseoir dans les faits, mais quil suffise, en paraphrasant lajolie expression dEdgard Allix, de sexercer quelque peu les yeux. Ou encoredaffirmer sans lombre dune vrification, comme le fait ci-dessus R. vonWeizscker, quil ne peut tre rfut empiriquement que difficilement.

    Rares sont les adeptes dun tel schma qui se soient donn la peine dechercher le fonder sur le plan empirique. ma connaissance, louvragedE. Tufte cit prcdemment constitue lune des principales, si ce nest laprincipale tentative dans ce sens.

    5

    Aussi est-il assez frquemment invoqucomme fournissant la preuve palpable de lexistence dun lien de causalitentre parlementarisme, croissance des dpenses et dficits budgtaires.

    6

    1. Il sagit de lensemble des dpenses tatiques (de ltat central, des Lnder etdes communes), y compris des institutions de scurit sociale. Pour les don-nes chiffres, cf. Peter Flora, State, Economy, and Society in Western Europe 1815-1975, Vol. 1, Frankfurt/London/Chicago, 1983, pp. 383-384, ainsi que le Mes-sage du Conseil fdral concernant le compte dtat 1996, Berne, 1997, p. 639.

    2. Les rsultats ne changent pas significativement si on prend dautres priodes enconsidration. Entre 1860 et 1913, le rythme de croissance annuel moyen des d-penses tatiques allemandes atteint 1,2 % (rapportes au produit national). Pourla priode 1925-1995, durant laquelle lAllemagne a connu un rgime de dmo-cratie parlementaire sauf pendant les douze annes de nazisme, le chiffre corres-pondant est galement de 1,2 %. Pour les donnes chiffres de la phase 1860-1913, cf. Walther Hoffmann, Das Wachstum der deutschen Wirtschaft seit der Mittedes 19. Jahrhunderts, Berlin/Heidelberg/New York, 1965, p. 108. Les donnes re-

    latives la priode 1925-1995 sont tires des ouvrages cits la note prcdente.3. Cf. P. Flora, State, Economy, op. cit., p. 400.4. relever que mme certains des initiateurs de ce genre de modles semblent com-

    mencer mettre en doute leur pertinence; cf. Dominique Lafay, Thorie conomi-que de la bureaucratie : du mea culpa de Niskanen lexamen des faits , Problmesconomiques. Slection darticles franais et trangers, No 2.373, 27 avril 1994, pp. 27-30.

    5. E. Tufte, Political Control, op. cit., p. 56, se plaint dailleurs lui-mme de lab-sence de recherches empiriques dans ce domaine.

    6. Ainsi, G. Peters, The Politics of Taxation, op. cit., p. 115, renvoie deux publica-tions comme preuves empiriques de ses affirmations : louvrage de E. Tufte etlarticle de Andrew Cowart, The Economic Policies of European Govern-ments. Part II : Fiscal Policy , British Journal of Political Science, Vol. 8, 1978,pp. 425-440. Or, cet article traite de problmes trs diffrents et ne fournit doncaucune dmonstration factuelle de la corrlation discute ici. Il irait dailleursplutt dans le sens contraire en rfutant une ide voisine de celle dont il estquestion ici, selon laquelle les gouvernements de gauche tendent pro-duire des dficits budgtaires plus lourds que leurs homologues de droite .

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    Le travail du chercheur amricain fait cependant problme sur plusieurspoints importants.

    E. Tufte, comme tous les adeptes de ce modle, part de lhypothse que

    les effets conomiques positifs entrans par laccroissement des dpensespubliques avant les lections, effets la fois limits et phmres, seraientmalgr tout susceptibles dexercer une forte influence sur le comporte-ment des lecteurs. Autrement dit, une modification modique et dans lecourt terme de la conjoncture conomique serait capable de modifier lecomportement lectoral de larges couches de citoyens dans un sens favo-rable aux responsables politiques. Le chercheur amricain napporte tou-tefois aucune preuve lappui de cette hypothse; quant aux recherchesmenes sur cette question, elles semblent linfirmer.

    1

    Par ailleurs, les sries temporelles tudies par E. Tufte sont si brvesquil semble pour le moins hasardeux den tirer des conclusions dfiniti-ves. Le trs rapide survol quil consacre la situation dans 27 pays neprend en considration que les annes 1961 1972. Dans les chapitres plusdtaills traitant du cas des tats-Unis, E. Tufte largit quelque peu sonventail temporel, mais dans le meilleur des cas il ne tient compte que desannes 1946-1976. La plupart du temps, lanalyse traite seulement une p-riode dune quinzaine dannes.

    cela sajoute que les conclusions du chercheur amricain sont souvent

    tires non pas dune analyse portant directement sur le budget tatiquemais sur dautres variables. Parmi celles-ci, lune des principales est lerevenu disponible par tte dhabitant. E. Tufte tudie si ce revenu connatune croissance plus forte durant les annes lectorales que durant lesannes sans lections. Si cela se produit, il en dduit indirectement que lesdpenses tatiques ont galement connu une acclration car, selon lui,seule cette dernire peut expliquer la hausse de ce revenu. La dmonstra-tion de lauteur repose donc ici sur une srie doprations intermdiaireset dhypothses discutables. Notamment celle dun lien direct, dont il ne

    fonde empiriquement ni lexistence ni la force, entre laugmentation desdpenses de ltat et la croissance du revenu disponible par habitant.

    1. Si lon essaie de corrler les changements que connaissent court terme avant leslections les grandes variables conomiques avec les modifications dans le soutien auxpartis gouvernementaux et aux partis dopposition, il napparat aucune corrlationsignificative, crit Paul Whiteley, Public Choice : A Dissenting View , in

    J. Buchanan et al., The Economics of Politics, London, 1978, pp. 153-154. On peuttirer une conclusion analogue de la recherche mene par Bruno Frey, Politometrics of Government Behavior in a Democracy , Scandinavian Jour-nal of Economics, No 81, 1979, pp. 308-322. Certes, on pourrait objecter que lesresponsables politiques agissent malgr tout comme si ce lien existait. MaisE. Tufte napporte pas non plus dlments tayant de faon probante que celasoit le cas. Par ailleurs, une telle supposition nous ferait passer dfinitivementdans le domaine de la politique-fiction.

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    Enfin, lorsque E. Tufte tudie lvolution des dpenses tatiques en tantque telles, il introduit galement un srieux biais. Il ne prend en compteque les dpenses sociales et celles pour les vtrans de guerre, soit une

    partie seulement des dpenses totales. Le chercheur amricain se montredailleurs lui-mme beaucoup plus prudent dans ses conclusions quand ilsagit non plus des seules dpenses sociales, mais de lensemble des d-penses ou des recettes tatiques. Il convient du manque dvidence dulien entre[] annes lectorales et [] stratgies macro-conomiques gnrales(rductions des impts, accroissement des dpenses).

    1

    Le travail du chercheur amricain prsente donc, me semble-t-il, trop delacunes pour constituer une dmonstration factuelle probante de la valeurdu schma explicatif discut ici. Celui-ci reste encore aujourdhui d-

    pourvu de base empirique solide.

    2

    Ce que reconnaissait implicitement leDirecteur de lAdministration des finances du canton de Saint-Gall lors-que, se rfrant rcemment ce schma, il insistait sur la ncessit de pro-cder une tude empirique afin de clarifier si les annes lectorales favori-sent particulirement la propension dpenser[die Ausgabenfreudigkeit].

    3

    Dans ces conditions, il ma paru utile de tenter de rpondre moi-mme lincitation du haut fonctionnaire saint-gallois, cest--dire dessayer de v-rifier si, dans le contexte suisse, un tel modle correspond la ralit. Pr-cisons que, disposant de moyens de recherche rduits, je me suis limit

    des hypothses et des instruments statistiques simples. relever toutefoisque le choix de techniques statistiques simples prsente lavantage non n-gligeable dviter de multiplier les hypothses de dpart, peu voire non ra-listes, telles quon les rencontre si souvent lors de lutilisation de techniquesplus sophistiques. Jai d galement me restreindre aux finances de laConfdration. Prendre en compte les dpenses dautres organes tatiques,comme les cantons, aurait extraordinairement compliqu ma tche dans lamesure o les chances lectorales varient de canton canton. Enfin, jaiaussi t oblig de me rabattre sur lindice des prix la consommation pour

    dflater les donnes, un indice spcifique remontant loin dans le tempsnexistant pas en Suisse.

    1. E. Tufte, Political Control, op. cit., p. 58.2. Pour ne pas allonger, je nai pas voulu prsenter dans le dtail un autre exemple

    dtude empirique disponible sur ce sujet, celle qui conclut le livre de Bruno Frey,Economie politique moderne, Paris, 1985, pp. 169-196. Dans lensemble, elle souffrede lacunes analogues celle dE. Tufte. Parmi celles-ci, mentionnons la brivetdes sries temporelles, la prise en compte dune partie seulement des dpenseset linclusion dune srie de variables destines mesurer la popularit et lesorientations idologiques du gouvernement, par exemple dont le contenu etla manipulation sont particulirement sujettes caution. Elles sont dailleursmises en doute par les partisans mme de la Public Choice School ; cf. la dis-cussion qui suit lexpos de Bruno Frey, The Political Business Cycle : Theoryand Evidence in J. Buchanan et al., The Economics, op. cit., pp. 108-115.

    3. NZZ, 27-28 aot 1994.

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    Si le schma discut ici tait pertinent, on devrait constater une accl-ration des dpenses fdrales durant les annes lectorales elles-mmes.En effet, lide est que les dpenses tatiques sont augmentes pour des

    raisons lectoralistes dans un dlai relativement bref avant les lections.Or, en Suisse, les lections sur le plan fdral ont lieu en octobre. Si pardlai relativement bref on entend une priode de quelques mois, cela si-gnifie que ce sont bien les annes lectorales qui devraient se caractriserpar une pousse des dpenses fdrales.

    1

    tant donn que cette concep-tion est de loin la plus frquemment voque sur le plan politique et aca-dmique, je lui ai accord une importance toute particulire.

    Il ma paru intressant de tester un tel modle sur deux tendues tem-porelles diffrentes. Dune part, la priode 1917-1993 et dautre part 1950-

    1993. Le choix du point de dpart de la premire priode sexplique par lefait que les lections fdrales de 1919 sont les premires o les parlemen-taires fdraux sont dsigns selon le systme de la reprsentation propor-tionnelle et non plus majoritaire. Lavantage de cette priode est quellepermet de prendre en compte un nombre lev dannes lectorales. En re-vanche, elle comporte un inconvnient : elle comprend la phase de laDeuxime Guerre mondiale durant laquelle, pour des raisons videntes,les dpenses fdrales ont connu une volution extraordinaire qui intro-duit un trs fort biais dans les statistiques effectues sur lensemble de la

    priode. Cest pourquoi jai dfini une deuxime priode, les annes 1950-1993, qui prsente un nombre beaucoup moins lev dannes lectorales,mais a le mrite de ne pas subir linfluence exerce par la situation excep-tionnelle engendre par le dernier conflit mondial.

    Pour tester les donnes ma disposition, jai utilis un premier modlestatistique (appel dsormais modle statistique 1).

    2

    1. Les modles se basent sur les dpenses effectives et non sur les promesses dedpenses.

    2. Je tiens remercier chaleureusement le Professeur Franois Bavaud, qui ensei-gne les mthodes danalyse quantitative lUniversit de Lausanne. Laidequil ma apporte pour tout laspect statistique de la partie qui va suivre mat extrmement prcieuse.

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    Comme le montre le graphique 1, avec ce modle, on cherche repr-senter, par une courbe simple, lensemble des dpenses fdrales au plusprs de leur volution observe entre 1917 et 1993.

    1

    Graphique 1 Reprsentation de lensemble des dpenses fdrales observesentre 1917 et 1993 par la courbe selon modle statistique 1 (enmillions de francs constants; base = 1917)

    Cette courbe dfinit des valeurs attendues. Autrement dit, en fonctionde lallure de lensemble des dpenses fdrales observes durant la p-riode considre, elle indique le montant des dpenses auquel on devraitnormalement sattendre telle ou telle anne.

    Lcart entre le montant observ dans la ralit (les points qui figurentsur le graphique) et le montant attendu chaque anne (reprsente par la

    courbe) constitue ce quon appelle le rsidu annuel. Par construction, lasomme des rsidus de lensemble des annes est nulle, valeur nulle repr-

    1. Les donnes ayant servi de base pour llaboration des graphiques qui suiventainsi que les explications relatives aux aspects techniques figurent dans les an-nexes 1 et 2. Relevons encore trois choses importantes : premirement, dans legraphique 1 comme dans tous ceux qui suivent, les dpenses fdrales sont ex-primes en francs constants de 1917. Cest--dire que les montants nominaux deces dpenses ont t dflats laide de lindice des prix la consommation defaon annuler la part de leur croissance due la simple augmentation des prix.En second lieu, il faut prciser que la courbe prsente dans le graphique 1 est,de fait, quadratique. Mentionnons enfin que la modlisation a port unique-ment sur la structure globale, gnrale, des dpenses observes. Cela signifieque lauto-corrlation locale, vidente entre les dpenses dune anne uneautre, na pas t analyse, ne faisant pas partie de la problmatique discute ici.

    0

    1000

    2000

    3000

    4000

    5000

    6000

    7000

    8000

    1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990

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    sente par le trait horizontal dans les graphiques ci-dessous. En effet, puis-que la courbe construite dfinit une progression moyennetenant comptede lensemble des dpenses fdrales, les valeurs observes suprieures

    cette moyenne compensent les valeurs observes infrieures. En dautrestermes, si lon prend en considration la totalit des annes, les rsidus po-sitifs compensent les rsidus ngatifs, et la valeur moyenne des rsidus estdonc nulle.

    Il suffit maintenant de slectionner les rsidus des seules annes lecto-rales (les points figurant dans le graphique 2). Si le rsidu est positif, celasignifie que lanne lectorale en question a connu dans les faits une aug-mentation des dpenses fdrales suprieure celle laquelle on devaitsattendre sur la base de la totalit des annes retenues dans la priode

    considre. Bref, un rsidu positif indique que durant lanne lectorale enquestion, il sest effectivement produit une acclration, une augmenta-tion supplmentaire, des dpenses. Un rsidu ngatif tmoigne du con-traire, cest--dire dune dclration des dpenses. On peut galementcalculer la valeur moyenne des rsidus des annes lectorales, valeur quireprsente en quelque sorte la tendance gnrale de ces annes.

    Graphique 2 Rsidus, obtenus selon le modle statistique 1, des dpensesfdrales lors des 20 annes lectorales comprises entre 1917et 1993 (en millions de francs constants; base = 1917)

    Le graphique 2 prsente visuellement le rsultat obtenu partir de ce mo-dle. On constate que sur les 20 annes o des lections fdrales ont eu lieuentre 1917 et 1993, 13 prsentent un rsidu ngatif, cest--dire un ralentis-sement de la croissance des dpenses. En outre, la valeur moyenne des r-sidus des annes lectorales est ngative : elle se monte 44,4 millions de

    -800

    -600

    -400

    -200

    0

    200

    400

    600

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    1000

    1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990

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    francs (en francs constants de 1917).1

    Cela signifie que, durant les anneslectorales, la croissance des dpenses fdrales a t en moyenne infrieure ce quelle aurait t, selon ce modle, sil stait agi dannes normales .

    Afin dtayer la recherche, les mmes donnes ont t analyses en uti-lisant un second modle statistique (appel dsormais modle statistique2). Comme le montre le graphique 3, il sagit dun modle o le taux daug-mentation des dpenses par anne (en francs de 1917) est postul commeconstant durant toute la priode, do la prsence dune droite la placedune courbe. noter que ce taux constant est calcul en tenant comptenon seulement des valeurs respectives de la premire et de la dernireanne mais de toutes les annes comprises entre 1917 et 1993.

    Graphique 3 Reprsentation de lensemble des dpenses fdrales observesentre 1917 et 1993 par la droite selon le modle statistique 2 (enlogarithmes de millions de francs constants; base = 1917)

    Pour le reste, ce modle fonctionne comme le prcdent. Il dfinit desrsidus annuels, cest--dire des carts entre les valeurs observes dans lesfaits et les valeurs attendues pour chaque anne. Le graphique 4 prsenteles rsidus obtenus pour les seules annes lectorales.

    1. Pour le calcul de la moyenne des rsidus, cf. lannexe 3. Il est trs difficile dta-blir ce que ces 44,4 millions de francs de 1917 reprsentent en francs de 1997.Disons, pour donner un ordre de grandeur, quil sagit dun montant de lordredun milliard de francs de 1997.

    5.5

    6

    6.5

    7

    7.5

    8

    8.5

    9

    1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990

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    Graphique 4 Rsidus, obtenus selon le modle statistique 2, des dpensesfdrales lors des 20 annes lectorales comprises entre 1917et 1993 (en logarithmes de millions de francs constants; base

    = 1917)

    On observe que sur les 20 annes lectorales entre 1917 et 1993, 11 con-naissent un rsidu ngatif. Par ailleurs, la valeur moyenne des rsidus deces 20 annes est nouveau ngative (-.029 logarithme de millions defrancs constants de 1917).

    1

    Autrement dit, laugmentation des dpenses f-drales durant une anne lectorale a t en moyenne plus faible que cellelors dune anne normale .

    Les deux modles statistiques aboutissent donc des rsultats sembla-bles. Mais cette similitude est peut-tre due au fort biais introduit par lesvaleurs exceptionnelles enregistres durant la Seconde Guerre mondiale.

    Aussi ai-je effectu un test de comparaison des dpenses entre annes lec-torales et non lectorales mais, comme je lai signal plus haut, sur lesseules annes 1950-1993. Je nai utilis cette fois-ci que le modle statisti-que 1, par souci de brivet et parce quil me semble meilleur du point devue statistique.

    1. Cf. lannexe 4.

    -.6

    -.4

    -.2

    0

    .2

    .4

    .6

    .8

    1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990

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    Graphique 5 Rsidus, obtenus selon le modle statistique 1, des dpensesfdrales lors des 11 annes lectorales comprises entre 1950et 1993 (en millions de francs constants; base = 1917)

    Comme le montre le graphique 5, sur les 11 annes lectorales ayant eu

    lieu entre 1950 et 1993, 6 ont connu une dclration des dpenses. Enoutre, la valeur moyenne des rsidus des annes lectorales est ici aussingative : 48,6 millions de francs (en francs constants de 1917).

    1

    Reste un problme. Il se peut que lide de dpart, selon laquelle les d-penses tatiques sont accrues peu avant les lections, soit trop restrictive.Peut-tre les parlementaires desserrent-ils les cordons de la bourse fd-rale dans un dlai nettement plus long, en esprant que leur clientle engardera le souvenir jusquaux lections? En dautres termes : peut-tre cephnomne se produit-il durant les annes prlectorales, de telle sorte

    que la prise en compte de ces annes modifie compltement les rsultatsobtenus jusquici?

    Jai donc repris, dans le graphique 6, les valeurs dgages selon lemodle statistique 1 sur la priode 1917-1993, mais en examinant cette foisnon seulement les rsidus des annes lectorales mais aussi ceux desannes prlectorales.

    Cette nouvelle observation ne remet pas en cause les rsultats prcdents,bien au contraire. Sur 40 annes prises en compte, 27 connaissent des rsi-dus ngatifs (soit 13 annes lectorales et 14 prlectorales). Quant la

    valeur moyenne des 40 rsidus en question, elle est encore une foisngative : 30,6 millions de francs constants. Cette moyenne est un peu

    1. Cf. lannexe 5.

    -600

    -500

    -400

    -300

    -200

    -100

    0

    100

    200

    300

    400

    1950 1960 1970 1980

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    moins leve que dans le cas des seules annes lectorales. Cela signifie queles annes prlectorales se caractrisent galement par une dclration dela croissance des dpenses fdrales, mais une dclration moins forte que

    pour les annes lectorales (la valeur moyenne des rsidus des annes pr-lectorales slve -16,9 millions contre -44,4 millions pour les lectorales).1

    Graphique 6 Rsidus, obtenus selon le modle statistique 1, des dpensesfdrales lors des 40 annes lectorales et prlectorales comprisesentre 1917 et 1993 (en millions de francs constants; base = 1917)

    lissue de lexamen empirique qui vient dtre effectu, on peut donctirer une conclusion gnrale : les rsultats obtenus infirment lide selonlaquelle les perspectives lectorales donneraient un coup de fouet aux d-penses fdrales.

    2

    En fait, il semble bien quil se passe plutt le contraire :les parlementaires ralentiraient la croissance des dpenses en priode lec-torale. Sans vouloir suivre plus avant cette piste, ce qui constituerait une

    1. Cf. lannexe 6.2. Certes, les niveaux de signification obtenus pour chacune des quatre expri-

    mentations sont relativement faibles (cf. les annexes 3, 4, 5 et 6). Autrement dit,les diffrences observes entre priodes lectorales et non lectorales ne sontpas suffisamment nettes pour exclure compltement lhypothse que ces diff-rences sont simplement dues au hasard. Mais noublions pas que le schma ex-plicatif discut ici affirme lexistence dune liaison positive videnteentrepriodes lectorales et acclration de la croissance des dpenses. Une choseest claire : la liaison se trouvant en fait tre ngative, ce schma est infirm. Lasignificativit de cette liaison ngative tant faible, on ne peut toutefois pasconclure avec certitude quil existe une liaison inverse, cest--dire que les p-riodes lectorales entranent un ralentissement des dpenses.

    -800

    -600

    -400

    -200

    0

    200

    400

    600

    800

    1000

    1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990

    = annes lectorales

    = annes prlectorales

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    tude en tant que telle, notons cependant quelle parat nous rapprocherdu fonctionnement rel de la dmocratie parlementaire en Suisse. De ma-nire extrmement rapide et rudimentaire, disons que dans ce systme,

    dune part la droite domine trs largement les deux Chambres, dautrepart le soutien politique et financier de llite conomique augmente sen-siblement les chances dtre (r) lu. Or, ce soutien tend se porter davan-tage sur ceux qui se montrent partisans, en parole et en pratique, dune li-mitation du poids de ltat et dune gestion conome des deniers publics. cet gard, il est significatif quen mars 1995, alors que se profilent deslections fdrales lautomne 1995, le chef du Dpartement fdral desfinances apostrophe les reprsentants parlementaires des partis bourgeois,qui viennent de dposer une srie de motions exigeant du gouvernement

    de fortes rductions des dpenses, par ces mots : Avec vos motions[],vous pourrez vous prsenter devant vos lecteurs et leur dire : nous allonsconomiser.

    1

    Significatif galement le fait que la coalition des trois princi-paux partis bourgeois se prsentant aux lections cantonales de Zurich enmars 1995 ait inscrit au premier rang de son programme lectoral la pro-messe de rduire draconiennement les dpenses tatiques

    2

    , alors mmeque le dficit budgtaire zurichois se caractrise par sa modicit.

    Cependant, la vrification empirique du schma explicatif discut ici nepeut se limiter examiner les dpenses. Certes, la grande majorit des par-

    tisans dun tel schma mettent laccent sur le lien entre les seules dpenseset llectoralisme. Toutefois, en dpit du fait que la plupart ne dveloppentpas cet aspect, ou ne le mentionnent mme pas explicitement, ils partentde lide que les perspectives lectorales nagissent pas seulement du ctdes dpenses mais aussi du ct des recettes. Autrement dit, ils pensentque si de telles perspectives poussent les responsables politiques ouvrirle cordon de la bourse tatique, elles les incitent en mme temps bloquer,voire diminuer les impts, et donc les recettes de ltat. Par consquent,ils affirment quil existe une trs forte liaison positive entre priodes lec-

    torales et dficits budgtaires.Aussi ai-je soumis cet autre schma un examen empirique, en proc-dant comme dans les cas prcdents. Jai appliqu le modle statistique 1 la totalit des soldes annuels (diffrences positives ou ngatives entre lesrecettes et les dpenses) du compte financier de la Confdration, en pre-nant successivement les deux priodes de 1917-1993 et 1950-1993. Puis jaianalys les rsidus des seules annes lectorales et prlectorales.

    Cette analyse dgage une image moins claire que lorsquil sagissait desdpenses. Dans ce dernier cas, les rsultats allaient tous dans le mme

    sens, alors que dans celui des soldes budgtaires les rsultats vont dans un

    1. NZZ, 10 mars 1995.2. Cf. par exemple la NZZdu 27 janvier 1995.

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    sens contraire selon quil sagit des annes lectorales ou prlectorales.Avant dinterprter les rsultats relatifs aux soldes budgtaires, il faut ce-pendant prciser un point important. Sous langle temporel, linstrument

    de la pression fiscale est beaucoup plus approximatif que celui des dpen-ses. En dautres termes, les effets dune modification des impts sur les re-cettes, et donc sur le solde budgtaire, se font sentir avec un dlai quil esttrs difficile de dterminer avec prcision. Il est donc logique de penserque si cet instrument est utilis dans des vises lectoralistes, on cherche obtenir une rduction effective des impts dans une priode que lon nepeut prvoir avec exactitude mais qui se situe en gros avant les lections.Ds lors, les rsultats des annes prlectorales doivent tre, me semble-t-il, autant si ce nest davantage pris en considration que ceux des annes

    lectorales.

    1

    Voyons cela plus prcisment en examinant le graphique 7. Si lonprend exclusivement les 20 annes lectorales entre 1917 et 1993, 9 dentreelles prsentent des rsidus ngatifs, cest--dire une aggravation descomptes des finances fdrales, alors que 11 voient une clture des comp-tes meilleure que la normale. La valeur moyenne des rsidus est ngative,mais trs faiblement : -13,6 millions de francs constants de 1917. Autre-ment dit, les annes lectorales semblent plutt concider, en moyenne,avec une trs lgre dgradation de la situation budgtaire. Cependant,

    limage sinverse ds que lon tient compte des 20 annes prlectorales.Seules 5 de ces dernires connaissent une aggravation, alors que 15 se dis-tinguent par une amlioration de la situation financire fdrale. Quant la valeur moyenne des rsidus, elle est assez fortement positive :+99,4 millions de francs constants.

    2

    Ces rsultats sont confirms par le graphique 8 qui, afin dviter les biaisintroduits par la Seconde Guerre mondiale, analyse la priode 1950-1993.

    1. On pourrait certes objecter quil est suffisant de dcider une baisse des imptsdurant la priode lectorale pour modifier le comportement des lecteurs, sansque cette dcision produise des effets concrets avant mme les lections. Dansce cas, on devrait observer une liaison entre les deux annes postlectorales etune pjoration de la situation financire de la Confdration. Un coup dil lannexe 2 montre quune telle liaison est loin dtre tablie par les rsultats em-piriques. Sur les 20 annes qui suivent immdiatement lanne lectorale, 7seulement connaissent une pjoration des comptes de la Confdrations; et lavaleur moyenne des rsidus est lgrement positive. Quant aux 20 annes quise situent deux ans aprs lanne lectorale, 6 seulement se distinguent par unedgradation de la situation financire fdrale; en revanche, cette dgradationparat forte, en moyenne, puisque la valeur moyenne des rsidus est nettementngative. Aucune tendance nette ne se dgage donc des rsultats des annespostlectorales.

    2. Cf. lannexe 7.

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    Sur 11 annes lectorales, 7 connaissent une pjoration des finances fd-rales. La valeur moyenne des rsidus est clairement ngative : 55,5 mil-lions de francs constants de 1917. Mais limage sinverse nouveau

    lorsquon examine les 11 annes prlectorales. Parmi celles-ci, 8 se carac-trisent par une bonification de la situation financire de la Confdration.Et la valeur moyenne des rsidus est fortement positive : +120 millions defrancs constants.

    1

    Il nexiste donc aucun lien clairement tabli, sur le plan fdral, entre lesperspectives lectorales et la pjoration des comptes fdraux.

    2

    Si lon rsume maintenant lensemble de ce que nous venons de voir, onaboutit la conclusion suivante : lanalyse, notamment empirique, nesemble pas confirmer mais infirmer le schma selon lequel un facteur es-

    sentiel de la croissance des dpenses et de la rduction des recettes, et doncde lapparition corrlative des dficits budgtaires de ltat doit tre re-cherch dans le cycle lectoral lui-mme, cest--dire dans les caractristi-ques formelles de la dmocratie parlementaire. Dans le meilleur des cas,un tel modle ne joue qu la marge, comme une sorte de reflet dform dephnomnes beaucoup plus profonds, en particulier de lvolution desrapports de force conomiques, sociaux et politiques, du degr dautono-mie de ltat, de la structuration et de la composition de la bureaucratietatique, etc.

    3

    Une telle conclusion ne signifie pas pour autant que je nie

    linfluence du phnomne clientlaire, cest--dire de lutilisation de ltatet des entreprises publiques dans le but de crer des rseaux de fidlit etde dpendance dans la socit de march gnralis (comme dailleursdans toute socit de classe).

    4

    Mais le phnomne clientlaire est large-ment indpendant du rgime politique. Il peut exister aussi bien dans unedictature que dans une dmocratie parlementaire. Pour le comprendre, ilne faut donc pas se focaliser uniquement sur certains aspects formels du

    1. Cf. lannexe 8.2. Ce bilan est dautant plus justifi que les rsultats des tests de significativit ef-fectus sont nouveau faibles (cf. les annexes 7 et 8).

    3. Cest galement la conclusion qui ressort dune tude portant sur les dpenses,en particulier militaires, des tats-Unis entre 1949 et 1976; cf. Larry Griffin/

    Joel Devine/Michael Wallace, Monopoly Capital, Organized Labor, and Mi-litary Expenditures in the United States, 1949-1976 ,American Journal of Socio-logy, Vol. 88 (supplment), 1982, pp. 136-138, ainsi que dune tude centrecette fois-ci sur les dpenses, en particulier sociales, de dix-huit pays delOCDE entre 1960 et 1982; cf. Alexander Hicks/Duane Swank, Politics, Ins-titutions, and Welfare Spending in Industrialized Democracies, 1960-1982 ,

    American Political Science Review, Vol. 86, 1992, pp. 660 et 668.4. Sur le clientlisme, cf. notamment David Blackburn/Geoff Eley, The Peculiari-

    ties of German History. Bourgeois Society and Politics in Nineteenth-Century Ger-many, New York/Oxford, 1984, pp. 151 ss.

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    rgime politique, comme le fait le modle explicatif discut ici, mais il fautdescendre jusquaux fondements structurels de la socit.

    Comment se fait-il alors quun modle si peu pertinent soit rpandu

    avec une telle opinitret et bnficie dune telle reconnaissance et dunetelle diffusion? Premier lment de rponse, ce schma permet de mettrele doigt sur et de stigmatiser les alliances htroclites et passagres, y com-pris de nature clientlaire, auxquelles le systme parlementaire donne par-fois lieu. De telles alliances de reprsentants de groupes sociaux diffrents(notables rgionaux et locaux, petite-bourgeoisie, paysannerie, voire sec-teurs du mouvement ouvrier, etc.) peuvent dcider de nouvelles tchestatiques, entranant ainsi des dpenses qui, dans loptique des secteursdominants de lconomie, nont pas seulement le dfaut daugmenter les

    risques dun alourdissement de la fiscalit mais surtout de ne pas corres-pondre leurs propres intrts. Or, comme lexplique lconomiste HeinerKleinewefers, mme lorsque de telles alliances se rompent ultrieurement,il savre que des engagements pris une fois ne peuvent plus tre dmantels ouextrmement difficilement ,

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    car ils tendent acqurir une certaine lgiti-mit. Toutefois, limportance relle de ce phnomne est relativement fai-ble, de telles coalitions demeurant gnralement rares et bnignes. Lapreuve en est que, comme le montre A. Cowart sur la base dobservationsempiriques, les modifications apportes par les parlementaires aux projets

    de budget restent la plupart du temps dans des limites restreintes.

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    Aussi la vritable cl du succs du modle que nous venons dexaminerrside-t-elle ailleurs. Un tel schma a le gros avantage dtre simple. Il sebase sur un lieu commun, savoir que dans une dmocratie parlemen-taire, les lections influencent le comportement des responsables politi-ques. Mais au lieu de pousser ensuite lanalyse plus loin, jusque dans ledomaine des soubassements structurels de la dmocratie parlementaire,ce qui impliquerait le risque permanent de dboucher sur le dvoilementcritique de ses fondements de classe, il reste la superficie et se contente

    de dsigner des coupables facilement identifiables. Aussi remplit-il dansloptique des strates sociales dominantes une fonction idologique trs

    1. Heiner Kleinewefers et al., Die schweizerische Volkswirtschaft. Eine problemorien-tierte Einfhrung in die Volkswirtschaftslehre, Frauenfeld, 1993, p. 405. releverquon touche ici nouveau la question du frein aux dpenses (Ausgaben-

    bremse). Si le Vorort a exerc une trs forte pression sur les Chambres, allantjusqu menacer de lancer une initiative, pour quelles adoptent une telle me-sure, cest bien sr dabord en raison de ses vertus sur le plan idologique : con-forter lide que lorigine essentielle des dficits rside dans lattitudeirresponsablement dpensire des parlementaires et accentuer ainsi la lgiti-mit dune politique axe sur les seules conomies budgtaires. Mais cest aussidans lobjectif dentraver la formation du type dalliances cites ci-dessus; cf.la NZZdes 10-11 septembre 1994 et du 19 janvier 1995.

    2. A. Cowart, The Economic Policies , op. cit., p. 429.

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    utile.1

    Il alimente limage des pouvoirs publics comme dilapidateurs delargent des contribuables. Il contribue ainsi entretenir lgard de la po-litique de ltat dans les domaines conomique, financier et social un r-

    flexe demble hostile, rflexe qui constitue un terreau particulirement fa-vorable la stratgie nolibrale. Ainsi, les mesures de privatisation sevoient-elles dotes dune sorte de caution scientifique, ce qui renforce biensr leur lgitimit. De mme, si la croissance des dpenses tatiquesdepuis trs longtemps ne correspond pas, ou peu, au dveloppement debesoins sociaux engendrs par le fonctionnement mme du systme so-cial, mais provient beaucoup plus du comportement clientlaire de res-ponsables politiques en mal de popularit, il va de soi que de telles dpen-ses doivent tre remises en question. Do une certaine lgitimit aux

    mesures dites daustrit, travers lesquelles toute une srie de conqutesdes classes non bourgeoises, en particulier celles des travailleurs salaris,peuvent tre ronges.

    1. Cest dailleurs le cas de lensemble des modles issus du courant du PublicChoice . Ceux-ci se caractrisent par une approche trs normative, dans la-quelle les normes ne sont pas implicitement contenues en tant que jugementsde valeur mais figurent souvent la fois comme points de dpart de lanalyseet comme objectifs atteindre. Une telle approche normative est dfendue parlun des pres du Public Choice , J. Buchanan. Rsumant son orientation,

    il crit quil a essay daller prcautionneusement mais fermement dans la direc-tion dune comprhension et dune valuation normatives, de dpasser lanalyse duseul fonctionnement des rgles pour en arriver dterminer quelles sont les meilleuresrgles de fonctionnement; James Buchanan, From Private Preferences to Pu-

    blic Philosophy : The Development of Public Choice , in J. Buchanan et al., TheEconomics, op. cit., p. 16 [soulign dans le texte]. Le passage suivant, tir delintroduction mthodologique dun article intitul La taille du budget endmocratie , constitue une autre illustration significative de la dimension for-tement normative de la dmarche du Public Choice : Dans ce papier, nouslaborons notre propre conception de ce quest un budget correct en le drivant duneanalyse cots-bnfices. Utilisant notre concept de budget correct comme point de d-

    part, nous procdons ensuite lanalyse du rsultat du processus dmocratique sur lebudget. [] Nous avons dcouvert que mme dans des conditions de connaissance par-faite des cots et des bnfices, le budget en dmocratie est plus volumineux que le bud-get normal; Ronnie Davis/Charles Meyer, Budget Size in Democracy , inJ. Buchanan/R. Tollison, Theory of Public Choice. Political Applications of Econo-mics, Ann Arbor, 1972, pp. 266-267. La fonction politico-idologique du courantdu Public Choice apparat de manire vidente. Elle est dailleurs mise envidence par un auteur trs proche de ce courant de pense : Buchanan est lar-

    gement lhomme qui a dmystifi ltat, celui qui a apport la critique librale deltat contemporain les arguments thoriques et la lgitimit scientifique qui, dun cer-tain point de vue, lui faisaient jusque-l dfaut et il est donc lun de ceux sansluvre desquels la Rvolution conservatrice des annes quatre-vingt naurait pro-bablement jamais vu le jour; Henri Lepage, introduction au livre de James Bu-chanan, Les limites de la libert entre lanarchie et le Lviathan, Paris, 1992,pp. XXIII et XXV.

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    2.3 Aux sources de la crise financire de laConfdration suisse

    Aprs cette critique du modle dinterprtation dominant de la crise fi-nancire de ltat, jaimerais prsenter lanalyse qui me semble la plus apte comprendre un tel phnomne, ou en tout cas ouvrir les cheminsmenant cette comprhension. Au pralable, quelques prcautions sav-rent ncessaires. Ainsi, il me faut souligner que lapproche en questionsoulve des problmes thoriques et historiques extrmement complexes.Elle a suscit et suscite toujours une trs abondante littrature et un nonmoins vaste dbat. Les pages qui vont suivre ne prtendent en aucune ma-

    nire prsenter et discuter de faon approfondie cette analyse mais seule-ment restituer de faon schmatique ses principaux lments, en mettantparfois laccent sur des aspects qui me paraissent particulirement im