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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL IMPACT DE LA CULTURE SUR L'INTÉGRATION TECHNOLOGIQUE ET L'INNOVATION: CAS DU SECTEUR AGROALIMENTAIRE QUÉBÉCOIS THÈSE PRÉSENTÉE COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN ADMINISTRATION PAR LAMIA KERZAZI AVRIL 2010

Impact de la culture sur l'intégration technologique et l'innovation

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  • UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL

    IMPACT DE LA CULTURE SUR L'INTGRATION TECHNOLOGIQUE ET L'INNOVATION: CAS DU SECTEUR AGROALIMENTAIRE QUBCOIS

    THSE PRSENTE

    COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN ADMINISTRATION

    PAR LAMIA KERZAZI

    AVRIL 2010

  • UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL Service des bibliothques

    Avertissement

    La diffusion de cette thse se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a sign le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles suprieurs (SDU-522 - Rv.1-26). Cette autorisation stipule que conformment l'article 11 du Rglement no 8 des tudes de cycles suprieurs, [l'auteur] concde l'Universit du Qubec Montral une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalit ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pdagogiques et non commerciales. Plus prcisment, [l'auteur] autorise l'Universit du Qubec Montral reproduire, diffuser, prter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entranent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] [ses] droits moraux ni [ses] droits de proprit intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la libert de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possde un exemplaire.

  • mes prcieux parents

    mes chers Slimane et Aymane

    mes adorables Sami et Rabia

  • REMERCIEMENTS

    Je tiens tout d'abord remercier Monsieur Mehran Ebrahimi, professeur au

    dpartement de Management et Technologie l'UQAM, pour m'avoir oriente et

    appuye depuis que mon entre au programme de doctorat tait encore un projet, et

    pour avoir ensuite accept de me diriger dans la rdaction de cette thse.

    Ensuite, je dois remerCIer madame Anne-Laure Saives, professeure au

    dpartement de Management et Technologie l'UQAM, qui m'a beaucoup aide

    dans ma recherche, travers sa grande disponibilit et ses prcieux conseils, et m'a

    toujours motive pousser ma rflexion tout au long de mon projet de thse. Son

    encadrement m'a t d'une valeur inestimable pour l'accomplissement de cette tude

    mais galement pour le perfectionnement de mes capacits de recherche et mes

    habilets de communication.

    Merci galement au MAPAQ (programme de recherche technologique en

    bioalimentaire) qui a financ le projet de l'tude, ainsi qu'aux directeurs et

    responsables des entreprises agroalimentaires qubcoises, qui ont accept de

    participer aux entrevues et de rpondre gnreusement nos divers

    questionnements.

    Je remercie galement les membres du jury qui ont accept de lire et de

    commenter ce travail, ainsi que l'ensemble des professeurs pour la qualit des cours

    reus durant ma scolarit.

    Mes remerciements les plus sincres mes parents adorables, qui m'ont

    toujours entoure de leur tendresse, et m'ont particulirement soutenue moralement

  • IV

    pour la ralisation de ce travail. Cette thse n'aurait pu voir le jour sans l'ducation

    quilibre que vous m'avez donne, et sans votre amour inconditionnel.

    Je remercie galement mon cher mari Slimane, d'abord pour ses prcieux

    conseils, qui m'apportaient beaucoup d'assurance chaque fois que j'avais des

    questionnements, ensuite pour sa patience lorsque mes tudes me prenaient

    beaucoup de mon temps, et enfin pour sa tendresse et son grand soutien. Finalement,

    je remercie mon prcieux bijou Aymane dont la naissance a illumin ma vie et m'a

    motive travailler davantage.

  • TABLE DES MATIRES

    LISTE DES FIGURES x

    LISTE DES TABLEAUX xiv

    LISTE DES ABRVIATIONS xvi

    RSLTM xvii

    RESUME xviii

    INTRODUCTION 1

    PREMIRE PARTIE: PARTIE THORIQUE 5

    CHAPITRE l DIMENSION THORIQUE DE LA CULTURE 6

    1.1 Revue de littrature de la culture 6

    1.1.1 Dfinitions de la culture: deux approches 6

    1.1.2 Perspectives de la culture: cinq perspectives Il

    1.1.3 Culture et mondialisation: trois thses 11

    1.1.4 Hirarchie et niveaux de la culture............ 12

    1.1.5 La culture: d'une approche isole une approche englobante 27

    1.1.6 Les caractristiques du milieu local 31

    1.2 Positionnement de la recherche 39

    1.3 Dfinition retenue de la culture 40

    CHAPITRE II DIMENSION THORIQUE DE LA TECHNOLOGIE ET DE L'INNOVATION 41

    2.1 Revue de littrature sur la technologie 43

    2.1.1 La technologie et l'intgration technologique - dfinitions 43

    2.1.2 La technologie dans les courants conomiques et les sciences sociales 45

    2.1.3 La technologie dans les organisations: une approche managriale 58

    2.1.4 Dfinition retenue de la technologie 61

  • VI

    2.2 Revue de littrature sur l'innovation 62

    2.2.1 Dfinition gnrale de l'innovation 62

    2.2.2 L'innovation selon la thorie des clusters 63

    2.2.3 Les systmes rgionaux et nationaux d'innovation 64

    2.2.4 Dfinition retenue de l'innovation 68

    2.3 Conclusion 69

    2.4 Positionnement de la recherche 69

    CHAPITRE III DIMENSION THORIQUE DE L'IMPACT DE LA CULTURE SUR LA TECHNOLOGIE ET L'INNOVATION 70

    3.1 Impact de la culture sur la technologie 70

    3.2 Impact de la culture sur l'innovation 80

    3.3 Conclusion: limites et ncessit de la contextualisation de la culture 83

    3.4 Effet contextualis de la culture: culture, milieu et technologie-innovation 84

    3.4.1 Facteurs culturels affectant la technologie et l'innovation 84

    3.4.2 Le secteur agroalimentaire : un secteur intrinsquement

    dfavorable l'innovation? 89

    3.5 Apports et limites de la recherche par rapport la littrature actuelle 90

    CHAPITRE IV APERU DE LA TECHNOLOGIE ET DE L'INNOVATION DANS LE SECTEUR AGROALIMENTAIRE QUBCOIS 92

    4.1 Secteur agroalimentaire : dfinition 92

    4.2 Secteur agroalimentaire qubcois: profil conomique 92

    4.3 Aperu de l'innovation technologique et par produit dans le secteur lmen aIre que ecols agroal t' 'b" . 94

    4.3.1 Les gouvemements 94

    4.3.2 Les centres de recherche & dveloppement et les universits 95

    4.3.3 Les entreprises 96

  • vii

    4.4 Rcapitulation des forces et faiblesses de l'innovation dans le secteur 1 .agroa Imentm 'b" . 97re que ecOls

    4.5 Conclusion: motivations du choix du secteur agroalimentaire qubcois comme terrain d'tude 97

    CHAPITRE V PROBLMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE 99

    5.1 Construction de la problmatique de recherche 99

    5.2 Les questions de recherche 100

    CHAPITRE VI MODLE THORIQUE PRLIMINAIRE 103

    6.1 Introduction au modle thorique 103

    6.1.1 Influences culturelles larges: trois niveaux d'analyse 104

    6.1.2 Approche systmique du milieu 105

    6.1.3 Conclusion: positionnement thorique du modle conceptuel 106

    6.2 Le modle thorique 106

    6.3 Conclusion 108

    DEUXIME PARTIE: PARTIE PRATIQUE 110

    CHAPITRE VII CADRE MTHODOLOGIQUE III

    7.1 Dfinition du design de la recherche III

    7.1.1 Cadre de la recherche III

    7.1.2 Mthodologie de la recherche................................... 112

    7.1.3 Instrument de recherche............................................................................. 113

    7.1.4 Stratgie d'chantillonnage 115

    7.2 Collecte de donnes..................... 118

    7.2.1 Sources de donnes documentaires 119

    7.2.2 Entrevues 120

    7.2.3 Observation 123

  • Vll1

    7.3 Critres de rigueur scientifiques de la recherche 125

    7.3.1 La validit de la recherche 125

    7.3.2 La fidlit de la recherche 128

    CHAPITRE VIII ANALYSE DES DONNES ET PRSENTATION DES RSULTATS 132

    8.1 Prsentation des logiciels utiliss 133

    8.1.1 Introduction aux logiciels et leur pertinence 133

    8.1.2 Le logiciel Alceste 136

    8.1.3 Le logiciel SPSS 13 8

    8.1.4 Le logiciel SPAD 139

    8.1.5 Conclusion 140

    8.2 Une analyse interprtative, d'ordre mique et d'inspiration constructiviste 140

    8.3 Analyse des rsultats 143

    8.3.1 Analyses linguistique Alceste 143

    8.3.2 Analyses de rgression SPSS 232

    8.3.3 Analyse multifactorielle SPAD 243

    CHAPITRE IX ANALYSE ET DISCUSSION DES RSULTATS 330

    9.1 Analyse des rsultats 331

    9.1.1 Cluster 1 : les imitateurs combattants........................................................ 331

    9.1.2 Cluster 2 : les innovateurs artistes 339

    9.1.3 Cluster 3 : les manufactures globalises 342

    9.1.4 Cluster 4 : les figures nationales 354

    9.1.5 Rcapitulatif des points forts et des points pathologiques des quatre clusters 362

  • IX

    9.2 Discussion des rsultats 365

    9.2.1 Culture-Technologie-Innovation: Diffrentes coles pour diffrents c1usters 380

    9.2.2 Les figures nationales: perspective glocalise, approche post-industrielle, lien C-T-1 nouveau 392

    9.2.3 Enjeux managriaux de la glocalisation 395

    9.2.4 Implications conceptuelles du concept de glocalisation sur le lien Culture-Technologie-Innovation 397

    9.2.5 Conclusion: Fondements conomiques et fondements stratgiques des quatre modles Culture-Technologie-Innovation 400

    CHAPITRE X CONTRIBUTIONS, LIMITES ET VOIES DE RECHERCHE FUTURES 411

    10.1 Contributions 411

    10.1.1 Contributions acadmiques 411

    10.1.2 Contributions mthodologiques 421

    10.1.3 Implications pratiques 422

    10.2 Limites et voies de recherches futures 427

    CONCLUSION 431

    APPENDICES 433

    RFRENCES 468

  • LISTE DES FIGURES

    Figure Page

    2.1 Thorie de l'Action Raisonne (TAR) 59

    2.2 Modle d'Acceptation de la Technologie (MAT) 60

    6.1 Modle conceptuel de la culture, technologie et innovation 107

    8.1 Traitement thmatique textuel du thme influences supranationales ..... 146

    8.2 Projection des mots du thme influences supranationales analyss ....... 147 sur le plan 1 2

    8.3 Traitement thmatique textuel du thme influences nationales 152

    8.4 Projection des mots du thme influences nationales analyss 153 sur le plan 1 2

    8.5 Traitement thmatique textuel du thme influences rgionales 158

    8.6 Projection des mots du thme influences rgionales analyss 159 sur le plan 1 2

    8.7 Traitement thmatique textuel du thme influences sectorielles 164

    8.8 Projection des mots du thme influences sectorielles analyss 165 sur le plan 1 2

  • Xl

    8.9 Traitement thmatique textuel du thme influences organisationnelles 171

    8.10 Projection des mots du thme influences organisationnelles analyss sur le plan 1 2 172

    8.11 Traitement thmatique textuel du thme Influences professionnelles. 179

    8.12 Projection des mots du thme influences professionnelles analyss .. 180 sur le plan 1 2

    8.13 Traitement thmatique textuel du thme culture locale 184

    8.14 Projection des mots du thme culture locale analyss 185 sur le plan 1 2

    8.15 Traitement thmatique textuel du thme structure 191

    8.16 Projection des mots du thme structure analyss sur le plan 1 2 ........ 192

    8.17 Traitement thmatique textuel du thme institutions 198

    8.18 Projection des mots du thme institutions analyss sur le plan 1 2 .... 199

    8.19 Traitement thmatique textuel du thme ressources matrielles .......... 205

    8.20 Projection des mots du thme ressources matrielles analyss 206 sur le plan 1 2

    8.21 Traitement thmatique textuel du thme ressources immatrielles ..... 213

  • Xli

    8.22 Projection des mots du thme ressources immatrielles analyss ...... 214 sur le plan 1 2

    8.23 Traitement thmatique textuel du thme technologie et innovation .... 221

    8.24 Projection des mots du thme technologie et innovation analyss ..... 222 sur le plan 1 2

    8.25 Projection de l'espace multifactoriel en deux dimensions 245

    8.26 Carte factorielle des 7 clusters 292

    8.27 Carte factorielle des 4 c1usters 329

    9.1 Application du modle conceptuel au cluster 1 336

    9.2 Application du modle conceptuel au cluster 2 343

    9.3 Application du modle conceptuel au cluster 3 350

    9.4 Application du modle conceptuel au cluster 4 360

    9.5 Philosophies d'action de quatre modles Culture-Technologie- 402 Innovation

    9.6 Fondements stratgiques de quatre modles Culture-Technologie- 406 Innovation

    A.I Les acteurs principaux du systme de recherche et de dveloppement 435 scientifique et technologique en appui en secteur agroalimentaire au Qubec

  • Xlll

    A.2 Proportion des entreprises rencontres en rgions versus entreprises 438 rencontres Montral

    A.3 Regroupement type des entreprises en clusters 439

    A.4 Classification descendante hirarchique en classes 444

    A.5 Cas illustratif du prsuppos de normalit des observations pour la 464 variable ouverture aux marchs internationaux

  • LISTE DES TABLEAUX

    Tableau Page

    7.1 Caractristiques saillantes des firmes de l'chantillon 118

    8.1 Rcapitulatif des thmes Alceste, des classes des discours et du 228 poids de chaque classe

    8.2 Rsum des variables culturelles, structurelles, institutionnelles 235 matrielles et immatrielles affectant significativernent les variables technologiques

    8.3 Rsum des variables culturelles, structurelles, institutionnelles 236 matrielles et immatrielles affectant significativement les variables d'innovation

    8.4 Rcapitulatif des caractristiques des trois clusters d'imitateurs 295

    8.5 Rcapitulatif des caractristiques des deux clusters d'innovateurs 302

    8.6 Rcapitulatif des caractristiques de chaque cluster selon SPAD 326

    9.1 Rcapitulatif des points forts et des points pathologiques par cluster 364

    A.l Caractristiques teclmiques des entreprises rpondantes 442

    A.2 Dfinitions des variables de la base de donnes 447 rsultant des analyses Alceste

  • xv

    A.3 Tableau comparatif des forces et faiblesses de quatre 458 logiciels d'analyse qualitative

    A.4 Correspondance entre classes Alceste et items de la base de donnes 459

  • LISTE DES ABRVIATIONS

    APIA Alliance Pour l'Innovation en Agroalimentaire

    AAC Agriculture et Agroalimentaire Canada

    CAAAQ Commission sur l'Avenir de l'Agroalimentaire et de l'Agriculture au Qubec

    CFAM Centre de Formation Agricole de Mirabel

    CRDA Centre de Recherche et Dveloppement sur les Aliments

    CRDBL Centre de Recherche et de Dveloppement sur le Bovin Laitier et le porc

    CRDH Centre de Recherche et de Dveloppement en Horticulture

    CRDSGC Centre de Recherche et de Dveloppement sur les Sols et les Grandes Cultures

    GREMI Groupe de Recherche Europen sur les Milieux Innovateurs

    ITA Institut de Technologie Agroalimentaire

    MAPAQ Ministre de l'Agriculture, des Pcheries et de l'Alimentation du Qubec

    OMC Organisation Mondiale du Commerce

    PASCAA Programme pour l'avancement du secteur canadien de l'agriculture et de l'agroalimentaire

  • RSUM

    La problmatique du prsent travail porte sur les effets de la culture sur l'intgration technologique et l'innovation dans les organisations agroalimentaires qubcoises. Diffrentes approches ont tent de mettre en vidence les facteurs faonnant les technologies et l'innovation. La thorie des clusters, par exemple, attribue la sophistication technologique et innovatrice diffrents facteurs comme la spcialisation des actifs, les externalits et interactions locales engendrant des flux d'ides d'innovation. La littrature sur les systmes rgionaux et nationaux d'innovation insiste sur l'importance centrale que revtent ces systmes dans l'innovation, notamment du fait des interactions technique, commerciale, juridique, sociale ou financire entre les institutions prives ou publiques, les universits et agences gouvernementales les composant, dans l'objectif de produire de la science et de la technologie. Les deux littratures prcdentes sont intressantes mais n'abordent pas de faon approfondie le rle du facteur culturel dans les processus technologiques et novateurs des firmes. La littrature sur les milieux innovateurs, quant elle, reconnat la prsence de la culture comme une caractristique de tout milieu, mais la relgue un second plan pour l'explication des choix technologiques et d'innovation, derrire des facteurs d'ordre purement matriel et cognitif. l'autre extrme, des travaux s'inscrivant dans l'approche culturelle par dimension de G. Hofstede (1980, 1991), se focalisent sur le rle de la culture dans l'intgration technologique et l'innovation, mais restent galement rducteurs. En effet, ils ngligent le rle d'autres variables contextuelles, limitent l'tude de la culture un seul niveau d'analyse (culture organisationnelle par exemple) et ignorent par ailleurs ses interactions avec son contexte plus large. Par consquent, dans le prsent travail, on adopte une approche constructiviste, reconnaissant la complexit du concept de la culture, pour analyser comment ce construit multidimensionnel interagit avec des lments structurels et institutionnels du milieu pour faonner les comportements technologiques et novateurs des firmes.

    Nous avons effectu 64 entrevues individuelles qualitatives ouvertes avec des dirigeants et responsables d'entreprises agroalimentaires qubcoises, rparties dans trois rgions du Qubec diffrents degrs de ruralit. Le secteur agroalimentaire qubcois a t choisi comme terrain d'tude, car selon plusieurs travaux et mmoires destins rcemment la CAAAQ, il s'agit d'un secteur priodiquement en crise d'innovation, o les dpenses en recherche et dveloppement sont faibles par rapport aux autres secteurs, et o la culture d'innovatio"n semble peu prsente.

    Nous avons identifi quatre archtypes de configurations cultliretechnologie-innovation , partir d'une typologie des comportements technonovateurs de ces firmes. Ils permettront une conception cible de mesures publiques d'accompagnement du dveloppement de ce secteur au Qubec.

    Mots cls: Culture, intgration technologique, technologie, innovation, organisation, milieu, secteur agroalimentaire qubcois.

  • RESUME

    The main objective of this research is to analyze the effect of culture on technology and innovation in Quebec' s agri-food organizations. Many attempts have been made in the past to identify 1he factors that shape technology and innovation in these firms. As an example, the theory of clusters attributes technological sophistication and innovation to various factors such as the specialization of assets, extemalities and local interactions as the origin of innovative ideas. The literature on national and regional systems of innovation emphasizes the fundamental role of these systems on innovation, most notably the fact that the technical, commercial, judiciary, social or financial interactions between private or public organizations, universities, and govemment agencies that constitute them generate science and technology. Both literatures are interesting to understand the factors that shape technology and innovation. However, they tend to neglect the cultural factor. On the other hand, the literature on "innovative milieus" recognizes the concept of culture as a feature of every "milieu". Culture, however, is secondary, behind factors such as cognitive and material resources, when the time cornes to explain innovation and technology.

    At the other extreme, numerous researches based on the cultural approach by Hofstede (1980, 1991) focus on the role of culture in technology integration and innovation. However, culture tends to be somewhat reduced to one dimension (organisational culture, for example). Moreover, these works neglect other contextual variables such us institutions and exchange flows taking place into the firm's environment.

    Consequently, we adopt a constructivist approach which recognizes the complexity of the concept of culture, in order to analyse how this variable interacts with structural and institutional components of the milieu so as to shape technological and innovative behaviour in these firms.

    We conducted 64 individual interviews with top management and executive directors of agri-food organizations, located in three regions of Quebec at different degree of rurality. The agri-food industry was chosen because nurnerous studies recently submitted to the CAAAQ point out that this sector is currently undergoing a significant innovation crisis. In fact, there is a lack of a culture which values innovation within this industry. As such, research and development expenditures are low compared to other sectors.

    We have identified four archetypal models of the configuration "culturetechnology-innovation" from a typology oftechno-innovative behaviour in Quebec's agri-food organizations. These can facilitate the design of specific public policies oriented to foster the developmen1 ofthis industry in Quebec.

  • INTRODUCTION

    Le prsent travail a pour objectif d'analyser l'impact de la culture sur

    l'intgration technologique et l'innovation dans le secteur agroalimentaire

    qubcois. Il s'inscrit dans un projet d'tude plus large, mandat par le Ministre de

    l'Agriculture, des Pcheries et de l'Alimentation du Qubec, et intitul Scruter

    l'ancrage territorial et la responsabilit sociale des entreprises bioalimentaires

    qubcoises l'aide des types de gouvernance exercs et des modles d'affaire

    dploys . Ce projet a t men au sein d'une quipe multidisciplinaire, constitue

    notamment de trois professeurs, une tudiante au doctorat, deux tudiants de

    matrise et un professionnel de recherche.

    L'objectif de notre travail l'intrieur de ce projet tait de profiter de

    l'aspect pluridisciplinaire, de la richesse et de la synergie amene par le travail en

    quipe d'une part, et d'apporter en change une contribution concernant

    l'environnement culturel des organisations agroalimentaires qubcoises, et son

    impact sur les technologies adoptes et les comportements d'innovation.

    L'intrt pour le domaine de la culture ne date pas du prsent travail. En

    effet, il est n depuis notre projet de recherche de matrise, o nous avions eu

    l'occasion d'tudier ce concept dans sa dimension collectiviste versus individualiste

    (Hofstede, 1980, 1991). Cependant, la recherche ayant t mene l'poque de

    manire hypothtico-dductive, certaines questions sont demeures sans rponse, et

    une impression d'tre passe ct d'un concept beaucoup plus riche et intense que

    les rsultats ne le laissaient croire, nous a motiv poursuivre l'exploration de ce

    champs, mais cette fois-ci de manire inductive et constructiviste. Aussi, l' obj ectif

    de ce travail est-il de laisser merger le sens et les dimensions de la culture, et non

    de les encapsuler l'avance dans un cadre prdetermin.

  • 2

    Avoir l'opportunit de creuser le lien entre ce concept de culture d'une part,

    et de technologie et d'innovation d'autre part, nous a paru d'un grand intrt. En

    effet, on s'inscrit dans la perspective reconnaissant l'importance du rle jou par des

    facteurs non techniques (sociaux, culturels, attitudinaux) dans les processus

    technologiques et d'innovation. On a retenu le secteur agroalimentaire qubcois

    comme terrain de recherche et de collecte d'informations pour au moins trois

    raisons. D'abord, il s'agit d'un secteur complexe et trs htrogne, que ce soit en

    termes de taille d'entreprises ou de leur capacit innover. Or, peu d'tudes ont

    tent par le pass de creuser le lien spcifique culture-technologie-innovation dans

    ce secteur. Par ailleurs, en termes de technologie et d'innovation, divers travaux et

    mmoires destins rcemment la CAAAQ, montrent qu'il s'agit d'un secteur

    priodiquement en crise d'innovation, o les dpenses en recherche et

    dveloppement sont faibles par rapport aux autres secteurs, et o la culture

    d'innovation semble peu prsente. En dernier lieu et non le moindre, le choix du

    secteur dcoule du type de mandataire de la recherche, savoir le Ministre de

    l'Agriculture, Pcheries et Alimentation du Qubec (MAPAQ). Cet acteur

    s'intresse la comprhension des enjeux et des contraintes auxquelles font face les

    firmes agroalimentaires qubcoises, ainsi que des opportunits qui pourraient tre

    exploites pour faire avancer le secteur.

    Enfm, jugeant intressant d'enrichir le cadre conceptuel, comme cit

    prcdemment, et de ne pas encapsuler le concept de culture dans une dimension

    restreinte, on se propose de l'tudier en interrelation avec diffrents autres lments

    sans lesquels son rle perd sa pertinence. Aussi, s'intresse-t-on aux composantes

    structurelles et institutionnelles avec lesquelles la culture est en relation systmique,

    et qui participent conjointement du faonnement des processus technologiques et

    d'innovation dans les organisations.

  • 3

    Par consquent, on se propose dans le prsent travail d'apporter des lments

    de rponse la problmatique suivante: Comment le contexte culturel interagit

    avec les caractristiques structurelles et institutionnelles du milieu, pour

    faonner l'intgration technologique et l'innovation dans les entreprises

    agroalimentaires qubcoises? .

    Dans un premIer chapitre, nous prsentons une revue de la littrature de

    recherche sur la culture. On exposera les diffrents courants thoriques qui

    s'intressent ce concept, puis on prsentera les perspectives dans lesquelles on se

    positionne dans le prsent travail et l'on expliquera pourquoi.

    Dans un second chapitre, on examinera les concepts et modles thoriques de

    la technologie et de l'innovation, et on prsentera leur conception dans diffrents

    courants conomiques et thories sociales. Cette dmarche nous permettra, la fin

    de ce travail, d'insrer ventuellement les diffrents liens entre culture d'une part, et

    technologie/innovation d'autre part, dans les philosophies d'action et les

    perspectives de gestion, selon les caractristiques qu'ils reprsentent chacun.

    Ensuite, on prsentera la fin de ce chapitre les dfinitions auxquelles on adhre

    dans le prsent travail.

    Dans un troisime chapitre, on prsentera la littrature sur le lien entre la

    culture d'une part, et l'intgration technologique et l'innovation d'autre part.

    L'objectif est d'en reprer les apports intressants d'une part, mais aussi d'en

    identifier les volets peu creuss, afin de s'y intresser dans notre recherche sur le

    terrain. Dans un quatrime chapitre, on prsentera le terrain d'tude, savoir le

    secteur agroalimentaire qubcois. On abordera ses caractristiques et ses diffrents

    enjeux relatifs l'intgration technologique et l'innovation, qui expliquent son

    choix comme terrain d'analyse.

  • 4

    En s'inspirant de la littrature sur la culture, la technologie et l'innovation,

    ainsi que des enjeux et dfis du secteur agroalimentaire qubcois, on tentera de

    construire dans les deux chapitres suivants la question de recherche et un modle

    conceptuel prliminaire pennettant d'y rpondre. Ce modle prsentera des lments

    intressants inspirs de la littrature, mais s'intressera galement aux lments

    relativement ngligs.

    On passera par la suite la phase pratique, o il s'agira d'introduire la

    mthodologie poursuivie pour nourrir le modle conceptuel partir des donnes du

    terrain (chapitre 7). Ensuite, on prsentera les mthodes d'analyse des rsultats ainsi

    que les rsultats obtenus dans le chapitre 8. On passera la discussion des rsultats

    dans le chapitre 9. On y fera le lien entre la littrature examine en dbut de ce

    travail, mais on explorera galement d'autres littratures sur les concepts importants

    qui auront merg la fin de cette recherche. L'aboutissement de ce travail y sera

    schmatis sous la forme de deux figures, la premire intgrant les diffrents liens

    culture-technologie-innovation identifis dans diffrentes philosophie d'action,

    et la seconde les intgrant dans diffrentes perspectives stratgiques. On conclura ce

    travail par la prsentation des contributions et limites de l'tude, puis on exposera les

    voies de recherche intressantes creuser dans le futur.

  • , PREMIERE PARTIE

    , PARTIE THEORIQUE

  • CHAPITRE l

    DIMENSION THORIQUE DE LA CULTURE

    1.1. Revue de littrature de la culture

    Dans le prsent chapitre, on commencera par situer le cadre conceptuel dans

    lequel s'inscrit ce travail, plus prcisment le courant de pense auquel on adhre

    dans la dfinition du concept de culture, la perspective exacte dans laquelle on

    s'inscrit, et enfin la thse de mondialisation dans laquelle on s'insre dans la

    dfinition donne la culture et ses impacts.

    Ensuite, on examinera en profondeur le construit complexe de la culture, ses

    dimensions, les diffrents niveaux de culture identifis dans la littrature et la

    dfinition de chaque niveau.

    1.1.1. Dfinitions de la culture: deux approches

    La culture est un concept qui tire ses origines des sciences sociales et dont

    l'utilisation en management vise avoir une orientation comparatiste et

    comprendre l'exprience sociale dans l'organisation. Celle-ci tant considre

    comme une socit en miniature (Silverman, 1970), elle possde des

    caractristiques lies son histoire, au vcu des acteurs, ce qui suppose une

    influence sur les pratiques organisationnelles et le management de l'organisation.

    Ainsi, pour marquer l'ancrage de la culture dans son environnement social, le terme

  • 7

    socioculturel a pour vocation de rendre compte de phnomnes sociologiques qui

    s'expliquent par rfrence la culture qui prvaut dans l'organisation.

    La premire dfinition du concept de culture remonte Tylor (1877), qui,

    dans son ouvrage Primitive culture , a t le premier utiliser ce terme, en le

    dfinissant comme: Ce tout complexe qui inclut les savoirs, les croyances, l'art,

    les lois, la morale, les coutumes, et toutes autres aptitudes et habitudes acquises par

    l'homme en tant que membre d'une socit (cit par Barnouw (1963, p. 68),

    traduit par Aktouf (1990.

    La culture est un concept tellement complexe (Straub et al., 1998) que

    plusieurs dfinitions lui ont t donnes par les chercheurs travers le temps, et ce,

    en fonction de leurs courants d'appartenance, mais galement selon qu'on se situe en

    Europe ou en Amrique du Nord. En effet, dans l'acception europenne, notamment

    franaise, la culture dsigne l'ensemble des savoirs accumuls par une personne, et

    qui se transmet d'autres individus travers des processus comme l'acculturation,

    la socialisation etc. Cette dfinition est supporte par plusieurs courants tel que

    l'volutionnisme (Tylor, 1873 et les cologistes ultrieurement), le structuralisme ou

    la recherche des structures inconscientes (Lvi-Strauss, 1958), pour dsigner par

    consquent les connaissances, croyances, art, morale, droit, coutumes et toutes les

    autres capacits acquises par 1'homme en tant que membre dans une socit.

    Par contre, dans la socit amricaine, on ne parle pas d'une seule culture

    mais de cultureS au pluriel, qui dsignent l'ensemble de comportements concrets

    d'individus, propres chaque groupe humain et pouvant expliquer un emprunt

    culturel particulier (Sapir, 1949). Ds lors, on parle de particularisme et de di versit.

    Particularisme dans la mesure o tout groupe culturel est homogne et a ses propres

    spcificits, elles mmes fruit de l'environnement dans lequel les individus de cette

    culture vivent, et diversit puisqu'en passant d'un groupe culturel l'autre, on

  • 8

    constatera l'existence de diffrences marquantes entre les deux, et engendrant une

    pluralit culturelle. Nous faisons ici rfrence, entre autres, au relativisme culturel de

    Boas (1940), aux modles culturels de Kroeber (1930) et Wisslet (1917), au

    culturalisme de Benedict (1934), Mead (1956), Linton (1945), l'approche

    diffrentielle de Lvy-Bruhl (1918), au culturalisme psychologique d'Hofstede

    (1980, 1991). En effet, Lvy-Bruhl, avec son approche diffrentielle, voit la culture

    comme un ensemble d'activits mentales acceptes plus dans une socit que dans

    une autre. Malinowski (1944), dans son analyse fonctionnaliste de la culture, la voit

    comme un systme d'lments interdpendants (objets, ides, croyances,

    coutumes ... ), remplissant chacun une fonction vitale et constituant une totalit

    organique. Lvi-Strauss apporte galement l'ide d'carts culturels (et donc de

    diversit culturelle). Hofstede (2005), partir de sa dmarche de culturalisme

    psychologigue, s'est intress au concept de diffrences culturelles, travers sa

    dfinition de la culture comme programmation collective de l'esprit qui distingue

    les membres d'un groupe ou d'une catgorie de personnes par rapport un autre

    (p. 4).

    On identifie galement Sapir (1949), qui voit la culture comme un ensemble

    de comportements concrets d'individus, propres chaque culture et pouvant

    expliquer un emprunt culturel particulier. On retrouve galement d'autres auteurs

    selon lesquels la culture se dfinit travers les relations de production (Godelier,

    1982), les conditions matrielles d'une socit (Harris, 1975, 1981), travers la

    capacit de l'individu symboliser (Turner, 1967; Sclmeider, 1980), travers

    l'interprtation spcifique que certains groupes d'individus font de certains

    symboles (Geertz, 1973; 1974), etc.

    Malgr une dominance amricaine dans l'approche relativiste de la culture, il

    est intressant de noter que de grands etlmologues europens, notamment franais,

    adhrent galement cette conception (Cuch, 2004). On peut citer titre d'exemple

  • 9

    Durkheim (1897), un des piliers de l'ethnologie franaise, adoptant une dmarche

    relativiste, une approche unitaire des faits de culture. Pour ce chercheur, l'humanit

    est une, et toutes les civilisations contribuent la civilisation humaine. Ce chercheur

    entend, par-del l'tude des variations culturelles, analyser l'invariabilit de la

    Culture. Les cultures particulires ne peuvent tre comprises sans rfrence la

    Culture, ce capital commun de l'humanit dans lequel elles puisent pour laborer

    leurs modles spcifiques. De mme, on citera Levi-Strauss (1949), qui va au-del

    des variations culturelles, pour analyser l'invariabilit de la Culture, en tant que

    capital commun de l'humanit. Les deux auteurs citent la prohibition de l'inceste

    comme exemple d'un trait culturel universel. La culture est dornavant comprise

    comme un ensemble dynamique, plus ou moins cohrent et plus ou moins

    homogne. Toutes les cultures, par le fait universel des contacts culturels, sont des

    degrs divers des cultures mixtes . Hannertz (1992) explique bien ce trait de

    mixit ou de complexit de la culture. Il voque la culture contemporaine comme

    une organisation de la diversit, et non comme une unit commune organise et

    partage. L'auteur se fonde sur les flux de communication, en tant que patterns de la

    culture entretenus entre divers acteurs (tat, march ... ), qui sont de diffrentes

    natures (matrielle, symbolique etc), et qui sont en constante volution, pour

    indiquer que le concept culturel qui les supporte est en dynamique permanente,

    contrairement aux socits traditionnelles.

    Dupuis (1990) identifie trois composantes sans lesquelles on ne peut

    prtendre une bonne dfinition de la culture CP 544), savoir le contexte

    d'int~raction sociale, qui renvoie un contexte situ spatialement et

    temporellement , les pratiques des acteurs, et les significations qui sont accordes

    par les acteurs leurs actions. Ces trois composantes, tant indispensables dans la

    dlimitation du territoire de la culture, le sont par consquent pour sa dfinition.

  • 10

    D'Iribame (1997), dfinit la culture comme un langage, un code, un

    rfrentiel de sens. Ce rfrentiel permet aux acteurs de donner un sens au monde o

    ils vivent et leurs propres actions. La continuit de chaque culture, alors mme

    qu'elle est marque par de multiples volutions, vient de la stabilit du systme

    d'oppositions fondament2les sur lequel elle est construite. On trouve ICI une

    rfrence vidente au structuralisme de Lvi-Strauss.

    Par consquent, on parle dans cette seconde catgorie de plusieurs cultures et

    de plusieurs niveaux de cultures les supportant: cultures populaires, cultures

    nationales, cultures d'immigrs, cultures d'entreprises etc.

    Ainsi, on constate que la culture est un concept chelle variable et dpend

    de l'unit d'analyse considre par le chercheur (organisation, groupe, ville, nation,

    rgion, village etc.). Il s'agit galement, comme on vient de le constater travers la

    multiplicit des dfinitions prcites, d'un concept contenu variable, qui sert la

    fois singulariser les tres humains dans le rgne animal et diffrencier les

    groupes humains ou sociaux les uns des autres. Enfin, il s'agit d'un concept

    synthtique, dans la mesure o il runit un ensemble d'lments caractrisant un

    groupe humain, mais aussi dans la mesure o ces lments sont organiss en systme

    de sens comprhensibles pour les membres du groupe, et que le changement d'un

    lment peut provoquer un changement des autres lments appartenant au systme.

    Devant la varit des dfinitions prcites, et pour des raisons touchant

    l'orientation qu'on a voulu donner au prsent travail, nous retenons l'orientation

    relativiste reconnaissant l'existence de plusieurs cultures.

  • 11

    1.1.2. Perspectives de la culture: cinq perspectives

    Selon Bhate (2001), le concept de culture est tellement large qu'il convient

    de le classifier selon la perspective dans laquelle on se situe pour le dfinir. Ce

    dernier identifie cinq perspectives culturelles, savoir les perspectives physique et

    psychologique, se focalisant sur des considrations d'ordre gntique,

    volutionnaire, psychologique et anthropologique; la perspective expreSSIve

    comportementale, qui se consacre l'tude de la culture travers les considrations

    lies au sexe, l'esthtique et l'apprciation de la gestuelle et au langage non

    verbal; la perspective sociale, qui s'intresse aux systmes de croyance, aux castes et

    aux classes sociales ainsi qu'aux jeux de pouvoir dans une culture donne; la

    perspective socio-politico-conomique, qui traite du gouvernement, de l'conomie,

    du commerce, des volets relatifs la guerre, l'ordre et aux lois qui rgissent les

    socits; et enfin la perspective anthropologique applique, qui s'intresse la

    recherche qui a des implications pratiques de l'anthropologie sur le terrain. Il s'agit

    d'une application de l'anthropologie dans des domaines tels que les services de

    sant, le journalisme, les affaires, la gestion. Dans le prsent travail, sans pour autant

    ngliger les autres perspectives, on se focalisera sur la dernire, puisqu'il s'agit

    d'appliquer l'anthropologie au domaine managrial, plus spcifiquement aux

    pratiques relatives l'intgration technologique et l'innovation.

    1.1.3. Culture et mondialisation: trois thses

    Peut-on prtendre aujourd'hui, l're de la mondialisation par excellence, la

    persistance de divergences culturelles, et donc l'existence de cultures nationales

    diverses, affectant de manire diffrente les pratiques de management adoptes au

    sein de ces cultures?

  • 12

    cette question, trois thses se proposent d'apporter des lments de

    rponses. Il s'agit de la thse de convergence culturelle, stipulant que la pousse de

    la mondialisation de l'conomie a engendr ill1e ill1iformisation des valeurs au

    niveau universel (conomistes du FMI, de la Banque Mondiale etc.). Ensuite, on

    retrouve la thse de divergence culturelle, stipulant que malgr la mondialisation de

    l'conomie, les diffrences culturelles persistent, notamment celles d'ordre national

    (Inglehart et Baker, 2000; D'Iribame, 1997; Hofstede, 1980,1991,2002... ). cette

    thse s'opposent certains anti-culturalistes (Slim, 1991). Enfin, on retrouve la thse

    de la cross-vergence ou de l'hybridation culturelle, selon laquelle la rencontre de

    la culture mondiale conomique avec des cultures nationales entrane la naissance de

    socits et de cultures hybrides. Dans cette perspective, les pratiques de management

    sont influences par les deux mouvements culturels et sont donc des formes hybrides

    Dans le prsent travail, on s'inscrit dans la troisime thse, puisqu'on ne peut

    nier que certaines valeurs culturelles sont troitement relies leur territoire, mais

    on recOlmat galement le fait que la mondialisation exerce un mouvement

    d'uniformisation de certaines pratiques. Ceci dit, cet effet reste partiel. Ds lors, on

    ne peut parler d'uniformisation intgrale des valeurs culturelles.

    1.1.4. Hirarchie et niveaux: de la culture

    La culture peut tre examine travers diffrents niveaux d'analyse. En effet,

    tudier la culture l'chelle d'un pays diffre largement de son tude l'chelle plus

    restreinte de l'organisation. Cependant, chaque niveau d'analyse de la culture ne

    peut tre isol des niveaux plus larges. En effet, tudier la culture d'une rgion ou

    d'une organisation est vain si l'on ne considre pas le contexte national, voire

    supranational dans lequel les interactions caractristiques de la culture ont lieu.

  • 13

    L'approche cognitive de la culture organisationnelle de Sackmann (1997)

    s'intresse diffrents niveaux culturels qUI influencent les pratiques

    organisationnelles. Selon cet auteur, la culture organisationnelle ne peut tre isole

    de son contexte plus large, savoir le niveau continental ou supranational, le niveau

    national, le niveau rgional, et le niveau sectoriel voire mme le niveau de sous

    culture organisationnelle. De mme, Sainsaulieu (1997), dans son livre la

    dynamique culturelle des ensembles organiss , adopte une approche contextuelle

    de la culture, qui tient compte des communauts, du contexte, des rapports

    l'extrieur pour tudier ceux l'intrieur d'une communaut.

    Enfin, Karahanna et al (2005), dans leur approche intgrative des niveaux de

    culture, en distinguent cinq, savoir la culture supranationale, la culture nationale, la

    culture professionnelle, la culture organisationnelle et la culture de groupe.

    Karahanna a abord la culture supranationale, la culture nationale, la culture

    professionnelle, organisationnelle et de groupe, mais a omis le niveau rgional ainsi

    que le niveau sectoriel abords par Sackmann. Par ailleurs, la sous

    culture organisationnelle voque par Sackmann et qui semble tre absente chez

    Karahanna ne l'est pas vraiment, puisque ce dernier s'y rfre avec le terme de

    culture de groupe , telle que la dfinition donne ce niveau nous a permis de

    constater. En effet, les deux auteurs prciter dont allusion l'existence de deux ou

    plusieurs cultures l'intrieur d'une mme organisation, portes par deux ou

    plusieurs groupes y appartenant.

    En tenant compte de ce qui prcde, on peut distinguer au moms sept

    niveaux d'analyse de la culture dans la littrature, savoir la culture supranationale,

    la culture nationale, la culture rgionale, la culture sectorielle, la culture

    organisationnelle, la culture de groupe, galement nomme sous-culture

    organisationnelle et la culture professionnelle.

  • 14

    1.1.4.1. La culture supranationale

    Selon Karahanna et al (2005), ce niveau couvre les diffrences culturelles qui

    dpassent les frontires nationales, ou les traits culturels qui peuvent exister dans

    plus d'une nation, savoir la culture rgionale (la rgion tant dans cette conception

    tendue au-del des frontires nationales, conune la culture africaine ou la culture

    asiatique), la culture ethnique, qui renvoie, selon le mme auteur, l'appartenance

    un groupe d'individus partageant des caractristiques ethniques communes et

    distinctives des autres groupes (culture berbre pouvant transcender les frontires

    nationales), la culture religieuse, dfinie conune l'appartenance un groupe

    d'individus partageant les mmes croyances religieuses (culture musulmane), et

    enfin la culture linguistique, dfinie conune l'appartenance un groupe qui parle la

    mme langue (culture francophone dpassant les frontires nationales).

    1.1.4.2. La culture nationale

    Il s'agit d'un des niveaux de la culture les plus documents dans la littrature

    par des auteurs appartenant diverses approches thoriques, notanunent l'approche

    culturelle par dimensions, alimente par une perspective ethno-historique dans

    certains cas. On peut citer dans ce sens Kulckholn et Strodtbeck (1961), deux

    anthropologues qui ont dvelopp la toute premire approche dimensionnelle de la

    culture, en s'inspirant de travaux utiliss pendant des sicles .par les philosophes et

    scientifiques sociaux. Leurs dimensions portent notanunent sur la conception de la

    nature humaine, de la relation honune-nature, du bien et du mal, du temps et de

    l'espace. Dans. le mme sens, Edward T. Hall se focalise sur les traits de

    conununication trouvs l'intrieur des cultures travers quatre dimensions,

    savoir le contexte de communication, la gestion de l'espace, le rapport au temps et la

    structure des flux conununicationnels. On peut noter galement Hofstede (1980,

    1991), qui s'intresse aux caractristiques collectives runissant les citoyens des

  • 15

    pays. Cet auteur considre la culture comme une sorte de programmation collective

    du cerveau consistant tablir une distinction entre les individus de nations

    diffrentes. Ses dimensions regroupent la distance hirarchique (degr d'acceptation

    de la non-quit dpendamment du statut social), l'individualisme/collectivisme

    (degr d'troitesse des rapports sociaux et importance de la loyaut au groupe), la

    masculinit/fminit (degr de division des rles entre les deux sexes), le contrle

    d'incertitude (degr de tolrance de l'incertitude et besoin de structuration dans les

    socits) et l'orientation au temps (vers le pass et le prsent consistant vivre au

    jour le jour versus vers l'avenir consistant pargner).

    Triandis et al (1995) ont dcoup la dimension

    individualismelcollectivisme d'Hofstede, considre comme tant

    multidimensionnelle ou polythtique (Triandis et Gelfand, 1998), en quatre

    dimensions, savoir le collectivisme horizontal ou community sharing (Gannon,

    2004), renvoyant des individus qui se runissent en groupes sans pour autant s'y

    sentir soumis; l'individualisme horizontal ou equality matching (Gannon, 2004),

    renvoyant des individus qui vivent indpendamment des autres et sans sentir le

    besoin de les devancer; le collectivisme vertical, ou authority ranking selon

    Gannon, renvoyant la loyaut et la soumission un groupe d'appartenance, et

    l'individualisme vertical ou market princing selon Gannon, trait culturel

    dominant aux Etats-Unis et dans d'autres pays domins par la logique du march.

    Enfin, on retrouve d'Iribarne qui, travers son approche ethno-historique

    comparatiste de trois pays, identifie des dimensions dominantes dans chacun,

    savoir l'honneur bas sur l'opposition vil/vain en France, l'quit base sur le

    contrat aux tats-Unis et la logique du consensus aux Pays Bas.

    Cependant, certains des travaux prcits, notamment ceux d'Hofstede ou qui

    s'inspirent de ses dimensions culturelles, restent d'ordre normatif et rationnel. En

    effet, ces chercheurs se basent sur des scores et non sur une analyse qualitative

  • 16

    fouille de la culture. Par consquent, les recherches inspires des scores culturels

    d 'Hofstede restent descriptives, car elles se contentent de mesurer les diffrences

    (notamment managriales) et de les attribuer des diffrences entre les cultures

    tudies au niveau des scores. Cette dmarche limite les tentatives d'une

    comprhension plus pousse des diffrences culturelles et de leurs origines relles.

    1.1.4.3. La culture rgionale

    l'intrieur d'un mme pays, l'on peut identifier plusieurs cultures

    rgionales trs htrognes, d'o l'intrt de considrer galement les influences

    culturelles rgionales dans l'tude de la culture.

    Dans le cas spcifique du Canada, Carr (2003) distingue au mOlns deux

    cultures rgionales, savoir la culture qubcoise francophone et la culture

    anglophone du reste du Canada. La divergence entre ces deux cultures coexistant au

    sein du mme pays se manifeste selon l'auteure par au moins cinq spcificits de la

    culture qubcoise. Il s'agit de la francit la qubcoise, consistant conserver

    l'usage de la langue franaise et la protger contre les anglicismes, de la nordicit

    qui dfinit l'identit qubcoise au sein du reste de la francophonie, de la modernit

    utilise pour entretenir et assurer la fidlit au pass (sites Internet consacrs la

    valorisation de l'histoire et de l'identit du Qubec), de l' amricanit qui, jointe la

    latinit, influence le mode de vie des qubcois. La dernire spcificit est la

    qubecit en tension avec la canadiennit, pour faire face au risque de perte

    d'identit d'une part, et pour grer les questions lies la diversit ethnique et

    intgrer les immigrants la culture qubcoise d'autre part.

    Le lllveau de la culture rgionale n'a pas t aussi bien document et

    structur que celui de la culture nationale ou de la culture organisationnelle.

    Cependant, l'on trouve des travaux intressants, plutt d'ordre qualitatif, qui

  • 17

    s'intressent ce niveau culturel et ses interactions avec d'autres lments du

    systme rgional.

    Marie-Thrse Claes (2004)1 propose plusieurs dimensions sur la base

    desquelles on peut constituer des cultures rgionales, notamment l'histoire et la

    gographie de chaque rgion (culture du nord, culture du centre du pays). L'auteure

    cite galement cet effet l'exemple de l'histoire du Qubec, dont les forces

    conomiques et politiques constituent une composante spcifique la culture

    rgionale, de mme que le climat, la religion et mme la langue, surtout que cette

    dernire n'est pas parle dans l'ensemble du pays.

    Un des travaux les plus intressants dans ce sens demeure cependant celui de

    Saxenian (1994). travers une tude qualitative base essentiellement sur des

    entrevues et sur l'observation du tenain, cette auteure a pu identifier deux cultures

    rgionales diffrentes, ayant substantiellement faOlm les comportements locaux

    d'innovation. Il s'agit de la Silicon Valley versus la Route 128. Il est important de

    noter que Saxenian place la culture rgionale au cur d'un systme plus large,

    savoir le systme rgional industriel, dont les composantes interagissent et

    s'influencent mutuellement pour donner naissance des comportements

    d'entreprenariat et d'innovation spcifiques chaque rgion. Ces composantes sont

    les institutions rgionales, dfinies comme les organisations publiques et prives

    telles que les universits, les associations d'affaires, les gouvernements locaux, les

    organisations moins formelles telles que les clubs lobbyistes, les socits

    professionnelles et d'autres forums qui crent et soutiennent des modles rguliers

    d'interaction sociale dans une rgion. Ces institutions faonnent et sont faonnes

    par la culture locale (Saxenian, 1994; p7). La seconde composante est la culture

    rgionale, dfinie comme les conceptions partages et les pratiques qui unifient

    J Voir aussi: Cours organization and professional cultures and diplomacy" Malta, 13-15 fvrier 2004. ICHEC Brussels Business School. UCL University of Louvain. Professeure Marie-Thrse Claes

  • 18

    une communaut et qui dfinissent toute chose, en partant du comportement du

    march du travail jusqu'aux attitudes envers la prise de risque , (p. 7). La troisime

    composante est la structure industrielle rgionale, dfinie comme la division

    sociale de la main d'uvre ou le degr d'intgration verticale, ainsi que l'tendue et

    la nature des liens entre clients, fournisseurs et concurrents dans un secteur

    particulier ou dans des secteurs complexes relis . (Saxenian, 1994; p7). Enfin, la

    dernire composante est l'organisation corporative interne des entreprises

    rgionales, dfinie comme le degr de coordination horizontale et verticale, la

    centralisation ou dcentralisation, l'allocation des responsabilits et la spcialisation

    des tches l'intrieur de la firme . (Saxenian, 1994; p7).

    Des travaux europens plus rcents, notamment ceux du GREMf (Maillat,

    Quvit, Senn, 1993; Crevoisier et al., 1989; Ratti et D'Ambrogio, 1989; Maillat,

    1995; Camagni, 1995b; Maillat, Crevoisier et Vasserot, 1992; Matteaccioli, 1999),

    s'intressent la culture rgionale sous diffrentes nominations, telles que culture

    technique, tradition, racines culturelles, systmes de reprsentation communes,

    identification collective qui permet aux acteurs de se rapprocher et de faire

    converger leurs points de vue, grce notamment un systme de reprsentations, de

    normes et de valeurs partages propres au milieu (Perrin, 1997). Selon ces auteurs,

    les normes, rgles et valeurs sont autant d'lments culturels qui rgissent les

    comportements des acteurs ainsi que les relations qu'ils entretiennent entre eux.

    Elles sont spcifiques l'espace considr, dans la mesure o elles contribuent

    gnrer une certaine thique du travail et des principes de confiance et de

    rciprocit, de solidarit et d'entraide. Elles sont particulirement importantes en ce

    qu'elles participent la cration d'un espace de travail commun (rationalit

    commune, horizons temporels communs, objectifs communs).

    2 Groupe de recherche europen sur les milieux innovateurs

  • 19

    Dans le mme ordre d'ides, on retrouve Julien (2005), qui s'intresse la

    culture comme une composante parmi les cinq lments principaux de tout milieu

    (les institutions locales publiques ou parapubliques, la structure industrielle

    renvoyant la nature des liens entre les acteurs du milieu, la main-d'oeuvre plus ou

    moins forme et participative ou capable de soutenir le dveloppement,

    l'organisation de la coopration et la culture entrepreneuriale commune aux acteurs

    socioconomiques). Il dfinit la culture entrepreneuriale du milieu comme une

    mme comprhension de l'ide d'entreprendre et du fonctionnement des affaires,

    des rgles communes, et donc des conventions et des pratiques qui unifient la

    communaut et dfinissent tant les comportements de la main-d'oeuvre que les

    attitudes des entrepreneurs eu gard au risque, au changement et aux ressources

    disponibles .

    Ces travaux sont trs intressants, car ils adoptent une perspective

    systmique ouverte de la culture (comme unit d'un ensemble plus large), une

    dmarche qualitative allant dans un sens constructiviste (la culture n'est pas dfinie

    l'avance mais on essaie de la cerner en poussant la recherche un stade analytique),

    ce qui les dmarque des travaux bass sur des approches dimensionnelles vues

    prcdemment.

    1.1.4.4. La culture sectorielle

    La culture sectorielle renvoie aux caractristiques essentielles du secteur dans

    lequel opre l'organisation, telles que la structure du secteur, la forme de rivalit

    entre les firmes qui le constituent, l'inter connectivit entre ces dernires, le type de

    pratiques d'embauches ambiantes etc. (Weisinger et Trauth, 2003).

    Il n'existe pas de consensus sur ce que peut trele contenu ou les dimensions

    de la culture sectorielle. En effet, les dimensions importantes explorer dans ce

  • 20

    niveau culturel sont fonction du type du secteur. Dans ce sens, Marie-Thrse Claes

    (2004)3 donne l'exemple des codes vestimentaires, du comportement d'innovation et

    des interactions comme volets intressants explorer pour comparer la culture du

    secteur bancaire et celle du secteur de la haute technologie, ou encore les sources

    d'avantage comptitif qui caractrisent les secteurs, puisqu'elles peuvent tre

    financires dans certains, humaines, ou encore cognitives dans d'autres. Le taux de

    changement technologique est galement une caractristique culturelle importante

    explorer dans le cas de certains secteurs, de mme que la nature du produit-march

    et des rgulations ambiantes.

    titre d'exemple, la professeure compare quatre cultures sectorielles,

    l'aide de deux dimensions pertinentes, savoir le degr de risque caractrisant ces

    secteurs, et la rapidit des profits raliss. Sur une carte perceptuelle deux

    dimensions, nommment le degr de risque et la rapidit des profits, la

    biotechnologie serait un secteur domin par une culture de degr lev de risque et

    de faible rapidit de profits, tout fait l'oppos du secteur du dtail, caractris par

    une culture de faible risque et de rapidit leve des profits. Le secteur de ngoce

    obligataire serait caractris par un degr de risque lev mais en revanche les

    profits y sont rapides. l'inverse, le secteur de consultance comptable est

    caractris aussi bien par un faible risque que des profits lents.

    Par ailleurs, les caractristiques culturelles du secteur agissent amplement sur

    les pratiques managriales des organisations. Weisinger et Trauth (2003) ont, titre

    d'exemple, intgr la dimension sectorielle structure et complexit du secteur

    ainsi que taille du secteur dans leur tude sur l'intgration de certaines

    technologies dans les organisations.

    3 Voir aussi: Cours organization and professional cultures and diplomacy" Malta, 13-15 fvrier 2004. ICHEC Brussels Business School. UCL University of Louvain. Professeure Marie-Thrse Claes

  • 21

    1.1.4.5. La culture organisationnelle

    Les crits abordant le concept de culture organisationnelle sont aUSSI

    nombreux et diversifis que le sont les cultures d'organisation elles-mmes. Certains

    sont analytiques et traitent de cas d'organisations de manire spcifique, d'autres

    adoptent une approche plutt normative.

    Par consquent, le concept de culture organisationnelle est dfini diffremment selon

    les auteurs et leur courant d'appartenance.

    ~ Perspectives normatives positivistes

    Les auteurs qui se situent dans cette approche dfinissent la culture comme

    un consensus, puisqu'ils finissent tous par trouver des composantes spcifiques de la

    culture qui ne font l'objet d'aucune contestation au sein de l'organisation. Il s'agit

    d'auteurs positivistes classiques, qui rduisent la culture une seule dimension

    (valeurs, postulats etc.) et qui mettent l'emphase sur le dirigeant comme fondateur

    de la culture organisationnelle, ignorant ainsi l'existence de sous-cultures qui

    s'opposeraient cette dernire.

    On peut citer des auteurs tels que Schein (1991), qui aborde la culture

    organisationnelle comme tant le fruit de la vision du dirigeant, c'est--dire ses

    ides, croyances et convictions bases sur ses expriences antrieures. Ce dernier

    transmet cette vision au reste des employs en adoptant plusieurs techniques telles

    que la coercition ou le mimtisme. Une fois ces ides, croyances et convictions

    acquises et intgres par les employs, elles donnent naissance un ensemble de

    postulats qui, regroups ensemble, donnent ce qu'on appelle la culture

    organisationnelle. Comme on peut le constater, il existe une infinit de cultures

    organisationnelle selon cet auteur, dans la mesure o chaque fondateur peut avoir

  • 22

    des convictions tout fait diffrentes d'un autre. Ainsi, on peut avoir une culture

    organisationnelle axe sur le contrle, une autre axe sur la concertation, etc.

    La culture organisationnelle se dfinit, selon Siehl & Martin (1990), comme

    les caractristiques sociales et normatives qui soutiennent l'organisation et lui

    permettent de tenir, ou encore, comme un systme model de perceptions, de

    significations et de croyances sur l'organisation, qui facilite la formation des

    significations parmi un groupe d'individus partageant des expriences en commun,

    et qui guide le comportement individuel au travail . Cette dfinition met l'accent

    sur l'interaction entre le comportement individuel et l'aspect de partage des

    significations et cognitif au niveau du groupe (Bloor & Dawson, 1994).

    C'est en rponse ces chercheurs classiques positivistes, qu'est apparue

    l'approche par diffrenciation, selon laquelle la culture organisationnelle n'est pas

    forcment consensuelle. Ds lors, on parle de plusieurs sous-cultures. Cette

    approche a t amene par des chercheurs postmodernistes, scientifiques et critiques

    rcents.

    >- Perspective interprtative et perspectives post-modernes

    Baba (2001) apporte une nouvelle ide par rapport la littrature sur la

    culture organisationnelle: il assimile l'organisation aux socits d'aujourd'hui,

    complexes et turbulentes, pour constater qu'on ne peut parler d'une seule culture

    organisationnelle mais plutt de plusieurs sous-cultures qui coexistent au sein d'une

    mme organisation. Dans le mme sens, Mats (2002) remet en cause l'aspect

    rducteur des approches normatives l'gard de la culture organisationnelle, qui se

    manifeste par une sursimplification de ce concept complexe et une confusion entre

    ce construit et celui des idologies managriales de l'entreprise. Un peu dans le

    mme sens que les significations partages, Mills et al (2001), qui se situent

  • 23

    galement dans les approches post-modernistes, assimilent le processus de cration

    de culture organisationnelle des histoires racontes par les membres des quipes

    aussi bien internes qu'externes au sein d'une communaut dans l'organisation.

    Schwatrzman (1992), dans son livre Ethnography in organizations ,

    s'intresse la culture organisationnelle dans ses deux aspects: formel et informel.

    Il propose qu' partir d'lments comme les interactions entre individus, entre

    groupes, entre l'intrieur et l'extrieur de l'organisation, comme les processus

    organisationnels (vnements, rituels, routines, runions etc.), il est possible

    d'analyser et de comprendre la culture organisationnelle dominante. Rosen (1991),

    avec quelques diffrences mthodologiques avec Schwatrzman, s'intresse peu

    prs aux mmes lments de contenu que ce dernier pour comprendre la culture

    organisationnelle. Il s'git notamment des relations sociales, des significations et

    comportements des gens, d'vnements tels que les conversations, les anniversaires

    etc. Czarniwska-Joerges (1992) s'intresse plus spcifiquement aux organisations

    complexes, et propose galement un ensemble important de composantes permettant

    de comprendre la culture organisationnelle, telles que la centralisation du contrle, la

    construction des normes, le systme de prise de dcision etc. Bates (1997) apporte la

    notion de l'activit quotidienne de l'organisation et des processus informels, comme

    composantes lmentaires et indispensables analyser si l'on dsire cerner la culture

    organisationnelle.

    Goodall (1994), dans son approche interprtative post-moderne de la culture,

    insiste sur l'importance des significations et des symboles comme composantes

    principales de ce concept, puisqu'ils permettent de le dchiffrer et d'en dgager les

    sens cachs, et ce, travers l'interprtation.

  • 24

    ~ Perspective critique de la culture

    Flamant (2002), dans son approche critique de l'instrumentalisation de la

    culture, met l'accent sur le pouvoir. Selon lui, la culture organisationnelle est une

    sorte de valeur incantatoire derrire laquelle les responsables d'entreprises pensent

    souvent trouver refuge .

    Les approches prcdentes sont toutes riches et apportent des lments

    intressants pour la comprhension de la culture organisationnelle, cependant, elles

    ne regardent majoritairement que l'intrieur de l'organisation, ignorant ainsi

    l'impact de l'environnement externe o vit cette dernire, sur la culture d'entreprise.

    Sainsaulieu (1997) a combl en grande partie cette lacune en proposant un bon

    nombre de composantes dans lesquelles baigne la culture organisationnelle. Son

    travail sera revu en dtail dans une section ultrieure, consacre l'importance de

    contextualisation de la culture.

    Par ailleurs, dans le sens des post-modernistes, qUl rejettent l'acception

    d'existence d'une seule culture organisationnelle homogne, on abordera dans le

    prochain paragraphe les cultures de groupes, qui refltent la pluralit de conceptions

    et pratiques partages au sein d'une mme organisation.

    1.1.4.6. La culture de groupe, la sous-culture, la culture professionnelle

    Ce niveau d'analyse est important, dans la mesure o il sert affiner l'tude

    de la culture, puisqu'on peut reprer, au sein d'une mme organisation, plusieurs

    groupes homognes l'intrieur et htrognes avec les autres groupes de la mme

    entreprise.

  • 25

    La culture de groupe renvoie aux caractristiques culturelles contenues

    l'intrieur d'un groupe de travail ou de tout autre ensemble cl 'individus un niveau

    situ en dessous du niveau de l'organisation (Karahanna et al, 2005). Il peut s'agir

    de la culture professionnelle, de la culture cl 'un dpartement etc.

    Selon Karahanna et al (2005), la culture professionnelle renvoie la loyaut

    des employs la culture de leur profession plutt qu' l'organisation o ils

    travaillent. En effet, les groupes professionnels crent des codes qui constituent des

    interprtations porteuses de significations des vnements, des individus et des

    objets trouvs dans leur univers professionnel (Van Maanen et Barley, 1984; p300).

    Ces codes incluent les schmas conscients qui peuvent tre appris soit de faon

    formelle durant la formation acadmique ou le stade de socialisation au travail,

    comme ils peuvent tre intgrs de faon inconsciente (Bourdieu, 1986; 1988). Ces

    codes, combins la possession d'un savoir unique, rare et valoris socialement,

    renforcent la cohsion du groupe et faonnent les pratiques oprationnelles ainsi que

    les codes, croyances, valeurs et crmonies (Bloor et Dawson, 1994).

    Dans le mme sens, et concernant spcifiquement le poids des cultures

    professionnelles dans les organisations, Gouldner (1957) a montr qu' l'intrieur

    des firmes, on retrouve deux catgories d'individus, ceux qui s'identifient davantage

    la culture de l'organisation et qu'il appelle locaux , et ceux qui s'identifient

    davantage leur profession ou d'autres associations, dont les frontires sont plus

    larges que celles de l'organisation. Il appelle cette dernire catgorie les

    cosmopolitiques . Gagliardi (1990) a mis l'hypothse selon laquelle ceux qui ont

    travaill pour une seule organisation seraient plus loyaux l'organisation tandis que

    ceux qui ont travaill dans plusieurs seraient plutt loyaux leur profession.

    l'inverse des hypothses prcites, Bloor et Dawson (1994) indiquent que

    les cultures professionnelles ne sont pas fatalement en lutte entre elles. Van Maanen

  • 26

    et Barley (1984, p35) indiquent que une fois que des tensions ont lieu entre la

    culture organisationnelle et les sous-cultures, les consquences du conflit dpendent

    d'un nombre de variables, incluant les conditions qui faonnent la position de

    chaque groupe par rapport aux autres au sein de l'organisation, etc .

    De faon gnrale, il existe diffrentes cultures de groupe. Siehl et Martin

    (1984) et Rose (1988) en identifient trois types, savoir la culture dominante ou

    renforante, qui occupe une position d'influence au sein de l'organisation; la contre

    culture, qui questionne les postulats de base de la culture dominante; et la culture

    orthogonale, qui accepte les postulats de base de la culture dominante mais porte des

    croyances en conflit avec cette dernire, sans pour autant les mettre en pratique. Par

    ailleurs, Bloor et Dawson (1994) en rajoutent deux catgories, savoir la culture

    discordante, qui partage les valeurs fondamentales de l'organisation, mais peut les

    interprter de faon diffrente des autres groupes au sein de l'organisation, et la

    culture respectueuse, qui affiche un respect et quasiment une soumission vis--vis la

    culture dominante, et constitue dans ce sens une sous-culture compatible avec la

    culture organisationnelle.

    Par ailleurs, on peut citer titre d'exemple de conflit entre deux cultures de

    groupe, le travail de Scardigli (2001), qui aborde la culture professionnelle des

    ingnieurs-concepteurs d'avions, et celle des pilotes. La caractrisation de ces

    cultures de groupe sera dveloppe dans une section ultrieure, ddie l'impact de

    la culture sur la technologie.

    travers le parcours prcdent des diffrentes thorisations de la culture, on

    peut constater qu'il y a des travaux d'ordre normatif, positiviste, qui se sont limits

    dcrire la culture comme un tout homogne, isol par ailleurs de son contexte plus

    large, tandis qu'on retrouve des travaux interprtatifs, allant en profondeur et

    laissant une plus grande libert dans la dfinition de ce concept. Cependant, certains

  • 27

    d'entre eux l'isolent de son environnement plus large (approche interprtative de la

    culture organisationnelle de Goodall, l'isolant du contexte culturel plus large). Dans

    la prochaine section, on remettra en cause cette conception de la culture et on

    positionnera le prsent travail en consquence.

    1.1.5. La culture: d'une approche isole une approche englobante

    Dans ce paragraphe, on discutera de l'volution de la conception de la culture

    dans le discours acadmique, en partant d'un discours qui la percevait comme un

    tout homogne, intrieur l'organisation, vers un discours plus rcent, qui reconnat

    la complexit de ce phnomne et son enracinement dans un contexte plus large,

    discours dans lequel on s'inscrit dans le prsent travail.

    1.1.5.1. La culture: d'une approche instrurnentaliste vers une approche

    constructiviste

    Dupuis (1990) met en relief deux conceptions de la relation entre la culture et

    l'organisation, qui divisent les chercheurs des sciences de l'organisation, notamment

    les anthropologues et les chercheurs sociaux. La premire conception voit la culture

    comme une composante au sein de l'organisation, ou une caractristique, parmi

    d'autres, que possderait toute organisation CP 545). Cette conception, toujours

    selon Dupuis, s'inspire d'une vision instrumentale de la culture et relate une

    confusion entre culture et stratgie (Weick, 1965). l'oppos, on retrouve la

    deuxime conception, adopte par la majorit des anthropologues (Dupuis, 1990),

    qui voit la culture comme un systme structurant et non comme une variable

    isolable . Au sein de cette deuxime conception, Dupuis identifie au moins deux

    orientations. La premire aborde la culture comme un systme d'ides, de

    significations ou de connaissances que l'on retrouve dans toute socit . Cette

    orientation met l'emphase sur les mythes, langages, symboles ... comme objets

  • 28

    d'tude de la culture et s'inscrit dans l'anthropologie interprtative adopte par

    Geertz, Goodenough et d'autres (Dupuis, 1990). Dupuis reproche cette premire

    orientation, dans sa qute de mise en vidence de la culture organisationnelle comme

    univers cohrent et harmonieux, de ngliger le contexte plus large de l'organisation.

    La seconde orientation palie cette faille, dans la mesure o elle ne cherche pas

    tout prix mettre en vidence une culture organisationnelle bien spcifique. Selon

    Dupuis (1990, p547), cette orientation s'inspire du courant anthropologique de

    Malinowski Harris, qui voit la culture comme un systme socioculturel (Allaire

    et Firsirotu, 1984a). Ce systme est ouvert son contexte plus large. La culture est

    faonne, dans cette deuxime orientation, aussi bien par le contexte externe ou

    global, que par la dynamique interne de l'organisation. Dans le prsent travail, et

    dans le souci de ne pas limiter le champ de la recherche, ainsi que de tenir compte de

    la complexit des influences culturelles auxquelles sont exposes les organisations,

    on se situe dans la deuxime conception, plus spcifiquement dans la deuxime

    orientation, celle o l'organisation est un processus, un systme socioculturel

    complexe, fruit de son contexte tant interne qu'externe, et non une variable interne,

    prdfinie l'avance, isole et manipulable. partir de cette dfinition large, on

    tentera de construire le sens de ce concept, en tenant compte aussi bien du contexte

    o se situe l'organisation, que des conceptions de ses acteurs.

    Outre les considrations prcdentes rejoignant une approche constructiviste,

    on abordera dans ce qui suit les fondements thoriques et pistmologiques du

    constructivisme sur lesquelles on s'est bas dans le prsent travail, ainsi que les

    implications mthodologiques qui en dcoulent et qui faonneront la recherche sur le

    terrain.

    Divers chercheurs, notamment du domaine de l'ducation, se sont intresss

    au paradigme constructiviste en tant que construction du savoir (Denzin et Lincoln,

    2003; Guba et Lincoln, 1989). Ce paradigme met en vidence la limite de

  • 29

    l'objectivit et de la neutralit de la science, tant donn que le chercheur et le sujet

    de la recherche sont unis dans une seule entit interactive, et c'est leur interaction

    qui cre les rsultats de l'investigation (Guba, 1990). On parle ds lors d'une

    pistmologie subjectiviste du constructivisme (le sens merge de la relation entre

    l'investigueur et l'investigu). Outre cette dimension, le constructivisme engage une

    ontologie relativiste, impliquant la multiplicit des ralits. Un seul individu ne

    relate que sa propre ralit perue, et non la ralit de tous les sujets comme telle.

    Enfin, l'implication mthologique du constructivisme consiste en un ensemble de

    procdures mthodologiques naturalistes (Denzin et Lincoln, 1998, p. 27).

    Par consquent, dans le prsent travail, on adhre l'pistmologie

    subjectiviste, tant donn qu'on ne dfinira les concepts cls que de manire

    gnrique, laissant place l'mergence du sens tout au long du travail

    d'investigation, vitant ainsi une approche dterministe ou positiviste, o les

    concepts sont encapsuls l'avance dans une dfinition donne. Par ailleurs, dans la

    section pratique, on expliquera en quoi on adhre une mthodologie naturaliste

    telle que le veut la conception constructiviste prcite.

    1.1.5.2. L'approche de contextuation de la culture situating culture

    Weisinger et Trauth (2003) introduisent un cadre conceptuel intressant pour

    approcher la culture, nomm situating culture , selon lequel la comprhension de

    la culture est localement situe, fonde dans les comportements rels et enracins

    dans des activits de travail quotidiennes et socialement ngocies.

    Le cadre conceptuel de situating culture a t employ pour la premire

    fois dans une tude d'ingnieurs japonais et amricains ainsi que de professionnels

    techniques travaillant dans une joint venture (Weisinger et Salipante, 2000). Selon

    ce champ conceptuel, la culture est un processus socialement ngoci, dynamique,

  • 30

    pratique et localement situ. Il s'agit par consquent d'une vIsIon de la culture

    comme un agir (doing), qui met l'accent sur le comportement rel des personnes,

    plutt que comme un processus de penser , qui met l'accent sur les schmas

    cognitifs partags. Par ailleurs, cette conception voit l'interaction entre les membres

    du groupe d'une culture donne comme tant situe dans un contexte particulier.

    Ainsi, en situant la culture dans un contexte donn, le gestionnaire est en mesure de

    comprendre l'mergence de processus culturels locaux, refltant diffrentes ralits

    et des pratiques de travail socialement ngocies. Ce cadre conceptuel a galement

    t utilis par Weisinger et Trauth (2003), dans l'analyse des dynamiques de la

    culture locale des firmes oprant dans le secteur multinational des technologies de

    l'information. Dans un article consacr l'importance du situating culture dans

    le management transculturel des technologies de l'information, l'application de ce

    champ conceptuel a permis aux chercheurs d'identifier une diffrence de perception

    des pratiques managriales. En effet, certaines pratiques ont t perues comme

    tant pertinentes dans un contexte local d'une firme multinationale, et ces mmes

    actions ont t perues comme tant non ncessaires voire culturellement offensives

    dans un contexte local diffrent pour la mme firme. Ceci s'explique, selon les

    auteurs, par le fait que la culture est ancre dans son territoire. L'tude a galement

    permis d'identifier les pratiques managriales acceptes dans le contexte culturel

    d'un pays et qui peuvent tre transfres avec succs un pays diffrent, afin de

    rsoudre des problmes de management mme lorsque les gestionnaires n'taient

    pas familiers avec ce nouveau contexte.

    Dans le prsent travail, on appliquera ce cadre conceptuel pour comprendre

    comment les organisations sont imprgnes de la culture locale environnante, elle

    mme rsultant de la combinaison entre diffrents niveaux culturels (culture

    nationale, culture rgionale, culture professionnelle). Cependant, on ne se limitera

    pas la dimension comportementale de la culture (actions), mais galement sa

    dimension cognitive (conceptions).

  • 31

    Ainsi, on analysera comment ces diffrents niveaux culturels interagissent

    pour imprgner les organisations d'une culture locale dOlU1e, et engendrer par

    consquent des significations et des comportements bien spcifiques.

    1.1.6. Les caractristiques du milieu local

    1.1.6.1. Le milieu local: dfinition

    Selon les chercheurs du GREMI, le milieu se dfinit comme un ensemble

    de rapports territorialiss qui runissent dans un ensemble cohrent un systme de

    production, des acteurs sociaux diffrents, une culture determine et un systme

    spcifique de reprsentation, qUI dclenchent un processus dynamique

    d'apprentissage collectif (Crevoisier et al., 1989, Ratti et D'Ambrogio, 1989), ou

    encore comme un ensemble territorialis dans lequel des interactions entre agents

    conomiques se dveloppent par l'apprentissage qu'ils font de transactions

    multilatrales gnratrices d' externalits spcifiques l' ilU1ovation et par la

    convergence des apprentissages vers des formes de plus en plus performantes de

    gestion en commun des ressources (Maillat, Quvit, SelU1, 1993, p6), ou comme

    une configuration d'agents et d'lments conomiques, socioculturels, politiques,

    institutiolU1els, possdant des modes d'organisation et de rgulation spcifiques

    Maillat et Perrin (1992).

    Selon Pierre-Andr Julien (2005), le milieu, c'est la construction sociale du

    march, qui facilite les multiples liens entre les diverses ressources d'une part, et les

    acheteurs d'autre part (Bagnasco, 1999). C'est un contexte de production territorial

    mesur par les savoir-faire, la culture technique et les capacits d'apprentissage,

    valorisant plus ou moins la proximit des acteurs pour crer une synergie avec

    l'envirolU1ement (Ratti et al, 1997).

  • 32

    1.1.6.2. Le milieu local comme rseau hybride: thorie de l'acteur-rseau

    D'aprs les dfinitions prcdentes, le milieu est caractris par plusieurs

    lments qui s'influencent mutuellement, notamment les institutions locales, la

    culture locale, la structure des interactions entre les acteurs (Saxenian, 1994,

    GREMI, 2006, Julien, 2005), et les hommes qui y vivent (Julien, 2005). Ces

    caractristiques seront dfinies dans le prochain paragraphe. Il s'agit d'un rseau

    d'lments hybrides, runissant des humains (hommes, culture) et des objets

    (infrastructure, institutions industrielles, associations industrielles etc), qui

    interagissent pour dOIU1er lieu des activits spcifiques (d'ordre technologique et

    novateur dans le cas du prsent travail). Cette hybridit d'humains et d'objets ainsi

    que leur aspect dynamique d'interactivit nous renvoie la thorie de l'acteur rseau

    qu'on prsentera dans ce qui suit.

    En effet, CaUon (1986, 1989, 2006), Akrich (1987), Latour (1984, 1989,

    1991, 1992), qu'on identifie panni les tenants de la thorie de la traduction, plus

    spcifiquement de la thorie de l'acteur rseau, indiquent que le social doit tre

    apprhend comme tant un effet caus par les interactions successives d'actants

    htrognes, c'est--dire de l'acteur-rseau. Tout acteur est un rseau et inversement.

    L'action d'une entit du rseau entrane la modification de ce dernier. Par

    consquent, toute action impliquant l'ensemble du rseau a une incidence sur les

    composantes du rseau. Ds lors, l'action ri'a pas de source prcise, elle engage

    toujours une srie d'entits et mobilise la force collective que celles-ci reprsentent.

    De mme, l'acteur-rseau est la fois local et global, en fonction de sa taille ou de sa

    longueur. Il peut tre la fois un micro et un macro-acteur puisque sa taille est

    variable dans le temps et dpend des oprations de traduction de ses portes-parole.

    Cette thorie s'avre importante dans l'aspect systmique de la culture, que l'on

    tudie dans le prsent travail comme une composante en interaction avec divers

  • 33

    lments, et non comme une variable isole. Aussi, des entits telles que les

    institutions, la structure des interactions, les conceptions et pratiques lies la

    culture, seront-elles prises en compte conune lments d'un rseau ou d'un systme

    ouvert, affectant les activits technologiques et novatrices des entreprises.

    Ces lments interagissent entre eux, pour donner naissance des

    consquences propres au milieu, de nature matrielle (financement de proximit et

    institutionnel offert par des acteurs du milieu qui croient aux projets locaux; Julien,

    2005) et immatrielle, telles que la culture entrepreneuriale du milieu, tendant soit

    bloquer ou soutenir l'innovation (Saxenian, 1994; Julien, 2005; GREMI, 2006), la

    formation disponible dans le milieu, l'information sur les faons de fonctionner et de

    grer auprs des gens que l'entrepreneur connat et en qui il a une double

    confiance technique et morale (Julien, 2005). Enfin, le milieu engendre diffrents

    types de proximits. Il s'agit de la proximit cognitive, dfinie conune le partage de

    connaissances de base, d'expertise et de rfrences communes, tels les mtiers

    rgionaux parfois hrits de l'histoire (Julien, 2005; Saxenian, 1994; GREMI, 2006),

    de la proximit organisationnelle, qui favorise l'intensit et la qualit des relations

    internes (et des transactions) entre les organisations, ou externes entre les rseaux.

    On distingue galement la proximit socioculturelle, c'est--dire que l'encastrement

    dans un tissu structur de relations personnelles, qui se fonde sur une histoire

    commune et le partage de valeurs, de normes et de conventions, et permet de

    comprendre et de renforcer les relations entre les organisations du milieu. On

    retrouve ensuite la proximit institutionnelle, qui renvoie l'exposition des acteurs

    locaux aux mmes lois et normes et l'accs aux mmes institutions de savoir. Enfin,

    le type de proximit le plus vident dans tout milieu est la proximit gographique

    (physique ou spatiale), qui facilite les rencontres non officielles pour obtenir des

    ressources de base. Elle est particulirement utile pour les PME qui n'ont pas les

    ressources des grandes entreprises (Gallaud et Torre, 2001). Par ailleurs, ce type de

    proximit peut donner plus de poids aux autres types de proximits et favoriser des

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    changes tacites (Rallet et Torre, 1999) qui stimulent l'innovation par la

    multiplication des ides, ainsi que par les changes sociaux.

    Ces consquences tangibles et intangibles, combines ensemble, influencent

    substantiellement l'entreprenariat et l'innovation dans le milieu.

    1.1.6.3. La culture locale

    Le concept de culture locale a t utilis par bon nombre de chercheurs pour

    dsigner la culture rgionale (Saxenian, 1994), ou la culture du milieu (Crevoisier et

    al., 1989, Ratti et D'Ambrogio, 1989, Maillat, Quvit et Senn, 1993; Maillat, 1995;

    Camagni, 1995b, GREMI, 1989, Maillat, Crevoisier et Vasserot, 1992).

    Cependant, dans le prsent travail, quoiqu'on adhre l'ide que le niveau

    d'analyse le plus proche de la culture locale est celui de la rgion, on considre que

    la culture locale est galement le rsultat d'une combinaison de niveaux culturels,

    savoir la culture supranationale, la culture nationale, la culture du secteur o opre

    une organisation, et mme la culture organisationnelle et la culture des groupes

    auxquelles sont exposes les organisations du milieu.

    Par consquent, la culture locale sera dfinie dans le prsent travail comme

    l'ensemble des actions et

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    ailleurs, l'interaction de la culture locale avec les autres composantes du milieu

    (institutions, structure des interactions), donne naissance des consquences

    matrielles et immatrielles spcifiques au milieu, et qui faonneront leur tour les

    comportements technologiques et d'innovation dans les organisations, comme on le

    verra ultrieurement.

    1.1.6.4. La structure locale

    La structure des interactions entre les acteurs locaux est dfinie comme la

    division sociale de la main d'uvre ou le degr d'intgration verticale, ainsi que

    l'tendue et la nature des liens entre clients, fournisseurs et concurrents dans un

    secteur particulier ou dans des secteurs complexes relis (Saxenian, 1994; p7). Par

    ailleurs, la structure des interactions peut inclure des rapports entre les organisations

    et leur communaut locale. La communaut local