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Eugne Ionesco
RHINOCROS
Pice en trois actes
Et quatre tableaux
ditions Gallimard, 1959
Genevive Serreauet au docteur T. Fraenkel.
PERSONNAGES
par ordre dentre en scne :
TABLEAU
LA MNAGRE1er
LPICIRE1er
JEAN1er, 3e
BRENGER1er, 2e, 3e, 4e
LA SERVEUSE1er
LPICIER1er
LE VIEUX MONSIEUR1er
LE LOGICIEN1er
LE PATRON DU CAF1er
DAISY1er, 2e, 4e
MONSIEUR PAPILLON2e
DUDARD
5/505
2e, 4e
BOTARD2e
MADAME BUF2e
UN POMPIER2e
MONSIEUR JEAN3e
LA FEMME DE MONSIEUR JEAN3e
PLUSIEURS TTES DE RHINOCROS
6/505
ACTE PREMIER
Dcor
Une place dans une petite ville deprovince. Au fond, une maison composedun rez-de-chausse et dun tage. Au rez-de-chausse, la devanture dune picerie. Ony entre par une porte vitre qui surmontedeux ou trois marches. Au-dessus de ladevanture est crit en caractres trs visiblesle mot : PICERIE . Au premier tage,deux fentres qui doivent tre celles du loge-ment des piciers. Lpicerie se trouve doncdans le fond du plateau, mais assez sur lagauche, pas loin des coulisses. On aperoit,au-dessus de la maison de lpicerie, leclocher dune glise, dans le lointain. Entrelpicerie et le ct droit, la perspective dunepetite rue. Sur la droite, lgrement en biais,la devanture dun caf. Au-dessus du caf, untage avec une fentre. Devant la terrasse de
ce caf : plusieurs tables et chaises savan-cent jusque prs du milieu du plateau. Unarbre poussireux prs des chaises de la ter-rasse. Ciel bleu, lumire crue, murs trsblancs. Cest un dimanche, pas loin de midi,en t. Jean et Brenger iront sasseoir unetable de la terrasse.
Avant le lever du rideau, on entend caril-lonner. Le carillon cessera quelques secondesaprs le lever du rideau. Lorsque le rideau selve, une femme, portant sous un bras unpanier provisions vide, et sous lautre unchat, traverse en silence la scne, de droite gauche. son passage, lpicire ouvre laporte de la boutique et la regarde passer.
LPICIRE
Ah ! celle-l ! ( son mari qui est dans laboutique.) Ah ! celle-l, elle est fire. Elle neveut plus acheter chez nous.
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Lpicire disparat, plateau videquelques secondes.
Par la droite, apparat Jean ; enmme temps, par la gauche, apparatBrenger. Jean est trs soigneusementvtu : costume marron, cravate rouge,faux col amidonn, chapeau marron. Ilest un peu rougeaud de figure. Il a dessouliers jaunes, bien cirs ; Brengernest pas ras, il est tte nue, les cheveuxmal peigns, les vtements chiffonns ;tout exprime chez lui la ngligence, il alair fatigu, somnolent ; de temps autre, il bille.
JEAN, venant de la droite.
Vous voil tout de mme, Brenger.
BRENGER, venant de la gauche.
Bonjour, Jean.
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JEAN
Toujours en retard, videmment ! (Il re-garde sa montre-bracelet.) Nous avionsrendez-vous onze heures trente. Il est bi-entt midi.
BRENGER
Excusez-moi. Vous mattendez depuislongtemps ?
JEAN
Non. Jarrive, vous voyez bien.
Ils vont sasseoir une des tables de la ter-rasse du caf.
BRENGER
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Alors, je me sens moins coupable,puisque vous-mme
JEAN
Moi, cest pas pareil, je naime pas at-tendre, je nai pas de temps perdre. Commevous ne venez jamais lheure, je viens ex-prs en retard, au moment o je supposeavoir la chance de vous trouver.
BRENGER
Cest juste cest juste, pourtant
JEAN
Vous ne pouvez affirmer que vous venez lheure convenue !
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BRENGER
videmment je ne pourrais laffirmer.
Jean et Brenger se sont assis.
JEAN
Vous voyez bien.
BRENGER
Quest-ce que vous buvez ?
JEAN
Vous avez soif, vous, ds le matin ?
BRENGER
Il fait tellement chaud, tellement sec.
13/505
JEAN
Plus on boit, plus on a soif, dit la sciencepopulaire
BRENGER
Il ferait moins sec, on aurait moins soif sion pouvait faire venir dans notre ciel desnuages scientifiques.
JEAN, examinant Brenger.
a ne ferait pas votre affaire. Ce nest pasdeau que vous avez soif, mon cherBrenger
BRENGER
14/505
Que voulez-vous dire par l, mon cherJean ?
JEAN
Vous me comprenez trs bien. Je parle delaridit de votre gosier. Cest une terreinsatiable.
BRENGER
Votre comparaison, il me semble
JEAN, linterrompant.
Vous tes dans un triste tat, mon ami.
BRENGER
Dans un triste tat, vous trouvez ?
15/505
JEAN
Je ne suis pas aveugle. Vous tombez de fa-tigue, vous avez encore perdu la nuit, vousbillez, vous tes mort de sommeil
BRENGER
Jai un peu mal aux cheveux
JEAN
Vous puez lalcool !
BRENGER
Jai un petit peu la gueule de bois, cestvrai !
JEAN
16/505
Tous les dimanches matin, cest pareil,sans compter les jours de la semaine.
BRENGER
Ah ! non, en semaine, cest moins frquent, cause du bureau
JEAN
Et votre cravate, o est-elle ? Vous lavezperdue dans vos bats !
BRENGER, mettant la main son cou.
Tiens, cest vrai, cest drle, quest-ce quejai bien pu en faire ?
JEAN, sortant une cravate de la poche deson veston.
17/505
Tenez, mettez celle-ci.
BRENGER
Oh, merci, vous tes bien obligeant.
Il noue la cravate son cou.
JEAN, pendant que Brenger noue sacravate
au petit bonheur.
Vous tes tout dcoiff ! (Brenger passeles doigts dans ses cheveux.) Tenez, voici unpeigne !
Il sort un peigne de lautre poche de sonveston.
BRENGER, prenant le peigne.
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Merci.
Il se peigne vaguement.
JEAN
Vous ne vous tes pas ras ! Regardez latte que vous avez.
Il sort une petite glace de la poche in-trieure de son veston, la tend Brenger quisy examine ; en se regardant dans la glace, iltire la langue.
BRENGER
Jai la langue bien charge.
JEAN, reprenant la glace et la remettantdans sa poche.
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Ce nest pas tonnant ! (Il reprend aussile peigne que lui tend Brenger et le remetdans sa poche.) La cirrhose vous menace,mon ami.
BRENGER, inquiet.
Vous croyez ?
JEAN, Brenger qui veut lui rendre lacravate.
Gardez la cravate, jen ai en rserve.
BRENGER, admiratif.
Vous tes soigneux, vous.
JEAN, continuant dinspecter Brenger.
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Vos vtements sont tout chiffonns, cestlamentable, votre chemise est dune salet re-poussante, vos souliers (Brenger essaye decacher ses pieds sous la table.) Vos souliersne sont pas cirs Quel dsordre ! Vospaules
BRENGER
Quest-ce quelles ont, mes paules ?
JEAN
Tournez-vous. Allez, tournez-vous. Vousvous tes appuy contre un mur (Brengertend mollement sa main vers Jean.) Non, jenai pas de brosse sur moi. Cela gonflerait lespoches. (Toujours mollement, Brengerdonne des tapes sur ses paules pour en fairesortir la poussire blanche ; Jean carte latte.) Oh ! l l O donc avez-vous priscela ?
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BRENGER
Je ne men souviens pas.
JEAN
Cest lamentable, lamentable ! Jai hontedtre votre ami.
BRENGER
Vous tes bien svre
JEAN
On le serait moins !
BRENGER
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coutez, Jean. Je nai gure de distrac-tions, on sennuie dans cette ville, je ne suispas fait pour le travail que jai tous les jours,au bureau, pendant huit heures, trois se-maines seulement de vacances en t ! Lesamedi soir, je suis plutt fatigu, alors, vousme comprenez, pour me dtendre
JEAN
Mon cher, tout le monde travaille et moiaussi, moi aussi comme tout le monde, je faistous les jours mes huit heures de bureau, moiaussi, je nai que vingt et un jours de congpar an, et pourtant, pourtant vous me voyez.De la volont, que diable !
BRENGER
Oh ! de la volont, tout le monde na pas lavtre. Moi je ne my fais pas. Non, je ne myfais pas, la vie.
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JEAN
Tout le monde doit sy faire. Seriez-vousune nature suprieure ?
BRENGER
Je ne prtends pas
JEAN, interrompant.
Je vous vaux bien ; et mme, sans faussemodestie, je vaux mieux que vous. Lhommesuprieur est celui qui remplit son devoir.
BRENGER
Quel devoir ?
JEAN
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Son devoir son devoir demploy parexemple
BRENGER
Ah, oui, son devoir demploy
JEAN
O donc ont eu lieu vos libations cette nu-it ? Si vous vous en souvenez !
BRENGER
Nous avons ft lanniversaire dAuguste,notre ami Auguste
JEAN
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Notre ami Auguste ? On ne ma pas invit,moi, pour lanniversaire de notre amiAuguste
ce moment, on entend le bruit trsloign, mais se rapprochant trs vite,dun souffle de fauve et de sa course pr-cipite, ainsi quun long barrissement.
BRENGER
Je nai pas pu refuser. Cela naurait pas tgentil
JEAN
Y suis-je all, moi ?
BRENGER
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Cest peut-tre, justement, parce que vousnavez pas t invit !
LA SERVEUSE, sortant du caf.
Bonjour, Messieurs, que dsirez-vousboire ?
Les bruits sont devenus trs forts.
JEAN, Brenger et criant presquepour se faire entendre, au-dessus des bruits
quil ne peroit pas consciemment.
Non, il est vrai, je ntais pas invit. On nema pas fait cet honneur Toutefois, je puisvous assurer que mme si javais t invit, jene serais pas venu, car (Les bruits sontdevenus normes.) Que se passe-t-il ? (Lesbruits du galop dun animal puissant etlourd sont tout proches, trs acclrs ; on
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entend son haltement.) Mais quest-ce quecest ?
LA SERVEUSE
Mais quest-ce que cest ?
Brenger, toujours indolent, sansavoir lair dentendre quoi que ce soit,rpond tranquillement Jean au sujetde linvitation ; il remue les lvres ; onnentend pas ce quil dit ; Jean se lvedun bond, fait tomber sa chaise en se le-vant, regarde du ct de la coulissegauche, en montrant du doigt, tandisque Brenger, toujours un peu vaseux,reste assis.
JEAN
Oh ! un rhinocros ! (Les bruits produitspar lanimal sloigneront la mme vitesse,
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si bien que lon peut dj distinguer les pa-roles qui suivent ; toute cette scne doit trejoue trs vite, rptant :) Oh ! unrhinocros !
LA SERVEUSE
Oh ! un rhinocros !
LPICIRE, qui montre sa tte par laporte delpicerie.
Oh ! un rhinocros ! ( son mari, restdans la boutique :) Viens vite voir, unrhinocros !
Tous suivent du regard, gauche, la coursedu fauve.
JEAN
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Il fonce droit devant lui, frle les talages !
LPICIER, dans sa boutique.
O a ?
LA SERVEUSE, mettant les mains sur leshanches.
Oh !
LPICIRE, son mari qui est toujoursdans sa boutique.
Viens voir !
Juste ce moment lpicier montre sa tte.
LPICIER, montrant sa tte.
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Oh ! un rhinocros !
LE LOGICIEN, venant vite en scne par lagauche.
Un rhinocros, toute allure sur le trottoirden face !
Toutes ces rpliques, partir de : Oh ! un rhinocros ! dit par Jean,sont presque simultanes. On entend un ah ! pouss par une femme. Elle ap-parat. Elle court jusquau milieu duplateau ; cest la Mnagre avec sonpanier au bras ; une fois arrive au mi-lieu du plateau, elle laisse tomber sonpanier ; ses provisions se rpandent surla scne, une bouteille se brise, mais ellene lche pas le chat tenu sous lautrebras.
LA MNAGRE
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Ah ! Oh !
Le Vieux Monsieur lgant venant dela gauche, la suite de la Mnagre, seprcipite dans la boutique des piciers,les bouscule, entre, tandis que le Logi-cien ira se plaquer contre le mur dufond, gauche de lentre de lpicerie.Jean et la Serveuse debout, Brengerassis, toujours apathique, forment unautre groupe. En mme temps, on a puentendre en provenance de la gauchedes oh ! , des ah ! , des pas de gensqui fuient. La poussire, souleve par lefauve, se rpand sur le plateau.
LE PATRON, sortant sa tte par la fentre ltage au-dessus du caf.
Que se passe-t-il ?
32/505
LE VIEUX MONSIEUR, disparaissant der-rire les piciers.
Pardon !
Le Vieux Monsieur lgant a desgutres blanches, un chapeau mou, unecanne pommeau divoire ; le Logicienest plaqu contre le mur, il a une petitemoustache grise, des lorgnons, il estcoiff dun canotier.
LPICIRE, bouscule et bousculant sonmari, au Vieux Monsieur.
Attention, vous, avec votre canne !
LPICIER
Non, mais des fois, attention !
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On verra la tte du Vieux Monsieurderrire les piciers.
LA SERVEUSE, au Patron.
Un rhinocros !
LE PATRON, de sa fentre, la Serveuse.
Vous rvez ! (Voyant le rhinocros.) Oh !a alors !
LA MNAGRE
Ah ! (Les oh et les ah des coulissessont comme un arrire-fond sonore son ah elle ; la Mnagre, qui a laisstomber son panier provisions et labouteille, na donc pas laiss tomber son chatquelle tient sous lautre bras.) Pauvre minet,il a eu peur !
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LE PATRON, regardant toujours vers lagauche, suivant des yeux la course de lanim-al, tandis que les bruits produits par celui-civont en dcroissant : sabots, barrissements,etc. Brenger, lui, carte simplement un peu
la tte, cause de la poussire, un peu en-dormi, sans rien dire ; il fait simplement une
grimace.
a alors !
JEAN, cartant lui aussi un peu la tte, maisavec vivacit.
a alors !
Il ternue.
LA MNAGRE, au milieu du plateau, maiselle sest retourne vers la gauche ; les provi-sions sont rpandues par terre autour delle.
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a alors !
Elle ternue.
LE VIEUX MONSIEUR, LPICIRE,LPICIER, au fond, rouvrant la porte vit-
re de dpicerie, que le Vieux Monsieur avaitreferme derrire lui.
a alors !
JEAN
a alors ! ( Brenger.) Vous avez vu ?
Les bruits produits par le rhinocros,son barrissement se sont bien loigns ;les gens suivent encore du regard lan-imal, debout, sauf Brenger, toujoursapathique et assis.
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TOUS, sauf Brenger.
a alors !
BRENGER, Jean.
Il me semble, oui, ctait un rhinocros !a en fait de la poussire !
Il sort son mouchoir, se mouche.
LA MNAGRE
a alors ! Ce que jai eu peur !
LPICIER, la Mnagre.
Votre panier vos provisions
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LE VIEUX MONSIEUR, sapprochant de laDame
et se baissant pour ramasser les provisionsparpilles
sur le plancher. Il la salue galamment, enl-evant son chapeau.
LE PATRON
Tout de mme, on na pas ide
LA SERVEUSE
Par exemple !
LE VIEUX MONSIEUR, la Dame.
Voulez-vous me permettre de vous aider ramasser vos provisions ?
LA DAME, au Vieux Monsieur.
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Merci, Monsieur. Couvrez-vous, je vousprie. Oh ! ce que jai eu peur.
LE LOGICIEN
La peur est irrationnelle. La raison doit lavaincre.
LA SERVEUSE
On ne le voit dj plus.
LE VIEUX MONSIEUR, la Mnagre,montrant le Logicien.
Mon ami est logicien.
JEAN, Brenger.
Quest-ce que vous en dites ?
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LA SERVEUSE
a va vite ces animaux-l !
LA MNAGRE, au Logicien.
Enchante, Monsieur.
LPICIRE, lpicier.
Cest bien fait pour elle. Elle ne la pasachet chez nous.
JEAN, au Patron et la Serveuse.
Quest-ce que vous en dites ?
LA MNAGRE
Je nai quand mme pas lch mon chat.
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LE PATRON, haussant les paules, lafentre.
On voit pas a souvent !
LA MNAGRE, au Logicien, tandis que leVieux Monsieur ramasse les provisions.
Voulez-vous le garder un instant ?
LA SERVEUSE, Jean.
Jen avais jamais vu !
LE LOGICIEN, la Mnagre, prenant lechat dans ses bras.
Il nest pas mchant ?
LE PATRON, Jean.
41/505
Cest comme une comte !
LA MNAGRE, au Logicien.
Il est gentil comme tout. (Aux autres.)Mon vin, au prix o il est !
LPICIER, la Mnagre.
Jen ai, cest pas a qui manque !
JEAN, Brenger.
Dites, quest-ce que vous en dites ?
LPICIER, la Mnagre.
Et du bon !
LE PATRON, la Serveuse.
42/505
Ne perdez pas votre temps ! Occupez-vousde ces Messieurs !
Il montre Brenger et Jean, il rentre sa tte.
BRENGER, Jean.
De quoi parlez-vous ?
LPICIRE, lpicier.
Va donc lui porter une autre bouteille !
JEAN, Brenger.
Du rhinocros, voyons, du rhinocros !
LPICIER, la Mnagre.
43/505
Jai du bon vin, dans des bouteillesincassables !
Il disparat dans la boutique.
LE LOGICIEN, caressant le chat dans sesbras.
Minet ! minet ! minet !
LA SERVEUSE, Brenger et Jean.
Que voulez-vous boire ?
BRENGER, la Serveuse.
Deux pastis !
LA SERVEUSE
Bien, Monsieur.
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Elle se dirige vers lentre du caf.
LA MNAGRE, ramassant ses provisions,aide par le Vieux Monsieur.
Vous tes bien aimable, Monsieur.
LA SERVEUSE
Alors, deux pastis !
Elle entre dans le caf.
LE VIEUX MONSIEUR, la Mnagre.
Cest la moindre des choses, chreMadame.
Lpicire entre dans sa boutique.
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LE LOGICIEN, au Monsieur, la Mnagre,qui sont en train de ramasser les provisions.
Remettez-les mthodiquement.
JEAN, Brenger.
Alors, quest-ce que vous en dites ?
BRENGER, Jean, ne sachant quoi dire.
Ben rien a fait de la poussire
LPICIER, sortant de la boutique avec unebouteille de vin, la Mnagre.
Jai aussi des poireaux.
LE LOGICIEN, toujours caressant le chatdans ses bras.
46/505
Minet ! minet ! minet !
LPICIER, la Mnagre.
Cest cent francs le litre.
LA MNAGRE, donnant largent lpicier, puis sadressant au Vieux Monsieur
qui a russi tout remettre dans le panier.
Vous tes bien aimable. Ah ! la politessefranaise ! Cest pas comme les jeunes dau-jourdhui !
LPICIER, prenant largent de la Mnagre.
Il faudra venir acheter chez nous. Vousnaurez pas traverser la rue. Vous nerisquerez plus les mauvaises rencontres !
Il rentre dans sa boutique.
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JEAN, qui sest rassis et pense toujours aurhinocros.
Cest tout de mme extraordinaire !
LE VIEUX MONSIEUR, il soulve sonchapeau, baise la main de la Mnagre.
Trs heureux de vous connatre !
LA MNAGRE, au Logicien.
Merci, Monsieur, davoir tenu mon chat.
Le Logicien rend le chat la Mn-agre. La Serveuse rapparat avec lesconsommations.
LA SERVEUSE
48/505
Voici vos pastis, Messieurs !
JEAN, Brenger.
Incorrigible !
LE VIEUX MONSIEUR, la Mnagre.
Puis-je vous faire un bout de conduite ?
BRENGER, Jean, montrant la Serveusequi rentre
de nouveau dans la boutique.
Javais demand de leau minrale. Ellesest trompe.
Jean hausse les paules, mprisant etincrdule.
LA MNAGRE, au Vieux Monsieur.
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Mon mari mattend, cher Monsieur. Merci.Ce sera pour une autre fois !
LE VIEUX MONSIEUR, la Mnagre.
Je lespre de tout mon cur, chreMadame.
LA MNAGRE, au Vieux Monsieur.
Moi aussi !
Yeux doux, puis elle sort par la gauche.
BRENGER
Il ny a plus de poussire
Jean hausse de nouveau les paules.
50/505
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien, suivantdu regard
la Mnagre.
Dlicieuse !
JEAN, Brenger.
Un rhinocros ! Je nen reviens pas !
Le Vieux Monsieur et le Logicien sedirigent vers la droite, doucement, paro ils vont sortir. Ils devisenttranquillement.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien, aprsavoir jet un dernier coup dil en direction
de la Mnagre.
Charmante, nest-ce pas ?
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LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Je vais vous expliquer le syllogisme.
LE VIEUX MONSIEUR
Ah ! oui, le syllogisme !
JEAN, Brenger.
Je nen reviens pas ! Cest inadmissible.
Brenger bille.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Le syllogisme comprend la propositionprincipale, la secondaire et la conclusion.
LE VIEUX MONSIEUR
52/505
Quelle conclusion ?
Le Logicien et le Vieux Monsieur sortent.
JEAN
Non, je nen reviens pas.
BRENGER, Jean.
a se voit que vous nen revenez pas.Ctait un rhinocros, eh bien, oui, ctait unrhinocros ! Il est loin il est loin
JEAN
Mais voyons, voyons Cest inou ! Unrhinocros en libert dans la ville, cela nevous surprend pas ? On ne devrait pas le per-mettre ! (Brenger bille.) Mettez donc lamain devant votre bouche !
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BRENGER
Ouais ouais On ne devrait pas le per-mettre. Cest dangereux. Je ny avais paspens. Ne vous en faites pas, nous sommeshors datteinte.
JEAN
Nous devrions protester auprs des autor-its municipales ! quoi sont-elles bonnesles autorits municipales ?
BRENGER, billant, puis mettant vivementla main
sa bouche.
Oh ! pardon Peut-tre que le rhinocrossest-il chapp du jardin zoologique !
54/505
JEAN
Vous rvez debout !
BRENGER
Je suis assis.
JEAN
Assis ou debout, cest la mme chose.
BRENGER
Il y a tout de mme une diffrence.
JEAN
Il ne sagit pas de cela.
BRENGER
55/505
Cest vous qui venez de dire que cest lamme chose, dtre assis ou debout
JEAN
Vous avez mal compris. Assis ou debout,cest la mme chose, quand on rve !
BRENGER
Eh oui, je rve La vie est un rve.
JEAN, continuant.
Vous rvez quand vous dites que lerhinocros sest chapp du jardinzoologique
BRENGER
56/505
Jai dit : peut-tre
JEAN, continuant.
car il ny a plus de jardin zoologiquedans notre ville depuis que les animaux ontt dcims par la peste il y a fortlongtemps
BRENGER, mme indiffrence.
Alors, peut-tre vient-il du cirque ?
JEAN
De quel cirque parlez-vous ?
BRENGER
Je ne sais pas un cirque ambulant.
57/505
JEAN
Vous savez bien que la mairie a interditaux nomades de sjourner sur le territoire dela commune Il nen passe plus depuis notreenfance.
BRENGER, sempchant de biller et nyarrivant pas.
Dans ce cas, peut-tre tait-il depuis lorsrest cach dans les bois marcageux desalentours ?
JEAN, levant les bras au ciel.
Les bois marcageux des alentours ! Lesbois marcageux des alentours ! Mon pauvreami, vous tes tout fait dans les brumespaisses de lalcool.
58/505
BRENGER, naf
a cest vrai elles montent de lestomac
JEAN
Elles vous enveloppent le cerveau. Oconnaissez-vous des bois marcageux dansles alentours ? Notre province est surnom-me La petite Castille tellement elle estdsertique !
BRENGER, excd et assez fatigu.
Que sais-je alors ? Peut-tre sest-il abritsous un caillou ? Peut-tre a-t-il fait son nidsur une branche dessche ?
JEAN
59/505
Si vous vous croyez spirituel, vous voustrompez, sachez-le ! Vous tes ennuyeuxavec avec vo paradoxes ! Je vous tiens pourincapable de parler srieusement !
BRENGER
Aujourdhui, aujourdhui seulement cause de parce que je
Il montre sa tte dun geste vague.
JEAN
Aujourdhui, autant que dhabitude !
BRENGER
Pas autant, tout de mme.
JEAN
60/505
Vos mots desprit ne valent rien !
BRENGER
Je ne prtends nullement
JEAN, linterrompant.
Je dteste quon se paie ma tte !
BRENGER, la main sur le cur.
Je ne me permettrais jamais, mon cherJean
JEAN, linterrompant.
Mon cher Brenger, vous vous lepermettez
61/505
BRENGER
Non, a non, je ne me le permets pas.
JEAN
Si, vous venez de vous le permettre !
BRENGER
Comment pouvez-vous penser ?
JEAN, linterrompant.
Je pense ce qui est !
BRENGER
Je vous assure
JEAN, linterrompant.
62/505
Que vous vous payez ma tte !
BRENGER
Vraiment, vous tes ttu.
JEAN
Vous me traitez de bourrique, par-dessusle march. Vous voyez bien, vous minsultez.
BRENGER
Cela ne peut pas me venir lesprit.
JEAN
Vous navez pas desprit !
BRENGER
63/505
Raison de plus pour que cela ne me viennepas lesprit.
JEAN
Il y a des choses qui viennent lespritmme de ceux qui nen ont pas.
BRENGER
Cela est impossible.
JEAN
Pourquoi cela est-il impossible ?
BRENGER
Parce que cest impossible.
64/505
JEAN
Expliquez-moi pourquoi cela est im-possible, puisque vous prtendez tre enmesure de tout expliquer
BRENGER
Je nai jamais prtendu une chose pareille.
JEAN
Alors, pourquoi vous en donnez-vous lair !Et, encore une fois, pourquoi minsultez-vous ?
BRENGER
Je ne vous insulte pas. Au contraire. Voussavez quel point je vous estime.
65/505
JEAN
Si vous mestimez, pourquoi mecontredisez-vous en prtendant quil nest pasdangereux de laisser courir un rhinocros enplein centre de la ville, surtout un dimanchematin, quand les rues sont pleines denfantset aussi dadultes
BRENGER
Beaucoup sont la messe. Ceux-l nerisquent rien
JEAN, linterrompant.
Permettez lheure du march, encore.
BRENGER
66/505
Je nai jamais affirm quil ntait pasdangereux de laisser courir un rhinocrosdans la ville. Jai dit tout simplement que jenavais pas rflchi ce danger. Je ne me suispas pos la question.
JEAN
Vous ne rflchissez jamais rien !
BRENGER
Bon, daccord. Un rhinocros en libert, anest pas bien.
JEAN
Cela ne devrait pas exister.
BRENGER
67/505
Cest entendu. Cela ne devrait pas exister.Cest mme une chose insense. Bien. Pour-tant, ce nest pas une raison de vous querelleravec moi pour ce fauve. Quelle histoire mecherchez-vous cause dun quelconqueprissodactyle qui vient de passer tout faitpar hasard, devant nous ? Un quadrupdestupide qui ne mrite mme pas quon enparle ! Et froce en plus Et qui a disparuaussi, qui nexiste plus. On ne va pas seproccuper dun animal qui nexiste pas. Par-lons dautre chose, mon cher Jean, parlonsdautre chose, les sujets de conversation nemanquent pas (Il bille, il prend son verre.) votre sant !
ce moment, le Logicien et le VieuxMonsieur entrent de nouveau, par ladroite ; ils iront sinstaller, tout en par-lant, une des tables de la terrasse ducaf, assez loin de Brenger et de Jean,en arrire et droite de ceux-ci.
68/505
JEAN
Laissez ce verre sur la table. Ne le buvezpas.
Jean boit une grande gorge de sonpastis et pose le verre moiti vide surla table. Brenger continue de tenir sonverre dans la main, sans le poser, sansoser le boire non plus.
BRENGER
Je ne vais tout de mme pas le laisser auPatron !
Il fait mine de vouloir boire.
JEAN
69/505
Laissez-le, je vous dis.
BRENGER
Bon. (Il veut remettre le verre sur la table. ce moment passe Daisy, jeune dactyloblonde, qui traverse le plateau, de droite gauche. En apercevant Daisy, Brenger selve brusquement et, en se levant, il fait ungeste maladroit ; le verre tombe et mouille lepantalon de Jean.) Oh ! Daisy.
JEAN
Attention ! Que vous tes maladroit.
BRENGER
Cest Daisy excusez-moi (Il va se cach-er, pour ne pas tre vu par Daisy.) Je ne
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veux pas quelle me voie dans ltat o jesuis.
JEAN
Vous tes impardonnable, absolument im-pardonnable ! (Il regarde vers Daisy qui dis-parat.) Cette jeune fille vous effraye ?
BRENGER
Taisez-vous, taisez-vous.
JEAN
Elle na pas lair mchant, pourtant !
BRENGER, revenant vers Jean une fois queDaisy a disparu.
Excusez-moi, encore une fois, pour
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JEAN
Voil ce que cest de boire, vous ntes plusmatre de vos mouvements, vous navez plusde force dans les mains, vous tes ahuri, es-quint. Vous creusez votre propre tombe,mon cher ami. Vous vous perdez.
BRENGER
Je naime pas tellement lalcool. Et pour-tant si je ne bois pas, a ne va pas. Cestcomme si javais peur, alors je bois pour neplus avoir peur.
JEAN
Peur de quoi ?
BRENGER
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Je ne sais pas trop. Des angoisses difficiles dfinir. Je me sens mal laise dans lexist-ence, parmi les gens, alors je prends un verre.Cela me calme, cela me dtend, joublie.
JEAN
Vous vous oubliez !
BRENGER
Je suis fatigu, depuis des annes fatigu.Jai du mal porter le poids de mon proprecorps
JEAN
Cest de la neurasthnie alcoolique, lamlancolie du buveur de vin
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BRENGER, continuant.
Je sens chaque instant mon corps,comme sil tait de plomb, ou comme si jeportais un autre homme sur le dos. Je ne mesuis pas habitu moi-mme. Je ne sais passi je suis moi. Ds que je bois un peu, lefardeau disparat, et je me reconnais, je devi-ens moi.
JEAN
Des lucubrations ! Brenger, regardez-moi. Je pse plus que vous. Pourtant, je mesens lger, lger, lger !
Il bouge ses bras comme sil allaitsenvoler. Le Vieux Monsieur et le Logi-cien qui sont de nouveau entrs sur leplateau ont fait quelques pas sur lascne en devisant. Juste ce moment, ilspassent ct de Jean et de Brenger.
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Un bras de Jean heurte trs fort le VieuxMonsieur qui bascule dans les bras duLogicien.
LE LOGICIEN, continuant la discussion.
Un exemple de syllogisme (Il est heurt.)Oh !
LE VIEUX MONSIEUR, Jean.Attention. (Au Logicien.) Pardon.
JEAN, au Vieux Monsieur.
Pardon.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Il ny a pas de mal.
LE VIEUX MONSIEUR, Jean.
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Il ny a pas de mal.
Le Vieux Monsieur et le Logicien vontsasseoir lune des tables de la ter-rasse, un peu droite et derrire Jean etBrenger.
BRENGER, Jean.
Vous avez de la force.
JEAN
Oui, jai de la force, jai de la force pourplusieurs raisons. Dabord, jai de la forceparce que jai de la force, ensuite jai de laforce parce que jai de la force morale. Jaiaussi de la force parce que je ne suis pas al-coolis. Je ne veux pas vous vexer, mon cherami, mais je dois vous dire que cest lalcoolqui pse en ralit.
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LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Voici donc un syllogisme exemplaire. Lechat a quatre pattes. Isidore et Fricot ontchacun quatre pattes. Donc Isidore et Fricotsont chats.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Mon chien aussi a quatre pattes.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Alors, cest un chat.
BRENGER, Jean.
Moi, jai peine la force de vivre. Je nen aiplus envie peut-tre.
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LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien aprsavoir longuement rflchi.
Donc, logiquement, mon chien serait unchat.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Logiquement, oui. Mais le contraire estaussi vrai.
BRENGER, Jean.
La solitude me pse. La socit aussi.
JEAN, Brenger.
Vous vous contredisez. Est-ce la solitudequi pse, ou est-ce la multitude ? Vous vousprenez pour un penseur et vous navezaucune logique.
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LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Cest trs beau, la logique.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
condition de ne pas en abuser.
BRENGER, Jean.
Cest une chose anormale de vivre.
JEAN
Au contraire. Rien de plus naturel. Lapreuve : tout le monde vit.
BRENGER
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Les morts sont plus nombreux que lesvivants. Leur nombre augmente. Les vivantssont rares.
JEANLes morts, a nexiste pas, cest le cas de le
dire ! Ah ! ah ! (Gros rire.) Ceux-l aussivous psent ? Comment peuvent peser deschoses qui nexistent pas ?
BRENGER
Je me demande moi-mme si jexiste !
JEAN, Brenger.
Vous nexistez pas, mon cher, parce quevous ne pensez pas ! Pensez, et vous serez.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
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Autre syllogisme : tous les chats sont mor-tels. Socrate est mortel. Donc Socrate est unchat.
LE VIEUX MONSIEUR
Et il a quatre pattes. Cest vrai, jai un chatqui sappelle Socrate.
LE LOGICIEN
Vous voyez
JEAN, Brenger.
Vous tes un farceur, dans le fond. Unmenteur. Vous dites que la vie ne vous in-tresse pas. Quelquun, cependant, vousintresse !
BRENGER
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Qui ?
JEAN
Votre petite camarade de bureau, qui vientde passer. Vous en tes amoureux !
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Socrate tait donc un chat !
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
La logique vient de nous le rvler.
JEAN, Brenger.
Vous ne vouliez pas quelle vous voie dansle triste tat o vous vous trouviez. (Geste deBrenger.) Cela prouve que tout ne vous est
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pas indiffrent. Mais comment voulez-vousque Daisy soit sduite par un ivrogne ?
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Revenons nos chats.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Je vous coute.
BRENGER, Jean.
De toute faon, je crois quelle a djquelquun en vue.
JEAN, Brenger.
Qui donc ?
BRENGER
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Dudard. Un collgue du bureau : licencien droit, juriste, grand avenir dans la maison,de lavenir dans le cur de Daisy ; je ne peuxpas rivaliser avec lui.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Le chat Isidore a quatre pattes.
LE VIEUX MONSIEUR
Comment le savez-vous ?
LE LOGICIEN
Cest donn par hypothse.
BRENGER, Jean.
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Il est bien vu par le chef. Moi, je nai pasdavenir, pas fait dtudes, je nai aucunechance.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Ah ! par hypothse !
JEAN, Brenger.
Et vous renoncez, comme cela
BRENGER, Jean.
Que pourrais-je faire ?
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Fricot aussi a quatre pattes. Combien depattes auront Fricot et Isidore ?
85/505
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Ensemble ou sparment ?
JEAN, Brenger.
La vie est une lutte, cest lche de ne pascombattre !
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Ensemble, ou sparment, cest selon.
BRENGER, Jean.
Que voulez-vous, je suis dsarm.
JEAN
Armez-vous, mon cher, armez-vous.
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LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien, aprsavoir pniblement rflchi.
Huit, huit pattes.
LE LOGICIEN
La logique mne au calcul mental.
LE VIEUX MONSIEUR
Elle a beaucoup de facettes !
BRENGER, Jean.
O trouver les armes ?
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
La logique na pas de limites !
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JEAN
En vous-mme. Par votre volont.
BRENGER, Jean.
Quelles armes ?
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Vous allez voir
JEAN, Brenger.
Les armes de la patience, de la culture, lesarmes de lintelligence. (Brenger bille.)Devenez un esprit vif et brillant. Mettez-vous la page.
BRENGER, Jean.
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Comment se mettre la page ?
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Jenlve deux pattes ces chats. Combienleur en restera-t-il chacun ?
LE VIEUX MONSIEUR
Cest compliqu.
BRENGER, Jean.
Cest compliqu.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Cest simple au contraire.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
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Cest facile pour vous, peut-tre, pas pourmoi.
BRENGER, Jean.
Cest facile pour vous, peut-tre, pas pourmoi.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Faites un effort de pense, voyons.Appliquez-vous.
JEAN, Brenger.
Faites un effort de pense, voyons.Appliquez-vous.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Je ne vois pas.
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BRENGER, Jean.
Je ne vois vraiment pas.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
On doit tout vous dire.
JEAN, Brenger.
On doit tout vous dire.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Prenez une feuille de papier, calculez. Onenlve six pattes aux deux chats, combien depattes restera-t-il chaque chat ?
LE VIEUX MONSIEUR
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Attendez
Il calcule sur une feuille de papier quil tirede sa poche.
JEAN
Voil ce quil faut faire : vous vous habillezcorrectement, vous vous rasez tous les jours,vous mettez une chemise propre.
BRENGER, Jean.
Cest cher, le blanchissage
JEAN, Brenger.
conomisez sur lalcool. Ceci, pour lex-trieur : chapeau, cravate comme celle-ci,costume lgant, chaussures bien cires.
92/505
En parlant des lments vesti-mentaires, Jean montre avec fatuit sonpropre chapeau, sa propre cravate, sespropres souliers.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Il y a plusieurs solutions possibles.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Dites.
BRENGER, Jean.
Ensuite, que faire ? Dites
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Je vous coute.
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BRENGER, Jean.
Je vous coute.
JEAN, Brenger.
Vous tes timide, mais vous avez des dons.
BRENGER, Jean.
Moi, jai des dons ?
JEAN
Mettez-les en valeur. Il faut tre dans lecoup. Soyez au courant des vnements lit-traires et culturels de notre poque.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
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Une premire possibilit : un chat peutavoir quatre pattes, lautre deux.
BRENGER, Jean.
Jai si peu de temps libre.
LE LOGICIEN
Vous avez des dons, il suffisait de lesmettre en valeur.
JEAN
Le peu de temps libre que vous avez,mettez-le donc profit. Ne vous laissez pasaller la drive.
LE VIEUX MONSIEUR
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Je nai gure eu le temps. Jai tfonctionnaire.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
On trouve toujours le temps de sinstruire.
JEAN, Brenger.
On a toujours le temps.
BRENGER, Jean.
Cest trop tard.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Cest un peu tard, pour moi.
JEAN, Brenger.
96/505
Il nest jamais trop tard.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Il nest jamais trop tard.
JEAN, Brenger.
Vous avez huit heures de travail, commemoi, comme tout le monde, mais le di-manche, mais le soir, mais les trois semainesde vacances en t ? Cela suffit, avec de lamthode.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Alors, les autres solutions ? Avec mthode,avec mthode
Le Monsieur se met calculer de nouveau.
97/505
JEAN, Brenger.
Tenez, au lieu de boire et dtre malade, nevaut-il pas mieux tre frais et dispos, mmeau bureau ? Et vous pouvez passer vos mo-ments disponibles dune faon intelligente.
BRENGER, Jean.
Cest--dire ?
JEAN, Brenger.
Visitez les muses, lisez des revues lit-traires, allez entendre des confrences. Celavous sortira de vos angoisses, cela vousformera lesprit. En quatre semaines, voustes un homme cultiv.
BRENGER, Jean.
98/505
Vous avez raison !
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Il peut y avoir un chat cinq pattes
JEAN, Brenger.
Vous le dites vous-mme.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Et un autre chat une patte. Mais alorsseront-ils toujours des chats ?
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Pourquoi pas ?
JEAN, Brenger.
99/505
Au lieu de dpenser tout votre argentdisponible en spiritueux, nest-il pas prfr-able dacheter des billets de thtre pour voirun spectacle intressant ? Connaissez-vous lethtre davant-garde, dont on parle tant ?Avez-vous vu les pices de Ionesco ?
BRENGER, Jean.
Non, hlas ! Jen ai entendu parlerseulement.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
En enlevant les deux pattes sur huit, desdeux chats
JEAN, Brenger.
Il en passe une, en ce moment. Profitez-en.
100/505
LE VIEUX MONSIEUR
Nous pouvons avoir un chat six pattes
BRENGER
Ce sera une excellente initiation la vieartistique de notre temps.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Et un chat, sans pattes du tout.
BRENGER
Vous avez raison, vous avez raison. Je vaisme mettre la page, comme vous dites.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Dans ce cas, il y aurait un chat privilgi.
101/505
BRENGER, Jean.
Je vous le promets.
JEAN
Promettez-le-vous vous-mme, surtout.
LE VIEUX MONSIEUR
Et un chat alin de toutes ses pattes,dclass ?
BRENGER
Je me le promets solennellement. Jetiendrai parole moi-mme.
LE LOGICIEN
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Cela ne serait pas juste. Donc ce ne seraitpas logique.
BRENGER, Jean.
Au lieu de boire, je dcide de cultiver monesprit. Je me sens dj mieux. Jai dj la tteplus claire.
JEAN
Vous voyez bien !
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Pas logique ?
BRENGER
103/505
Ds cet aprs-midi, jirai au muse muni-cipal. Pour ce soir, jachte deux places authtre. Maccompagnez-vous ?
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Car la justice, cest la logique.
JEAN, Brenger.
Il faudra persvrer. Il faut que vos bonnesintentions durent.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Je saisis. La justice
BRENGER, Jean.
104/505
Je vous le promets, je me le promets.Maccompagnez-vous au muse cet aprs-midi ?
JEAN, Brenger.
Cet aprs-midi, je fais la sieste, cest dansmon programme.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
La justice, cest encore une facette de lalogique.
BRENGER, Jean.
Mais vous voulez bien venir avec moi cesoir au thtre ?
JEAN
105/505
Non, pas ce soir.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Votre esprit sclaire !
JEAN, Brenger.
Je souhaite que vous persvriez dans vosbonnes intentions. Mais, ce soir, je dois ren-contrer des amis la brasserie.
BRENGER
la brasserie ?
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
Dailleurs, un chat sans pattes du tout
JEAN, Brenger.
106/505
Jai promis dy aller. Je tiens mespromesses.
LE VIEUX MONSIEUR, au Logicien.
ne pourrait plus courir assez vite pourattraper les souris.
BRENGER, Jean.
Ah ! mon cher, cest votre tour de donnerle mauvais exemple ! Vous allez vous enivrer.
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Vous faites dj des progrs en logique !
On commence de nouveau en-tendre, se rapprochant toujours trsvite, un galop rapide, un barrissement,
107/505
les bruits prcipits des sabots dunrhinocros, son souffle bruyant, maiscette fois, en sens inverse, du fond de lascne vers le devant, toujours en cou-lisse, gauche.
JEAN, furieux, Brenger.
Mon cher ami, une fois nest pas coutume.Aucun rapport avec vous. Car vous vousce nest pas la mme chose
BRENGER, Jean.
Pourquoi ne serait-ce pas la mme chose ?
JEAN, criant pour dominer le bruit venantde la boutique.
Je ne suis pas un ivrogne, moi !
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LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Mme sans pattes, le chat doit attraper lessouris. Cest dans sa nature.
BRENGER, criant trs fort.
Je ne veux pas dire que vous tes un ivro-gne. Mais pourquoi le serais-je, moi, plus quevous, dans un cas semblable ?
LE VIEUX MONSIEUR, criant au Logicien.
Quest-ce qui est dans la nature du chat ?
JEAN, Brenger ; mme jeu.
Parce que tout est affaire de mesure. Con-trairement vous, je suis un homme mesur.
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LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur, mains encornet loreille.
Quest-ce que vous dites ?
Grands bruits couvrant les paroles desquatre personnages.
BRENGER, mains en cornet loreille, Jean.
Tandis que moi, quoi, quest-ce que vousdites ?
JEAN, hurlant.
Je dis que
LE VIEUX MONSIEUR, hurlant.
Je dis que
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JEAN, prenant conscience des bruits qui sonttrs proches.
Mais que se passe-t-il ?
LE LOGICIEN
Mais quest-ce que cest ?
JEAN se lve, fait tomber sa chaise en se le-vant, regarde vers la coulisse gauche do
proviennent les bruits dun rhinocrospassant en sens inverse.
Oh ! un rhinocros !
LE LOGICIEN se lve, fait tomber sa chaise.
Oh ! un rhinocros !
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LE VIEUX MONSIEUR, mme jeu.
Oh ! un rhinocros !
BRENGER, toujours assis, mais plus r-veill cette fois.
Rhinocros ! En sens inverse.
LA SERVEUSE, sortant avec un plateau etdes verres.
Quest-ce que cest ? Oh ! un rhinocros !
Elle laisse tomber le plateau ; les verres sebrisent.
LE PATRON, sortant de la boutique.
Quest-ce que cest ?
112/505
LA SERVEUSE, au Patron.
Un rhinocros !
LE LOGIGIEN
Un rhinocros, toute allure sur le trottoirden face !
LPICIER, sortant de la boutique.
Oh ! un rhinocros !
JEAN
Oh ! un rhinocros !
LPICIRE, sortant la tte par la fentre,au-dessus
de la boutique.
113/505
Oh ! un rhinocros !
LE PATRON, la Serveuse.
Ce nest pas une raison pour casser lesverres.
JEAN
Il fonce droit devant lui, frle les talages.
DAISY, venant de la gauche.
Oh ! un rhinocros !
BRENGER, apercevant Daisy.
Oh ! Daisy !
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On entend des pas prcipits de gensqui fuient, des oh ! des ah ! comme tout lheure.
LA SERVEUSE
a alors !
LE PATRON, la Serveuse.
Vous me la payerez, la casse !
Brenger essaie de se dissimuler,pour ne pas tre vu par Daisy. Le VieuxMonsieur, le Logicien, lpicire, lpici-er se dirigent vers le milieu du plateauet disent :
ENSEMBLE
a alors !
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JEAN et BRENGER
a alors !
On entend un miaulement dchirant,puis le cri, tout aussi dchirant, dunefemme.
TOUS
Oh !
Presque au mme instant, et tandisque les bruits sloignent rapidement,apparat la Mnagre de tout lheure,sans son panier, mais tenant dans sesbras un chat tu et ensanglant.
LA MNAGRE, se lamentant.
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Il a cras mon chat, il a cras mon chat !
LA SERVEUSE
Il a cras son chat !
Lpicier, lpicire, la fentre, leVieux Monsieur, Daisy, le Logicien en-tourent la Mnagre, ils disent :
ENSEMBLE
Si cest pas malheureux, pauvre petitebte !
LE VIEUX MONSIEUR
Pauvre petite bte !
DAISY et LA SERVEUSE
117/505
Pauvre petite bte !
LPICIER, LPICIRE, la fentre,LE VIEUX MONSIEUR, LE LOGIGIEN
Pauvre petite bte !
LE PATRON, la Serveuse, montrant lesverres briss,
les chaises renverses.
Que faites-vous donc ? Ramassez-moicela !
leur tour, Jean et Brenger se pr-cipitent, entourent la Mnagre qui selamente toujours, le chat mort dans sesbras.
LA SERVEUSE, se dirigeant vers la terrassedu caf pour ramasser les dbris de verres et
118/505
les chaises renverses, tout en regardant enarrire, vers la Mnagre.
Oh ! pauvre petite bte !
LE PATRON, indiquant du doigt, laServeuse, les chaises et les verres briss.
L, l !
LE VIEUX MONSIEUR, lpicier.
Quest-ce que vous en dites ?
BRENGER, la Mnagre.
Ne pleurez pas, Madame, vous nous fendezle cur !
DAISY, Brenger.
119/505
Monsieur Brenger Vous tiez l ? Vousavez vu ?
BRENGER, Daisy.
Bonjour, mademoiselle Daisy, je nai paseu le temps de me raser, excusez-moi de
LE PATRON, contrlant le ramassage desdbris puis jetant un coup dil vers la
Mnagre.
Pauvre petite bte !
LA SERVEUSE ramassant les dbris, le dostourn
la Mnagre.
Pauvre petite bte !
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videmment, toutes ces rpliquesdoivent tre dites trs rapidement, pr-esque simultanment.
LPICIRE, la fentre.
a, cest trop fort !
JEAN
a, cest trop fort !
LA MNAGRE, se lamentant et berant lechat mort
dans ses bras.
Mon pauvre Mitsou, mon pauvre Mitsou !
LE VIEUX MONSIEUR, la Mnagre.
121/505
Jaurais aim vous revoir en dautrescirconstances !
LE LOGIGIEN, la Mnagre.
Que voulez-vous, Madame, tous les chatssont mortels ! Il faut se rsigner.
LA MNAGRE, se lamentant.
Mon chat, mon chat, mon chat !
LE PATRON, la Serveuse, qui a le tablierplein de brisures de verre.
Allez, portez cela la poubelle ! (Il a relevles chaises.) Vous me devez mille francs !
LA SERVEUSE, rentrant dans la boutique,au Patron.
122/505
Vous ne pensez qu vos sous.
LPICIRE, la Mnagre, de la fentre.
Calmez-vous, Madame.
LE VIEUX MONSIEUR, la Mnagre.
Calmez-vous, chre Madame.
LPICIRE, de la fentre.
a fait de la peine, quand mme !
LA MNAGRE
Mon chat ! mon chat ! mon chat !
DAISY
Ah ! oui, a fait de la peine quand mme.
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LE VIEUX MONSIEUR, soutenant la Mn-agre et se dirigeant avec elle une table de
la terrasse ; il est suivi de tous les autres.
Asseyez-vous l, Madame.
JEAN, au Vieux Monsieur.
Quest-ce que vous en dites ?
LPICIER, au Logicien.
Quest-ce que vous en dites ?
LPICIRE, Daisy, de la fentre.
Quest-ce que vous en dites ?
LE PATRON, la Serveuse qui rapparat,tandis quon fait asseoir, une des tables de
124/505
la terrasse, la Mnagre en larmes, beranttoujours le chat mort.
Un verre deau pour Madame.
LE VIEUX MONSIEUR, la Dame.
Asseyez-vous, chre Madame !
JEAN
Pauvre femme !
LPICIRE, de la fentre.
Pauvre bte !
BRENGER, la Serveuse.
Apportez-lui un cognac plutt.
125/505
LE PATRON, la Serveuse.
Un cognac ! (Montrant Brenger.) CestMonsieur qui paye !
La Serveuse entre dans la boutique endisant :
LA SERVEUSE
Entendu, un cognac !
LA MNAGRE, sanglotant.
Je nen veux pas, je nen veux pas !
LPICIER
Il est dj pass tout lheure devant laboutique.
126/505
JEAN, lpicier.
a ntait pas le mme !
LPICIER, Jean
Pourtant
LPICIRE
Oh ! si, ctait le mme.
DAISY
Cest la deuxime fois quil en passe ?
LE PATRON
Je crois que ctait le mme.
JEAN
127/505
Non, ce ntait pas le mme rhinocros.Celui de tout lheure avait deux cornes surle nez, ctait un rhinocros dAsie ; celui-cinen avait quune, ctait un rhinocrosdAfrique !
La Serveuse sort avec un verre de cognac, leporte la Dame.
LE VIEUX MONSIEUR
Voil du cognac pour vous remonter.
LA MNAGRE, en larmes.
Noon
BRENGER, soudain nerv, Jean.
128/505
Vous dites des sottises ! Comment avez-vous pu distinguer les cornes ! Le fauve estpass une telle vitesse, peine avons-nouspu lapercevoir
DAISY, la Mnagre.
Mais si, a vous fera du bien !
LE VIEUX MONSIEUR, Brenger.
En effet, il allait vite.
LE PATRON, la Mnagre.
Gotez-y, il est bon.
BRENGER, Jean.
Vous navez pas eu le temps de compterses cornes
129/505
LPICIRE, la Serveuse, de sa fentre.
Faites-la boire.
BRENGER, Jean.
En plus, il tait envelopp dun nuage depoussire
DAISY, la Mnagre.
Buvez, Madame.
LE VIEUX MONSIEUR, la mme.
Un petit coup, ma chre petite Damecourage
La Serveuse fait boire la Mnagre,en portant le verre ses lvres ; celle-ci
130/505
fait mine de refuser, et boit quandmme.
LA SERVEUSEVoil !
LPICIRE, de sa fentre, et DAISY
Voil !
JEAN, Brenger.
Moi, je ne suis pas dans le brouillard. Jecalcule vite, jai lesprit clair !
LE VIEUX MONSIEUR, la Mnagre.
a va mieux ?
BRENGER, Jean.
131/505
Il fonait tte baisse, voyons.
LE PATRON, la Mnagre.
Nest-ce pas quil est bon !
JEAN, Brenger.
Justement, on voyait mieux.
LA MNAGRE, aprs avoir bu
Mon chat !
BRENGER, irrit, Jean.
Sottises ! Sottises !
LPICIRE, de sa fentre, la Mnagre.
Jai un autre chat, pour vous.
132/505
JEAN, Brenger.
Moi ? Vous osez prtendre que je dis dessottises ?
LA MNAGRE, lpicire.
Je nen veux pas dautre !
Elle sanglote, en berant son chat.
BRENGER, Jean.
Oui, parfaitement, des sottises.
LE PATRON, la Mnagre.
Faites-vous une raison !
JEAN, Brenger.
133/505
Je ne dis jamais de sottises, moi !
LE VIEUX MONSIEUR, la Mnagre.
Soyez philosophe !
BRENGER, Jean.
Et vous ntes quun prtentieux ! (levantla voix :) Un pdant
LE PATRON, Jean et Brenger.
Messieurs, Messieurs !
BRENGER, Jean, continuant.
Un pdant, qui nest pas sr de ses con-naissances, car, dabord, cest le rhinocros
134/505
dAsie qui a une corne sur le nez, lerhinocros dAfrique, lui, en a deux
Les autres personnages dlaissent laMnagre et vont entourer Jean etBrenger qui discutent trs fort.
JEAN, Brenger.
Vous vous trompez, cest le contraire !
LA MNAGRE, seule.
Il tait si mignon !
BRENGER
Voulez-vous parier ?
LA SERVEUSE
135/505
Ils veulent parier !
DAISY, Brenger.
Ne vous nervez pas, monsieur Brenger.
JEAN, Brenger.
Je ne parie pas avec vous. Les deux cornes,cest vous qui les avez ! Espce dAsiatique !
LA SERVEUSE
Oh !
LPICIRE, de la fentre, lpicier.
Ils vont se battre.
LPICIER, lpicire.
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Penses-tu, cest un pari !
LE PATRON, Jean et Brenger.
Pas de scandale ici.
LE VIEUX MONSIEUR
Voyons Quelle espce de rhinocros naquune corne sur le nez ? ( lpicier.) Vousqui tes commerant, vous devez savoir !
LPICIRE, de la fentre, lpicier.
Tu devrais savoir !
BRENGER, Jean.
Je nai pas de corne. Je nen porteraijamais !
137/505
LPICIER, au Vieux Monsieur.
Les commerants ne peuvent pas toutsavoir !
JEAN, Brenger.
Si !
BRENGER, Jean.
Je ne suis pas asiatique non plus. Dautrepart, les Asiatiques sont des hommes commetout le monde
LA SERVEUSE
Oui, les Asiatiques sont des hommescomme vous et moi
LE VIEUX MONSIEUR, au Patron.
138/505
Cest juste !
LE PATRON, la Serveuse.
On ne vous demande pas votre avis !
DAISY, au Patron.
Elle a raison. Ce sont des hommes commenous.
La Mnagre continue de selamenter, pendant toute cettediscussion.
LA MNAGRE
Il tait si doux, il tait comme nous.
JEAN, hors de lui.
139/505
Ils sont jaunes !
Le Logicien, lcart, entre la Mn-agre et le groupe qui sest form autourde Jean et de Brenger, suit la contro-verse attentivement, sans y participer.
JEAN
Adieu, Messieurs ! ( Brenger.) Vous, jene vous salue pas !
LA MNAGRE, mme jeu.
Il nous aimait tellement !
Elle sanglote.
DAISY
140/505
Voyons, monsieur Brenger, voyons, mon-sieur Jean
LE VIEUX MONSIEUR
Jai eu des amis asiatiques. Peut-trentaient-ils pas de vrais Asiatiques
LE PATRON
Jen ai connu des vrais.
LA SERVEUSE, lpicire.
Jai eu un ami asiatique.
LA MNAGRE, mme jeu.
Je lai eu tout petit !
JEAN, toujours hors de lui.
141/505
Ils sont jaunes ! jaunes ! trs jaunes !
BRENGER, Jean.
En tout cas, vous, vous tes carlate !
LPICIRE, de la fentre, et LA SERVEUSE
Oh !
LE PATRON
a tourne mal !
LA MNAGRE, mme jeu.
Il tait si propre ! Il faisait dans sa sciure !
JEAN, Brenger.
142/505
Puisque cest comme a, vous ne me verrezplus ! Je perds mon temps avec un imbcilede votre espce.
LA MNAGRE, mme jeu.
Il se faisait comprendre !
Jean sort vers la droite, trs vite,furieux. Il se retourne toutefois avant desortir pour de bon.
LE VIEUX MONSIEUR, lpicier.
Il y a aussi des Asiatiques blancs, noirs,bleus, dautres comme nous.
JEAN, Brenger
Ivrogne !
143/505
Tous le regardent consterns.
BRENGER, en direction de Jean.
Je ne vous permets pas !
TOUS, en direction de Jean.
Oh !
LA MNAGRE, mme jeu.
Il ne lui manquait que la parole. Mmepas !
DAISY, Brenger.
Vous nauriez pas d le mettre en colre.
BRENGER, Daisy.
144/505
Ce nest pas ma faute
LE PATRON, la Serveuse.
Allez chercher un petit cercueil, pour cettepauvre bte
LE VIEUX MONSIEUR, Brenger.
Je pense que vous avez raison. Lerhinocros dAsie a deux cornes, le rhinocrosdAfrique en a une
LPICIER
Monsieur soutenait le contraire.
DAISY, Brenger.
Vous avez tort tous les deux !
145/505
LE VIEUX MONSIEUR, Brenger.
Vous avez tout de mme eu raison.
LA SERVEUSE, la Mnagre.
Venez, Madame, on va le mettre en bote.
LA MNAGRE, sanglotant perdument.
Jamais ! jamais !
LPICIER
Je mexcuse ; moi, je pense que cest mon-sieur Jean qui avait raison.
DAISY, se tournant vers la Mnagre.
Soyez raisonnable, Madame !
146/505
Daisy et la Serveuse entranent laMnagre, avec son chat mort, vers len-tre du caf.
LE VIEUX MONSIEUR, Daisy et laServeuse.
Voulez-vous que je vous accompagne ?
LPICIERLe rhinocros dAsie a une corne, le
rhinocros dAfrique, deux. Et vice versa.
DAISY, au Vieux Monsieur.
Ce nest pas la peine.
Daisy et la Serveuse entrent dans lecaf, entranant la Mnagre toujoursinconsole.
147/505
LPICIRE, lpicier, de sa fentre.
Oh ! toi, toujours des ides pas commetout le monde !
BRENGER, part, tandis que les autrescontinuent de discuter au sujet des cornes du
rhinocros.
Daisy a raison, je naurais pas d lecontredire.
LE PATRON, lpicire.
Votre mari a raison, le rhinocros dAsie adeux cornes, celui dAfrique doit en avoirdeux, et vice versa.
BRENGER, part.
148/505
Il ne supporte pas la contradiction. Lamoindre objection le fait cumer.
LE VIEUX MONSIEUR, au Patron.
Vous faites erreur, mon ami.
LE PATRON, au Vieux Monsieur.
Je vous demande bien pardon !
BRENGER, part.
La colre est son seul dfaut.
LPICIRE, de sa fentre, au Vieux Mon-sieur, au Patron et lpicier.
Peut-tre sont-ils tous les deux pareils.
BRENGER, part.
149/505
Dans le fond, il a un cur dor, il marendu dinnombrables services.
LE PATRON, lpicire.
Lautre ne peut quen avoir une, si lun en adeux.
LE VIEUX MONSIEUR
Peut-tre cest lun qui en a une, cestlautre qui en a deux.
BRENGER, part.
Je regrette de ne pas avoir t plus concili-ant. Mais pourquoi sentte-t-il ? Je nevoulais pas le pousser bout. (Aux autres.) Ilsoutient toujours des normits ! Il veut
150/505
toujours pater tout le monde par son savoir.Il nadmet jamais quil pourrait se tromper.
LE VIEUX MONSIEUR, Brenger.
Avez-vous des preuves ?
BRENGER
quel sujet ?
LE VIEUX MONSIEUR
Votre affirmation de tout lheure qui aprovoqu votre fcheuse controverse avecvotre ami.
LPICIER, Brenger.
Oui, avez-vous des preuves ?
151/505
LE VIEUX MONSIEUR, Brenger.
Comment savez-vous que lun des deuxrhinocros a deux cornes et lautre une ? Etlequel ?
LPICIRE
Il ne le sait pas plus que nous.
BRENGER
Dabord, on ne sait pas sil y en a eu deux.Je crois mme quil ny a eu quun rhinocros.
LE PATRON
Admettons quil y en ait eu deux. Qui estunicorne, le rhinocros dAsie ?
LE VIEUX MONSIEUR
152/505
Non. Cest le rhinocros dAfrique qui estbicornu. Je le crois.
LE PATRON
Qui est bicornu ?
LPICIER
Ce nest pas celui dAfrique.
LPICIRE
Il nest pas facile de se mettre daccord.
LE VIEUX MONSIEUR
Il faut tout de mme lucider ce problme.
LE LOGICIEN, sortant de sa rserve.
153/505
Messieurs, excusez-moi dintervenir. Lnest pas la question. Permettez-moi de meprsenter
LA MNAGRE, en larmes.
Cest un Logicien !
LE PATRON
Oh ! il est Logicien !
LE VIEUX MONSIEUR, prsentant le Logi-cien Brenger.
Mon ami, le Logicien !
BRENGER
Enchant, Monsieur.
154/505
LE LOGIGIEN, continuant.
Logicien professionnel : voici ma cartedidentit.
Il montre sa carte.
BRENGER
Trs honor, Monsieur.
LPICIER
Nous sommes trs honors.
LE PATRON
Voulez-vous nous dire alors, monsieur leLogicien, si le rhinocros africain estunicornu
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LE VIEUX MONSIEUR
Ou bicornu
LPICIRE
Et si le rhinocros asiatique est bicornu.
LPICIER
Ou bien unicornu.
LE LOGICIEN
Justement, l nest pas la question. Cest ceque je me dois de prciser.
LPICIER
Cest pourtant ce quon aurait voulu savoir.
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LE LOGIGIEN
Laissez-moi parler, Messieurs.
LE VIEUX MONSIEUR
Laissons-le parler.
LPICIER, lpicire, de la fentre.
Laissez-le donc parler.
LE PATRON
On vous coute, Monsieur.
LE LOGICIEN, Brenger.
Cest vous, surtout, que je madresse. Auxautres personnes prsentes aussi.
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LPICIER
nous aussi
LE LOGIGIEN
Voyez-vous, le dbat portait tout dabordsur un problme dont vous vous tes malgrvous cart. Vous vous demandiez, au dpart,si le rhinocros qui vient de passer est biencelui de tout lheure, ou si cen est un autre.Cest cela quil faut rpondre.
BRENGER
De quelle faon ?
LE LOGIGIEN
158/505
Voici : vous pouvez avoir vu deux fois unmme rhinocros portant une seule corne
LPICIER, rptant, comme pour mieuxcomprendre.
Deux fois le mme rhinocros.
LE PATRON, mme jeu.
Portant une seule corne
LE LOGIGIEN, continuant.
Comme vous pouvez avoir vu deux foisun mme rhinocros deux cornes.
LE VIEUX MONSIEUR, rptant.
Un seul rhinocros deux cornes, deuxfois
159/505
LE LOGICIEN
Cest cela. Vous pouvez encore avoir vu unpremier rhinocros une corne, puis unautre, ayant galement une seule corne.
LPICIRE, de la fentre.
Ha, ha
LE LOGIGIEN
Et aussi un premier rhinocros deuxcornes, puis un second rhinocros deuxcornes.
LE PATRON
Cest exact.
160/505
LE LOGICIEN
Maintenant : si vous aviez vu
LPICIER
Si nous avions vu
LE VIEUX MONSIEUR
Oui, si nous avions vu
LE LOGIGIEN
Si vous aviez vu la premire fois unrhinocros deux cornes
LE PATRON
deux cornes
161/505
LE LOGIGIEN
La seconde fois un rhinocros unecorne
LPICIER
une corne.
LE LOGIGIEN
Cela ne serait pas concluant non plus.
LE VIEUX MONSIEUR
Tout cela ne serait pas concluant.
LE PATRON
Pourquoi ?
162/505
LPICIRE
Ah ! l, l Jy comprends rien.
LPICIER
Ouais ! ouais !
Lpicire, haussant les paules, disparat desa fentre.
LE LOGIGIEN
En effet, il se peut que depuis tout lheure le rhinocros ait perdu une de sescornes, et que celui de tout de suite soit celuide tout lheure.
BRENGER
Je comprends, mais
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LE VIEUX MONSIEUR, interrompantBrenger.
Ninterrompez pas.
LE LOGICIEN
Il se peut aussi que deux rhinocros deuxcornes aient perdu tous les deux une de leurscornes.
LE VIEUX MONSIEUR
Cest possible.
LE PATRON
Oui, cest possible.
LPICIER
164/505
Pourquoi pas !
BRENGER
Oui, toutefois
LE VIEUX MONSIEUR, Brenger.
Ninterrompez pas.
LE LOGICIEN
Si vous pouviez prouver avoir vu lapremire fois un rhinocros une corne, quilft asiatique ou africain
LE VIEUX MONSIEUR
Asiatique ou africain
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LE LOGICIEN
La seconde fois, un rhinocros deuxcornes
LE VIEUX MONSIEUR
deux cornes !
LE LOGICIEN
quil ft, peu importe, africain ouasiatique
LPICIER
Africain ou asiatique
LE LOGICIEN, continuant la dmonstration.
166/505
ce moment-l, nous pourrions con-clure que nous avons affaire deuxrhinocros diffrents, car il est peu probablequune deuxime corne puisse pousser enquelques minutes, de faon visible, sur le nezdun rhinocros
LE VIEUX MONSIEUR
Cest peu probable.
LE LOGIGIEN, enchant de sonraisonnement.
Cela ferait dun rhinocros asiatique ouafricain
LE VIEUX MONSIEUR
Asiatique ou africain.
167/505
LE LOGICIEN
Un rhinocros africain ou asiatique.
LE PATRON
Africain ou asiatique.
LPICIER
Ouais, ouais.
LE LOGICIEN
Or, cela nest pas possible en bonne lo-gique, une mme crature ne pouvant trene en deux lieux la fois
LE VIEUX MONSIEUR
Ni mme successivement.
168/505
LE LOGICIEN, au Vieux Monsieur.
Cest ce qui est dmontrer.
BRENGER, au Logicien.
Cela me semble clair, mais cela ne rsoutpas la question.
LE LOGICIEN, Brenger, en souriant dunair comptent.
videmment, cher Monsieur, seulement,de cette faon, le problme est pos de faoncorrecte.
LE VIEUX MONSIEUR
Cest tout fait logique.
169/505
LE LOGIGIEN, soulevant son chapeau.
Au revoir, Messieurs.
Il se retourne et sortira par lagauche, suivi du Vieux Monsieur.
LE VIEUX MONSIEUR
Au revoir, Messieurs.
Il soulve son chapeau et sort la suite duLogicien.
LPICIER
Cest peut-tre logique
ce moment, du caf, la Mnagre,en grand deuil, sort, tenant une boite,elle est suivie par Daisy et la Serveuse,
170/505
comme pour un enterrement. Le cortgese dirige vers la sortie droite.
LPICIER, continuant.
Cest peut-tre logique, cependantpouvons-nous admettre que nos chats soientcrass sous nos yeux par des rhinocros une corne, ou deux cornes, quils soient asi-atiques, ou quils soient africains ?
Il montre, dun geste thtral, lecortge qui est en train de sortir.
LE PATRON
Il a raison, cest juste ! Nous ne pouvonspas permettre que nos chats soient crasspar des rhinocros, ou par nimporte quoi !
LPICIER
171/505
Nous ne pouvons pas le permettre !
LPICIRE sortant sa tte, par la porte dela boutique, lpicier.
Alors, rentre ! Les clients vont venir !
LPICIER, se dirigeant vers la boutique.
Non, nous ne pouvons pas le permettre !
BRENGER
Je naurais pas d me quereller avec Jean !(Au Patron.) Apportez-moi un verre decognac ! un grand !
LE PATRON
172/505
Je vous lapporte !
Il va chercher le verre de cognac dans lecaf.
BRENGER, seul.
Je naurais pas d, je naurais pas d memettre en colre ! (Le Patron sort, un grandverre de cognac la main.) Jai le cur tropgros pour aller au muse. Je cultiverai monesprit une autre fois.
Il prend le verre de cognac, le boit.
RIDEAU
173/505
ACTE II
PREMIER TABLEAU
Dcor.
Le bureau dune administration, ou duneentreprise prive, une grande maison depublications juridiques par exemple. Aufond, au milieu, une grande porte deuxbattants, au-dessus de laquelle un criteauindique : Chef de Service. gauche aufond, prs de la porte du Chef, la petite tablede Daisy, avec une machine crire. Contrele mur de gauche, entre une porte donnantsur lescalier et la petite table de Daisy, uneautre table sur laquelle on met des feuilles deprsence, que les employs doivent signer enarrivant. Puis, gauche, toujours au premi-er plan, la porte donnant sur lescalier. Onvoit les dernires marches de cet escalier, le
haut de la rampe, un petit palier. Au premierplan, une table avec deux chaises. Sur latable : des preuves dimprimerie, un encri-er, des porte-plume ; cest la table o travail-lent Botard et Brenger ; ce dernier sassoirasur la chaise de gauche, le premier sur cellede droite. Prs du mur de droite, une autretable, plus grande, rectangulaire, galementrecouverte de papiers, dpreuves dim-primerie, etc. Deux chaises encore prs decette table (plus belles, plus importantes )se font vis--vis. Cest la table de Dudard etde M. Buf. Dudard sassoira sur la chaisequi est contre le mur, ayant les autres em-ploys en face de lui. Il fait fonction de sous-chef. Entre la porte du fond et le mur dedroite, une fentre. Dans le cas ou le thtreaurait une fosse dorchestre, il serait prfr-able de ne mettre que le simple encadrementdune fentre, au tout premier plan, face aupublic. Dans le coin de droite, au fond, unportemanteau, sur lequel sont accrochs desblouses grises ou de vieux vestons.
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ventuellement, le portemanteau pourraittre plac lui aussi sur le devant de la scne,tout prs du mur de droite.
Contre les murs, des ranges de livres etde dossiers poussireux. Sur le fond, gauche, au-dessus des rayons, il y a descriteaux : Jurisprudence, Codes ; sur le murde droite, qui peut tre lgrement oblique,les criteaux indiquent : Le Journal offi-ciel , Lois fiscales . Au-dessus de la portedu Chef de Service, une horloge indique :9 heures 3 minutes.
Au lever du rideau, Dudard, debout, prsde la chaise de son bureau, profil droit lasalle ; de lautre ct du bureau, profilgauche la salle, Botard ; entre eux, prs dubureau galement, face au public, le Chef deService ; Daisy, un peu en retrait prs duChef de Service, sa gauche. Elle a, dans lamain, des feuilles de papier dactylograph-ies. Sur la table, entoure par les troispersonnages, par-dessus les preuves
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dimprimerie, un grand journal ouvert esttal.
Au lever du rideau, pendant quelquessecondes, les personnages restent immobiles,dans la position o sera dite la premirerplique. Cela doit faire tableau vivant. Audbut du premier acte, il en aura t demme.
Le Chef de Service, une cinquantaine dan-nes, vtu correctement : complet bleu mar-ine, rosette de la Lgion dhonneur, faux colamidonn, cravate noire, grosse moustachebrune. Il sappelle : M. Papillon.
Dudard : trente-cinq ans. Complet gris ; ila des manches de lustrine noire pourprserver son veston. Il peut porter des lun-ettes. Il est assez grand, employ (cadre)davenir. Si le chef devenait sous-directeur,cest lui qui prendrait sa place ; Botard nelaime pas.
Botard : instituteur retrait ; lair fier,petite moustache blanche ; il a une
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soixantaine dannes quil porte vertement.(Il sait tout, comprend tout.) Il a un bretbasque sur la tte ; il est revtu dune longueblouse grise pour le travail, il a des lunettessur un nez assez fort ; un crayon loreille ;des manches, galement de lustrine.
Daisy : jeune, blonde.Plus tard, Mme Buf : grosse femme de
quarante cinquante ans, plore,essouffle.
Les personnages sont donc debout aulever du rideau, immobiles autour de la tablede droite ; le Chef a la main et lindex tendusvers le journal. Dudard, la main tendue endirection de Botard, a lair de lui dire : Vous voyez bien pourtant ! Botard, lesmains dans les poches de sa blouse, un souri-re incrdule sur les lvres, lair de dire : Onne me la fait pas. Daisy, ses feuilles dacty-lographies la main, a lair dappuyer duregard Dudard. Au bout de quelques brvessecondes, Botard attaque.
179/505
BOTARD
Des histoires, des histoires dormirdebout.
DAISY
Je lai vu, jai vu le rhinocros !
DUDARD
Cest crit sur le journal, cest clair, vous nepouvez le nier.
BOTARD, de lair du plus profond mpris.
Pfff !
DUDARD
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Cest crit, puisque cest crit ; tenez, larubrique des chats crass ! Lisez donc lanouvelle, monsieur le Chef !
MONSIEUR PAPILLON
Hier, dimanche, dans notre ville, sur laplace de lglise, lheure de lapritif, unchat a t foul aux pieds par unpachyderme.
DAISY
Ce ntait pas exactement sur la place delglise !
MONSIEUR PAPILLON
Cest tout. On ne donne pas dautresdtails.
181/505
BOTARD
Pfff !
DUDARD
Cela suffit, cest clair.
BOTARD
Je ne crois pas les journalistes. Les journ-alistes sont tous des menteurs, je sais quoimen tenir, je ne crois que ce que je vois, demes propres yeux. En tant quancien insti-tuteur, jaime la chose prcise, scientifique-ment prouve, je suis un esprit mthodique,exact.
DUDARD
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Que vient faire ici lesprit mthodique ?
DAISY, Botard.
Je trouve, monsieur Botard, que la nou-velle est trs prcise.
BOTARD
Vous appelez cela de la prcision ? Voyons.De quel pachyderme sagit-il ? Quest-ce quele rdacteur de la rubrique des chats crassentend-il par un pachyderme ? Il ne nous ledit pas. Et quentend-il par chat ?
DUDARD
Tout le monde sait ce quest un chat.
BOTARD
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Est-ce dun chat, ou est-ce dune chattequil sagit ? Et de quelle couleur ? De quellerace ? Je ne suis pas raciste, je suis mmeantiraciste.
MONSIEUR PAPILLON
Voyons, monsieur Botard, il ne sagit pasde cela, que vient faire ici le racisme ?
BOTARD
Monsieur le Chef, je vous demande bienpardon. Vous ne pouvez nier que le racismeest une des grandes erreurs du sicle.
DUDARD
Bien sr, nous sommes tous daccord, maisil ne sagit pas l de
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BOTARD
Monsieur Dudard, on ne traite pas cela lalgre. Les vnements historiques nous ontbien prouv que le racisme
DUDARD
Je vous dis quil ne sagit pas de cela.
BOTARD
On ne le dirait pas.
MONSIEUR PAPILLON
Le racisme nest pas en question.
BOTARD
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On ne doit perdre aucune occasion de lednoncer.
DAISY
Puisquon vous dit que personne nest ra-ciste. Vous dplacez la question, il sagit toutsimplement dun chat cras par un pachy-derme : un rhinocros en loccurrence.
BOTARD
Je ne suis pas du Midi, moi. Les Mri-dionaux ont trop dimagination. Ctait peut-tre tout simplement une puce crase parune souris. On en fait une montagne.
MONSIEUR PAPILLON, Dudard.
Essayons donc de mettre les choses aupoint. Vous auriez donc vu, de vos yeux vu, le
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rhinocros se promener en flnant dans lesrues de la ville ?
DAISY
Il ne flnait pas, il courait.
DUDARD
Personnellement, moi, je ne lai pas vu.Cependant, des gens dignes de foi
BOTARD, linterrompant.
Vous voyez bien que ce sont des racontars,vous vous fiez des journalistes qui ne saventquoi inventer pour faire vendre leurs mpris-ables journaux, pour servir leurs patrons,dont ils sont les domestiques ! Vous croyezcela, monsieur Dudard, vous, un juriste, un
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licenci en droit. Permettez-moi de rire ! Ah !ah ! ah !
DAISY
Mais moi, je lai vu, jai vu le rhinocros.Jen mets ma main au feu.
BOTARD
Allons donc ! Je vous croyais une fillesrieuse.
DAISY
Monsieur Botard, je nai pas la berlue ! Etje ntais pas seule, il y avait des gens autourde moi qui regardaient.
BOTARD
188/505
Pfff ! Ils regardaient sans doute autrechose ! Des flneurs, des gens qui nont rien faire, qui ne travaillent pas, des oisifs.
DUDARD
Ctait hier, ctait dimanche.
BOTARD
Moi, je travaille aussi le dimanche. Jencoute pas les curs qui vous font venir lglise pour vous empcher de faire votreboulot, et de gagner votre pain la sueur devotre front.
MONSIEUR PAPILLON, indign.
Oh !
BOTARD
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Excusez-moi, je ne voudrais pas vous vex-er. Ce nest pas parce que je mprise les reli-gions quon peut dire que je ne les estime pas.( Daisy.) Dabord, savez-vous ce que cestquun rhinocros ?
DAISY
Cest un cest un trs gros animal, vilain !
BOTARD
Et vous vous vantez davoir une penseprcise ! Le rhinocros, Mademoiselle
MONSIEUR PAPILLON
Vous nallez pas nous faire un cours sur lerhinocros, ici. Nous ne sommes pas lcole.
190/505
BOTARDCest bien dommage.
Depuis les dernires rpliques, on apu voir Brenger monter avec prcau-tion les dernires marches de lescalier ;entrouvrir prudemment la porte dubureau qui, en scartant, laisse voir lapancarte sur laquelle on peut lire : ditions de Droit.
MONSIEUR PAPILLON, Daisy.
Bon ! Il est plus de neuf heures,Mademoiselle, enlevez-moi la feuille deprsence. Tant pis pour les retardataires !
Daisy se dirige vers la petite table, gauche, o se trouve la feuille deprsence, au moment o entreBrenger.
191/505
BRENGER, entrant, tandis que les autrescontinuent de discuter ; Daisy.
Bonjour, mademoiselle Daisy. Je ne suispas en retard ?
BOTARD, Dudard et M. Papillon.
Je lutte contre lignorance, o je la trouve !
DAISY, Brenger.
Monsieur Brenger, dpchez-vous.
BOTARD
Dans les palais, dans les chaumires.
DAISY, Brenger.
Signez vite la feuille de prsence !
192/505
BRENGER
Oh ! merci ! Le Chef est dj arriv ?
DAISY, Brenger ; un doigt sur les lvres.
Chut ! oui, il est l.
BRENGER
Dj ? Si tt ?
Il se prcipite pour aller signer la feuille deprsence.
BOTARD, continuant.
Nimporte o ! Mme dans les maisonsddition.
193/505
MONSIEUR PAPILLON, Botard.
Monsieur Botard, je crois que
BRENGER, signant la feuille ; Daisy.
Pourtant, il nest pas neuf heures dix
MONSIEUR PAPILLON, Botard.
Je crois que vous dpassez les limites de lapolitesse.
DUDARD, M. Papillon.
Je le pense aussi, Monsieur.
MONSIEUR PAPILLON, Botard.
Vous nallez pas dire que mon collaborat-eur et votre collgue, monsieur Dudard, qui
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est licenci en droit, excellent employ, est unignorant.
BOTARD
Je nirai pas jusqu affirmer une pareillechose, toutefois les Facults, lUniversit, celane vaut pas lcole communale.
MONSIEUR PAPILLON, Daisy.
Alors, cette feuille de prsence !
DAISY, M. Papillon.
La voici, Monsieur.
Elle la lui tend.
MONSIEUR PAPILLON, Brenger.
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Tiens, voil monsieur Brenger !
BOTARD, Dudard.
Ce qui manque aux universitaires, ce sontles ides claires, lesprit dobservation, le senspratique.
DUDARD, Botard.
Allons donc !
BRENGER, M. Papillon.
Bonjour, monsieur Papillon. (Brengerjustement se dirigeait derrire le dos du chef,contournant le groupe des trois person-nages, vers le portemanteau ; il y prendra sablouse de travail, ou son veston us, en y ac-crochant la place son veston de ville ;maintenant, prs du portemanteau, tant
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son veston, mettant lautre veston, puis al-lant sa table de travail, dans le tiroir delaquelle il trouvera ses manches de lustrinenoire, etc., il salue.) Bonjour, monsieurPapillon ! excusez-moi, jai failli tre en re-tard. Bonjour, Dudard ! Bonjour, monsieurBotard.
MONSIEUR PAPILLON
Dites donc, Brenger, vous aussi vous avezvu des rhinocros ?
BOTARD, Dudard.
Les universitaires sont des esprits abstraitsqui ne connaissent rien la vie.
DUDARD, Botard.
Sottises !
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BRENGER, continuant de ranger ses af-faires pour
le travail, avec un empressement excessif,comme
pour faire excuser son retard ; M. Papillon,dun ton naturel.
Mais oui, bien sr, je lai vu !
BOTARD, se retournant.
Pfff !
DAISY
Ah ! vous voyez, je ne suis pas folle.
BOTARD, ironique.
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Oh ! M. Brenger dit cela par galanterie,car cest un galant, bien quil nen ait pas lair.
DUDARD
Cest de la galanterie de dire quon a vu unrhinocros ?
BOTARD
Certainement. Quand cest pour appuyerles affirmations de Mlle Daisy. Tout le mondeest galant avec Mlle Daisy, cestcomprhensible.
MONSIEUR PAPILLON
Ne soyez pas de mauvaise foi, monsieurBotard, M. Brenger na pas pris part lacontroverse. Il vient peine darriver.
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BRENGER, Daisy.
Nest-ce pas que vous lavez vu ? Nousavons vu.
BOTARD
Pfff ! Il est possible que M. Brenger aitcru apercevoir un rhinocros. (Il fait derrirele dos de Brenger le signe que Brengerboit !) Il a tellement dimagination ! Avec lui,tout est possible.
BRENGER
Je ntais pas seul, quand jai vu lerhinocros ! ou peut-tre les deux rhinocros.
BOTARD
Il ne sait mme pas combien il en a vu !
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BRENGER
Jtais ct de mon ami Jean Il y avaitdautres gens.
BOTARD, Brenger.
Vous bafouillez, ma parole.
DAISY
Ctait un rhinocros unicorne.
BOTARD
Pfff ! Ils sont de mche tous les deux pourse payer notre tte !
DUDARD, Daisy.
201/505
Je crois plutt quil avait deux cornes,daprs ce que jai entendu dire !
BOTARD
Alors l, il faudrait sentendre.
MONSIEUR PAPILLON, regardant lheure.
Finissons-en, Messieurs, lheure avance.
BOTARD
Vous avez vu, vous, monsieur Brenger, unrhinocros, ou deux rhinocros ?
BRENGER
Euh ! cest--dire
BOTARD
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Vous ne savez pas. Mlle Daisy a vu unrhinocros unicorne. Votre rhinocros vous,monsieur Brenger, si rhinocros il y a, tait-il unicorne, ou bicornu ?
BRENGER
Voyez-vous, tout le problme est ljustement.
BOTARD
Cest bien vaseux tout cela.
DAISY
Oh !
BOTARD
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Je ne voudrais pas vous vexer. Mais je nycrois pas votre histoire ! Des rhinocros,dans le pays, cela ne sest jamais vu !
DUDARD
Il suffit dune fois !
BOTARD
Cela ne sest jamais vu ! Sauf sur les im-ages, dans les manuels scolaires. Vosrhinocros nont fleuri que dans les cervellesdes bonnes femmes.
BRENGER
Lexpression fleurir , applique desrhinocros, me semble assez impropre.
DUDARD
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Cest juste.
BOTARD, continuant.
Votre rhinocros est un mythe !
DAISY
Un mythe ?
MONSIEUR PAPILLON
Messieurs, je crois quil est lheure de semettre au travail.
BOTARD, Daisy.
Un mythe, tout comme les soucoupesvolantes !
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DUDARD
Il y a tout de mme eu un chat cras, cestindniable !
BRENGER
Jen tmoigne.
DUDARD, montrant Brenger.
Et des tmoins !
BOTARD
Un tmoin pareil !
MONSIEUR PAPILLON
Messieurs, messieurs !
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BOTARD, Dudard.
Psychose collective, monsieur Dudard,psychose collective ! Cest comme la religionqui est lopium des peuples !
DAISY
Eh bien, jy crois, moi, aux soucoupesvolantes !
BOTARD
Pfff !
MONSIEUR PAPILLON, avec fermet.
a va comme a, on exagre. Assez de bav-ardages ! Rhinocros ou non, soucoupesvolantes ou non, il faut que le travail soit fait !La maison ne vous paye pas pour perdre
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votre temps vous entretenir danimaux relsou fabuleux !
BOTARD
Fabuleux !
DUDARD
Rels !
DAISY
Trs rels.
MONSIEUR PAPILLON
Messieurs, jattire encore une fois votre at-tention : vous tes dans vos heures de travail.Permettez-moi de couper court cettepolmique strile
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BOTARD, bless, ironique.
Daccord, monsieur Papillon. Vous tes lechef. Puisque vous lordonnez, nous devonsobir.
MONSIEUR PAPILLON
Messieurs, dpchez-vous. Je ne veux pastre dans la triste obligation de vous retenirune amende sur vos traitements ! MonsieurDudard, o en est votre commentaire de la loisur la rpression antialcoolique ?
DUDARD
Je mets cela au point, monsieur le Chef.
MONSIEUR PAPILLON
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Tchez de terminer. Cest press. Vous,monsieur Brenger et monsieur Botard, avez-vous fini de corriger les preuves de la rgle-mentation des vins dits dappellationcontrle ?
BRENGER
Pas encore, monsieur Papillon. Mais cestbien entam.
MONSIEUR PAPILLON
Finissez de les corriger ensemble. Lim-primerie attend. Vous, Mademoiselle, vousviendrez me faire signer le courrier dans monbureau. Dpchez-vous de le taper.
DAISY
Cest entendu, monsieur Papillon.
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Daisy va son petit bureau et tape la machine. Dudard sassoit son bur-eau et commence travailler. Brengeret Botard leurs petites tables, tousdeux de profil la salle ; Botard, de dos la porte de lescalier. Botard a lair demauvaise humeur ; Brenger est passifet vaseux ; Brenger installe lespreuves sur la table, passe lemanuscrit Botard ; Botard sassoit enbougonnant, tandis que M. Papillon sorten claquant la porte.
MONSIEUR PAPILLON
tout lheure, Messieurs !
Il sort.
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BRENGER, lisant et corrigeant, tandis queBotard suit sur le manuscrit, avec un
crayon.
Rglementation des crus dorigine dits dappellation (Il corrige.) Avec deux L,appellation. (Il corrige.) Contrle une L,contrle Les vins dappellation contrlede la rgion bordelaise, rgion infrieure descoteaux suprieurs
BOTARD, Dudard.
Je nai pas a ! Une ligne de saute.
BRENGER
Je reprends : les vins dappellationcontrle
DUDARD, Brenger et Botard.
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Lisez moins fort, je vous prie. On nentendque vous, vous mempchez de fixer mon at-tention sur mon travail.
BOTARD, Dudard par-dessus la tte deBrenger, reprenant la discussion de tout
lheure ; tandis que Brenger, pendantquelques instants, corrige tout seul ; il faitbouger ses lvres sans bruit, tout en lisant.
Cest une mystification !
DUDARD
Quest-ce qui est une mystification ?
BOTARD
Votre histoire de rhinocros, pardi ! Cestvotre propagande qui fait courir ces bruits !
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DUDARD, sinterrompant dans son travail.
Quelle propagande ?
BRENGER, intervenant.
Ce nest pas de la propagande
DAISY, sinterrompant de taper.
Puisque je vous rpte que jai vu jaivu on a vu.
DUDARD, Botard.
Vous me faites rire ! De la propagande !Dans quel but ?
BOTARD, Dudard.
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Allons donc ! Vous le savez mieux quemoi. Ne faites pas linnocent.
DUDARD, se fchant.
En tout cas, monsieur Botard, moi je nesuis pas pay par les Pontngrins.
BOTARD, rouge de colre, tapant du poingsur la table.
Cest une insulte. Je ne permettrai pas
M. Botard se lve.
BRENGER, suppliant.
Monsieur Botard, voyons
DAISY
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Monsieur Dudard, voyons
BOTARD
Je dis que cest une insulte
La porte du cabinet du Chef souvresoudain : Botard et Dudard se rassoienttrs vite ; le Chef de Service a en main lafeuille de prsence ; son apparition, lesilence stait fait subitement.
MONSIEUR PAPILLON
M. Buf nest pas venu aujourdhui ?
BRENGER, regardant autour de lui.
En effet, il est absent.
MONSIEUR PAPILLON
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Justement, javais besoin de lui ! (Daisy.) A-t-il annonc quil tait malade, ouquil tait empch ?
DAISY
Il ne ma rien dit.
MONSIEUR PAPILLON, ouvrant tout faitsa porte,
et entrant.
Si a continue, je vais le mettre la porte.Ce nest pas la premire fois quil me fait lecoup. Jusqu prsent, jai ferm les yeux,mais a nira plus Quelquun dentre vous a-t-il la cl de son secrtaire ?
Juste ce moment, Mme Buf faitson entre. On avait pu la voir, pendantcette dernire rplique, monter le plus
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vite quelle pouvait les derniresmarches de lescalier, elle a ouvertbrusquement la porte. Elle est tout es-souffle, effraye.
BRENGER
Tiens, voici Mme Buf.
DAISY
Bonjour,