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Le complet bleu ou l'apparence des choses qui ne sont pas des sons LE COMPLET BLEU... pose que l'une des meilleures façons que l'homme ait trouvé pour contrôler le passage du temps consiste sans doute à tenter de se rappeler les instants insignifiants de son passé englouti. Le réel ne lui suffisant pas en tant que donné à voir, le rêve, le souvenir et le regret permettent de dépasser ce donné visuel en venant troubler la réalité, la rendant tantôt fantastique ou féerique. Ces moments autonomes remémorés, issus d'un passé qui s'éloigne, tiraillent la trame de l'existence pour en révéler les faiblesses et ainsi créer des noeuds complexes de relations imaginaires où se diluent - en y faisant apparaître une réalité particulière; la mythologie - les débris de l'aventure personnelle.

Le complet bleu

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portfolio, contes de 1993

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Page 1: Le complet bleu

Le complet bleuou l'apparence des choses qui ne sont pas des sons

LE COMPLET BLEU... pose que l'une des meilleures façons que l'homme ait trouvé pour contrôler le passage du temps consiste sans doute à tenter de se rappeler les instants insignifiants de son passé englouti. Le réel ne lui suffisant pas en tant que donné à voir, le rêve, le souvenir et le regret permettent de dépasser ce donné visuel en venant troubler la réalité, la rendant tantôt fantastique ou féerique. Ces moments autonomes remémorés, issus d'un passé qui s'éloigne, tiraillent la trame de l'existence pour en révéler les faiblesses et ainsi créer des noeuds complexes de relations imaginaires où se diluent - en y faisant apparaître une réalité particulière; la mythologie - les débris de l'aventure personnelle.

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I.L. avait un jour retrouvé la photographie de ce jeune couple. Cette image l'avait toujours troublé car, s'il s'agissait bien d'eux, I.L. n'avait jamais pu y reconnaître ses parents. Un peu ennuyé, il avait noté: Une goutte d'eau se souvient-elle jamais de l'océan d'où elle provient ? I.L. avait mangé sans appétit ce soir-là.

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E.L. ne pouvait oublier, un jour enfant, avoir vu du sang dans une chambre et d'avoir eu peur. L'image des draps maculés ne s'étaient jamais complètement effacée de sa mémoire. E.L. avait noté à la dernière page d'un roman français: On ne craint pas ce que l'on ne connaît pas lorsque l'on est naïve et jeune... c'est après que ça se gâte. Elle avait un peu pleuré cette nuit-là avant de s'endormir.

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N.É. le chien était las, aplati contre la galerie. On l'avait frappé dans les côtes parce qu'il sautait de joie. Alors il pleurait en silence comme seul un chien sait le faire. Cette nuit, I.L. partirait se jeter devant un camion pour ne plus avoir mal.

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Le bout de son doigt un peu corné fouillait lentement, en l'écartant du globe oculaire, le rebord de la paupière. Vu à distance, on pouvait croire à de l'émotion.

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I.L. avait finalement trouvé une façon d'être vraiment malheureux le dimanche.

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Cette nuit, I.L. entendrait dans son cauchemar le grincement atroce des roues de métal d'un coffre sombre qui s'approche lourdement dans le couloir. Ses dents grinceraient encore lorsqu'il se réveillerait terrorisé, ravagé par une douleur sourde. E.L. n'entendrait rien, le vacarme des cauchemars n'atteint pas les gens heureux.

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Ils roulaient dans la plaine depuis le lever du jour. E.L. avait simplement dit en voyant la carcasse fumante dans l’air encore froid : Ce doit être un cheval mort... regarde la jument est restée là. I.L. n'avait rien vu.

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Dans son rêve, un énorme chimpanzé en fugue la rouait de coups et tentait de la mordre. À son réveil, E.L. s'était étonnée de retrouver des marques bleues sur ses bras et ses cuisses.

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Un mot entendu par hasard avait ramené à sa mémoire le souvenir de cette cour d'école, de ce bâtiment, où en hiver, I.L. allait se terrer à l'abri du vent et de la poudrerie en attendant que les autres enfants arrivent.

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E.L. espérait encore retrouver la photographie de sa cousine, jeune; celle où elle avait le doigt dans l'oreille.

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Ennuyée par les plaisanteries de ses compagnons de voyage, E.L. avait tenté ce jour-là de retrouver quelque part en elle des souvenirs d'Islande, de geysers et de volcans.

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E.L. avait cherché tout l'après-midi cette photographie prise à la campagne... ou était- ce au bord de la mer? Celle où I.L. ressemblait tant à un acteur. E.L. ne voyait que le téléphone muet, noir, agressif contre le mur jaune. Pourquoi partir pour si longtemps? La sonnerie avait résonné dans l'appartement vide. Elle pleurait, la nouvelle était mauvaise.

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E.L. s'était rappelée l'étrange histoire qu'un oncle lui avait raconté à propos d'un oiseau lové une nuit dans son nid près de sa femelle. Le volatile dormait et rêvait, tournait et retournait tant, qu'il avait fini par pousser sa compagne par dessus bord. Au matin, se voyant seul et se croyant abandonné, il était allé se jeter contre une énorme vitrine. E.L. s'était jurée de toujours vivre seule.

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I.L. aimait bien mettre en scène de petits drames.