23
Féeries (2006) Politique du conte ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Erik Leborgne Le régent et le système de Law vus par Melon, Montesquieu, Prévost et Lesage ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Erik Leborgne, « Le régent et le système de Law vus par Melon, Montesquieu, Prévost et Lesage », Féeries [En ligne], 3 | 2006, mis en ligne le 04 mai 2007, consulté le 04 mai 2015. URL : http://feeries.revues.org/153 Éditeur : Éditions littéraires et linguistiques de l’université de Grenoble http://feeries.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://feeries.revues.org/153 Document généré automatiquement le 04 mai 2015. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Féeries

Le Regent Et Le Systeme de Law Vus Par Melon Montesquieu Prevost Et Lesage

Embed Size (px)

DESCRIPTION

IMPORTANTE MONETA Le Regent Et Le Systeme de Law Vus Par Melon Montesquieu Prevost Et Lesage

Citation preview

  • Feries3 (2006)Politique du conte

    ................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    Erik Leborgne

    Le rgent et le systme de Law vuspar Melon, Montesquieu, Prvost etLesage................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

    Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales dvelopp par le Clo, Centre pour l'ditionlectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

    ................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    Rfrence lectroniqueErik Leborgne, Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage, Feries [Enligne], 3|2006, mis en ligne le 04 mai 2007, consult le 04 mai 2015. URL: http://feeries.revues.org/153

    diteur : ditions littraires et linguistiques de luniversit de Grenoblehttp://feeries.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur :http://feeries.revues.org/153Document gnr automatiquement le 04 mai 2015. La pagination ne correspond pas la pagination de l'ditionpapier. Feries

    http://feeries.revues.orghttp://www.revues.org/http://feeries.revues.org/153
  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 2

    Feries, 3 | 2006

    Erik Leborgne

    Le rgent et le systme de Law vus parMelon, Montesquieu, Prvost et LesagePagination de ldition papier : p. 105-135

    1 LE POINT DE DPART DE CET ARTICLE fut la lecture en miroir de deux textes de fiction peuconnus des annes 1720 : Les Aventures de Pomponius (1724), premier roman de labbPrvost, et le conte oriental de Jean-Franois Melon Mahmoud le Gasnvide (1729). critstous deux dans un style allgorique foisonnant dallusions lactualit, ils ont la particularitdoffrir une image de la Rgence qui ne se rduit pas la satire des dirigeants: ils prsententun point de vue historique et personnel sur lapplication du systme de Law en France.

    2 Le texte de Melon est sans doute le plus droutant. Cest la premire fois que les questionsconomiques dactualit occupent une telle place dans un conte. Dans le prcdent numro deFeries, Yves Citton a consacr un important article cet aspect de Mahmoud: narrativiserle passage au papier monnaie, crit-il, est pour Melon un moyen de rendre accessibleune explication thorique du mcanisme de lactionnariat1. Mahmoud sinscrit en effet dansun mouvement de rhabilitation du rgne de Philippe dOrlans: aux pamphlets succdentles jugements plus favorables, comme les Mmoires de la Rgence (1729) du chevalier dePiossens. Le Pomponius de Prvost anticipe de quelques annes sur ce changement dopinion,en exposant sans manichisme les deux faces du rgne, ses scandales comme ses russites.Par leur tableau positif de laction conomique du Rgent, Mahmoud et Pomponius redonnentun sens politique et conomique au systme. Ils rompent ainsi avec le spectacle traumatisantdune socit en proie lagiotage et au chaos, que fournit la fin des Lettres persanes (1721).Lobjet de mon tude est de dgager limaginaire de lenrichissement et de la spculation, telquil est rflchi et fantasm dans la fiction narrative de lpoque. Deux visions trs contrastesse font jour: dun ct un effort de comprhension en profondeur dune nouvelle conomie(Mahmoud et Pomponius); de lautre, des versions beaucoup plus angoisses des rformes deLaw. Les fictions de Montesquieu, le tomeIII du Gil Blas de Lesage (1724), mais aussi lesMmoires et aventures dun homme de qualit (1728-31) de Prvost illustrent cette impressionde folie et de dsordre social lis la banqueroute de Law, symbole dune conomie devenueincontrlable. partir des diffrentes descriptions du systme, je proposerai une lecture desfantasmes partags par les auteurs de ces textes.

    Prosprit et largesse de Mahmoud3 Lenglet du Fresnoy place Mahmoud dans la rubrique Romans historiques et histoires

    secrtes de sa Bibliothque des romans (1740), ct de Pomponius et des Mmoires etaventures dun homme de qualit (1728-31) de Prvost, ce qui nous renseigne sur leur modede lecture au dix-huitime sicle. Le dcodage historique, sans doute transparent pour lescontemporains, est videmment plus laborieux pour nous. Dans le cas de Melon, son Essaipolitique sur le commerce (1734 et 1736)2 permet dclairer le discours conomique en styleallgorique (et souvent obscur) de Mahmoud le Gasnvide (1729 et 1730)3. Je ne reviens passur la dmonstration trs convaincante dY. Citton sur ce sujet. Avant dexaminer en dtail lesmodles imaginaires implicites dans ces fictions, je voudrais inaugurer cette lecture croisede Mahmoud et de Pomponius par les tmoignages destime que Prvost voua toute sa vie Melon.

    4 Ami de Montesquieu, premier commis de John Law, J.-F.Melon (1676-1738) fit toute sacarrire dans lappareil fisco-financier du rgime. Prvost voque son rle de conseillerconomique auprs du Rgent dans le pangyrique quil lui consacre au nombre 209 du Pouret contre (1738)4. LEssai politique sur le commerce connat un grand retentissement en 1734,et Prvost est un des premiers en faire un compte rendu trs logieux5. Par la suite, il necesse de dfendre lconomiste et le penseur, dans cinq numros de son priodique. En 1738,

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 3

    Feries, 3 | 2006

    il dnonce les erreurs de labb du Tot qui rfutait louvrage de Melon dans ses Rflexionssur les finances et le commerce6. La mme anne, Prvost publie une lettre de Voltaire qui semontre plus indulgent que lui envers du Tot. Le grand spculateur ultra-libral quest lauteurdu Mondain ne pouvait manquer de louer ce qucrit Melon sur la libert du commerce, surles denres, sur le change et surtout sur le luxe7. Le soutien constant et sincre de labb nepeut gure tre attribue une sympathie idologique: ce panier perc quest Prvost ne sestjamais beaucoup tendu, contrairement Voltaire, sur ses opinions conomiques ou librales.Lauteur de Manon Lescaut voyait sans doute en J.-F.Melon un homme form, comme lui,par la Rgence, et qui avait su traduire de faon intelligente son exprience dans une fictionoriginale: Mahmoud le Gasnvide.

    5 Cette histoire orientale, o sous des noms supposs et dans un tissu de faits allgoriques,[lauteur] tablit partout de grands principes de morale et de lgislature, comme le rsumePrvost8, est trs lointainement inspire du rgne du sultan Mahmud de Ghazni (dans lactuelAfganistan) entre 998 et 1030, prsent dans la prface (p.ii-iii). Ce dfenseur de la religionmusulmane, clbre par ses pillages et sa lgendaire soif de lor, favorisa les potes de cour etenrichit son pays. Cest ce dernier point qui retient lattention de Melon: le substrat historiqueet le travestissement oriental lui permettent de brosser un tableau heureux et prospre du rgnede Philippe dOrlans et du systme de Law. Rformiste prudent et avis, Mahmoud entendaugmenter les revenus de ltat en modernisant la lgislation et la fiscalit:

    Il vita de faire des recherches, toujours odieuses, sur les richesses acquises pendant les abus duministre prcdent, de peur deffrayer lindustrie et daltrer la confiance, qui doit toujours rgnerentre le souverain et ses sujets, dont elle est le seul lien; mais il punit les auteurs de ces projetsodieux, dicts par lintrt particulier aux dpens de la nation. Il dbrouilla le chaos des diffrentstributs de tant de provinces conquises successivement, que des intrts mal entendus attachaientavec obstination danciens usages. Ce fut avec des mnagements toujours accompagns dunehardiesse prudente quil rduisit tous ces tributs luniformit. (Mahmoud, chap.5, p.22)

    6 On pourra lire dans la premire phrase une allusion la chambre de justice de 1716 quipourchasse les malttiers et autres Turcaret9. Mahmoud incarne ici un modle idal desouverain juste et clair, soucieux dapprendre les innovations susceptibles dapporter lebonheur son peuple tel Philippe dOrlans convaincu par les thories de Law.

    7 Pour ne pas heurter de front un public prvenu contre le systme aprs la banqueroutede 1720, Melon opte pour une dmonstration progressive de lutilit du systme. Deuxchapitres savrent ncessaires pour comprendre comment Mahmoud fait adopter son peuplecette rvolution des mentalits quest le passage du numraire la monnaie fiduciaire. Auchapitre14, certains ouvriers du port se plaignent davoir t pays non plus en pices dormais en algors10 sur les tributs de la province de Kovarems, et rclament un payement enespces. Pour les satisfaire, Mahmoud convoque un marchand qui lui offre un crdit illimit envoyant le sceau du monarque sur les algors. Le lecteur comprend alors que les algors serventde billets changeables contre des pices: la valeur de tout ce qui porte ton auguste cachetest partout gale au poids de lor quelle annonce (p.68), explique Amrou. Ce ministre,charg du soin des finances, et des productions de la terre (p.28), justifie cette innovationen retraant un historique des changes montaires11, depuis le troc jusqu lquivalent dupapier monnaie:

    Les seuls biens rels sont les productions de la terre. [] Mais toute terre ne produit pas tout. Ilfaut que chaque pays se procure ce qui lui manque par le superflu recueilli. Cet change continuelest le plus grand mobile de labondance. Les changes nont pu se faire entre les premiers hommesque de denre denre; cest ainsi quils se font encore chez les Sauvages et chez les peuples nonpolics. Plus les socits ont augment, plus les besoins de dtails ont augment, et par consquentles incommodits des premiers changes. On a donc imagin un gage ou quivalent gnral dunprix certain, ais transporter, qui devint la mesure commune de tout ce qui peut entrer dans lecommerce. On a choisi pour cela lor et largent []. Mais les grands progrs du commerce, ou desbesoins de ltat, ont rendu ces mtaux insuffisants; il sen fait une espce de multiplication parla confiance des particuliers entre eux. Cette confiance doit tre bien plus entire pour le sceau dusouverain, et cest ainsi que je multiplie dans tes tats lor et largent, ou pour mieux dire le gagedes changes. Tu en vois lexemple dans les algors dont jai pay tes ouvriers. Les marchandsde Bethsim et de Diabul ont Kovarems les marchandises quils en retirent, et ils le peuvent

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 4

    Feries, 3 | 2006

    aisment et sans risque par les algors. Lor et largent circulent cependant toujours lusage ducommerce, et ne sont pas anantis par des transports continuels. (Mahmoud, chap.14, p.69-70)

    8 Le texte de Melon exige du lecteur un haut niveau dabstraction pour dcoder lcritureorientale et pour saisir lexpos pdagogique expliquant le passage la fiduciarit. Cesten effet la notion de confiance pour le sceau du souverain qui dtermine la russite delentreprise. Comme lcrit Y. Citton, lconomie politique selon Melon est toute entiredvolue expliquer le miracle financier qui rsultera, selon lui, de la gnralisationde la monnaie fiduciaire : multiplication des biens, des travailleurs, des citoyens, desconsommateurs12.

    9 Le chapitre22 prsente une application de la leon dconomie dispense par Amrou. La reinedu royaume de Redoc a fait approuver par le snat et par son peuple le remplacement descoquilles, dusage incommode, par un autre gage des changes appel kal, dont la valeur estfixe, l aussi, par le pouvoir monarchique:

    Le snat a dit la reine que les coquilles ntaient pas suffisantes pour la quantit de kal ncessaireaux changes, et quil serait avantageux de substituer quelque autre chose qui elle donnerait unevaleur aussi grande que celle des coquilles. Et la reine a dit son peuple, que la proposition dusnat tait bonne, et quil serait fait des carrs de cuir rouge de trois diffrentes grandeurs, avec unclou de fer au milieu, o serait appos le grand sceau, et que ce cuir reprsenterait la quantit dekal dtermine par le snat. Les peuples furent surpris de cette nouveaut, qui cependant stablitinsensiblement, et les coquilles ne sont plus dusage que pour les dtails. Ce kal, dont la prudencedu snat proportionne toujours la quantit aux besoins de ltat, rend nos terres mieux cultives,nos provinces plus peuples, et multiplie nos manufactures. (Mahmoud, chap.22, p.119-120)

    10 Ces peuples de papier se montrent, comme on le voit, infiniment plus souples et plus sages queles Franais: il est vrai quils sont rcompenss de leur docilit par une prosprit immdiatede la nation. Dans les deux cas, changes dalgors ou de kal de cuir rouge, ltat monarchiquecentralise, contrle et dtermine le nombre et la valeur des gages qui circuleront parmi lesparticuliers. On voit se concrtiser ici le rve de Law : linvention dune banque dtatindpendante, dont le crdit serait appuy sur la croissance (comme on dirait aujourdhui),ou sur ce que Melon appelle dans son Essai larithmtique politique (cest--dire lesstatistiques13).

    11 Ladoption de la monnaie fiduciaire apparat ainsi dans le conte comme lvolution normale dela politique conomique dune socit moderne et prospre. Toutefois, lapothose finale deMahmoud au chapitre30 me semble symptomatique des tensions que gnre ce changementdhabitudes. Le souverain et sa cour assistent aux fastueuses crmonies en lhonneur desplerins de La Mecque (Le luxe asiatique brillait partout, p.157), et la fte se clt sur unexemple de libralit grandiose:

    peine la dvotion tait-elle finie, quon entendit mille voix scrier: vive le Sultan! Au milieude ces acclamations, le peuple courait en foule pour voir Mahmoud et les princesses, qui reprirentle chemin du camp dans un char superbe, pendant que les officiers jetaient lor et largent pleinesmains. (Mahmoud, chap.30, p.163)

    12 On aura reconnu dans ce don fastueux, cette largesse laquelle J.Starobinski a consacr unbeau livre, le rituel antique de la sparsio romaine: la distribution la vole des prsents authtre ou lors des jeux14. Or cette dispersion de la richesse est lexacte antithse de tout ce quelconomie dtat mis en place sous Mahmoud sest efforce de contenir et de rguler durant160 pages. Jaurais tendance voir dans la sparsio du souverain gasnvide une sorte de refouldu systme de Law. Le brusque retour un geste conomique archaque (le don fastueux)serait un moyen de conjurer le spectre de la banqueroute, totalement occult dans le conte. Ledon de lor jet sur le passage du monarque serait lire comme le fantasme compensatoiredune perte bien relle pour un grand nombre de citoyens (rappelons que Marivaux fut ruinpar le systme). Toute lhabilet de Melon consiste conjuguer dans limaginaire les deuxmodes denrichissement par lactionnariat moderne et par la sparsio du monarque au fate desa gloire. linverse, nous allons voir que Montesquieu opte pour une srie de variations surla faillite du systme.

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 5

    Feries, 3 | 2006

    Les allgories noires de Montesquieu13 Le double succs des Lettres persanes (1721) et du Temple de Gnide (1725)15 a clips

    plusieurs contes et dialogues de la mme priode. Ces textes rococo illustrent les interrogationsconomiques et politiques du jeune prsident lpoque de la Rgence. Le Dialogue deXantippe et de Xnocrate (1727) fait lapologie du gnral spartiate qui aida les Carthaginois vaincre les Romains, avant dtre victime de leur ingratitude. Incarnant la vertu politique16,cet mule de Lycurgue a mis son courage et son exprience au service dun idal universel:Xantippe est le protecteur de la libert commune17. linverse, le Dialogue de Sylla etdEucrate (1724) fait le procs dun lgislateur sanglant, somm de rendre des comptes aunarrateur qui juge svrement le rgne du dictateur: vous avez tout sacrifi votre puissance;vous vous tes rendu redoutable tous les Romains; vous avez exerc sans piti les fonctionsde la plus terrible magistrature qui ft jamais18. Montesquieu donne ici une premire formelittraire aux rflexions quil labora trs tt (ds sa dissertation sur la politique des Romainsdans la religion de 1716) sur les circonstances de la grandeur et de la dcadence des Romains.Par la voix de ses personnages, le parlementaire de Bordeaux sinterroge sur le prix humaindun rgime despotique19 et sur la valeur incomparable de la libert ce bien qui fait aimerles autres biens, comme il la dfinit si justement dans ses Penses20.

    14 Ces mditations sur le pouvoir sont directement appliques lpoque contemporaine dansles Lettres de Xnocrate Phars, composes la fin de 1723, anne de la mort du Rgent.Ces cinq lettres forment un portrait politique de Philippe dOrlans (appel Alcamne) et unabrg de son rgne en style mythologique. Le successeur du vieux roi est prsent comme unhomme dun gnie politique bien suprieur Louis XIV (ce ntait pas difficile), mais sansreligion, sans murs et sans vertu: il a pour les hommes un souverain mpris [;] il croitaux talents, et il ne croit point aux vertus21. Alcamne partage ce mpris des hommes avecSylla22: serait-ce un trait de caractre propre aux dictateurs? Lambigut de ce portrait duRgent prolonge les attaques ironiques lances dans les Lettres persanes23: n avec un gniesuprieur, Philippe dOrlans est dit dou dun sublime esprit qui fait les grandes vertuset les grands crimes24. Montesquieu a vu trs tt dans lapplication du systme de Law unfacteur dinstabilit politique et un risque de dgnrescence du pouvoir monarchique. Plustard, dans LEsprit des lois, il formulera un jugement plus catgorique: M.Law, par uneignorance gale de la constitution rpublicaine et de la monarchique, fut un des plus grandspromoteurs du despotisme que lon et encore vus en Europe. [] Il dissolvait la monarchiepar ses chimriques remboursements []25 .

    15 La troisime des Lettres de Xnocrates dnonce la banqueroute comme une chimremgalomaniaque. Pour en faciliter la lecture, je dcode les allusions successives lactualit:

    Les dieux irrits contre Sicyone [Paris] envoyrent une nuit un songe Alcamne [PhilippedOrlans]; il crut quil tait le matre de tous les trsors de lunivers; ce songe fut la cause dela misre publique.

    Cependant Thmis [le Parlement de Paris] ta son bandeau et vit que de tous cts on levait dansSicyone, des temples Plutus [lagiotage dans la rue Quinquanpois en 1719-20]: Mortels, scria-t-elle, mfiez-vous du dieu que vous servez; mais elle fut elle-mme chasse de son temple, ellese tut et ne rendit plus ses oracles [Le Parlement est exil Pontoise le 20juillet1720, aussittaprs la banqueroute de Law]. Dans une nuit [arrt du 10octobre1720] tous les autels de Plutusfurent renverss, ses prtres prirent la fuite, et tous ceux qui avaient suivi son culte furent livrsen proie aux quatre titans. [le Conseil des finances, compos de quatre ministres]26

    16 Tout au long des annes 1720, Montesquieu a pratiqu avec constance et bonheur le pasticheantique ou oriental, aussi sa sret dcriture est-elle incomparable avec celle de Melon. Maiscette supriorit stylistique ne doit pas occulter les inexactitudes et les raccourcis: Alcamneest dcrit ici comme un nouveau Crsus, alors que la cinquime lettre affirme quil ne sestjamais enrichi des dpouilles de ses sujets27. Ensuite, le rle de la banque et de la monnaiefiduciaire dans le dsendettement de ltat nest aucun moment voqu. Tout est ramen lagiotage et un rapport de force politique entre un prince qui prend ses rves pour laralit et son Parlement: un tel rsum des vnements reste caricatural. Montesquieu sest

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 6

    Feries, 3 | 2006

    pourtant initi trs tt aux arcanes financires du rgime : il avait propos un moyen derduire limposition dans son Mmoire sur les dettes de ltat (crit vers 1715). Dans lesConsidrations sur les richesses de lEspagne (1727)28, il oppose la banqueroute de PhilippeII, le premier des rois dEspagne qui fut tromp par la fausset de ses richesses, au crditpublic qui assura la suprmatie des Anglais et des Hollandais29. Nul doute quil ait saisi lesenjeux du systme de Law, mais il attendra davoir complt sa formation intellectuelle pouren donner une apprciation conomique srieuse dans le chapitre de lEsprit des lois consacrau change30.

    17 Lattaque la plus vive quil lance contre le systme figure dans la L.142 des Lettres persanes,date doctobre1720. Le Fragment dun ancien mythologiste offre une version comiqueet mordante de la carrire de lEcossais. Sous couvert dune fable divertissante, Montesquieuraille la crdulit des Franais abuss par un charlatan professionnel:

    Dans une le prs des Orcades, il naquit un enfant qui avait pour pre Eole, dieu des vents, et pourmre une nymphe de Caldonie. On dit de lui quil apprit tout seul compter avec ses doigts; etque, ds lge de quatre ans, il distinguait si parfaitement les mtaux, que sa mre ayant voulu luidonner une bague de laiton au lieu dune dor, il reconnut la tromperie et la jeta terre.

    Ds quil fut grand, son pre lui apprit le secret denfermer les vents dans des outres, quil vendaitensuite tous les voyageurs: mais comme la marchandise ntait pas fort prise dans son pays, ille quitta, et se mit courir le monde en compagnie de laveugle dieu du hasard.

    Il apprit, dans ses voyages, que, dans la Btique, lor reluisait de toutes parts ; cela fit quil yprcipita ses pas. Il y fut fort mal reu de Saturne [Louis XIV], qui rgnait pour lors [en 1708]:mais ce dieu ayant quitt la terre, il savisa daller dans tous les carrefours, o il criait sanscesse dune voix rauque: Peuples de Btique, vous croyez tre riches, parce que vous avez delor et de largent. Votre erreur me fait piti. Croyez-moi : quittez le pays des vils mtaux ;venez dans lempire de limagination et je vous promets des richesses qui vous tonneront vous-mmes. Aussitt il ouvrit une grande partie des outres quil avait apportes, et il distribua de samarchandise qui en voulut.

    Le lendemain, il revint dans les mmes carrefours, et il scria : Peuples de Btique, voulez-vous tre riches? Imaginez-vous que je le suis beaucoup, et que vous ltes beaucoup aussi ;mettez-vous tous les matins dans lesprit que votre fortune a doubl pendant la nuit; levez-vousensuite; et, si vous avez des cranciers, allez les payer de ce que vous aurez imagin, et dites-leurdimaginer leur tour. (L. 142, Folio, p.321-322)

    18 Dans cette brillante variation sur le thme de la fortune aveugle, le systme de Law marque lergne de la contrefaon et de limposture: donner de la valeur ce qui nen a pas (le vent oule papier) apparat comme une subversion de lconomie marchande ( moins que ce ne soitsa finalit profonde). Le mode de lecture de cette lettre est dune rare complexit: la doubledistanciation induite par lcriture travestie et la mise en abyme31 invite le lecteur dchiffrerles vnements supposs anciens (L. 142) ou trs loigns (la L.146 retrace les malheursdune nation des Indes pervertie par un mauvais ministre32), la lumire de tmoignagescontemporains, ceux des dbiteurs insolvables ou ruins par la banqueroute (L. 132 de Rica).Montesquieu a conserv dans ses papiers des versions beaucoup plus noires de la crise quetraverse la socit franaise:

    Enfin on vient de publier larrt [du 21mai 1720] qui met lEtranger [Law] aux Petites-Maisonset tous les Franais lHpital! Les actions et les billets de banque perdent de moiti. On teaux sujets trente fois cent millions dun coup de plume, cest--dire une somme qui existe peinedans le Monde, et avec laquelle on pourrait acheter tous les fonds du royaume de Perse. Toutela Nation est en larmes. La nuit et le deuil couvrent ce malheureux royaume: il ressemble uneville prise dassaut ou ravage par les flammes. Au milieu de tant de malheurs, lEtranger seulparat content de lui-mme et parle encore de soutenir son funeste systme. Jhabite ici le Paysdu Dsespoir; mes yeux ne voient que malheurs qui accablent les Infidles. Un vent slve etemporte leurs richesses. Leur fausse abondance disparat comme un fantme33.

    19 Cette image des fortunes envoles, des billets ou des actions disperss au vent, est lantithse dela prodigue sparsio de Mahmoud, cette pluie de pices dor et dargent rpandue sur les sujets.Lapothose conomique de Melon sinverse ici en dsastre montaire: la nation toute entireest engouffre dans un affreux nant (ce sont les derniers mots qucrit Usbek de Paris,

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 7

    Feries, 3 | 2006

    le 11novembre 172034). Entre lutopie financire de Mahmoud et le dsespoir dune nationruine la fin des Lettres persanes, o lira-t-on, dans la fiction de lpoque, une descriptionimpartiale du systme? Dans le Pomponius, premier pch de jeunesse publi de Prvost.

    Pomponius ou lHistoire de notre temps20 Les Aventures de Pomponius, chevalier romain ou lHistoire de notre temps (1724) est le

    premier roman attribuable Prvost35, alors novice chez les bndictins de Jumiges depuis1720. Dcousu et inachev, ce roman lantique na gure suscit plus dintrt que Mahmoudde la part de la critique, hormis les recherches de J.Sgard36. Son succs est pourtant attest parcinq ditions de1724 1728, et par quelques comptes rendus logieux37. Le lecteur modernesera surpris par son caractre rapsodique et nigmatique, li aux circonstances dune rdactionclandestine tale sur plusieurs annes (1721-24)38 et confie plusieurs mains. Pomponiuseut au moins deux auteurs: le premier rdacteur, rest anonyme39, rdigea le premier quart dulivre, et Prvost prit probablement la relve, orientant la matire licencieuse des treize premierschapitres vers un expos historique fort complet du rgne de Philippe dOrlans. Les Aventuresde Pomponius se subdivisent ainsi en quatre parties distinctes:

    1.Le matriau originel (chap.1 13) est un roman rotique lantique racontant lesamours dun jeune chevalier romain. Lauteur y accumule les poncifs: Pomponius sedguise en fille pour rejoindre sa matresse chez les Vestales; exil de la cour de Tibre,il sembarque avec quatre compagnons; chacun raconte sa propre histoire en attendantla tempte et le naufrage. Ce romanesque dbrid superpose plusieurs veines: romanpornographique (le couvent est un lieu de dbauche topique40), roman dapprentissageet mme une bauche de dialogue philosophique en forme de dbat sur les chteauxenchants, les prophties et la magie (chap.9 et 10). Dans les chapitres ultrieurs, Prvostdote ce matriau htrogne dune ligne de lecture plus unifie, notamment lorsquilaborde la sexualit avec les armes de la philosophie (chap.17 et 18).

    2.Les Romains naufrags arrivent en Ichtyophagie, se rendent Petraal (anagrammede La Trappe), puis Igniatiopole (capitale des Jsuites), avant de sembarquer pourla lune. Ces voyages imaginaires (chap.13 17) sinspirent de la tradition ancienne(lHistoire vritable de Lucien) et moderne (Rabelais, Cyrano, Foigny). cet endroit,le cadre narratif du roman, assimilable celui des rcits utopiques, permet Prvost dese livrer avec une ingnuit feinte une condamnation du monachisme et des prtres:ce sont des Romains qui parlent, aussi irresponsables que les Persans de Montesquieu41.Puis les Romains visitent les diffrentes provinces de la lune, le magasin des pucelages42et la bibliothque, tout en faisant la conqute des belles lunoises.

    3.Lhistorique de la Rgence, racont par le bibliothcaire de la lune (Samar), occupetoute la fin du roman (chap.18 30). Le portrait de Philippe (alias le Prince de RELOSAN,anagramme dORLEANS) stend sur six chapitres et totalise un cinquime du roman.Au terme de cet expos, le lecteur a perdu de vue linconsistant Pomponius, et naplus en mmoire que la ralit contemporaine. Lptre ddicatoire nous avertissait quecet ouvrage est moins un roman que lhistoire de notre temps sous quelques nomsemprunts (p.17). Ce mode de lecture est rappel dans le roman par une prtritionironique: il sagit de lhistoire dun autre monde, et dun autre sicle, qui vous doit trefort indiffrent, dit le bibliothcaire aux Romains (p.62), visant clairement le lectoratde 1724.

    4.Dernire partie du Pomponius: la cl de 1728, intitule Notes sur les Aventuresde Pomponius (p.95-101), fournie trs vraisemblablement par Prvost lui-mme43.Ce hors-texte est fort prcieux pour le lecteur moderne qui peut ainsi dcoder plusfacilement que dans Mahmoud les allusions. Pour le lecteur de 1724, les procdstraditionnels du roman cl (transpositions, catalogues, anagrammes) devaient suffire rendre lisible ce qui est obscur pour nous. Les anachronismes de Prvost ont, comme onva le voir, une double fonction: comique (les Romains assistent des pices de Molire)mais aussi didactique (ils sont indispensables pour expliquer la monnaie fiduciaire deLaw).

    21 La trame romanesque se dilue ainsi dans un discours historique qui nest pas neutre: il estorient vers une dfense de laction politique et conomique du Rgent, relativement pargn

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 8

    Feries, 3 | 2006

    dans sa personne44. J. Sgard a relev cette ambigut du texte : Pomponius, qui a passlongtemps pour un pamphlet contre le Rgent, peut en paratre aussi lapologie45. Le voyageimaginaire dans la lune symbolise le passage dun monde ancien, livr aux superstitions et auxquerelles religieuses, un univers plus hardi et plus novateur, qui serait celui de la Rgence.Sous les auspices dun prince qui ne hassait pas le sexe (p.84), le libertinage est vcu demanire euphorique, entre ravissement et malaise, comme bien souvent chez Prvost46. Alorsque les libelles se multiplient en 1723-24 contre le Rgent et son entourage (Law, Dubois etles rous47), lauteur du Pomponius prend le parti inverse de donner une vision heureusede son poque et du rgne de Philippe.

    22 Nul doute quavec le Pomponius, Prvost nait donn libre court ce got de ltrange etdu bizarre quil illustrera dans ses trois grands romans48, et quil thorisera en 1735 danssa prface aux Trois contes de fes de Mme de Lintot49. Mais le pastiche antiquisant nestgure son domaine dlection, contrairement Montesquieu. Aussi dlaisse-t-il les rfrencesmythologiques et les allgories, pour adopter un langage et un point de vue modernes surses jeunes Romains venus polissonner dans la lune. LEmbarquement pour Cythre auquelil convie ses personnages na plus pour destination une Antiquit abstraite comme celle duTemple de Gnide, mais un espace bien rel, le jardin des Tuileries qui entoure le palais duLouvre:

    Je vois l-bas, dit Pomponius, des bosquets qui mont tout lair dtre autant de chapelles ddies la desse de Cythre, ou du moins dagrables rduits o lon pourrait, en toute sret, clbrerses mystres les plus cachs. [] Ces jardins me paraissent charmants. Nos Romains en tenantces discours allrent se promener dans le jardin [des Tuileries]50, o nous les laisserons pour enfaire autant de notre ct, pendant que la belle saison nous y convie. (p.93-94, je souligne)

    23 Le remarquable changement de pronom dans les dernires lignes du roman invite le lecteur relayer les personnages de fiction, et jouir dun lieu de plaisir contemporain, cautionn par lepouvoir (le Rgent a choisi ds 1715 dhabiter au Palais Royal et non plus Versailles). Ainsi,par un jeu chronologique digne des romans danticipation de Phil K.Dick, des Romains duIersicle se font expliquer lhistoire passe dune nation qui est en ralit la France de 1724.

    24 Ce renversement du systme rfrentiel savre ncessaire pour rendre lisible le coup de forceidologique quest la rhabilitation du systme de Law. Le chap. 25, sous-titr Banqueroyale, est consacr lordre que Relosan mit aux finances (p.79). Dans ldition de 1728,Prvost renforce cette ligne de lecture favorable au rgime en ddiant son Pomponius au ducde Noailles. Ce solide gestionnaire, nomm directeur du conseil des finances en 1715, soutintnergiquement la banque de Law partir de 171651. Pour dcrire cette nouvelle politiqueconomique, Prvost emploie un vocabulaire technique qui na plus rien de commun avec lestemples Plutus des Lettres de Xnocrates:

    Il [Relosan] entreprit dacquitter les dettes de lEtat [] Il se servit dun nouveau moyen pourengager le peuple apporter lui-mme son argent au trsor du prince. Pour faire voir au peuplequil navait pas besoin de ses subsides, il le dchargea des arrrages des tailles et de quelquesautres subsides, qui ne pouvaient tourner quau profit des traitants52. Ensuite il tablit une banqueroyale [2mai 1716], dont je ne vous rapporterai pas le systme, parce que personne ne la jamaissu, mme celui qui en tait le directeur. Je vous dirai seulement ce qui en a paru.

    Le prince composa une compagnie de marchands, quil favorisa de tout son pouvoir [la Compagniedes Indes]. [] On proposa au public de mettre sur cette compagnie de largent intrt. Onproposa des actions qui devaient rapporter un certain denier [pourcentage] ; et pour rendrelappt plus sensible, on admettait au secret des affaires de la Compagnie ceux qui avaient acquiscinquante actions ; cependant comme elles taient trop hautes pour tre ngocies par tout lemonde, on fit des billets de banque, qui valaient dix, cent, cinq cents, mille livres, pour les usagesdes intresss. Comme ces billets navaient pas de valeur intrinsque, puisquils ntaient que depapier, le prince leur en donna une extrinsque, ordonna quils seraient reus dans le commerce,et promit que leur valeur serait fixe, et quils ne hausseraient ni ne diminueraient pas. [] Toutle monde courut porter son argent la Banque, et reut du papier en change.

    On peut dire que ce systme aurait pu russir, tant appuy, comme il ltait, sur lautorit duprince, si le public y et mis sa confiance. [] Le royaume tait dj presque rempli de papier, etplus de la moiti de lor et de largent de ltat tait entr la banque, cest--dire entre les mains

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 9

    Feries, 3 | 2006

    du prince, lorsque deux ministres dtat, qui gouvernaient sous son autorit, jaloux du succs quele directeur des finances [Law] avait eu dans son agiotage, jurrent sa perte. Il ntait pas facilede la perdre dans lesprit du prince, parce que Relosan avait besoin dargent et que le directeurfaisait venir dans ses coffres toutes les richesses du royaume. Ils rsolurent de lui faire perdre soncrdit dans le public (p.79-80, je souligne)

    25 La phrase souligne rvle combien Prvost a parfaitement compris loriginalit, mais aussila fragilit du systme de Law. La Compagnie perptuelle des Indes et la Banque royaledtenaient elles seules tous les leviers de lactivit conomique: le monopole du commercecolonial, la perception des impts53 et le privilge de battre monnaie. Leur faiblesse structurelleest de dpendre de la confiance des actionnaires. partir du moment o ceux-ci se mettent revendre leurs actions, limitation du prince de Conti, et que la valeur des actions fluctue(contrairement aux promesses de Philippe, dont la parole est moins fiable que celle deMahmoud54), tout le crdit de la Banque seffondre.

    26 Le second lment remarquable de ce chap.25 est la rhabilitation de Law et du Rgent.Prvost minimise la responsabilit de lEcossais en attribuant la banqueroute la malveillancedes ministres dtat55 . Quant Philippe dOrlans, dont le dsintressement est aussiexemplaire que dans les Lettres de Xnocrates56, il fait figure de monarque visionnaire.Rompant avec la thsaurisation en vigueur sous LouisXIV, et avec la soumission aux traitantsqui scandalisait tant Saint-Simon57, le Rgent promeut une conomie novatrice fonde sur lacirculation des capitaux et le mercantilisme fiduciaire, dans le but de rendre ltat indpendantdes lobbies de financiers chargs de drainer le prcieux numraire vers ce tonneau desDanades quest le budget de la monarchie. En somme, cest vers une conomie dirige etcontrle par ltat la situation idale de Mahmoud et non plus livre aux capitalistesprivs, que tend le systme prsent par Prvost. Mais ce passage trop rapide la fiduciarittait foncirement inadapt aux mentalits et aux habitudes des manieurs dargents de lAncienRgime.

    27 Prvost fut un des rares crivains du temps avoir restitu chaud toutes les donnes decette rforme conomique. Par sa prcision et sa clart, ses chapitres historiques du Pomponiusanticipent sur les exposs didactiques du Mahmoud, sans quil soit ncessaire de parler dunequelconque influence. Melon apporte une comptence financire professionnelle quil estle seul possder parmi les romanciers de lpoque, tandis que Prvost manifeste ds 1724son art de raconter les vnements les plus complexes de son temps.

    28 Aprs ce parcours des diffrentes versions littraires du systme, je vais me concentrer surlinterprtation fantasmatique quen donnent les romanciers des annes 1720. La banqueroutea dchan une srie dangoisses lies, dans les Lettres persanes, au bouleversement desconditions et lide de dcadence du pouvoir monarchique. Ces peurs ont galement gnrtout un imaginaire tratologique de lhomme dargent, dont on peut lire les prolongementsdans le Gil Blas de 1724 et dans les Mmoires et aventures dun homme de qualit.

    La Rgence et ses monstres29 Je reviens au Fragment dun ancien mythologiste de la L.142, dans lequel John Law

    nomme les laquais mes chers enfants: je puis vous appeler de ce nom, car vous avez reude moi une seconde naissance, explique le Caldonien58. Montesquieu introduit par l uneassociation de nature fantasmatique entre confusion des rangs, enrichissement et spculation,dveloppe dans les autres lettres contemporaines de la banqueroute (juillet1720).

    30 Les lettres changes entre les deux Persans refltent le jugement svre de Montesquieu surson poque, quil a exprim sans ambages dans ses Penses59. Sous la plume railleuse de Rica,la socit de la Rgence devient une sorte de monde lenvers, version grinante des utopiesmarivaudiennes:

    Les ministres se succdent et se dtruisent ici, comme les saisons: depuis trois ans, jai vu changerquatre fois de systme sur les finances. []

    Tous ceux qui taient riches il y a six mois sont prsent dans la pauvret, et ceux qui navaientpas de pain regorgent de richesses. Jamais ces deux extrmits ne se sont touches de si prs.Ltranger a tourn lEtat comme un fripier tourne un habit: il fait paratre dessus ce qui tait

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 10

    Feries, 3 | 2006

    dessous; et ce qui tait dessus, il le met lenvers. Quelles fortunes inespres, incroyables mme ceux qui les ont faites! Dieu ne tire pas plus rapidement les hommes du nant. Que de valetsservis par leurs camarades, et peut-tre demain par leurs matres! (L. 138, p.306-307)

    31 Lagiotage de 1720 confre une nouvelle actualit au mythe du laquais devenu grand seigneur,cible privilgie des moralistes depuis les Caractres jusquau Cabinet du philosophe60.Montesquieu a beaucoup ironis sur les nouveaux riches sortis du nant et sur la perte desrepres sociaux: on dit que le premier de Paris est celui qui a les meilleurs chevaux soncarrosse, raille Usbek (L. 88, p.212)61. Pour La Bruyre, un roturier tait celui qui chercheencore le secret de devenir riche62. Dans les Lettres persanes, ce secret est tout trouv: cestle systme de Law. Puiss-je voir les actions deux mille, et tous les laquais de Paris plusriches que leurs matres!, sexclame un gnalogiste devant Rica (L. 132, p.296)63. Le lienest ainsi tabli entre la spculation et la transformation de ces hommes de rien que sontles valets enrichis. En tant que nobles, Usbek et Rica se font lcho des craintes idologiquesde Montesquieu, cet aristocrate critique lgard de sa caste mais attach lordre social delAncien Rgime. Pour lui, llvation des laquais au rang de grands seigneurs fragilise unesocit dtats galement mise en danger par la caducit des fortunes traditionnelles et par lesoprations de crdit bancaire provoquant une circulation des richesses incontrle, commelcrit G.Benrekassa64.

    32 Cette ide que les laquais puissent tre les bnficiaires du systme est un pur fantasme. Lestravaux dcisifs de Daniel Dessert ont confirm quelle na aucune consistance au niveauhistorique65: un domestique ne possde aucun atout (familial, financier, culturel, social) luipermettant daccder au statut de traitant et encore moins de grand seigneur. Seuls ceux quiavaient des apports de capitaux considrables et des relations avec les milieux fisco-financiers,comme le frre et la sur Tencin66, se sont enrichis par le systme. Les autres ont subi le mmesort que les petits porteurs comme Marivaux. Grand profit, en revanche, pour la littrature,que ce mythe du laquais financier devenu gentilhomme: depuis le Turcaret de 1709, ilconnat des prolongements indits dans les romans de Montesquieu, Prvost et Lesage.

    33 Usbek sindigne que la politique conomique du Rgent puisse acclrer la confusion des rangset le renversement des fortunes. En jouant sur lexpression fumer ses terres, il assimiledans son discours le valet enrichi, cet tre ignoble, lordure:

    Le corps des laquais est plus respectable en France quailleurs : cest un sminaire de grandsseigneurs []. Ils relvent toutes les grandes maisons par le moyen de leurs filles, qui sont commeune espce de fumier qui engraisse les terres montagneuses et arides. (L. 98, p.230)

    34 Lironie excessive dUsbek traduit la rpugnance de ce contempteur des richesses67 lgard deces mes de boue de basse extraction que sont les laquais, profiteurs supposs du systme.Montesquieu transfre ainsi les associations inconscientes entre or et ordure68 ou entre avariceet salet, inscrites dans la langue69 et bien reprsentes dans les traditions populaires, dans unfantasme dactualit: le valet agioteur faisant souche dhonntes gens!

    35 Ce fantasme du laquais-agioteur-financier-gentilhomme qui a fait fortune par des moyenssales est repris et amplifi par Prvost, non plus lobscur auteur de Pomponius, mais le grandromancier qui simpose dans toute lEurope avec ses Mmoires et aventures dun homme dequalit. la fin du livre douze (fin du t.V, 1731), le hros narrateur, appel Renoncour, rentredAngleterre. Il est interrog par le Rgent et Dubois sur la politique intrieure, les murs etles usages des Anglais (MHQ, 280). Quelques semaines plus tard, il revient Paris dans lachaleur des actions du Mississipi (MHQ, 291). En ralit, si on se fie la chronologie interne,lpisode a lieu durant lt 1716, et non en 1719-1720, annes de la fivre du systme: maiscest lpoque o le royaume se remplit de papier, comme disait le bibliothcaire de lalune (Pomponius, p.80). Renoncour fait la connaissance du clbre M.Law qui donnait lebranle la roue [de la fortune] (MHQ, 291). Prvost brosse alors le tableau dune socitobsde par la spculation:

    Largent et lor roulaient avec profusion, comme sils se fussent chapps de la captivit danslaquelle on les tient ordinairement. Les habits, les quipages, les dpenses excessives du jeuet les ftes continuelles dcouvraient lopulence du royaume, ou, sil est permis de sexprimer

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 11

    Feries, 3 | 2006

    sincrement, trahissaient plutt sa faiblesse intrieure, puisque toutes ses forces spuisaientfollement au-dehors. [] Ce ne fut pas sans peine que nous nous procurmes un logementcommode. Nous en emes mme beaucoup louer un carrosse de remise, tant il se trouvait depersonnes qui ntaient pas disposes plus que nous marcher pied. Tous les jours on nousapprenait quelque nouveau prodige de fortune en faveur des plus vils et des plus misrables.(MHQ, 291)

    36 Ces dernires phrases sont une allusion transparente lenrichissement rapide des bassesclasses avides de pratiquer le mme mode de vie que les aristocrates. Le sage Renoncour quinaspire qu se retirer du monde voit dans ces bouleversements un nouveau motif de mpriserles richesses70: il interprte ces fortunes artificielles comme un puisement inquitant de lanation. Le systme de Law fonctionne alors comme un rvlateur: il met jour les monstresde la Rgence, tel le trsorier gnral Paparel, condamn mort par la chambre de justice en1716. Ses murs tranges sont rapportes par Dubois:

    Ce qui est certain, cest que sil [Paparel] avait lme avare et corrompue, il navait paslimagination moins drgle ; il mriterait de mourir, nous dit labb du Bois, ne ft-ce quepour purger le genre humain dun monstre qui le dshonore; on assure que sa nourriture la plusexquise est lexcrment du premier venu. Je nentendis pas dabord le sens de cette expression;on mclaircit en mapprenant que Mr.Paparel mangeait communment le produit des ncessitsnaturelles ; quil portait mme toujours avec lui une petite cuillre qui lui servait cet usage,et quil lui tait arriv plus dune fois, en voyant un laquais de bonne sant, de larrter et delengager prix dargent lui faire quelques morceaux de cette horrible viande. Ce drglementde got me parut si trange, que je noserais le rapporter comme une vrit, si les assurances quonmen donna neussent t assez fortes pour me convaincre. (MHQ, 468, variante de la p.291)

    37 Mme dans une anecdote aussi indcente, censure dans la rdition de 1756, Prvost nese dpartit pas de son humour, comme le prouvent le mot desprit sur purger et le dtailde la petite cuillre ncessaire aux gots coprophages du traitant71. Il ne prcise pas sile laquais doit sa bonne sant lagiotage, ni sil fait payer ses services en actions,mais peu importe: lessentiel est que lhistoire de Paparel tienne lieu des informations queRenoncour attendait sur la nouvelle politique conomique du royaume72. En juxtaposant lesmurs dviantes du malttier et la vie romance de lEcossais, Prvost rvle, par la voiedu fantasme, la contradiction profonde du systme: limpossibilit de ranimer une conomieancienne fonde sur la rentabilit du capital par une spculation effrne. Lerreur de Law futen effet de demander aux actionnaires de se comporter la fois en placeurs pargnants eten joueurs agioteurs73.

    38 Le matriau imaginaire utilis par Montesquieu (le laquais, lagiotage, le financier, lor et lefumier) est ainsi rorient par Prvost dans un sens trs nettement pathologique. traversle malaise de la nation sexhibe la folie des porteurs dor de la monarchie que sont lesfinanciers. Du temps de Peau dne, seul le fils du roi, cet enfant gt, a le droit de mangerde lor (des louis, videmment), ou du moins den rver:

    Il [le prince] aurait eu de lor, tant laimait cette Mre

    Sil en avait voulu manger74.

    39 Autres temps, autres murs: sous la Rgence, ce sont les trsoriers avares qui satisfont prix dargent leur passion de manger lordure des valets, comme sil sagissait de rcuprerinconsciemment tout lor que le systme a transform en papier monnaie.

    40 Nous trouvons dans cette page occulte des Mmoires et aventures une manifestation de cetteangoisse de la perte rcurrente dans lensemble du roman de Prvost depuis les premierstomes (Renoncour est ruin par la disparition de la quasi-totalit de sa famille) jusqu ManonLescaut75. Dans le rcit de des Grieux, la peur de perdre, dcline sur tous les plans (perdre soninnocence, sa matresse, son bien, sa libert, son pre, son calme,etc.) est lie son immaturitet un dfaut de puissance financire, compense par ses rveries budgtaires. Jtais plusfier et plus content avec Manon et mes cent pistoles, que le plus riche partisan de Paris avecses trsors entasss dclare firement le jeune aventurier aprs avoir appris par Tibergeque son vasion naura pas de suite76. Lassimilation de Manon un capital, la volont dematriser la dpense du couple, renvoient tout un imaginaire de la rtention77, mis en vidence

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 12

    Feries, 3 | 2006

    par R.Dmoris dans son Silence de Manon78. Cette logique fantasmatique, nous la retrouvons luvre dans la vision angoisse du systme quen donne Renoncour, et pas uniquementparce que lhistoire personnelle de Law anticipe sur celle de des Grieux79. Les rvlationsscandaleuses sur Paparel, de mme que les confidences de Dubois traduisent un mme dsirinconscient de contenir lor du systme, de lingrer, ou encore dinverser le processus deconversion de lor en papier. Cest ainsi que Dubois confie imprudemment Renoncourquil a cherch le secret de la pierre philosophale:

    Pour ce qui regarde le grand uvre, il [Dubois] la tent sans succs: cependant, il na pas laissde faire de grandes dpenses pour arriver quelque chose dextraordinaire dans la transmutationdes mtaux. (MHQ, 294)

    41 Voil qui nest pas sans voquer nouveau Manon, cette chimiste admirable quitransforme tout en or, aux dires de des Grieux (ML, p.187). Dans le mme esprit, Prvostconvoque les pratiques de magie auxquelles se livrait Philippe dOrlans pour suggrer unparallle humoristique entre la pratique dun charlatan italien80 (qui change en trois minutesun cu en louis dor, MHQ, 294), et le systme de Law qui, linverse, rduit en quelquessemaines toute une fortune un tas de papier sans valeur.

    42 Dans les royaumes imaginaires dcrits par Bordelon dans Mital (1709)81 ou par Swiftdans Gulliver (1726), le comique scatologique reste proche de la tradition rabelaisienne :l inversion carnavalesque (Bakhtine)82 est mise au service dune satire politique. ChezPrvost, la perversion coprophage de Paparel na plus tout fait la mme fonction comique:elle devient une raction de dfense aberrante contre lemballement du systme. Ira-t-onjusqu lire dans les gots dviants du trsorier les obsessions de llite financire de lAncienRgime: la dette nationale et la dvaluation83? En tout cas, ce portrait de financier mangeurdor et dordure, cas exemplaire de la puissance du fantasme prvostien, radicalise lesangoisses dUsbek et de sa caste: le narrateur passe du dgot ou du mpris lhorreur pourun tel monstre du genre humain. Nous allons voir pour terminer que la course au profit laquelle se livre Gil Blas nest pas loigne de ce type de dviances.

    Monnaie de singe43 Le troisime tome des mmoires de Gil Blas (1724) offre au public une peinture de la Rgence

    sous le travestissement espagnol84. Deux changements dans la carrire du narrateur refltentplus prcisment lactualit de lpoque: la fulgurante ascension sociale de Santillane (autreillustration du mythe du laquais enrichi) et linsatiable apptit de richesses qui laccompagne.

    44 En devenant lintendant de don Alphonse85, Gil Blas accomplit un saut social dcisif: il neservira plus des bourgeois, des petits-matres ou des actrices, mais des grands seigneurs, desarchevques, des princes. Il parvient mme aux plus hautes sphres de la monarchie: il estnomm secrtaire particulier du duc de Lerme, lhomme le plus puissant du royaume86. Cestplus que nen peut supporter la tte mal timbre de notre hros. Lorsquil dcouvre qu lacour tout sachte (protection, honneur, titres de noblesse87 et mme la vie dun homme), il estsaisi dune folie des grandeurs qui prend laspect dune avarice dmesure:

    Mon matre [] me rendit encore plus affam de richesses que je ne ltais auparavant. [] Je necherchais qu faire plaisir pour de largent [] Nous [Scipion et lui] ressemblions aux avares quise consolent des hues du peuple en revoyant leur or. Isocrate a raison dappeler lintempranceet la folie les compagnes insparables des riches. Quand je me vis matre de trente mille ducats88[] jen perdis ce qui me restait de jugement. (VIII, 9, GF, p.409)

    45 Dans les deux tomes de 1715, Gil Blas parvenait, grce ses rencontres, chapper lafascination de lor89. Dans le t.III, il ne mesure plus lcart social qui le spare des groupesdominants auxquels il finit par sidentifier compltement, dans son langage90 comme dans sesrves (il se prend pour un btard du duc de Lerme91). Sil nest fait aucune rfrence prcise lagiotage (Santillane fait fortune par des voies traditionnelles de la corruption), Lesage usedimages allgoriques qui entrent en rsonance avec limaginaire du systme:

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 13

    Feries, 3 | 2006

    Enfin, disais-je, me voici sous la gouttire. Une pluie dor va tomber sur moi. Il est impossibleque le confident dun homme appel par excellence le grand tambour de la monarchie dEspagne[le duc de Lerme] ne soit pas bientt combl de richesses. (VIII, 4, GF, p.392-393)

    46 Lallusion la gouttire de la mosque de la Mecque, tire du conte La Sultane de Perse(1707) de lorientaliste Ptis de La Croix92, se double dune autre rfrence la mtamorphosede Jupiter en pluie dor, reprise plus loin: Scipion fait une allusion spirituelle au mythe deDana propos de la courtisane Catalina93. Or dans ses rves de richesses, cest Gil Blas quioccupe ce ple fminin et le duc de Lerme celui de Jupiter. Sous la protection du ministre,le trsor de son secrtaire ne se met-il pas enfler comme le ventre dune Dana? Lesageuse de toute la polysmie de ce style allgorique pour exprimer la jouissance de lavare plaisir de nature sexuelle en premier ressort94. Ce genre dassociations fantasmatiques permetdinterprter ltrange exprience que fait Santillane chez le comte Galiano, juste avant sonentre au service du duc de Lerme.

    47 Le comte est riche et fait Madrid une dpense dambassadeur. [] quoique Sicilien, [il]parat gnreux, plein de droiture et de franchise, dit le pote Fabrice son ami Gil (VII, 14,p.369). Il nen faut pas plus pour que notre hros, bloui par le prestige et le faste des grands,accepte le poste de surintendant qui lui est propos. Or tout son emploi va consister rduireun train de vie jug ruineux par le comte:

    Je suis riche, la vrit, mais ma dpense va tous les ans fort au-del de mes revenus. Etpourquoi? Cest quon me vole, cest quon me pille. Je suis dans ma maison comme dans unbois rempli de voleurs95 [] Vous ne servirez pas un ingrat. Jaurai soin de vous tablir en Siciletrs avantageusement. (VII, 15, p.372)

    48 Encore les voleurs de la caverne (I, 4-10) se montraient-il plus traitables que les deux ennemisde Santillane, un Messinois des plus fins (p.370) et un matre dhtel Napolitain. Quantaux promesses dtablissement en Sicile, elles ne seront pas plus tenues que celles du Rgentsur la valeur fixe des actions96. Le phnix des intendants, comme il se dcrit lui-mme(p.373), accomplit pourtant une rforme radicale dans les cuisines: il radique la corruptionet diminue le gaspillage au point de raliser une conomie dau moins dix mille livres quiltourne son profit97. Si le rcit de ses manuvres appartient au registre comique des aventuresde Gil Blas, Lesage greffe certains effets dtranget qui vont entrer en rsonance avec cettemission capitale dont sinvestit le hros: rduire la dpense.

    49 Le comte sicilien Galiano pourrait ntre quun exemple supplmentaire de matre ingratou fantasque. Le traitement du personnage rvle un cas-limite de dgnrescence delaristocratie. Ce qui frappe demble, cest laccumulation de dtails insolites relevs parR.Laufer98. Dans ce palais, lhumanit semble avoir rgress au stade de lanimalit. Leslaquais, les cuyers, et mme les gentilshommes qui le frquentent ont des mines simiesques:Ils avaient tous des habits magnifiques, mais avec cela des faces si baroques, que je crusvoir une troupe de singes vtus lespagnole. Il y a des mines dhommes et de femmes pourqui lart ne peut rien, stonne le narrateur (VII, 14, p.369). Cest un lieu sans femme99, ouplutt cest un singe, un vrai, qui occupe la place de la comtesse100. La passion zoophiliquedu matre est dcrite sans ambigut:

    Aprs avoir pris son chocolat, il [Galiano] samusa quelque temps badiner avec un gros singequil avait auprs de lui, et quil appelait Cupidon. Je ne sais pourquoi on avait donn le nom dece dieu cet animal, si ce nest cause quil en avait toute la malice; car il ne lui ressemblaitnullement dailleurs. Il ne laissait pas, tel quil tait, de faire les dlices de son matre, qui taitsi charm de ses gentillesses, quil lavait sans cesses dans ses bras. Nunez et moi, quoique peudivertis des gambades du singe, nous fmes semblant den tre enchants. (VII, 14, p.370)

    50 Gil Blas ignore encore que son salaire se bornera ce spectacle et quil sera pay, littralement,en monnaie de singe101. Les cabrioles de cet animal si chri du patron (p.375) se rvlentfatales notre hros. Le singe se casse une jambe en sautant dune fentre, accident qui plongeson matre dans le dsespoir et le surintendant zl dans le coma:

    Ce quil y eut de malheureux pour moi, cest que javais enchri sur tous les valets pour mieuxfaire ma cour au seigneur, et je mtais donn de si grands mouvements pour son Cupidon, que

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 14

    Feries, 3 | 2006

    jen tombai malade. La fivre me prit violemment, et mon mal devint tel, que je perdis touteconnaissance. Jignore ce quon fit de moi pendant quinze jours que je fus entre la vie et la mort.(p.376)

    51 Abandonn par le comte, grabataire et malade, Gil Blas est pill par les autres domestiques etpar les mdecins. Son dvouement envers ses matres est rarement rcompens102, mais il netire aucune leon de son exprience et semble vou rpter, de manire quasi-compulsive,les mmes erreurs103.

    52 Lesage renoue ainsi, la fin de lpisode, avec la satire des mdecins (exploite abondammentavec Sangrado, II, 3-5), en y ajoutant, exceptionnellement104, la variante scatologique dulavement qui clabousse lhabit du praticien. Lopration est dabord dcrite sous une formepriphrastique (lapothicaire se prpara, on juge bien quoi faire, VII, 16, p.377), et leterme propre (si on peut dire) est prononc dans la dernire page du chapitre:

    Je lui [le mdecin] lchai des espces mon grand regret et il se retira bien veng du petit chagrinque je lui avais caus le jour du lavement. (p.379)

    53 Dans les deux occurrences, le lavement est associ largent que rclame lapothicaire pourle nettoyage105. En mme temps, Gil Blas apprend que son trsor a t drob par ses ennemiset quil doit payer pour les frais de garde et autres soins mdicaux (le comte Galiano layantabandonn sans faon la Providence, p.377). La maladie et son dnouement scatologiquesignent la faillite de tous les efforts dconomie raliss par un surintendant en or. Gil Blasqui avait rorganis le train de vie du palais sur le mode de la rtention, se voit forc de lcherdes espces (sous toutes les formes) de relcher, en quelque sorte, tout ce quil avait retenuchez Galiano.

    54 Tout cela par la faute dun singe! Certes, mais ce singe sappelle Cupidon. Ce nom en formede jeu de mots oxymorique (cupide don) concatne les deux sens latins du mot cupidus:

    55 1.Le sens rotique qui est le sens tymologique du nom Cupidon: cupido dsigne la passionou le dsir sexuel, et cupidus (pris) lamoureux. Dans Gil Blas, Cupidon est moins le dieu delamour que sa variante grotesque et perverse: le comte sicilien prouve une passion drglepour le malicieux animal quil a affubl de ce nom. Cupidon a plusieurs descendants chezLesage, puisque cest galement le nom potique que se donne le diable boiteux106.

    56 2.Le sens moral: cupidus se prend en mauvaise part pour dsigner lambition, lavidit depouvoir ou de richesses; cest le sens que ladjectif cupide a gard en franais. Chez Galiano,Santillane est la fois avare (il restreint les dpenses) et cupide (il accumule une petite cagnottequil se fait voler, comme de juste). Le matre-mot de son service est lconomie, voire lalsine (Thrift, Horatio, thrift, disait Hamlet), mais il ne vit que dans lillusion de matriserla dpense. En effet, Gil reste prisonnier dexigences contradictoires:

    Je retranchai le superflu de chaque service. Ce que je fis toutefois avec tant de prudence, quonny aperut point un air dpargne. [] Voil ce que le patron demandait: il voulait mnager sansparatre moins magnifique. Son avarice tait subordonne son ostentation. (VII, 15, p.374)

    57 La rpartition des rles est la suivante: Cupidon est dvolu au matre, tandis que la cupiditest le lot du valet qui doit assumer seul lavarice du comte. Lerreur fatale de Gil Blas est deconfondre la passion perverse (sauver le singe) et lobsession de lpargne: le rsultat est unevritable banqueroute.

    58 Cet pisode me parat symptomatique de lambivalence du rapport lor dans lensemble dut. III de Gil Blas. La condamnation de lenrichissement ne passe plus par la seule voix dunarrateur revenu de ses richesses, mais par un traitement allgorique et fantasmatique desvnements. Lconomie domestique du seigneur sicilien est exhibe sous forme dun jeu decombinaisons entre perversions (zoophilie), pulsions orales (rforme des cuisines) et pulsionsanales (thsaurisation et lavements)107. La morale de ce nouvel chec de Santillane pourrait separaphraser ainsi: lamour drgl de lavare Galiano pour son singe Cupidon ruine les effortsdu valet cupide. Le gnie de Lesage, romancier trop souvent rduit un courant prtendumentraliste, est de traduire avec la mme sret que Prvost les peurs irrationnelles lies auxmcanismes de dpense et de thsaurisation.

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 15

    Feries, 3 | 2006

    59 Ce bref panorama des fictions romanesques des annes 1720, auquel il faudrait ajouter lestextes allgoriques de Marivaux, donne un aperu de ce quon pourrait appeler lenversde la Rgence. Les crivains inventent des rponses imaginaires pour fixer et interprterlimpression de vertige et de chaos associs au rgne de Philippe dOrlans. Leurs textes ontune particularit stylistique commune: le recours lallgorie, typique de lcriture rococopratique dans ces mmes annes108. Une des gageures du style rococo est de produire undiscours critique sur le monde rel au moyen de la plus grande dralisation possible. Tel estle mode de lecture paradoxal de Pomponius, de Mahmoud et des Lettres persanes: lpoquecontemporaine ne peut tre apprhende en toute lucidit qu travers son miroir dformant,antique ou exotique. Ainsi, Prvost rclame des lecteurs clairs (ddicace du Pomponius,p.17) capables de dpasser les prjugs et les carcans idologiques du rgne prcdent, pourles conduire adopter, de lextrieur (de la lune, de lOrient dans Mahmoud), un nouveauregard sur laction du Rgent.

    60 Quant au systme de Law, nous avons vu que les textes retenus en offrent deux visionscontrastes, selon le mode de description adopt (lexpos didactique ou la satire). Ce doubletraitement peut se rsumer dans une phrase de John Law, qui sonne comme un aveu: ledsir du gain avait t le vrai motif de la confiance, crit-il pour justifier rtrospectivementlagiotage109. Tout se passe comme si Melon et le Prvost de Pomponius avaient choisidexpliquer leurs lecteurs le terme de confiance, en vantant les mrites de la fiduciarit. linverse, Montesquieu, Lesage et le Prvost des Mmoires et aventures dun homme de qualitdnoncent, en bons moralistes, la cupidit qui est toujours le vrai moteur de lactionnariat, en1720 comme en 2005 (anne historique de la mise lencan dEDF110). Mais leur condamnationmorale de lenrichissement va de pair avec une comprhension profonde des angoisses etdes peurs archaques que le systme met jour. Les fantasmes lis la spculation (lemythe du laquais enrichi par lagiotage, lingestion de lor-ordure), rvlent les non-dits etles injonctions contradictoires du mercantilisme fiduciaire. Les romanciers prouvent par lque le discours conomique officiel, le plus rationnel qui soit en apparence, est travers deforces inconscientes qui exigent un autre mode de traduction que lusage du merveilleux: unecriture spcifiquement romanesque du fantasme, qui sera porte sa plus haute expressionpar Prvost, Marivaux, et Rousseau.

    61 La place et la fonction du merveilleux demeurent atypiques et problmatiques dans Mahmoud.Nous avons vu que Melon ne livre pas toute la vrit sur le systme: il opte dlibrment la fin de son conte pour une image un mirage? de prosprit. Mais dans la logiquede cette fiction exprimentale, il faut bien comprendre que ce rgne heureux est encore venir. Le merveilleux permet de dpasser les problmes rencontrs dans le monde rel, ouplutt de les dnier. Le traitement de la matire fictionnelle se pose alors en ces termes: unefois refoul le spectre de la banqueroute et ses consquences, quel type de socit du futurobtient-on? Une monarchie rgie par des rgles financires bnfiques, o la confiance enle crdit de ltat garantit le bon fonctionnement des changes commerciaux, la probit descitoyens et leur subsistance: une socit ne peut vivre sans conomie. Yves Citton conclutson article en crivant que Mahmoud semble fonctionner comme une machine produire dela confiance: Melon est peut-tre celui qui, parmi tous les auteurs de contes orientaux, apris la merveille le plus au srieux111, dans la mesure o la merveille de la fiduciaritet la foi en les signes montaires deviennent part entire des forces productives de fiction.De fait, lessentiel de lactivit du monarque porte sur la matrise des signes et sur la croyancemagique en la toute-puissance conomique de son sceau. Du coup, le dni de ralit qui est la base du merveilleux prend un sens idologique: il devient un moyen subtil et efficacedimposer la loi conomique comme support de limaginaire. Le mode de lecture que suggrece type de conte merveilleux et le jeu temporel de Pomponius nous y invite devient alorstrs proche de celui des romans danticipations modernes. Plus qu lAn 2440 de Mercier(1770), cest aux socits totalitaires dcrites par Phil K.Dick que je pense: un monde o lesindividus nont plus dautre rfrence mentale que le discours conomique dominant, derrirelequel se cache la propagande militaire et politique.

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 16

    Feries, 3 | 2006

    Notes

    1 Yves Citton, Les comptes merveilleux de la finance. Confiance et fiction chez Jean-Franois Melon, Feries, n2, 2004-2005, p.159.2LEssai connut deux ditions, en 1734 (276 p.) et 1736 (400 p.). Ldition consulte estcelle de 1734, figurant lArsenal (8 S.5523) et la BNF (R. 35313). Ldition de 1736 estreproduite dans lanthologie dEugne Daire, conomistes financiers du XVIIIesicle (1846)utilise par Y. Citton.3Mahmoud le Gasnvide, histoire orientale. Fragment traduit de larabe avec des notes estdivis en 31 chapitres, le dernier restant inachev. Ldition cite est celle de 1729 (Rotterdam,chez Jean Hofhoudt) qui figure la BNF (Y2-9809) et lArsenal (8 BL 18424 (1)). Elleest galement consultable en mode texte sur le site , mais sans les notesexplicatives de Melon ni la prface (p.i-vi).4Melon meurt le 24janvier 1738. Dans son pangyrique, Prvost crit: Le duc Rgent,ce Prince si clair sur le mrite et si passionn pour les talents extraordinaires, passait avecM.Melon des heures entires dans son cabinet, occup discuter avec lui, les points les plusimportants de son administration. On nommerait peu daffaires considrables de commerceou de finances sur lesquelles ce prince ne lait consult (Le Pour et Contre, nombre 209,Paris, Didot, XV, 1738, p.39-40).5Cet ouvrage qui ne consiste quen un volume in-12 de 273 pages contient dans un si petitespace de grands principes de commerce, de politique et de finance. (Le Pour et Contre,nombre 73, t.V, 1735, p.307-308).6Le Pour et Contre, nombre 209, t.XV, 1738, p. 25-29. Dans le dernier numro de sonpriodique, Prvost met un terme cette polmique en justifiant pleinement Melon contre lamalveillance de du Tot (Le Pour et Contre, nombre 296, t.XX, 1740, p.328-334).7Lettre de Voltaire, cite par Prvost dans Le Pour et Contre, nombre 220, t.XV, 1738,p.302. Je rappelle la dfinition du luxe selon Melon: somptuosit extraordinaire que donnentles richesses et la scurit dun gouvernement, et une suite ncessaire de toute socit bienpolice (Essai politique sur le commerce, cit par Prvost dans Le Pour et Contre, nombre73, t.V, 1735, p.308).8Le Pour et Contre, nombre 209, t.XV, 1738, p.40.9 Larrestation de Turcaret la fin de la pice de Lesage (1709) anticipe sur les procsdes Bourvallais et autres Paparel condamns par la justice du Rgent. Voir le chapitre deD.Dessert: Le retour lordre: la chambre de justice (Argent, pouvoir et socit au GrandSicle, Fayard, 1984, p.238-257).10Algors veut dire Rescription ou Assignations, terme de finance que le traducteur na purendre note Melon, ajoutant ainsi au mystre. La rescription est un mandement quon donne un fermier, un dbiteur, un correspondant, pour payer une certaine somme au porteurdu billet (Furetire).11Cet historique est trs diffrent de celui que propose Locke au chap.V (de la propritdes choses) du Trait du gouvernement civil (trad. D.Mazel (1691), GF, 1992, p.177-180).12Y. Citton, Les comptes merveilleux de la finance, p.145.13Comme linterprte Y. Citton, art. cit, p.150-153.14Le mot sparsio dsigne ce que lon rpand, ce que lon fait tomber, ce qui ressemble leplus aux semailles. Lors des jeux du cirque, dans les rassemblements du peuple, le dispensateurde la fte fait pratiquer, ou pratique en personne, une sparsio. Celle-ci consiste lancer lafoule les cadeaux les plus varis. Les objets ainsi disperss portent le nom de missilia. (J.Starobinski, Largesse, Paris, RMN, 1994, p.20-21).15Ce sont les deux ouvrages les plus lus de Montesquieu: de tout ce quil crivit, Le Templede Gnide fut le texte le plus dit et le plus traduit au dix-huitime sicle (G. Benrekassa,Montesquieu, la libert et lhistoire, Livre de poche, 1987, p.65).16Jai mis la vertu, virtus, vertu rpublicaine, prcise Montesquieu en note. Tous ces textessont cits daprs ldition critique moderne, tant attendue: Montesquieu, uvres compltes,t.8 (uvres diverses, vol. I, d. sous la dir. de p.Rtat), Oxford, Voltaire Foundation, 2003,p.578. Le texte du Dialogue de Xantippe est tabli par S.Mason.17Je suis content de moi parce que je nai jamais eu que les richesses que lambition queles volupts que Lycurgue ma permises; je suis content de moi parce que [] jai toujoursaim les lois []. , dit Xantippe (OC, t.8, p.580)18Ibid., p.316.

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 17

    Feries, 3 | 2006

    19Seigneur, lui dis-je, il est heureux que le Ciel ait pargn au genre humain le nombredes hommes tels que vous : Ns pour la mdiocrit, nous sommes accabls par les espritssublimes. Pour quun homme soit au-dessus de lhumanit, il en cote trop cher tous lesautres (OC, p.319). G.Benrekassa relie cette rflexion lucide sur lconomie des passions la formation de la pense politique de Montesquieu (Montesquieu, la libert et lhistoire,p.29-30).20Voir la section de la libert politique dans les Penses (n631 et632, Seuil, OC, 1964,p.947), le chap.(XII, 2) de LEsprit des Lois et les commentaires clairants de G.Benrekassa(ouvr. cit, p.133-152).21OC, t.8, p.299. Le texte des Lettres de Xnocrate Phars est tabli et annot par S.Mason.22Je me suis uniquement conduit par mes rflexions, et surtout par le mpris que jai eupour les hommes, dit Sylla (Dialogue de Sylla et dEucrate, OC, t.8, p.318).23Ainsi lorsque ce prince habile restaure lautorit des parlements en 1715: le rgent,qui a voulu se rendre agrable au peuple, a paru dabord respecter cette image de la libertpublique; et, comme sil avait pens relever de terre le temple et lidole, il a voulu quon lesregardt comme lappui de la monarchie, et le fondement de toute autorit lgitime (Lettrespersanes, Lettre 92, d. J.Starobinski, Folio, 1973, p.218). Paru simplement, car le lecteur de1721 sait que le Parlement de Paris fut relgu Pontoise en juillet1720 (On menace dunpareil traitement quelques parlements du royaume, L.140 de Rica, p.309).24Lettres de Xnocrate Phars, OC, t.8, p.301.25De lesprit des lois, L.II, chap.4, d. R.Derath, Classiques Garnier, 1973, t.I, p.23.26OC, t.8, p.302-303. Je me rfre aux notes de S.Mason pour le dcodage des allusions.27Chaque Sicyonien croyait quAlcamne avait dans ses trsors tout ce quil avait perdu;on ne lui a trouv ni or ni argent ; les vices des petites mes ntaient point les vicesdAlcamne. (OC, t.8, p.305)28Montesquieu en reprendra les principaux lments dans LEsprit des lois (L. XXI, 22).29Pendant que les Espagnols taient matres de lor et de largent des Indes, les Anglais et lesHollandais trouvrent sans y penser le moyen davilir ces mtaux; ils tablirent des banques etdes compagnies et par de nouvelles fictions ils multiplirent tellement les signes des nouvellesdenres que lor et largent ne firent plus leur office quen partie. Ainsi le crdit public leurtint lieu de mines et diminua le profit que les Espagnols tiraient des leurs. (Considrationssur les richesses de lEspagne, art. 3, OC, t.8, p.616).30De lesprit des lois, L.XXII, chap.10, d. R.Derath, Classiques Garnier, 1973, t. II,p.82-83.31La lettre de Rica (elle-mme traduite par lditeur des Lettres persanes), retranscrit la lettredu savant qui a traduit le Fragment mythologique: bel exemple de cette chane secrtequi caractrise lesthtique du roman. De mme, lHistoire dIbrahim et dAnas, contepersan imit des Mille et Une Nuits et racont par Rica dans la L.141 peut sinterprter commeune mise en abyme du roman oriental des Lettres persanes.32Jai vu natre soudain, dans tous les curs, une soif insatiable des richesses. Jai vu seformer en un moment une dtestable conjuration de senrichir, non par un honnte travail etune gnreuse industrie, mais par la ruine du prince, de ltat et des concitoyens. (L. 146,p.336)33Fragments de vieux matriaux des Lettres persanes insrs par Montesquieu dans sesPenses et reproduits dans ld. Folio (p.382).34L.146, Folio, p.337. J.Starobinski dtaille la chronologie des lettres aux pages407-411.35Nous navons pas de preuve formelle que Les Aventures de Pomponius soient de Prvost,crit J.Sgard, mais seulement un faisceau de prsomptions [indications donnes par lesarchives des bndictins, lettres] qui permettent de lui en attribuer la plus grande partie (LesAventures de Pomponius, problmes dattribution, in uvres de Prvost, PUG, t.VII, 1986,p.11). Toutes les citations renvoient cette unique dition moderne: le texte de Pomponiusfigure aux p.17-94, les notes de Prvost aux p.95-101; les notes explicatives de J.Sgard aut.VIII des uvres de Prvost, p.515-525.36Larticle que vous lisez doit tre le troisime qui lui est consacr, aprs ceux de MarcelLanglois en 1938 (qui attribue le roman un protestant, Jacob Le Duchat) et de CharlotteBurel en 2003 (voir infra note 45). J.Sgard rvla lintrt du Pomponius dans son Prvostromancier (Corti, 1968, p.46-48).

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 18

    Feries, 3 | 2006

    37Tel celui de La Barre de Beaumarchais: Cest un roman malicieux, inintelligible en biendes endroits, froid en quelques autres, obscne quelquefois, quelquefois impie, quelquefoisingnieux, compos de parties qui nont aucun rapport ensemble, et assez bien crit. On y ajoint un bon nombre de pices contre la Rgence et en faveur du Jansnisme, parmi lesquellesil y en a plusieurs dexcellentes. (Lettres srieuses et badines, 1729, t.1, huitime lettre,p.186-187).38Daprs J.Sgard, Prvost romancier, p.47.39 Les Bndictins lattriburent un certain Labadi, mort opportunment le 26 mai1723 (Prvost romancier, p.47), vitant ainsi Prvost dtre inquit par les services secretsde Dubois.40Topos abondamment reprsent dans la fiction de lpoque: Vnus dans le clotre ou LaReligieuse en chemise, Le Portier des chartreux, Les Nonnes galantes, Thrse philosophe, etautres paires de Juliette et Justine.41 Au tome V de ses Mmoires et aventures dun homme de qualit, Prvost placera cesattaques anticlricales directement dans la bouche de son hros narrateur, chantre de la socitanglaise : quel est lhomme de bon sens qui ne prfrt point ces sages et religieusesinstitutions [hpitaux, maisons de charits, coles] nos couvent et nos monastres, o lonne sait que trop que la fainantise et linutilit shonorent quelquefois du nom de haine dumonde et de contemplation des vrits clestes? (MHQ, 274). Toutes nos rfrences auxMmoires et aventures (titre abrg en MHQ) renvoient aux uvres de Prvost (PUG, t.I,1977, d. tablie par J.Sgard).42Les plaisanteries sur les pucelages retrouvs dans la lune sont visiblement inspires dusonge rotique de Francion chez Sorel (Histoire comique de Francion, L.III, texte de 1623,d. Y. Giraud, GF, 1979, p.147-148).43Une premire cl avait circul en 1724, mais celle de 1728 ne concerne que les chap.13 30, cest--dire la partie qui lui est attribue par J.Sgard.44Mme si Prvost relaie la rumeur publique qui la souponn dinceste: on a accus leprince de porter trop loin lamour paternel envers la princesse Jerdreb. [] Mais les princessont sujets tre calomnis. (p.84).45Prvost romancier, p.51. Un recueil collectif rcent, Le Rgent, entre fable et histoire (d.D.Reynaud et Ch. Thomas, Paris, CNRS, 2003), recense les diffrentes images de PhilippedOrlans au dix-huitime sicle. Larticle que C.Burel y consacre Pomponius (Relosanle magnifique. Le rgent chez labb Prvost dans Les Aventures de Pomponius, p.109-120)est un simple dmarquage des crits de J.Sgard.46Lincident de lil bless tmoigne de ce malaise: la fille du Rgent renverse le fauteuildune dame convoite par son pre en lui disant quil lavait belle (linvitant par l profiter de loccasion). Au moment o Philippe sapproche pour la violer, elle lui dcoche uncoup de pied: le talon du soulier adressa dans lil du prince et le pensa faire sauter de latte (p.84). Je ninsiste pas sur le symbolisme sexuel de lil crev47 La compagnie obscure et pour la plupart sclrate dont il [Philippe] avait fait sa socitordinaire de dbauche, et que lui-mme ne feignait pas de nommer publiquement ses rous,chassa la bonne jusque dans sa puissance et lui fit un tort infini, crit Saint-Simon (Mmoiresde lanne 1715, section Caractre du duc dOrlans, d. Y. Coirault, Pliade, 1985, t.V,p.246). Les rous de M.le duc dOrlans sont numrs plus loin (p.827-828).48Au L.VIII des Confessions, Rousseau voque le sombre coloris que Prvost donnait ses romans des annes 1730 (Mmoires et aventures dun homme de qualit, Cleveland, etLe Doyen de Killerine).49Prvost y dveloppe une longue rflexion philosophique sur le degr de probabilit dusystme des tres invisibles (uvres de Prvost, PUG, t.VII, p.335-339).50Quest-ce que cest, dit Egnatius, que ce btiment magnifique que je dcouvre l-bas lelong de la rivire, qui y fait face dun ct, et de lautre donne sur un grand jardin? Cest,repartit Samar, lancienne demeure des rois du pays [le palais du Louvre] (p.64).51Le livre de rfrence sur le sujet est celui, dsormais classique, dE. Faure: La Banqueroutede Law (Gallimard, 1977).52Noailles tenta en vain de rformer les impts en appliquant une taille proportionnelle auxrevenus, mais il se heurta lopposition des privilgis. Montesquieu fait une allusion sesplaisanteries sur les malttiers dans la L.132 dUsbek (Folio, p.230).

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 19

    Feries, 3 | 2006

    53En aot1719, la Compagnie dOccident reprend le bail des Fermes gnrales (la perceptiondes impts indirects). Sur cette fructueuse opration, je renvoie aux commentaires dE. Faure(La Banqueroute de Law, p.220-221).54Une justice inflexible et une fidlit inviolable dans ses promesses furent la base deson administration (Mahmoud, p. 22). Ce sont l les deux vertus cardinales du bongouvernant, commente Y. Citton (art. cit, p.149).55On ne peut pas identifier avec certitude ces deux ministres: on peut seulement avancer lenom de dArgenson, dont on connat lopposition au systme (note de J.Sgard, t.VIII, p.522).Prvost confond peut-tre avec les deux plus gros dtenteurs de billets (le duc de Bourbon etle prince de Conti) qui ont ralis leurs actions en espces ds fvrier1720.56Ctait tort quon le taxait davarice. On ne pntrait pas assez dans ses desseins. Il donnaen plusieurs occasions assez de marques de son dsintressement pour ntre pas souponnde ce vice (p.81).57On connat lanecdote clbre de la rception du financier Samuel Bernard par Louis XIV Marly : Jadmirais [] cette espce de prostitution du Roi, si avare de ses paroles, un homme de lespce de Bernard, sindigne le riche duc et pair (Mmoires, anne 1708,Pliade, t.III, p.134).58Lettres persanes, L.142, Folio, p.322.59Vous me demandez ce que cest que la Rgence. Cest une succession de projets manquset dides indpendantes ; des saillies mises en air de systme ; un mlange informe defaiblesse et dautorit; toute la pesanteur, sans la gravit du ministre; un commandementtoujours trop roide ou trop lche; tantt la dsobissance enhardie et tantt la juste confiancedcourage; une malheureuse inconstance abandonner le mal mme; un conseil qui tanttse roidit, tantt se multiplie, qui parat et se perd aux yeux du public dune manire sourde ouclatante, aussi diffrent par les personnes qui le composent quil lest pas la fin quelles seproposent. (dossier des Lettres persanes, Folio, p.383).60La rponse du laquais La Verdure la suivante de la Fortune contient une allusion directe la spculation: [Je suis] Chez un homme que la Desse [de la Fortune] a combl de sesgrces, dans le temps quelle logeait rue Quincampoix; et il ne tient pas lui que je ne changedtat; il y aurait longtemps que je disposerais moi-mme de la couleur de mon habit, si jevoulais len croire. (Le Cabinet du philosophe, 4e feuille, 1734, dans Journaux de Marivaux,d. F.Deloffre et M.Gilot, Classiques Garnier, 1988, p.366).61De mme, dans cette prosopope du parvenu: Si un nouveau riche va dabord btir unemaison superbe, il offensera les yeux de ceux qui la verront; cest comme sil faisait au peuplecette dclaration: Je vous avertis que moi, qui tais autrefois le plus trivial de tous les hommes,je me fais aujourdhui un homme de consquence. (Mes Penses, n1135, OC, Seuil, p.992)62La Bruyre: Les Caractres, De quelques usages, n3, d. M.Escola, Champion, coll.Sources classiques, 1997, p.524. Le besoin dargent a rconcili la noblesse avec laroture, est-il prcis plus loin (ibid., n10, p.526).63Mme ironie dans la lettre 138 de Rica: Tout ceci produit souvent des choses bizarres.Les laquais qui avaient fait fortune sous le rgne pass, vantent aujourdhui leur naissance:ils rendent ceux qui viennent de quitter leur livre dans une certaine rue [Quinquampois],tout le mpris quon avait pour eux il y a six mois: ils crient de toute leur force: La noblesseest ruine; quel dsordre dans ltat! quelle confusion dans les rangs! on ne voit que desinconnus faire fortune! (Folio, p.307-308)64Montesquieu, la Libert et lhistoire, p.56.65D.Dessert: Le laquais financier au Grand Sicle: mythe ou ralit? (XVIIeSicle,n122, 1979, p.21-36) et son Argent, pouvoir et socit au Grand Sicle (Fayard, 1984).66La sur ane de lauteure des Mmoires de Comminge tait marie un financier, et MmedeTencin avait ouvert en 1719 un bureau boursier dans la rue Quincanpoix (E. Faure, ouvr. cit,p.248). Les Tencin et leurs associs auraient investi plus de trois millions de livres (environ20millions deuros) dans le systme (J. Sareuil, Les Tencin, Droz, 1969).67Quand on examine qui sont les gens qui en sont les plus chargs [de biens de fortune], force de mpriser les riches, on vient enfin mpriser les richesses. (L. 132, Folio, p.230)68Freud interprte lquivalence symbolique or =ordure comme le rsultat dune doublelaboration inconsciente. Premirement linversion des valeurs respectives de lor et desexcrments: Il est possible que lopposition entre ce quoi lhomme a appris accorderle plus de valeur et ce qui est le plus dnu de valeur, et quil rejette comme dchet a

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 20

    Feries, 3 | 2006

    conditionn cette identification de lor et de lexcrment (Caractre et rotisme anal,in Nvrose, psychose et perversion, PUF, 1973, p. 147). Les pots de chambre en or danslUtopia de Thomas More illustrent ce processus. Dautre part, la valeur de cadeau que lenfantaccorde ses excrments, et que lhomme adulte associe largent: au stade anal les valeurssymboliques de don et de refus se fixent sur lactivit de la dfcation, do lquivalencedsormais classique: fces =cadeau =argent (LHomme aux loups, PUF, 1993, Quadrige,p.80-82). Freud en donne un exemple humoristique: Lexcrment est le premier cadeau, lapremire offrande de tendresse de lenfant, une partie du corps propre dont on se dessaisit, maisalors seulement en faveur dune personne aime. Lutiliser pour dfier [] cest seulementtourner en sens ngatif cette signification cadeau antrieure. Le grumus merdae que lescambrioleurs laissent sur le lieu de leurs forfaits semble avoir les deux significations : ladrision et le ddommagement rgressivement exprim. (LHomme aux loups, p.79).69Le mot latin sordes signifie ordure, salet, crasse et avarice, lsinerie (DictionnaireGaffiot).70Sa raction fait cho celle dUsbek: Javoue que rien ne ma jamais donn tant de mprispour les biens de la fortune que de les voir accords avec tant de profusion des personnesde ce caractre [labb Dubois]. Cest une rflexion que jai faite mille fois en ma vie, et quise renouvelait alors tous moments, en voyant tant de misrables arriver tout dun coup lextrme opulence. Serait-il possible, disais-je, que la Providence mt en de telles mains cequelle estime? Non, les biens de ces gens-l sont aussi vils que leurs personnes. (MHQ,293-294)71 ma connaissance, il nexiste pas dpisode comparable dans la littrature romanesquedu XVIIIesicle avant Sade. Encore la coprophagie de Minski dans Juliette renvoie-t-elle pluslargement un fantasme de dvoration universelle. Cet ogre qui se nourrit de chair humaine etmange des excrments en dessert, vit dans lisolement complet dune rgion inaccessible (enRussie), comportement autistique assez typique des hros sadiens.72Law nous invita souper chez lui; [] La joie et le badinage rgnrent dans ce repas.M.Law y dit mille jolies choses. On ny fit nulle mention du systme, quoique je souhaitasseextrmement que le discours pt tomber sur ce sujet : on ny parla que des svrits de lachambre de justice, et de la frayeur quelles avaient rpandues parmi toutes les personnesintresses dans les revenus du roi. (MHQ, 291)73E.Faure, ouvr. cit, p.241.74Peau dne, v.394-395 (Contes de Perrault, d. G.Rouger, Classiques Garnier, 1967,p.69). Sur ce fantasme de lor mang, je renvoie ltude de R.Dmoris: Du littraire aulittral dans Peau dne de Perrault (Revue des Sciences humaines, n166, 1977, p.261-279).75 Je rappelle que lHistoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (1731) est leseptime et dernier tome des Mmoires et aventures dun homme de qualit.76Manon Lescaut, d. F.Deloffre, Classiques Garnier, rd. 1990, p.117. La comparaisonavec le partisan est une allusion au vieux G M qui avait pay pour obtenir les faveursde Manon.77 Lavarice est un mode de raction privilgi du Moi, par lequel le sujet retrouve dessatisfactions archaques, explique Freud dans ses deux articles : Caractre et rotismeanal (1908, trad. in Nvrose, psychose et perversion, PUF, 1973, p.143-148, paratre dansle t. 8 des OC de Freud aux PUF) et Des transpositions pulsionnelles, en particulier delrotisme anal (1917, OC, t.15, PUF, 2002).78Je cite son commentaire du budget de des Grieux (Soixante mille livres peuvent noussoutenir pendant dix ans, p.49): Ce qui fait rver des Grieux, dans une attitude relevanttypiquement de lanalit, est une matrise sur lexpulsion, ncessaire, de lor, quivalentsymbolique de lexcrment ici plus quailleurs, puisquil est laffaire de ces individusignobles que sont les financiers, traits comme tels par le pre et par le fils. Mais, ce faisant,nest-ce pas au petit financier que joue des Grieux? (R. Dmoris, Le Silence de Manon,PUF, 1995, p.45)79F.Piva a montr les analogies entre les destins romanesques de Law (MHQ, 292-293) et dedes Grieux (Sulla genesi di Manon Lescaut, Milano, 1977, p.122-129).80Renoncour rapporte plusieurs histoires de magicien et denchantements, depuis sa rencontreavec Miraculoso Fiorisonti, au livre 5 de ses Mmoires (1728) (MHQ, PUG, p. 91 ;Desjonqures, 1995, p.188).

  • Le rgent et le systme de Law vus par Melon, Montesquieu, Prvost et Lesage 21

    Feries, 3 | 2006

    81Chez Bordelon, les pratiques coprophages peuvent se lire comme une variante profane dela cne: La charge de celui qui prend soin de la chaise perce du Prince est une des plushonorable de lEtat. En voici la raison. La grosse ordure quil y rend, est fort prcieusementramasse, sche, mise en poudre, et chrement vendue au peuple et aux plus grands seigneurs.On la porte dans des botes, comme du tabac; et on en saupoudre les viandes. (Mital ouaventures incroyables, Paris, 1708, p.150-151). Voltaire qui partage le mme got que Swiftpour la scatologie reprend les mmes plaisanteries (voir lusage de la chaise perce du DalaLama, dans son article Religion du Dictionnaire philosophique).82Luvre de Franois Rabelais et la culture populaire au Moyen-ge et sous la Renaissance(trad. fr., Gallimard, 1970, rd. TEL).