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Les moteurs Diesel pour les transports James M. Laux Le premier diesel deux-temps General Motors pour poids lourds, 1938. La Le système de combustion MAN de 1949. figure montre le compresseur Roots poussant à travers le cylindre l'air de balayage.

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Les moteurs Diesel

pour les transports

James M. Laux

Le premier diesel deux-temps General Motors pour poids lourds, 1938. La Le système de combustion MAN de 1949. figure montre le compresseur Roots poussant à travers le cylindre l'air de balayage.

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Ces dernières années, nous avons prononcé de plus en plus fréquemment le nom du docteur Rudolf Diesel. Son invention —un moteur à combustion interne ayant un meilleur rendement que celui de Nikolaus

Otto — date des années 1890, période des débuts de l'industrie automobile, mais ce n'est que dans la décennie 1970 que, grâce à l'OPEP, le diesel est devenu d'usage courant sur les voitures de tourisme. Maintenant, la vogue du diesel est commencée et le nombre de grands constructeurs de voitures sans modèles Diesel est désormais très faible.

Rudolf Diesel était parisien ; il était né en 1858 dans une famille allemande immigrée de Souabe et vivant rue Notre-Dame-de-Nazareth. Son père était maroquinier. Brillant et curieux, Rudolf se familiarisa avec la science et les techniques mécaniques au Conservatoire des arts et métiers qui était tout proche. Pendant la guerre de 1870, la famille Diesel se réfugia à Londres où Rudolph put visiter le musée des Sciences de South Kensington. Mais bientôt, à 12 ans, l'enfant fut envoyé à Augsbourg, lieu d'origine de sa famille, comme élève à l'Ecole royale des métiers de la ville. Sorti avec des notes brillantes, il continua au Polytechnikum de Munich où il collectionna les notes les plus élevées jamais vues. Devenu ingénieur mécanicien, il travailla d'abord chez les Frères Sulzer en Suisse, puis retourna à Paris en 1880 pour travailler dans une affaire d'équipement fri­gorifique créée par son maître de Munich, le professeur von Linde. Dix ans plus tard, Diesel partit à Berlin, toujours comme ingénieur frigoriste. Son esprit actif se mit à chercher la possibilité d'améliorer le rendement des machines thermiques. Il eut finale­ment l'idée d'un système plus simple que celui du moteur à essence d'Otto qui injectait dans un cylindre un mélange air-vapeurs d'essence, le comprimait et le faisait exploser au moyen d'une étincelle électrique. Diesel brûlait le combustible en l'injec­tant dans une cylindrée d'air pur suffisamment chauffé par compression pour allumer le combustible par contact. Ce prin­cipe, breveté en 1892, fut en 1893 publié en brochure : Théorie et projet d'un moteur thermique rationnel. Deux firmes impor­tantes : Maschinenfabrik Augsbourg (connue après 1898 sous le sigle'MAN) et Krupp se mirent d'accord pour aider Diesel à mettre au point son moteur dans un laboratoire d'Augsbourg.

Ce furent alors plusieurs années laborieuses d'essais et de mise au point utilisant comme combustible divers types de pétrole, le gaz d'éclairage mais pas encore le charbon pulvérisé comme on le croit généralement. Au début de 1897, les résultats devinrent satisfaisants ; le problème le plus difficile avait été résolu en injectant le combustible liquide au moyen d'un jet d'air comprimé qui le pulvérisait. Le moteur à quatre temps de 18 ch tournait à 154 tours/minute, avait un rendement thermique d'environ 35% comparé aux 20-25% des moteurs à essence contemporains et sa consommation par cheval-vapeur était réduite de moitié environ.

La diffusion des moteurs Diesel fut lente tout d'abord. Beaucoup de firmes importantes de mécanique en Europe obtin­rent des licences mais les problèmes techniques ralentirent la commercialisation. En 1902, il n'y en avait que 359, presque tous fixes, avec une puissance moyenne de 34 ch. Bientôt, ils entrè­rent dans le transport maritime. La marine britannique acheta ses premiers diesels en 1903 et le constructeur danois Burmeister & Wain fournit les diesels du premier cargo de fort tonnage, le Selandia qui prit la mer en 1912.

Rudolf Diesel, lui-même, croyait pouvoir appliquer son moteur au transport sur route. Il l'essaya même avec un moteur construit par lui en 1910 et, en 1911, la firme MAN exposa une autre tentative. Mais l'injection par air comprimé rendait ces

machines trop compliquées pour leur usage automobile. Un autre problème crucial était leur poids. Le diesel typique de 1913 pesait 250kg/ch. Avant de pouvoir prendre sérieusement ce type de moteur en considération pour un véhicule routier, il fau­drait diviser ce chiffre par 20. Rudolf Diesel lui-même ne consta­tait aucun progrès car, en 1913, sur un vapeur traversant la Manche d'Anvers à Harwich, il disparut, s'étant vraisemblable­ment suicidé.

L'allégement reçut une impulsion importante des militai­res, pour les sous-marins. Vers 1900, les grandes marines du monde commencèrent à incorporer des sous-marins à leur flotte, d'abord la France, puis l'Allemagne loin derrière. Tout d'abord, l'usage courant fut d'utiliser des moteurs à essence en surface et des moteurs électriques en plongée. Mais les dangers des moteurs à essence — échappements d'oxyde de carbone et explosions — suggérèrent bientôt le diesel léger pour la marche en surface. En 1902, un sous-marin français utilisa le premier un diesel, fabriqué par Sautter-Harlé. Les Russes, les Anglais, les Italiens prirent la suite. Fiat vendit même quelques moteurs de sous-marins à la marine allemande. Les Allemands devaient se rattraper ensuite. En 1905, MAN commença l'étude d'un diesel spécial pour sous-marins. Aidée de Krupp et de Daimler entre autres, cette compagnie avait dès 1910 un modèle acceptable et le premier sous-marin allemand à moteur Diesel fut achevé en 1913. Pen­dant la guerre, la plupart des sous-marins allemands avaient des moteurs MAN de 1 200 et 1 750 ch pesant 20 à 30 kg/ch et tour­nant à environ 500 tours/minute.

Durant ces années d'avant-guerre, trois ingénieurs alle­mands essayaient des idées en vue de réduire la complexité et d'accroître le régime des diesels. Franz Lang et Hugo Junkers cherchaient tous deux les hauts régimes ; ce dernier rêvait en outre d'appliquer le diesel aux avions. Prosper L'Orange, Alle­mand descendant de huguenots français, employé de Benz & Cie, inventa un système d'injection de combustible (breveté en 1909) qui remplaçait l'injection à l'air comprimé par une injec­tion « solide », c'est-à-dire mécanique, du combustible seul dans une chambre de précombustion. Après 1910, à l'usine Vickers d'Angleterre, James McKechnie mit au point un moteur Diesel pour sous-marin utilisant aussi l'injection directe du combustible sans compresseur d'air. L'Orange et McKechnie suivaient une voie fructueuse car le compresseur d'air, en plus de la puissance qu'il prenait au moteur (jusqu'à 10 %), le compliquait et l'alour­dissait.

La Première Guerre mondiale interrompit la plupart des recherches et des mises au point dans cette direction, mais, après 1918, l'usage des diesels se répandit. Il y en eut de plus en plus d'installés sur des navires de guerre ou de commerce, des bateaux de pêche, de petites embarcations tandis que l'on adaptait les moteurs de sous-marins aux petites locomotives. On commença aussi des efforts sérieux en vue des applications à l'automobile. Les sociétés allemandes prirent la tête de ces expériences bien que l'industrie automobile d'Allemagne fût, en 1920, loin derrière celles des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne. Pourquoi cela ? L'industrie américaine des moteurs, bien déve­loppée, produisait de bons moteurs à essence de toutes tailles à bas prix et l'essence coûtait si peu que l'économie de combustible du diesel était peu convaincante. La prédominance allemande en Europe peut s'expliquer par l'existence de fortes équipes de recherche et de mise au point constituées par les principales fir­mes telles que MAN, Benz et Deutz. Leur difficulté majeure était l'injection de combustible, celle-là même contre laquelle Rudolf Diesel s'était battu si longtemps. S'il fallait élever le régime des 200-500 tours/minute classiques jusqu'à 2 000 tours/minute, on

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devait, mille fois par minute et à un instant précis, injecter dans le cylindre une goutte d'huile plus petite qu'un grain de riz ; si l'on utilisait plus d'un cylindre, chacun d'eux devait recevoir la même quantité au moment voulu. Ralentir le moteur à 300 tours/ minute réduisait la taille de l'injection à même pas celle d'une tête d'épingle. Ce sont en général ceux qui avaient l'expérience des moteurs à essence qui eurent le plus de succès dans la mise au point des diesels rapides ; les firmes de diesel qui avaient commencé comme constructeurs de machines à vapeur en eurent moins, bien que MAN fasse exception.

DÉVELOPPEMENTS DES ANNÉES 20 E N ALLEMAGNE

En 1922, MAN et Benz construisirent l'un et l'autre des petits diesels expérimentaux. Le premier avait deux cylindres et produisait 40 ch. Le combustible était injecté directement dans le cylindre sans compresseur d'air. Ce moteur modifié et un quatre cylindres furent mis sur le marché en 1924 pour les camions et les tracteurs agricoles. En 1928, il y en avait une centaine en service. Chez Benz, Kurt Eltze succéda à L'Orange mais conserva sa chambre de précombustion. Il sortit un diesel deux cylindres pour tracteurs agricoles en 1922. Le premier fut vendu 165 mil­lions de marks : l'Allemagne souffrait alors d'inflation galopante. Benz mit aussi au point un quatre cylindres pour camions don­nant 50 ch à 1 000 tours/minute. Il pesait 11 kg/ch environ. Pour aider le démarrage, une bougie — un filament chauffé électrique­ment — réchauffait la préchambre. Dès les premiers essais, un camion Benz brûlait 25% de combustible de moins qu'un camion à carburation et le coût de ce combustible ne représentait que 15 % de celui à l'essence nécessaire au moteur classique. Benz exposa ce camion Diesel pour la première fois au Salon d'Ams­terdam en 1924.

La compagnie Daimler se dirigeait aussi vers les diesels pour camions. A Marienfelde, elle continua ses expériences inter­rompues par la guerre sur les petits diesels à injection par air comprimé. Un camion muni d'un tel moteur fit, en 1923, un voyage d'essai Berlin-Stuttgart et retour et, au Salon de Berlin de la même année, Daimler exposait des camions munis de ce moteur. Cependant, en 1925, comme Benz et Daimler se prépa­raient à fusionner, Daimler abandonna son diesel en faveur du Benz qui était plus simple, pesait moins et était plus facile à fabri­quer.

Les moteurs MAN et Benz utilisaient tous deux le combustible avec un meilleur rendement que les moteurs à car­burateur mais ils produisaient trop de fumée, de bruit et de vibra­tions. Pendant quelques années, les ventes se chiffrèrent par sim­ples douzaines. Une chose dont les diesels avaient besoin était un meilleur système de distribution et d'injection du combustible en vue d'obtenir une combustion plus efficace. En 1922, la société Robert Bosch de Stuttgart, réputée pour la haute qualité de ses équipements électriques pour automobiles, s'attaqua à ce pro­blème. En quatre ans, Bosch amena un bon système, basé en par­tie sur les travaux de Franz Lang, à la perfection. Bosch acheta également les droits du système de combustion Acro inventé également par Lang. Le système Acro utilisait une variante de la chambre de précombustion L'Orange. L'adoption par les diésé-listes de beaucoup de pays — Daimler-Benz fut l'un des premiers— des pompes et injecteurs Bosch reflétait l'intérêt grandissant pour les diesels rapides en Allemagne et encourageait les autres firmes à entrer dans l'industrie du diesel automobile. L'équipement d'injection de Bosch et de ses concurrents exigeait une fabrication très soignée et très précise, le rendant très coû­

teux, quelquefois autant que le reste du moteur. Hugo Junkers continuait ses travaux sur les diesels deux-

temps à deux pistons par cylindre. C'est pour augmenter le rap­port puissance/poids en vue d'une utilisation éventuelle comme moteur d'avion qu'il avait adopté ce dispositif. En 1928, il en donna licence à la firme française Peugeot et, la même année, il exposa ses moteurs au Salon de Berlin, les destinant aux voitures et aux camions. Le modèle à trois cylindres développait 70 ch et pesait 6,8 kg/ch.

Trois des principaux fabricants allemands de diesels marins sortirent en 1928 des modèles pour voitures : c'étaient Deutz de Cologne, Krupp de Kiel et Koerting de Hanovre. S'ajoutant à MAN, Daimler-Benz (la fusion est de 1926) et Junkers, ce groupe de firmes était riche de talent et de capacité de produc­tion. Les perfectionnements étaient certains. D'après une estima­tion, en 1929, il y avait 245 camions Diesel en Allemagne, 65 avaient été exportés et 230 moteurs avaient été fabriqués dans d'autres pays sous licence allemande1.

L E RESTE DE L'EUROPE ESSAIE L E DIESEL

Un des principaux fabricants non allemands de camions, Saurer (d'Arbon en Suisse), se présenta très tôt sur ce marché. Dès le début des années 20, Saurer avait expérimenté le diesel, mais c'est l'apparition du système d'injection Bosch qui l'aida de façon cruciale car, en 1928, Saurer lança un diesel de camion à six cylindres avec équipement Bosch. Malgré une production relati­vement faible, Saurer devint et resta en tête de la technologie Die­sel pour automobiles, vendant cher des camions de haute qualité et donnant des licences de fabrication en dehors de la Suisse.

En Angleterre et en France, la plupart des diésélistes continuèrent à suivre pendant les années 20 la voie tracée par les Allemands. A. Garnier, commentateur français, essayait de le justifier en disant : « Cela a l'avantage d'éviter à l'industrie fran­çaise les frais de mise au point, les tâtonnements indispensables pour aboutir non seulement à une construction économique de ces moteurs, mais surtout à leur application rationnelle...2. » Néanmoins, au Royal Aircraft Establishment (Etablissement Royal d'Aviation) dépendant du ministère de l'Air britannique, les ingénieurs travaillaient sur un diesel d'aviation, poussés par la possibilité de réduire la consommation de combustible et les ris­ques d'incendie. En Grande-Bretagne comme ailleurs, cette idée du diesel d'aviation s'avéra être sans issue. Ce fut vers la fin des

CHAMBRES DE COMBUSTION POUR DIESELS

Le marché croissant du diesel automobile entre les deux guerres mondiales a encouragé les recherches en vue d'améliorer la combustion et de réduire ainsi la fumée, les odeurs et le bruit. Quelques types généraux se distinguèrent et sont représentés ici. Les modèles subséquents sont tous des variantes de ceux-là.

1. Le système Benz de précombustion. Le combustible est injecté par-dessus la chambre de précombustion. De l'air, jaillissant de la chambre principale en dessous, l'enflamme. Cette combustion provoque une dilatation rapide faisant descendre la plupart des particules combus­tibles par les trous de l'atomiseur dans la chambre principale où la combustion continue. La bougie de chauffage ou d'allumage à gauche aide au démarrage.

2. Le système Acro. Du combustible est injecté dans le canal ou venturi (2) faisant communiquer l'espace mort (3) de l'espace (1). Au cours de la descente du piston, l'air arrivant de dessous et de dessus y pro­duit la combustion.

3. Le Cornet de Ricardo. Le piston, en montant, force l'air chaud à entrer dans la cellule sphérique où il tourbillonne et brûle le combustible injecté. Une bougie d'allumage aide au démarrage.

4. Injection directe.Dans le système Saurer à turbulence double, le combustible se pulvérise en tourbillonnant dans de l'air que la tête piston qui s'élève a rendu turbulent.

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années 20, quand le système d'injection Bosch devint disponible et que quelques exemplaires arrivèrent du continent, que se pro­duisit le développement véritable du diesel automobile britanni­que. Un camion Diesel Saurer arriva à la fin de 1928 et un camion Daimler-Benz gagna le trophée Dewar 1928 récompensant les progrès majeurs de l'automobile. En même temps, la Compagnie « Associated Equipment » (AEC) qui fabriquait les autobus du réseau londonien mit aux essais son diesel utilisant le système de combustion Acro. Encouragée, AEC lança alors une série de 100 moteurs. Gênée par leur fumée et leur odeur, AEC demanda à l'organisme privé de recherches de Harry Ricardo de perfectionner ce projet. Au début des années 30, le groupe Ricardo sortit la chambre de turbulence, appelée le système Comet-Ricardo, qui assurait une combustion plus complète du combustible. AEC introduisit la transformation Cornet dans ses produits et fit beaucoup pour lancer l'autobus Diesel en Grande-Bretagne. En 1930, comme AEC faisait ses premiers pas, la Compagnie Gardner installa sur un autobus un petit diesel marin. Son succès encouragea mainte compagnie d'autobus à adopter les moteurs Gardner. Les bons résultats de ces premières expériences amenèrent sur le marché du diesel d'autres sociétés importantes comme Leyland et Crossley.

Pour les premières mises au point de diesels automobiles en France, on remarque la firme Peugeot. En 1921, elle construi­sit un semi-diesel système Tartrais et l'essaya sur une voiture qui fit l'aller-retour Paris-Bordeaux puis sur un autobus parisien. Le moteur deux-temps Tartrais ne pesait que 5 kg/ch. L'inflamma­tion n'était pas produite par la compression mais par le choc du combustible injecté sur la culasse chaude. Peugeot fabriqua 100 de ces moteurs dans son usine de Lille mais ils ne donnèrent pas satisfaction en service. Ils étaient vraiment trop difficiles à démar­rer et fumaient fortement. Peugeot acquit alors la licence des die­sels deux-temps Junkers à pistons opposés. La production commença en 1928 à l'usine de Lille rebaptisée Compagnie Lil­loise des Moteurs (CLM). La CLM vendait ses diesels pour les autorails, les installations industrielles et marines, le montage sur les camions d'autres firmes telles que SOMUA, Laffly, Willeme, Bernard. La proportion des montages sur camions est inconnue mais, en 1940, elle avait réalisé quelque 25 000 diesels de 17 tailles différentes. Les diesels CLM étaient trop lents pour les voitures de tourisme.

C'est aussi avant la fin des années 20 que Renault se mit au diesel pour camions. Au début de la décennie, il avait commencé à faire des diesels marins et, à partir de 1929, offrit des camions à injection Bosch. Il produisit aussi des diesels pour autorails dont 1 706 sortirent entre 1931 et 1951. En 1931, Berliet et Panhard-Levassor offrirent des camions Diesel utilisant l'un et l'autre l'équipement Bosch tandis qu'Unie suivait le procédé Daimler-Benz. Il sortit d'autres types de camions Diesel français et, en 1933, il y en avait quelque 5 000 sur la route. Ces engins coû­taient quelque 15 °/o plus cher que les modèles à essence mais le carburant Diesel ne coûtait que le quart de l'essence. Berliet fit, jusqu'en 1936, 7400 diesels système Acro puis passa au type Ricardo et en fit 13 500 autres en 1937 et 1939. Au début de la Seconde Guerre mondiale, ses diesels dominaient la production française de camions.

LES ÉTATS-UNIS INTRODUISENT ENFIN L E DIESEL AUTOMOBILE

Pour l'application du moteur Diesel à la traction automo­bile, l'Amérique était en retard sur l'Europe. Le bas prix de l'es­sence et la haute qualité des moteurs à essence disponibles à des

coûts modérés semblaient ne pas laisser de place au diesel. La liste des diesels automobiles américains pour les années 20 est presque vide. Il y avait pourtant quelques manifestations d'intérêt. En 1924, la Compagnie Packard Motor Car (Automobiles Packard) acheta à un ingénieur allemand, Hermann Dorner, la licence de mise au point d'un moteur Diesel à injection directe. Chez Packard, c'est Lionel Woolson qui fit cette mise au point. Du monocylindre pour petites voitures de Dorner, il fit un neuf cylindres en étoile pour avions. Woolson fit les premiers essais de son 225 ch en 1927 et le fit voler en 1930. Il pesait environ 1 kg/ch mais ce chiffre restait presque le double de celui des moteurs d'aviation classiques. Packard commença à faire de la publicité pour ce moteur en 1929, vantant son faible danger d'in­cendie, sa faible consommation de combustible et les 70 °/o de réduction des frais de combustible. Mais Woolson devait bientôt se tuer dans la chute de son avion d'essais et l'intérêt que portait Packard à ce projet mourut avec lui. Une petite firme du Texas, Guiberson, reprit la fabrication des diesels en étoile pour avions et en fit quelques-uns pendant le reste de la décennie.

C'est un « outsider » qui réalisa la percée américaine en direction des camions Diesel. Il s'appelait Clessie L. Cummins, de Columbus, petite ville de Plndiana. Son histoire est la réalisa­tion de la légende du « garçon pauvre qui a réussi en travaillant dur et longtemps ». Jeune homme, Cummins était chauffeur d'un riche banquier de Columbus, W. G. Irwin ; il avait appris à connaître l'automobile en travaillant dans différentes usines de voitures d'Indianapolis. Aidé financièrement par le banquier, il commença à fabriquer de tout petits diesels comme moteurs fixes de ferme et à les commercialiser par l'intermédiaire de la grande maison de vente par correspondance Sears-Roebuck. L'aventure échoua à cause des défauts de construction des moteurs mais Cummins s'acharna, faisant des petits diesels marins pour bateaux de pêche, puis pour yachts. Les ventes étaient rares et la Société Cummins perdait de l'argent chaque année mais Irwin continua à l'appuyer. Pendant des années, Cummins se battit avec plusieurs centaines de systèmes d'injec­tion de combustible et enfin, en 1929, réalisa un type original qui distribuait et pulvérisait le combustible de manière satisfaisante. Juste à ce moment survinrent la Grande Dépression, la dispari­tion du marché des diesels pour Cummins et la décision de son banquier de dissoudre la société. Cummins fît un geste désespéré pour faire de la publicité à son affaire : il installa un de ses derniers moteurs marins dans une grosse voiture Packard et la conduisit sur 1 200 km jusqu'à New York en janvier 1930 pour un coût de 1,38 $ (35 francs Poincaré) en combustible. Aidé par Irwin, il fit d'autres démonstrations pour attirer l'attention et les comman­des : il battit le record américain de vitesse et d'endurance pour les diesels de voitures, d'autobus et de camions. En 1932, il était prêt à produire en série des diesels pour camions et il faisait sa première vente sur ce marché. Cummins limita toujours sa société à la fourniture de moteurs pour les camions fabriqués par d'autres. La plupart de ses ventes des années 30 allèrent vers la côte ouest des Etats-Unis où les grandes distances et les fortes pentes rendaient les transporteurs sensibles aux économies de combustible. Ce marché du diesel pour camions qu'elle avait ouvert, la Société Cummins le domina pendant le reste de la décennie et elle finit, en 1937, par faire son premier bénéfice. Ce marché resta cependant étroit car, sur 4,9 millions de camions en service en 1940, il n'y avait que 7 500 diesels et, sur 57 600 auto­bus, seulement 2 700 diesels.

Parmi les industriels qui se lancèrent à la suite de Cummins dans le diesel pour camions, il y eut Buda de l'Illinois, Waukesha du Wisconsin, et Hercules, de l'Ohio. La percée se produisit en

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1938. Quatre grandes firmes offrirent alors des diesels nouveaux pour les camions et les autobus : Dodge, International Harves-ter, Mack et General Motors (GM). C'est Charles F. Kettering qui fit entrer l'énorme GM Corporation sur le marché du diesel. Kettering, qui dirigeait les laboratoires de recherche de GM, prit, dès 1928, un grand intérêt dans le diesel et décida que sa compagnie, plutôt que d'acheter une licence à un Européen, devait réaliser son propre projet. Kettering choisit le deux-temps car son rapport puissance/poids est meilleur que celui du quatre-temps bien qu'il consomme davantage. GM l'encouragea. Met­tant au point tout d'abord des diesels pour locomotives, il fonda ensuite une équipe dirigée par Glen Shoemaker pour travailler à des diesels deux-temps plus petits pour les camions et les auto­bus. En 1937, ce moteur était prêt, on établit chez GM la Divi­sion Diesel de Detroit et une nouvelle usine fut construite ; ses moteurs arrivèrent sur le marché en 1938. Ils trouvèrent un suc­cès immédiat sur les autobus de GM mais, pour les camions lourds, ne firent pas une concurrence sérieuse à Cummins.

Le plus important fabricant américain de diesels automobi­les des années 30 ne fut aucun de ceux-là mais la Compagnie des Tracteurs Caterpillar, de Peoria (Illinois). A la fin des années 20, cette firme était entrée en concurrence à l'exportation avec les fabricants britanniques et allemands de moteurs Diesel. Elle se mit à faire ses propres diesels et lança le premier en 1931. Le suc­cès fut immédiat et, à la fin de 1935, la société avait vendu 10 000 tracteurs Diesel. Elle en produisit autant en 1936. Ainsi, à la fin de la décennie, les Etats-Unis, guidés par Cummins et Caterpillar, étaient en train de rattraper l'Europe dans le dessin et la production de diesels pour poids lourds.

Le moteur Peugeot-Junkers de 1928.

L'EUROPE ESSAIE LES PETITS DIESELS

Pendant la décennie 1930, les Européens firent non seule­ment des progrès dans l'application du diesel à leurs autobus et leurs poids lourds, mais ils firent aussi des expériences d'applica­tion de ce moteur aux camions légers et aux voitures de tou­risme. Généralement, les diesels consommaient 20 à 40 % de moins de combustible au kilomètre que les moteurs à essence. Le combustible Diesel était aussi moins cher car la demande en était faible et il payait moins de taxes. En conséquence, le coût de combustible d'un diesel tombait quelquefois jusqu'à 80 % au-dessous de celui d'un moteur à essence. Bien que le prix d'achat du diesel se montât à plus de deux fois celui du moteur à essence, l'économie sur le combustible attirait les acheteurs. Il parut d'abord que le prix d'achat élevé ne pouvait être compensé que pour les poids lourds parcourant chaque année une grande dis­tance, les camions et les autobus. Les propriétaires de ces véhicu­les formaient la majeure partie de la clientèle des diesels automo­biles en Allemagne d'abord, puis en Grande-Bretagne et en France. Sur la part de marché du diesel, les chiffres publiés sont contradictoires mais on peut estimer que, à la fin de la décennie, entre un tiers et la moitié des autobus de ces pays et une propor­tion beaucoup plus faible de camions (certainement moins de 10%) utilisaient le diesel. En Belgique, où le carburant Diesel était particulièrement bon marché, environ 10% des poids lourds et des autobus employaient le diesel en 1940.

Au milieu des années 30, quelques industriels réussirent à fabriquer de petits diesels tournant à plus de 3 000 tours/minute. Ils produisaient de 30 à 60 ch et pesaient assez peu pour être montés sur des voitures de tourisme. C'était encore l'Allemagne qui montrait la voie. Daimler-Benz offrit en 1936 son modèle 260 D avec un quatre cylindres de 2,6 litres donnant 45 ch. Ce moteur utilisait la chambre de précombustion traditionnelle dans cette maison. Cette voiture inconfortable et difficile à conduire était le premier modèle Diesel de série après des douzaines de modèles expérimentaux. Jusqu'en 1940, 1 967 voitures 260 D furent fournies, principalement comme taxis dont l'usage inten­sif pouvait amortir le prix d'achat élevé. La même année 1936, la société Hanomag, de Hanovre, exposa aussi une voiture Diesel quatre cylindres dont 1 074 furent fabriquées dans les années qui suivirent.

Pendant cette période, en France, Citroën et Peugeot essayaient de petits diesels pour camionnettes. La Peugeot avait un quatre cylindres quatre-temps de 2,3 litres fabriqué à Sochaux. En 1937-1938, on ne produisit que 78 de ces moteurs de camions légers. On prévoyait l'installation de ce moteur sur la voiture de tourisme 402, mais le chiffre de production resta insi­gnifiant. C'est au début des années 30 que Citroën décida de mettre au point un petit diesel. Différents types furent envisagés et Clessie Cummins vint à Paris en 1931 -1932 faire la démonstra­tion de son moteur aux ingénieurs de Citroën. A la fin, on se décida pour un moteur à chambre de combustion Ricardo-Comet avec des injecteurs Bosch. La crise financière de la société en 1934 fit interrompre ce programme, qui fut repris sous la direction de P.-J. Boulanger. En juin 1936, 100 camionnettes Diesel Citroën furent mises en préservice pour essais ; en avril 1937, elles étaient à la disposition du public. Le moteur de 1,76 litre produisait 40 ch. Citroën en produisit 1 520 avant la guerre. Quelques-uns furent montés sur des taxis ou autres voi­tures mais leur nombre est inconnu.

En Angleterre, la Compagnie Perkins se spécialisa dans les petits diesels. Fondée en 1932 par Frank Perkins, ingénieur expé­rimenté qui avait étudié le diesel pendant dix ans, la compagnie

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prit son essor vers la fin de la décennie, vendant des moteurs de camions légers à la Ford anglaise et à d'autres firmes. Des entre­prises de taxis de divers pays achetèrent aussi des moteurs Perkins pour transformer leurs voitures.

Le diesel automobile se développa aussi en dehors de l'Eu­rope occidentale et de l'Amérique du Nord. Un cas remarquable est celui de la Compagnie Ganz de Budapest où l'ingénieur George Jendrassik mit au point un moteur de poids lourds utilisé au début des années 30 à convertir toute la flotte d'autobus de Budapest. Encore plus connu est le moteur d'autorails Ganz-Jendrassik qui se vendit dans le monde entier vers la fin de la décennie. En Italie, Fiat et Alfa Romeo produisirent des diesels pour poids lourds. L'Union soviétique commença au début des années 30 à mettre au point des diesels en suivant étroitement les techniques de Caterpillar et des Européens. En 1937, la grande usine de tracteurs de Cheliabinsk fut spécialisée dans les moteurs Diesel. Les firmes japonaises lancèrent aussi une petite produc­tion de diesels automobiles au milieu de la décennie.

AVIONS DIESEL

Le diesel semblait offrir pour l'aviation plusieurs avantages dont la réduction des risques d'incendie et une consommation moindre permettant d'augmenter le rayon d'action. Ces facteurs permettaient-ils de contrebalancer leur poids plus élevé par che­val-vapeur et leur moindre puissance au décollage ? Dans tous les pays ayant des firmes de diesel importantes, on trouve des efforts vers le diesel d'aviation. On a mentionné leur peu de suc­cès en Amérique. En France, le ministère de l'Air appuya les développements faits dans cette direction par plusieurs firmes dont Clerget fut la plus active. Celle-ci construisit plusieurs Moteurs Diesel en étoile et les fit voler mais ne reçut jamais de marché de série. L'intérêt des Britanniques était fort dans les années 20 et la Compagnie Beardmore produisit pour le diri­geable R 101 des diesels un peu lourds mais sa chute au-dessus de Beauvais en 1930 refroidit assez fortement cet enthousiasme. C'est encore l'Allemagne qui tira le meilleur parti du diesel d'aviation. Daimler-Benz mit au point un diesel V-16 de 1 320 ch qui équipa en série les zeppelins à voyageurs de la fin des années 30. Son poids par cheval-vapeur était juste la moitié de celui du Beardmore, son aîné de dix ans. Junkers produisit son premier vrai diesel d'aviation en 1926. Un modèle redessiné fit son premier vol en 1929. Rebaptisé ensuite Ju 204, ce moteur entra en service à la Lufthansa en 1931. En 1936, il fut remplacé par un modèle plus léger, le Ju 205. Tous ces diesels d'aviation Junkers étaient des deux-temps à pistons opposés. Le 205-E donnait 700 ch au décollage, 560 en croisière et pesait 570 kg. C'était l'équipement normal de la Lufthansa, spécialement pour les vols long-courriers de l'Atlantique Nord ou Sud. La Luftwaffe adopta aussi le Ju 205 sur le bombardier Ju 86. Mille cinq cents de ces moteurs furent fabriqués mais ils ne donnèrent pas satisfaction aux militaires et ils furent remplacés par des moteurs à essence. A régime constant, le Ju 205 n'avait pas de problèmes mais les changements de régime nécessaires pour le combat réduisaient ses performances et sa sécurité d'emploi3. Ce fut la dernière chance du diesel en aviation, car le réacteur allait rapidement prendre le dessus.

L E DIESEL DANS LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Dans la Seconde Guerre mondiale, les belligérants qui avaient été grands producteurs de diesels automobiles utilisèrent

relativement peu de diesels pour leurs véhicules de combat mais, de façon paradoxale, les nouveaux venus, la Russie et le Japon, en firent un plus grand usage. Au début de la guerre, l'armée alle­mande utilisait pour ses chars et ses blindés presque exclusive­ment des moteurs à essence Maybach. L'hiver de Stalingrad, on décida de passer au diesel mais cette décision ne put être que peu suivie. La Compagnie Tatra, de Tchécoslovaquie occupée, inventa le meilleur diesel de blindés et son V-12 refroidi par l'air fut monté sur quelque 2 300 blindés lourds (Panzerspähwagen) en 1944-1945. Effectivement, beaucoup des camions militaires lourds et moyens de l'Allemagne avaient des diesels. La France avait peu de chars Diesel : 2 régiments de F.C.M. munis de die­sels Berliet, et la Grande-Bretagne adopta des diesels pour cer­tains de ces chars Matilda et Valentine. Les Etats-Unis ont cons­truit un nombre considérable de diesels pendant la guerre. En 1940, dernière année d'avant-guerre, le total de tous les diesels produits avait une puissance de quelque 3 250 000 ch. Dès 1944, cette puissance atteignait 35 millions de ch et le total des quatre années de guerre est de 113 980 000 ch. La grande masse de ces moteurs était à usage maritime depuis l'équipement des grands navires jusqu'à celui d'innombrables bateaux de débarquement. Pour ses camions, l'armée américaine employait presque exclusi­vement le moteur à essence. Sur les chars, il y avait quelques die­sels d'aviation Guiberson et, sur un millier de chars Sherman, des diesels General Motors. Le maintien de l'essence comme carbu­rant avait pour raison principale l'unification du combustible, donc la simplification du problème logistique.

Les Russes, au début des années 30, employaient l'essence pour leurs chars mais commencèrent en 1934 à préparer dans ce but un diesel. Disponible en 1938, c'était un douze cylindres en V refroidi par liquide avec une injection type Bosch qui donnait 500 ch à 1 800 tours/minute. Un observateur français croyait ce moteur dérivé du moteur d'avion Hispano-Suiza V-12 4. Ce moteur « V-2 » fut le moteur russe standard pour le très efficace char T 34 ainsi que pour le KV et le Staline. Le Japon adopta le diesel assez tôt, en 1935, pour ses chars et l'utilisa aussi massive-memnt pour ses transports militaires. Le choix russe et japonais du diesel vient probablement de ce que ces pays, moins motori­sés, étaient moins engagés et dépendaient moins du camion à essence au milieu de la décennie 1930, moment où les décisions furent prises.

LES MOTEURS DIESEL APRÈS LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Après la guerre, les moteurs Diesel se répandirent plus rapidement que pendant les années 30. Aux Etats-Unis, la plu­part des nouveaux bus, en particulier ceux de la Division Diesel de la Général Motors à Detroit, étaient dotés d'un diesel. Les moteurs Diesel finirent par équiper la majorité des gros poids lourds assurant les liaisons interurbaines. Leur prix d'achat élevé était compensé par un coût moindre en gazole, une durabilité supérieure et un entretien plus économique si le camion parcou­rait annuellement des distances importantes. Vers 1960, le seuil de rentabilité était estimé à 60 000 km. Un des atouts clés qui contribua à l'expansion du diesel fut la construction du réseau national d'autoroutes. Elle commença pendant les années 50, et la moitié de ses 68 400 km était terminée en 1965. Grâce à ces nouvelles autoroutes, des camions plus gros et plus lourds purent relier plus rapidement entre elles les villes américaines. Ce qui impliquait à son tour une consommation kilométrique de gazole plus élevée, mais les moteurs Diesel permettaient de réduire ce coût. Bien que le prix du gazole ait augmenté, après la

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guerre, au point d'atteindre les trois quarts de celui de l'essence, l'efficacité propre au moteur Diesel attira à ce dernier davantage de clients. A la fin des années 60, près de 80 % des nouveaux modèles de gros poids lourds destinés au trafic interurbain possé­daient un moteur Diesel, et le mouvement allait s'amplifîant. Mais, à l'inverse de ce qui se passa en Europe, les moteurs Diesel ne réussirent pas de percée significative sur le marché américain du petit ou moyen poids lourd avant la fin des années 70. Les principaux constructeurs de diesels pour véhicules utilitaires lourds, Cummins, GM et Mack furent rejoints dans les années 60 par Caterpillar, qui accapara graduellement une part croissante du marché.

En Europe, la nécessité d'économiser le pétrole était bien plus impérieuse, non seulement à cause du prix élevé des carbu­rants mais aussi parce que ceux-ci devaient pour la plupart être importés, aggravant ainsi le sérieux déséquilibre de la balance des paiements. De sorte que l'intérêt pour les moteurs Diesel y fut plus marqué qu'aux Etats-Unis, et cela non seulement pour les modèles de forte, mais aussi de faible ou moyenne puissance. En Grande-Bretagne, par exemple, 35% des véhicules commer­ciaux étaient équipés d'un diesel en 1967, contre 1,7 % en 1938 ; aux Etats-Unis, la proportion de diesels en 1967 n'était que de 3 %. Leyland se dessina comme le principal constructeur de gros camions Diesel, tandis que Perkins connaissait l'un des plus grands succès commerciaux britanniques de l'après-guerre. Cette compagnie se spécialisa dans les petits diesels pour trac­teurs, camions légers, voitures et bateaux ; comme elle fabriquait uniquement des moteurs, elle en vendit des milliers destinés à équiper taxis ou voitures de tourisme. En 1959, le géant canadien de l'outillage agricole, Massey-Ferguson, acheta Perkins et en poursuivit l'expansion, produisant 550 000 moteurs Diesel en 1976 contre 1 000 en 1939. Près de la moitié de ces moteurs étaient fabriqués hors de Grande-Bretagne, dans les succursales Perkins d'Europe de l'Ouest, du Brésil, des Etats-Unis, ou bien encore sous licence dans d'autres pays. Près de 600 constructeurs équipaient de moteurs Perkins leurs véhicules ou autres maté­riels, comme Renault ses tracteurs par exemple.

En Europe après 1945, l'Allemagne retrouva bientôt sa prépondérance d'avant la guerre grâce à Daimler-Benz, premier fabricant de camions Diesel de fort et moyen tonnage, suivi de Magirus-Deutz et MAN. Bien d'autres compagnies européennes produisaient des poids lourds Diesel, mais après les années 60, la surcapacité entraîna une concurrence sans merci, et les petits constructeurs furent peu à peu absorbés par les gros ou bien éli­minés du marché. Vers le milieu des années 80, les principaux constructeurs de camions Diesel de fort et moyen tonnage étaient Leyland, Iveco (Fiat), avec des usines en Italie, Allemagne et France ; Daimler-Benz et MAN en Allemagne de l'Ouest, Renault — qui avait absorbé Berliet — en France, et Volvo et Saab-Scania en Suède. Le prix élevé de l'essence en Europe avait conduit à la « diésélisation » de près de la moitié des camions de moyen tonnage. En Italie, sur un parc de 1,37 million de camions, plus des deux tiers étaient équipés d'un diesel en 1980.

Simultanément, un petit nombre de voitures se dotait de moteurs Diesel, en particulier celles qui, comme les taxis, étaient destinées à un usage intensif. Mercedes s'intéressa de nouveau à ce marché en 1949, et Peugeot fit de même dix ans plus tard. Les ventes demeurèrent médiocres jusqu'à la hausse brutale du prix des carburants consécutive au premier choc pétrolier, en 1973. Ce qui entraîna l'augmentation immédiate des ventes de voitures Diesel chez Mercedes, où ces véhicules représentaient 40 % du total des ventes en 1974, proportion qui se maintint, voire s'ac­crut par la suite. La plupart des autres grands constructeurs euro­

péens se mirent bientôt à proposer des voitures Diesel, Volkswa­gen et Fiat prenant la tête des ventes grâce à leurs modèles de série économique. En 1978, Mercedes équipa ses diesels tourisme d'un turbocompresseur, afin d'améliorer leurs performances. Après le second choc pétrolier, en 1979, les ventes d'automobiles Diesel augmentèrent à nouveau sur les principaux marchés euro­péens, où elles atteignirent leur plafond en 1981 ou 1982 :19,4 % de l'ensemble des ventes de voitures en Italie, 15 % en Allemagne de l'Ouest, 11,7% en France, mais seulement 1,4% dans le Royaume-Uni en 1983. Les ventes de voitures Diesel en Europe baissèrent légèrement vers le milieu des années 80, par rapport aux résultats précédents. Quant au Japon, s'il produisait depuis les années 30 un petit nombre de véhicules Diesel, ce n'est qu'à partir des années 70 que ceux-ci jouèrent un rôle important — quoique inférieur à ce qu'il était en Europe de l'Ouest ou aux Etats-Unis — sur le marché automobile.

Les constructeurs automobiles américains ne s'intéressè­rent guère aux diesels de tourisme. Chrysler n'en construisit jamais. Ford équipa quelques milliers seulement de ses voitures américaines de moteurs Diesel allemands ou japonais. GM en revanche lança un V-8 Diesel de tourisme en 1977 et en vendit 310 000 en 1981, année record aux Etats-Unis pour les voitures Diesel —nationales ou d'importation— puisqu'il s'en vendit 521 000 au total, ce qui représentait 6,1 % du marché. Le moteur V-8 de GM était dérivé d'un modèle à essence, et beaucoup de clients eurent à s'en plaindre, de sorte que sa fâcheuse réputation affecta le marché et que, lorsque GM présenta en 1982 un modèle V-6, bien meilleur, le public demeura réticent. La stabilisation, puis la baisse du cours de l'essence aux Etats-Unis pendant les années 80 affaiblirent également l'intérêt des consommateurs pour les voitures Diesel, qui ne représentaient plus qu'1,5 % des ventes en 1984.

Bien que le marché américain ne parût guère prometteur aux yeux des constructeurs européens et japonais de voitures Diesel — exception faite pour Mercedes — il semblait receler des possibilités intéressantes dans le domaine des camions Diesel de moyen tonnage, surtout parce que la combustion du gazole s'ef­fectuait de manière plus efficace dans les modèles européens. Dans la gamme légers-lourds (poids brut du véhicule compris entre 11,8 et 15 tonnes), un tiers seulement des nouveaux camions américains était doté d'un moteur Diesel au début des années 70, et presque aucun dans les modèles plus petits. En 1969, Mercedes-Benz commença à exporter quelques camions Diesel vers les Etats-Unis et à mettre sur pied une organisation commerciale. Finalement, la compagnie racheta un petit cons­tructeur de camions américain afin de pénétrer plus avant sur le marché. A la fin des années 70, Volvo suivit la voie ouverte par Mercedes-Benz et la firme suédoise racheta bientôt les camions White, qui venaient de faire faillite. Iveco (Fiat) traversa à son tour l'Atlantique, de même que Renault, qui s'assura le contrôle d'un important fabricant de camions, Mack. Ces nouveaux venus européens, ainsi le Japonais Hino, ne représentent tou­jours qu'une petite partie du marché américain des camions Diesel, de l'ordre de 10 %. Part qui n'augmentera probablement guère, parce que les acheteurs hésitent toujours à se convertir au diesel, et que des constructeurs américains se sont mis à proposer des moteurs Diesel dans les gammes de camions de moyen ton­nage. Cependant, comme le diesel devient économique dès qu'un camion parcourt au moins 20 000 km par an, on peut s'at­tendre que sa part augmente dans la catégorie des tonnages moyens, sauf si le cours de l'essence se met à baisser spectaculai-rement par rapport à celui de 1985. Vers le milieu des années 80, près de la moitié des camions américains, de légers à lourds,

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étaient équipés d'un diesel, et peut-être 15% de ceux dont le poids brut était compris entre 8,85 et 11,8 tonnes. Selon les informations disponibles, il semble que l'Union soviétique se soit mise au diesel encore plus lentement que les Etats-Unis. Les seuls véhicules Diesel y sont les gros camions et les bus. A la fin des années 60, le régime décida de rénover et de développer son parc de camions Diesel, grâce à un nouveau complexe industriel géant construit sur la rivière Kama, près de Togliattigrad. Cette usine devrait, selon les prévisions, construire 250 000 moteurs Diesel par an, et 150 000 camions. Une grande partie de l'équipement venait de fournisseurs occidentaux, et Renault avait conçu la sec­tion de production des moteurs. Le complexe de Kama atteignit finalement sa pleine capacité de production au début des années 80.

Ainsi, le rêve de M. Diesel d'une voiture Diesel s'est enfin réalisé. Lentement, progressivement, les moteurs Diesel sont devenus plus petits, plus puissants, et ils équipent des véhicules toujours plus nombreux. Les menaces qui pèsent sur leur expan­sion sont de deux sortes : l'une concerne le niveau d'émission des polluants. Quel danger représentent les oxydes d'azote et autres résidus rejetés par les véhicules Diesel ? Dans certains pays, les restrictions concernant ces polluants se multiplient. L'autre impondérable est constitué par le prix de l'essence. S'il chute — ce qui risque de se produire à court terme — les diesels perdront une part de leur intérêt. S'il augmente — ce qui semble inévitable à long terme (à partir de 1995 et au-delà) — les diesels reprendront leur percée sur le terrain des véhicules légers et se mettront à fonctionner au pétrole de synthèse. Dans cette hypothèse de prix élevés, les diesels affronteront alors une concurrence sérieuse de la part des moteurs actionnés par des batteries électriques ou de l'hydrogène. Un pronostic vraisemblable, c'est qu'en l'an 2000 les poids lourds de fort tonnage et les tracteurs continueront à consommer de coûteux carburants pétroliers pour leur moteur Diesel, mais que beaucoup de petits camions et de voitures de tourisme fonctionneront avec de nouveaux modèles de batteries électriques.

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Notes

L'auteur désire exprimer la gratitude particulière qu'il doit à L. J . A. Vil-lalon et à P. Fridenson pour leur aide.

1. Automotive Industries, New York, vol. LXITI, 2 août 1930, p. 154. 2. Mémoires et comptes rendus de la Société des Ingénieurs Civils de

France, vol. LXXXI, septembre 1928, p. 1 061. 3. Rapports techniques de la Luftwaffe cités dans : Edward L. Homze,

Arming the Luftwaffe, Lincoln (Nebraska), University of Nebraska Press, 1976, pp. 152-177.

4. Génie Civil, vol. CXX, 1 e r décembre 1943, p. 271. "