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THERESE DE LISIEUX - Histoire d’une âme pag. 1 di 123 MANUSCRIT A J. M. J. T. Janvier 1895 Jésus+ HISTOIRE PRINTANIÈRE D’UNE PETITE FLEUR BLANCHE ÉCRITE PAR ELLE-MÊME ET DÉDIÉE A LA RÉVÉRENDE MÈRE AGNÈS DE JÉSUS C’est à vous, ma Mère chérie, à vous qui êtes deux fois ma Mère, que je viens confier l’histoire de mon âme... Le jour où vous m’avez demandé de le faire, il me semblait que cela dissiperait mon cœur en l’occupant de lui-même, mais depuis Jésus m’a fait sentir qu’en obéissant simplement je lui serais agréable ; d’ailleurs je ne vais faire qu’une seule chose : Commencer à chanter ce que je dois redire éternellement : “ Les Miséricordes du Seigneur... ” (NHA 101) (Ps 89,2) Avant de prendre la plume, je me suis agenouillée devant la statue de Marie (NHA 102) (celle qui nous a donné tant de preuves des maternelles préférences de la Reine du Ciel pour notre famille,) je l’ai suppliée de guider ma main afin que je ne trace pas une seule ligne qui ne lui soit agréable. Ensuite ouvrant le Saint Evangile, mes yeux sont tombés sur ces mots : “ Jésus étant monté sur une montagne, il appela à Lui ceux qu’il lui plut ; et ils vinrent à Lui. ” (Saint Marc, chap. III, v. 13). (Mc 3,13) Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière et surtout le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme... Il n’appelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux qu’il lui plaît ou comme le dit Saint Paul : “ Dieu a pitié de qui Il veut et Il fait miséricorde à qui Il veut faire miséricorde. ” Ce n’est donc pas l’ouvrage de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. ” (Épître aux Romains, chap. IX. v. 15 et 16). (Rm 9,15-16) Longtemps je me suis demandé pourquoi le bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas un égal degré de grâces, je m’étonnais en Le voyant prodiguer des faveurs extraordinaires aux Saints Manuscrit A Folio 2 Verso. qui l’avaient offensé, comme Saint Paul, Saint Augustin et qu’Il forçait pour ainsi dire à recevoir ses grâces ; ou bien, en lisant la vie de Saints que Notre-Seigneur s’est plu à caresser du berceau à la tombe, sans laisser sur leur passage aucun obstacle qui les empêchât de s’élever vers Lui et prévenant ces âmes de telles faveurs qu’elles ne pouvaient ternir l’éclat immaculé de leur robe baptismale, je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple, mouraient en grand nombre avant d’avoir même entendu prononcer le nom de Dieu... Jésus a daigné m’instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de la nature et j’ai compris que toutes les fleurs qu’Il a créées sont belles, que l’éclat de la rose et la blancheur du Lys n’enlèvent pas le parfum de la petite violette ou la simplicité ravissante de la pâquerette... J’ai compris que si toutes les petites fleurs voulaient être des roses, la nature perdrait sa parure printanière, les champs ne seraient plus émaillés de fleurettes... Ainsi en est-il dans le monde des âmes qui est le jardin de Jésus. Il a voulu créer les grands saints qui peuvent être comparés aux Lys et aux roses ; mais il en a créé aussi de plus petits et ceux-ci doivent se contenter d’être des pâquerettes ou des violettes destinées à réjouir les regards du bon Dieu lorsqu’Il les abaisse à ses

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  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 1 di 123

    MANUSCRIT A

    J. M. J. T.

    Janvier 1895

    Jsus+ HISTOIRE PRINTANIRE

    DUNE PETITE FLEUR BLANCHE CRITE PAR ELLE-MME ET DDIE

    A LA RVRENDE MRE AGNS DE JSUS

    Cest vous, ma Mre chrie, vous qui tes deux fois ma Mre, que je viens confier lhistoire de mon me... Le jour o vous mavez demand de le faire, il me semblait que cela dissiperait mon cur en loccupant de lui-mme, mais depuis Jsus ma fait sentir quen obissant simplement je lui serais agrable ; dailleurs je ne vais faire quune seule chose : Commencer chanter ce que je dois redire ternellement : Les Misricordes du Seigneur... (NHA 101) (Ps 89,2) Avant de prendre la plume, je me suis agenouille devant la statue de Marie (NHA 102) (celle qui nous a donn tant de preuves des maternelles prfrences de la Reine du Ciel pour notre famille,) je lai supplie de guider ma main afin que je ne trace pas une seule ligne qui ne lui soit agrable. Ensuite ouvrant le Saint Evangile, mes yeux sont tombs sur ces mots : Jsus tant mont sur une montagne, il appela Lui ceux quil lui plut ; et ils vinrent Lui. (Saint Marc, chap. III, v. 13). (Mc 3,13) Voil bien le mystre de ma vocation, de ma vie tout entire et surtout le mystre des privilges de Jsus sur mon me... Il nappelle pas ceux qui en sont dignes, mais ceux quil lui plat ou comme le dit Saint Paul : Dieu a piti de qui Il veut et Il fait misricorde qui Il veut faire misricorde. Ce nest donc pas louvrage de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait misricorde. (ptre aux Romains, chap. IX. v. 15 et 16). (Rm 9,15-16) Longtemps je me suis demand pourquoi le bon Dieu avait des prfrences, pourquoi toutes les mes ne recevaient pas un gal degr de grces, je mtonnais en Le voyant prodiguer des faveurs extraordinaires aux Saints

    Manuscrit A Folio 2 Verso.

    qui lavaient offens, comme Saint Paul, Saint Augustin et quIl forait pour ainsi dire recevoir ses grces ; ou bien, en lisant la vie de Saints que Notre-Seigneur sest plu caresser du berceau la tombe, sans laisser sur leur passage aucun obstacle qui les empcht de slever vers Lui et prvenant ces mes de telles faveurs quelles ne pouvaient ternir lclat immacul de leur robe baptismale, je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple, mouraient en grand nombre avant davoir mme entendu prononcer le nom de Dieu... Jsus a daign minstruire de ce mystre. Il a mis devant mes yeux le livre de la nature et jai compris que toutes les fleurs quIl a cres sont belles, que lclat de la rose et la blancheur du Lys nenlvent pas le parfum de la petite violette ou la simplicit ravissante de la pquerette... Jai compris que si toutes les petites fleurs voulaient tre des roses, la nature perdrait sa parure printanire, les champs ne seraient plus maills de fleurettes... Ainsi en est-il dans le monde des mes qui est le jardin de Jsus. Il a voulu crer les grands saints qui peuvent tre compars aux Lys et aux roses ; mais il en a cr aussi de plus petits et ceux-ci doivent se contenter dtre des pquerettes ou des violettes destines rjouir les regards du bon Dieu lorsquIl les abaisse ses

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 2 di 123

    pieds. La perfection consiste faire sa volont, tre ce quIl veut que nous soyons... Jai compris encore que lamour de Notre-Seigneur se rvle aussi bien dans lme la plus simple qui ne rsiste en rien sa grce que dans lme la plus sublime ; en effet le propre de lamour tant de sabaisser, si toutes les mes ressemblaient celles des Saints docteurs qui ont illumin lEglise par la clart de leur doctrine, il semble

    Manuscrit A Folio 3 Recto.

    que le bon Dieu ne descendrait pas assez bas en venant jusqu leur cur ; mais Il a cr lenfant qui ne sait rien et ne fait entendre que de faibles cris, Il a cr le pauvre sauvage nayant pour se conduire que la loi naturelle et cest jusqu leurs curs quIl daigne sabaisser, ce sont l ses fleurs des champs dont la simplicit Le ravit... En descendant ainsi le Bon Dieu montre sa grandeur inoue. De mme que le soleil claire en mme temps les cdres et chaque petite fleur comme si elle tait seule sur la terre, de mme Notre-Seigneur soccupe aussi particulirement de chaque me que si elle navait pas de semblables ; et comme dans la nature toutes les saisons sont arranges de manire faire clore au jour marqu la plus humble pquerette, de mme tout correspond au bien de chaque me. Sans doute, ma Mre chrie, vous vous demandez avec tonnement o je veux en venir, car jusquici je nai rien dit encore qui ressemble lhistoire de ma vie, mais vous mavez demand dcrire sans contrainte ce qui me viendrait la pense ; ce nest donc pas ma vie proprement dite que je vais crire, ce sont mes penses sur les grces que le Bon Dieu a daign maccorder. Je me trouve une poque de mon existence o je puis jeter un regard sur le pass ; mon me sest mrie dans le creuset des preuves extrieures et intrieures ; maintenant comme la fleur fortifie par lorage je relve la tte et je vois quen moi se ralisent les paroles du psaume XXII. (Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans des pturages agrables et fertiles. Il me conduit doucement le long des eaux. Il conduit mon me sans la fatiguer... Mais lors (Ps 23,1-4)

    Manuscrit A Folio 3 Verso.

    mme que je descendrai dans la valle de lombre de la mort, je ne craindrai aucun mal, parce que vous serez avec moi, Seigneur !...) (NHA 103) (Ps 22,1-4) Toujours le Seigneur

    a t pour moi compatissant et rempli de douceur... Lent punir et abondant en misricordes !... (Ps.CII,v.8.) (Ps 103,8) Aussi, ma Mre, cest avec bonheur que je viens chanter prs de vous les misricordes du Seigneur... (Ps 89,2) Cest pour vous seule que je vais crire lhistoire de la petite fleur cueillie par Jsus, aussi je vais parler avec abandon, sans minquiter ni du style ni des nombreuses digressions que je vais faire. Un cur de mre comprend toujours son enfant, alors mme quil ne sait que bgayer, aussi je suis sre dtre comprise et devine par vous qui avez form mon cur et lavez offert Jsus... Il me semble que si une petite fleur pouvait parler, elle dirait simplement ce que le Bon Dieu a fait pour elle, sans essayer de cacher ses bienfaits. Sous le prtexte dune fausse humilit elle ne dirait pas quelle est disgracieuse et sans parfum, que le soleil lui a ravi son clat et que les orages ont bris sa tige, alors quelle reconnatrait en elle-mme tout le contraire. La fleur qui va raconter son histoire se rjouit davoir publier les prvenances tout fait gratuites de Jsus, elle reconnat que rien ntait capable en elle dattirer ses regards divins et que sa misricorde seule a fait tout ce quil y a de bien en elle... Cest Lui qui la fait natre en une terre sainte et comme tout imprgne dun parfum virginal. Cest Lui qui la fait prcder de huit Lys clatants de blancheur. Dans Son amour, Il a voulu prserver sa petite fleur du souffle empoisonn du monde ; peine

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    sa corolle commenait-elle sentrouvrir que ce divin Sauveur la transplante sur la montagne du Carmel o dj les deux Lys qui lavaient entoure et doucement berce au printemps de sa vie rpandaient leur suave parfum... Sept annes

    Manuscrit A Folio 4 Recto.

    se sont coules depuis que la petite fleur a pris racine dans le jardin de lEpoux des vierges et maintenant trois Lys balancent auprs delle leurs corolles embaumes ; un peu plus loin un autre lys spanouit sous les regards de Jsus et les deux tiges bnies qui ont produit ces fleurs sont maintenant runies pour lternit dans la Cleste Patrie... L elles ont retrouv les quatre Lys que la terre navait pas vus spanouir... Oh ! que Jsus daigne ne pas laisser longtemps sur la rive trangre les fleurs restes dans lexil ; que bientt la branche de Lys soit complte au Ciel ! (NHA 104) Je viens, ma Mre, de rsumer en peu de mots ce que le bon Dieu a fait pour moi, maintenant je vais entrer dans le dtail de ma vie denfant ; je sais que l o tout autre ne verrait quun rcit ennuyeux votre cur maternel trouvera des charmes... et puis, les souvenirs que je vais voquer sont aussi les vtres puisque cest prs de vous que sest coule mon enfance et que jai Ie bonheur dappartenir aux Parents sans gaux qui nous ont entoures des mmes soins et des mmes tendresses. Oh ! quils daignent bnir la plus petite de leurs enfants et lui aider chanter les misricordes divines !... (Ps 89,2) Dans lhistoire de mon me jusqu mon entre au Carmel je distingue trois priodes bien distinctes ; la premire malgr sa courte dure nest pas la moins fconde en souvenirs ; elle stend depuis lveil de ma raison jusquau dpart de notre Mre chrie pour la patrie des Cieux.

    Manuscrit A Folio 4 Verso.

    Le Bon Dieu ma fait la grce douvrir mon intelligence de trs bonne heure et de graver si profondment en ma mmoire les souvenirs de mon enfance quil me semble que les choses que je vais raconter se passaient hier. Sans doute, Jsus voulait, dans son amour, me faire connatre la Mre incomparable quil mavait donne, mais que sa main Divine avait hte de couronner au Ciel !... Toute ma vie le bon Dieu sest plu mentourer dAmour, mes premiers souvenirs sont empreints des sourires et des caresses les plus tendres !... mais sIl avait plac prs de moi beaucoup dAmour, Il en avait mis aussi dans mon petit cur, le crant aimant et sensible, aussi jaimais beaucoup Papa et Maman et leur tmoignais ma tendresse de mille manires, or jtais trs expansive. Seulement les moyens que jemployais taient parfois tranges, comme le prouve ce passage dune lettre de Maman. Le bb est un lutin sans pareil, elle vient me caresser en me souhaitant la mort : Oh ! Que je voudrais bien que tu mourrais, ma pauvre petite Mre !... on la gronde, elle dit : Cest pourtant pour que tu ailles au Ciel, puisque tu dis quil faut mourir pour y aller. Elle souhaite de mme la mort son pre quand elle est dans ses excs damour ! . (NHA 105) Le 25 Juin 1874 alors que javais peine dix-huit mois, voici ce

    Manuscrit A Folio 5 Recto.

    que maman disait de moi : Votre pre vient dinstaller une balanoire, Cline est dune joie sans pareille, mais il faut voir la petite se balancer ; cest risible, elle se tient comme une grande fille, il ny a pas de danger quelle lche la corde, puis quand a ne va pas assez fort, elle crie. On lattache par devant avec une autre corde et malgr cela je ne suis pas tranquille quand je la vois perche l dessus. Il mest arriv une drle daventure dernirement avec la petite. Jai lhabitude daller la messe de cinq heures et demie, dans les premiers jours je nosais pas la laisser, mais voyant quelle ne se rveillait

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 4 di 123

    jamais, jai fini par me dcider la quitter. Je la couche dans mon lit et japproche le berceau si prs quil est impossible quelle tombe. Un jour jai oubli de mettre le berceau. Jarrive et la petite ntait plus dans mon lit ; au mme moment jentends un cri, je regarde et je la vois assise sur une chaise qui se trouvait en face de la tte de mon lit, sa petite tte tait couche sur le traversin et l elle dormait dun mauvais sommeil car elle tait gne. Je nai pas pu me rendre compte comment elle tait tombe assise sur cette chaise, puisquelle tait couche. Jai remerci le Bon Dieu de ce quil ne lui est rien arriv, cest vraiment providentiel, elle devait rouler par terre, son bon Ange y a veill et les mes du purgatoire auxquelles je fais tous les jours une prire pour la petite lont protge ; voil comment jarrange cela... arrangez-le comme vous voudrez... A la fin de la lettre maman ajoutait : Voil le petit bb qui vient me passer sa petite main sur la figure et membrasser. Cette pauvre petite ne veut point me quitter, elle est continuellement

    Manuscrit A Folio 5 Verso.

    avec moi ; elle aime beaucoup aller au jardin, mais si je ny suis pas elle ne veut pas y rester et pleure jusqu ce quon me la ramne ! (NHA 106) (Voici un passage dune autre lettre) : La petite Thrse me demandait lautre jour si elle irait au Ciel. Je lui ai dit que oui, si elle tait bien sage ; elle me rpond : Oui, mais si je ntais pas mignonne, jirais dans lenfer... mais moi je sais bien ce que je ferais, je menvolerais avec toi qui serais au Ciel, comment que le Bon Dieu ferait pour me prendre ?... tu me tiendrais bien

    fort dans tes bras ? Jai vu dans ses yeux quelle croyait positivement que le Bon Dieu ne lui pouvait rien si elle tait dans les bras de sa mre... (NHA 107) Marie aime beaucoup sa petite sur, elle la trouve bien mignonne, elle serait bien difficile car cette pauvre petite a grand-peur de lui faire de la peine. Hier jai voulu lui donner une rose sachant que cela la rend heureuse, mais elle sest mise a me supplier de ne pas la couper, Marie lavait dfendu, elle tait rouge dmotion, malgr cela je lui en ai donn deux, elle nosait plus paratre la maison. Javais beau lui dire que les roses taient moi, mais non, disait-elle, cest Marie... Cest une enfant qui smotionne bien facilement. Ds quelle a fait un petit malheur, il faut que tout le monde le sache. Hier ayant fait tomber sans le vouloir un petit coin de la tapisserie, elle tait dans un tat faire piti, puis il falIait bien vite le dire son Pre ; l est arriv quatre heures aprs, on ny pensait plus, mais elle est bien vite venue dire Marie : Dis vite Papa que jai dchir le papier. Elle est l comme un criminel qui attend sa condamnation, mais elle a dans sa petite ide quon va lui pardonner plus facilement si elle saccuse. (NHA 108) Jaimais beaucoup ma chre Marraine. (NHA 109) Sans en avoir lair, je faisais une grande attention tout ce qui se faisait et se disait autour de moi, il me semble que je jugeais des choses comme

    maintenant. Jcoutais bien attentivement

    Manuscrit A Folio 6 Recto.

    ce que Marie apprenait Cline afin de faire comme elle ; aprs sa sortie de la Visitation, pour obtenir la faveur dtre admise dans sa chambre pendant les leons quelle donnait Cline, jtais bien sage et je faisais tout ce quelle voulait ; aussi me comblait-elle de cadeaux qui, malgr leur peu de valeur, me faisaient beaucoup de plaisir. Jtais bien fire de mes deux grandes surs, mais celle qui tait mon idal denfant, ctait Pauline... Lorsque je commenais parler et que Maman me demandait : A quoi penses-tu ? la rponse tait invariable A Pauline !... Une autre fois, je faisais aller mon petit doigt sur les carreaux et je disais Jcris : Pauline ! ... Souvent jentendais dire que bien sr

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 5 di 123

    Pauline serait religieuse ; alors sans trop savoir ce que ctait, je pensais : Moi aussi je serai religieuse. Cest l un de (mes) (NHA 110) premiers souvenirs et depuis, jamais je nai chang de rsolution !... Ce fut vous ma Mre chrie, que Jsus choisit pour me fiancer Lui, vous ntiez pas alors auprs de moi, mais dj un lien stait form entre nos mes... vous tiez mon idal, je voulais tre semblable vous et cest votre exemple qui ds lge de deux ans mentrana vers lEpoux des vierges... Oh ! que de douces rflexions je voudrais vous confier ! Mais je dois poursuivre lhistoire de la petite fleur, son histoire complte et gnrale, car si je voulais parler en dtail de mes rapports avec Pauline, il me faudrait laisser tout le reste !... Ma chre petite Lonie tenait aussi une grande place dans mon cur. Elle maimait beaucoup, le soir ctait elle qui me gardait quand toute la famille allait se promener... Il me semble entendre encore les gentils

    refrains quelle chantait afin de mendormir... en toute chose elle cherchait le moyen de me faire plaisir aussi jaurais eu bien du chagrin de lui causer de la peine.

    Manuscrit A Folio 6 Verso.

    Je me rappelle trs bien sa premire communion. (NHA 111) surtout du moment o elle me prit sur son bras pour me faire entrer avec elle au presbytre ; cela me paraissait si beau dtre porte par une grande sur tout en blanc comme moi !... Le soir on me coucha de bonne heure car jtais trop petite pour rester au grand dner mais je vois encore Papa qui vint au dessert, apportant sa petite reine des morceaux de la pice monte... Le lendemain ou peu de jours aprs, nous sommes alles avec maman chez la petite compagne de Lonie. (NHA 112) Je crois que cest ce jour-l que cette bonne petite Mre nous a emmenes derrire un mur pour nous faire boire du vin aprs le dner (que nous avait servi la pauvre dame Dagorau) car elle ne voulait pas faire de peine la bonne femme, mais aussi voulait que nous ne manquions de rien... Ah ! comme le cur dune Mre est dlicat, comme il traduit sa tendresse en mille soins prvoyants auxquels personne ne penserait ! Maintenant il me reste parler de ma chre Cline, la petite compagne de mon enfance, mais les souvenirs sont en telle abondance que je ne sais

    lesquels choisir. Je vais extraire quelques passages des lettres que maman vous crivait la Visitation, mais je ne vais pas tout copier, ce serait trop long... Le 10 Juillet 1873 (NHA

    113) (lanne de ma naissance), voici ce quelle vous disait : La nourrice (NHA 114) a amen la petite Thrse Jeudi, elle na fait que rire, ctait surtout la Petite Cline qui lui plaisait, elle riait aux clats avec elle ; on dirait quelle a dj envie de jouer, cela viendra bientt, elle se tient sur ses petites jambes, raide comme un petit piquet. Je crois quelle marchera de bonne heure et quelle aura bon caractre, elle parat trs intelligente et a une bonne figure de prdestine...

    Manuscrit A Folio 7 Recto.

    Mais ce fut surtout aprs ma sortie de nourrice que je montrai mon affection pour ma chre petite Cline. Nous nous entendions trs bien, seulement jtais bien plus vive et bien moins nave quelle ; quoique de trois ans et demi plus jeune, il me semblait que nous tions du mme ge. Voici un passage dune lettre de Maman qui vous montrera combien Cline tait douce et moi mchante Ma petite Cline est tout fait porte la vertu, cest le sentiment intime de son tre, elle a une me candide et a horreur du mal. Pour le petit furet, on ne sait pas trop comment a fera, cest si petit, si tourdi ! Elle est dune intelligence suprieure Cline, mais bien moins douce et surtout dun enttement presque invincible, quand elle dit non rien ne peut la faire cder, on la mettrait une journe dans la cave quelle y coucherait plutt que de dire oui... Elle a cependant un

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    cur dor, elle est bien caressante et bien franche ; cest curieux de la voir courir aprs moi, pour me faire sa confession : Maman, jai pouss Cline quune fois, je lai battue une fois, mais je ne recommencerai plus. (Cest comme cela pour tout ce quelle fait). Jeudi soir nous avons t nous promener du ct de la gare, elle a absolument voulu entrer dans la salle dattente pour aller chercher Pauline, elle courait devant avec une joie qui faisait plaisir, mais quand elle a vu quil fallait sen retourner sans monter en chemin de fer pour aller chercher Pauline, elle a pleur tout le long du chemin. (NHA 115) Cette dernire partie de la lettre me rappelle le bonheur que jprouvais en vous voyant revenir de la Visitation ; vous, ma mre, me preniez sur vos bras et Marie prenait Cline ; alors je vous faisais mille caresses

    Manuscrit A Folio 7 Verso.

    et je me penchais en arrire afin dadmirer votre grande natte... puis vous me donniez une tablette de chocolat que vous aviez garde trois mois. Vous pensez quelle relique ctait pour moi !... Je me rappelle aussi du voyage que jai fait au Mans, (NHA 116) ctait la premire fois que jallais en chemin de fer. Quelle joie de me voir en voyage seule avec Maman... Cependant je ne sais plus pourquoi je me suis mise pleurer et cette pauvre petite Mre na pu prsenter ma tante du Mans (NHA 117) quun vilain petit laideron tout rouge des larmes quil avait rpandues en chemin... Je nai gard aucun souvenir du parloir mais seulement du moment o ma tante ma pass une petite souris blanche et un petit panier en papier bristol rempli de bonbons sur lesquels trnaient deux jolies bagues en sucre, juste de la grosseur de mon doigt ; aussitt je mcriai Quel bonheur ! il y aura une bague pour Cline. Mais, douleur ! je prends mon panier par lanse, je donne lautre main Maman et nous partons ; au bout de quelques pas, je regarde mon panier et je vois que mes bonbons taient presque tous sems dans la rue, comme les pierres du petit Poucet... Je regarde encore de plus prs et je vois quune des prcieuses bagues avait subi le sort fatal des bonbons... Je navais plus rien donner Cline !... alors ma douleur clate, je demande retourner sur mes pas, maman ne semble pas faire attention moi. Cen tait trop, mes larmes succdent mes cris... Je ne pouvais comprendre quelle ne partaget pas ma peine et cela augmentait de beaucoup ma douleur... Maintenant je reviens aux lettres o maman vous parle de Cline et de moi, cest le meilleur moyen que je puisse employer pour vous faire bien connatre mon caractre ; voici un passage o mes dfauts brillent dun vif clat : Voil

    Manuscrit A Folio 8 Recto.

    Cline qui samuse avec la petite au jeu de cubes, elles se disputent de temps en temps, Cline cde pour avoir une perle sa couronne. Je suis oblige de corriger ce pauvre bb qui se met dans des furies pouvantables ; quand les choses ne vont pas son ide, elle se roule par terre comme une dsespre croyant que tout est perdu, il y a des moments o cest plus fort quelle, elle en est suffoque. Cest une enfant bien nerveuse, elle est cependant bien mignonne et trs intelligente, elle se rappelle tout. (NHA 118) Vous voyez, ma Mre, combien jtais loin dtre une petite fille sans dfauts ! On ne pouvait mme pas dire de moi que jtais sage quand je dormais, car la nuit jtais encore plus remuante que le jour, jenvoyais promener toutes les couvertures et puis (tout en dormant) je me donnais des coups contre le bois de mon petit lit ; la douleur me rveillait, alors je disais : Maman, je suis toque... Cette pauvre petite Mre tait oblige de se lever et constatait quen effet javais des bosses au front, que jtais toque ; elle me couvrait bien, puis allait se recoucher ; mais au bout dun moment je recommenais tre toque,

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 7 di 123

    si bien quon fut oblig de mattacher dans mon lit. Tous les soirs, la petite Cline venait nouer les nombreux cordons destins empcher le petit lutin de se toquer et de rveiller sa maman ; ce moyen ayant bien russi, je fus dsormais sage en dormant... Il est un autre dfaut que javais (tant veille) et dont Maman ne parle pas dans ses lettres, ctait un grand amour-propre. Je ne vais vous en donner que deux exemples afin de ne pas rendre

    mon rcit trop long. Un jour Maman me dit : Ma petite Thrse, si tu veux baiser la terre, je vais te donner un sou. Un sou, ctait pour moi toute une richesse ; pour le gagner je navais pas besoin dabaisser ma grandeur car ma petite taille ne mettait pas une grande distance entre moi et la terre, cependant ma fiert se rvolta

    Manuscrit A Folio 8 Verso.

    la pense de baiser la terre, me tenant bien droite, je dis Maman Oh ! non, ma petite Mre, jaime mieux ne pas avoir de sou !... Une autre fois nous devions aller Grogny chez Madame Monnier. Maman dit Marie de me mettre ma jolie robe bleu Ciel, garnie de dentelles, mais de ne pas me laisser les bras nus, afin que le Soleil ne les brunisse pas.

    Je me laissai habiller avec lindiffrence que devaient avoir les enfants de mon ge, mais intrieurement je pensais que jaurais t bien plus gentille avec mes petits bras nus. Avec une nature comme la mienne, si javais t leve par des Parents sans vertu ou mme si comme Cline javais t gte par Louise (NHA 119) je serais devenue bien mchante et peut-tre me serais perdue... Mais Jsus veillait sur sa petite fiance, Il a voulu que tout tournt son bien, mme ses dfauts qui, rprims de bonne heure, lui ont servi grandir dans la perfection,.. Comme javais de lamour-propre et aussi lamour du bien, aussitt que jai commenc penser srieusement (ce que jai fait bien petite) il suffisait quon me dise quune chose ntait pas bien, pour que je naie pas envie de me le faire rpter deux fois... je vois avec plaisir dans les lettres de Maman quen grandissant je lui donnais plus de consolation. Nayant que de bons exemples autour de moi je voulais naturellement les suivre. Voici ce quelle crivait en 1876 Jusqu Thrse qui veut parfois se mler de faire des pratiques. (NHA 120) Cest une charmante enfant, elle est fine comme lombre, trs vive, mais son cur est sensible. Cline et elle saiment beaucoup, elles se suffisent elles deux pour se dsennuyer ; tous les jours aussitt quelles ont dn Cline va prendre son petit coq, elle attrape tout dun coup la poule Thrse, moi je ne puis en venir bout, mais elle est si vive que du premier bond elle la tient ; puis elles arrivent toutes les deux

    avec leurs btes sasseoir au coin du

    Manuscrit A Folio 9 Recto.

    feu et samusent ainsi fort longtemps, (Ctait la petite Rose qui mavait fait cadeau de la poule et du coq, javais donn le coq Cline). Lautre jour Cline avait couch avec moi, Thrse avait couch au second dans le lit Cline ; elle avait suppli Louise de la descendre en bas pour quon lhabille. Louise monte pour la chercher, elle trouve le lit vide. Thrse avait entendu Cline et tait descendue avec elle. Louise lui dit : Tu ne veux donc pas venir en bas thabiller ? Oh non ! ma pauvre Louise, on est comme les deux petites poules, on ne peut pas se sparer ! Et en disant cela elles sembrassaient et se serraient toutes les deux... Puis le soir Louise, Cline et Lonie sont parties au cercle catholique et ont laiss cette pauvre Thrse qui comprenait bien quelle tait trop petite pour y aller, elle disait : Si seulement on veut me coucher dans le lit Cline !... Mais non, on na pas voulu... elle na rien dit et est reste seule avec sa petite lampe, elle dormait un quart dheure aprs dun profond sommeil... (NHA 121) Un autre jour Maman crivait encore : Cline et Thrse sont insparables, on ne peut voir deux

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 8 di 123

    enfants saimer mieux ; quand Marie vient chercher Cline pour faire sa classe, cette pauvre Thrse est tout en larmes. Hlas que va-t-elle devenir, sa petite amie sen va !... Marie en a piti, elle la prend aussi et cette pauvre petite sassied sur une chaise pendant deux ou trois heures ; on lui donne des perles enfiler ou une chiffe coudre, elle nose bouger et pousse souvent de gros soupirs. Quand son aiguille se dsenfile, elle essaie de la renfiler, cest curieux de la voir, ne pouvant y parvenir et nosant dranger Marie ; bientt on voit deux grosses larmes qui coulent sur ses joues... Marie

    Manuscrit A Folio 9 Verso.

    la console bien vite, renfile laiguille et le pauvre petit ange sourit au travers de ses larmes (NHA 122) Je me rappelle quen effet je ne pouvais pas rester sans Cline, jaimais mieux sortir de table avant davoir fini mon dessert que de ne pas la suivre, aussitt quelle se levait. Je me tournais dans ma grande chaise, demandant quon me descende et puis nous allions jouer ensemble ; quelquefois nous allions avec la petite

    prfte, ce qui me plaisait bien cause du parc et de tous les beaux jouets quelle nous montrait, mais ctait plutt afin de faire plaisir Cline que jy allais, aimant mieux rester dans notre petit jardin gratter les murs, car nous enlevions toutes les petites paillettes brillantes qui sy trouvaient et puis nous allions les vendre Papa qui nous les achetait trs srieusement. Le dimanche, comme jtais trop petite pour aller aux offices, Maman restait me garder ; jtais bien sage et ne marchais que sur le bout du pied pendant la messe ; mais aussitt que je voyais la porte souvrir, ctait une explosion de joie sans pareille ; je me prcipitais au-devant de ma jolie petite Sur qui tait alors pare comme une chapelle... (NHA 123) et je lui disais : Oh ! ma petite Cline, donne-moi bien vite du pain bnit ! Parfois elle nen avait pas, tant arrive trop tard... Comment faire alors ? Il tait impossible que je men passe, ctait l ma messe... Le moyen fut bien vite trouv. Tu nas pas de pain bnit, eh bien, fais-en ! Aussitt dit, aussitt fait, Cline prend une chaise, ouvre le placard, attrape le pain, en coupe une bouche et trs srieusement rcite un Ave Maria dessus, puis elle me le prsente et moi, aprs (avoir) fait le signe de la Croix avec, je le mange avec une grande dvotion, lui trouvant tout fait le got du pain bnit...

    Manuscrit A Folio 10 Recto.

    Souvent nous faisions ensemble des confrences spirituelles ; voici un exemple que jemprunte aux lettres de Maman Nos deux chres petites Cline et Thrse sont des anges de bndiction, des petites natures angliques. Thrse fait la joie, le bonheur de Marie et sa gloire, cest incroyable comme elle en est fire. Cest vrai quelle a des rparties bien rares son ge, elle en remontre Cline qui est le double plus ge. Cline disait lautre jour : Comment que cela se fait que le bon Dieu peut tre dans une si petite hostie ?. La petite a dit : Ce nest pas si tonnant puisque le bon Dieu est Tout-puissant. Quest-ce que veut dire Tout-puissant ? Mais cest de faire tout ce quIl veut !... (NHA 124) Un jour Lonie pensant quelle tait trop grande pour jouer la poupe vint nous trouver toutes les deux avec une corbeille remplie de robes et de jolis morceaux destins en faire dautres ; sur le dessus tait couche sa poupe. Tenez mes petites surs, nous dit-elle, choisissez, je vous donne tout cela. Cline avana la main et prit un petit paquet de ganses qui lui plaisait. Aprs un moment de rflexion javanai la main mon tour en disant : Je choisis tout ! et je pris la corbeille sans autre crmonie ; les tmoins de la scne trouvrent la chose trs juste, Cline elle-mme ne songea pas sen plaindre (dailleurs elle ne manquait pas de jouets, son parrain la

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    comblait de cadeaux et Louise trouvait moyen de lui procurer tout ce quelle dsirait). Ce petit trait de mon enfance est le rsum de toute ma vie ; plus tard lorsque la perfection mest apparue, jai compris que pour devenir une sainte il fallait beaucoup souffrir, rechercher toujours le plus parfait et soublier soi-mme ; jai compris quil y avait bien des

    Manuscrit A Folio 10 Verso.

    degrs dans la perfection et que chaque me tait libre de rpondre aux avances de Notre-Seigneur, de faire peu ou beaucoup pour Lui, en un mot de choisir entre les

    sacrifices quIl demande. Alors comme aux jours de ma petite enfance, je me suis crie : Mon Dieu, je choisis tout . Je ne veux pas tre une sainte moiti, cela ne me fait pas peur de souffrir pour vous, je ne crains quune chose cest de garder ma volont, prenez-la, car Je choisis tout ce que vous voulez !... Il faut que je marrte, je ne dois pas encore vous parler de ma jeunesse, mais du petit Lutin de quatre ans. Je me souviens

    dun rve que jai d faire vers cet ge et qui sest profondment grav dans mon imagination. Une nuit, jai rv que je sortais pour aller me promener seule au jardin. Arrive au bas des marches quil fallait monter pour y arriver, je marrtai saisie deffroi. Devant moi, auprs de la tonnelle, se trouvait un baril de chaux et sur ce bariI deux affreux petits diablotins dansaient avec une agilit surprenante malgr des fers repasser quils avaient aux pieds ; tout coup ils jetrent sur moi leurs yeux flamboyants, puis au mme moment, paraissant bien plus effrays que moi, ils se prcipitrent au bas du baril et allrent se cacher dans la lingerie qui se trouvait en face. Les voyant si peu braves je voulus savoir ce quils allaient faire et je mapprochai de la fentre. Les pauvres diablotins taient l, courant sur les tables et ne sachant comment faire pour fuir mon regard ; quelquefois ils sapprochaient de la fentre, regardant dun air inquiet si jtais encore l et me voyant toujours, ils recommenaient courir comme des dsesprs. Sans doute ce rve na rien dextraordinaire, cependant je crois que le Bon Dieu a permis que je men rappelle, afin de me prouver quune me en tat de grce na rien craindre des dmons qui sont des lches, capables de fuir devant le regard dun enfant... Voici encore un passage que je trouve dans les lettres

    Manuscrit A Folio 11 Recto.

    de maman. Dj cette pauvre petite Mre pressentait la fin de son exil : (NHA 125) Les deux petites ne minquitent pas, elles sont si bien toutes les deux, e sont des natures choisies, certainement elles seront bonnes. Marie et toi vous pourrez parfaitement les

    lever. Cline ne fait jamais la plus petite faute volontaire. La petite sera bonne aussi, elle ne mentirait pas pour tout lor du monde, elle a de lesprit comme je nen ai jamais vu aucune de vous (NHA 126) Lautre jour elle tait chez lpicier avec Cline et Louise, elle parlait de ses pratiques et discutait fort avec Cline ; la dame a dit Louise : Quest-ce quelle veut donc dire, quand elle joue dans le jardin on nentend parler que de pratiques ? Madame Gaucherin avance la tte par sa fentre pour tcher de comprendre ce que veut dire ce dbat de pratiques... cette pauvre petite fait notre bonheur, elle sera bonne, on voit dj le germe ; elle ne parle que du bon Dieu, elle ne manquerait pas pour tout faire ses prires. Je voudrais que tu la voies rciter de petites fables, jamais je nai rien vu de si gentil, elle trouve toute seule lexpression quil faut donner et le ton, mais cest surtout quand elle dit : Petit enfant tte blonde, o crois-tu donc quest le bon Dieu ? Quand elle en est : Il est l-haut dans le Ciel bleu elle tourne son regard en haut avec une expression anglique ; on ne se lasse pas de le lui faire dire tant cest beau,

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    il y a quelque chose de si cleste dans son regard quon en est ravi !... (NHA 127) O ma Mre ! Que jtais heureuse cet ge ! Dj je commenais jouir de la vie, la vertu avait pour moi des charmes et jtais, il me semble, dans les mmes dispositions o je me trouve maintenant ayant dj un grand

    Manuscrit A Folio 11 Verso.

    empire sur mes actions. Ah ! comme elles ont pass rapidement les annes ensoleilles de ma petite enfance, mais quelle douce empreinte elles ont laisse en mon me ! e me rappelle avec bonheur les jours o papa nous emmenait au pavillon, (NHA 128) les plus petits dtails se sont gravs dans mon cur... Je me rappelle surtout les promenades du Dimanche o toujours maman nous accompagnait... Je sens encore les impressions profondes et potiques qui naissaient en mon me la vue des champs de bl maills de bluets et de fleurs champtres. Dj jaimais les lointains... Lespace et les sapins gigantesques dont les branches touchaient la terre laissaient en mon cur une impression semblable celle que je ressens encore aujourdhui la vue de la nature... Souvent pendant ces longues promenades nous rencontrions des pauvres et ctait toujours la petite Thrse qui tait charge de leur porter laumne, ce dont elle tait bien heureuse ; mais souvent aussi, Papa trouvant que la route tait trop longue pour sa petite reine, la ramenait plus tt que les autres au logis ( son grand dplaisir.) Alors pour la consoler Cline remplissait de pquerettes son joli petit panier et le lui donnait au retour, mais hlas la pauvre bonne-maman (NHA 129) trouvait que sa petite-fille en avait trop, aussi en prenait-elle une bonne partie pour sa sainte Vierge... Ceci ne plaisait pas la petite Thrse mais elle se gardait bien den rien dire, ayant pris la bonne habitude de ne se plaindre jamais, mme quand on lui enlevait ce qui tait elle, ou bien lorsquelle tait accuse injustement, elle prfrait se taire et ne pas sexcuser, ceci ntait point mrite de sa part, mais vertu naturelle... Quel dommage que cette bonne disposition se soit

    vanouie !...

    Manuscrit A Folio 12 Recto.

    Oh ! vritablement tout me souriait sur la terre : je trouvais des fleurs sous chacun de mes pas et mon heureux caractre contribuait aussi rendre ma vie agrable, mais une nouvelle priode allait commencer pour mon me, je devais passer par le creuset de lpreuve et souffrir ds mon enfance afin de pouvoir tre plus tt offerte Jsus. De mme que les fleurs du printemps commencent germer sous la neige et spanouissent aux premiers rayons du Soleil, ainsi la petite fleur dont jcris les souvenirs a-t-elle d passer par lhiver de lpreuve... Tous les dtails de la maladie de notre mre chrie sont encore prsents mon cur, je me souviens surtout des dernires semaines quelle a passes sur la terre ; nous tions, Cline et moi, comme de pauvres petites exiles, tous les matins. Madame Leriche (NHA 201) venait nous chercher et nous passions la journe chez elle. Un jour, nous navions pas eu le temps de faire notre prire avant de partir et pendant le trajet Cline ma dit tout bas : Faut-il le dire que nous navons pas fait notre prire ? ... Oh ! oui lui ai-je rpondu ; alors bien timidement elle la dit Madame Leriche, celle-ci nous a rpondu Eh bien, mes petites filles, vous allez la faire et puis nous mettant toutes les deux dans une grande chambre elle est partie... Alors Cline ma regarde et nous avons dit : Ah ! ce nest pas comme Maman... toujours elle nous faisait faire notre prire !... En jouant avec les enfants, toujours la pense de notre Mre chrie nous poursuivait ; une fois Cline ayant reu un bel abricot se pencha et me dit tout bas : Nous nallons pas le manger, je vais le donner Maman. Hlas ! cette pauvre petite

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    Mre tait dj trop malade pour manger les fruits de la terre, elle ne devait plus se rassasier quau Ciel de la gloire de Dieu et boire avec Jsus le vin mystrieux dont Il parla dans sa dernire Cne, disant quIl le partagerait avec nous dans le royaume de son Pre. (NHA 202) (Mt 26,29) La crmonie touchante de lextrme-onction sest aussi imprime en mon me ; je vois encore la place o jtais ct de Cline, toutes les cinq nous tions par

    Manuscrit A Folio 12 Verso.

    rang dge et ce pauvre petit Pre tait l aussi qui sanglotait... Le jour ou le lendemain du dpart de Maman, (NHA 203) il me prit dans ses bras en me disant : Viens embrasser une dernire fois ta pauvre petite Mre. Et moi sans rien dire, japprochai mes lvres du front de ma Mre chrie... Je ne me souviens pas davoir beaucoup pleur, je ne parlais personne des sentiments profonds que je ressentais... Je regardais et jcoutais en silence... personne navait le temps de soccuper de moi aussi je voyais bien des choses quon aurait voulu me cacher ; une fois, je me trouvai en face du couvercle du cercueil... je marrtai longtemps le considrer, jamais je nen avais vu, cependant je comprenais... jtais si petite que malgr la taille peu leve de Maman, jtais oblige de lever la tte pour voir le haut et il me paraissait bien grand... bien triste.. . Quinze ans plus tard, je me

    trouvai devant un autre cercueil, celui de Mre Genevive (NHA 204) il tait de la mme grandeur que celui de maman et je me crus encore aux jours de mon enfance !... Tous mes

    souvenirs revinrent en foule, ctait bien la mme petite Thrse qui regardait, mais elle avait grandi et le cercueil lui paraissait petit, elle navait plus besoin de lever Ia tte pour le voir ; elle ne la levait plus que pour contempler le Ciel qui lui paraissait bien joyeux,

    car toutes ses preuves avaient pris fin et lhiver de son me tait pass pour toujours... (Ct 2,10-11) Le jour o lEglise bnit la dpouille mortelle de notre petite Mre du Ciel, le bon Dieu voulut men donner une autre sur la terre et il voulut que je la choisisse librement. Nous tions ensemble toutes les cinq, nous regardant avec tristesse, Louise tait l aussi et voyant Cline et moi, elle dit : Pauvres petites, vous navez plus de Mre !... Alors Cline se jeta dans les bras de Marie disant Eh bien ! cest toi qui seras Maman. Moi, jtais habitue faire

    Manuscrit A Folio 13 Recto.

    comme elle, cependant je me tournai vers vous, ma Mre, et comme si dj lavenir avait dchir son voile, je me jetai dans vos bras en mcriant : Eh bien ! moi, cest Pauline qui sera Maman ! Comme je lai dit plus haut, cest partir de cette poque de ma vie quil me fallut entrer dans la seconde priode de mon existence, la plus douloureuse des trois, surtout depuis lentre au Carmel de celle que javais choisie pour ma seconde Maman. Cette priode stend depuis lage de quatre ans et demi jusqu celui de ma quatorzime anne, poque o je retrouvai mon caractre denfant tout en entrant dans le srieux de la vie. Il faut vous dire, ma Mre, qu partir de la mort de Maman, mon heureux caractre changea compltement ; moi si vive, si expansive, je devins timide et douce, sensible lexcs. Un regard suffisait pour me faire fondre en larmes, il fallait que personne ne soccupt de moi pour que je sois contente, je ne pouvais pas souffrir la compagnie de personnes trangres et ne retrouvais ma gaiet que dans lintimit de la famille... Cependant je continuais tre entoure de la tendresse la plus dlicate. Le cur si tendre de Papa avait joint lamour quil possdait dj un amour vraiment maternel !... Vous, ma Mre, et Marie ntiez-vous pas pour moi les mres les plus tendres, les plus dsintresses ? Ah ! si le Bon Dieu navait pas prodigu ses bienfaisants

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    rayons sa petite fleur, jamais elle naurait pu sacclimater la terre, elle tait encore trop faible pour supporter les pluies et les orages, il lui fallait de la chaleur, une douce rose et des brises printanires ; jamais elle ne manqua de

    Manuscrit A Folio 13 Verso.

    tous ces bienfaits, Jsus les lui fit trouver, mme sous la neige de lpreuve ! Je ne ressentis aucun chagrin en quittant Alenon. Les enfants aiment le changement et ce fut avec plaisir que je vins Lisieux. (NHA 205) (NHA 206) Je me souviens du voyage, de larrive le soir chez ma tante, je vois encore Jeanne et Marie nous attendant la porte... Jtais bien heureuse davoir des petites cousines si gentilles, je les aimais beaucoup ainsi que ma tante et surtout mon oncle, seulement il me faisait peur et je ntais pas mon aise chez lui comme aux Buissonnets, cest l que ma vie tait vritablement heureuse... Ds le matin vous veniez auprs de moi, me demandant si javais donn mon cur au bon Dieu, ensuite vous mhabilliez en me parlant de Lui et puis, vos cts, je faisais ma prire. Aprs venait la leon de lecture, le premier mot que je pus lire seule fut celui-ci : Cieux. Ma chre marraine se chargea des leons dcriture et vous, ma Mre, de toutes les autres ; je navais pas une trs grande facilit pour apprendre mais javais beaucoup de mmoire. Le catchisme et surtout lhistoire sainte avaient mes prfrences, je les tudiais avec joie, mais la grammaire a fait souvent couler mes larmes... Rappelez-vous le masculin et le fminin ! Aussitt que ma classe tait finie, je montais au belvdre portant ma rosette et ma note papa. Que jtais heureuse quand je pouvais lui dire : Jai cinq sans exception, cest Pauline qui la dit la premire... Car lorsque je vous demandais si javais cinq sans exception et que vous me disiez oui, ctait mes yeux un degr de moins ; vous me donniez aussi des bons points, quand jen avais amass un certain nombre, javais une rcompense et un jour de cong. Je me rappelle que ces jours-l

    Manuscrit A Folio 14 Recto.

    me semblaient bien plus longs que les autres, ce qui vous faisait plaisir puisque cela

    montrait que je naimais pas rester sans rien faire. Toutes les aprs-midi, jallais faire une petite promenade avec papa ; nous faisions ensemble notre visite au Saint-Sacrement,

    visitant chaque jour une nouvelle glise, cest ainsi que jentrai pour la premire fois dans la chapelle du Carmel, papa me montra la grille du choeur, me disant que derrire taient des religieuses. Jtais bien loin de me douter que neuf ans plus tard je serais parmi elles !... Aprs la promenade (pendant laquelle papa machetait toujours un petit cadeau dun ou deux sous) je rentrais la maison ; alors je faisais mes devoirs, puis tout le reste du temps, je restais sautiller dans le jardin autour de papa, car je ne savais pas jouer la poupe. Ctait une grande joie pour moi de prparer des tisanes avec des petites graines et des corces darbres que je trouvais par terre, je les portais ensuite papa dans une jolie petite tasse, ce pauvre petit pre quittait son ouvrage et puis en souriant il faisait semblant de boire. Avant de me rendre la tasse il me demandait (comme la drobe) sil fallait en jeter le contenu ; quelquefois je disais oui, mais plus souvent je remportais ma prcieuse tisane, voulant la faire servir plusieurs fois... jaimais cultiver mes petites fleurs dans le jardin que Papa mavait donn ; je mamusais dresser de petits autels dans lenfoncement qui se trouvait au milieu dans le mur ; quand javais fini, Je courais vers Papa et lentranant je lui disais de bien fermer les yeux et de ne les ouvrir quau moment o je lui dirais de le faire, il faisait tout ce que je voulais et se laissait conduire devant mon petit jardin, alors je criais : Papa ouvre les yeux : Il les ouvrait

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 13 di 123

    Manuscrit A Folio 14 Verso

    et sextasiait pour me faire plaisir, admirant ce que je croyais tre un chef doeuvre !... Je ne finirais pas si je voulais raconter mille petits traits de ce genre qui se pressent en foule

    dans ma mmoire... Ah ! comment pourrai-je redire toutes les tendresses que Papa prodiguait sa petite reine ? Il est des choses que le cur sent, mais que la parole et mme la pense ne peuvent arriver rendre... Ils taient pour moi de beaux jours, ceux o mon roi chri memmenait la pche avec lui, jaimais tant la campagne, les fleurs et les oiseaux ! Quelquefois jessayais de pcher avec ma petite ligne, mais je prfrais aller masseoir seule sur lherbe fleurie, alors mes penses taient bien profondes et sans savoir ce que ctait (que) de mditer, mon me se plongeait dans une relle oraison... Jcoutais les bruits lointains... Le murmure du vent et mme la musique indcise des soldats dont le son arrivait jusqu moi mlancolisaient doucement mon cur... La terre me semblait un lieu dexil et je rvais le Ciel... Laprs-midi passait vite, bientt il fallait rentrer aux Buissonnets, mais avant de partir je prenais la collation que javais apporte dans mon petit panier ; la belle tartine de confitures que vous maviez prpare avait chang daspect et au lieu de sa vive couleur je ne voyais plus quune lgre teinte rose, toute vieillie et rentre... alors la terre me semblait encore plus triste et je comprenais quau Ciel seulement la joie serait sans nuages... A propos de nuages, je me souviens quun jour le beau Ciel bleu de la campagne sen couvrit et que bientt lorage se mit gronder, les clairs sillonnaient les nuages sombres et je vis quelque distance tomber le tonnerre ; loin den tre effraye, jtais ravie, il me semblait que le Bon Dieu

    Manuscrit A Folio 15 Recto.

    tait si prs de moi !... Papa ntait pas tout fait aussi content que sa petite reine, non que lorage lui ft peur, mais lherbe et les grandes pquerettes (qui taient plus hautes que moi) tincelaient de pierres prcieuses, il nous fallait traverser plusieurs prairies avant de trouver une route et mon petit pre chri, craignant que les diamants mouillent sa petite fille, la prit malgr son bagage de lignes et lemporta sur son dos. Pendant les promenades que je faisais avec papa, il aimait me faire porter laumne aux pauvres que nous rencontrions ; un jour nous en vmes un qui se tranait pniblement sur des bquilles, je mapprochai pour lui donner un sou, mais ne se trouvant pas assez pauvre pour recevoir laumne, il me regarda en souriant tristement et refusa de prendre ce que je lui offrais. Je ne puis dire ce qui se passa dans mon cur, jaurais voulu le consoler, le soulager ; au lieu de cela je pensais lui avoir fait de la peine, sans doute le pauvre malade devina ma pense, car je le vis se dtourner et me sourire. Papa venait de macheter un gteau, javais bien envie de le lui donner mais je nosai pas, cependant je voulais lui donner quelque chose quil ne puisse me refuser, car je sentais pour lui une sympathie trs grande, alors je me rappelai avoir entendu dire que le jour de la premire communion on obtenait tout ce quon demandait cette pense me consola et bien que je neusse encore que six ans, je me dis : Je prierai pour mon pauvre le jour de ma premire communion. Je tins ma promesse cinq ans plus tard et jespre que le bon Dieu exaua la prire quIl mavait inspire de Lui adresser pour un de ses membres souffrants...

    Manuscrit A Folio 15 Verso

    Jaimais beaucoup le Bon Dieu et je lui donnais bien souvent mon cur en me servant de la petite formule que maman mavait apprise, cependant un jour ou plutt un soir du beau mois de Mai je fis une faute qui vaut bien la peine dtre rapporte, elle me donna un grand sujet de mhumilier et je crois en avoir eu la contrition parfaite. Etant trop petite

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 14 di 123

    pour aller au mois de Marie je restais avec Victoire (NHA 207) et faisais avec elle mes

    dvotions devant mon petit mois de Marie que jarrangeais ma faon ; tout tait si petit : chandeliers et pots de fleurs que deux allumettes-bougies lclairaient parfaitement ; quelquefois Victoire me faisait la surprise de me donner deux petits bouts de rat-de-cave

    mais ctait rare. Un soir tout tait prt pour nous mettre en prire, je lui dis Victoire, voulez-vous commencer le souvenez-vous je vais allumer. Elle fit semblant de commencer, mais elle ne dit rien et me regarda en riant ; moi qui voyais mes prcieuses allumettes se consumer rapidement, je la suppliai de faire la prire, elle continua de se taire ; alors me levant, je me mis lui dire bien haut quelle tait mchante, et sortant de ma douceur habituelle, je frappai du pied de toutes mes forces... Cette pauvre Victoire

    navait plus envie de rire, elle me regarda avec tonnement et me montra du rat-de-cave quelle mavait apport... aprs avoir rpandu des larmes de colre, je versai des larmes dun sincre repentir ayant le ferme propos de ne plus jamais recommencer !... Une autre fois il marriva une autre aventure avec Victoire mais de celle-ci je neus aucun repentir, car je gardai parfaitement mon calme. Je voulais avoir un encrier qui se trouvait sur la

    chemine de la cuisine ; tant trop petite pour le prendre, je demandai bien gentiment Victoire de

    Manuscrit A Folio 16 Recto.

    me le donner, mais elle refusa me disant de monter sur une chaise. Je pris une chaise sans

    rien dire, mais en pensant quelle ntait pas aimable ; voulant le lui faire sentir, je cherchai dans ma petite tte ce qui moffensait le plus, elle mappelait souvent quand elle tait ennuye de moi : petite mioche , ce qui mamusait beaucoup. Alors avant de sauter au bas de ma chaise, je me dtournai avec dignit et je lui dis : Victoire, vous tes une mioche Puis je me sauvai, la laissant mditer la profonde parole que je venais de lui adresser... Le rsultat ne se fit pas attendre, bientt je lentendis qui criait : Mamzelle Mari... Thrasse vient dme dire que jsuis une mioche ! Marie vint et me fit demander pardon, mais je le fis sans contrition, trouvant que puisque Victoire navait pas voulu allonger son grand bras me rendre un petit service elle, mritait le titre de mioche. Cependant elle maimait beaucoup et je laimais bien aussi ; un jour elle me tira dun grand pril o jtais tombe par ma faute. Victoire repassait ayant ct delle un seau avec de leau dedans, moi je la regardais en me balanant (comme mon habitude) sur une chaise, tout coup la chaise me manque et je tombe, non pas par terre, mais dans le fond du seau !... Mes pieds touchaient ma tte et je remplissais le seau comme un petit poulet remplit son oeuf !... Cette pauvre Victoire me regardait avec une surprise extrme, nayant jamais vu pareille chose. Javais bien envie de sortir au plus tt de mon seau, mais impossible, ma prison tait si juste que je ne pouvais pas faire un mouvement. Avec un peu de peine elle me sauva de mon grand pril, mais non pas ma robe et tout le reste quelle fut oblige de me changer, car jtais trempe comme une soupe. Une autre fois je tombai dans la chemine, heureusement le feu ntait

    Manuscrit A Folio 16 Verso.

    pas allum. Victoire neut que le mal de me relever et de secouer la cendre dont jtais remplie. Ctait le mercredi, alors que vous tiez au chant avec Marie, que toutes ces aventures marrivaient. Ce fut aussi un mercredi que Monsieur Ducellier (NHA 208) vint pour faire une visite. Victoire lui ayant dit quil ny avait personne la maison que la petite Thrse, il entra dans la cuisine pour me voir et regarda mes devoirs ; jtais bien fire de recevoir mon confesseur, car peu de temps avant je mtais confesse pour la

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 15 di 123

    premire fois. Quel doux souvenir pour moi !... O ma Mre chrie ! avec quel soin ne maviez-vous pas prpare me disant que ce ntait pas un homme, mais au Bon Dieu, que jallais dire mes pchs ; jen tais vraiment bien convaincue aussi je fis ma confession avec un grand esprit de foi et mme je vous demandai sil ne fallait pas dire Monsieur Ducellier que je laimais de tout mon cur puisque ctait au Bon Dieu que jallais parler en sa personne... Bien instruite de tout ce que je devais dire et faire, jentrai dans le confessionnal et me mis genoux, mais en ouvrant le guichet Monsieur Ducellier ne vit personne, jtais si petite que ma tte se trouvait sous la banquette o lon sappuie les mains, alors il me dit de rester debout ; obissant aussitt, je me levai et me tournant juste en face de lui pour bien le voir, je fis ma confession comme une grande fille et je

    reus sa bndiction avec une grande dvotion, car vous maviez dit qu ce moment les larmes du Petit Jsus allaient purifier mon me. Je me souviens que la premire exhortation qui me fut adresse minvita surtout la dvotion envers la Sainte Vierge et je me promis de redoubler de tendresse pour elle. (NHA 209) En sortant du confessionnal,

    jtais si contente et si lgre que jamais je navais senti autant de joie dans mon

    Manuscrit A Folio 17 Recto.

    me. Depuis je retournai me confesser toutes les grandes ftes et ctait une vraie joie pour moi chaque fois que jy allais. Les ftes !... ah ! que ce mot rappelle de souvenirs !... Les ftes, je les aimais tant !... Vous saviez si bien mexpliquer ma Mre chrie, tous les mystres cachs sous chacune delles que ctaient vraiment pour moi des jours du Ciel. Jaimais surtout les processions du Saint-Sacrement, quelle joie de semer des fleurs sous les pas du Bon Dieu... mais avant de les y laisser tomber je les lanais le plus haut que je pouvais et je ntais jamais aussi heureuse quen voyant mes roses effeuilles toucher lostensoir sacr... Les ftes ! ah ! si les grandes taient rares, chaque semaine en ramenait une bien chre mon cur : Le Dimanche ! Quelle journe que celle du Dimanche !... Ctait la fte du Bon Dieu, la fte du repos. Dabord je restais dans le dodo plus longtemps que les autres jours et puis maman Pauline gtait sa petite fille, lui apportant son chocolat dans son dodo, ensuite elle lhabillait comme une petite reine... Marraine venait friser filleule qui ntait pas toujours gentille quand on lui tirait les cheveux, mais ensuite elle tait bien contente daller prendre la main de son Roi qui, ce jour-l, lembrassait encore plus tendrement qu lordinaire, puis toute la famille partait la Messe. Tout le long du chemin et mme dans lglise, la petite Reine Papa lui donnait la main, sa place tait ct de lui et quand nous tions obligs de descendre pour le sermon il fallait trouver encore deux chaises lune auprs de lautre. Ce ntait pas bien difficile, tout le monde avait lair de trouver cela si gentil de voir un si beau vieillard avec une si petite fille que les personnes se drangeaient pour donner leurs places. Mon oncle qui se trouvait dans les bancs des marguilliers se rjouissait de nous voir arriver, il disait que jtais son petit

    Manuscrit A Folio 17 Verso.

    rayon de Soleil... Moi je ne minquitais gure dtre regarde, coutant bien attentivement les sermons auxquels cependant je ne comprenais pas grandchose ; le premier que je compris et qui me toucha profondment fut un sermon sur la Passion prch par Monsieur Ducellier et depuis je compris tous les autres sermons. Quand le prdicateur parlait de Sainte Thrse, papa se penchait et me disait tout bas : coute bien, ma petite reine, on parle de ta Sainte Patronne Jcoutais bien en effet, mais je regardais papa plus souvent que le prdicateur, sa belle figure me disait tant de choses !. ..

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 16 di 123

    Parfois ses yeux se remplissaient de larmes quil sefforait en vain de retenir, il semblait dj ne plus tenir la terre, tant son me aimait se plonger dans les vrits ternelles... Cependant sa course tait bien loin dtre acheve, de longues annes devaient scouler avant que le beau Ciel souvrt ses yeux ravis et que le Seigneur essuyt les larmes de son bon et fidle serviteur !... (Ap 21,4 Mt 25,21) Mais je reviens ma journe du Dimanche. Cette joyeuse journe qui passait si rapidement avait bien sa teinte de mlancolie. Je me souviens que mon bonheur tait sans mlange jusqua complies, pendant cet office, je pensais que le jour du repos allait finir... que le lendemain il faudrait

    recommencer la vie, travailler, apprendre des leons, et mon cur sentait lexil de la terre... je soupirais aprs le repos ternel du Ciel, le Dimanche sans couchant de la Patrie !... Il nest pas jusquaux promenades que nous faisions avant de rentrer aux Buissonnets qui ne laissaient un sentiment de tristesse dans mon me ; alors la famille ntait plus au complet puisque pour faire plaisir mon Oncle, Papa lui laissait le soir de chaque Dimanche Marie ou Pauline ;

    Manuscrit A Folio 18 Recto.

    seulement jtais bien contente quand je restais aussi. Jaimais mieux cela que dtre invite toute seule parce quon faisait moins attention moi. Mon plus grand plaisir tait dcouter tout ce que mon Oncle disait, mais je naimais pas quil minterroge et javais bien peur quand il me mettait sur un seul de ses genoux en chantant Barbe-bleue dune voix formidable... Ctait avec plaisir que je voyais Papa venir nous chercher. En revenant je regardais les toiles qui scintillaient doucement et cette vue me ravissait... Il y avait surtout un groupe de perles dor que je remarquais avec joie trouvant quil avait la forme dun T (voici peu prs sa forme : *I ) je le faisais voir Papa en lui disant que mon nom tait crit dans le Ciel (Lc 10,20) et puis ne voulant rien voir de la vilaine terre, je lui demandais de me conduire ; alors sans regarder o je posais les pieds, je mettais ma petite tte bien en lair ne me lassant pas de contempler lazur toil !... Que pourrai-je dire des veilles dhiver, surtout de celles du Dimanche ? Ah ! quil mtait doux aprs la partie de damier de masseoir avec Cline sur les genoux de Papa... (NHA 210) De sa belle voix, il chantait des airs remplissant lme de penses profondes... ou bien, nous berant doucement, il rcitait des posies empreintes des vrits ternelles... Ensuite nous montions pour faire la prire en commun et la petite reine tait toute seule auprs de son Roi, nayant qu le regarder pour savoir comment prient les Saints... A la fin, nous venions toutes par rang dge dire bonsoir papa et recevoir un baiser ; la reine venait naturellement la dernire, le roi, pour lembrasser, la

    Manuscrit A Folio 18 Verso.

    prenait par les coudes et celle-ci scriait bien haut : Bonsoir Papa, bonne nuit, dors bien , ctait tous les soirs la mme rptition... Ensuite ma petite maman me prenait entre ses bras et memportait dans le lit de Cline, alors je disais : Pauline, est-ce que jai t bien mignonne aujourdhui ?... Est-ce que les petits anges vont voler autour de moi ? Toujours la rponse tait oui, autrement jaurais pass la nuit tout entire pleurer... Aprs mavoir embrasse ainsi que ma chre marraine, Pauline redescendait et la pauvre petite Thrse restait toute seule dans lobscurit ; elle avait beau se reprsenter les petits anges volant autour delle, la frayeur la gagnait bientt, les tnbres lui faisaient peur, car elle ne voyait pas de son lit les toiles qui scintillaient doucement... Je regarde comme une vraie grce davoir t habitue par vous, ma Mre chrie, surmonter mes frayeurs ; parfois vous menvoyiez seule, le soir, chercher un objet dans une chambre

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 17 di 123

    loigne ; si je navais pas t si bien dirige je serais devenue trs peureuse, au lieu que maintenant je suis vraiment difficile effrayer... Je me demande parfois comment vous avez pu mlever avec tant damour et de dlicatesse sans me gter, car il est vrai que vous ne me passiez pas une seule imperfection, jamais vous ne me faisiez de reproche

    sans sujet, mais jamais vous ne reveniez sur une chose que vous aviez dcide ; je le savais si bien que je naurais pas pu ni voulu faire un pas si vous me laviez dfendu. Papa lui-mme tait oblig de se conformer votre volont, sans le consentement de Pauline je nallais pas me promener et quand Papa me disait de venir je rpondais : Pauline ne veut pas ;

    Manuscrit A Folio 19 Recto.

    alors il venait demander ma grce, quelquefois pour lui faire plaisir Pauline disait oui, mais la petite Thrse voyait bien son air que ce ntait pas de bon cur, elle se mettait pleurer sans accepter de consolations jusqu ce que Pauline dise oui et lembrasse de bon cur ! Lorsque la petite Thrse tait malade, ce qui lui arrivait tous les hivers, (NHA 211) il nest pas possible de dire avec quelle tendresse maternelle elle tait soigne. Pauline la faisait coucher dans son lit (faveur incomparable) et puis elle lui donnait tout ce

    dont elle avait envie. Un jour Pauline tira de dessous le traversin un joli petit couteau elle et le donnant sa petite fille la laissa plonge dans un ravissement qui ne peut se dcrire : Ah ! Pauline, scria-t-elle, tu maimes donc bien que tu te prives pour moi de ton joli petit couteau qui a une toile en nacre ? Mais puisque tu maimes tant, ferais-tu bien le sacrifice de ta montre pour mempcher de mourir ?... Non seulement pour tempcher de mourir, je donnerais ma montre, mais seulement pour te voir bientt gurie jen ferais tout de suite le sacrifice. En coutant ces paroles de Pauline, mon tonnement et ma reconnaissance taient si grands que je ne puis les exprimer... En t javais quelquefois mal au cur. Pauline me soignait encore avec tendresse ; pour mamuser, ce qui tait le meilleur des remdes, elle me promenait en brouette tout autour du jardin et puis, me faisant descendre, elle mettait ma place un joli petit pied de pquerettes quelle promenait avec bien de la prcaution jusqu mon jardin o il prenait place en grande pompe... Ctait Pauline qui recevait toutes mes confidences intimes, qui claircissait tous mes doutes... Une fois je mtonnais de ce que le Bon Dieu ne

    Manuscrit A Folio 19 Verso.

    donne pas une gloire gale dans le Ciel tous les lus, et javais peur que tous ne soient pas heureux ; alors Pauline me dit daller chercher le grand verre Papa et de le mettre ct de mon tout petit d, puis de les remplir deau, ensuite elle me demanda lequel tait le plus plein. Je lui dis quils taient aussi pleins lun que lautre et quil tait impossible de mettre plus deau quils nen pouvaient contenir. Ma Mre chrie me fit alors comprendre quau Ciel le Bon Dieu donnerait ses lus autant de gloire quils en pourraient porter et quainsi le dernier naurait rien envier au premier. Ctait ainsi que mettant ma porte les plus sublimes secrets, Vous saviez, ma Mre, donner mon me la nourriture qui lui tait ncessaire... Avec quelle joie je voyais chaque anne arriver la distribution des prix !... L comme toujours, la justice tait garde et je navais que les rcompenses mrites ; toute seule, debout au milieu de la noble assemble, jcoutais ma sentence lue par le Roi de France et de Navarre le cur me battait bien fort en recevant les prix et la couronne... ctait pour moi comme une image du jugement... Aussitt aprs la distribution, la petite Reine quittait sa robe blanche, puis on se dpchait de la dguiser afin quelle prenne part la grande reprsentation !... Ah ! comme elles taient joyeuses

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 18 di 123

    ces ftes de famille... Comme jtais loin alors en voyant mon Roi chri si radieux, de prvoir les preuves qui devaient le visiter !... Un jour cependant, le Bon Dieu me montra dans une vision vraiment extraordinaire, limage vivante de lpreuve quIl se plaisait nous prparer davance, son calice se remplissant dj. (NHA 212) Papa tait en voyage depuis plusieurs jours, il devait encore sen couler deux

    Manuscrit A Folio 20 Recto.

    avant son retour. Il pouvait tre deux ou trois heures de laprs-midi, le soleil brillait dun vif clat et toute la nature semblait en fte. Je me trouvais seule la fentre dune mansarde donnant sur le grand jardin ; je regardais devant moi, lesprit occup de penses riantes, quand je vis, devant la buanderie qui se trouvait juste en face, un homme vtu absolument comme Papa, ayant la mme taille et la mme dmarche, seulement il tait beaucoup plus courb... Sa tte tait couverte dune espce de tablier de couleur indcise en sorte que je ne pus voir son visage. Il portait un chapeau semblable ceux de Papa. Je le vis savancer dun pas rgulier, longeant mon petit jardin... Aussitt un sentiment de frayeur surnaturelle envahit mon me, mais en un instant je rflchis que sans doute Papa tait de retour et quil se cachait afin de me surprendre ; alors jappelai bien haut dune voix tremblante dmotion : Papa, Papa !... Mais le mystrieux personnage ne paraissant pas mentendre, continua sa marche rgulire sans mme se dtourner ; le suivant des yeux, je le vis se diriger vers le bosquet qui coupait la grande alle en deux, je mattendais le voir reparatre de lautre ct des grands arbres, mais la vision prophtique stait vanouie !.. . Tout ceci ne dura quun instant, mais se grava si profondment en mon cur quaujourdhui, aprs onze ans... le souvenir men est aussi prsent que si la vision tait encore devant mes yeux... Marie tait avec vous, ma Mre, dans une chambre communiquant avec celle o je me trouvais ; mentendant appeler Papa, elle ressentit une impression de frayeur,... sentant, ma-t-elle dit depuis, quil devait se passer quelque chose dextraordinaire ; sans me laisser voir son motion elle accourut auprs de moi, me demandant ce qui me prenait dappeler Papa qui tait Alenon ; je

    Manuscrit A Folio 20 Verso.

    racontai alors ce que je venais de voir. Pour me rassurer, Marie me dit que ctait sans doute Victoire qui pour me faire peur stait cach la tte avec son tablier, mais interroge, Victoire assura navoir pas quitt sa cuisine ; dailleurs, jtais bien sre davoir vu un homme et que cet homme avait la tournure de Papa, alors nous allmes toutes les trois derrire le massif darbres, mais nayant trouv aucune marque indiquant le passage de quelquun, vous mavez dit de ne plus penser cela... Ne plus y penser ntait pas en mon pouvoir, bien souvent mon imagination me reprsenta la scne mystrieuse que javais vue... bien souvent jai cherch lever le voile qui men drobait le sens, car jen gardai au fond du cur la conviction intime, cette vision avait un sens qui devait mtre rvl un jour... Ce jour sest fait longtemps attendre mais aprs quatorze ans le Bon Dieu a lui-mme dchir le voile mystrieux. Etant en licence avec Sur Marie du Sacr-Cur (NHA 213) nous parlions comme toujours des choses de lautre vie et de nos souvenirs denfance, quand je lui rappelai la vision que javais eue lage de six sept ans ; tout coup, en rapportant les dtails de cette scne trange, nous comprmes en mme temps ce quelle signifiait... Ctait bien Papa que javais vu, savanant courb par lge... Ctait bien lui, portant sur son visage vnrable, sur sa tte blanchie, le signe de sa glorieuse preuve... (NHA 214) Comme la Face Adorable de Jsus qui fut voile pendant sa passion, (Lc 22,64 Mt 25,21) ainsi la face de son fidle serviteur devait tre

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 19 di 123

    voile aux jours de ses douleurs, afin de pouvoir rayonner dans la Cleste Patrie auprs de son Seigneur, le Verbe Eternel... (Jn 1,1) Cest du sein de cette gloire ineffable, alors quil rgnait dans le Ciel, que notre Pre chri nous a obtenu la grce de comprendre la vision

    Manuscrit A Folio 21 Recto.

    que sa petite reine avait eue un ge o lillusion nest pas craindre. Cest du sein de la gloire quil nous a obtenu cette douce consolation de comprendre que dix avant notre grande preuve le Bon Dieu nous la montrait dj, comme un Pre fait entrevoir ses enfants lavenir glorieux quil leur prpare et se complat considrer davance les richesses sans prix qui doivent tre leur partage... Ah ! pourquoi est-ce moi que le Bon Dieu a donn cette lumire ? Pourquoi a-t-il montr une enfant si petite une chose quelle ne pouvait comprendre, une chose qui, si elle lavait comprise, laurait fait mourir de douleur, pourquoi ?... Cest l un de ces mystres que sans doute nous comprendrons dans le Ciel et qui fera notre ternelle admiration !... Que le Bon Dieu est bon !... comme il proportionne les preuves aux forces quIl nous donne. Jamais, comme je viens de le dire, je naurais pu supporter mme la pense des peines amres que lavenir me rservait... Je ne pouvais pas mme penser sans frmir que Papa pouvait mourir... Une fois il tait mont sur le haut dune chelle et comme je restais juste dessous il me cria : Eloigne-toi pauptit, si je tombe je vais tcraser. En entendant cela, je ressentis une rvolte intrieure, au lieu de mloigner je me collai contre lchelle en pensant : Au moins si Papa tombe, je ne vais pas avoir la douleur de le voir mourir, puisque je vais

    mourir avec lui ! Je ne puis dire ce que jaimais Papa, tout en lui me causait de ladmiration ; quand il mexpliquait ses penses (comme si javais t une grande fille) je lui disais navement que, bien sr, sil disait

    Manuscrit A Folio 21 Verso.

    tout cela aux grands hommes du gouvernement, ils le prendraient pour le faire Roi et

    qualors la France serait heureuse comme elle ne lavait jamais t... Mais dans le fond jtais contente (et me le reprochais comme pense dgosme) quil ny ait que moi bien connatre Papa, car sil tait devenu Roi de France et de Navarre je savais quil aurait t malheureux puisque cest le sort de tous les monarques et surtout il naurait plus t mon Roi moi toute seule !.. . Javais six ou sept ans lorsque Papa nous conduisit Trouville. (NHA 215) Jamais je noublierai limpression que me fit la mer, je ne pouvais mempcher de la regarder sans cesse ; sa majest, le mugissement de ses flots, tout parlait mon me de la Grandeur et de la Puissance du Bon Dieu. Je me rappelle que pendant la promenade que nous faisions sur la plage, un Monsieurr et une Dame me

    regardrent courant joyeusement autour de Papa et sapprochant, ils lui demandrent si jtais lui, et dirent que jtais une bien gentille petite fille. Papa Peur rpondit que oui, mais je maperus quil leur fit signe de ne pas me faire de compliments... Ctait la premire fois que jentendais dire que jtais gentille, cela me fit bien plaisir, car je ne le croyais pas ; vous faisiez une si grande attention, ma Mre chrie, ne laisser auprs de moi aucune chose qui pt ternir mon innocence, ne me laisser surtout entendre aucune parole capable de faire glisser la vanit dans mon cur. Comme je ne faisais attention qu vos paroles et celles de Marie (et jamais vous ne maviez adress un seul compliment), je nattachai pas beaucoup dimportance aux paroles et aux regards admiratifs de la dame.

    Manuscrit A Folio 22 Recto.

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 20 di 123

    Le soir, lheure o le soleil semble se baigner dans limmensit des flots laissant devant lui un rayon lumineux, jallai masseoir toute seule sur un rocher avec Pauline... Alors je me rappelai la touchante histoire Du sillon dor !... (NHA 216) Je contemplai longtemps ce sillon lumineux, image de la grce illuminant le chemin que doit parcourir le petit vaisseau la gracieuse voile blanche... Prs de Pauline, je pris la rsolution de ne jamais loigner mon me du regard de Jsus, afin quelle vogue en paix vers la Patrie des Cieux !... Ma vie scoulait tranquille et heureuse, laffection dont jtais entoure aux Buissonnets me faisait pour ainsi dire grandir, mais jtais sans doute assez grande pour commencer lutter, pour commencer connatre le monde et les misres dont il est rempli... Javais huit ans et demi lorsque Lonie sortit de pension et je la remplaai lAbbaye. (NHA 301) Jai souvent entendu dire que le temps pass au pensionnat est le meilleur et le plus doux de la vie, il nen fut pas ainsi pour moi, les cinq annes que jy passai furent les plus tristes de ma vie ; si je navais pas eu avec moi ma Cline chrie, je naurais pas pu y rester un seul mois sans tomber malade... La pauvre petite fleur avait t habitue plonger ses fragiles racines dans une terre choisie, faite exprs pour elle, aussi lui sembla-t-il bien dur de se voir au milieu de fleurs de toute espce, aux racines souvent bien peu dlicates, et dtre oblige de trouver dans une terre commune le suc ncessaire sa subsistance !... Vous maviez si bien instruite, ma Mre chrie, uen arrivant en pension jtais la plus avance des enfants de mon ge ; je fus place dans

    Manuscrit A Folio 22 Verso.

    une classe dlves toutes plus grandes que moi, lune delles ge de treize quatorze ans tait peu intelligente, mais savait cependant en imposer aux lves et mme aux matresses. Me voyant si jeune, presque toujours la premire de ma classe et chrie de toutes les religieuses, elle en prouva sans doute une jalousie bien pardonnable une pensionnaire et me fit payer de mille manires mes petits succs... Avec ma nature timide et dlicate, je ne savais pas me dfendre et me contentais de pleurer sans rien dire, ne me plaignant pas mme vous de ce que je souffrais, mais je navais pas assez de vertu pour mlever au-dessus de ces misres de la vie et mon pauvre petit cur souffrit beaucoup... Heureusement chaque soir je retrouvais le foyer paternel, alors mon cur spanouissait, je sautais sur les genoux de mon Roi, lui disant les notes qui mavaient t donnes et son baiser me faisait oublier toutes mes peines... Avec quelle joie jannonai le rsultat de ma premire composition (une composition dHistoire Sainte), un seul point me manquait pour avoir le maximum, nayant pas su le nom du pre de Mose. Jtais donc la premire et japportais une belle dcoration dargent. Pour me rcompenser Papa me donna une jolie petite pice de quatre sous que je plaai dans une bote et qui fut destine recevoir presque chaque Jeudi une nouvelle pice, toujours de mme grandeur... (ctait dans cette bote que jallais puiser quand certaines grandes ftes je voulais faire une aumne de ma bourse la qute, soit pour la propagation de la Foi ou autres oeuvres semblables). Pauline, ravie du succs de sa petite lve, Iui fit cadeau dun

    Manuscrit A Folio 23 Recto.

    joli cerceau pour lencourager continuer dtre bien studieuse. La pauvre petite avait un rel besoin de ces joies de la famille, sans elles, la vie de pension lui aurait t trop dure. Laprs-midi de chaque Jeudi ctait cong, mais ce ntait pas comme les congs de Pauline, je ntais pas dans le belvdre avec Papa... Il fallait jouer non pas avec ma Cline, ce qui me plaisait quand jtais toute seule avec elle, mais avec mes petites cousines et les petites Maudelonde, (NHA 302) ctait pour moi une vraie peine, ne

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    sachant pas jouer comme les autres enfants, je ntais pas une compagne agrable, cependant je faisais de mon mieux pour imiter les autres sans y russir et je mennuyais beaucoup, surtout quand il fallait passer toute une aprs-midi danser des quadrilles. La seule chose qui me plaisait ctait daller au jardin de ltoile, alors jtais la premire partout, cueillant les fleurs profusion et sachant trouver les plus jolies jexcitais lenvie de mes petites compagnes... Ce qui me plaisait encore ctait lorsque par hasard jtais seule avec la petite Marie, nayant plus Cline Maudelonde pour lentraner des jeux ordinaires, elle me laissait libre de choisir et je choisissais un jeu tout fait nouveau. Marie et Thrse devenaient deux solitaires nayant quune pauvre cabane, un petit champ de bl et quelques lgumes cultiver. Leur vie se passait dans une contemplation continuelle, cest--dire que lun des solitaires remplaait lautre loraison lorsquil fallait soccuper de la vie active. Tout se faisait avec une entente, un silence et des manires si religieuses que ctait parfait. Lorsque ma Tante venait nous chercher pour la promenade, notre jeu continuait mme dans la rue. Les deux solitaires rcitaient

    Manuscrit A Folio 23 Verso.

    ensemble le chapelet, se servant de leurs doigts afin de ne pas montrer leur dvotion lindiscret public, cependant un jour le plus jeune solitaire soublia : ayant reu un gteau pour sa collation, il fit avant de le manger, un grand signe de croix, ce qui fit rire tous les

    profanes du sicle... Marie et moi tions toujours du mme avis, nous avions si bien les mmes gots quune fois notre union de volont passa les bornes. Revenant un soir de lAbbaye, je dis Marie : Conduis-moi, je vais fermer les yeux. Je veux les fermer aussi, me rpondit-elle. Aussitt dit, aussitt fait, sans discuter chacune fit sa volont... Nous tions sur un trottoir, il ny avait pas craindre les voitures ; aprs une agrable promenade de quelques minutes, ayant savour les dlices de marcher sans y voir, les deux petites tourdies tombrent ensemble sur des caisses poses la porte dun magasin, ou plutt elles les firent tomber, le marchand sortit tout en colre pour relever sa marchandise, les deux aveugles volontaires staient bien releves toutes seules et marchaient grands pas, les yeux grands ouverts, coutant les justes reproches de Jeanne qui tait aussi fche que le marchand !... Aussi pour nous punir, elle rsolut de nous sparer et depuis ce jour Marie et Cline allrent ensemble pendant que je fis route avec Jeanne. Cela mit fin notre trop grande union de volont et ce ne fut pas un mal pour les anes qui au contraire ntaient jamais du mme avis et se disputaient tout au long du chemin. La paix fut ainsi complte. Je nai rien dit encore de mes rapports intimes avec Cline, ah !

    Manuscrit A Folio 24 Recto.

    sil me fallait tout raconter, je ne pourrais finir... A Lisieux les rles avaient chang, ctait Cline qui tait devenue un malin petit lutin et Thrse ntait plus quune petite fille bien douce mais peureuse lexcs,.. Cela nempchait pas que Cline et Thrse saimaient de plus en plus ; parfois il y avait quelques petites discussions mais ce ntait pas grave et dans le fond elles taient toujours du mme avis. Je puis dire que jamais ma petite sur chrie ne ma fait de peine, mais quelle a t pour moi comme un rayon de soleil, me rjouissant et me consolant toujours... Elle prenait tant de soin de ma sant que cela mennuyait quelquefois. Ce qui ne mennuyait pas ctait de la regarder samuser ; elle rangeait toute la troupe de nos petites poupes et leur faisait la classe comme une habile matresse, seulement elle avait le soin que ses filles soient toujours sages au lieu que les miennes taient souvent mises la porte cause de leur mauvaise conduite... Elle

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 22 di 123

    me disait toutes les choses nouvelles quelle venait dapprendre dans sa classe, ce qui mamusait beaucoup, et je la regardais comme un puits de science, javais reu le titre de petite fille Cline , aussi quand elle tait fche contre moi, sa plus grande marque de mcontentement tait de me dire : Tu nes plus ma petite fille, cest fini, je men rappellerai toujours... Alors je navais plus qu pleurer comme une Madeleine, la suppliant de me regarder encore comme sa petite fille, bientt elle membrassait et me promettait de ne plus se rappeler de rien !... Pour me consoler elle prenait une de ses

    poupes et lui

    Manuscrit A Folio 24 Verso.

    disait : Ma chrie, embrasse ta tante. Une fois la poupe fut si empresse de membrasser tendrement quelle me passa ses deux petits bras dans le nez... Cline qui ne lavait pas fait exprs me regardait stupfaite, la poupe pendue au nez ; la tante ne fut pas longtemps repousser les treintes trop tendres de sa nice et se mit rire de tout son cur dune aussi singulire aventure. Le plus amusant tait de nous voir acheter nos trennes, ensemble au bazar, nous nous cachions soigneusement lune de lautre. Ayant dix sous dpenser il nous fallait au moins cinq ou six objets diffrents, ctait laquelle achterait les plus belles choses. Ravies de nos emplettes, nous attendions avec impatience le premier jour de lan afin de pouvoir nous offrir nos magnifiques cadeaux. Celle qui se rveillait avant lautre sempressait de lui souhaiter la bonne anne, ensuite on se donnait les trsors : et chacune sextasiait sur les trsors donns pour dix sous !... Ces petits cadeaux nous faisaient presque autant de plaisir que les belles trennes de mon oncle, dailleurs ce ntait que le commencement des joies. Ce jour-l nous tions vite habilles et chacune se tenait au guet pour sauter au cou de Papa ; ds quil sortait de sa chambre, ctaient des cris de joie dans toute la maison et ce pauvre petit pre paraissait heureux de nous voir si contentes... les trennes que Marie et Pauline donnaient leur petites filles navaient pas une grande valeur mais elles leur donnaient aussi une grande joie... Ah ! qu cet ge nous ntions pas blases, notre me dans toute sa fracheur spanouissait comme une fleur heureuse de recevoir la rose du matin... le mme souffle faisait balancer nos corolles et ce qui faisait de la joie

    Manuscrit A Folio 25 Recto.

    lune en faisait en mme temps lautre. Oui nos joies taient communes, je lai bien senti au beau jour de la premire Communion de ma Cline chrie. Je nallais pas encore lAbbaye nayant que sept ans mais jai conserv en mon cur le trs doux souvenir de la prparation que vous, ma Mre chrie avez fait faire Cline ; chaque soir vous la preniez sur vos genoux et lui parliez de la grande action quelle allait faire ; moi jcoutais avide de me prparer aussi, mais bien souvent vous me disiez de men aller parce que jtais trop petite, alors mon cur tait bien gros et je pensais que ce ntait pas trop de quatre annes pour se prparer recevoir le Bon Dieu... Un soir, je vous entendis qui disiez qu partir de la premire Communion, il fallait commencer une nouvelle vie, aussitt je rsolus de ne pas attendre ce jour-l mais den commencer une en mme temps que Cline... Jamais je navais autant senti que je laimais comme je le sentis pendant sa retraite de trois jours ; pour la premire fois de ma vie, jtais loin delle, e ne couchais pas dans son lit... Le premier jour, ayant oubli quelle nallait pas revenir, javais gard un petit bouquet de cerises que Papa mavait achet pour le manger avec elle, ne la voyant pas arriver jeus bien du chagrin. Papa me consola en me disant quil me conduirait lAbbaye le lendemain pour voir ma Cline et que je lui donnerais un autre bouquet de

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    cerises !... Le jour de la premire communion de Cline me laissa une impression semblable celle de la mienne ; en me rveillant le matin toute seule dans le grand lit, je me sentis inonde de joie. Cest aujourdhui !... Le grand jour est arriv... je ne me lassais pas de

    Manuscrit A Folio 25 Verso.

    rpter ces paroles. Il me semblait que ctait moi qui allais faire ma premire Communion. Je crois que jai reu de grandes grces ce jour-l et je le considre comme un des plus beaux de ma vie... Je suis retourne un peu en arrire pour rappeler ce dlicieux et doux souvenir, maintenant je dois parler de la douloureuse preuve qui vint briser le cur de la petite Thrse, lorsque Jsus lui ravit sa chre maman, sa Pauline si tendrement aime !... Un jour, javais dit Pauline que je voudrais tre solitaire, men aller avec elle dans un dsert lointain, elle mavait rpondu que mon dsir tait le sien et quelle attendrait que je sois assez grande pour partir. Sans doute ceci ntait pas dit srieusement, mais la petite Thrse lavait pris au srieux ; aussi quelle ne fut pas sa douleur dentendre un jour sa chre Pauline parler avec Marie de son entre prochaine au Carmel... je ne savais pas ce qutait le Carmel, mais je comprenais que Pauline allait me quitter pour entrer dans un couvent, je comprenais quelle ne mattendrait pas et que jallais perdre ma seconde Mre... Ah ! Comment pourrais-je dire langoisse de mon cur ? En un instant je compris ce qutait la vie ; jusqualors je ne lavais pas vue si triste mais elle mapparut dans toute sa ralit, je vis quelle ntait quune souffrance et quune sparation continuelle. Je versais des larmes bien amres, car je ne comprenais pas encore la joie du sacrifice, jtais faible, si faible que je regarde comme une grande grce davoir pu supporter une preuve qui semblait tre bien au dessus de mes forces !... Si javais appris tout doucement le dpart de ma Pauline chrie, je naurais peut-tre pas autant souffert mais

    Manuscrit A Folio 26 Recto.

    layant appris par surprise, ce fut comme si un glaive stait enfonc dans mon cur... (Lc 2,35) Je me souviendrai ma Mre chrie, avec quelle tendresse vous mavez console... Puis vous mavez expliqu la vie du Carmel qui me sembla bien belle ! En repassant dans mon esprit tout ce que vous mavez dit, je sentis que le Carmel tait le dsert o le Bon Dieu voulait que jaille aussi me cacher... je le sentis avec tant de force quil ny eut pas le moindre doute dans mon cur ; ce ntait pas un rve denfant qui se laisse entraner, mais la certitude dun appel Divin ; je voulais aller au Carmel non pour Pauline mais pour Jsus seul... Je pensais beaucoup de choses que les paroles ne peuvent rendre, mais qui laissrent une grande paix dans mon me. Le lendemain je confiai mon secret Pauline qui regardant mes dsirs comme la volont du Ciel, me dit que bientt jirais avec elle voir la Mre Prieure du Carmel et quil faudrait lui dire ce que le Bon Dieu me faisait sentir... Un Dimanche fut choisi pour cette solennelle visite, mon embarras fut grand

    quand jappris que Marie G. (NHA 203) devait rester avec moi, tant encore assez petite pour voir les carmlites ; il fallait cependant que je trouve le moyen de rester seule, voici ce qui me vint la pense : je dis Marie quayant le privilge de voir la Mre Prieure, il fallait tre bien gentilles et trs polies, pour cela nous devions lui confier nos secrets, donc chacune notre tour il fallait sortir un moment et laisser lautre toute seule. Marie me crut sur parole et malgr sa rpugnance confier des secrets quelle navait pas, nous restmes seules, lune aprs lautre, auprs de notre Mre.

    Manuscrit A Folio 26 Verso.

  • THERESE DE LISIEUX - Histoire dune me pag. 24 di 123

    Ayant entendu mes grandes confidences Mre Marie de Gonzague crut ma vocation, mais elle me dit quon ne recevait pas de postulantes de neuf ans et quil faudrait attendre mes seize ans... Je me rsignai malgr mon vif dsir dentrer le plus tt possible et de faire ma premire Communion le jour de la prise dHabit de Pauline... Ce fut ce jour-l que je reus des compliments pour la seconde fois. Sur Thrse de Saint Augustin tant venue me voir, ne se lassait pas de dire que jtais gentille... je ne comptais pas venir au Carmel pour recevoir des louanges, aussi aprs le parloir, je ne cessai de rpter au Bon Dieu que ctait pour Lui tout seul que je voulais tre carmlite. Je tchai de bien profiter de ma Pauline chrie pendant les quelques semaines quelle resta encore dans le monde ; chaque jour, Cline et moi lui achetions un gteau et des bonbons, pensant que bientt elle nen mangerait plus ; nous tions toujours ses cts ne lui laissant pas une minute de repos. Enfin le 2 Octobre arriva, jour de larmes et de bndictions o Jsus cueillit la premire de ses fleurs, qui devait tre la mre de celles qui viendraient la rejoindre peu dannes aprs. Je vois encore la place o je reus le dernier baiser de Pauline, ensuite ma Tante nous emmena toutes la messe pendant que Papa allait sur la montagne du Carmel offrir son premier sacrifice... Toute la famille tait en larmes en sorte que nous voyant entrer dans lglise les personnes nous regardaient avec tonnement, mais cela mtait bien gal et ne mempchait pas de pleurer, je crois que si tout avait croul autour de moi je ny aurais fait aucune attention, je regardais le beau Ciel bleu et je mtonnais que le Soleil puisse luire avec

    Manuscrit A Folio 27 Recto.

    autant dclat, alors que mon me tait inonde de tristesse !... Peut-tre, ma Mre chrie, trouvez-vous que jexagre la peine que jai ressentie ?... Je me rends bien compte quelle naurait pas d tre aussi grande, puisque javais lespoir de vous retrouver au Carmel ; mais mon me tait loin dtre mrie, je devais passer par bien des creusets avant datteindre le terme tant dsir... Le 2 Octobre tait le jour fix pour la r