4
L’inflation : mesures et enjeux (1 ère partie) L’inflation, élément central pour la détermination du taux du livret A, est, plus généralement, au cœur des politiques économiques. C’est un élément important de la variation du pouvoir d’achat des ménages et les banquiers centraux positionnent leur politique monétaire en fonction de son évolution anticipée. Qu’est-ce que l’inflation ? L’inflation correspond à une situation de hausse généralisée des prix entre deux dates, le plus souvent sur une période d’un an. En France, les statistiques de prix sont calculées mensuellement par l’Insee et l’indice servant de référence au calcul de l’inflation est l’indice des prix à la consommation (IPC). L’IPC est une mesure synthétique des prix basée sur la structure de consommation moyenne en France. Cet indice permet d’apprécier et d’identifier les sources de tensions inflationnistes dans l’économie et, ainsi, de mieux appréhender les risques. L’inflation dite « sous-jacente » est souvent utilisée car elle est plus représentative des tendances de fond : les éléments très volatils (énergie, alimentation, …) et les prix soumis à l’intervention de l’Etat (électricité, tabac, …) sont mis à part et les mesures fiscales sont neutralisées. Si l’IPC est la principale référence pour le calcul de l’inflation en France, il ne reflète pour autant pas la hausse des prix ressentie par chacun. En effet, chaque personne consomme des biens différents dans des proportions différentes et sur des lieux de vente différents (cf. graphique 1). Les disparités géographiques tout comme les différents modes de consommation sont imparfaitement pris en compte par l’IPC. La mesure des prix par l’IPC implique, par exemple, que les ménages français consomment en moyenne 2 % de leur budget en tabac et 8 % en produits énergétiques. Pour permettre à chacun de prendre en compte les particularités de son budget, l’Insee a toutefois créé un simulateur personnalisé (disponible sur son site internet). Graphique 1 : Répartition de la consommation moyenne en France (poids affectés pour le calcul de l’IPC) Source : INSEE Energie 8% Tabac 2% Produits manuf. 31% Services 43% Alimentation 16% > Le saviez-vous ? - En juin 2013, l’indice des prix à la consommation (IPC) est en hausse de 0,2 % sur le mois et de 0,9 % sur un an (après 0,8 % en mai). L’indice hors tabac croît de 0,8 % sur un an (utilisé dans la formule de calcul du taux de livret A). L’inflation sous-jacente n’est que de 0,3% sur un an (après 0,5 %), le niveau le plus bas depuis que la série existe (calculée depuis 1990). - Les prix qui augmentent le plus sur un an sont ceux de l’énergie (1,7 %) et de l’alimentation (1,8 %) ; ce sont aussi les plus volatils. Les prix des services augmentent plus modérément (1 %) et, au contraire, les biens manufacturés coûtent de moins en moins chers (-0,4 %). D’ailleurs, l’Insee s’attend à une baisse des prix dans ce secteur toute l’année à cause du faible niveau d’utilisation des facteurs de production et du chômage élevé. 39 JUILLET 2013

L’inflation : mesures et enjeux (1 partie) · évolution de la masse monétaire et inflation. La banque centrale américaine la Réserve Fédérale– – l’a d’ailleurs

  • Upload
    hahuong

  • View
    214

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

L’inflation : mesures et enjeux (1ère partie)L’inflation, élément central pour la détermination du taux du livret A, est, plus généralement, au cœur des politiques économiques. C’est un élément important de la variation du pouvoir d’achat des ménages et les banquiers centraux positionnent leur politique monétaire en fonction de son évolution anticipée.

Qu’est-ce que l’inflation ?

L’inflation correspond à une situation de hausse généralisée des prix entre deux dates, le plus souvent sur une période d’un an. En France, les statistiques de prix sont calculées mensuellement par l’Insee et l’indice servant de référence au calcul de l’inflation est l’indice des prix à la consommation (IPC). L’IPC est une mesure synthétique des prix basée sur la structure de consommation moyenne en France.

Cet indice permet d’apprécier et d’identifier les sources de tensions inflationnistes dans l’économie et, ainsi, de mieux appréhender les risques. L’inflation dite « sous-jacente » est souvent utilisée car elle est plus représentative des tendances de fond : les éléments très volatils (énergie, alimentation, …) et les prix soumis à l’intervention de l’Etat (électricité, tabac, …) sont mis à part et les mesures fiscales sont neutralisées.

Si l’IPC est la principale référence pour le calcul de l’inflation en France, il ne reflète pour autant pas la hausse des prix ressentie par chacun. En effet, chaque personne consomme des biens différents dans des proportions différentes et sur des lieux de vente différents (cf. graphique 1). Les disparités géographiques tout comme

les différents modes de consommation sont imparfaitement pris en compte par l’IPC. La mesure des prix par l’IPC implique, par exemple, que les ménages français consomment en moyenne 2 % de leur budget en tabac et 8 % en produits énergétiques. Pour permettre à chacun de prendre en compte les particularités de son budget, l’Insee a toutefois créé un simulateur personnalisé (disponible sur son site internet).

Graphique 1 : Répartition de la consommation moyenne en France (poids affectés pour le calcul de l’IPC)

Source : INSEE

Energie8%

Tabac2%

Produits manuf.31%

Services43%

Alimentation16%

> Le saviez-vous ? - En juin 2013, l’indice des prix à la consommation (IPC) est en hausse de 0,2 % sur le mois et de 0,9 % sur un an (après 0,8 % en mai). L’indice hors tabac croît de 0,8 % sur un an (utilisé dans la formule de calcul du taux de livret A). L’inflation sous-jacente n’est que de 0,3% sur un an (après 0,5 %), le niveau le plus bas depuis que la série existe (calculée depuis 1990). - Les prix qui augmentent le plus sur un an sont ceux de l’énergie (1,7 %) et de l’alimentation (1,8 %) ; ce sont aussi les plus volatils. Les prix des services augmentent plus modérément (1 %) et, au contraire, les biens manufacturés coûtent de moins en moins chers (-0,4 %). D’ailleurs, l’Insee s’attend à une baisse des prix dans ce secteur toute l’année à cause du faible niveau d’utilisation des facteurs de production et du chômage élevé.

39 JUILLET 2013

L’introduction de l’euro a amené une flambée des prix : une idée reçue

Depuis 1999, la politique monétaire en France est passée du contrôle de la Banque de France à celui de la BCE. Le mandat de la BCE, défini par le traité de Maastricht, est centré sur la maîtrise de l’inflation. Dans ce cadre, la BCE a adopté une cible d’inflation, d’abord « entre 0 % et 2 % », puis « proche mais inférieure à 2 % », car l’expérience japonaise a mis en évidence les dangers de la déflation. Pour cela, la BCE fixe les taux d’intérêt directeurs auxquels elle refinance les banques et gère la liquidité disponible grâce à différents instruments : opérations d’open market, facilité de prêt marginal, facilité de dépôt et réserves obligatoires.

Durant les premières années du mandat de la BCE, l’inflation a été modérée et stable. La BCE, avec sa ligne directrice claire, son indépendance forte et ses statuts inspirés de la Bundesbank, a acquis une forte crédibilité. De janvier 1999 à décembre 2012, l’inflation a ainsi été en moyenne de 2 % en zone euro et de 1,7 % en France.

La période récente : crise, inflation modérée et vigilance de la BCE

La crise financière de 2008-09 puis la crise des dettes souveraines ont favorisé un contexte de faible inflation. En effet, l’affaiblissement de la croissance économique mondiale et l’ouverture de l’ « output gap » – insuffisance de la demande de biens et services pour satisfaire l’offre structurelle – ont réduit les tensions inflationnistes liées au cycle économique. Dans ce cadre, seuls les chocs externes (dépréciation du taux de change, hausse du prix des matières premières) ou fiscaux ont été susceptibles de générer des hausses de prix.

Graphique 2 : France, inflation (%, glissement annuel - GA)

Source : INSEE

Graphique 3 : France, croissance et inflation sous-jacente

Source : INSEE

Ainsi, en 2009, l’activité s’est contractée de 2,7 % en France et la hausse des prix a été de seulement 0,1 % contre 3,1 % l’année précédente. La BCE avait alors assoupli nettement sa politique monétaire : son taux directeur était passé de 4,25 % à 1 % de fin 2008 à 2009.

Depuis, l’activité économique et l’inflation ont repris mais leur évolution reste encore modérée. Ainsi, en 2011 et 2012, l’inflation a été de 2 % en France et, si l’on exclut les tarifs publics et les prix volatils, l’inflation n’a été que de 1,3 % en 2012. La faiblesse de la croissance du PIB est encore plus nette : après avoir atteint 1,7 % en 2010 et 2011 au sortir de la crise financière, le PIB a été à l’arrêt en 2012 et baisserait de 0,3 % en 2013 d’après les prévisions de l’institut de sondage Consensus Forecast en juin 2013.

Durant toute cette période, la BCE est restée vigilante sur les risques inflationnistes comme déflationnistes. Dans le premier temps de la crise des dettes souveraines, la BCE avait mis en place un programme d’achats de titres obligataires (Securities Market Program mis en place en mai 2010). L’inflation étant alors très proche de la cible, la BCE avait choisi de stériliser ses achats, c’est-à-dire de ne pas créer de monnaie pour ne pas engendrer de risque inflationniste. Par la suite, lorsque la crise s’est intensifiée, la BCE a fait le choix d’injecter massivement des liquidités dans le système bancaire. La taille de son bilan a alors considérablement augmenté (cf. graphique 4). Cette création monétaire n’a toutefois pas engendré de tensions inflationnistes – l’inflation a même ralenti – et n’a été que temporaire : le bilan de la BCE a déjà baissé de 500 Md€ entre janvier et juin 2013.

-1

-0,5

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

4

2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Inflation totale Inflation sous-jacente

0

0,5

1

1,5

2

2,5

-5

-4

-3

-2

-1

0

1

2

3

4

5

2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014

Croissance du PIB (avancé de 18 mois)

Inflation sous jacente (échelle de droite)

Quels risques de retour de l’inflation ?

Création monétaire et inflation : un lien théorique fort mais empiriquement distendu

Face à la crise financière de 2008 puis à la crise des dettes souveraines, les banques centrales ont soutenu le système bancaire et financier en injectant des liquidités. Or, cette création monétaire est régulièrement critiquée car elle pourrait être potentiellement déstabilisatrice. En particulier, selon la théorie quantitative de la monnaie, l’apport massif de liquidités serait à la source de risques inflationnistes à moyen terme : à vitesse de circulation de la monnaie inchangée, les prix s’ajustent à la hausse lorsque la masse monétaire croit plus vite que la production de biens et services.

Si ce risque existe en théorie, il ne faut pas pour autant le surestimer : il n’y a en effet pas de lien empirique fort entre évolution de la masse monétaire et inflation. La banque centrale américaine – la Réserve Fédérale – l’a d’ailleurs constaté, rejetant ainsi l’adoption d’un objectif intermédiaire de maîtrise de la masse monétaire comme adopté par la BCE (croissance de l’agrégat monétaire M3 de 4,5 % par an) (cf. graphique 5).

Les créations monétaires ne débouchent en inflation du prix des biens et services que sous certaines conditions : cela suppose surtout que les liquidités créées transitent dans l’économie réelle. Schématiquement, la création monétaire n’est en effet inflationniste que si elle donne lieu à une augmentation des crédits accordés par les banques commerciales et si ceux-ci viennent nourrir la demande de biens et services. Or, aujourd’hui, les crédits augmentent très peu car l’économie est toujours convalescente et les liquidités créées restent au bilan des banques.

De plus, la croissance des crédits ne créerait de l’inflation que si elle entraînait une hausse de la demande de biens et services telle que l’offre devienne insuffisante. Autrement dit, tant que la croissance du PIB observée sera inférieure à la croissance potentielle, que le taux d’utilisation des capacités de production sera inférieur à sa moyenne de long terme– comme c’est le cas aujourd’hui – les risques d’inflation cyclique seront faibles.

Par ailleurs, les liquidités injectées aux banques peuvent déboucher sur l’achat d’actifs immobiliers ou financiers plutôt que sur de la consommation de biens et services. Si les achats d’actifs concernent des matières premières, cela pourrait avoir un impact indirect sur l’IPC, ce qui susciterait de l’inflation énergétique.

A plus long terme toutefois, les risques d’une inflation d’origine monétaire sont accrus. L’économie devrait s’être normalisée, la croissance proche de son potentiel et les contraintes sur les crédits diminuées : les liquidités circuleraient davantage dans l’économie réelle. A un argument près : la BCE peut à tout instant reprendre la liquidité qu’elle a injectée dans le système en réduisant son bilan.

Graphique 4 : Bilan des banques centrales (Md$)

* Sur la base du taux de change observé à chaque fin de trimestre

Sources : BCE, Réserve Fédérale

Graphique 5 : Zone euro, croissance de la masse monétaire et croissance des prix (%, GA)

Sources : BCE, Eurostat

La taxation : un sujet central dans le contexte de consolidation fiscale

La taxation pourrait jouer un rôle sur l’inflation à court et moyen terme puisque la zone euro s’efforce depuis le début de la crise souveraine d’assainir ses finances publiques. Le chemin n’est que partiellement parcouru : la consolidation fiscale devrait être maintenue pour quelques années encore. Or, cet effort se traduit souvent par des augmentations de taxes (TVA, droits d’accises sur la consommation, cotisations sociales, etc.). Certes, les hausses de taxes tendent à avoir un impact haussier immédiat sur les prix. Il apparait toutefois que cet impact n’est pas linéaire, puisque comme dans le cas des hausses de coûts de production, les entreprises ne

500

1000

1500

2000

2500

3000

3500

4000

4500

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Bilan Fed Bilan BCE

-2

0

2

4

6

8

10

12

14

1995 1999 2003 2007 2011

M3 IPC harmonisé

répercutent généralement pas toute la hausse des taxes sur les prix de vente, rognant sur leurs marges. De plus, une augmentation des taxes peut affaiblir la demande intérieure et donc diminuer les tensions internes.

Il apparait ainsi qu’en zone euro, en 2010, le taux de taxe implicite sur la consommation1 a augmenté de 0,5 point de pourcentage à 19,2 % quand le supplément d’inflation imputable aux taxes n’a été que de 0,13 % cette même année (cf. graphique 6). L’effet instantané a donc été faible. Depuis, les hausses de taxes se sont poursuivies (cf. graphique 7, taux de TVA moyen). Leurs effets sur l’inflation se sont cumulés durant ces trois années mais ils restent modérés : l’inflation imputable aux taxes était de 0,4 % en 2012 pour une inflation totale de 2,5 %.

Graphique 6 : Zone euro, inflation (GA, %)

Source : Commission Européenne

Graphique 7 : Zone euro, taux de TVA standard (%), moyenne pondérée par le PIB

Source : Eurostat

Pour en savoir plus

• Insee, publication mensuelle de l’IPC (http://www.insee.fr/fr/themes/indicateur.asp?id=78)

• Insee, définition de l’inflation

(http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/bsweb/doc.asp?idbank=000442423)

• BCE, notes d’information

(http://www.ecb.int/ecb/educational/facts/html/index.fr.html) • BCE, tutoriel, jeux et vidéos sur l’inflation

(http://www.ecb.int/ecb/educational/html/index.fr.html) • Banque de France, la politique monétaire et ses instruments

(http://www.banque-france.fr/politique-monetaire/presentation-de-la-politique-monetaire/definition-de-la-politique-monetaire.html

-1

0

1

2

3

4

5

2008 2009 2010 2011 2012 2013

IPC total IPC à taux de taxation constant

18,2

18,4

18,6

18,8

19

19,2

19,4

19,6

19,8

20

Directeur de la publication : Benjamin Dubertret - Responsable de la rédaction : Yann Tampéreau ([email protected]) – Auteur : Nil Bayik ([email protected]) - Caisse des Dépôts - Direction des fonds d’épargne - 72, avenue Pierre Mendès-France - 75914 Paris Cedex 13 - Abonnement : [email protected] - Avertissement : les travaux objets de la présente publication ont été réalisés à titre indépendant par le service des Études économiques et marketing de la direction des fonds d’épargne.

Les opinions et prévisions figurant dans ce document reflètent celles de son ou ses auteur(s) à la date de sa publication, et ne reflètent pas nécessairement les analyses ou la position officielle de la direction des fonds d’épargne ou, plus largement, de la Caisse des Dépôts. La Caisse des Dépôts n’est en aucun cas responsable de la teneur des informations et opinions contenues dans cette publication, y compris toutes divulgation ou utilisation qui en serait faite par quiconque - Dépôt légal et ISSN en cours.

> Indicateurs clés au 31/06/2013

Les taux de croissance du PIB anticipés par le consensus pour 2013 sont à peine meilleurs que ceux de 2012 du fait d’acquis de croissance faibles et, en Occident, de la rigueur budgétaire. Les taux d’intérêt en zone euro sont attendus stables par le consensus, dans un contexte de politique monétaire accommodante, de croissance faible et d’absence de tension inflationniste. Le forward sur 10 ans intègre la hausse des taux longs venant des Etats-Unis (annonce d’une modulation à venir de la politique monétaire).

1. Le taux de taxe implicite sur la consommation correspond aux recettes de toutes les taxes sur la consommation rapportées aux dépenses de consommation des ménages. Ce taux est calculé par la Commission européenne et est disponible jusqu’en 2010.