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UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE CELSA Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication MASTER 2ème année Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication Parcours : Médias informatisés et stratégies de communication « L’adaptation des acteurs de lindustrie té lé visuelle face à l’avènement de la culture participative: stratégies et discours communicationnels autour de la notion d’interactivité. » Dans un contexte culturel particulier porté par la démocratisation des médias informatisés et du réseau internet, de quoi les dispositifs interactifs mis en place par les acteurs de l’industrie télévisuelle sont-ils les instruments ? Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD Nom, Prénom : HUREL Louise Promotion : 2013-2014 Option : Médias et Communication Soutenu le : Note du mémoire : Mention :

Mémoire Louise Hurel

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Page 1: Mémoire Louise Hurel

UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE

CELSA

Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication

MASTER 2ème année

Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication

Parcours : Médias informatisés et stratégies de communication

« L’adaptation des acteurs de l’ industrie té lévisuelle face à l’avènement de la culture participative: stratégies et discours

communicationnels autour de la notion d’interactivité. »

Dans un contexte culturel particulier porté par la démocratisation des médias informatisés et du réseau internet, de quoi les dispositifs interactifs mis

en place par les acteurs de l’industrie télévisuelle sont-ils les instruments ?

Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD

Nom, Prénom : HUREL Louise Promotion : 2013-2014 Option : Médias et Communication Soutenu le : Note du mémoire : Mention :

Page 2: Mémoire Louise Hurel

2

SOMMAIRE

INTRODUCTION …………………………………………………………………………... 5

PARTIE 1 _ MODELE DES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : DES CONSTRUCTIONS TECHNIQUES ET DISCURSIVES ……………………………... 16

A) Des dispositifs interactifs construits par des mécanismes techniques qui

structurent la participation des internautes ……………………………………………. 18

1. La nature des interactions et l’identité des dispositifs influencés par les espaces

temps dans lesquels ils s’inscrivent ……………………………………………………. 18

2. Structuration de la technique par l’écrit : les pratiques participatives définies selon la

manipulabilité technique des architextes de saisie …………………………………… 21

3. La pratique déterminée par la représentation des techniques mobilisées par les

dispositifs interactifs ………………………………………………………………………. 27

B) Des dispositifs interactifs soutenus par des discours communicationnels visant à

créer un référent commun ……………………………………………………………….. 30

1. Des discours communicationnels qui rendent accessible la manipulation technique

des dispositifs interactifs en créant de la valeur ajoutée …………………………….. 30

2. Des discours communicationnels qui accompagnent les dispositifs interactifs et

construisent un référentiel commun …………………………………………………….. 34

3. Des discours qui réinventent la télévision ……………………………………………… 38

C) L’interactivité : un concept promotion porté par l’imaginaire du web participatif . 42

1. De l’ambigüité du terme « interactivité » ……………………………………………….. 42

Page 3: Mémoire Louise Hurel

3

2. Un concept qui s’inscrit dans un imaginaire global lié au web participatif : un nouveau

model social basé sur le partage ……………………………………………………….. 45

3. Un concept qui s’inscrit dans un imaginaire global lié aux médias informatisés :

personnalisation et usage individuel des « nouveaux médias » …………………….. 48

PARTIE 2 _ LES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : DES MACHINES A CAPTURER ET MONETISER L’USAGE ……………………………………………… 51

A) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’économie de l’attention ... 52

1. Des dispositifs interactifs pensés comme une réponse au besoin d’engagement des

publics ……………………………………………………………………………………… 52

2. Les dispositifs interactifs au service de l’économie de l’attention et l’économie de

l’audience ………………………………………………………………………………….. 56

B) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des médias-

marques …………………………………………………………………………………… 59

1. Hybridation des médias-marques et le cas particulier de la télévision ……………… 60

2. Publicitarisation et dépublicitarisation au centre du modèle économique des

dispositifs interactifs télévisuels …………………………………………………………. 63

C) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’économie scripturaire ….. 66

1. Séduction et injonction à la participation ……………………………………………….. 68

2. Récupération des données et marchandisation de la trace ………………………….. 70

PARTIE 3 _ DES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : INSTRUMENTS

DE L’INDIVIDUALISATION INDUSTRIELLE DE MASSE ………………………….. 73

Page 4: Mémoire Louise Hurel

4

A) L’individualisation de masse à travers la mise au travail des télénautes-

consommateurs …………………………………………………………………………... 74

1. Les dispositifs interactifs télévisuels, des outils de l’individualisation de masse ….. 74

2. Les dispositifs interactifs télévisuels : instruments de la mise au travail des

consommateurs …………………………………………………………………………… 78

B) Industrialisation de l’individualisation de masse et désindividuation des télénautes

………………………………………………………………………………………………. 81

1. Les dispositifs interactifs télévisuels comme processus d’industrialisation de

l’individualisation ………………………………………………………………………….. 81

2. Accroissement de l’individualisation et perte de l’individuation ……………………… 83

C) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des relations

humaines et marchandes ………………………………………………………………... 85

1. Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’humanisation des rapports

marchands …………………………………………………………………………………. 85

2. Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des relatiosn

marchandes et humaines ………………………………………………………………… 88

CONCLUSION ……………………………………………………………………………. 91

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ………………………………………………. 97

ANNEXES ……………………………………………………………………………… 100

MOTS CLES …………………………………………………………………………… 107

Page 5: Mémoire Louise Hurel

5

INTRODUCTION

Depuis plusieurs années, le terme « télévision »   s’est vu agrémenté   des

adjectifs sociale, participative ou encore connectée, marquant ainsi une rupture

sémiologique entre la télévision-tout-court, qui renvoie à  un instrument de réception

passive, et la télévision enrichie qui, dans l’imaginaire commun, évoque un média

plus performant et plus démocratique.

Cet enrichissement langagier et performatif du média télévisé   est une des

conséquences des avancées technologiques qui furent à  l’origine de la création et du

développement des médias informatisés d’une part, et de la numérisation des

technologies de fourniture classique, dont le poste de télévision, et de leurs contenus

d’autre part. Les traditionnels couples « support / contenu »  étant depuis brisés, les

supports de stockage et de visionnage sont désormais multifonctionnels et intègrent

tous les contenus de manière indifférenciée1. De plus, la numérisation des diverses

technologies de fourniture a aussi facilité   la création de liens entre les différents

supports médiatiques, donnant lieu à   de véritables « couteaux suisse

technologiques » 2 tels que les ordinateurs, sur lesquels les récepteurs ont pris

l’habitude de naviguer entre la télévision, les films, la lecture ou encore les jeux

vidéo.

1 P. Chantepie et A. Le Diberder, Révolution numérique et industries culturelles, Paris, La Découverte, 2005  2 Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre contemporaine à  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux 2008/2 –  n°148-149, p 360  

Page 6: Mémoire Louise Hurel

6

Ce phénomène fait référence à  ce que l’on appelle la convergence technologique, et

est accompagné   par une évolution des usages et pratiques de consommation

culturelle que l’auteur Henry Jenkins a notamment théorisée par le concept de

convergence culturelle. Cette dernière serait « un mélange complexe », « une sorte

de métaculture qui s’actualise en culture »3 et par laquelle « la culture médiatique

devient multimédiatique »4.

Bien que la convergence culturelle semble antérieure, ou tout du moins « décorrélée

historiquement de la convergence technologique, […] les deux phénomènes se

rejoignent et se renforcent mutuellement »5 depuis quelques années, contraignant

les acteurs de l’industrie télévisuelle à   repenser le format de leurs offres afin que

celles-ci correspondent aux attentes et usages des consommateurs.

En effet, les dispositifs médiatiques qui accompagnent les programmes

télévisés sont créés et mis en place à  partir d’une certaine idée que les producteurs

se font des récepteurs et de leurs usages, et qu’ils tentent d’anticiper au mieux,

même si l’écart entre le mode d’emploi et l’usage effectif restera toujours un espace

de réappropriation, pour les consommateurs, sur lequel les industriels n’ont aucun

contrôle.

Ainsi, le double phénomène de la convergence technologique et culturelle a

engrangé  de nouvelles manières de regarder les programmes télévisés qui n’avaient

pas encore été   prises en compte par les producteurs, comme la consommation

simultanée d’un média informatisé  et de la télévision. Cet usage a donné  naissance à  

une nouvelle figure du consommateur qui n’est désormais plus simple téléspectateur,

mais télénaute,  à   la fois téléspectateur et internaute. Cet éparpillement de l’attention 3 Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre contemporaine à  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux 2008/2 –  n°148-149, p 342  4 Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre contemporaine à  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux 2008/2 –  n°148-149, p 359  5 Peyron David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre contemporaine à  partir du concept de convergence culturelle », La découverte I Réseaux 2008/2 –  n°148-149, p 361  

Page 7: Mémoire Louise Hurel

7

sur d’autres médias que la télévision s’est accompagné d’une prise de parole

naturelle des consommateurs sur des espaces n’ayant pas encore été   investis par

les acteurs de l’industrie télévisuelle.

Afin de combler ce manque à  gagner, les producteurs et diffuseurs de programmes

télévisés ont adapté   leurs dispositifs à   ces braconnages en étendant leurs formats

sur les médias informatisés et diffusant leurs contenus via le réseau internet. Ils

proposent ainsi de nouvelles pratiques de consommation, présentées sous le

concept-promotion de second écran. Grâce à   cette multiplication des canaux de

diffusion, les programmes télévisés se sont vu enrichis par des dispositifs dits

interactifs, destinés à  provoquer des conversations entre les télénautes au sujet des

programmes télévisés, d’où  l’adjectif sociale désormais accolé  au terme télévision.

Si la télévision a, depuis sa création, été  un média de la sociabilité, proposant

à  un large panel de téléspectateurs des références culturelles communes, créatrices

de dialogue et de liens sociaux, l’apparition relativement récente de ces adjectifs va

donc de pair avec la démocratisation des médias informatisés et du réseau internet

qui ont exacerbé   la dimension communicationnelle des programmes télévisés plus

qu’ils n’en ont intensifié  le caractère social.

En effet, la majorité  des dispositifs interactifs sont aujourd’hui mis en place en

parallèle des programmes qu’ils accompagnent et ne sont donc qu’une option

destinée à   enrichir l’expérience télévisuelle n’ayant aucune incidence sur le

déroulement de l’émission elle-même. Par exemple, pour sa troisième saison, le télé-

crochet The Voice, la plus belle voix, diffusé   sur TF1, a mis en place un dispositif

présenté   comme interactif, appelé   « Le 5ème coach », grâce auquel les télénautes

ayant téléchargé   l’application MYTF1 peuvent se mettre dans la peau d’un coach et

buzzer les artistes qui performent sur leurs écrans de télévision depuis un second

écran, en même temps que les coachs de l’émission. Ce dispositif propose donc une

interaction médiatisée via une interface pensée et conçue pour donner l’impression

Page 8: Mémoire Louise Hurel

8

aux télénautes qu’ils jouent avec ou contre les coachs officiels, alors qu’en vérité   la

seule interaction dont il est question ici est un simulacre d’interaction entre l’homme

et la machine, dont la notion d’interface est l’« objet-emblème » 6 . Ainsi, parler

d’interactivité   ou de participation ici relève plus de la stratégie communicationnelle

que d’une véritable ouverture du média télévisé  sur la co-création de contenus.

Il en va de même avec les très nombreuses émissions qui utilisent leur présence sur

les réseaux sociaux pour se présenter comme interactives. Si l’interaction peut être

ici comprise comme un échange entre des êtres pensants et conscients différé  par la

machine, et non comme un simulacre d’interaction entre l’homme et la machine, il

n’en reste pas moins que celle-ci se fait en périphérie des programmes. Ainsi, ces

derniers, bien qu’ils soient au cœur des conversations, ne reposent pas sur celles-ci

et ne sont donc pas plus interactifs qu’ils ne l’étaient avant les convergences

technologiques et culturelles.

La télévision sociale et interactive relève donc d'une posture d’énonciation

communicationnelle destinée à  montrer que le média télévisé  a changé, qu’il est en

pleine évolution et qu’il connaît même une révolution. Si la numérisation des

supports et des contenus, qui a donné   lieu à   la convergence technologique et

culturelle, a effectivement ouvert le champ à   certains usages particuliers, le fait de

jouer de chez soi en parallèle des émissions ou de les commenter en direct via les

réseaux sociaux n’a rien de nouveau ni de révolutionnaire, si ce n’est la technique

qui porte ces usages. Ils existaient bien avant l’apparition des médias informatisés et

du réseau internet, les rendez-vous entre amis ou en famille pour regarder un

programme particulier et le commenter étant des rituels qui accompagnent la

télévision depuis sa création. Ce que les médias informatisés et internet ont permis

est le changement d’échelle de ces pratiques et leur industrialisation, ce sur quoi

nous reviendrons au cours de cette étude.

6 Jeanneret Yves, Penser la trivialité, volume 1 : La vie triviale des êtres culturels, Lavoisier, Paris, 2008, p 138  

Page 9: Mémoire Louise Hurel

9

Bien que la majorité  des dispositifs dits interactifs ne le soient pas vraiment, il

est important de noter les efforts faits par les acteurs de l’industrie télévisuelle pour

exploiter les nombreuses ressources qu’ouvrent les convergences technologiques et

culturelles, notamment en terme de participation et de co-création. En effet, de plus

en plus de dispositifs conçus et pensés comme interactifs se trouvent désormais au

centre des programmes, offrant aux télénautes un rôle plus central, et ouvrant la voie

à   la co-création effective de contenus télévisés. Ce sont ces dispositifs plus

complexes et centraux qui vont nous intéresser ici.

Ainsi, bien que la dénaturalisation du mythe de la télévision sociale et

participative soit un sujet qui a déjà   été   très étudié, notamment dans le cadre de

mémoires d’étudiants du Celsa, il nous semblait intéressant et pertinent d’aborder

une nouvelle fois ce thème mais sous un angle différent, qui ne partirait pas d’une

réflexion autour de l’évolution du média ou des usages qui y sont associés, mais qui

prendrait racine dans l’étude de ces dispositifs dits interactifs qui trouvent désormais

leur place au centre des programmes, offrant un rôle a priori plus important aux

téléspectateurs.

L’idée est ici de faire dialoguer trois de ces dispositifs interactifs pour faire ressortir

des nœuds de tension que nous analyserons au regard de concepts plus généraux,

comme la culture participative ou la notion d’interactivité, et ainsi mieux cerner le

contexte global qui se nourrit de ces objets autant qu’il les crée. Ce n’est donc pas

tant l’étude de la télévision participative en tant que média qui va nous intéresser tout

au long de ce mémoire que ses instruments, pensés comme des miroirs du contexte

social, économique et politique dans lequel elle s’inscrit.

La raison pour laquelle nous avons choisi de nous concentrer sur des

dispositifs concis pour aborder des thèmes aussi denses et complexes que les

notions d’interactivité   et de culture participative est qu’ils s’avèrent des processus

aux mécanismes complexes, articulés par des éléments techniques et discursifs, qui,

par leur élaboration même, sous-tendent des réalités économiques, politiques et

Page 10: Mémoire Louise Hurel

10

sociales. Ces dispositifs, parce qu’ils altèrent, modifient et transforment les objets

qu’ils abordent et sur lesquels ils s’appuient7 , sont des témoins privilégiés du

contexte social dans lesquels ils s’inscrivent.

En partant de ce constat, nous sommes alors en droit de nous demander de

quoi sont composés ces dispositifs interactifs et comment se donnent-ils à   lire ?

Comment et en quoi cette construction technosémiotique des dispositifs interactifs

télévisés altère-t-elle les objets qu’elle aborde ? Comment se construit notre

perception de la télévision à   travers ces dispositifs et les pratiques qui y sont

associées ? Mais aussi que nous apprennent-ils du contexte culturel et social dans

lequel s’inscrit l’industrie télévisuelle ?

Autant de questions que nous avons tenté   de synthétiser dans une

problématique à   laquelle nous nous efforcerons de répondre tout au long de ce

mémoire :

De quoi les dispositifs interactifs mis en place par les acteurs de l’industrie

télévisée sont-ils les instruments et que nous apprennent-ils sur le contexte

social, politique et économique dans lequel ils s’inscrivent ?

Afin de répondre à   cette problématique, nous interrogerons les trois

hypothèses suivantes :

Hypothèse 1 :

Les dispositifs interactifs télévisuels sont des instruments communicationnels

qui encouragent les téléspectateurs à   adopter certaines pratiques de

consommation via des mécanismes techniques qui structurent leur

7 Candel Etienne, « L’Œuvre saisie par le réseau », Communication & Langages - n°155 –  Mars 2008  

Page 11: Mémoire Louise Hurel

11

participation et des discours qui créent un nouvel imaginaire démocratique et

social autour du média télévisé.

Hypothèse 2 :

Les dispositifs interactifs télévisuels sont des machines à   capturer et

monétiser l’usage des télénautes, utilisées pour répondre à  des impératifs liés

à  l’économie de l’attention, et ce dans un contexte d’hybridation des médias et

des marques, porté, notamment, par l’économie scripturaire qui s’est

intensifiée avec la démocratisation des médias informatisés.

Hypothèse 3 :

Les dispositifs interactifs sont des instruments de l’individualisation de masse

à  travers la mise au travail des consommateurs, qui, étant élaborée selon des

processus industriels, entraine la désindividuation des télénautes en même

temps que l’humanisation des médias-marques, conduisant ainsi à   une

hybridation progressive des activités relationnelles humaines et marchandes.

Avant de présenter le corpus qui nous servira à   exemplifier nos propos et

éprouver nos hypothèses, il est important de souligner que notre étude est située

dans le temps et que nous avons délibérément occulté  toute explication historique et

autre notion d’évolution pour ne nous concentrer que sur un état de fait particulier à  

un moment donné. Nous analyserons donc des objets d’étude tels qu’ils ont été  

pensés et mis en place pour une durée plus ou moins courte, qui correspond au

temps de diffusion des émissions qu’ils supportent.

De plus, notons que ne seront pas étudiées ici les conversations et commentaires

que les télénautes sont invités à  produire sur les réseaux sociaux, mais que nous ne

nous intéresserons qu’aux dispositifs interactifs autour desquels les programmes se

développent.

Page 12: Mémoire Louise Hurel

12

Le corpus fera l’objet d’une analyse des discours qu’il met en place ainsi que d’une

analyse technosémiotique afin d’appréhender et de tenter de comprendre comment

ces dispositifs se construisent et se donnent à   lire dans un certain contexte qui les

influence mais qu’ils conditionnent en partie aussi.

Afin de mener à  bien ce travail, nous avons défini un corpus de trois dispositifs dits

interactifs constituant la base de programmes télévisés de natures différentes et

diffusés sur trois chaines aux publics et références propres, à   savoir : la série

télévisée What Ze Teuf diffusée sur la chaine D8, l’émission quotidienne de débat

politique Ça vous regarde diffusé  par LCP, et enfin le télé-crochet Rising Star diffusé  

sur M6.

Le concept de What Ze Teuf, présenté   comme la première « tweet série »  

française, est le suivant : tous les soirs, après la diffusion de chaque épisode, les

télénautes sont invités à   proposer des synopsis en 140 caractères via le réseau

social Twitter parmi lesquels les scénaristes en sélectionneront un, à  partir duquel ils

écriront et réaliseront l’épisode qui sera diffusé  le lendemain soir.

Le choix des producteurs de What Ze Teuf d’inscrire le dispositif interactif qui

englobe leur série télévisée dans un dispositif médiatique plus large, avec ses règles

et ses imaginaires propres, a des influences sur la structuration technique du

dispositif mais aussi sur la manière dont il va être pensé   et utilisé   par ses

destinataires. En effet, en choisissant de développer leur dispositif interactif via

Twitter, les créateurs de What Ze Teuf en adoptent l’architexte de saisie qui structure

la participation des internautes, mais aussi inscrivent leur projet dans un univers déjà  

construit et fortement connoté.

Nous étudierons donc dans ce travail le dispositif interactif de What Ze Teuf  à  travers

deux niveaux: celui d’un dispositif communicationnel propre, mis en place pour un

programme donné, avec ses règles et ses particularités, mais aussi celui d'un

dispositif pensé   pour s’inscrire dans un certain cadre préexistant, à   travers un

architexte déjà  écrit.

Page 13: Mémoire Louise Hurel

13

Diffusé   du lundi au jeudi en direct sur le site internet de la chaine

parlementaire LCP de 19h à  20h puis sur le réseau hertzien de 21h à  22h, l’émission

de débat quotidienne Ça vous regarde propose « une autre façon de présenter et

d’aborder l’actualité  grâce à   l’interactivité »8. Si l’émission semble être une émission

de débat sur plateau assez classique, animée par des figures publiques et

spécialistes dans des domaines variés, elle tire son originalité   de l’intervention

pendant l’émission de « sentinelles citoyennes »   qui interagissent avec les invités

depuis chez eux, via leurs webcam. L’interaction passe ici non par l’écrit mais par

l’image et le son, en direct et non en amont, ce qui relève d’une réalité  

technosémiotique différente de celle d’un dispositif écrit dont l’architexte de saisie est

scripturaire, et convoque donc des manières de penser et d’utiliser le dispositif tout

autres. De plus, le fait que la participation ne se fasse qu’à  partir du site internet de

l’émission et qu’elle ne soit pas ouverte à   tous mais fasse l’objet d’une présélection

induit une certaine façon de construire l’interactivité, selon des règles et des

mobilisations de pensée propres que nous tenterons de déconstruire et d’analyser

ici.

Enfin, le télé-crochet Rising Star, diffusé   tous les jeudis depuis le 25

septembre dernier sur M6, propose aux télénautes de devenir jurés via l’application

6play. Ce format qualifié   de « révolutionnaire »   par ses producteurs et diffuseurs

marque effectivement une nouvelle étape dans l’intégration du public au bon

déroulement d’un programme télévisé. La présence et l’investissement des

télénautes dans l’évolution du jeu étant primordiale, le dispositif interactif est construit

et se donne à   lire afin d’être le plus engageant possible. Tout d’abord, la promesse

de voir sa photo apparaître sur un écran géant lors de la diffusion en prime-time de

l’émission constitue une sorte de récompense pour les télénautes ayant participé. De

plus, la participation ne se faisant pas ici à   partir d’un site web, mais grâce à   une

8 Page d’accueil du site de l’émission, http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat  

Page 14: Mémoire Louise Hurel

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application mobile qu’il est nécessaire d’avoir téléchargé, le dispositif interactif

s’inscrit tout de suite dans une démarche engageante. Nous étudierons donc ce

dispositif à   travers les stratégies techniques et discursives qu’il met en place pour

pousser les télénautes à  participer et s’engager.

Ces trois dispositifs interactifs seront, dans un premier temps, déconstruits et

éprouvés afin d’en saisir la portée technique qui conditionne les pratiques

participatives et la portée discursive qui créée des imaginaires communs et positifs

servant à   l’appropriation de ces usages. Nous verrons, au fil de nos analyses,

comment ces dispositifs contribuent à  véhiculer l’image d’une nouvelle télévision plus

démocratique et participative, en jouant notamment sur le flou notionnel qui entoure

l’idée d’interactivité.

Dans un second temps nous analyserons ces dispositifs interactifs comme

des instruments au service de la monétisation des usages, répondant tout d’abord au

besoin d’engagement des publics dans un contexte où   la circulation de nouveaux

contenus ne cesse jamais, satisfaisant ainsi certains impératifs sous-tendus par les

mesures d’audience et s’inscrivant dans le contexte plus large de l’économie de

l’attention. Nous verrons, ensuite, que ces impératifs peuvent être au service d’une

meilleure intégration des messages publicitaires à   l’intérieur des contenus et formats

médiatiques, participant ainsi au phénomène plus large de l’hybridation des marques

et des médias, et ce dans une logique d’économie scripturaire, portée par les médias

informatisés et le réseau Internet.

Enfin, dans un troisième et dernier temps nous étudierons en quoi et comment

ces dispositifs interactifs sont des instruments de l’individualisation de masse à  

travers des processus industriels de mise au travail des télénautes qui, s’ils servent à  

véhiculer une certaine idée d’humanisation des médias-marques, entrainent aussi

une perte d’individuation de leurs utilisateurs, qui ne sont alors plus pensés comme

Page 15: Mémoire Louise Hurel

15

des individus mais comme des catégories de consommateurs susceptibles de

devenir ambassadeurs de marques, phénomène que nous comprendrons comme

une hybridation des activités relationnelles humaines et marchandes

Page 16: Mémoire Louise Hurel

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PARTIE 1 _ MODELE DES DISPOSITIFS INTERACTIFS

TELEVISUELS : DES CONSTRUCTIONS TECHNIQUES ET DISCURSIVES

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous semble important de préciser dans

quel sens va être entendu et utilisé le terme dispositif tout au long de ce travail. Pour

ce faire, revenons dans un premier temps sur le sens qu’accordait Michel Foucault à

cette notion qu’il a beaucoup étudiée.

Lors d’un entretien accordé aux auteurs du dixième numéro du bulletin périodique

Ornicar ?, réalisé peu de temps après la parution de l’ouvrage La Volonté de savoir

du philosophe, et paru en juillet 1977, Michel Foucault décrit la notion de dispositif

comme suit :

« Ce que j'essaie de repérer sous ce nom [i.e dispositif], c'est, premièrement, un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même, c'est le réseau qu'on peut établir entre ces éléments.»9

Les dispositifs se définiraient donc comme des structures d’éléments

hétérogènes, pouvant relever du mécanisme (dont ils se distinguent cependant grâce

à leur aspect continu) ou de « la technologie sociale » car « tout en maintenant une

distinction entre la technologie et le monde extérieur, ils impliquent une certaine

9 FOUCAULT Michel, «Entrevue. Le jeu de Michel Foucault», Ornicar ?, n°10, juillet 1977, p 63 URL : http://1libertaire.free.fr/MFoucault158.html

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17

organisation de la vie commune et les relations entre les hommes.»10

Etant constitués en réseaux destinés à organiser divers éléments, discursifs ou non,

sociaux et sociétaux, les dispositifs sont intimement liés à « une ou des bornes de

savoir » qu’ils mettent en place et par lesquelles ils sont conditionnés11.

Ainsi, nous pouvons comprendre les dispositifs interactifs télévisuels que nous

allons étudier ici comme des réseaux hétérogènes, constitués d’une part d’écritures

donnant naissance à des instruments techniques qui eux même technicisent

l’écriture, et d’autre part de discours communicationnels qui créent et entretiennent

un imaginaire commun positif et un savoir partagé auxquels les consommateurs vont

pouvoir se raccrocher pour adopter les instruments techniques proposés. A travers

leurs éléments techniques et discursifs, les dispositifs interactifs se donnent aussi à

penser comme des processus politiques qui sont mis en place pour répondre à

certains besoins et atteindre certains objectifs.

Ces espaces de construction des pratiques relèvent de la technologie sociale en ce

qu’ils influent sur la manière dont les téléspectateurs vont anticiper, percevoir et

consommer des programmes télévisés, créant ainsi à partir d’éléments techniques

des codes et rituels sociaux, qui fournissent un modèle de la télévision dans son

ensemble, ainsi que la façon dont se pense, s’accomplit et circule la pratique

culturelle qu’est la participation.

C’est à travers leurs technicités que nous allons commencer à analyser les

éléments de notre corpus, afin d’en saisir les espaces temps dans lesquels ils

s’inscrivent ainsi que les architextes de saisie, pour mieux comprendre comment

l’apprentissage des codes et du langage technique utilisés influent sur les usages

communs qui sont associés à la télévision.

10 FOUCAULT Michel, «Entrevue. Le jeu de Michel Foucault», Ornicar ?, n°10, juillet 1977, URL : http://1libertaire.free.fr/MFoucault158.html 11 Idem

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A) Des dispositifs interactifs construits par des mécanismes techniques qui structurent la participation des internautes

1. La nature des interactions et l’identité des dispositifs influencés par les espaces temps dans lesquels ils s’inscrivent

Afin de bien comprendre la portée technique des dispositifs dont il est

question ici, pour ensuite saisir les discours pédagogiques et référentiels destinés à

en accompagner l’adoption et la réappropriation, il est important d’évoquer tout

d’abord les espaces temps dans lesquels se situent chacun de ces dispositifs et ce

en quoi ils conditionnent la technique mise en place.

Un premier niveau temporel est à préciser : celui de la durée de vie du

dispositif interactif qui, dans le cas de la série télévisée What Ze Teuf correspond à

vingt jours en tout, allant du 2 au 20 décembre 2013, divisés en quatorze sessions

de participation. Ce premier niveau temporel relativement court témoigne tacitement

du caractère exceptionnel de ce dispositif qui met à l’épreuve de l’urgence

l’organisation traditionnellement lourde d’un programme télévisé.

Le second niveau temporel sur lequel repose ce dispositif est celui des sessions en

elles-mêmes. Chaque diffusion d’épisode est suivie par une session de participation

qui débute à 20h30, à la fin de l’épisode diffusé, et se termine à 23h, heure à laquelle

commence la réalisation-marathon de l’histoire suivante qui se fera en douze heures.

Cette seconde échelle temporelle, équivaut à un temps flottant pendant la

production, une situation d’attente qui sépare chaque épisode et marque un arrêt

dans le rythme effréné de la réalisation.

Le temps de ce dispositif ne s’inscrivant donc pas dans celui de la réalisation

ni de la diffusion, son espace n’est logiquement pas celui de l’émission à proprement

parler. Le dispositif interactif prend ici lieu dans un espace numérique précis, celui du

réseau social Twitter, et plus exactement celui créé par le hashtag « #WZT » comme

nous le verrons plus loin. Ce réseau social étant public et ouvert à tous, toute

personne ayant un compte se voit autoriser la participation et chacun peut voir le

contenu posté par les participants.

Page 19: Mémoire Louise Hurel

19

Le temps du dispositif étant flottant et son espace ne lui étant pas exclusivement

dédié, l’interactivité dont il est question ici est un simulacre d’interaction plus qu’un

véritable échange égal entre deux entités conscientes. Bien que les messages soient

écrits puis lus et reçus par des êtres conscients, le fait que cette interaction soit

différée par la machine d’une part, et le fait que les messages ne s’adressent pas à

un récepteur en particulier mais à une entité vague que les télénautes imaginent

derrière le compte Twitter de l’émission et qu’ils identifient à un producteur ou un

scénariste, ne la rend pas complètement recevable en tant que telle d’un point de

vue scientifique.

Pour palier cette absence d’interaction directe et simuler au mieux l’échange humain,

la technique se doit d’être contraignante afin que les messages soient lisibles et

compréhensibles comme appartenant à un contexte particulier, même lus après

coup. Nous étudierons la technique mise en place pour ce dispositif un peu plus loin.

Alors que tous deux se présentent comme des dispositifs interactifs

télévisuels, le temps et l’espace invoqués dans la mise en place de l’émission Ca

vous regarde sont tout autres que ceux du dispositif de What Ze Teuf.

Tout d’abord, le premier niveau temporel de durée de vie du dispositif est ici plus

long, s’étalant sur toute une saison de diffusion de l’émission. Contrairement au

premier exemple, ce dispositif ne requiert pas une mobilisation exceptionnelle,

l’écriture de l’émission ne se basant pas dessus et son bon déroulement n’en étant

pas dépendant.

Alors que la première échelle temporelle est plus longue dans le deuxième exemple

que dans le premier, concernant la seconde échelle, à savoir celle de la participation

en elle-même, les temporalités sont inversées : la participation de What Ze Teuf se

fait à l’écrit dans un temps relativement long et prend effet au stade de la production

de l’émission, alors que dans le cas de ça vous regarde la participation se fait à l’oral

via un système de vidéoconférence et ne dure que quelques minutes au stade de la

diffusion de l’émission.

Notons cependant que la mise en place de la participation est plus courte dans le

premier cas, les télénautes n’ayant qu’à utiliser leurs comptes Twitter pour participer.

Le dispositif du second exemple requiert quant à lui une présélection qui prend un

peu plus de temps, les télénautes devant remplir un questionnaire puis choisir une

émission selon les sujets proposés.

Page 20: Mémoire Louise Hurel

20

La participation se faisant sur le temps du programme, à savoir en direct, donc

simultanément lors de sa réalisation et de sa diffusion, l’espace qui lui est attribué est

lui aussi celui de l’émission, que ce soit lors de la première étape du dispositif de

mise en place de la participation qui se fait via le site internet du programme, ou que

ce soit durant la diffusion en elle-même où l’image du télénaute apparaît à l’écran

bien qu’il ne soit physiquement pas présent sur le plateau.

L’interaction se fait donc ici dans un temps précis, celui de l’échange humain,

et dans un espace spécifique à l’émission où les télénautes s’adressent à des

interlocuteurs définis, qu’ils peuvent nommer. Ainsi, bien que l’interactivité soit ici

différée par la machine, elle s’apparente à la définition scientifique de l’interaction qui

se fait entre deux êtres conscients. Cette présence de l’échange humain pour cadrer

la participation facilite l’appropriation de la technique par les télénautes. Cependant,

les règles du direct étant par nature contraignantes et la technique encadrant les

systèmes de vidéoconférences étant régie par des architextes propres, nous

étudierons un peu plus loin dans ce travail comment la participation des télénautes à

l’émission ça vous regarde est influencée par la manipulabilité technique de son

dispositif.

Enfin, le dispositif interactif du télé-crochet Rising Star s’inscrit dans un

premier niveau temporel assez long, l’émission s’étendant sur toute une saison. Bien

que le dispositif soit ici assez lourd, notamment parce qu’il n’intègre aucune

présélection, comme c’est le cas pour ça vous regarde, il ne nécessite pas une mise

en place aussi exceptionnelle que pour What Ze Teuf, les télénautes n’étant pas les

producteurs du contenu qui servira de socle à l’écriture de l’émission.

Le deuxième niveau temporel du dispositif est ici court, lors de sa mise en place

d’abord, qui ne requiert que le téléchargement de l’application gratuite de la chaine

M6 6play et la connexion avec un compte Facebook ou une adresse email, et lors de

la participation en elle-même ensuite, cette dernière se faisant sur le temps de

l’émission, en direct. La participation est accessible aux télénautes à plusieurs

moments du prime-time et ce pour quelques minutes, chaque fois qu’un candidat fait

une performance.

La participation se faisant donc dans un temps court et en direct, l’espace sur lequel

elle s’opère se devait de lui être spécifique pour en faciliter le bon déroulement. C’est

pourquoi les producteurs/diffuseurs ont logé leur dispositif sur une application qui,

Page 21: Mémoire Louise Hurel

21

lorsqu’elle est ouverte sur un deuxième écran à côté du poste de télévision diffusant

l’émission en direct, a pour particularité de s’y connecter directement et de s’y

synchroniser.

Bien que l’interactivité s’opère ici dans un temps et un espace précis, la participation

du télénaute ne s’adresse pas à un interlocuteur défini, qu’il peut désigner, mais à

une machine, et plus exactement à un algorithme qui prend en compte les votes des

participants. Cette absence d’entité consciente répondante nous amène à analyser

ce dispositif interactif comme un simulacre d’interaction à travers lequel la machine

se donne à penser comme un interlocuteur humain doté d’intention et de conscience.

La technique utilisée pour mettre en place ce dispositif interactif est donc très bien

élaborée afin de se rendre intuitive pour les télénautes qui se laissent guider et en

ont très peu à faire grâce à un architexte de saisie très contraignant comme nous

allons le voir désormais.

Ainsi, les dispositifs télévisuels pensés dans le cadre de la télévision

participative sont plus ou moins interactifs selon les espaces temps dans lesquels ils

s’inscrivent qui définissent la nature des interactions, qu’elles soient directes ou

différées, adressées à un interlocuteur défini, une entité vague ou une machine. Mais

cet élément d’analyse ne fait pas tout. En effet, un dispositif se présentera aussi

comme plus ou moins interactif selon la relation qu’il créera entre l’activité de

visionnage et l’activité participative, qu’elle se traduise par l’écriture, le fait de cliquer

sur un signe passeur ou autre. C’est cette relation, qui se fait à travers la

structuration d’une technique propre à chaque dispositif, plus moins manipulable

selon les architextes de saisie mis en place, et qui définit la nature de la participation

des télénautes, que nous allons étudier à présent.

2. Structuration de la technique par l’écrit : les pratiques participatives définies selon la manipulabilité technique des architextes de saisie

En partant du principe que l’idée d’interactivité, parce qu’elle sous-tend une

activité réciproque entre deux entités, requiert une certaine forme de participation,

nous allons étudier comment les architextes de saisie dont il est question ici

structurent la participation des télénautes.

Page 22: Mémoire Louise Hurel

22

Mais avant d’aller plus loin, précisons que les architextes sur lesquels nous

fonderons notre analyse dans cette partie sont « les outils qui permettent l’existence

de l’écrit à l’écran et qui, non contents de représenter la structure du texte, en

commandent l’exécution et la réalisation. »12

La manipulabilité technique de ces derniers affecte la participation des

télénautes en déterminant l’implication de ces derniers qui « résulte de la réalité des

ressources et contraintes qu’un dispositif offre pour une interaction effective »13. Ainsi

la manipulabilité technique des dispositifs interactifs télévisuels joue sur la manière

dont ils vont se donner à lire et conditionne, par ses modalités, les pratiques des

usagers.

Comme annoncé en introduction, le dispositif interactif de la série télévisée

What Ze Teuf a été pensé à travers le réseau social Twitter, ce qui inscrit l’étude de

la structuration technique de la participation qu’il induit à deux niveaux : l’architexte

de Twitter d’une part, les règles écrites et pensées par les créateurs de ce dispositif

en particulier d’autre part.

Tout d’abord, évoquons l’architexte de saisie dans lequel s’inscrit ce dispositif, et

dont la caractéristique la plus importante est que ce réseau social est basé sur

l’échange d’informations délivrées en 140 caractères. Ce réseau social reposant sur

cette particularité de saisie, cette contrainte technique de l’écriture est immuable. Elle

représente ce que nous qualifierons ici d’architexte de saisie obligatoire, s’opposant

par là même à d’autres architextes de saisie présents sur Twitter que nous

désignerons comme optionnels et auxquels les créateurs du projet What Ze Teuf ont

aussi fait appel pour créer leur dispositif interactif.

La restriction du nombre de caractères autorisés par publication représente un

architexte de saisie contraignant, qui influe directement sur la nature de la

participation en ce qu’elle ne peut se faire que sous une forme très courte. Cette

spécificité de la forme influe naturellement sur la nature du contenu : les longs

discours n’y étant pas possibles, l’information doit être brute et concise, contraignant

ainsi les utilisateurs à inscrire leur participation dans un cadre de création très précis. 12 JEANNERET Yves, SOUCHIER Emmanüel et LE MAREC Joëlle, Lire, écrire, réécrire. Objets, signes et pratiques des médias informatisés, Paris, Bibliothèque publique d’information, 2003, p 23/24 13 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014

Page 23: Mémoire Louise Hurel

23

Ainsi, grâce à cet architexte de saisie obligatoire déjà connu et accepté par les

internautes, les concepteurs du projet What Ze Teuf ont contraint de manière

naturelle les participants à ne proposer que des phrases courtes et donc des idées

générales, éliminant par là même les éventuels problèmes d’excès de zèle et

d’incompréhension des règles d’utilisation. Nous noterons donc ici qu’en plus de

donner d’emblée un certain espace à la participation des télénautes, l’utilisation de

Twitter a aussi permis aux producteurs de s’exempter de toute pédagogie et

justification quant aux règles d’utilisation.

En plus de cet architexte de saisie obligatoire, les producteurs de What Ze

Teuf ont fait appel à l’architexte de saisie optionnel qu’est le hashtag afin,

notamment, de se particulariser.

Le hashtag, matérialisé par le symbole « # », est un signe passeur qui fonctionne

comme un lien hypertexte. Il se rend visible comme tel en se distinguant du reste du

texte par une mise en relief via la couleur bleue, indiquant ainsi aux internautes qu’ils

peuvent cliquer dessus pour circuler dans le réseau social.

Le hashtag a une double fonction. Il est tout d’abord un indicateur qui sert à désigner

la présence d’un mot clé, servant notamment à contextualiser le contenu d’un tweet,

à le rendre plus lisible pour ses lecteurs. De nombreuses institutions l’utilisent donc

pour se rendre visibles via la création en amont d’un hashtag dédié à leur marque,

leurs produits ou contenus. C’est dans cette optique que les producteurs de What Ze

Teuf ont créé le mot-clé « #WZT », rendant ainsi plus lisible et plus visible leur

dispositif grâce à la portée discursive du hashtag.

Cependant le hashtag étant aussi un outil porté par la technique, parce qu’il est un

signe passeur qui permet aux internautes de se déplacer dans le réseau social, il est

créateur d’espace de discussion et de prise de parole autour du mot clé qu’il

supporte. En cliquant sur le lien généré par le hashtag, les internautes sont renvoyés

sur une nouvelle page où sont répertoriées toutes les publications ayant intégré ce

hashtag particulier, donc tout ce qui peut se dire autour d’un même sujet.

La présence de la mention « #WZT » dans les tweets proposants des synopsis pour

les épisodes des lendemains constituait donc un élément obligatoire pour deux

raisons : d’une part parce que cela donnait au dispositif une certaine visibilité et donc

notoriété, mais aussi parce que cela permettait aux scénaristes d’avoir un accès

Page 24: Mémoire Louise Hurel

24

direct à tous les synopsis proposés en se rendant directement sur l’espace créé par

le hashtag « #WZT ».

De plus, en rendant ainsi visible la participation des télénautes de What Ze Teuf, le

hashtag influait sur la manipulabilité technique du dispositif qu’il servait car la

construction de la participation des uns se faisait en fonction de celle des autres et

du fait qu’ils savaient qu’ils allaient être lus.

Le cas du dispositif interactif de l’émission ça vous regarde est un peu

particulier dans le paysage des dispositifs télévisuels car il permet aux internautes de

participer à l’émission par visioconférence et non par écrit. Si ce dispositif offre à

première vue une certaine liberté de participation en ce que les échanges humains

peuvent suppléer la technique, il est important de souligner qu’il est lui aussi soumis

à des architextes de saisie obligatoires et optionnels dont la manipulabilité définit la

participation des télénautes.

Notons tout d’abord que la participation se fait ici en direct grâce à un outil technique

dont les termes d’utilisation ont été prédéfinis par un architexte assez peu

contraignant : pour utiliser un logiciel de visioconférence comme Facetime ou Skype,

il suffit de signaler le contact à appeler puis de cliquer, dans un geste de « lecture-

écriture »14 sur un signe passeur se matérialisant souvent par une forme et/ou une

couleur particulière, et d’attendre que l’interlocuteur réponde en cliquant sur un signe

passeur à son tour. A cet architexte obligatoire peu contraignant les créateurs du

dispositif interactif dont il est question ici ont ajouté un architexte optionnel qui est

l’utilisation de la vidéo. En effet, bien que tout l’intérêt des outils de vidéo-conférence

soit la présence de la vidéo, la possibilité est offerte à ses utilisateurs de ne pas faire

appel à celle-ci et de contacter des interlocuteurs via le réseau internet sans

forcément les voir. Dans le cadre du dispositif interactif de ça vous regarde la caméra

doit être allumée durant l’appel afin que le télénaute soit visible et reconnaissable.

L’interaction ne pouvant donc se faire sous couvert d’anonymat ou avec un

pseudonyme, la participation des télénautes s’en trouve modifiée, ces derniers

anticipant le fait qu’il leur faudra assumer leurs propos, qui seront enregistrés comme

leur appartenant.

14 JEANNERET Yves, SOUCHIER Emmanüel et LE MAREC Joëlle, Lire, écrire, réécrire. Objets, signes et pratiques des médias informatisés, Paris, Bibliothèque publique d’information, 2003, p 23

Page 25: Mémoire Louise Hurel

25

En plus des contraintes architextuelles de l’outil utilisé pour la vidéo-conférence les

producteurs ont décidé d’ajouter deux règles, sans lien direct avec l’architexte de

saisie, mais qui cadrent cependant les conditions de participation des télénautes. La

première concerne la forme de la participation qui arrive généralement en milieu

d’émission : les télénautes ne peuvent poser qu’une question, précise et directe,

sans avoir le droit de faire de digression au risque de se faire rappeler à l’ordre très

vite par le présentateur. L’autre règle concerne le temps de participation qui est très

court, ne devant pas dépasser trois minutes. Pour les participants il est donc

important de bien choisir leur question et leurs mots pour être d’une part entendus et

compris par les invités, mais aussi pour faire passer un message, une opinion en très

peu de temps.

Ainsi, ce n’est pas tant le caractère contraignant de l’architexte de saisie que

l’utilisation de la vidéo-conférence et les règles imposées par les producteurs qui

conditionnent la participation des télénautes ici.

Le dispositif interactif du télé-crochet Rising Star n’a pas été pensé à travers

des outils extérieurs et donc indépendants des producteurs/diffuseurs comme c’est le

cas pour ceux de What Ze Teuf ou de ça vous regarde, mais a été mis en place par

le diffuseur, à savoir la chaine M6, qui en est donc maitre. Ainsi, les notions

d’architextes de saisie obligatoires, inhérentes à l’outil extérieur, et d’architextes de

saisie optionnels, manipulés par les créateurs des dispositifs comme moyens de

réappropriation de l’outil et de particularisation des règles d’utilisation, ne sont pas

pertinentes ici, l’architexte de saisie ayant été ici pensé spécialement pour le

dispositif, il ne s’opère qu’à un seul niveau.

Afin de participer à l’émission et d’entrer dans la peau d’un juré, il est nécessaire

d’avoir préalablement téléchargé l’application 6play, activé le bouton « Devenir juré

de Rising Star » et s’y être connecté via son compte Facebook ou une adresse

email. Une fois ces pré-requis exécutés, le télénaute n’a plus qu’à ouvrir l’application

et se connecter à son comte Rising Star durant la diffusion de l’émission. Ce n’est

qu’à ces conditions que le dispositif interactif, structuré par un architexte de saisie

obligatoire unique, peut être activé.

Une fois le dispositif interactif enclenché, le télénaute doit, pour participer,

s’enregistrer au passage de chaque nouvel artiste en glissant son doigt sur une barre

horizontale. Cet architexte de saisie contraignant et obligatoire a été mis en place

Page 26: Mémoire Louise Hurel

26

afin que toute participation se signale en tant que telle, comme une démarche

proactive et quantifiable, ce qui est la condition sine qua non du bon fonctionnement

du dispositif.

Une fois l’enregistrement pris en compte, les télénautes sont invités soit à faire

glisser une flèche bleue de la gauche vers la droite pour voter oui et soutenir l’artiste,

soit à faire glisser une flèche rouge de la droite vers la gauche pour voter non et

éliminer le candidat. L’architexte est donc ici très contraignant, ne laissant aux

télénautes que la possibilité de choisir entre deux propositions à deux reprises, qui

sont de s’enregistrer ou non, puis de répondre par la positive ou la négative, chaque

fois en faisant glisser leurs doigts sur des zones prédéfinies. Cette détermination de

la participation par la très faible manipulabilité technique de l’architexte joue

cependant un rôle non négligeable dans le relatif succès de ce dispositif. En guidant

et contraignant ainsi les télénautes, la technique est abordable pour tous car elle ne

nécessite pas de connaissances ou dispositions particulières. Cette simplicité invite

et même incite ainsi tout un chacun à participer.

Ainsi, la participation des télénautes aux dispositifs interactifs télévisuels est

en grande partie définie par l’architexte de saisie mis en place et sa manipulabilité

technique. Cependant, la pratique participative ne dépend pas que de la technique

du dispositif en elle-même, mais aussi « de la mobilisation d’une certaine manière

spécifique de penser son origine technique, et, avec elle, le fonctionnement du

média »15.

La technique joue donc un double rôle dans la création et la perpétuation de

certaines pratiques liées aux notions de participation et d’interactivité : celui

de l’épreuve concrète de sa matérialité que nous venons d’étudier ici d’abord, et celui

de son anticipation, sa représentation et les imaginaires qui y sont associés ensuite,

ce que nous allons à présent aborder.

15 CANDEL Etienne, « L’Œuvre saisie par le réseau », Communication & Langages - n°155 – Mars 2008, p 101

Page 27: Mémoire Louise Hurel

27

3. La pratique déterminée par la représentation des techniques mobilisées par les dispositifs interactifs

La technique, par la fantasmagorie de son utilisation et les représentations qui

y sont associées, influence donc les pratiques sociales et culturelles des

consommateurs, notamment dans le domaine de la télévision.

C’est ainsi que le second écran, concept promotionnel connaissant un vif succès

auprès des acteurs de l’industrie télévisuelle, est entré petit à petit dans les mœurs,

porté par la démocratisation des médias informatisés et notamment des médias

informatisés portatifs, dont la technologie bénéficie d’une représentation positive,

abordable et intuitive.

En effet, pour qu’une pratique soit adoptée à grande échelle et qu’elle s’ancre

socialement, il faut que ses potentiels bénéficiaires s’approprient la technique qui la

soutient. Avant qu’une pratique technique puisse être adoptée via sa manipulabilité

concrète, il est nécessaire que ses utilisateurs se l’approprient en amont, à travers

l’anticipation de son utilisation.

La manière dont vont se donner à voir et à lire les techniques sous-tendant certaines

pratiques va beaucoup influencer l’idée que s’en feront les consommateurs, les

prédisposant ainsi à adhérer ou non aux usages proposés à travers les médias

informatisés. Cette représentation de la technique par elle-même se fait notamment

par le biais des interfaces des dispositifs. Bien que communément pensées comme

les espaces par lesquels la technique se donne à lire à l’homme de manière intuitive

et intelligente, ces interfaces seraient finalement moins les espaces de rencontre

entre l’homme et la machine que ceux de « la rencontre, par le biais d’écritures

médiatiques, entre les représentations de la communication anticipées par les

concepteurs et les ressources interprétatives des usagers »16.

Ainsi, certaines pratiques culturelles ne sont pas adoptées car les techniques qui les

soutiennent se présentent comme trop hermétiques aux yeux des consommateurs

les moins avertis.

16 JEANNERET Yves, Penser la trivialité, volume 1 : La vie triviale des êtres culturels, Lavoisier, Paris, 2008, p 138

Page 28: Mémoire Louise Hurel

28

C’est donc parce que la technique ne jouit pas toujours de représentation

positive et évidente que les producteurs des programmes étudiés ici ont décidé de

laisser le choix aux consommateurs de rester simples téléspectateurs ou d’enrichir

leur expérience en devenant des télénautes participants.

Dans le cas où le téléspectateur devient télénaute, voyons comment les

représentations des techniques utilisées influencent leurs pratiques participatives.

Dans le cas de la tweet série What Ze Teuf, la technique particulière inhérente

au réseau social utilisé est perçue par beaucoup comme compliquée, requérant un

apprentissage et des codes qui ne sont pas naturels. C’est pourquoi Twitter est

souvent appréhendé comme étant destiné à une certaine catégorie d’internautes,

composée de connaisseurs avertis et d’adolescents nés avec internet. Ainsi, la

pratique participative de ce dispositif interactif va être influencée par l’image que se

font les uns et les autres de la technique requise pour utiliser Twitter.

Le choix des producteurs et diffuseurs de baser leur dispositif sur ce réseau social

malgré le caractère excluant de la représentation de sa technique se justifie en ce

que la cible visée par le programme et son dispositif est précisément celle des

adolescents très présents sur ce réseau social.

La technologie et la technique qu’elle convoque utilisées pour le dispositif

interactif du programme ça vous regarde sont globalement pensées comme

abordables, celles-ci étant faciles à manier grâce à la simplicité de leur architexte,

ainsi qu’au parallèle que l’on peut faire avec le téléphone. Cependant elles s’avèrent

être ici aussi un facteur d’exclusion à la participation, les télénautes qui prennent part

au dispositif étant finalement très peu nombreux. Ce n’est donc pas l’anticipation

d’une technique qui serait compliquée à manier, et donc peu abordable, qui freine ici

certains téléspectateurs mais l’anticipation des conséquences sociales de

l’exposition médiatique que la technique utilisée implique. Cela est d’autant plus vrai

que les sujets abordés étant politiques, ils sont symboliquement réservés à une

certaine catégorie de personnes et donc excluant. Ainsi, la pratique n’est pas tant

déterminée par la représentation de la technique en elle-même que par la

représentation de ce que cette technique engendre socialement.

Page 29: Mémoire Louise Hurel

29

Enfin, Rising Star se présentant comme un télé-crochet d’un nouveau genre

en ce qu’il est le premier à fonctionner presque uniquement sur la participation du

public, et que sa « technologie est inédite en France », la technique utilisée ici se

donne implicitement à penser comme complexe et donc difficilement appropriable.

C’est pourquoi elle est si contraignante et donc simple à manipuler et c’est pourquoi

les producteurs et diffuseurs de ce programme ont préparé le public en les

familiarisant avec le dispositif interactif via des procédés pédagogiques. Ainsi, une

avant première d’une dizaine de minutes fut diffusée en direct le 15 septembre sur

M6 afin, d’une part, de vendre le concept et de donner envie aux téléspectateurs et

télénautes de le regarder, mais aussi pour présenter le dispositif et rassurer au sujet

de la simplicité de la technique à utiliser. Cette dernière fut présentée à travers

l’intuitivité du geste requis pour s’enregistrer et voter, à savoir le fait de glisser

horizontalement son doigt sur l’écran.

« Ce geste » est annoncé dans une petite vidéo comme « fai[sant] partie de notre

quotidien » d’une part, ce qui sous-entend qu’il est naturellement appropriable, mais

aussi comme étant capable de « bouleverser des vies », ce qui créé un contraste et

met en relief son importance. C’est sur ce contraste que tout le discours

promotionnel du dispositif de Rising Star va reposer : un petit effort grâce à un outil

technique simple et fonctionnel pour de grands effets.

Cette simplicité de la technique intelligente, qui par un petit geste de l’homme

accomplit de grandes choses, fait partie d’une représentation positive plus globale

dont jouit, auprès de certains consommateurs, la technicité des médias informatisés.

En effet, avant même d’utiliser le dispositif, et pendant qu’ils l’utilisent, les télénautes

se font une idée de ce qu’ils vont ou sont en train d’accomplir grâce à la technique

des outils numériques comme un progrès culturel et social majeur apporté par les

médias informatisés.

La technologie et les techniques qui y sont associées sont donc appréhendées

comme des moyens de libérer et porter la parole des consommateurs, de relier les

personnes entre elles, comme les outils privilégiés de la culture participative.

Cette représentation positive de la technique est notamment soutenue par des

discours qui sont inhérents aux dispositifs interactifs et forment des références

Page 30: Mémoire Louise Hurel

30

communes positives pour combler le vide entre la technique et la pratique et ainsi

véhiculer des images contrôlées des programmes et de la TV.

Ainsi, pour que les dispositifs interactifs télévisuels soient adoptés par le public, il est

nécessaire d’accompagner la technique avec des discours communicationnels qui lui

donneront une forme et une valeur, la rendant ainsi plus facilement conceptualisable

et appropriable.

B) Des dispositifs interactifs soutenus par des discours communicationnels visant à

créer un référent commun

Tout dispositif, qu’il soit interactif ou non, parce qu’il est un réseau d’éléments

hétérogènes, est donc constitué et soutenu par des discours qui l’uniformisent d’une

part, et qui le justifie en lui conférant un rôle, une raison d’être, d’autre part.

Dans cette seconde sous-partie nous nous pencherons sur ces discours en

exemplifiant nos propos grâce aux dispositifs interactifs de notre corpus afin de

démontrer que les deux niveaux de discours qui construisent les dispositifs

participent à l’édification du renouveau de la télévision.

1. Des discours communicationnels qui rendent accessible la manipulation

technique des dispositifs interactifs en créant de la valeur ajoutée

La technique qui compose les dispositifs interactifs télévisuels ne se présente

pas telle qu’elle mais se donne à lire à travers des discours qui la rendent plus

accessible et font le lien entre cette dernière et la pratique.

Ces discours habillent donc la technique requise à l’utilisation du dispositif interactif

pour la rendre moins rébarbative et plus facilement appropriable, mais aussi pour

inscrire les pratiques qui lui sont associées dans un contexte particulier au sein

duquel le télénaute aura un rôle.

Ce rôle, construit par la technique et défini par le discours, constitue une véritable

valeur ajoutée pour le dispositif interactif qui se présente alors comme porteur d’une

Page 31: Mémoire Louise Hurel

31

expérience enrichie où le téléspectateur n’est plus simple spectateur mais co-

constructeur du programme grâce au rôle qui lui est attribué.

Le dispositif interactif de What Ze Teuf attribue aux télénautes le rôle de

scénaristes. Dans la bande-annonce présentant le projet les téléspectateurs sont pris

à partie à travers la phrase « c’est à vous de décider de la suite »17, et ainsi invités à

jouer le rôle qui a été créé pour eux. En projetant les télénautes dans ce rôle, les

producteurs les invitent plus globalement à voir ce qu’il se passe sur le plateau avec

l’équipe technique et les comédiens via des vidéos bonus disponibles sur le site

promotionnel de la série. Cette immersion des télénautes dans la production de

l’émission, mise en place par certaines techniques portées par les médias

informatisés, se donne à penser comme une co-production du format entre les

acteurs traditionnels de l’industrie télévisuelle et les récepteurs qui deviennent ainsi

créateurs.

L’écrit d’écran constituant la technique utilisée pour ce dispositif, est donc ici

appropriée grâce à un discours promettant à ses utilisateurs un rôle important dans

la production de la série, et ainsi une certaine reconnaissance.

Cette expérience enrichie mise en place à travers le rôle de scénariste valorise le

public qui a alors l’impression d’avoir activement participé à la réalisation du

programme et d’être ainsi accepté dans le milieu très fermé et générateur de

fantasmes qu’est la télévision, ce qui rend son visionnage plus agréable.

L’émission ça vous regarde promet, quant à elle, aux télénautes utilisant le

dispositif interactif d’endosser le rôle d’invité au même titre que les autres

personnalités participant au débat. En effet, sur la page web de l’émission hébergée

par le site de la chaine lcp.fr, les différents intervenants sont énumérés ainsi : « En

présence de députés, d’experts, de personnalités mais aussi de citoyens »18. La

construction sémantique de cette phrase met sur le même plan des hommes

politiques et les citoyens qu’ils gouvernent, sous-entendant que tous les invités

seront ici considérés comme égaux, la parole des uns valant autant que celles des

autres. Ce discours est mobilisé ici car la technologie des logiciels de

17 Site promotionnel de la série whatzeteuf.welovecinema.fr, rubrique « What ze série, Comment ça marche » _ https://whatzeteuf.welovecinema.fr/whatZeSerie.html 18 Site de l’émission « Ca vous regarde » : http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat

Page 32: Mémoire Louise Hurel

32

visioconférence confère à la parole de son utilisateur plus d’importance et d’impact

que celle transmise par téléphone, et ce grâce à la présence d’images qui associent

au dire ses gestes et expressions faciales.

Cependant, bien que la parole des citoyens soit valorisée par la présence de la

vidéo, elle n’est pas égale à celles des personnalités invitées sur le plateau, et ne

jouit pas d’un impact notable dans le débat, ne serait-ce qu’à cause de l’inégalité

provoquée par la présence physique des uns et la présence médiatisée des autres.

De plus, comme nous l’avons étudié précédemment, les règles d’utilisation du

dispositif sont contraignantes et ne permettent pas aux télénautes de vraiment

développer leurs idées. Le discours promotionnel mobilisé ici exagère donc

l’importance du dispositif interactif au sein de ce programme, promettant aux

télénautes participants un rôle plus important que celui qu’ils auront en réalité.

Cependant, bien que le discours amplifie les mérites de la technologie

exploitée ici afin de justifier son intégration dans une émission quotidienne de débat

politique et de pousser par là même les télénautes à adopter l’usage qu’elle

préconise, cette dernière accorde bien aux téléspectateurs une visibilité et une

importance plus grande que si leur participation s’était faite par téléphone,

notamment du point de vue du public pour qui tous les invités se donnent à voir et

entendre à travers un écran, qu’ils soient présents sur le plateau ou non.

La valeur ajoutée introduite par le discours inhérent à ce dispositif interactif est donc

la possibilité, pour celui qui participe, de se faire entendre et de confronter des élus à

son opinion sans avoir à se déplacer de chez soi d’une part, et la possibilité pour

celui qui regarde de s’identifier à la sentinelle citoyenne et donc de mieux se projeter

dans le débat.

Enfin, le discours communicationnel accompagnant la technique requise par le

dispositif interactif de Rising Star plonge les télénautes dans le rôle de jurés.

Grâce à la technologie utilisée ici, ce sont ces derniers qui décident gratuitement du

sort des candidats, et ce aux différentes étapes de la compétition.

Le terme « juré » étant alors réservé aux téléspectateurs participants, les acteurs

traditionnellement désignés par ce nom sont désormais qualifiés d’« experts ». Ce

déplacement communicationnel des noms habituellement attribués aux

téléspectateurs et aux personnalités télévisuelles est destiné à insister sur le fait que

seul le public a le pouvoir de décider du sort des candidats, tandis que les experts ne

Page 33: Mémoire Louise Hurel

33

sont présents que pour éclairer le public de leurs conseils avisés, alors même que le

choix de ces derniers pèse encore énormément dans la balance.

L’importance du rôle conféré aux télénautes grâce au dispositif interactif est sans

cesse mise en avant à travers un discours communicationnel qui se veut très

impliquant. Ainsi, lors de l’avant première du programme diffusée une dizaine de

jours avant son lancement officiel et destiné à présenter aux téléspectateurs le

dispositif interactif qu’il implique, les présentateurs tiennent un discours qui se veut

impliquant, dans lequel le public est constamment interpelé à travers l’utilisation très

prononcée du pronom vous, presque toujours associé à des verbes d’actions,

comme dans la phrase « c’est vous, chez vous, qui décidez »19. Cette utilisation des

verbes d’action conjugués à la deuxième personne du pluriel a pour but d’insister sur

la possibilité offerte aux téléspectateurs d’agir sur un programme télévisé et de ne

plus se contenter de le recevoir, et ce grâce au dispositif interactif. De plus, nous

notons que la majorité de ces verbes d’action sont liés à des termes renvoyant à

l’idée de pouvoir tels que « choisir », « réaliser », « pouvoir » et « décider » qui

reviennent à trois reprises chacun, ou encore « voter » qui est mentionné cinq fois en

l’espace de dix minutes. Ainsi, ce dispositif interactif ne se contente pas de donner

aux télénautes l’occasion de s’exprimer ou de participer à l’élaboration du contenu

qu’ils vont consommer comme c’est le cas dans le cadre de ceux de ça vous regarde

et What Ze Teuf, mais il leur confère aussi une certaine influence sur le déroulement

de l’émission d’une part, et sur la carrière artistique des candidats d’autre part. Sur

cette notion de pouvoir se calque une certaine idée de jugement moral qui apparaît à

travers les occurrences « réaliser [un rêve] ou le briser », « convaincre » ou encore

« mérite-t-il ».

Ainsi, bien que la technique requise pour utiliser cette technologie soit très simple,

comme nous l’avons vu plus haut, elle confère un pouvoir qui est présenté comme

presque absolu dans le discours qui l’accompagne. Ainsi, « du bout des doigts [les

télénautes peuvent] réaliser un rêve ou le briser », et choisir quels candidats ils ont

envie de suivre et quels autres ne les intéressent pas.

La valeur ajoutée présentée dans un tel discours est tacitement que le dispositif

interactif proposé ici met le public au centre du programme au même titre que les

19 Page de l’émission hébergée sur le site de la chaine M6, rubrique « vidéos » http://www.m6.fr/rising_star/videos/11393256-rising_star_l_avant_premiere.html

Page 34: Mémoire Louise Hurel

34

jurés stars et les candidats. Ainsi le public devient son propre divertissement et

constitue une raison à part entière de regarder l’émission.

Ces discours communicationnels qui servent à combler le vide séparant la

technique de la pratique, invitant par là même les téléspectateurs à s’approprier cette

dernière en lui accordant la création de valeur ajoutée, sont secondés par des

discours promotionnels qui vendent les dispositifs interactifs comme des concepts en

créant un référentiel commun à tous les dispositifs interactifs.

2. Des discours communicationnels qui accompagnent les dispositifs interactifs et construisent un référentiel commun

Le dispositif interactif en tant que concept est porté par des discours

communicationnels destinés à l’introduire auprès des consommateurs afin qu’ils s’en

approprient l’idée générale et y adhèrent suffisamment pour établir de nouvelles

pratiques de consommation.

Ces discours créent des imaginaires partagés autour de l’idée de dispositif interactif,

donnant ainsi une impression d’uniformité malgré la multitude des technologies,

techniques et discours que ces dispositifs peuvent couvrir, afin de proposer un

référentiel commun chargé positivement, qui servira de base à toute appropriation et

interprétation.

Ainsi, bien que très différents dans leurs constructions, que ce soit à travers les

techniques qu’ils sous-tendent ou les discours qu’ils mobilisent, les trois dispositifs

étudiés ici sont portés par le même type de discours communicationnel qui attribue

de manière plus ou moins explicite aux dispositifs interactifs une portée

démocratique, tout en les érigeant en symboles de modernité et d’innovation dans le

domaine de la télévision.

Dans l’imaginaire partagé, la notion d’interactivité est donc idéologiquement

chargée. Elle est perçue comme un moyen de communication démocratique grâce

auquel chacun, en donnant son avis, aurait accès à un savoir pluriel où il n’y aurait

pas de croyance dominante. Ainsi, les dispositifs interactifs s’inscrivent dans la

continuité de cette posture et s’enracinent dans « un mythe technoculturel récurrent

Page 35: Mémoire Louise Hurel

35

[…] : la croyance dans le fait que l’implantation des nouveaux dispositifs

d’interactivité technique conduirait nécessairement à une plus grande

démocratisation de la communication sociale. »20

Dans le cas des dispositifs de notre corpus, cela s’exemplifie par l’idée qu’ils

offrent aux télénautes, chacun à leur manière, une certaine prise de pouvoir sur le

contenu des programmes qu’ils consomment en leur permettant d’être actifs.

Ainsi le dispositif interactif de la série What Ze Teuf propose aux téléspectateurs

d’inventer les péripéties des trois personnages principaux en fonction des célébrités

qu’ils rencontrent à chaque épisode. Ce faisant les télénautes peuvent non

seulement avoir un certain impact sur ce qu’ils vont regarder, mais aussi reprendre

un peu de pouvoir sur des personnalités publiques qui ont dans l’imaginaire collectif

un grand ascendant social grâce à leur notoriété, en choisissant, via leurs tweets, les

rôles qu'ils vont endosser. La portée démocratique du dispositif interactif passerait

donc ici par la valorisation des télénautes en leur offrant un privilège qui leur est

habituellement refusé, celui de voir leurs idées portées à l’écran.

Concernant le dispositif interactif de l'émission quotidienne ça vous regarde, la

prise de pouvoir des téléspectateurs passe par l’occasion de se faire entendre dans

un débat politique grâce, notamment, à la vidéo. Ainsi, « de simple téléspectateur, le

citoyen devient acteur dans le débat par webcam interposée »21 et peut espérer

influencer la tournure de celui-ci grâce à sa question. Le fait même que ce dispositif

interactif donne la parole sur un espace public à ceux qui ne l’ont habituellement pas,

l’érigerait en outil communicationnel à portée démocratique. De plus, à travers cette

petite prise de pouvoir donnée via un espace de parole à la télévision, c’est l’idée

plus générale d’une prise de pouvoir sur le débat public qui est convoquée, bien que

cela n’ait pas vraiment d’écho dans les faits, l’émission ne jouissant pas d’une très

grande visibilité et la participation des télénautes étant limitée par les règles

d’utilisation de la technique.

20 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 239 21 http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat

Page 36: Mémoire Louise Hurel

36

Enfin, comme nous l’avons vu précédemment, le dispositif interactif de Rising

Star insiste beaucoup sur cette notion de prise de pouvoir des téléspectateurs qui

deviendrait maîtres de choisir quel candidat part et quel autre reste. Tout comme

²dans le cas de celui de What Ze Teuf, la teneur démocratique de ce dispositif

viendrait ici de la redistribution des pouvoirs entre les personnalités télévisées et le

public qui accède alors à une position importante et reconnue au sein de l’émission.

Ainsi, par le discours sous-jacent des dispositifs interactifs télévisuels, se créé une

référence commune qui associe l’interactivité de ces programmes à une volonté de

plus grande démocratie de la part des producteurs qui les mettent en place. En

s’ouvrant ainsi sur la parole des téléspectateurs, les acteurs de l’industrie télévisuelle

manifestent l’importance du public sur l’existence des programmes et le valorisent en

tant que tel.

Cependant, il est important de noter que la démocratisation des programmes

télévisés relève plus d’une posture communicationnelle et idéologique que d’une

réalité factuelle. En effet « le fait que les dispositifs d’interface d’un système soient

interactifs ne constitue pas une condition suffisante pour que ce système apparaisse

comme automatiquement démocratique. »22 La construction même de ces dispositifs,

qui ont été pensés pour une certaine cible, génère de l’exclusion à travers

l’appropriation sociale de la technique qu’ils induisent.

En plus de cette posture idéologique d’instrument de démocratisation des

programmes télévisés, les dispositifs interactifs sont érigés, à travers des discours

communicationnels et promotionnels, en symboles de la modernisation du média

télévision et du format de ses émissions

Dans le cadre de notre corpus, cette idée se manifeste à travers la récurrence, dans

les discours qui accompagnent ces trois dispositifs, de l’idée de nouveauté, de

première fois.

22 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 247

Page 37: Mémoire Louise Hurel

37

Ainsi, What Ze Teuf est présentée comme « la toute première série interactive et

participative produite et réalisée du jour pour le lendemain »23, d’autres projets de la

même veine ayant déjà vu le jour, mais jamais en flux tendu comme c’est le cas ici.

Dans le cas de ça vous regarde il est moins question d’innovation que de modernité

dans un sens plus large. En effet, la confrontation d’opinions de citoyens aux

discours de parlementaires ne constitue pas une nouveauté, et bien que l’utilisation

de la visioconférence dans un cadre comme celui-ci constitue une originalité, il n’a

rien d’inédit. Cependant les producteurs de ce programme le placent quand même

dans une posture moderniste en ce qu’il « favorise l’information à double sens en

renvoyant les préoccupations, les questionnements des sentinelles citoyennes à

celles des parlementaires »24, ce qui l’inscrit dans l’idée de démocratie participative

étayée par ce que l’on désigne par la posture idéologique le web participatif.

Le dispositif interactif de Rising Star constitue une nouveauté à deux égards : tout

d’abord par le fait que « pour la première fois à la télévision [le] vote est totalement

gratuit » 25 , mais aussi par la mise en place d’ « une technologie inédite en

France »26. Dans ce dernier cas la représentation du dispositif interactif comme gage

de modernité et d’innovation est très forte et constitue même un argument marchand

à elle seule.

Ainsi, à travers des discours communicationnels et promotionnels, le dispositif

interactif se présente dans l’imaginaire collectif comme un concept fortement connoté

idéologiquement, grâce auquel les programmes télévisés se modernisent et à travers

eux la télévision se réinvente en tant que média.

En effet, depuis quelques années nous observons une mythification de la télévision

par elle-même en tant que média de la sociabilité et de la connectivité, grâce à des

stratégies et des discours communicationnels. Ce sont à ces derniers que nous

allons nous intéresser désormais.

23 Site promotionnel de la série whatzeteuf.welovecinema.fr, rubrique « What ze série, Comment ça marche » _ https://whatzeteuf.welovecinema.fr/whatZeSerie.html 24 Site de l’émission « Ca vous regarde » : http://www.lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde-le-debat 25 Page de l’émission hébergée sur le site de la chaine M6, rubrique « vidéos » http://www.m6.fr/rising_star/videos/11393256-rising_star_l_avant_premiere.html 26 Ibid

Page 38: Mémoire Louise Hurel

38

3. Des discours qui réinventent la télévision

Alors que les médias informatisés, communément appelés aussi nouveaux

médias, sont considérés comme les médias de l’individuation et de la

personnalisation, les médias traditionnels, et notamment les médias de masse

comme la télévision, sont perçus comme les vecteurs d’une culture globale et

globalisante, qui appartiendrait à un autre temps et ne serait plus en accord avec les

pratiques de consommation introduites par l’utilisation d’Internet et des médias

informatisés.

Ainsi, pour que la télévision reste attractive et que ses programmes continuent à être

très suivis et à faire face à la concurrence des contenus circulant sur Internet, les

acteurs de l’industrie télévisuelle doivent donner l’impression qu’ils ont compris les

besoins de ces consommateurs nouvellement connectés et qu’ils mettent tout en

œuvre pour s’y adapter.

Cette démarche a donné lieu à une réinvention communicationnelle de la télévision

via des discours qui attribuent à ce média de masse des notions habituellement

associées aux médias informatisés, à savoir la participation, l’interactivité et la

sociabilité. La télévision aurait donc mué, passant d’un média traditionnel à un média

hybride, ce dont l’ajout récent d’adjectifs qualificatifs témoigne.

Ce faisant, la télévision réussit deux tours de force, à savoir éviter l’écueil de

la concurrence de médias attractifs parce que nouveaux et porteurs de promesses,

mais aussi se donner une image plus positive et séduisante en cassant sa mauvaise

réputation de canal de diffusion verticale, au service de la société de consommation

et de ses élites.

Avec l’apparition des nouveaux médias convergents sur lesquels peuvent se

consommer tous types de contenus, notamment audiovisuels, et ce de manière

gratuite et presque infinie, beaucoup de pessimistes prédisaient la mort de la

télévision, comme ils l’avaient déjà fait au moment de l’arrivée, dans les ménages, de

cette dernière qui était supposée mettre fin au règne de la radio. Cependant, bien

loin d’enterrer la télévision, les médias informatisés lui ont donné un second souffle.

En effet, les formats de cette dernière s’adaptant très bien aux nouvelles

technologies, la télévision a su tirer partie des nouveaux espaces et des nouvelles

possibilités qui se sont offerts à elle, en prolongeant ses programmes sur de seconds

Page 39: Mémoire Louise Hurel

39

écrans, grâce, notamment, à la mise en place de dispositifs utilisant les nouvelles

technologies, faisant ainsi le lien entre le poste de télévision et les écrans des

médias informatisés.

En déplaçant une partie de son offre sur de nouveaux canaux, le petit écran tente

aussi de se défaire de l’image négative qu’il traine depuis plusieurs décennies d’un

média qui assomme les foules et est au service des élites. En effet, en utilisant, à

travers ses dispositifs interactifs, les médias informatisés et internet, canaux de

participation et de création où chacun à la possibilité de s’exprimer librement, la

télévision tend à casser le préjugé selon lequel elle pousse à la passivité, et se

présente comme plus horizontale et démocratique.

Les dispositifs interactifs télévisuels auraient donc été créés et pensés comme

des instruments stratégiques au service de l’instauration d’une nouvelle image de la

télévision en tant que média hybride. Ils servent de justification au discours des

producteurs et diffuseurs, se donnant à voir comme la mise en pratique des

promesses communicationnelles qu’ils proposent.

Dans le cas des dispositifs de notre corpus, Rising Star est celui qui a été le

plus instrumentalisé dans ce sens, son discours étant clairement porté sur la

réinvention de la télévision à travers l’innovation technique et la redistribution des

rôles entre téléspectateurs et personnalités télévisées.

La technologie utilisée ici étant présentée comme « inédite en France », c’est l’image

d’une télévision moderne et audacieuse qui est véhiculée à travers elle, qui prend

des risques et se renouvelle sans cesse au même rythme que les médias

informatisés sur lesquelles elle s’appuie. La promotion de cette technologie comme

nouvelle et inédite ne se contente pas de donner une image plus moderne du média

qui l’utilise, elle contient aussi la promesse d’une nouvelle expérience pour les

téléspectateurs. En effet, qui dit nouvelle technologie, dit nouvelle pratique, et dans

le cas de dispositif interactif, nouvelle pratique participative. Ainsi, parce qu’il est

interactif, le dispositif de Rising Star va permettre au public de participer, et parce

qu’il est construit par une technologie nouvelle et innovante il va aller plus loin et

mettre en scène les téléspectateurs dans l’émission, en leur accordant une place non

seulement visible, mais en plus centrale, entre les candidats et les « experts ».

Page 40: Mémoire Louise Hurel

40

En valorisant la technologie utilisée, ce discours communicationnel donne donc

l’impression que le public jouit d’une nouvelle liberté qui n’aurait pas été

envisageable du temps de la télévision-tout-court, et qui l’est maintenant grâce à

l’hybridation du média et de ses programmes. Si la mise en place d’un tel dispositif

est une avancée indéniable dans le domaine du divertissement télévisuel, notons

cependant que le média dans lequel il s’inscrit n’a pas tant changé que ça, ce que la

construction de ce dispositif instrumental nous permet de constater. En effet, comme

nous l’avons étudié précédemment, la manipulabilité technique de ce dispositif est

très faible, contraignant la participation des télénautes qui, de plus, s’inscrit dans un

scénario très écrit et encadré. Ainsi, ce n’est pas tant de participation dont il est

question ici que d’image de la participation et de posture participative adoptée par les

producteurs et diffuseurs.

Le discours communicationnel accompagnant le dispositif interactif de Rising

Star ne se contente pas de renvoyer l’image d’une télévision novatrice et

démocratique, il promet aussi une télévision plus transparente, qui s’efface en tant

qu’objet médiateur pour ne laisser place qu’à la communication directe entre les

hommes : « Entre eux [i.e. les chanteurs pleins de rêves] et vous, un mur digital »27.

Disparaissent ainsi du discours les écrans, ceux de la télévision et des médias

informatisés portatifs. Grâce au dispositif interactif les téléspectateurs sont

directement dans l’arène, la barrière qui les séparait de leur divertissement s’effondre

peu à peu. Ainsi, la télévision ne se regarderait plus mais deviendrait le lieu

d’expériences médiatiques fortes, comme le souligne cette citation d’une des

présentatrices de Rising Star lors de l’avant-première : « Rising star n’est pas

seulement une émission qu’on regarde, c’est une émission qu’on vit »28.

Ce phénomène n’est pas nouveau. Comme le précise Yves Jeanneret dans une note

écrite sur la médiation pour la Commission Nationale Française pour l’Unesco, « on

ne cesse d’attribuer, depuis deux siècles notamment, à des dispositifs la capacité à

permettre la communication directe entre les hommes, ces dispositifs étant toujours

27 Page de l’émission hébergée sur le site de la chaine M6, rubrique « vidéos » http://www.m6.fr/rising_star/videos/11393256-rising_star_l_avant_premiere.html 28 Ibid

Page 41: Mémoire Louise Hurel

41

nouveaux, car il est nécessaire pour le maintien de cette illusion qu’elle se renouvelle

sans cesse, chaque vague d’innovation chassant l’autre. »29

La télévision, en tant que média, relèverait finalement autant de paramètres

technologiques, techniques et contenus, que de discours communicationnels qui la

positionnent d’une certaine manière face aux médias concurrents, et ce dans un

contexte particulier.

Ces discours apparaissent à divers niveaux, à travers la parole des animateurs, à

travers les discours accompagnant les dispositifs interactifs qui sont eux-mêmes des

instruments au service de cette posture sociale et novatrice de la télévision, ou

encore à travers les adjectifs utilisés par les acteurs de cette industrie et par les

journalistes pour la qualifier.

Ainsi, si les adjectifs « connectée » et « sociale » restent recevables, l’un parce qu’il

renvoie à la technique utilisée et aux possibilités offertes par certains postes, l’autre

parce qu’il fait référence à une certaine réalité historique, la télévision ayant été

depuis sa création un média de la sociabilité, le qualificatif « interactive » n’est

scientifiquement pas recevable, le modèle de la télévision reposant toujours

essentiellement sur la diffusion à sens unique de contenu et non sur l’échange et

l’interaction. Aussi, la mobilisation du terme « interactivité » par les acteurs de

l’industrie télévisuelle s’appuie-t-elle sur le flou sémantique de cette notion pour

réinventer la télévision et la rendre plus attractive. En effet, « plus les entreprises

médiatiques feront appellent à des techniques soi-disant interactives, plus il leur sera

facile de promouvoir l’idée que ces médias seront ainsi davantage

démocratiques. »30

C’est cette ambigüité de l’interactivité que nous allons dorénavant questionner

afin d’en saisir un peu mieux la portée.

29 JEANNERET Yves, « Médiation » dans La « société de l’information » : glossaire critique pour La Commission Nationale Française pour l’UNESCO _ p105 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Glossaire_Critique.pdf 30 Ibid, p 245

Page 42: Mémoire Louise Hurel

42

C) L’interactivité : un concept promotion porté par l’imaginaire du web participatif

1. De l’ambigüité du terme « interactivité »

Afin de comprendre ce qui se cache derrière ce terme très utilisé et pourtant

très flou, intéressons-nous tout d’abord à la définition qui en est donnée dans

l’édition 2014 du dictionnaire Hachette:

« interactivité n. f. INFORM Dialogue, échange entre l’utilisateur et un programme.»

Si cette définition véhiculée par le dictionnaire semble claire et simple, la mise

en place d’une définition académique et scientifiquement recevable semble

beaucoup plus compliquée. En effet, l’entrée dans le langage courant du terme

interactivité s’étant faite avec les discours sur les médias informatisés et la

télécommunication, elle relèverait avant toute chose d’une représentation sociale,

une construction discursive de la réalité, ce qui expliquerait qu’elle soit imprécise

pour les spécialistes qui abordent le sujet d’un point de vue technique, mais très

claire et utile pour ceux qui en font la promotion et qui en sont usagers.

Aussi, alors que, selon son acception commune, l’interactivité serait le pendant

techniciste de l’adjectif interactif, et que l’interaction renverrait à son aspect social,

celui d’une conversation engagée entre deux individus31, tentons d’aller plus loin et

de comprendre ce qui les différencie vraiment au niveau même de leurs

constructions discursives et des représentations sociales qui leur sont associées.

Tout d’abord, la notion d’interaction se conceptualiserait par l’idée d’une action

réciproque et de même valeur. Partant du principe que pour qu’il y ait action il faut

une intention et une conception conscientes du récepteur en amont, une interaction

ne pourrait se produire qu’entre deux êtres vivants. En effet, la conception de la

communication comme un signal-envoyé et un signal-réponse ne suffit pas selon

Jacques Lacan, pour qui ce n’est pas tant le contenu du message ni son

déclenchement qui sont importants pour qu’il y ait interaction, mais le fait « qu’au

31 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 239

Page 43: Mémoire Louise Hurel

43

point d’arrivée du message, on prend acte du message »32, ce dont la machine est

incapable.

De plus, selon Catherine Kulnat-Ovecchioni, on aurait « toujours affaire à un système

d’influences mutuelles, ou bien encore à une action conjointe » lorsque nous

sommes dans une situation d’interaction33. Cette notion ne relèverait donc pas d’une

addition de réponses accolées les unes aux autres, mais d’une coprésence des

entités conscientes qui co-construisent l’interaction. Ainsi il existerait des situations

plus ou moins interactives selon le degré de présence des acteurs participant à la

construction de l’interaction.

L’interactivité, quant à elle, dans son acception technique de mise en relation

discursive des hommes avec leurs machines serait une métaphore de l’interaction

qui attribuerait « à la machine la capacité d’agir comme nous »34, ou plus exactement

une construction métaphorique d’une interaction basée sur le modèle homme à

homme, dans la programmation de la machine.

Cependant, l’interactivité étant une construction discursive découlant de sa propre

réalité, et dont les pratiques diffèrent de celles associées aux situations d’interaction,

elle se réfèrerait plus à un simulacre d’interaction qu’à une de ses métaphores. En

effet, cette notion ne copie pas le réel, qui renverrait ici à l’interaction, mais le

remplace, constituant ainsi un simulacre selon l’acception de Jean Baudrillard.

Contrairement au terme interaction dont la portée est claire et cohérente au fil des

définitions données par les multiples auteurs qui s’y sont intéressés, la notion

d’interactivité se construit donc dans l’ambigüité car son sens est dépendant des

différents discours qui l’accompagnent et lui donnent des vocations différentes selon

les besoins des énonciateurs.

Ainsi cette apparente réalité de l’interactivité, induite par sa construction

discursive et idéologique, peut être étudiée comme argument de vente. En effet, « la

rapidité avec laquelle on adjoint – dans les discours – le terme interactif à diverses

techniques médiatiques, sans pour autant en donner un sens précis, indiquerait que,

32 LACAN Jacques, Le séminaire, III, Les psychoses (1955-1956), Paris, Seuil, 1981 _ p 213 33 KULNAT-OVECCHIONI Catherine, Le discours en interaction, Paris, Armand Colin, 2005 _ p 14 34 JEANNERET Yves, Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ?, Presses Universitaires du Septentrion, Paris, 2007 _ 166

Page 44: Mémoire Louise Hurel

44

bien souvent, son utilisation relèverait davantage d’une astuce de vente que d’une

description adéquate de la technologie mise en place. »35

L’interactivité peut aussi servir à créer une appropriation sociale de la

technique, une façon de se représenter les objets et notre façon d’agir avec eux afin

de construire un désir autour de ces instruments et que nous nous les appropriions.

La base de la promesse ici est la garantie d’une vie sociale plus riche.

Le discours, en construisant un référent qui permettra aux usagers de combler le

vide qui les sépare de la technique, créé des pratiques qui finissent par normer un

certain rapport au monde. L’interactivité relèverait alors de la croyance à l’idéologie

relayée par le discours et dans laquelle s’inscrivent les pratiques.

Le terme interactivité serait donc un référent imaginaire global dont le

signifiant est vide et dans lequel chacun peut placer ce qu’il veut tant que c’est un

signifié positif. Ce signifié peut être la promesse d’une plus grande démocratisation

de la communication s’accompagnant d’une valorisation de l’individu dans un

contexte interactif, mais aussi d'une économie de temps considérable grâce à

l’efficacité maximale du dialogue homme-machine, cette dernière prenant le rôle

d’assistant dans les tâches les plus diverses de la vie professionnelle ou personnelle

de l’utilisateur.

Cette notion ayant été utilisée au départ dans le domaine de l’informatique et

s’étant démocratisée avec les discours liés aux nouvelles technologies, elle s’inscrit

fortement dans le contexte du web participatif, posture idéologique liée à Internet

selon laquelle les avancées technologiques du réseau permirent aux internautes, via

des fonctionnalités techniques et des usages, de prendre part à la société parallèle

qui se développe en ligne selon un modèle et des règles qui lui sont propres.

35 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 246

Page 45: Mémoire Louise Hurel

45

2. Un concept qui s’inscrit dans un imaginaire global lié au web participatif : un nouveau modèle social basé sur le partage

La convocation de plus en plus courante de la notion d’interactivité, et ce dans

des domaines aussi variés que l’éducation, la politique ou encore le divertissement

avec la télévision, s’inscrit dans un contexte plus large porté par les idéologies du

web participatif qui se sont répandues dans toutes les couches de la société.

La web participatif renvoie, dans un premier temps, à la réalité technique

effective du réseau Internet qui, en parallèle de sa démocratisation exponentielle,

devient de plus en plus performant et ouvre de nouvelles possibilités à ses

utilisateurs. Ainsi, alors que la technologie sur laquelle repose cette connectivité est

de plus en plus complexe et sophistiquée, elle se présente à travers des interfaces

qui se donnent à lire comme intuitives et apparaissent de plus en plus simples à

utiliser.

A cette réalité technique s’ajoute une réalité des usages et pratiques

constituantes du web participatif que Milad Doueihi désigne dans son ouvrage La

grande conversion numérique sous le concept de « culture numérique » et qui se

réfère à l’ensemble des technologies conjuguées ayant produit et produisant toujours

des pratiques sociales qui menacent ou contestent la viabilité et la légitimité de

certaines normes socio-culturelles établies36 . Cette culture numérique exige de

nouvelles formes de savoir-lire que l’auteur appelle « la compétence numérique » et

dont la partie la plus importante est la « production collective de contenu ».37

Cette production collective de contenu touche toutes les couches de l’écriture

numérique, allant de la simple participation via la rédaction d’un commentaire sur la

page d’un article de blog par exemple, jusqu’au cœur même de l’architexte avec la

rédaction et le partage d’outils et de données concernant les codes constitutifs de

certains logiciels, alors appelés logiciels libres. Ainsi, non seulement chacun peut

participer, mais peut aussi avoir accès librement et gratuitement aux savoirs et

compétences des autres internautes, notamment grâce à la mise en place du

copyleft qui s’est construit en opposition au copyright, c’est à dire au droit d’auteur,

36 DOUEIHI Milad, La grande conversion numérique, Seuil, Paris, 2008 37 Idem

Page 46: Mémoire Louise Hurel

46

législation qui ne peut, pour Milad Doueihi, être viable dans le cadre du web

participatif.

C’est cette production de contenu collective que la télévision se réapproprie à sa

manière à travers les dispositifs interactifs qui donnent l’impression d’une co-création

des programmes.

Nous assistons donc au passage d’une société du secret et du

développement privé, à une culture participative de coopération sociale38. C’est dans

ce contexte que s’est répandue, dans de très nombreux et variés domaines, la

mobilisation de la notion d’interactivité qui est alors devenue le symbole de ce

nouveau modèle social du partage permis par la technique.

Ces pratiques basées sur le partage et la participation sont à l’origine de

création permanentes de communautés modulaires dont la fluidité et l’évolution

rapides seraient caractéristiques de la souplesse expérimentale de la citoyenneté

virtuelle39.

Ces communautés étant fondées sur le partage de mêmes valeurs et de centres

d’intérêts communs entre les différents internautes qui les composent, de nouvelles

sphères d’influence voient le jour en leur sein, ce qui amène Milad Doueihi à les

penser comme de véritables espaces publics virtuels, avec leur propre agora,

culturelle et politique, où se discutent et se décident les fondements de l’intérêt

commun40.

Bien que pour l’auteur la constitution de ces communautés ne soit pas

motivée par un idéal social et qu’elle s’appuie essentiellement sur la technologie et

les usages imprévus qu’exige la compétence numérique nécessaire à l’établissement

d’effets sociaux et politiques41, nous constatons que le web participatif n’est pas que

la conjoncture d’une sophistication technologique et de l’évolution des pratiques qui y

sont liées, mais qu’il est aussi construit par un ensemble de discours qui

accompagnent ces pratiques et technologies, et les mythifient comme les miroirs

d’une société en plein changement. 38 DOUEIHI Milad, La grande conversion numérique, Seuil, Paris, 2008 39 Idem 40 Idem 41 Idem

Page 47: Mémoire Louise Hurel

47

En effet, comme nous l’avons évoqué précédemment, l’évolution des technologies et

des pratiques est présentée et pensée comme la promesse d’un nouvel ordre social

et culturel plus démocratique, alors même qu’elle est à l’origine de ce que Milad

Doueihi appelle la « fracture numérique ». Cette fracture s’opère, d’une part, au

niveau des technologies, entre leur développement rapide et complexe et leurs seuils

d’utilisabilité et d’accès, et d’autre part au niveau des pratiques, entre les utilisateurs

assidus des médias informatisés et d’Internet, qui constituent une nouvelle

aristocratie numérique que l’on appelle les manipulateurs, et les autres, ceux qui

restent passifs et ne modifient en rien leur environnement numérique et qui sont

appelés les utilisateurs42.

Le web participatif et les usages qui y sont associés sont donc capables d’apporter

de grands changements, mais aussi d’introduire de nouvelles formes d’isolement.

Cependant, ce n’est pas cet aspect du web interactif que l’imaginaire commun

a retenu, mais le fait que ce dernier et l’interactivité qu’il sous-tend, répondraient à un

besoin d’une plus grande interaction sociale dans les logiques de communication,

grâce à « laquelle les citoyens et citoyennes peuvent prendre la parole et ainsi

développer les moyens de diffuser des points de vue pluriels »43. Ce besoin a « une

histoire [probablement] aussi longue que celles des techniques médiatiques elles-

mêmes »44 car, même si le mot n’a jamais été prononcé explicitement, la notion

d’interaction a eu un rôle très important dans la critique des médias de masse dès

les années 1930. C’est pourquoi les médias traditionnels, tels que la télévision, ont

repris à leur compte les pratiques et discours inhérents au web participatif à travers

la mise en place de dispositif interactifs, cassant leur image de média de masse

impersonnel et se présentant ainsi comme des réponses aux aspirations

individualistes et à la volonté de distinction des consommateurs.

Ainsi, la promotion de dispositifs techniques et de contenus interactifs agit

comme la promesse d’un « mouvement d’appropriation sociale des médias ou

d’engagement actif des publics […] dans la fabrication et la diffusion de contenus

42 DOUEIHI Milad, La grande conversion numérique, Seuil, Paris, 2008 43 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 243 44 Ibid, p 242

Page 48: Mémoire Louise Hurel

48

médiatiques correspondant mieux à leurs besoins »45, inscrivant par là même le

média qui les construit, à savoir ici la télévision, dans un mouvement d’individuation

des consommateurs et de personnalisation des programmes.

3. Un concept qui s’inscrit dans un imaginaire global lié aux médias

informatisés : personnalisation et usage individuel des « nouveaux médias »

Comme évoqué précédemment, les médias informatisés sont, dans

l’imaginaire partagé, des supports de l’individuation et de l’accès à du contenu

personnalisé.

Cela s’explique, premièrement, par le fait que ces médias soient de plus en plus des

outils à usage individuel, le modèle de l’ordinateur familial laissant peu à peu place à

celui du média informatisé portatif personnel.

A cette utilisation individuelle des nouvelles technologies, s’ajoute le fait que le web

participatif auquel elles donnent accès soit associé à la promesse d’une

consommation culturelle plus personnalisée, où chacun peut trouver le contenu qui

lui correspond, en lien avec ce qu’il aime et ce qu’il veut.

Cette promesse est, tout d’abord, permise par la technique et notamment par la mise

en place de cookies, petits fichiers textes qui permettent aux développeurs de

récupérer et conserver des informations quant à la navigation des internautes sur

leurs sites, informations qui seront réutilisées pour faciliter les prochaines visites de

ces derniers, via la proposition, par exemple, de contenu personnalisé. Ainsi, en

navigant sur le web, et donc sur le web participatif, les consommateurs ont accès à

des informations qui sont en lien avec les contenus qu’ils ont préalablement

consommés et qui sont techniquement anticipés comme correspondant à leurs

centres d’intérêts.

Cette promesse est aussi portée par les discours qui accompagnent l’appropriation

du web participatif par les populations, en mettant notamment en avant le fait que ce

soit un espace social et culturel où les contenus proposés ne viennent pas que

d’institutions professionnelles mais aussi d’utilisateurs amateurs de tous horizons.

45 PROULX Serge et SENECAL Michel, « L’interactivité technique, simulacre d’interaction sociale et de démocratie ? », Revue TIS (Technologies de l’Information et Société), vol. 7, n°2, avril 1995, p 243

Page 49: Mémoire Louise Hurel

49

Ainsi, alors que les médias traditionnels sont représentés comme des médias de

masse, dont la consommation est impersonnelle et qui sont centrés sur eux-mêmes,

les médias informatisés sont pensés comme des outils personnels, centrés sur

l’individu.

Soulignons ici le paradoxe qu’un tel discours entretient : c’est à travers des outils de

grande consommation donnant accès à un espace virtuel illimité et transfrontalier,

sur lequel se concentrent des masses d’individus jusque là inégalées, que passent

aujourd’hui les phénomènes d’individuation de la consommation culturelle.

Ce paradoxe nous laisse donc penser que l’imaginaire partagé autour des

médias informatisés appréhendés comme des outils de l’individuation et de la

personnalisation relève tout autant de la réalité des pratiques que du discours

mythifiant. En effet, comme nous l’avons évoqué plus haut, les nouveaux médias

sont effectivement des outils de la personnalisation grâce à la technique qu’ils

convoquent et aux pratiques qu’ils sous-tendent. A priori cette réalité des médias

informatisés a pour avantage de mettre en avant plusieurs types de cultures

différentes, portées par toutes sortes d’individus, ce qui les oppose aux médias de

masse qui véhiculent, quant à eux, une culture dominante écrasant toutes les autres

et uniformisant la société. Cependant, les faits sont plus ambigus et nous prouvent

que ce discours positif sur les pratiques reste caricatural et mythifiant. En effet, seule

une poignée de contenus circulent vraiment et massivement sur le web, recréant le

même schéma de culture dominante, qui est, de plus, bien souvent maitrisé par les

mêmes institutions qui gouvernent les médias traditionnels, ces dernières s’étant

déportées sur le réseau internet où elles sont à l’origine des contenus qui circulent le

mieux.

L’ambigüité du web participatif tient aussi à la promesse de la personnalisation

des contenus qui est perçue, au premier abord, comme un gain de temps, mais qui,

finalement, pose des problèmes de diversité de l’offre et d’accès aux contenus les

moins visibles. De plus, la liberté prêchée par les discours chaperonnant le web

participatif se retrouve bafouée par le principe même de proposition de contenus

adaptés qui sont présélectionnés par les développeurs des sites Internet et les

grandes entreprises comme Google ou Facebook.

Ainsi, l’individuation et la personnalisation offertes par l’utilisation des médias

informatisés relèvent en grande partie de discours communicationnels qui les

Page 50: Mémoire Louise Hurel

50

opposent aux médias de masse en tant qu’outils d’une nouvelle démocratie

culturelle.

En se réappropriant les promesses de partage et d’individuation des médias

informatisés via la mise en place de dispositifs interactifs, la télévision en convoque

autant les pratiques et techniques que les discours. Cette posture s’affirme par la

promesse de la participation et de la co-création grâce à l’interactivité, mais aussi par

la mise en place de programmes personnalisés, en passant du modèle de la

programmation à celui de la recommandation.

L’adoption de cette posture d’un renouveau social plus démocratique où

l’individu n’est pas noyé dans la masse mais s’affirme dans ses différences et

particularités, que ce soit par le web participatif, les médias informatisés qui y

donnent accès ou les médias traditionnels qui s’adaptent, s’inscrit dans une logique

économique très prégnante.

En effet, l’instrumentalisation des dispositifs interactifs télévisuels sert des discours

qui réinventent la télévision et l’inscrivent dans un contexte de modernité porté par

les idéologies du web participatif, qui servent à leur tour des impératifs économiques

qui régissent les domaines de la culture et du divertissement aujourd’hui.

Ce sont à ces impératifs économiques que nous allons nous intéresser à présent en

étudiant la mise en place de dispositifs interactifs télévisuels comme des instruments

au service de ces contraintes.

Page 51: Mémoire Louise Hurel

51

PARTIE 2 _ LES DISPOSITIFS INTERACTIFS TELEVISUELS : DES

MACHINES A CAPTURER ET MONETISER L’USAGE

Comme tous les médias, qu’ils soient traditionnels ou nouveaux, la télévision

est soumise à des impératifs économiques très prégnants qui servent de ligne

directrice aux innovations de contenus et de formes mises en place. Ainsi, elle serait

moins un outil d’ouverture sur l’extérieur au service de ses utilisateurs qu’un

instrument de communication et de promotion pour les annonceurs qui la financent.

Cet état de fait a d’ailleurs été clairement exposé en juillet 2004 par le PDG de TF1

de l’époque, Patrick Le Lay, qui avait défini le métier de la chaine comme tel :

« Nos émissions ont pour vocation de le [i.e. le cerveau du téléspectateur] rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola c’est du temps de cerveau disponible. »

Si cette déclaration, par sa franchise cynique, a fait polémique, elle a le mérite de

présenter la télévision telle qu’elle est et non telle qu’elle veut se donner à voir.

Pour tenter de comprendre comment fonctionne la télévision au delà de

l’image créée par les discours communicationnels qui l’accompagnent, il est

important de considérer chaque innovation qui est mise en place pour la servir sous

l’angle de sa plus-value économique.

C’est pourquoi nous allons désormais nous intéresser aux dispositifs interactifs

télévisuels en tant qu’instruments au service d’impératifs économiques, qui

répondent à des besoins traditionnels du domaine, que ce soit la nécessité de

Page 52: Mémoire Louise Hurel

52

contracter le plus fort taux d’audience possible, ou d’adapter ses formats à

l’intégration de messages publicitaires, ainsi qu’à des besoins s’inscrivant dans une

logique moins connue, celle de l’économie scripturaire.

Commençons par étudier les dispositifs interactifs de notre corpus en tant que

réponse au besoin traditionnel des programmes télévisés de se distinguer et d’être

visibles au sein d’un système où la concurrence est très forte, afin de capter

l’attention des téléspectateurs et surtout de la conserver via des dispositifs

engageants.

A) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’économie de l’attention

Dans un contexte très concurrentiel, que ce soit entre les différentes chaines

et les multiples programmes qu’elles proposent d’une part, ou entre la télévision et

les médias informatisés accompagnés du web participatif d’autre part, les dispositifs

interactifs semblent être la réponse adéquate au besoin de visibilité et d’engagement

des publics qui régit une certaine économie de l’attention. En effet, ils permettent à

un programme de se distinguer d’un autre en proposant à un public anticipé du

contenu et des pratiques adaptés, qui sauront les séduire en les impliquant via la

promesse d’interaction et de participation. Ils permettent aussi à la télévision

d’investir les médias informatisés et le réseau Internet en prolongeant leur offre sur

ces canaux, ce qui assure du même coup une certaine circulation aux contenus.

Afin de bien comprendre comment sont instrumentalisés les dispositifs interactifs

télévisuels de notre corpus, commençons par nous intéresser à la manière dont ils

sont pensés et construits à travers l’image d’un public anticipé.

1. Des dispositifs interactifs pensés comme une réponse au besoin d’engagement des publics

Afin de capter l’attention du public, il est nécessaire, dans un premier temps,

de se le représenter à travers ses goûts et ses pratiques pour ensuite y adapter le

Page 53: Mémoire Louise Hurel

53

format et le contenu du programme. Pour ce faire, une cible est alors délimitée et

définie selon l’âge, le sexe ou encore la catégorie socio-professionnelle des types de

consommateurs visés. C’est ainsi qu’est transformée « une collection mal connue de

lecteurs, de spectateurs ou d’usagers potentiels en un lectorat, une audience, une

communauté susceptibles d’être montrés à des acteurs décisionnels. »46

La cible de la série télévisée interactive What Ze Teuf est composée de

jeunes âgés de 15 à 30 ans, qui utilisent quotidiennement Twitter et sont très à l’aise

avec les codes de ce réseau social, alors que le public anticipé pour l’émission de

débats Ca vous regarde est moins défini par l’âge de ses membres que par leurs

pratiques citoyennes, ces derniers étant représentés comme politisés, au fait des

grandes questions d’actualité et ayant un avis prononcé. Le télé-crochet Rising Star

étant, quant à lui, diffusé en prime-time et destiné à être regardé par le public le plus

large possible, la cible est beaucoup moins définie, allant du jeune hyper connecté à

la ménagère de moins de 50 ans. Cette volonté de toucher des profils très différents

complexifie la mise en place du dispositif interactif de l’émission, celui-ci devant

répondre à des besoins, des compétences et des attentes très variéS.

A ces publics anticipés sont associés des champs d’attentes formés par leurs

pratiques et les représentations qu’ils associent à un certain type de média ou de

contenu. Ces attentes trouvent leur source dans la mémoire sociale des récepteurs

qui ne peuvent s’approprier un média qu’en reconnaissant ses formes et ses

promesses, en l’associant à un déjà-là47.

L’adaptation des programmes et de leurs dispositifs interactifs aux attentes

préméditées des cibles, passe par ce que Yves Jeanneret appelle la figuration, c’est

à dire « l’art de mettre en œuvre ces formes [i.e. de l’attente] en un texte médiatique

concret et singulier. »48

La figure de l’adaptation à un public jeune et connecté passe, dans le cas de What

Ze Teuf, par l’utilisation d’un réseau social investi à majorité par des moins de 30 ans

ou des internautes avertis, ainsi que par l’utilisation d’un langage informel et par

46 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014, p 94 47 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014 48 Ibid, p 71

Page 54: Mémoire Louise Hurel

54

l’intervention de personnalités télévisées très populaires auprès de cette cible, telles

que Cartman ou Vincent Desagnat.

Dans le cas de Ca vous regarde, l’utilisation d’un langage soutenu et parfois

spécialisé, ainsi que la mise en place d’un dispositif technologique qui ne requiert

pas de compétences techniques particulières mais qui suppose une certaine

confiance en soi et en ses idées, sont autant de figurations de l’adaptation à un

public averti au sujet des grandes questions politiques de notre temps.

Enfin, la mise en place d’un dispositif interactif à l’architexte contraignant mais simple

à utiliser, ne demandant aucune compétence technique particulière, et présenté par

un discours au ton détendu sans être familier, témoigne d’une volonté d’adapter le

format et le contenu du programme à un public large, regroupant des catégories

variées de consommateurs et de téléspectateurs.

En anticipant ainsi des publics à conquérir via l’adaptation des programmes à l’image

qu’ils se font de leurs attentes, les acteurs de l’industrie télévisuelle assurent à leurs

contenus une certaine visibilité qui sera la première étape vers la fidélisation de

l’audience.

Les acteurs de l’industrie télévisuelle ont, au fil du temps, développé de

nombreuses stratégies destinées à fidéliser leurs audiences. Si mettre en place des

programmes correspondant à l’idée que l’on se fait des besoins et envies des

téléspectateurs en est une, l’implication de ces derniers via des dispositifs interactifs

en est une autre.

Arrêtons-nous un instant sur l’utilisation même de l’adjectif interactif qui, ici, constitue

déjà en lui-même une promesse de fidélisation et ce, tant pour les décisionnaires des

grands groupes télévisuels que pour les téléspectateurs. En effet, comme nous

l’avons évoqué précédemment, le terme interactivité étant ambigu, voire même vide

de signifiant, chacun peut l’investir du signifié qu’il veut et le doter de la portée de

son choix. Ainsi, le fait de qualifier les dispositifs télévisuels accompagnant les

programmes d’« interactifs » renvoie, pour les producteurs, à la promesse d’un public

attentif et investi, et pour les récepteurs à une ouverture à la participation et à la co-

création, ce qui, dans les deux cas, constitue des étapes préliminaires et nécessaires

à la fidélisation.

Page 55: Mémoire Louise Hurel

55

Les dispositifs interactifs télévisuels sont donc, aussi, des instruments de

fidélisation des publics, parce qu’ils requièrent une certaine attention nécessaire à la

participation d’une part, mais aussi parce qu’ils sont chargés d’une idée de

valorisation des téléspectateurs et de récompense de leur fidélité, ce qui donne lieu à

un cercle vertueux, la récompense appelant la fidélité, la fidélité entrainant la

récompense. Cependant, si elles participent du même mouvement et restent très

proches, la valorisation et la récompense du public ne se donnent pas à voir à

travers les mêmes modalités des dispositifs interactifs.

En effet, la valorisation des publics passe par les discours qui chargent l’interactivité

des dispositifs d’une promesse de nouvelles marges de manœuvres accordées aux

téléspectateurs jusque là contraints à la passivité. Cette ouverture des formats sur le

public se lit comme un gage de confiance des producteurs accordée aux récepteurs,

voire même une prise de conscience de l’importance des ces derniers. Ainsi, on leur

fait confiance quant à l’écriture du synopsis dans What Ze Teuf, on leur fait confiance

quant à leur capacité à poser des questions pertinentes et intelligentes aux élus, et

ce aux yeux de tous, dans le cadre de Ca vous regarde, et enfin on les juge

suffisamment clairvoyants pour être jurés et décider du sort des candidats dans

Rising Star.

Si la valorisation des publics passe par les promesses induites par les discours des

dispositifs interactifs, leur récompense passe par leur visibilité à l’écran permise par

les technologies utilisées. Ainsi, le propriétaire du compte Twitter via lequel a été

émis le tweet sélectionné pour écrire le scénario de l’épisode du lendemain de What

Ze Teuf est récompensé en voyant son nom et son post, tel qu’il l’a écrit, apparaître

à l’écran de télévision au début de l’épisode. La récompense accordée aux

télénautes fidèles et participants de l’émission Ca vous regarde est celle de se voir

apparaître physiquement à l’écran, aux côtés des parlementaires. Même son de

cloche pour Rising Star où les utilisateurs du dispositif interactif voient leurs photos

de profil apparaître sur le mur digital dans un premier temps, puis redéfiler sur le côté

droit de l’écran lorsque les experts commentent les performances des candidats, et

ceux, qu’ils aient voté oui ou non.

La récompense est donc la formalisation technique de la valorisation des publics,

qui, elle, tient plus du discours.

Page 56: Mémoire Louise Hurel

56

En misant ainsi sur un public cible anticipé, aux attentes duquel les formats et

contenus des programmes seront adaptés, et qui sera valorisé et récompensé à

travers des dispositifs interactifs, les acteurs de l’industrie télévisuelle espèrent

engager les téléspectateurs afin de s’assurer une bonne audience. Le calcul de ces

audiences, appelée médiametrie, reste la mesure phare du succès d’une émission,

et donc de sa valeur marchande.

Cette importance de l’audimat, si elle à toujours été au centre du modèle de la

télévision, se retrouve décuplé avec la démocratisation des médias informatisés et

du réseau Internet. En effet, ces dernières décennies, le taux d’informations, créées

et mises à disposition via le web, a explosé, réactualisant et renforçant les logiques

de marché que sous-tend l’économie de l’attention. De plus, les nouveaux médias

impliquent de nouvelles pratiques de lecture-écriture qui influent sur les capacités

attentionnelles des récepteurs, qui deviennent des ressources de plus en plus rares.

2. Les dispositifs interactifs au service de l’économie de l’attention et l’économie de l’audience

L’économie de l’attention dont il est question ici trouve sa source dans

l’évolution de la société de l’information au cours du 20ème siècle, avec l’accès

progressif à la gratuité de l’information qui s’est peu-à-peu normalisée. Déjà en 1971,

Herbert Simon évoquait le fait que la rareté ne se trouvait plus dans l’information

disponible mais dans la capacité des récepteurs à la traiter. Ainsi, la valorisation

économique de la ressource rare ne tient plus à la possession et la diffusion de

l’information mais à la captation et la conservation de l’attention des consommateurs.

Cependant, ce n’est qu’un siècle et demi plus tard que fut formulé pour la première

fois le concept d’économie de l’attention en tant que tel, dans l’article « The attention

economy and the net » rédigé par Michael H. Goldhaber en 1997 pour le journal en

ligne Frist Monday. Il y décrit une nouvelle économie de marché qui se développe en

parallèle de la démocratisation de l’accès à Internet, et qui se fonde, non pas sur

l’information car « economies are governed by what is scarce, and information,

especially on the Net, is not only abundant, but overflowing »49, mais sur « something

49 GOLDHABER Michael H. « The Attention Economy and the Net », First Monday, Vol 2, n° 4, 1997 http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/519/440

Page 57: Mémoire Louise Hurel

57

else that moves through the Net, flowing in the opposite direction from information,

namely attention »50.

Ainsi, si la problématique de l’attention n’est pas nouvelle et a accompagné

l’évolution de la société de l’information et de la connaissance tout au long du 20ème

siècle, elle est actualisée et exacerbée par la démocratisation des objets

communicants que sont les médias informatisés, et du réseau Internet, où circulent

des volumes d’information exponentiels. Dans ce contexte social relativement récent,

les contenus, supports ou personnes bénéficiant d’une large attention de la part des

publics deviennent des médiateurs considérés comme influents et donc payés par

les institutions voulant diffuser des messages publicitaires ou autres, ce qui génère

des échanges marchands basés sur une économie de l’attention. Ainsi, « capter

l’attention constitue la première étape d’une séquence visant à créer une prise de

conscience, puis à susciter une attitude favorable vis-à-vis [des entreprises et

institutions économiques], et enfin à accompagner le consommateur dans la prise de

décision »51 et l’action.

Cette réactualisation de la problématique de la rareté de l’attention par la

démocratisation des nouveaux médias n’est pas seulement abordée du point de vue

de la surcharge informationnelle, mais aussi à travers les mutations cognitives au

niveau attentionnel qu’ils ont introduites. Katherine Hayles évoque ces changements

comme un phénomène générationnel qui se traduit par le développement de ce

qu’elle appelle l’hyper attention et qu’elle oppose à ce qu’elle nomme la deep

attention. L’hyper attention « est caractérisée par les oscillations rapides entre

différentes tâches, entre des flux d’informations multiples, recherchant un niveau

élevé de stimulation, et ayant une faible tolérance pour l’ennui. »52 Ainsi, la perte

progressive de la capacité à se concentrer et à développer une attention profonde,

engendrée par les nouvelles pratiques de consommation informationnelle associées

aux médias informatisés, accentue la rareté de l’attention et donc sa capacité à

engranger de la valeur économique.

50 Ibid 51 KESSOUS Emmanuel, MELLET Kevin et ZOUINAR Moustafa, « L’économie de l’attention : entre protection des ressources cognitives et extraction de la valeur », Sociologie du travail vol 52, n°3, 2010 52 STIEGLER Bernard (dir.), « Ecologie de l’attention », site Internet de l’Institut de Recherche et d’Innovation, 23 septembre 2013, http://www.iri.centrepompidou.fr/evenement/ecologie-de-lattention-2/

Page 58: Mémoire Louise Hurel

58

Afin de palier cet obstacle attentionnel dans un contexte de surcharge

informationnelle, les producteurs de contenus cherchent à capter l’attention

involontaire des individus via la densification sémiotique des messages. La mise en

place de signaux forts assurent à ces derniers une certaine visibilité et leur permet

ainsi de s’affirmer en tant que message dans le sens plein du terme, c’est à dire en

tant que création d’un contenu qui sera émis et diffusé, mais surtout reçu, ce qui lui

assurera d’exister d’un point de vue communicationnel53.

Cependant, la captation involontaire de l’attention des individus n’étant pas suffisante

pour assurer une attention qualitative, il est nécessaire pour les médias de

développer d’autres stratégies plus efficaces dans le cadre de leur système

économique particulier.

En effet, dans le cas des médias, notamment audiovisuels comme la

télévision, il n’est pas tant question d’économie de l’attention que d’économie

d’audience. L’attention n’y est plus seulement un prérequis pour la réalisation d’une

transaction marchande, mais est l’objet même de l’échange. L’enjeu est donc de

capter « une attention qualifiée et formatée de façon à pouvoir procéder à des

opérations d’agrégation et de commercialisation »54. Une grande partie du profit de la

télévision étant due à la publicité, il est primordial qu’elle soit considérée comme une

plateforme capable d’organiser des interactions qualitatives entre le public de

consommateurs, les annonceurs et les producteurs de contenus.

Cependant, ce média étant fondé sur un marché de biens abstraits et intangibles, il

est compliqué d’en calculer le rendement de manière précise et certaine. Ainsi, le

degré d’attention du public à un programme donné, appréhendé en fonction des

audiences mesurées par des institutions indépendantes, n’est qu’une approximation

de l’attention réellement accordée au contenu. En effet, malgré les différentes

stratégies mises en place pour capter l’attention involontaire des téléspectateurs,

comme l’augmentation du volume sonore durant les coupures publicitaires des

programmes, de nombreuses études sur les comportements de ces derniers

53 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014 54 KESSOUS Emmanuel, MELLET Kevin et ZOUINAR Moustafa, « L’économie de l’attention : entre protection des ressources cognitives et extraction de la valeur », Sociologie du travail vol 52, n°3, 2010

Page 59: Mémoire Louise Hurel

59

indiquent une baisse de l’attention portée au poste de télévision pendant les

« tunnels » publicitaires, posant ainsi un problème de retour sur investissement aux

annonceurs.

En mettant en contact direct les téléspectateurs avec divers acteurs de l’industrie

télévisuelle, les dispositifs interactifs sont perçus comme des réponses à ce

problème en ce que la participation qu’ils sous-tendent demande une attention plus

profonde que d’ordinaire, mais aussi en ce qu’ils fidélisent et donc conservent cette

attention qualitative, comme nous l’avons évoqué précédemment. De plus, ils

permettent, dans une certaine mesure, d’établir des mesures d’audiences plus

fiables, en tout cas concernant les téléspectateurs attentifs, le nombre de participants

et la nature de leur participation étant archivés grâce à la technologie du dispositif.

Cependant, les dispositifs interactifs télévisuels ne sont pas seulement une

réponse à la fuite de l’attention des téléspectateurs pendant les tunnels publicitaires

en ce qu’ils assurent une attention soutenue via la participation, ils sont aussi un

instrument de l’hybridation des médias et des marques, des espaces ayant été

pensés pour accueillir au mieux les messages publicitaires qui, dès lors, profitent de

l’attention qualitative qu’ils génèrent.

B) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des médias-

marques

L’hybridation des marques et des médias est un phénomène relativement

récent qui tend à se normaliser avec la démocratisation des médias informatisés et

l’utilisation, toujours plus importante, du réseau Internet.

Ce phénomène s’opère, du côté des médias, par l’adoption des logiques

économiques régissant les marques, ainsi que par la mise en place de réflexions sur

« leur capital image et […] de nouvelles sources de revenus »55, ce qui se traduit

notamment par une communication de plus en plus forte sur eux mêmes.

55 PATRIN-LECLERE Valérie, GRANIER Jean-Maxence, « Média-marque, jeux de frontière », Séminaire de l’IREP, 2009

Page 60: Mémoire Louise Hurel

60

L’hybridation des marques, quant à elle, se manifeste par la réappropriation des

formats discursifs et des supports médiatiques qui seront utilisés pour mettre en

place de véritables sous-ensembles culturels dispensant une expérience de marque,

via l’expérience médiatique.

Dans un premier temps nous nous intéresserons à la nature et la portée de ce

phénomène dans les médias en général, et dans la télévision en particulier, avant de

nous pencher sur la mise en place effective de cette hybridation à travers les

dispositifs interactifs télévisuels.

1. Hybridation des médias-marques et le cas particulier de la télévision

Afin de bien comprendre de quoi l’hybridation des marques et des médias est

le fruit et quelle est sa portée, intéressons-nous, tout d’abord, au contexte qui l’a vu

naître et notamment au rôle qu’ont eu les médias informatisés et surtout Internet

dans cette évolution.

Internet étant à la fois un espace de vente, un réseau, une base de données et un

média de masse, il peut être appréhendé comme étant une « source majeure

d’indifférenciation » 56, « un dispositif technosémiotique qui a tendance à mettre les

acteurs sur le même plan. »57 En effet, toute entreprise ou institution, qu’elle soit

politique, commerciale ou associative, peut se réapproprier cet espace ouvert et

gratuit qui offre à chacun les mêmes outils pour s’y développer, intensifiant ainsi

leurs ressemblances. Cette coprésence des multiples acteurs sociaux et culturels

opère, dans l’esprit des consommateurs-internautes, une convergence, notamment

entre les marques et les médias, accentuée par « la possibilité donnée à l’utilisateur

de s’informer, se divertir, s’exprimer et consommer » 58, que ce soit sur des sites

médiatiques à visée informationnelle ou sur des sites de marques à visée

publicitaire.

« Les possibilités techniques offertes [par les médias informatisés et Internet]

ont suscité des questionnements et modifié les représentations prévalant dans le 56 PATRIN-LECLERE Valérie, GRANIER Jean-Maxence, « Média-marque, jeux de frontière », Séminaire de l’IREP, 2009 57 Ibid 58 Ibid

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61

secteur de la communication »59, entrainant un glissement de cette dernière vers la

conversation généralisée, glissement qui joue lui aussi un rôle important dans

l’hybridation des médias et des marques. En effet, les médias comme les marques

cherchent à intégrer des formats conversationnels dans leurs systèmes

d’énonciation, utilisant ainsi les mêmes ressorts, qui donnent lieu à des pratiques

similaires et accentuent un peu plus la confusion entre les genres.

Si la notion de conversation connaît un tel succès auprès de ces acteurs, c’est parce

qu’elle est utilisée comme un gage d’humanisation, comme la volonté d’établir une

proximité avec les récepteurs à travers une « communication débarrassée de la

stratégie, lavée de l’idée d’instrumentation et d’instrumentalisation professionnelles,

épurée du soupçon de manipulation. »60 De plus, par l’occupation des espaces de

conversation, les marques et les médias tentent d’investir un lieu où ils ne sont

traditionnellement pas présents, celui du récepteur, en adoptant « une démarche

d’immersion dans la vie quotidienne »61

Cependant, cette mutation de la conversation en communication tient plus du

discours et de la posture que du changement effectif. En effet, « dire que la

communication se mue en « conversation », c’est prétendre que la communication

se débarrasse du marketing au moment même où son emprise est la plus

aboutie »62, c’est maquiller le marketing et l’incitation à l’achat afin de mieux valoriser

des pratiques à visée marchande.

Si la sollicitation à l’achat est, traditionnellement, plus un fait des marques que

des médias, ces derniers s’y sont peu à peu adonné, adaptant leur format à l’accueil

des messages publicitaires et mettant tout en œuvre pour qu’ils soient véhiculés et

reçus dans les meilleurs dispositions possibles.

L’apparition de la figure des médias-marques, notamment dans le cas particulier de

la télévision, trouve sa source dans « la dépendance, partielle ou totale, de la plupart

des médias de masse aux revenus publicitaires [qui] ne produirait plus alors de la

59 DE MONTETY Caroline, BERTHELOT-GUIET Karine et PATRIN-LECLERE Valérie, « Hybridation des média-marques », Colloque Enjeux et usages des NTIC, Lisbonne, 2009 60 PATRIN-LECLERE Valérie, DE MONTETY Caroline, « La conversion à la conversation, le succès d’un succédané », Communication et langage, n°169, 2009, p 25 61 Ibid, p 30 62 PATRIN-LECLERE Valérie, « La communication revisitée par la conversation », Communication et langage, n°169, 2009, p 17

Page 62: Mémoire Louise Hurel

62

dualité mais de l’hybridité »63. Ainsi, le travail de préconisation des annonceurs serait

devenu inutile, les acteurs de l’industrie télévisuelle ayant si bien « intégré les

attentes que chacune de [leurs] productions serait conçue pour accueillir les

messages publicitaires et favoriser leur acceptation par les téléspectateurs. »64

En plus de cette intégration des messages publicitaires dès la conception des

programmes, les médias-marques ont pour particularité de communiquer beaucoup

sur eux-mêmes, devenant à leur tour des marques, reconnaissables par des jingles

et des logos qu’ils apposent partout. Les dispositifs interactifs télévisuels peuvent

être appréhendés comme des outils de cette autopromotion des médias-marques, en

ce qu’ils incluent, d’une part, des espaces autres que la télévision sur lesquels sont

présents les logos et slogans des émissions, et, d’autre part, en ce que leur création

et leur existence même représentent des arguments « de vente » face aux

programmes concurrents.

En parallèle de ces médias-marques se développent des marques-médias, figures

hybrides qui se détournent des « stratégies de marque classiques [pour aller] vers

l’espace médiatique, où règnent des logiques d’audience. »65 La redéfinition des

règles de communication par l’arrivée de l’espace d’indifférenciation et de gratuité

des contenus qu’est Internet a poussé les marques à chercher toujours plus de

visibilité et d’impact dans un contexte où la concurrence est très forte.

Paradoxalement, c’est en se fondant dans les médias et en avançant masquées que

les marques sont le plus visibles. En effet, pour capter l’attention des

consommateurs-internautes, les marques deviennent productrices d’expérience

médiatique via la création de leurs propres médias qui leur permettent de se

positionner comme informationnelles d’une part, mais aussi participatives en mettant

en place des publicités récréatives à travers des contrats énonciatifs où l’internaute

n’est plus seulement lecteur mais aussi co-auteur 66 . Ce faisant, les marques

développent autour d’elles des imaginaires liés à l’interactivité et la participation, leur

permettant de conquérir la confiance des consommateurs qui ont alors l’impression

d’être au cœur de leurs systèmes. Cependant, « l’échange n’est pas ici une fin en soi

63 PATRIN-LECLERE Valérie, « Les transformations télévisuelles : une confusion des genres entre publicités et programmes ? », Les pratiques publicitaires à la télévision, Bruxelles, Ministère de la communauté française, 2006 64 Ibid 65 DE MONTETY Caroline, BERTHELOT-GUIET Karine et PATRIN-LECLERE Valérie, « Hybridation des média-marques », Colloque Enjeux et usages des NTIC, Lisbonne, 2009 66 Ibid

Page 63: Mémoire Louise Hurel

63

mais bien un moyen de récupérer les discours favorables portés sur la marque tout

en affichant leur détachement du discours officiel marchand. »67

L’hybridation de ces médias-marques et marques-médias se donne à lire à

travers la mise en place de stratégies de « publicitarisation » pour les premiers et de

« dépublicitarisation » pour les seconds, que nous allons à présent étudier,

notamment à travers les dispositifs interactifs télévisuels de notre corpus.

2. Publicitarisation et dépublicitarisation au centre du modèle économique

des dispositifs interactifs télévisuels

Les stratégies de « dépublicitarisation » et de « publicitarisation » des formats

et des contenus télévisuels participent des mêmes objectifs, à savoir la volonté de

« gommer ce que l’on peut désigner comme la rupture sémiotique entre le genre

télévisuel et le genre publicitaire »68 en mettant en place une « continuité entre le

programme et l’écran publicitaire »69.

Avant d’aller plus loin dans l’analyse, précisons d’abord ce que nous

entendons par « dépublicitarisation ». Cette notion, conceptualisée par Caroline de

Montety, « permet d’analyser des phénomènes de mise en culture de marques »70

qui relèvent d’opérations de communication des annonceurs qui vont, en imitant des

supports médiatiques, chercher à créer ou s’adosser à des formes culturelles afin de

« tisser des imaginaires autour de leurs marques qui soient compatibles avec une

réception positive des publics. » 71 Ainsi, les stratégies de communication des

marques-médias deviennent des programmes de divertissement, donnant lieu à une

« hybridation […] particulièrement aboutie [car] parfaitement masquée. »72

67 Ibid 68 PATRIN-LECLERE Valérie, « Les transformations télévisuelles : une confusion des genres entre publicités et programmes ? », Les pratiques publicitaires à la télévision, Bruxelles, Ministère de la communauté française, 2006 69 Ibid 70 EFFEUILLAGE LA REVUE, « La dépublicitarisation par Caroline de Montety », 3 décembre 2012, http://effeuillage-la-revue.fr/portfolio-item/la-depublicitarisation-par-caroline-de-montety/ 71 Ibid 72 PATRIN-LECLERE Valérie, « Les transformations télévisuelles : une confusion des genres entre publicités et programmes ? », Les pratiques publicitaires à la télévision, Bruxelles, Ministère de la communauté française, 2006

Page 64: Mémoire Louise Hurel

64

Le dispositif interactif de What Ze Teuf, ayant été produit par la banque BNP

Parisbas, représente un cas intéressant de dépublicitarisation au sein de notre

corpus. Cette série télévisée, et le dispositif qui l’accompagne, furent pensés dans le

cadre d’une vaste opération de médiatisation de la communication de cette banque,

à savoir l’offre promotionnelle We Love Cinema, qui permet aux jeunes ayant

souscrit à un compte chez eux de bénéficier de réductions sur des places de cinéma,

entre autres avantages. Afin d’introduire cette offre auprès des consommateurs, un

site internet reprenant les codes visuels et énonciatifs des webzines de critiques

cinématographiques, fut créé sous le nom de domaine :

https://www.welovecinema.fr. La réalisation de leur propre contenu audiovisuel sert

donc à appuyer cette stratégie, BNP Parisbas, sous la couverture médiatique de We

Love Cinema, enrichissant ainsi sa posture de commentateur par le rôle de

réalisateur. Pourtant, alors qu’elle est le fruit d’une collaboration entre un média et

une marque aboutissant à une œuvre hybride à la fois publicité et divertissement

médiatique, cette série fut présentée comme un programme original de la chaine D8

et non comme une publicité, engendrant ainsi une véritable confusion des genres, le

média véhiculant une communication qui ne dit pas son nom. Cette assimilation de

What Ze Teuf et de son dispositif interactif à de la publicité masquée est confirmée

par les retombées de cette opération médiatique sur Twitter, dont le grand gagnant

fut le compte We Love Cinema de BNP Paribas. En moins d’un mois le nombre de

ses abonnés est passé de 200 à 4000 et la banque est arrivée au 3ème rang des mots

les plus cités dans les tweets liés à la série.73

Ainsi, la marque s’est ici servi de deux médias, à savoir la chaine de télévision D8 et

le réseau social Twitter, pour mettre en place une stratégie de communication

destinée à créer un sous-ensemble culturel, qui, grâce à la mémoire des formes

médiatiques du public, sera reçu positivement et entrainera l’achat du produit

proposé, à savoir une offre promotionnelle pour un compte en banque.

En parallèle de ce mouvement de dépublicitarisation de la communication des

marques, les médias adoptent de plus en plus des stratégies de « publicitarisation »

de leurs formats et contenus afin d’attirer au maximum les annonceurs pour générer

le plus de revenus possible. Ce néologisme, conceptualisé par Valérie Patrin-

73 PUREN Vincent, BOUCHET Morgan, « La série participative What Ze Teuf est-elle un succès ? », Transmedia Lab, 29 janvier 2014, http://www.transmedialab.org/the-blog/what-ze-teuf/

Page 65: Mémoire Louise Hurel

65

Leclère, se définit comme « l’adaptation de la forme des médias, de leurs contenus,

et des pratiques professionnelles dont ils procèdent, à la nécessité d’accueillir la

publicité »74, en effectuant, par exemple, des placements de produits, qui sont

aujourd’hui monnaie courante.

Dans le cadre de notre corpus, l’émission Rising Star, et notamment son

dispositif interactif, présentent plusieurs modèles de publicitarisation de leur forme et

contenu. Tout d’abord, le dispositif interactif de l’application 6play est utilisé pour

inciter les télénautes à rester devant leurs écrans de télévision durant les très

nombreuses coupures publicitaires via l’envoi de notifications push sur leurs mobiles,

les informant de la reprise du programme, et ce plusieurs minutes avant la reprise

effective.

De plus, cette publicitarisation de l’émission passe aussi, et surtout, par la mise à

disposition de son format au service des marques, à travers des partenariats qui se

présentent sous forme d’opérations spéciales. Ces dernières étant très nombreuses,

allant de la possibilité d’apparaître dans la prochaine campagne de Coca-Cola Zero

en participant l’émission via l’application 6play, à la création d’une web série sur les

meilleurs looks des candidats en partenariat avec les 3Suisses, jusqu’à la mise en

place d’un Studio Connecté grâce auquel les télénautes peuvent entrer en contact

avec les candidats directement après leur performance en utilisant les services de

SFR, nous n’étudierons ici que le cas de l’intégration de la marque Toyota dans

l’univers de Rising Star. Cet enchevêtrement de la marque et du média, présenté par

le slogan « Toyota Aygo, créateur de fun avec Rising Star », passe par plusieurs

formes de publicitarisation et dépublicitarisation, dont la première est la création

d’une série limitée de voiture appelées « Aygo Rising Star ». Aussi, un jeu concours

est proposé aux internautes, via la page Facebook de Toyota, dont les gagnants

verront leurs photos de profil apparaître sur le mur digital « Toyota Rising Star » au

sein du billboard de parrainage, et ce juste avant l’émission. En laissant ainsi leur

technologie aux mains d’une marque qui en prend le contrôle pendant quelques

instants lors de la diffusion du programme, les créateurs et producteurs de Rising

Star adaptent leur format à l’intégration de messages publicitaires qui se donnent

74 PATRIN-LECLERE Valérie, DE MONTETY Caroline et BERTHELOT-GUIET Karine, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation, Lormont, Le borde de l’eau, coll. « Mondes marchands », 2014, p 18

Page 66: Mémoire Louise Hurel

66

donc à lire comme des opérations ludiques, tenant plus du divertissement que de

l’incitation à l’achat. Ce dispositif, entrainant une hybridation entre l’émission et

l’annonceur qui la parraine, est accompagné par la mise en place d’une web série

appelée « Les sessions acoustiques de Rising Star » et produite entièrement par

Toyota, dans laquelle des candidats du télé-crochet interprètent chaque semaine des

morceaux choisis par les internautes. Cette production parallèle à l’émission se

présente, à travers son titre, son format et son contenu, comme un prolongement du

programme créé par M6 pour enrichir l’expérience médiatique de son public, alors

qu’elle est en réalité un dispositif publicitaire qui s’appuie sur un divertissement déjà

existant pour rendre plus visible son message et valoriser sa marque.

Enfin, la construction du programme Rising Star en tant que média-marque ne passe

pas uniquement par l’élaboration de stratégies de publicitarisation et

dépublicitarisation, mais se fait aussi à travers l’instauration de celui-ci en tant que

marque à part entière via la création d’un univers fort relayé par une musique, un

slogan et un logo qui sont présents dans chaque communiqué de l’émission,

notamment dans les nombreux effets d’annonce que M6 a mis en place depuis la

rentrée, à grands renfort de teasing et autres bandes annonces.

Si les programmes télévisés, et leurs dispositifs interactifs étudiés ici sont mis

en place pour répondre à des besoins s’inscrivant dans les logiques de l’économie

de l’attention et de l’hybridation des marques-médias, ils répondent aussi à un

troisième pouvoir, moins visible et donc moins connu, qui est celui de l’économie

scripturaire et que nous allons étudier à présent.

C) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’économie scripturaire

Avant d’aller plus loin dans l’analyse des dispositifs interactifs comme

instruments de l’économie scripturaire, tentons de comprendre ce que cette notion,

dans l’acception établie par Michel De Certeau, embrasse. Dans son ouvrage

Critique de la trivialité, Yves Jeanneret la définit comme « le processus par lequel

une société industrielle soumet les pratiques à une écriture opératoire qui les

structure comme les ingrédients d’un processus d’information, d’économie et de

Page 67: Mémoire Louise Hurel

67

consommation. »75. L’économie scripturaire serait donc un processus de mise en

forme et de structuration du social par une écriture qui ne serait pas celle de

l’imaginaire mais celle de la rationalité, stratégique et sans énonciateur. A travers

l’ascension de cette « langue écrite comme instrument de pouvoir […] l’auteur artisan

disparaît au profit des machines écrivantes et des textes à trous des technologies

administratives. » 76 Ainsi, les dispositifs interactifs télévisuels, en ce qu’ils sont

structurés par des architextes, écriture anonyme et de pouvoir s’il en est, participent

bien de l’économie scripturaire.

A ces processus d’écriture structurant le social, l’économique et le politique, s’ajoute

un autre type de pouvoir lié à l’écrit: celui de la récupération, l’archivage et la

marchandisation, par les institutions, des traces d’usages laissées par les individus

lors de la manipulation des multiples dispositifs participant à l’économie scripturaire.

Si cette pratique existe depuis très longtemps, elle a connu une véritable explosion

avec la démocratisation du réseau internet, d’une part, sur lequel sont concentrées

des quantités phénoménales d’informations concernant les internautes, et des

médias informatisés, d’autre part, qui technicisent et automatisent l’archivage.

Ces deux pendants de l’économie scripturaire, à savoir la structuration des pratiques

par une écriture anonyme du pouvoir, et la récupération des traces écrites d’usages

en tant que ressources économiques, se retrouvent dans l’industrie télévisuelle,

notamment à travers les dispositifs interactifs mis en place dans le cadre de certains

programmes. En effet, ces derniers étant destinés à la participation des télénautes,

ils sont à la fois des instruments de structuration des pratiques à travers les écritures

opératoires de leurs architextes, et des outils de capture des traces laissées par les

consommateurs-téléspectateurs-internautes les ayant utilisés pour interagir avec leur

programme. Alors que nous avons déjà évoqué l’écriture de pouvoir des dispositifs

interactifs de notre corpus dans la première partie de notre travail, nous allons

désormais nous pencher sur les stratégies développées à travers ces derniers pour

inciter les télénautes à participer, et donc laisser des traces écrites de leur passage,

afin de les monétiser et d’en tirer un bénéfice.

Pour ce faire, intéressons-nous tout d’abord aux manœuvres déployées pour séduire

les télénautes et les inciter à participer. 75 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014, p 370 76 CHARTIER Anne-Marie et HEBRARD Jean, « L’invention du quotidien, une lecture, des usages », Le Débat, 1988/2 n°49, p 9

Page 68: Mémoire Louise Hurel

68

1. Séduction et injonction à la participation

De manière générale, les individus sont, aujourd’hui, constamment invités à

produire du contenu et le partager sur Internet, participant ainsi à la grande

démocratie numérique. Ces invitations se font, notamment, par le biais de stratégies

de séduction qui accompagnent, entre autres, les dispositifs interactifs télévisuels,

dont les discours d’escorte mettent en avant l’idée d’une mécanique plus

démocratique car centrée sur les individus qui sont alors valorisés, voire

récompensés, grâce à leur participation. A cette séduction, qui appelle à adopter les

dispositifs, s’ajoutent des discours de réquisition destinés à pousser les télénautes à

ne pas seulement accepter l’idée de la participation, mais à se l’approprier vraiment

en agissant. En effet, « ce qui caractérise le mieux la réquisition par rapport à la

séduction, c’est que la logique sur laquelle la première repose n’est pas un devoir-

adopter mais un devoir-produire »77

La réquisition est une notion conceptualisée par Sarah Labelle afin d’analyser

le paradoxe du leitmotiv de la société d’information qui est à la fois présentée comme

un monde à construire et un objet déjà omniprésent, ce qu’elle explique par l’idée

qu’une annonce, « loin de décrire seulement une réalité existante, […] participe

matériellement à la réalisation même de ce qu’elle entend désigner : ainsi passe-t-on

d’un effet de discours, dans le dire, à l’« autoréalisation » d’une idéologie, dans le

faire. »78 C’est de cette autoréalisation de l’idéologie du discours par l’injonction de

celui-ci à agir, dont il est question à travers la notion de réquisition. Ainsi, il n’est pas

nécessaire d’avoir de raison ou de but particulier à atteindre pour recourir aux objets

médiatiques qui sont escortés par de tels discours, « la question qui se pose

consist[ant] à savoir si l’on en est ou pas plutôt que ce qu’on peut vouloir penser dire

ou faire. »79

Cette notion peut facilement être appliquée au cas des dispositifs interactifs

qui relèvent du même paradoxe que la société de l’information : ils sont 77 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014, p 217 78 LABELLE Sarah, « La « société de l’information », à décrypter ! », Communication et langages, n°128, 2001, p66 79 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014, p 213

Page 69: Mémoire Louise Hurel

69

omniprésents, tout le monde s’en fait une idée, et pourtant ils ne répondent jamais

vraiment à leur définition, comme si cette notion restait entièrement à construire.

Dans le cas des dispositifs interactifs télévisuels, la réquisition se fait à deux

niveaux : celui des producteurs qui les mettent en place, et celui des télénautes qui

les adoptent.

En effet, nous observons depuis quelques années une véritable course à l’innovation

dans le secteur de la télévision, qui se manifeste, notamment, par la réquisition à

mettre en place des dispositifs se présentant comme participatifs et interactifs, ces

derniers étant devenus un symbole de modernité et d’adaptation aux pratiques des

téléspectateurs connectés. En parallèle de cette injonction à la création se développe

une injonction à l’adoption et l’utilisation du côté des téléspectateurs. La réquisition

se fait ici à travers la mobilisation d’un certain devoir moral à utiliser les médias

informatisés, qui sont présentés comme ayant été conçus pour améliorer le quotidien

des consommateurs, notamment à travers l’enrichissement de leurs pratiques

médiatiques, et donc télévisuelles, qui deviennent de véritables expériences via les

dispositifs interactifs.

Ainsi, ces derniers deviennent moins des outils de médiation utilisés dans des cas

précis où l’interactivité et la participation font sens, que des espaces à occuper et

pratiquer parce que le discours commun enjoint à le faire.

Simultanément à ce phénomène de réquisition, qui se traduit par « un appel à

l’activité », l’injonction des téléspectateurs à adopter les dispositifs interactifs

télévisuels, et ainsi laisser des traces de leurs usages, passe par « une glorification

de la production ordinaire » qu’Etienne Candel a conceptualisée sous le nom de

conatus discursif.80 Celui-ci pourrait être décrit comme un « appel à écrire et à

contribuer sans cesse qui est cultivé dans les formes dites participatives des médias

et glorifié par l’affichage de toutes les productions des amateurs »81. Cela passe,

dans le cas des dispositifs interactifs télévisuels, par l’architexte de la technique

qu’ils impliquent et les discours qui l’accompagnent, à travers lesquels les télénautes

sont, implicitement, sans cesse sollicités, comme nous l’avons évoqué plus haut

dans ce travail. Cette incitation à la production de contenu participe à la favorisation

80 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014, p 210 81 Idem

Page 70: Mémoire Louise Hurel

70

de l’expression banale qui s’est développée avec l’apparition des médias

informatisés et du web participatif qui, eux-mêmes, ont contribué à l’instauration de

ce que Sophie Pène appelle la société de la disponibilité, au sein de laquelle les

individus sont intimés à être présents et disponibles en permanence pour

communiquer, échanger et s’exprimer et ainsi « alimenter cette intelligence partagée

et cette réactivité organisationnelle. »82

Le conatus discursif et la réquisition se complètent donc, cette dernière étant une

injonction à adopter les dispositifs interactifs télévisuels via l’action et la pratique,

tandis que le premier est un appel à l’exécution d’une certaine forme de pratique, « la

sollicitation de l’usage des dispositifs médiatiques sous la forme de la production

écrite. »83

Ces deux notions peuvent donc se lire comme des stratégies inhérentes aux

dispositifs interactifs, qui deviennent alors les outils « du capitalisme contemporain,

qui exploite la plus-value du travail d’écriture »84 en capturant les traces d’usages

des télénautes pour les utiliser en tant que ressources économiques, comme nous

allons l’étudier à présent.

2. Récupération des données et marchandisation de la trace

Ces différentes stratégies qui poussent les télénautes à s’approprier les

dispositifs interactifs et à y laisser ainsi des traces d’usages, permettent aux acteurs

de l’industrie télévisuelle de récupérer ces dernières pour ensuite les traiter et les

transmettre à divers acteurs qui en tireront des bénéfices financiers.

La notion de trace dont il est question ici désigne les informations concernant

les identités et activités des usagers, enregistrées dans la technologie des dispositifs

numériques à chacune de leur utilisation. Ces informations ne sont pas des

messages mais des données qui, individuellement, n’ont pas de sens, mais

deviennent un ensemble cohérent et précieux une fois assemblées, traitées et 82 Ibid, p 400 83 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014, p 217 84 Idem

Page 71: Mémoire Louise Hurel

71

analysées toutes ensemble. Cet assemblage de données témoigne de la présence

des individus sur les médias informatisés et le réseau Internet, de leur existence

numérique.

Dans le cadre des dispositifs interactifs télévisuels, les traces des télénautes sont

monétisées à deux niveaux. Tout d’abord, capturer et archiver ces dernières est un

moyen efficace pour quantifier la présence et l’attention des télénautes, en ce

qu’elles informent les producteurs sur les identités des utilisateurs et leurs activités

de participation. Ces données seront utilisées pour calculer les audiences de

manière plus qualitative et ainsi participer à la valorisation de l’attention comme

ressource économique. Nous observons donc, dans ce premier cas de monétisation

de la trace, un entrecroisement entre l’économie de l’attention et l’économie

scripturaire, la deuxième étant au service de la première.

De plus, les traces laissées par les télénautes livrent des informations très précises

sur les identités, goûts et pratiques de ces derniers qui sont, avant tout, considérés

comme des consommateurs. Si le dispositif interactif mis en place dans le cadre de

l’émission ça vous regarde ne correspond pas vraiment à ce cas de figure, les autres

dispositifs de notre corpus s’avèrent être de précieux outils de récupération de

données. Dans le cas de la série télévisée What Ze Teuf, l’utilisation du réseau

social Twitter permet au producteur, qui est de surcroit une marque, de récupérer les

nombreuses informations livrées par les internautes sur cette plateforme : photos de

profils, listes de contacts, personnalités suivies et mots-clés les plus utilisés, sont

autant de traces qui, une fois capturées et analysées, serviront à définir des cibles de

consommateurs plus précises pour proposer à ces derniers des publicités plus

personnalisées dans le cadre du web participatif, notamment à l’aide de cookies,

outils de récupération et d’analyse automatique des traces que nous avons évoqué

plus haut. Le dispositif mis en place pour le télé-crochet Rising Star fonctionne un

peu de la même manière. Bien qu’il ne soit utilisable qu’à partir de l’application de la

chaine et non à travers un dispositif préexistant et indépendant, un partenariat

permet à ses usagers de se connecter via leurs comptes Facebook, leur épargnant

ainsi l’obstacle de la création d’un énième compte. Sous couvert de praticité, se sont

toutes les informations glanées par ce réseau social que M6 récupère via le dispositif

interactif, c’est-à-dire ici aussi les photos de profils, les listes de contacts et les pages

likées par les internautes. Ces traces serviront, là encore, à mieux cibler les

consommateurs pour proposer du contenu publicitaire plus en lien avec le style de

Page 72: Mémoire Louise Hurel

72

vie de chacun. Ce second modèle de marchandisation de la trace positionne

l’économie scripturaire comme étant au service de l’hybridation des marques et des

médias d’une part, les données collectées par ces derniers étant ensuite récupérées

et exploitées par les premiers, et comme étant un instrument de l’économie de

l’attention d’autre part, les traces étant utilisées pour mieux cibler les

consommateurs-internautes, afin d’assurer aux messages publicitaires une meilleure

visibilité dans un environnement saturé.

Nous noterons donc que les trois genres économiques étudiés ici sont

interdépendants, l’économie scripturaire servant à structurer les pratiques et

récupérer des traces qui deviendront des données à valeur marchande en ce

qu’elles seront utilisées comme des outils pour mieux cibler, et donc attirer, les

consommateurs qui seront alors plus réceptifs aux messages publicitaires des

médias-marques et marques-médias.

L’industrialisation de la participation, à travers l’écriture, conduit à une automatisation

industrielle de la collecte d’informations sur les individus, qui, elle-même, sert un

idéal d’économie qui se veut toujours plus performant grâce à la personnalisation de

la communication, qui se présente désormais sous forme de conversation, dont le

« paradoxe [est de] n’exister que dans les processus de massification tout en

aspirant à une individualisation toujours plus poussée. »85

Cette personnalisation de la communication participe à un plus vaste

mouvement que nous désignerons ici à travers la notion d’individualisation de

masse, et que nous étudierons dans notre troisième et dernière partie afin de

comprendre en quoi et comment les dispositifs interactifs télévisuels en sont des

instruments, et de quelles stratégies cela relève-t-il.

85 PATRIN-LECLERE Valérie, DE MONTETY Caroline, « La conversion à la conversation, le succès d’un succédané », Communication et langage, n°169, 2009, p26

Page 73: Mémoire Louise Hurel

73

PARTIE 3 _ LES DISPOSITIFS INTERACTIFS : INSTRUMENTS DE

L’INDIVIDUALISATION INDUSTRIELLE DE MASSE

La notion d’individualisation de masse, pour paradoxale qu’elle semble être,

désigne un phénomène très courant dans les pratiques communicationnelles et

économiques des entreprises de nos jours : elle est « la possibilité d’une part de

délivrer à un grand nombre d’individus des messages individualisés, et d’autre part

de produire en grande quantité des produits individualisés. »86

Si cette tendance à la particularisation des produits et messages industriels n’est pas

récente, elle s’est considérablement développée avec la démocratisation des médias

informatisés, du réseau Internet et plus particulièrement du web participatif. En effet,

les nouvelles technologies ont permis aux consommateurs de se replacer au cœur

de l’activité économique en leur conférant un espace de parole et de visibilité sans

précédent, tout en habilitant les différents acteurs économiques à mettre en place

des discours adaptés aux pratiques de chaque utilisateur, notamment grâce aux

traces identitaires et d’usages des internautes dont nous faisions état dans la

deuxième partie.

L’individualisation peut prendre de multiples formes, allant de la plus simple, qui se

manifeste par la mention des noms et prénoms des destinataires au début d’un

message pré-écrit, jusqu’à la plus aboutie, qui se matérialise par la confection d’un

produit sur-mesure à la demande du consommateur.

86 POUPARD Juliette, « De l’individualisation de masse à l’industrialisation de la commercialisation _ Le rôle des TIC dans la recomposition de la chaîne de distribution », Les Enjeux de l’information et de la communication, 2003/1, p 2

Page 74: Mémoire Louise Hurel

74

Entre ces deux niveaux d’individualisation de masse se situent les dispositifs

interactifs qui, par la nature même des contenus qu’ils mettent en place, proposent à

leurs utilisateurs de personnaliser ce qu’ils consomment. Il en va ainsi avec les

dispositifs télévisuels étudiés ici qui peuvent être pensés non seulement comme des

instruments de l’individualisation, mais aussi comme des processus

d’industrialisation de celle-ci, le tout servant une stratégie communicationnelle qui

vise à humaniser les rapports marchands que les entreprises médiatiques

entretiennent avec leurs publics de consommateurs.

Afin d’attester nos propos, étudions, dans un premier temps, en quoi ces dispositifs

interactifs sont des outils de l’individualisation, et comment la mettent-ils en œuvre.

A) L’individualisation de masse à travers la mise au travail des télénautes-

consommateurs

1. Les dispositifs interactifs télévisuels, des outils de l’individualisation de masse

Parce qu’ils sont pensés, constitués et présentés comme des outils

techniques permettant aux télénautes de participer à l’élaboration et au déroulement

des programmes qu’ils consomment, les dispositifs interactifs télévisuels sont, entre

autre et enfin, utilisés comme des instruments de l’individualisation de masse par les

acteurs de cette industrie. En conférant ainsi aux téléspectateurs une place centrale

au sein des programmes, ces dispositifs renvoient à une double promesse : celle

d’une reprise de pouvoir du public sur ce qu’il consomme d’une part, et celle d’ « une

réussite économique sans faille, mettant l’entreprise à l’abri du risque »87 d’autre

part.

Dans son article « De l’individualisation de masse à l’industrialisation de la

commercialisation », Juliette Poupard distingue deux niveaux dans lesquels se

87 POUPARD Juliette, « De l’individualisation de masse à l’industrialisation de la commercialisation _ Le rôle des TIC dans la recomposition de la chaîne de distribution », Les Enjeux de l’information et de la communication, 2003/1, p 2

Page 75: Mémoire Louise Hurel

75

donnent à voir des phénomènes d’individualisation de masse mis en place par des

entreprises : « la production de biens et services d’une part, la sphère du marketing

et des relations avec les clients d’autre part. »88 Si ces deux manifestations font

partie d’une même démarche, la première correspond à un stade plus avancée de

l’intégration de l’individualisation dans la stratégie de l’entreprise, englobant la

seconde qui ne répond, quant à elle, qu’à une mise en place superficielle de cette

dernière.

Afin de rendre compte de ces deux niveaux et des différents degrés d’implications

qu’ils supposent, l’auteure a établi une typologie de l’individualisation de masse

qu’elle présente comme pouvant être relationnelle, optionnelle ou productive.

L’individualisation de masse relationnelle renvoie au premier stade

d’implication, celui du marketing. Le produit reste alors standard, l’évolution

stratégique de l’entreprise se faisant sur la manière de le proposer aux

consommateurs, grâce, notamment, à des mécanismes relevant de ce qu’on appelle

le « marketing one to one ». Ce type d’individualisation n’étant, finalement, pas si

différent de la communication directe traditionnelle, nous pouvons en déduire qu’il ne

serait qu’une optimisation de celle-ci permise par l’introduction des médias

informatisés dans la chaine de production et de distribution des entreprises,

optimisation qui est présentée comme une révolution.

L’individualisation de masse optionnelle fait écho à un stade intermédiaire, le

processus de particularisation ne modifiant pas la chaine de production mais y

intervenant. En effet, les produits restent standards, mais quelques options

deviennent personnalisables, justifiant ainsi la mobilisation, par les entreprises, des

imaginaires liés à l’individualisation, comme le renforcement du pouvoir des

consommateurs et l’ouverture des acteurs industriels à leurs besoins particuliers.

Enfin, l’individualisation de masse productive désigne l’intégration totale du

processus de personnalisation de l’offre, le produit étant fait sur mesure, à la

demande du consommateur. Ce dernier type d’individualisation de masse mis en

place par les entreprises est rare aujourd’hui, le sur-mesure restant une pratique

encore très artisanale qu’il est compliqué d’appliquer dans un contexte de production

à très grande échelle.

88 Idem

Page 76: Mémoire Louise Hurel

76

Si les trois dispositifs interactifs de notre corpus sont tous des instruments de

l’individualisation de masse, l’intégration de cette dernière n’intervient pas au même

niveau, et ce en fonction des technologies et discours utilisés par chacun d’une part,

mais aussi selon leurs places au sein des programmes qu’ils escortent d’autre part.

Le dispositif interactif de Rising Star introduit une stratégie d’individualisation

de masse essentiellement relationnelle et posturale, en ce qu’elle se fait à travers

l’utilisation d’une application interactive que le média utilisera pour mettre en place

une communication nominative d’une part, grâce aux informations livrées lors de la

création d’un profil personnel, et proactive d’autre part, à travers l’envoi de

notification push sur le mobile du télénaute. De plus, cette application interactive est

pensée, par les producteurs et les récepteurs, comme un moyen de personnaliser

l’émission à travers l’action du vote, le choix devenant une manière d’individualiser

un contenu qui, par ailleurs, est le même pour tous. Cette action de vote relève,

quant à elle, de ce que Juliette Poupard désignerait comme une individualisation de

masse optionnelle en ce qu’elle se fait par la sélection d’une des deux options

prédéfinies que sont les choix « pour » et « contre ». Cependant, il est impossible de

parler d’individualisation de masse productive dans ce cas, le dispositif n’influençant

finalement que peu la production du format d’ensemble de ce programme, qui reste,

somme toute, très classique, ne se différenciant des autres télé-crochets que par la

gratuité du dispositif, ainsi que par la mise en scène de la participation, et non par

son incidence finale. De plus, nous ne pouvons pas parler ici d’individualisation car

c’est la somme de toutes les individualités qui définit le sort des candidats, ce qui

revient à donner le pouvoir à la masse et non à l’individu.

Le dispositif interactif de What Ze Teuf met en place, quant à lui, une

individualisation de masse relationnelle d’une part, via l’utilisation du réseau social

Twitter qui permet une communication nominative mais aussi interpersonnelle entre

les télénautes et les membres de l’équipe technique de la série, mais aussi une

individualisation de masse productive d’autre part, et ce pour les participants dont les

tweets ont été sélectionnés pour l’écriture du scénario d’un épisode donné. En effet,

l’intégration de cet effort d’individualisation influe sur le processus de production qui

doit alors se faire en moins de vingt-quatre heures, brisant ainsi les règles de

production classique de ce type de contenu par l’intégration d’une forte notion

Page 77: Mémoire Louise Hurel

77

d’urgence. La mise en place d’une forme aboutie d’individualisation est rendue

possible ici car elle ne concerne pas tous les téléspectateurs ni tous les télénautes

ayant utilisés le dispositif interactif, mais qu’une petite minorité ayant été

sélectionnée par les producteurs. Cependant, il est important de nuancer notre

propos, car si ce dispositif fait effectivement référence à une individualisation

productive en ce qu’il a une incidence sur l’écriture et la réalisation du programme,

son influence sur la nature du contenu reste relativement minime, le tweet n’étant

qu’une source d’inspiration pour l’écriture d’un scénario déjà bien structuré par les

multiples contraintes imposées par les producteurs, telles que le lieu et les

personnages.

Enfin, le dispositif interactif de l’émission Ca vous regarde met, lui aussi, en

place une individualisation relationnelle en ce qu’il suppose un échange d’emails

entre un membre de l’équipe du programme et les télénautes ayant rempli au

préalable un formulaire d’identification. En plus de cette personnalisation de la

communication, le dispositif étudié ici intègre une certaine forme d’individualisation

productive pour les sentinelles participantes, dans la mesure où les invités présents

sur le plateau répondent à leurs questions, ce qui peut parfois influer sur l’évolution

du débat et ainsi permettre à ces dernières de suivre une émission personnalisée en

fonction de leurs participation. Cependant, cette notion est là aussi à nuancer,

l’intervention des sentinelles citoyennes se faisant généralement en deuxième partie

d’émission, elle ne peut avoir qu’une influence limitée sur la tournure du débat, si tant

est qu’elle ait une quelconque influence.

Si les processus d’individualisation de masse, mis en place par les dispositifs

interactifs télévisuels de notre corpus, interviennent à différents niveaux de la

production et de la diffusion des émissions qu’ils accompagnent, faisant de ces

dernières des programmes personnalisables et individuels plus ou moins aboutis et

effectifs, tous utilisent la même ressource pour susciter cette individualisation au

départ : la mise au travail des téléspectateurs-consommateurs.

Page 78: Mémoire Louise Hurel

78

2. Les dispositifs interactifs télévisuels : instruments de la mise au travail

des consommateurs

La mise au travail des consommateurs n’est, là encore, pas un phénomène

nouveau qui serait apparu avec l’irruption des médias informatisés et du réseau

internet dans notre quotidien, mais un mécanisme qui s’est peu à peu mis en place

depuis les années 1970, en parallèle du développement du capitalisme moderne.

Ainsi, certaines tâches, traditionnellement attribuées aux employés des différents

commerces, furent confiées aux consommateurs, avec, notamment, la multiplication

des self-services qui participent de l’idéologie que l’on n’est jamais mieux servi que

par soi-même. Progressivement, les consommateurs furent donc de plus en plus

sollicités dans la mise en place des produits et services pour lesquels ils allaient

payer, et ce de plus en plus tôt dans la chaine de diffusion et de production. Cette

généralisation de la mise au travail des clients s’est même automatisée avec

l’apparition des nouvelles technologies, le tout sous-couvert permanent d’une plus

grande autonomie, d’un plus grand confort et donc d’un bénéfice évident pour les

clients.

Si les nouvelles technologies, et notamment les médias informatisés, ont

contribué à la généralisation et l’automatisation de ce phénomène, ils en ont aussi

favorisé l’expansion, celui-ci touchant désormais de nouveaux domaines jusque là

épargnés, et ce pour diverses raisons.

La première explication à cette propagation de la mise au travail des consommateurs

est la mise à l’écriture généralisée de nombreux domaines de production et de

commercialisation qui, voulant trouver leur place sur les réseaux informatiques, sont

contraints d’élaborer des architextes structurant des écrits d’écran afin d’exister et de

rendre leurs messages visibles et lisibles. La mise au travail des consommateurs se

retrouve donc facilitée par l’intégration de ces logiques scripturaires dans les

pratiques de production et diffusion, ces dernières pouvant être désormais

abordables par toute personne possédant et sachant utiliser un ordinateur.

La seconde raison à cette progression de la mise au travail des consommateurs est

la convergence technologique opérée à travers les médias informatisés, donnant

lieux à l’utilisation d’un même objet pour la conception, la diffusion et la

Page 79: Mémoire Louise Hurel

79

consommation de certains biens et services. Il en va notamment ainsi des

entreprises médiatiques qui, auparavant, n’intégraient pas les récepteurs au niveau

de la conception des contenus, alors que c’est devenu une pratique très courante

aujourd’hui, les lecteurs possédant les mêmes outils que les journalistes et autres

professionnels, ce qui leur permet de créer leur propre contenu avant de le diffuser,

passant ainsi du statut de consommateur à celui d’amateur, voir même de proam,

opportunité que les entreprises ont récupéré à leur compte.

De là vient la troisième explication à ce phénomène, qui est la visibilité sans

précédent dont jouissent les particuliers grâce aux médias informatisés et surtout au

réseau Internet, poussant les entreprises à mettre à contribution cette main d’œuvre

gratuite, visible, presque infinie par les jeux de réseau, mais aussi presque

inépuisable.

Ainsi, la mise au travail des consommateurs ne touche plus seulement les stades de

diffusion et de vente des produits, mais aussi leur création et production, notamment

à travers les stratégies d’individualisation de masse que nous avons abordé plus

haut.

C’est le cas des dispositifs interactifs télévisuels de notre corpus qui proposent

aux télénautes, chacun à leur manière, d’effectuer un travail masqué par l’idée d’une

reprise de pouvoir de ce dernier sur le programme qu’il consomme, d’une plus

grande individualisation et d’une revalorisation de son rôle et de son importance à

travers la promesse d’une récompense. Ici, les consommateurs ne coproduisent pas

gratuitement le service qu’ils vont consommer parce qu’ils en sont obligé pour y avoir

accès, comme c’est le cas quand un voyageur doit réserver son billet de train et le

récupérer, mais pour enrichir leur expérience, parce que cela est présenté comme un

certain accomplissement de soi permis par le passage de la passivité à l’activité qui,

de plus, leur offrira un meilleur produit final correspondant à leurs besoins et envies.

Les dispositifs interactifs télévisuels s’élaborent donc à travers un marketing

collaboratif exploitant les très nombreux imaginaires partagés positifs autour de la

pratique collaborative et de la coproduction.

La mise au travail des télénautes se fait, dans les cas des dispositifs interactifs

étudiés ici, à deux niveaux. Le premier est celui de la participation des publics à

l’élaboration des contenus qu’ils consomment, à travers l’écriture du scénario dans le

Page 80: Mémoire Louise Hurel

80

cas de What Ze Teuf, la participation au débat dans Ca vous regarde, et enfin la

sélection des candidats vainqueurs pour Rising Star. Ce premier niveau de mise au

travail, pour indispensable qu’il soit dans les cas du télé-crochet et de la série

télévisée dont il constitue le cœur de l’offre, relève cependant plus de la posture

communicationnelle, en ce qu’il ne constitue pas une étape nécessaire en soi dans

l’élaboration des contenus proposés, ces derniers pouvant être viables sans la

participation des télénautes, bien que cela les prive de leur intérêt.

Le deuxième niveau de mise au travail des consommateurs établit par les dispositifs

interactifs télévisuels est tacite et relève, quant à lui, moins d’une posture

communicationnelle que d’une contribution cruciale pour les producteurs et

diffuseurs des programmes concernés. Il s’agit de la promotion virale de ces derniers

par les télénautes qui, parce qu’ils participent et se sentent concernés et valorisés,

vont mettre en avant leur présence sur ces dispositifs et communiquer autour d’eux,

assurant ainsi aux émissions une meilleure visibilité. De plus, cette communication

étant établie par des consommateurs n’ayant aucun intérêt financier à le faire, elle

bénéficiera d’un impact beaucoup plus important en ce qu’elle se présentera comme

désintéressée et donc forcément juste. Les télénautes deviennent donc, sans

toujours s’en rendre compte, des ambassadeurs des programmes qu’ils regardent.

Parce qu’ils sont mis en place à travers des technologies ayant d’importantes

capacités de rationalisation et d’automatisation, les différents types de mise au travail

des consommateurs à travers les dispositifs interactifs télévisuels, et les

phénomènes d’individualisation qu’ils génèrent, aboutissent à une industrialisation

des stratégies de personnalisation que sont l’échange, la participation et la

coproduction. Ce sont ces processus d’industrialisation de l’individualité humaine que

nous allons étudier à présent.

Page 81: Mémoire Louise Hurel

81

B) Industrialisation de l’individualisation de masse et désindividuation des télénautes

1. Les dispositifs interactifs télévisuels comme processus d’industrialisation de l’individualisation

Selon Pierre Moeglin, cité par Yves Jeanneret dans son ouvrage Critique de la

trivialité, l’industrialisation est un processus qui se fait à partir de la complémentarité

des trois sous-processus que sont la technologisation, la rationalisation, et

l’idéologisation89.

Les dispositifs interactifs télévisuels de notre corpus étant mis en place par des

technologies numériques, ils ont majoritairement recours à « des systèmes

techniques faisant, partiellement ou totalement, l’économie de la force et du temps

de travail humain »90, participant ainsi à la technologisation des pratiques qu’ils

mettent en place. Cette utilisation des machines, et des possibilités techniques

qu’elles intègrent, suppose la mise en place d’ordres de commande préalables pour

qu’elles puissent se mettre en route, et rend donc nécessaire « l’adoption de

méthodes d’organisation et de gestion accompagnant l’introduction de ces systèmes

techniques et destinés à en favoriser l’optimisation »91.

Ainsi, les activités de collecte, d’archivage et de traitement des informations livrées

par les télénautes sont automatisées grâce aux technologies utilisées par ces

dispositifs, et rationnalisées par l’utilisation même de la technique, ce qui a pour but

de simplifier et d’optimiser les processus de recueil et de traitement des informations

sur les consommateurs. Les technologisation et rationalisation vont même plus loin

dans le cas de Rising Star, où la prise en compte de la participation est elle aussi

traitée par des machines, ne faisant ainsi participer à aucun moment un interlocuteur

humain du côté des producteurs et diffuseurs du programme, ce qui n’est pas le cas

dans les autres dispositifs où les informations sont finalement récupérées par des

hommes au bout de la chaine.

Enfin, le processus d’idéologisation évoqué par Pierre Moeglin et correspondant à

« l’avènement d’un état d’esprit […] privilégiant l’utilisation de tous les moyens

89 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014 90 JEANNERET Yves, Critique de la trivialité, les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Edition Non Standard, Paris, 2014, p 170 91 Idem

Page 82: Mémoire Louise Hurel

82

humains et techniques pour concourir au rendement et à la productivité »92 se

retrouve dans les dispositifs interactifs de notre corpus à travers les objectifs

économiques qu’ils servent et que nous avons évoqué en deuxième partie de ce

travail. Ces objectifs visent, d’une part, à l’élargissement de l’audience et donc du

pouvoir économique des acteurs de l’industrie télévisuelle face aux marques qui les

financent, et tendent, d’autre part, à la rationalisation des coûts en limitant le plus

possible les risques grâce à l’anticipation des attentes des téléspectateurs à travers

la mise en place même de ces dispositifs.

En appliquant ainsi des logiques industrielles à des pratiques destinées à

individualiser les contenus et les services qu’ils proposent, les dispositifs interactifs

télévisuels nous donnent à voir toute l’ambigüité de leur nature, ces derniers

reposant sur un important paradoxe entre ce qu’ils promettent et ce qu’ils font en

réalité. En effet, l’individuel ne peut être reconnu et mis en avant à travers des

processus industriels, ces deux notions relevant chacune de mondes et de logiques

bien distincts, voir antinomiques.

Ainsi, l’individualisation de masse dont il a été question jusqu’ici « automatise et

industrialise les pratiques qui, loin d’être personnalisées, sont en réalité

standardisables »93. En effet, l’individualisation de masse passant, dans les cas

étudiés ici, par la mise en place de profils personnels prototypiques que les

internautes sont invités à remplir, ainsi que par l’envoi de messages nominatif et/ou

proactif automatiques, ce phénomène tend moins à effectivement individualiser les

produits et services, qu’à standardiser la manière dont sont représentés les individus,

qui sont désormais pensés à travers certaines typologies prédéfinies par les

entreprises. De ce fait, l’individualisation de masse entraine donc une perte

d’individuation.

Cette individualisation n’en est donc pas vraiment une, mais relève plus d’une

posture communicationnelle dont « l’objectif marketing […] est de stimuler la

92 Idem 93 POUPARD Juliette, « De l’individualisation de masse à l’industrialisation de la commercialisation _ Le rôle des TIC dans la recomposition de la chaîne de distribution », Les Enjeux de l’information et de la communication, 2003/1, p 4

Page 83: Mémoire Louise Hurel

83

consommation par l’introduction de produits innovants ou perçus comme tels, par le

développement de nouveaux comportements d’achat. »94

Ainsi, loin de participer à une démarche visant à intégrer un nouveau modèle

économique au sein du système télévisuel, ce que la référence plus ou moins

explicite aux imaginaires partagés autour du web participatif, et plus largement

autour de la notion d’interactivité, sous-tend, les dispositifs interactifs télévisuels

exacerbent le modèle capitaliste, le réinvente pour mieux le servir.

2. Accroissement de l’individualisation et perte de l’individuation

Bien que les notions d’individualisation et d’individuation soient, dans le

langage courant, très souvent utilisées comme synonymiques, elles relèvent

chacune de processus distincts, l’une portant sur l’adaptation des objets et services

présents dans la société aux besoins et critères individuels d’une personne en

particulier, l’autre relevant de l’affirmation de l’homme en tant qu’individu dans une

société donnée, composée de ses semblables.

En effet, alors que l’individualisation est une démarche qui s’applique à des réalités

extérieures à l’homme, l’individuation est un processus intérieur et propre à chacun,

à travers lequel l’homme prend conscience de sa singularité et de son entièreté

grâce à ce que Bernard Stiegler appelle les hypomnémata, c’est à dire les supports

de mémoire et de culture.

Si, de manière générale, les processus d’individualisation viennent aider et

supporter les processus d’individuation des hommes, dans le cas des dispositifs

interactifs télévisuels de notre corpus, ces deux mouvements entrent en

confrontation. En effet, l’individualisation de masse, dont il est question ici, étant

élaborée industriellement, et relevant ainsi plus de la posture communicationnelle

que de la prise en compte effective des individualités des télénautes, elle n’aide en

rien ces derniers à prendre conscience ni à affirmer leur individualité, mais au

contraire les pousse à adopter des pratiques et des discours standardisés, les

invitant par là-même à se conformer au moule de la masse.

94 Ibid, p 6

Page 84: Mémoire Louise Hurel

84

Cette standardisation des individualités passe, plus particulièrement ici, par la

récupération des pratiques de braconnages des télénautes par les acteurs de

l’industrie télévisuelle. En effet, comme nous l’avons rapidement évoqué dans ce

travail, la mise en place des dispositifs interactifs télévisuels en tant qu’instruments

stratégiques communicationnels, relève de la récupération de pratiques spontanées

des téléspectateurs qui, en utilisant leurs médias informatisés et en navigant sur le

réseau Internet en même temps qu’ils regardaient des programmes télévisés,

poussèrent les industriels à ne pas seulement s’adapter à ces pratiques

braconnantes, mais à les devancer et les susciter en mettant en place des dispositifs

pensés pour l’utilisation du second écran.

Ainsi, en récupérant à leur compte des pratiques qui se faisaient spontanément sur

les médias informatisés, les acteurs de l’industrie télévisuelle se sont appropriés les

codes culturels du web participatif, modifiant ainsi la nature et la portée des activités

participatives des internautes qui ne sont plus spontanées et artisanales, mais

anticipées et industrielles.

Ces dernières sont désormais pré-calibrées par les entreprises télévisuelles qui

préconisent alors une bonne manière de faire, dépossédant ainsi les consommateurs

de leur savoir-vivre et de leurs singularités. C’est cette dépossession du savoir-vivre

des consommateurs, devenu un savoir-prescrire des médias et autres cabinets

marketing, qui est à l’origine, selon Bernard Stiegler, de la désindividuation des

hommes à l’œuvre dans la société consumériste du XXème siècle95.

Ainsi, là où les pratiques des individus leur permettaient de s’accomplir et de se

singulariser, elles les contraignent et les standardisent à présent, servant les intérêts

économiques d‘acteurs industriels. Ce faisant, les producteurs et diffuseurs de

programmes télévisés cherchent à prendre le contrôle de ressources qui leur

échappaient jusqu’alors, afin de créer de nouvelles recettes financières d’une part, et

d’avoir la main mise sur un public plus réceptif et acquis d’autre part.

De plus, en transformant une activité d’expression individuelle en une action

de sélection entre des choix multiples, la préconisation de la pratique participative lui

retire ce qu’elle avait de singularisant pour ne lui laisser que ce qu’elle a de

95 OUISHARETV, « Bernard Stiegler : économie collaborative et individuation », 14 Juin 2013, https://www.youtube.com/watch?v=Y_aEB6YoJP0

Page 85: Mémoire Louise Hurel

85

particularisant. Les télénautes ne se manifestent donc pas en tant qu’individus à

travers l’utilisation des dispositifs interactifs télévisuels, mais se donnent à penser à

travers une de leur particularité qu’ils partagent avec d’autres, ce qui les définit

comme faisant partie d’une catégorie typique d’individus, d’un groupe ayant été

délimité par les producteurs médiatiques et destiné à constituer des cibles

publicitaires.

En parallèle de cette désindividuation des consommateurs à travers une mise

au travail standardisée et une dépossession de leur savoir-vivre, les processus

d’individualisation de masse industriels mis en place par les dispositifs interactifs

télévisuels servent aussi une humanisation des rapports marchands que les

entreprises médiatiques et commerciales entretiennent avec les publics. Ainsi nous

assistons à une hybridation des relations humaines et commerciales, que nous

allons à présent étudier, les premières se standardisant et perdant alors

progressivement leur individualité humaine, et les secondes se particularisant et

créant ainsi une certaine humanisation industrielle.

C) Les dispositifs interactifs télévisuels, instruments de l’hybridation des relations

humaines et marchandes

1. Les dispositifs interactifs télévisuels : instruments de l’humanisation des rapports marchands

Les rapports marchands que nous allons étudier dans cette partie sont ceux

qu’entretiennent les acteurs de l’industrie télévisuelle avec les téléspectateurs à

travers les programmes qu’ils mettent en place, et plus particulièrement ici, à travers

les dispositifs interactifs qui les accompagnent. Mais avant d’entrer dans le vif du

sujet et d’analyser pourquoi et comment ces rapports tendent à s’humaniser,

intéressons nous tout d’abord à la nature même de la relation qui lie les publics aux

entreprises médiatiques.

Page 86: Mémoire Louise Hurel

86

Parce qu’elle implique des entités de natures distinctes et aux intérêts

divergents, cette relation est fondée sur de multiples inégalités qui donnent lieux à

des rapports de forces incessants entre les téléspectateurs, qui veulent avoir accès

gratuitement et en permanence à des contenus qualitatifs, et les producteurs de

télévision, qui cherchent à attirer et conserver l’audience la plus large possible et

ainsi étendre leur influence.

Si pendant longtemps ce rapport de force a donné l’avantage aux entreprises

télévisuelles, qui pouvaient alors diffuser les contenus et messages de leur choix, et

ce à très grande échelle, à des téléspectateurs contraints de les recevoir faute de

concurrence, le pouvoir a peu à peu changé de main suite à la libéralisation de la

télévision française dans les années 1980. Depuis cette première ouverture à la

concurrence, celle-ci n’a cessé de s’accroitre, avec la mise en place de la télévision

numérique d’abord, qui a facilité la création de nouvelles chaines dont la

multiplication a alors été phénoménale, mais aussi et surtout avec la démocratisation

des médias informatisés et du réseau internet qui ont introduit dans le quotidien des

consommateurs une quantité de contenus audiovisuels presque infinie. Par cet

élargissement du choix, les téléspectateurs ont récupéré un certain avantage sur les

entreprises médiatiques qui, soumises à une concurrence toujours plus importante,

se plient aux désirs de ces derniers afin de les attirer et de conserver leur attention.

En équilibrant les rapports de force entre les producteurs et les récepteurs,

l’accroissement de la concurrence a aussi introduit des logiques marchandes au sein

de cette relation, logiques qui ne sont pas toujours visibles, mais qui n’en reste pas

moins très prégnantes. Ces logiques se retrouvent dans les rapports qu’établissent

certaines chaines, ou certains programmes, avec leur public en se positionnant

comme des marques, à travers la mise en place d’identités fortes et d’imaginaires

positifs. Si Rising Star est un bon exemple de programme-marque qui tente d’ériger

les téléspectateurs en fans, le meilleur cas d’école en France reste celui de la chaine

privée Canal + qui a réussi à s’imposer comme une marque à part entière, dont le

simple nom renvoie à des imaginaires partagés positifs très forts, auxquels adhèrent

massivement les téléspectateurs d’une part, qui sont alors prêts à payer pour avoir

accès aux contenus, et les annonceurs d’autre part, qui eux aussi payent, et parfois

des millions, pour y être associés. Ainsi, les rapports marchands mis en place par les

Page 87: Mémoire Louise Hurel

87

entreprises télévisuelles sont à penser au travers du prisme de l’hybridation des

marques et des médias, évoquée dans la seconde partie de ce travail.

Si la logique marchande s’est petit-à-petit imposée dans les rapports

entretenus par les producteurs et les récepteurs, jusqu’à en devenir primordiale,

l’idée d’une certaine proximité humaine a toujours été très présente dans la relation

de ces derniers. En effet, la télévision s’est développée sur les arguments de

praticité et de convivialité, le divertissement venant aux consommateurs et non

l’inverse. Ainsi, tout au long de son histoire ce média n’a cessé de chercher à

s’humaniser en créant des liens plus ou moins directs avec son public, via le

téléphone, le minitel ou même la présence, sur les plateaux de tournage, de certains

téléspectateurs. Cette tendance à l’humanisation s’est considérablement accrue

avec la démocratisation des médias informatisés qui représentent une concurrence

féroce, non seulement en ce qu’ils proposent des contenus audiovisuels, mais aussi

en ce qu’ils représentent la quintessence du média de proximité. Pour rester

attractifs les acteurs de l’industrie télévisuelle ont donc dû redoubler d’efforts pour

humaniser leurs rapports aux publics, essentiellement devenus marchands, et ce,

notamment, via l’utilisation des médias informatisés eux mêmes, par la mise en place

de dispositifs interactifs.

Ainsi, ces dispositifs sont pensés et présentés comme des espaces de

dialogues et d’échanges entre les producteurs et les récepteurs, où peuvent s’établir

des rapports non plus seulement marchands, du moins en apparence, mais aussi

conviviaux et interactifs. Si la mise en place de ces outils technologiques est

introduite comme étant révolutionnaire, nous remarquons qu’ils ne représentent

qu’une étape succédant l’utilisation du téléphone et du minitel, les technologies

numériques ayant surtout permis l’automatisation et la rationalisation de pratiques

déjà existantes.

De plus, ces dispositifs sont aussi des outils d’humanisation des marques-médias en

ce qu’ils rendent visibles ces rapports humains à travers la mise en scène des

télénautes. Ce faisant, les producteurs place le public au centre du divertissement, et

communiquent ainsi l’image d’une télévision construite autour et pour le

téléspectateur, et non pas autour et pour Coca-Cola. Cette stratégie

communicationnelle se donne à voir dans chacun des programmes étudiés ici, les

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88

dispositifs interactifs permettant aux télénautes d’être présents à l’écran, soit à

travers la mention de leurs tweets dans le cas de What Ze Teuf, soit par l’affichage

de leur photo de profil sur un mur géant pour Rising Star, ou encore par leur

présence en visioconférence sur le plateau dans le cas de Ca vous regarde.

Si cette tendance est déjà bien installée, elle tend à se généraliser à travers la mise

en place de nouveaux programmes intégralement construits autour des

téléspectateurs. C’est le cas de l’émission Vu à la télé, diffusée sur M6 depuis le

début de la saison, dont l’intérêt repose sur une complète mise en abyme de l’activité

des téléspectateurs, ces derniers étant invités à regarder d’autres téléspectateurs

regarder la télévision.

Les différentes stratégies communicationnelles mises en place pour humaniser les

rapports marchands qu’entretiennent les entreprises télévisuelles avec leurs publics,

tendent à replacer les individus au cœur de l’offre, démentant ainsi l’idée selon

laquelle les programmes seraient construits autour des marques, alors même que la

mise en scène des téléspectateurs représente une nouvelle ressource économique

vendue aux annonceurs. Ce faisant, les producteurs de télévision intègrent

complètement les pratiques relationnelles humaines que sont la discussion,

l’échange, le partage ou encore la participation, aux logiques commerciales de leur

industrie, entrainant ainsi une hybridation des rapports humains et marchands.

2. Les dispositifs interactifs télévisuels : instruments de l’hybridation des relations marchandes et humaines

Comme nous avons eu l’occasion de le constater au fil de ce travail, les

dispositifs interactifs télévisuels participent de la perte de l’individuation des

télénautes, en ce qu’ils les poussent à se présenter, et donc s’appréhender, à travers

des caractéristiques standardisées qui seront ensuite utilisées pour définir les

individus selon des catégories de consommateurs. En parallèle de cette

désindividuation des publics, nous avons souligné la tendance des acteurs de

l’industrie télévisuelle à faire de plus en plus appel à ces catégories de

consommateurs, et ce à travers la mise en place de dispositifs chargés

idéologiquement par la promesse de leur revalorisation. Les producteurs utilisent

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alors cette contribution des télénautes comme un argument supposé les pousser à

consommer leurs programmes, mais aussi et surtout comme une invitation à en

devenir ambassadeurs, en communiquant sur les bienfaits de l’expérience interactive

qu’ils proposent.

C’est dans cette pratique de la communication spontanée et gratuite, faite par

les consommateurs au service des médias-marques, que se trouve le cœur de

l’hybridation des relations marchandes et commerciales. En effet, les individus sont

pensés à travers des catégories de consommateurs afin de faciliter le ciblage des

publics par les médias, qui pourront ainsi mieux anticiper les pratiques des

télénautes appartenant à tel ou tel groupe, pour finalement les pousser le plus

efficacement possible à communiquer autour des programmes et en faire la

promotion à travers les conversations et autres activités relationnelles humaines

qu’ils pourront établir avec les membres de leurs cercles.

Cette infiltration des logiques marchandes au sein des conversations

quotidiennes des télénautes, et plus largement des consommateurs, est due à la

présence de plus en plus forte des médias informatisés et du réseau Internet dans

leur quotidien. En effet, les natures technologiques et techniques de ces derniers

modifient les manières de communiquer de leurs utilisateurs, en ce qu’ils ont tous

recours aux mêmes espaces et outils pour s’exprimer, qu’ils soient des institutions

médiatiques, entreprises commerciales, organisations politiques ou internautes

particuliers, ce qui tend inévitablement à un nivellement des pratiques énonciatives

communicationnelles. Ainsi, les différences entre ces divers acteurs s’atténuent sur

ces espaces, où ils se donnent tous à voir de la même manière, ce qui entraine une

porosité des frontières relationnelles qui les séparaient traditionnellement.

Cela est particulièrement visible et sensible sur les réseaux sociaux où tout le

monde est soumis aux mêmes architextes et aux mêmes règles d’utilisation. En effet,

tout réseau social requiert la création préalable d’un « profil » à travers lequel

l’utilisateur est contraint de se présenter selon des critères prédéfinis qui resteront

toujours les mêmes, et ce qu’il soit une institution ou un particulier, qu’il en ait un

usage professionnel ou personnel. De plus, la prise de parole se fait à travers des

architextes plus ou moins contraignant, mais qui, là encore, ne s’adaptent pas aux

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90

différentes natures des utilisateurs ou aux raisons de leurs présences sur ces

espaces d’échanges. Ainsi, un message publicitaire y prendra la même forme

énonciative qu’un message informationnel ou personnel.

Si cela est particulièrement palpable sur les réseaux sociaux, ce nivellement

des énonciations communicationnelles se retrouve dans de multiples cadres, qu’ils

soient numériques ou non, ce qui entraine une uniformisation des statuts et des

fonctions des diverses acteurs sociaux, donnant ainsi lieu à une réorganisation de

leurs rôles et des relations qu’ils entretiennent.

Les dispositifs interactifs de notre corpus, parce qu’ils utilisent des espaces où

les marques et les télénautes sont invités à s’exprimer à travers les mêmes outils et

selon les mêmes architextes d’une part, mais aussi parce qu’ils sont des outils

communicationnels destinés à attirer les publics sur les programmes qu’ils escortent

ainsi qu’à les pousser à en faire la promotion gratuite et spontanée d’autre part,

entrainent l’hybridation des activités relationnelles humaines et marchandes.

Ainsi, ces dispositifs ne sont pas seulement des intermédiaires techniques entre les

programmes et leurs publics, mais de véritables portes ouvertes à travers lesquelles

passent et se mélangent les divers intérêts et logiques propres à chacune de ces

entités, débouchant sur une nouvelle logique globale et hybride.

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CONCLUSION

Les dispositifs interactifs télévisuels étudiés tout au long de ce mémoire sont

donc des mécanismes complexes, constitués de plusieurs niveaux de lectures, qui

se donnent à penser à la fois comme des témoins et des acteurs du contexte social

et culturel dans lequel ils s’inscrivent. En effet, ils sont témoins en ce qu’ils sont

instrumentalisés, c’est-à-dire mis en place pour servir des impératifs répondant à

certaines réalités socio-économiques qui leur sont préexistantes et dont ils

dépendent ; et ils sont acteurs en ce qu’ils sont des instruments, c’est-à-dire des

processus actifs qui, en servant ces impératifs socio-économiques, alimentent et

amplifient les logiques constituant le contexte général qui les a mis en place.

C’est à travers leur nature d’outils communicationnels que ces dispositifs

interactifs se donnent à lire comme des témoins : les discours et imaginaires

mobilisés pour véhiculer l’idée d’une réinvention de la télévision et d’un

repositionnement du public nous informent ainsi sur les idéologies plus vastes qui

alimentent le contexte socioculturel dans lequel ils s’inscrivent. En s’annonçant

comme des instruments de la révolution numérique, les dispositifs interactifs se

mettent au service d’une stratégie, non pas de repositionnement factuelle, mais de

réinvention communicationnelle. En effet, les véritables changements opérés pour

donner une place plus importante aux téléspectateurs, et ce via la participation et

l’interaction, sont réalisés au niveau de la forme et non du fond, sur la mise en scène

de la participation et non sur la consistance de la participation en elle-même. Les

formats proposés par les programmes étudiés ici n’offrent ainsi rien de nouveau aux

téléspectateurs, ces derniers ne bénéficiant pas d’un pouvoir plus grand que

lorsqu’ils participaient par téléphone ou minitel, si ce n’est qu’ils sont désormais

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physiquement visibles, et ce grâce aux évolutions et améliorations techniques des

supports technologiques utilisés.

Ainsi, la différence entre le programme The Voice, pensé et présenté comme une

émission de talents assez classique, et Rising Star, introduit comme le télé-crochet

« nouvelle génération », ne tient pas dans la possibilité offerte au public de choisir le

candidat gagnant, cela étant déjà possible dans le premier, mais dans la manière de

le faire. Là où Rising Star permet à tout un chacun de voter gratuitement tout au long

de la saison et récompense les participants en affichant leurs photos de profil à

l’écran, leur permettant ainsi d’exister à travers leur action de vote, The Voice les

laisse dans l’anonymat, et ce bien qu’ils aient payé pour participer.

Les dispositifs interactifs télévisuels de notre corpus ne sont donc pas des acteurs de

la co-création généralisée et de la prise de pouvoir des publics sur les contenus

qu’ils consomment, mais sont les témoins du contexte socioculturel qui a vu naître

ces idéologies. En filigrane de ces dispositifs, c’est la naissance d’une nouvelle

démocratie numérique qui se donne à voir, accompagnée de toutes ses promesses

et de tous ses paradoxes, démocratie qui prend racine dans le web participatif

rapidement évoqué ici, et ayant pour grandes lignes directrices le partage des

savoirs, le logiciel libre et la fin de la propriété intellectuelle.

Cependant, si les objets étudiés tout au long de ce mémoire n’influent pas sur

la mise en place effective de cette nouvelle démocratie numérique, ils n’en restent

pas moins des acteurs de l’évolution des fonctions et pratiques des multiples corps

sociaux impliqués dans les industries de la culture et du divertissement, et ce à

travers leur rôle d’instruments économiques. En effet, sous couvert d’une révolution

participative, les dispositifs interactifs contribuent en réalité à l’évolution des

stratégies économiques mises en place par les médias, qui tendent à une hybridation

généralisée des statuts et des modes de communication des acteurs prenant part à

cette industrie, favorisant ainsi des logiques capitalistes de plus en plus fortes car

débridées.

Cette hybridation concerne, tout d’abord, les marques et les médias, qui se

présentent désormais sous les mêmes formes communicationnelles et qui répondent

aux mêmes types d’impératifs économiques de rentabilité et de rationalisation des

coûts, mais concerne aussi, et cela est moins visible, l’hybridation des activités

relationnelles humaines et marchandes, les marques-médias tendant, d’une part, à

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s’humaniser en s’insérant dans le quotidien des individus grâce à des dispositifs

interactifs présentés comme ludiques et désintéressés, et les téléspectateurs

tendant, d’autre part, à s’affirmer de plus en plus comme des consommateurs-

ambassadeurs en introduisant dans leurs conversations et activités quotidiennes des

discours promotionnels au service des marques-médias.

En insérant ainsi des logiques marchandes dans toutes les pratiques liées à la

création, la diffusion et la consommation médiatique, les entreprises télévisuelles ont

réussi à tirer profit de ce qui leur échappait jusqu’à présent, et ce, notamment, grâce

au pouvoir de l’économie scripturaire qui a entrainé la mise à l’écriture généralisée

des pratiques des téléspectateurs, permettant ainsi la récupération et la

marchandisation de leurs traces.

Ainsi, les dispositifs interactifs télévisuels sont bien les acteurs d’un changement,

mais pas de celui présenté et vendu aux télénautes, qui les pensent comme ayant

été mis en place pour leur offrir une meilleure expérience télévisuelle et leur

redonner un certain pouvoir, alors même qu’ils ont été établis pour servir les

marques-médias et renforcer les logiques capitalistes favorisant les plus puissants.

Si cette instrumentalisation économique des dispositifs interactifs nous semble

importante, même primordiale, pour la mise en place d’un modèle viable et durable,

nous pouvons tout de même regretter le fait qu’elle ait pris le pas sur la créativité des

acteurs de l’industrie télévisuelle, qui ne semblent alors pas avoir poussé assez loin

la réflexion sur les possibilités que leur ouvrait la création de tels outils. En effet, bien

qu’il y ait eu des efforts de la part des producteurs des programmes étudiés ici pour

revaloriser les dispositifs interactifs en les déplaçant de la périphérie au cœur de

leurs offres, notre analyse a révélé que ces efforts étaient essentiellement

concentrés sur leurs mises en scène et leurs discours d’escorte. Ainsi, ces

instruments, porteurs d’une multitude de possibilités innovantes, ne sont exploités ici

qu’au dixième de leurs possibilités, leur mise à profit consistant essentiellement à la

mise en place d’une posture communicationnelle destinée à pousser les

téléspectateurs à les consommer.

Ce blocage des producteurs vis-à-vis de la mise en place de dispositifs interactifs

pleinement et effectivement centraux dans leurs programmes, peut s’expliquer par le

modèle même de l’industrie télévisuelle qui fonctionne encore aujourd’hui selon des

logiques très lourdes et procédurières, inadéquates aux règles régissant les médias

Page 94: Mémoire Louise Hurel

94

informatisés et le réseau Internet. Ainsi, la mise en place de programmes et de

dispositifs véritablement innovants et intéressants, tant du point de vue de leur

rendement que de leur utilisation, requerrait un premier changement dans

l’organisation même de l’industrie télévisuelle.

Pour ce faire, il faudrait appliquer le même processus d’hybridation déjà

installé dans les cas des marques-médias et des relations humaines et marchandes,

au système organisationnel de la télévision, en y insérant des logiques inspirées des

mondes professionnels du web ou même des jeux vidéos. Cette hybridation

passerait d’abord par une réflexion sur le modèle de la télévision, qui amènerait à un

repositionnement profond de son offre, au regard des importantes évolutions des

manières de communiquer, travailler et consommer, introduites et accentuées par la

démocratisation des médias informatisés. Si aujourd’hui la télévision n’est

participative et interactive que de nom, elle pourrait se présenter et s’utiliser comme

un véritable outil hybride, ouvert à la co-production, en se repositionnant de manière

effective et pas simplement communicationnelle.

Ce repositionnement de la télévision, destiné à intégrer pleinement les logiques liées

aux médias informatisés en vue d’une hybridation de ces deux modèles, pourrait

passer par la refonte du système de distribution télévisuel, qui se fait depuis toujours,

et encore aujourd’hui, dans un mouvement descendant, des producteurs-diffuseurs

vers les téléspectateurs. Il serait intéressant d’envisager une refonte de ce modèle

de transmission unilatérale pour aller vers un modèle de réseaux axés sur des

échanges plurilatéraux.

Les entreprises télévisuelles ne se contenteraient alors plus d’exporter simplement

leur modèle sur les médias informatisés et de l’y transposer presque tel quel à l’aide

de dispositifs préexistants, communs et bien souvent mal exploités, donc peu

intéressants – comme c’est le cas aujourd’hui avec la multiplication des applications

de façade et des profils sur les réseaux sociaux – mais élaboreraient en partenariat

avec d’autres entreprises spécialisées dans des domaines divers et variés, liés, ou

non, aux métiers du web, de nouveaux dispositifs propres, intrinsèquement adaptés

à leurs offres médiatiques.

De plus, pour être intéressants et constituer véritablement le cœur de l’offre

télévisuelle, les dispositifs interactifs devraient être pensés, non plus comme des

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95

points d’entrée pour les télénautes, mais comme des points de départ à la création

des programmes. Cela supposerait que leur utilisation ne soit plus optionnelle mais

obligatoire, devenant une clause à part entière du contrat d’énonciation. Ainsi, tous

les consommateurs de ce type d’émissions seraient aussi forcément utilisateurs des

dispositifs interactifs, ce qui obligerait les producteurs à faire un travail d’anticipation

toujours plus fin et abouti autour des pratiques de leurs publics.

De manière plus générale, nous constatons d’ailleurs que l’exclusion anticipée et

choisie de certaines catégories de télénautes est une des conditions sine qua none

de la mise en place de dispositifs se voulant effectivement interactifs et participatifs,

et ce quelle que soit leur nature. En effet, la volonté de toucher le public le plus vaste

possible oblige les producteurs à niveler par le bas les représentations des pratiques

des téléspectateurs, et donc à mettre en place des technologies très simples et

contraignantes, donnant lieu à une participation de façade et une interactivité

complètement automatisée, comme c’est le cas à travers le dispositif interactif de

Rising Star.

Une meilleure concentration sur un public de niche, c’est-à-dire un public

préalablement anticipé à travers la revendication de certaines pratiques médiatiques,

et ce qu’elles concernent un nombre conséquent d’individus ou non, aurait pour

double avantage de rendre l’utilisation de tels dispositifs plus intéressante pour les

marques-médias d’une part, qui auraient accès à des catégories de consommateurs

beaucoup plus réceptifs et investis, intégrant de manière très naturelle les discours

promotionnels, et pour les télénautes d’autre part, en ce que ces dispositifs seraient

véritablement pensés à travers leurs pratiques,.

Pour finir, notons que le raisonnement proposé brièvement ici s’inscrit dans

l’idée plus globale que l’hybridation qui est en cours dans de nombreux domaines,

qu’ils soient relatifs aux dispositifs interactifs télévisuels ou non, tend à se

généraliser. En effet, les frontières qui séparaient traditionnellement les multiples

domaines politiques, économiques, culturels ou sociaux, se délitent peu à peu, et les

mêmes codes communicationnels sont désormais partagés par ces groupes

auparavant bien distincts.

Ce phénomène, que certains pensent en terme d’uniformisation de la société,

relèverait en réalité plutôt d’une redéfinition des catégories socioprofessionnelles

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traditionnelles, effectuée par quelques grands groupes industriels pour s’adapter à la

globalisation des pratiques culturelles et en tirer profit.

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97

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Page 98: Mémoire Louise Hurel

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ANNEXES

Annexe 1 : Le dispositif interactif de la série What Ze Teuf

Figure 1 : Le compte Twitter de la série

Figure 2 : Les propositions scénaristiques des télénautes via le hashtag #WZT

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Figure 3 : Présentation du dispositif interactif et du concept dans lequel il s’inscrit sur le site

welovecinema.com de BNP Paris Bas

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Annexe 2 : Le dispositif interactif de l’émission Ca vous regarde

Figure 1 : Formulaire de participation proposé sur le site de l’émission

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Figure 2 et 3 : Intervention d’une sentinelle citoyenne par visioconférence durant la diffusion de

l’émission

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Annexe 3 : Le dispositif interactif du télé-crochet Rising Star

Figure 1 et 2 : Interface de l’application utilisée par les télénautes pour voter

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Figure 3 : Mise en scène à l’écran de la participation des télénautes

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Figure 4 et 5 : Publicitarisation de l’offre médiatique

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MOTS CLES Interactivité

Dispositifs interactifs

Télévision

Programmes télévisés

Publicitarisation

Dépublicitarisation

Hybridation

Economie de l’attention

Individualisation

Individuation