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Arts L’art français aux XV e et XIX e siècles ; Bacon, Giacometti, etc. Pages 2-3. Architecture Du Liban au Yémen, de beaux voyages en Orient. Page 4. Histoire Des livres pour faire date. Page 5. Photographie L’art du portrait ; images de la Dépression américaine. Pages 6-7. Voyages Des montagnes magiques aux peuples du Rift en passant par les abysses. Pages 8-9. Art de vivre Les champions français du design ; une sélection d’ouvrages culinaires. Pages 10-11. Spectacles De belles pages de cinéma ; Orson Welles au travail. Page 12. Dans un ouvrage magnifique, Jean-François Bizot, le « père » d’« Actuel », relate l’extraordinaire aventure de la presse underground des années 1960-1970 L e paysage est ravagé. Deux types discutent, assis sur le capot d’une bagnole défoncée envahie par les rats. Une bulle, juste au-dessus d’eux, interroge : « C’est quoi l’éco- logie ? » Titré « Beuark ! », le dessin est signé Ron Cobb, qui partira plus tard dessiner E. T. pour Hollywood. Pour l’heure, nous sommes en octobre 1971, personne ne connaît le mot « écologie ». Il fait pourtant, avec ce des- sin, la couverture du n˚ 13 d’Actuel, un mensuel créé trois ans plus tôt par quelques potes (Bizot, Burnier, Kouchner, Rambaud). Tout en bas de la couverture, à droite, la simple mention des autres temps forts du numéro : « Zappa, Velvet, Johnny tout nu, Godard et Mao ». Tout un programme. Comme Actuel, on compte en 1970 des milliers de jour- naux underground. De Berlin à San Francisco, il s’en vend au total plus de 6 millions d’exemplaires. « A 20 ans, au milieu des années 60, nous nous sentions comme des enfants accouchant d’un nouveau millénaire. (…) Nous voulions tout réin- venter. Une révolte à la fois clocharde, céleste, révolutionnaire, cyberfreaks et vidéo-guérilléros, sexplorateurs, écologistes… », écrit Jean-François Bizot dans la préface de Free Press, le magnifique album qu’il vient de consacrer à la contre-culture vue par la presse underground. « Il était temps de se battre », explique-t-il. Dylan chantait The Times They Are a-Changin’, les Scandinaves libéraient la sexualité, les Beatles fumaient des joints à Buckingham. Quant aux Français, « dévorés de complexes et d’envie face aux libertés anglaises, danoises et hollandai- ses », ils continuaient, écrit Bizot, « à aiguiser la théorie, l’esprit critique et l’avant-garde, des situationnistes à Foucault ou Godard et Demy, Rivet- te et Jacques Rozier ». Et ce fut un feu d’artifice unique dans l’histoire de la presse. Les « papes » de ce mouvement avaient nom John Wil- cock, du Village Voice, Richard Neville, du journal londonien Oz, Jim Haynes, le créateur de l’International Times, Bizot, sans oublier des personnalités comme Richard Brautigan, Robert Crumb ou encore Hunter S. Thompsom, l’inventeur du journalisme « gonzo ». Magnifiquement illustré et édité, Free Press témoigne non seule- ment de l’extraordinaire inventivité graphique de ces journaux, mais aussi de leur sens aigu de la provocation politique et culturelle. En ce temps-là, il y avait une esthétique de l’underground ; on vivait à l’écart pour se forger de nouvelles valeurs ; et c’était à qui serait le pre- mier à porter aux cieux Zappa et ses Mothers of Invention ou Captain Beefheart. Dans ce foisonnement d’images, la révolution était une contre-culture, l’envie de révolte une provocation, le journalisme un combat, pour le féminisme, pour le droit à l’avortement, contre l’effet de serre, pour le bouddhisme… En feuilletant l’album, les plus anciens se prendront un grand coup de nostalgie, les plus jeunes seront émer- veillés devant tant d’inventivité et de liberté. Aujourd’hui, l’horizon s’est déplacé : c’est sur des sites Internet chinois, iraniens ou de pays arabes que s’élaborent de nouvelles formes de résistance. Reste à savoir si le Net, là-bas comme ici, saura échapper aux comportements individualistes, qui pour l’heure le fondent, pour générer des mouve- ments collectifs semblables à ceux qui ont accompagné, dans les années 1960 et 1970, l’essor de la presse underground. a Franck Nouchi Free Press, la contre-culture vue par la presse underground, de Jean-François Bizot, éd. Actuel/Panama, 256 p., 39 ¤. AU TEMPS CHÉRI DE LA « FREE PRESS » Vendredi 8 décembre 2006 CAHIER DU « MONDE » DATÉ VENDREDI 8 DÉCEMBRE 2006, N O 19244. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

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Arts L’art français aux XVe et XIXe siècles ; Bacon, Giacometti, etc. Pages 2-3. Architecture Du Liban auYémen, de beaux voyages en Orient. Page 4. Histoire Des livres pour faire date. Page 5. Photographie L’artdu portrait ; images de la Dépression américaine. Pages 6-7. Voyages Des montagnes magiques aux peuples duRift en passant par les abysses. Pages 8-9. Art de vivre Les champions français du design ; une sélectiond’ouvrages culinaires. Pages 10-11. Spectacles De belles pages de cinéma ; Orson Welles au travail. Page 12.

Dans un ouvrage magnifique,Jean-François Bizot, le « père »d’« Actuel », relate l’extraordinaireaventure de la presse undergrounddes années 1960-1970

Le paysage est ravagé. Deux types discutent, assis sur lecapot d’une bagnole défoncée envahie par les rats. Unebulle, juste au-dessus d’eux, interroge : « C’est quoi l’éco-logie ? » Titré « Beuark ! », le dessin est signé Ron Cobb,qui partira plus tard dessiner E. T. pour Hollywood. Pourl’heure, nous sommes en octobre 1971, personne neconnaît le mot « écologie ». Il fait pourtant, avec ce des-

sin, la couverture du n˚ 13 d’Actuel, un mensuel créé trois ans plus tôtpar quelques potes (Bizot, Burnier, Kouchner, Rambaud). Tout en basde la couverture, à droite, la simple mention des autres temps forts dunuméro : « Zappa, Velvet, Johnny tout nu, Godard et Mao ». Tout unprogramme. Comme Actuel, on compte en 1970 des milliers de jour-naux underground. De Berlin à San Francisco, il s’en vend au totalplus de 6 millions d’exemplaires.

« A 20 ans, au milieu des années 60, nous nous sentions comme desenfants accouchant d’un nouveau millénaire. (…) Nous voulions tout réin-venter. Une révolte à la fois clocharde, céleste, révolutionnaire, cyberfreakset vidéo-guérilléros, sexplorateurs, écologistes… », écrit Jean-François

Bizot dans la préface de Free Press, le magnifique album qu’il vient deconsacrer à la contre-culture vue par la presse underground. « Il étaittemps de se battre », explique-t-il. Dylan chantait The Times They Area-Changin’, les Scandinaves libéraient la sexualité, les Beatlesfumaient des joints à Buckingham. Quant aux Français, « dévorés decomplexes et d’envie face aux libertés anglaises, danoises et hollandai-ses », ils continuaient, écrit Bizot, « à aiguiser la théorie, l’esprit critiqueet l’avant-garde, des situationnistes à Foucault ou Godard et Demy, Rivet-te et Jacques Rozier ». Et ce fut un feu d’artifice unique dans l’histoirede la presse. Les « papes » de ce mouvement avaient nom John Wil-cock, du Village Voice, Richard Neville, du journal londonien Oz, JimHaynes, le créateur de l’International Times, Bizot, sans oublier despersonnalités comme Richard Brautigan, Robert Crumb ou encoreHunter S. Thompsom, l’inventeur du journalisme « gonzo ».

Magnifiquement illustré et édité, Free Press témoigne non seule-ment de l’extraordinaire inventivité graphique de ces journaux, maisaussi de leur sens aigu de la provocation politique et culturelle. En cetemps-là, il y avait une esthétique de l’underground ; on vivait à

l’écart pour se forger de nouvelles valeurs ; et c’était à qui serait le pre-mier à porter aux cieux Zappa et ses Mothers of Invention ou CaptainBeefheart. Dans ce foisonnement d’images, la révolution était unecontre-culture, l’envie de révolte une provocation, le journalisme uncombat, pour le féminisme, pour le droit à l’avortement, contre l’effetde serre, pour le bouddhisme… En feuilletant l’album, les plus anciensse prendront un grand coup de nostalgie, les plus jeunes seront émer-veillés devant tant d’inventivité et de liberté. Aujourd’hui, l’horizons’est déplacé : c’est sur des sites Internet chinois, iraniens ou de paysarabes que s’élaborent de nouvelles formes de résistance. Reste àsavoir si le Net, là-bas comme ici, saura échapper aux comportementsindividualistes, qui pour l’heure le fondent, pour générer des mouve-ments collectifs semblables à ceux qui ont accompagné, dans lesannées 1960 et 1970, l’essor de la presse underground. a

Franck Nouchi

Free Press, la contre-culture vue par la presse underground,de Jean-François Bizot, éd. Actuel/Panama, 256 p., 39 ¤.

AU TEMPSCHÉRI DE LA« FREE PRESS »

Vendredi 8 décembre 2006

CAHIER DU « MONDE » DATÉ VENDREDI 8 DÉCEMBRE 2006, NO 19244. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

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Paris, 1408. Le duc Jean de Berryfait travailler « en son hostel deVincestre-les-Paris » le peintrePol de Limbourg. Il l’apprécie

tant qu’il veut assurer son bonheur. Lameilleure solution : lui trouver une épou-se riche. Le duc, qui a déjà procédé de lasorte en faveur de son sculpteur Jean deCambrai, décide que Pol doit épouserGillette La Mercière, opulente héritière.Mais Gillette a 8 ans et ses parentsjugent le peintre indigne de leur fille. Leduc passe outre, fait enlever l’enfant etla garde dans son château d’Etampes.

Le Parlement deParis prend le partide la famille, le ducs’entête et lesparents finissent parcéder, à conditionque le duc et le pein-tre veuillent bienattendre que Gilletteait 12 ans pour célé-brer la noce. Elle a

lieu à Bourges, en 1411 sans doute, et, encadeau de mariage, le duc donne à Polun hôtel particulier de la ville, confisquél’année précédente à son trésorier géné-ral, un Génois peu délicat. C’est cadeaupour cadeau car les Limbourg, peu aupa-ravant, ont offert au duc Le Livre contre-fait, objet précieux à l’apparence d’unlivre, peut-être un trompe-l’œil. De quoiil se conclut que le duc de Berry, loin deles considérer comme des artisans, tient

les peintres en haute estime, du momentqu’ils sont de grand talent.

En consacrant la première partie dePeindre en France au XVe siècle aux condi-tions du métier, Yves Bottineau-Fuchsrappelle ainsi que les sociétés aristocrati-ques de ce temps consentent aux pein-tres une place singulière. Ils la doivent àleurs capacités et à ce que leur gloirecontribue au prestige et au plaisir deleurs protecteurs. A charge pour euxd’accomplir avec un égal succès toutesles tâches qui leur sont confiées : livresd’heures, retables, portraits, dessins devitraux, décors de fêtes. Comme ils nepeuvent y suffire seuls, ils s’entourentd’aides et des liens familiaux font deleurs entreprises des clans. Rien de spéci-fique à la France en la matière : on agitet vit de même en Flandres et en Italie.

Construire l’espaceC’est là du reste le seul reproche que

l’on puisse faire à cet ouvrage très réussiet magnifiquement imprimé : son titre.Qu’est-ce que « la France » au XVe siè-cle ? Des pouvoirs et des territoires quine sont pas encore unifiés par lamonarchie et, pour les artistes, un espa-ce où l’on voyage sans souci de frontiè-res et de nationalités, pour répondre àdes commandes et, parfois, pour fuirune guerre. Les Limbourg sont « alle-mands ». Jean Malouel serait originairede Nimègue et Enguerrand Quarton,qui œuvre en Provence, viendrait du dio-

cèse de Laon. Autre Avignonnais, Nico-las Froment arrive des Pays-Bas pourrejoindre ce que Bottineau-Fuchs nom-me « le carrefour provençal ». Quant àAntoine de Lonhy, on a trace de lui àToulouse, à Barcelone et en Savoie.

Histoire et géographie sont donc insé-parables. Avec les hommes, référenceset influences se déplacent, se succèdentou se mêlent. Par œuvres et réputationsinterposées, Flamands et Italiens sontprésents à Paris, à Dijon ou Avignon.Simone Martini, Antonello da Messina,les Van Eyck, Rogier Van der Weyden,Robert Campin ne cessent ainsi d’êtrecités, repères pour une étude généraledes iconographies et des styles qui neserait pas pertinente sans eux. Et quidétermine la chronologie : au XVe sièclecomme aujourd’hui, l’art est agité demodes et rien n’est plus profitable qued’apporter – ou au moins de connaître –

la dernière nouveauté en date. Une nou-velle façon de construire l’espace, uneadresse inédite pour intégrer allusionsbibliques ou politiques, la maîtrise deseffets de transparence ou des ombresportées, c’est un mérite précieux pour lepeintre qui s’en montre capable. Pourrendre sensibles ces évolutions, quelque-fois presque imperceptibles, il faut desdescriptions attentives, exercice duregard et de la mémoire qui sont le fon-dement même du livre et sa méthode.L’auteur s’y consacre avec un plaisir visi-ble, proposant à l’occasion des hypothè-ses et des attributions, discutant cellesd’autres spécialistes, avouant parfoisqu’il est impossible d’être sûr quandtant d’œuvres ont disparu et que lesarchives sont lacunaires. Pour quelques-uns, elles le sont heureusement moins.On connaît fort bien Enguerrand Quar-ton par ses œuvres et le contrat de com-

mande (le « prix-fait ») du Couronne-ment de la Vierge signé le 23 avril 1453 –ce qui permet de suivre son travail auplus près. Celui du Maître de Moulins selaisse aussi approcher, en partie grâce àce que l’on sait de ses relations avec sesmécènes, les Bourbon et les Rolin.

Reste Jean Fouquet, dont l’origine etla vie sont paradoxalement assez malconnues, mais dont la prééminence justi-fie que l’auteur lui consacre un chapitreentier – et le plus singulier de l’ouvrage.Il commence comme une étude histori-que, aussi précise et savante que cellesqui ont précédé. Puis surgit un thème,né d’une observation : le blanc tient uneplace essentielle dans les compositionsde Fouquet. Il éclaire, il allège, il répartitles plans, il définit l’espace. Et, d’uncoup, voici Fouquet entrant en conversa-tion picturale avec Cézanne. a

Philippe Dagen

« La Musique » de Jérôme Bosch. CITADELLES & MAZENOD

Une magnifique évocation de la peinture en Franceaux derniers temps du Moyen Age

Riches heuresdes peintres

Détail du diptyque Wilton « Richard II présenté à la Vierge à l’enfant par son patron saint Jean Baptiste,saint Edouard et saint Edmond ». NATIONAL GALLERY LONDRES

« Trophy IV » for John Cage (1961) de RobertRauschenberg. MUSÉE D’ART MODERNE DE SAN FRANCISCO

L’œuvre fascinante d’un génie de l’invention visuelle

Dans le dédale de BoschBOSCHde Larry Silver.

Traduit de l’anglais (Etats-Unis)par Sylvie Barjansky, JeanneBounior, Geneviève Lambert etOdile Menegaux. Citadelles &Mazenod, 424 p., 174 ¤

A u classement des peintressur lesquels les historiensde l’art n’en finissent pas

de s’interroger, Jérôme Boschoccupe une des premières places.Et pour cause : ses œuvres sontégalement admirables et énigma-tiques. Impossible de les voirsans tomber dans des interroga-tions en cascade, sans multiplierles suppositions et sans enconclure qu’il restera probable-ment toujours impossible deséparer ce qui, dans ses inven-tions, s’explique par des symboli-ques et des allusions de ce quirelève du chromatique, du gra-phique et des plaisirs de l’inven-tion visuelle.

Après tant de prédécesseurs,Larry Silver s’est engagé dans ledédale Bosch. Il s’est muni detout ce que l’érudition peut offrirde repères et même, de temps entemps, de certitudes. Parmi tousces moyens, il a privilégié l’obser-vation minutieuse des œuvres –ce qui est assurément l’essentiel.Aussi lui faut-il décrire longue-ment et attentivement. Mais com-ment décrire l’indescriptible,nommer l’innommable ? Lesmots pèsent bientôt d’un poidstrop lourd, car ils supposent – etvite imposent – une interpréta-tion que le lecteur peut ne paspartager. Il lui suffit pour cela de

confronter le texte aux reproduc-tions et de se demander si, quantà lui, devant la Tentation de saintAntoine de Lisbonne, il peutaccorder à l’auteur sans aucundoute que c’est du vin qui couled’une cruche. Du vin ou dusang ? Ou du vin qui serait méta-phoriquement et bibliquementaussi du sang – et réciproque-ment ? L’affirmation en apparen-ce la plus simple ne l’est pas. Ledémon ne serait-il pas un chat ?Et le petit animal à épines ? Unporc-épic à ramures de cervidé ?Une improvisation apparue aucours du travail pictural ? Unemblème ? On n’en sortira pas.

Silver multiplie les comparai-sons. Le Saint Antoine de Boschest confronté à Grünewald, àSchongauer, à Lucas de Leyde etle principal effet de ces confronta-tions est de rendre plus manifes-te encore tout ce qui échappe à lacompréhension dans ces œuvressi différentes. Ces accumulations

de science ont souvent pour prin-cipal mérite une incongruité déli-cieuse. Ainsi en sait-on désor-mais plus long sur la représenta-tion de la girafe à la fin duXVe siècle et sur la morphologiede la licorne...

Plus éclairante serait l’étudedes dessins, si elle n’était surtoutconduite du point de vue d’unechronologie impossible à compo-ser et de celui des allusions à lasorcellerie. En observant certai-nes feuilles, il semble que Boschtravaille par analogies, telle for-me engendrant telle autre, l’ova-le d’une corbeille tressée appe-lant l’ovale d’une mandoline, latête du rat suscitant par ressem-blance la tête du lézard, puis lereptile entier. Y aurait-il de l’auto-matisme visuel dans cesœuvres ? André Breton l’avaitpensé. Mais Breton n’est proba-blement pas au nombre des lectu-res de l’auteur. a

Ph. D.

Les splendides monographies d’Hazan et d’André Dimanche

Portraits d’artistesFRANCIS BACONÀ NOUVEAUde David Sylvester.

Traduit de l’anglaispar Jean Frémon.Ed. André Dimanche, 272 p., 48 ¤.

ALBERTO GIACOMETTId’Angel Gonzalez-Garcia.ROBERT RAUSCHENBERGde Sam Hunter.ANTONI TAPIESde Youssef Ishaghpour.CLAUDE VIALLATde Pierre Wat.

Hazan, 160 p., et 35 ¤ chaque.

H asard de l’édition, AndréDimanche, un Marseillaisqu’on ne saluera jamais

assez, et Hazan ont conçu desouvrages assez semblables. LeBacon de Dimanche, un texte deDavid Sylvester traduit par JeanFrémon, autre homme de l’art,est en effet construit selon le prin-cipe de la nouvelle collection« Œuvres/Ecrits » de Hazan :une monographie due à un spé-cialiste, des écrits ou des entre-tiens, une biographie, le toutgénéreusement illustré.

De ce point de vue, le Baconest exemplaire, peut-être parceque Sylvester fut son ami de1950 jusqu’à la mort du peintre,en 1992. De 1962 à 1986, ils sesont entretenus. Leur dialogue(Francis Bacon, l’art de l’impossi-ble, Skira) est une des sourcesmajeures pour la compréhensionde l’artiste britannique.

Mais Sylvester en retenait unefrustration. Selon Jean Frémon,

« il avait le sentiment de servir defaire-valoir à l’artiste » et « nepouvait pas trouver alors en lui-même le détachement et la distan-ce nécessaires au critique et à l’his-torien ». C’est chose faite, et c’estlumineux. Les entretiens, eux,sont des fragments qui n’avaientpas été retenus lors de la publica-tion du premier ouvrage, classésde façon thématique, et l’ensem-ble est sans doute un desmeilleurs livres jamais écrits surun peintre qui a pourtant inspiréles plus grands auteurs.

Les monographies de Hazanvalent aussi qu’on s’y attarde.Les artistes sont conséquents,parfois considérables, et si lesauteurs n’ont pas toujours bénéfi-cié de la même intimité que Syl-vester avec son sujet, ils n’en fontpas moins sérieusement leur tra-vail. Comme Sam Hunter, parexemple, un des grands histo-riens d’art américain, qui a réali-sé sa première grande expositionau MoMA (consacrée à Pollock)

au moment ou Rauschenberg,l’objet de son étude, débutait.Les entretiens sont aussi unmoment fort de ces ouvrages,comme celui où Antoni Tàpiesrépond à Manuel Borja-Villel,qui s’interrogeait sur « le tatoua-ge et le corps ». Ou celui avec Gia-cometti, réalisé en 1961 pourL’Express où Pierre Schneider fai-sait, une fois de plus, œuvre depionnier. Il semble toutefois quepersonne n’ait pris cette peineavec Viallat, puisque c’estl’auteur du texte d’introduction,Pierre Wat, qui s’y colle. L’inter-view est complète, et rationnelle,mais son actualité (elle a été réali-sée en mai 2006) fait perdre leparfum délicieusement surannéqui fait – aussi – le charme desautres. Néanmoins, un artistequi avoue commencer ses jour-nées en lisant des bandes dessi-nées avant d’aller retrouver lescopains au café ne peut pas êtrefoncièrement mauvais. a

H. B.

PEINDRE ENFRANCE AUXVe SIÈCLEd’YvesBottineau-Fuchs.

Actes Sud,330 p., 69 ¤.

Arts-peintureBeaux livres Arts-peinture

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VAN GOGHPICASSO,de LaurenceMadelineArles et laProvence,mais aussi lescrâneshumains et la

chaise de paille : les pointscommuns entre Van Gogh etPicasso sont plus nombreuxqu’on ne le supposerait.Laurence Madeline en faitl’inventaire et l’analyse dans unlivre qui démontre que leHollandais à l’oreille coupée acompté dans l’œuvre del’Espagnol au regard noir. Lesrelations qu’elle rétablit entreleurs œuvres sont le plussouvent incontestables, et VanGogh se trouve au nombre despeintres que Picasso, dans ladernière période de sa vie, faitapparaître dans ses peintures etgravures. Ph. D.La Martinière, 184 p., 39 ¤.

MARLENE DUMAS,ouvrage collectifMarlene Dumas est l’une despeintres les plus visiblesd’aujourd’hui. Née en 1953,néerlandaise, elle a su imposerses sujets – nudités, sexualités,enfances –, sa tonalité –angoisse, souffrance,provocation – et sa manière –un expressionnisme souventcru et une exécution qui va àl’essentiel des anatomies et desvisages. L’ouvrage fait la partbelle aux œuvres ainsi qu’auxpropos et écrits de l’artiste. Despremiers travaux aux plusrécents, l’historique estcomplet. « Je peins parce que jesuis une femme démodée. (Jecrois à la sorcellerie.) » écrivaitMarlene Dumas en 1993. Ph. D.Phaidon, 160 p., 39,95 ¤.

TURNER, d’Andrew WiltonMagnifique et largementnourrie de citations de l’artisteet de ses contemporains, cettemonographie ambitionne moinsde renouveler la compréhension

de l’œuvre de Turner que deprésenter un état desconnaissances aussi précis quepossible. Ce qui est accompli icidans les règles de l’érudition.Ph. D.Ed. de l’Imprimerie nationale,258 p, 49 ¤.

DICTIONNAIRE DESMOBILIERS ET OBJETSD’ART DU MOYEN ÂGEAU XXIe SIÈCLE,d’Aurélia et Anne LovreglioEn 3 000 entrées alphabétiques,et 70 articles plus développés, cedictionnaire est un superbesurvol des objets inanimés quinous entourent et de leurscréateurs. Survol, car résumerl’œuvre d’Alvar Aalto en cinqlignes frustre n’importe qui. Parcomparaison, Adam Weisweilera droit à quatre colonnes et deuxillustrations. Un partiprivilégiant l’ancien sur lemoderne ? Sans doute, et c’estnormal vu l’énorme tranchechronologique embrassée. Maisquel bonheur de pouvoir enfindéfinir une « commode àmoustache » ! Ha. B.Le Robert, 464 p. 42 ¤.

L’ARTMODERNEETCONTEMPORAIN, sousla directionde SergeLemoineUne des

grandes forces du président duMusée d’Orsay, par ailleursenseignant, est d’avoir toujoursassocié ses étudiants et leurstravaux à ses expositionscomme à ses publications. Uncoup de pouce bienvenu, pourun vivier rafraîchissant auquelil dédie sa préface. Quant àl’ouvrage, il énumère lesgrands mouvements artistiquesdu siècle dans un ordrechronologique qui en fait unmanuel utile, et très fiable,jusqu’à très récemment : ladernière page reproduit uneœuvre de Claude Lévêqueprésentée au Mac/Val de Vitry,il y a trois mois ! Le choix

iconographique est parfoiscontestable, mais l’ensemble serévélera vite indispensable.Larousse, 312 p., 45 ¤.

100 CHEFS-D’ŒUVREDE LA PEINTURE.De Lascaux à Basquiat,de Florence à Shanghaï,de Michel Nurisdany,Ancien critique du Figaro,Michel Nurisdany a relevé undéfi affriolant, et casse-gueule :choisir, dans 19 000 ansd’histoire de l’art du mondeentier, cent points d’appui. A lefeuilleter, on grogne : etpourquoi celui-ci et pascelui-là ? Puis vient enmémoire la définition quePontus Hulten donnait d’uneexposition ratée. C’est celledont, d’une salle à l’autre, onopine : « Ah oui ! Ah oui… »Nous exhumer le Bréviaire deBelleville, du miniaturiste JeanPucelle, les Arbres épars de sonpresque contemporain ZhaoMengfu, les coller dans lemême ouvrage que le Lit deRauschenberg ou la cathédraleélevée par Buren auGuggenheim Museum de NewYork en 2005, mérite un vraicoup de chapeau. Ha. B.Flammarion, 208 p. 35 ¤.

PIZZI CANNELLA, collectifOn dit que l’italien est la languede l’amour. Elle est aussi,malheureusement, celle de lacritique d’art, comme ledémontrent certains textes de cesuperbe livre. Et il y a les pâtes.C’est dans une ancienne usinede nouilles de Rome, que s’estformé dans les années 1980 legroupe de San Lorenzo, du nomdu quartier où était située lafabrique. Ceccobelli, Dessì,Gallo, Nunzio, Tirelli etCannella, auquel est consacrél’ouvrage, sont une phase tropméconnue en France de l’artcontemporain de la péninsule,mais le succès public del’actuelle exposition à la VillaMédicis prouve qu’ils sontprophètes en leur pays. Cannellaen est un des plus importantsreprésentants. H. B.XXIe siècle éditions, 410 p., 120 ¤.

Deux ouvrages témoignent d’une période d’essor des arts et de bouleversements esthétiques

Le siècle des révolutions

« Les demoiselles des bords de la Seine » par Gustave Courbet (1857).PARIS/AKG IMAGES

ZOOM

L’ART FRANÇAIS. Le XIXe siècle,1819-1905Sous la direction d’Henri Loyretteavec Sébastien Allard, Laurencedes Cars.

Flammarion, 464 p., 75 ¤ jusqu’au31 janvier puis 90 ¤.

LES SALONS AU XIXe SIÈCLE.Paris, capitale des artsde Dominique Lobstein.

La Martinière, 304 p., 69 ¤.

Chez Flammarion, le XIXe siècledébute en 1819 ! Sans douteparce que le tome précédent decette monumentale histoire de

l’art français (six volumes, du MoyenAge à nos jours), écrit par le regrettéAndré Chastel et consacré au XVIIIe siè-cle, s’achevait en 1825… Le temps del’histoire de l’art n’est pas celui du com-mun des mortels, mais le parti prisd’entamer le siècle avec les romanti-ques nous prive de David, de Gros, etplus généralement des peintres del’épopée napoléonienne. De quoi pla-cer le lecteur face au même regret quecelui ressenti par les enfants du siècle,Musset en tête, d’être nés trop tardpour participer à la grande aventure.

Le seul à l’avoir effleuré, plus paramour des chevaux que pour celui deLouis XVIII, à la garde duquel il appar-tint, fut Géricault. Son Cuirassier bles-sé, peint en 1814, est un adieu auxarmes. Le siècle serait aussi le tempsd’un autre abandon, celui de la peintu-re d’histoire, le roi des genres, et legenre des rois. C’est le point de vued’Henri Loyrette, président du Louvreet auteur de la préface : « Trop d’histoi-re a tué la peinture d’histoire ; elle meurtdans la rigolade du Second Empire,enterrée par le “bouillant Achille, le roibarbu qui s’avance”, et toutes ces“déesses qui ont de drôles de façons…” »

L’opérette est sans pitié, et le bour-geois triomphant.

L’hypothèse est séduisante. Elle apourtant été battue en brèche, il y a dixans déjà, par un autre conservateur duLouvre, Régis Michel, qui rappelaitque la peinture d’histoire est « unenjeu constant de contrôle étatique ». En1993 déjà, Nathalie Heinich (Du pein-tre à l’artiste. Artisans et académiciens àl’âge classique, éd. de Minuit) montraitque la déperdition du « grand » genrecommençait avec le XVIIIe siècle. Enfait, la peinture d’histoire comme lieupolitique, ou idéologique, existe tou-jours. C’est le pouvoir qui s’est dépla-cé. Le Radeau de la Méduse est perçupar ses contemporains comme une cri-tique virulente de l’impéritie des « offi-ciers rentrants », ces nobles émigrésdurant la Révolution et réintégrésdans leur grade par la Restauration.C’est aussi une peinture d’histoire, quiprend simplement le parti de l’opposi-tion. La première d’une longue série.Les seuls à ne s’en être pas aperçu sontces peintres d’une formidable veulerie,comme Alexandre Menjaud, Louis Her-sent, François Gérard ou François-Jose-ph Heim, dont l’inénarrable Charles Xdistribuant des récompenses aux artis-tes résume bien la situation.

Du Moyen Age à HaussmannHeureusement, le XIXe siècle ne se

résume pas à ses débuts. Il est égale-ment, et le livre le montre à l’envi, quoi-qu’en séparant trop les pratiques, l’es-sor fabuleux connu par ses contempo-rains. Ils sont passés d’un Paris encoremédiéval dans son urbanisme à celui deHaussmann, des calèches aux cheminsde fer, du suif de la chandelle à la Ville-Lumière, de la litho à la photographie,de la pantomime au cinématographe. Etl’art à suivi. L’impressionnisme, c’est lapeinture en tube, plus l’électricité. Enoubliant l’essor des quartiers neufs, desBatignolles au parc Monceau en pas-

sant par Saint-Lazare, on négligerait lefait que ces artistes travaillaient dansdes bâtiments résolument contempo-rains. Que l’art moderne est né dansune ville qui l’était aussi, et des plus cos-mopolites qui soient. Que le triomphede l’art français fut aussi celui des métè-ques, qui feront la gloire de l’école deParis au siècle suivant. Et que c’est ici,et à ce moment, que s’invente le marchéde l’art moderne.

C’est de cet aspect que traite, encreux, le livre consacré aux Salons parDominique Lobstein. A lui, on aurait pufaire le reproche inverse, celui de s’êtrecantonné au XIXe siècle. Que diantre, lesSalons de Diderot valent bien ceux deBaudelaire ! Lobstein l’aborde certes,vite, pour ne musarder qu’à partir de1791. Il s’en explique, citant un décret du

21 août 1791 de l’Assemblée constituantequi fait suite à la suppression des corpo-rations et à la liberté d’exercice de tousles métiers : « Article 1er : Tous les artistesfrançais et étrangers, membres ou non del’Académie… seront également admis àexposer leurs ouvrages… » La carrièred’un artiste au XIXe siècle passait par leSalon : « Il y a dans Paris à peine quinzeamateurs capables d’aimer un peintresans le Salon. Il y en a quatre-vingt millequi n’achèteront même pas un nez si unpeintre n’est pas au Salon. Voilà pourquoij’envoie tous les ans deux portraits, si peuque ce soit », disait Renoir à PaulDurand-Ruel, lequel se chargea d’inver-ser la tendance, et permit aux galeries desupplanter définitivement les Salons, etau XXe siècle de débuter. Vers 1914… a

Harry Bellet

Profondeursde l’ombre

Rentrée littéraire 2006

La Mayennedonne du prix

à la lecture

LES MARGES DE LA NUIT. Pourune autre histoire de la peinturede Baldine Saint-Girons.

Ed. de l’Amateur, 176 p., 45 ¤.

U ne réflexion esthétique qui tra-verse temps et écoles : ce seraitun motif suffisant pour distin-

guer Les Marges de la nuit de la produc-tion de monographies et récits conve-nus dont l’édition d’art se contente parprudence. Mais l’ouvrage a d’autresmérites. Il pose des questions subtiles,il attire le regard sur des œuvres rare-ment considérées, il avance des thèses.A commencer par celle-ci : la nuitserait à tort réputée l’ennemie du pein-tre, parce qu’elle lui retirerait sesobjets, le priverait de toute lumière etde toute sensation. En effet, l’objectionne tient pas à l’épreuve des faits. Biendes artistes, qu’ils peignent, gravent,dessinent ou photographient, ontaffronté l’épreuve de l’obscurité et,dans cet exercice apparemment perdud’avance, trouvé des ressources.

Baldine Saint-Girons fait doncremarquer que la peinture se mesure àla nuit particulièrement dans les pério-des de renouvellement. Ainsi de Cara-vage, Elsheimer et La Tour quand ilfaut en finir avec les beaux styles issusde la Renaissance italienne. Ainsi, plustard, de Degas, Van Gogh et Vallotton,quand réalisme et impressionnisme nesuffisent plus. Chaque fois surgissentdes moyens différents et de nouveauxrapports entre la clarté et l’ombre s’éta-blissent, qu’il faut analyser en des ter-mes plastiques – le noir est une res-source infinie pour le peintre –, maisaussi comprendre par rapport à l’histoi-re des mœurs, des sciences, des idéeset des religions. Ce qui est brillammenttenté ici, à la conjonction de la littératu-re, de la philosophie et des artsvisuels. a

Ph. D.

Beaux livres Arts-peinture

Page 4: Revista Historia en Francés

Vigie à l’entrée de Jiblah (Yémen). ÉD DE l’IMPRIMERIE NATIONALE

lesEditionsBénévent

ECRIVAINS

publientde nouveaux auteurs

Service ML - 1 rue de Stockholm75008 Paris - Tél : 01 44 70 19 21

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Pour vos envois de manuscrits:

Nostalgie du Liban, fascination du Yémen,appel du désert...

Voyagesen OrientLIBANde Salah Stétié, photographiesde Caroline Rose.

Imprimerie nationale, 256 p., 75 ¤.

CITÉS DU YÉMENde Serge Sautreau, photographiesde Pascal et Maria Maréchaux.

Actes Sud-Imprimerie nationale,256 p., 73 ¤.

MAISONS DU SAHARAHabiter le désertde Jean-Loïc Le Quellec.Photographies de Cécile Tréalet de Jean-Michel Ruiz.

Hazan, 200 p., 40 ¤.

Rappelons les faits », écrit sobre-ment Salah Stétié. Suit, nette-ment moins sobre, l’enlè-vement par Zeus, habillé en

taureau, d’Europe, fille d’Agénor, roide Tyr (ou Sidon), Europe qu’il don-nera plus tard, en ayant tiré lemeilleur, à Astérion, roi de Crète. Ain-si va le poète, ambassadeur perpétueldu Liban, qui, d’émotion en légende,de description en suggestion, du« je » au « nous », livre ici une des-cription au galop d’un des plus beaux

berceaux de la culture méditerranéen-ne. Plus que des pierres qui ont établila pérennité du pays, Stétié parled’abord des hommes, ou des dieux, cequi revient souvent au même danscette ode savante, écrite « justeavant » les bombardements de 2006.

Les pierres des monuments, desvilles, il en parle comme des rochersoù s’accrochent et reviennent les Liba-nais expatriés. En embrassant ainsison Liban comme Europe son taureaudivin, l’auteur fait coup double. Il mar-que la permanence de ce pays centfois marqué par la guerre et les des-tructions. Et il décrit une formeenvahissante de nostalgie qui a finipar s’imprimer non seulement dansles rêves de l’exil, mais dans le solmême et dans l’âme de ceux quivivent toujours au Liban.

Les photographies de Caroline Roses’accrochent sans excès de poésie à lacavalcade de Stétié. Elles montrent leLiban simple ou brillant, tel qu’il estou presque, une histoire d’architectureet de paysage, principalement, d’oùseuls sont gommés, ce qui n’est pasrien, ces buildings qui défigurent lepays depuis la guerre civile et quel’écrivain n’évoque lui-même qu’enpassant. C’est là un effet des lunettesde l’exil, thème sur lequel Stétié termi-ne presque son livre, empruntant

l’émotion d’un poème de Georges Shé-hadé (1952) : « Tant de magie pourrien/Si ce n’était ce souvenir d’un autremonde/Avec des oiseaux de chair dans laprairie/Avec des montagnes comme desgranges/Ô mon enfance, ô ma folie .»Pour conclure assez justement : « Telleest la spécificité de ce petit pays que touteréflexion le concernant débouche rapide-ment sur l’universel. »

Désert de pierreDeuxième étape au Yémen, pays de

l’exil de Rimbaud et de celui, éphémè-re, de Nizan. Même éditeur, Actes Sud-Imprimerie nationale, mais approcheinverse grâce à un texte, en fait unpoème déchiré et aride comme undésert de pierre, écrit avec précisionpar Serge Sautreau qui fréquemments’envole : « L’histoire gardant la clef deverre qui tient ces villes vivantes ou lesanéantit en dépit de leur superbe pour les

livrer à l’inconnu, à la poussière, auxhypothèses… ». A l’unisson, les photosde Pascal et Maria Maréchaux marientla sensualité et une sorte de retenuepresque archéologique. Il est vrai quele pays masque aussi sa tendresse : ony sent la soif, la dureté, l’austérité et lesjoues gonflées de kat semblent rare-ment tolérer le rire.

Si l’on en croit ce livre, et tout porteà le faire, le Yémen a les villes les plusbelles du monde et les plus riches archi-tectures, dans un paysage toujours pau-vre, économe, souvent violent, déchiré,torturé, juste calmé par l’or du crépus-cule et la limpidité du matin. Repèreset bibliographies permettent de pous-ser au plus loin la traversée du désert.Par chance, les auteurs ne donnent pasl’adresse des agences de voyages.

Prenant le relais d’André Ravéreauet de Manuelle Roche, qui se sontplus particulièrement ancrés dans le

m’Zab, Jean-Loïc Le Quellec, accom-pagné de Cécile Tréal et de JeanMichel Ruiz, est parti à la recherchedes maisons du Sahara et des mille etune manières d’habiter le désert. Celadonne un livre méthodique et savant,sans prétention poétique, mais riched’indications ethnographiques. Lesmaisons ont leurs jardins, les oasis,qui peuvent se résumer à un arbre àdemi enfoui dans le sable. Le soleilest teigneux, malgré les sourires despopulations qui ne connaissaient dumonde que les couleurs changeantesde la terre dont sont faites le plus sou-vent les maisons. Sauf en quelquesendroits : « Dieu créa le désert puis,furieux, lui jeta des pierres », dit unproverbe arabe rapporté par Le Quel-lec, ethnologue de son état qui donnequelques outils heureux : bibliogra-phie et glossaire, à défaut de cartes. a

Frédéric Edelmann

Calligraphie Shuho Myocho (1282-1337). COLL. HATAKEYAMA/TOKYO

Maison Herbert Johnson, Wind Point, Wisconsin, 1937. DR

Un impressionnant tour d’horizon des arts de l’Asie orientale

Empires du LevantLES ARTS DE L’ASIEORIENTALEde Gabriele Fahr-Becker,avec la participation deSabine Hesemann, SriKuhnt-Saptodewo, MichaelaAppel et Michael Dunn.

Ed. Place des Victoires,740 p., 59 ¤.

C omposé par une équipepolyglotte, traduit de l’al-lemand et imprimé en

Chine, cet énorme ouvrageentend faire le tour des arts del’Asie orientale : la Chine, leJapon, la Corée, l’Indonésie, laBirmanie, la Thaïlande et ceuxde la péninsule indochinoise –les Philippines sont oubliées.L’Inde, où est né le bouddhis-me, qui va influencer presquetoute l’Asie orientale, est écar-tée. Il est vrai que la taille duvolume est déjà considérable.

D’autant plus que trois cha-pitres transversaux consacrésà la calligraphie, au travail du

jade et aux textiles sont intro-duits au sein de ce vaste pano-rama inégal. La Chine est plu-tôt bien traitée. L’auteur insis-te sur les récentes découvertesarchéologiques près de la villede Chengdu, qui ont remis encause la vulgate de la naissan-ce de la civilisation chinoise.

Place de la peintureIl insiste à juste titre sur la

place de la peinture dans l’em-pire du Milieu. Une belle icono-

graphie, souvent tirée desmusées provinciaux chinois,accompagne le texte, qui essaiede réhabiliter la dernièredynastie Qing (1644-1911).

Pour le Japon, la chronolo-gie a été évacuée par uneapproche thématique (peintu-re, estampe, céramique, sculp-ture, architecture et jardins),là encore très inégale. Notam-ment la part réservée à l’archi-tecture moderne, qui frise l’in-digence. Si l’architecture classi-que de l’Indonésie est large-ment évoquée, la sculpture« primitive », est absente. Enrevanche, un grand dégage-ment, bienvenu, est consacré àla danse. Service minimumpour les pays de l’Asie du Sud-Est et vingt pages pour laCorée.

Pourtant, en dépit de sesmanques, ce gros volume per-met d’établir des comparai-sons utiles entre ces différen-tes civilisations, notamment àtravers le bouddhisme, qui sertde fil conducteur. a

E. de R.

Aalto et Wright, monstres sacrés de l’architecture du XXe siècle

L’essence plutôt que la formeALVAR AALTOde Richard Weston.

Phaidon, 240 p., 69,95 ¤.

FRANK LLOYD WRIGHT,LES MAISONStexte d’Alan Hess,photographies d’AlanWeintraub.

Ed. du Chêne, 540 p., 65 ¤.

D u Finlandais Alvar Aalto(1898-1976) à l’AméricainFrank Lloyd Wright

(1867-1959), voici décliné pres-que tout l’alphabet de l’architec-ture du XXe siècle (que Zevacoétait venu conclure prématuré-ment en 1999 aux éditions duCercle d’art). L’ouvrage sur AlvarAalto est une synthèse éruditesans être hermétique, complète,impeccablement illustrée. Proba-blement l’une des meilleuresconsacrées à un architecte aucours de ces dernières années.Grâce à sa connaissance horspair de l’architecture nordique etde l’œuvre d’Aalto en particulier,Richard Weston la situe dans lecontexte du courant modernisteinternational et de la culturefinlandaise. Il explore les sourcesd’inspiration et présente la palet-te complète des œuvres de l’archi-tecte. Passionnants sont les rap-prochements avec Mies, Corbuou Wright, témoignage d’uneépoque où l’essence de l’architec-ture primait sur la forme, voiresur les gesticulations qui font l’al-phabet du nouveau millénaire.

Frank Lloyd Wright, le plusemblématique des architectes

américains, n’est pas moins bientraité, mais l’épais volume deséditions du Chêne s’arrête, si l’onpeut dire, aux 291 maisons enco-re visibles du maître, certainesendommagées par des ajouts quifont presque douter de la signatu-re, sauf à revenir aux documentsd’origine ; d’autres, notammentles maisons « aztèques » de Cali-fornie, ont été fragilisées par uneconstruction hâtive. Nombreusesaussi sont celles considérées com-me des reliques qui font l’objetd’une protection sourcilleuse, laplus célèbre d’entre elles étant laMaison sur la cascade.

Plans et images d’archivesLes textes clairs d’Alan Hess,

le choix des plans et des imagesd’archives qui accompagnent lesphotographies sur mesured’Alan Weintraub permettent decerner au plus près l’aventure decelui qui, dans la foulée de Louis

Sulivan, aura cherché avec laplus grande ferveur ce que doitêtre l’architecture américaine.Le livre comprend par ailleursdes essais des meilleurs spécialis-tes de Wright parmi lesquelsKenneth Frampton, ThomasS. Hines, Eric Lloyd Wright. a

F. E.

MILDREDCLARY

rencontre

AUX CAHIERSDE COLETTE

le vendredi 8 décembreà partir de 18h.

à l'occasion de la parution de

Benjamin Brittenou le mythe de l'enfance

(Ed. Buchet-Chastel)23-25, rue Rambuteau, Paris 4°

Tél. 01 42 72 95 06

ArchitectureBeaux livres Architecture

Page 5: Revista Historia en Francés

0123 5Vendredi 8 décembre 2006 5

VOYAGESEN ASIE, deCatherineDonzelVoyageuseémérite,CatherineDonzel prenden filature le

gratin de la grande époque desvoyages, lorsqu’on ne quittaitpas ses malles cabines, sechangeait pour souper, sautaitde paquebot en chameau. Lesillustrations, magnifiquestémoignent de mondes perdus,de l’insouciance et de lafascination devant deschefs-d’œuvre, hommes,femmes, architectures,vaisseaux ou paysages qui, pourla plupart se sont évanouis.Rien de nostalgique. Noussommes entre gens bien élevéset qui savent ce que sont lesplaisirs de la vie. F. E.Ed. du Chêne, 320 p., 49,90 ¤

TU FAIS PEUR, TUÉMERVEILLES,de Germain Viatte,ARTS ET SECRETSD’HUMANITÉ,de Jean-Pierre MohenAncien responsable descollections du Musée du quaiBranly, Germain Viatte détaillel’histoire des 8 200 piècesacquises pour l’ouverture del’établissement. Mais surtoutil dresse la généalogiecompliquée des quelque300 000 objets qui constituentle fonds du musée. Jean-PierreMohen, qui a remplacé GermainViatte, a pu suivre l’analysescientifique de certaines de cespièces alors qu’il était à la têtedu laboratoire des musées deFrance. Les deux approchesse complètent. E. de R.Ed. Musée du quai Branly/RMN,192 p., 39 ¤. Calmann-Lévy,208 p., 38 ¤.

L’ODYSSÉE d’Homèreet Jean-Marc RochetteEn artiste peintre, Jean-MarcRochette l’a senti, et dans le

monde d’Ulysse, dans leslumières tranchantes d’Ithaqueet les bouches d’ombre dont laMéditerranée ménage lecontraste, pour donner à voir laplus belle adaptation d’Homèreque l’on puisse rêver. Aquarelleset lavis, chaque vision est unenvol et une prière. Uneactualisation magistrale d’uneincroyable beauté. Ph.-J. C.Traduit du grec par MarioMeunier, Albin Michel,368 p., 42 ¤.

LAROUSSEDESCIVILISA-TIONSANTIQUES,sous ladirection deCatherineSalles

Voilà, en 24 chapitres, unpanorama alerte et informé desgrandes civilisations, touscontinents concernés, qui ontéclos jusqu’à la chute de Romeface aux Wisigoths. Les ponts etpasserelles, sans être forcés,permettent de comparer lesaventures culturelles, politiquesou commerciales de mondessinguliers qui justifient cetteapproche didactique,intelligemment illustrée.Ph.-J. C.Larousse, 336 p., 42 ¤.

DICTIONNAIRE DEL’HISTOIRE DE FRANCE,sous la direction deJean-François SirinelliInitialement parue en 1999,cette somme revient en un seulvolume, plus maniable donc, ettoujours aussi précieux pourcomprendre le fil événementiel,mais aussi les figures fortes dela geste nationale et plus encoreles enjeux que l’histoire dessensibilités a versés dans ledébat trop factuel longtemps derigueur. La qualité des quelquedeux cents contributeurs, dont laparticipation est très contrastée,garantit la tenue de l’ensemble.Une référence donc. Ph.-J. C.Larousse, 1 184 p., 65 ¤.LE TEMPS DE L’ÉCOLE.De la maternelle au lycée,

1880-1960,de Jean-Noël Luc et GilbertNicolasPhotos de classes. Avec leursrêves d’harmonie et d’ordre, etleurs clivages : garçons/filles,public/privé,primaire/secondaire, et tout cequi se laisse moins voir : lesconditions sociales, lesprincipes pédagogiques, la foi,laïque ou non, desenseignants, maîtres dont lamythologie s’est estompéeaujourd’hui. Des cours derécréation aux salles d’examen,des chambrées d’internat auxremises de prix, rien nemanque à cette plongée dansune épopée scolaire qui eut seshéros. Et le texte est àl’unisson de la pertinence del’iconographie. Ph.-J. C.Ed. du Chêne, « Gens deFrance », 312 p., 45,50 ¤.

LA TÉLÉVISION AUTREFOIS,de Patrick MahéBelphégor, « Age tendre et têtede bois », « La piste auxétoiles » ou « Le grandéchiquier », « Intervilles »,sans oublier la folie Averty ou« Les shadoks » qui viennentdynamiter un paysageaudiovisuel qui ne s’appelle pasencore ainsi… Cet album a déjàle charme des rétrospectivesnostalgiques ; il offre en plusune présentation thématique(information, feuilletons, jeux,speakerines…) qui conduitsubtilement à mesurer lesévolutions qui rythmèrent cet« âge d’or » supposé. Ph.-J. C.Hoëbeke, 168 p., 34 ¤.

LE MOYEN ÂGEFLAMBOYANT,POÉSIE ET PEINTURECent vingt poèmesreprésentatifs de quatre sièclesde poésie lyrique médiévale(XIIe-XVe), illustrés par deuxcents peintures issues demanuscrits essentiellementfrançais des XIVe etXVe siècles : Le Moyen Ageflamboyant est un florilègepoétique dont la mystiqueessentielle est le feu del’amour. Chacun des ouvrages

édités par Diane de Selliers estun événement : voici le dernier.V. R.Ed. Diane de Selliers, 380 p.,160 ¤ jusqu’au 31 janvier 2007,190 ¤ ensuite.

LEÇONSD’ELFICO-LOGIE,de PierreDuboisUn manuelscolaire dutemps jadisqui soit aussi

un « grimoire magique », unguide vers le pays des fées etdes contes, le jeune PierreDubois en rêvait. Avec l’aidedes illustrateurs Claudine etRoland Sabatier, il l’a réalisé,pastichant avec malice etinvention poétique les vieuxlivres de lecture, d’histoire etgéographie ou de leçons dechoses et livrant à tout lecteurayant le goût du merveilleuxles clés des royaumesenchantés. J. Ba.Hoëbeke, 120 p., 24,90 ¤.

LETTRES INTIMES.Une collection dévoilée« Intimité » et« dévoilement » : c’est entreces deux mots qu’Anne-MarieSpringer a constitué uneétonnante collection de lettresautographes, qui sont icireproduites, transcrites etbrièvement commentées. DeDiane de Poitiers, Malherbe etHenri IV à Elvis Presley etMarlène Dietrich, en passantpar Marie-Antoinette, lemarquis de Sade, GeorgesBernanos, Edith Piaf ou Lianede Pougy répétant sa flamme àNatalie Barney, c’est toujoursun lien affectif fort qui a dictéces lettres, souvent inspirées,parfois cocasses ou hardies…Comme Apollinaire célébrant« les neuf portes sacrées » ducorps de Lou. P. K.Textuel, 240 p., 50 ¤

HISTOIRE DE LA CALLI-GRAPHIE FRANCAISE,de Claude MediavillaLa « rustica », la « caroline »,

la « ronde », la « bâtarde »…Les mots de la typographiesont aussi beaux et variés quele dessin des lettres qu’ilsdésignent. De l’Antiquitéà la fin du XIXe siècle, l’auteurnous montre l’évolutiond’une technique essentielle.Technique que les civilisationsde l’écriture ont, avec trop dediscrétion, assimilée à un art.P. K.Albin Michel, 336 p., 69 ¤.Signalons aussi le premiervolume de l’Histoire de l’écrituretypographique, de Gutenbergau XVIIe siècle, d’YvesPerrousseaux (AtelierPerrousseaux,www.perrousseaux.com,428 p., 50 ¤).

DES NUAGES,de Bernard ChambazSombres ou tendres,menaçants ou consolateurs, lesnuages ont toujours été là etl’homme les a toujoursregardés. Chambaz étudiecette relation dans l’art et la

littérature, étayant sa réflexionavec d’admirables images etdes citations pertinentes. C’estun livre d’art, mais c’est aussiune méditation personnelle :dans son excellentKinopanorama, l’auteuranalysait l’année dernière lessources politiques et familialesde sa formation. Aujourd’hui,les yeux levés vers le ciel, ilexplore d’autres moteurs de sapropre édification : le rôle del’art et celui des mots. J. Sn.Seuil, 144 p., 40 ¤.

NEMO PAR PENNACQuand un romancierrencontre un artiste des ruesde Paris, cela donne ce beaulivre où l’on découvriral’essentiel des interventions deNemo dans les rues de lacapitale. Avec, en prime, untrès joli texte de DanielPennac : « Un matin d’hiver,dans les années 1980, voilà queje retrouve Little Nemo sur unmur de Belleville… » F. N.Hoëbeke, 98 p, 26 ¤.

Compilations de faits divers ou d’événements capitaux, petits morceaux de grande histoire…

Des livres pour faire date

Procès-verbal de la séance permanente des 16 et 17 janvier 1793, quidécida de la mort de Louis XVI. DR

ZOOM

Prixde la librairie

Millepages

������ ���� �É D I T I O N S

L’ALMANACHd’Henri Gougaud.

Ed. du Panama, 464 p., 30 ¤.

EPHEMERIS1 000 ans d’histoireau jour le jour

L’Archipel/France Inter, 400 p., et unCD-ROM, 32 ¤.

MÉMOIRES DE LA FRANCEDeux siècles de trésors inédits etsecrets à l’Assemblée nationaleSous la direction d’Emmanuelde Waresquiel.

L’Iconoclaste, « Mémoires », 200 p., 49 ¤.

Et si l’histoire était affaire degourmandise ? C’est ce quedémontre avec la faconde qu’onlui connaît Henri Gougaud. En

marge de la parution d’un coffret de4 DVD proposant certains de ses specta-cles (éd. du Panama, 34,90 ¤), repre-nant à son compte la règle ouverte del’almanach, qui compile informationsutiles, savoirs pratiques et dictons ousentences proverbiales, comme ilconvient dans ce recueil qui fut des siè-cles durant le seul livre des gens du peu-ple, Gougaud y adjoint, au saint du jour,un anniversaire notable (terrible com-me le premier usage de la chambre àgaz – au Nevada, en 1924 – ou fonda-teur, tel l’institution de l’état civil sousFrançois Ier, culturel aussi, Agatha Chris-tie venue au monde le lendemain de ladate anniversaire de la mort de Dante,comme la Ve République née 245 ansaprès Diderot). Entre des zestes d’astro-logie populaire et des conseils hortico-les, des recettes de terroirs et des faitsdivers pittoresques, ces bribes de savoirhistorique sont mieux que des clinsd’œil à une science austère : une façon

de faire le lien entre deux mondes deconnaissances qu’on hésite à fairedialoguer.

On retrouve la même volonté deréconcilier le lecteur avec le pensum desdates à retenir, fléau scolaire désormaisobsolète, avec le copieux et passionnantEphemeris, que préface Patrice Gélinet,dont les auditeurs de France Inter sui-vent depuis plusieurs saisons l’émission2 000 ans d’Histoire. Sur le même princi-pe que l’almanach qui décline lesentrées selon l’éphéméride, on trouve làdu 1er janvier au 31 décembre – sansoublier le 29 février, consacré commede juste au sapeur Camember que soncréateur, Christophe, père de La FamilleFenouillard, fit naître ce jour rare pourqu’il vieillisse moins vite –, le volumetraite d’un fait d’histoire sur le ton del’actualité, avec une vivacité et une clar-té d’exposition qui autorisent des choixdifficiles. Ainsi pour ce 8 décembre, l’ex-position du programme d’Adolf Hitlerdès la publication de Mein Kampf(1925), même si d’autres événements,naissances (Méliès, 1861 ; Feydeau,1862 ; Max Rouquette, 1908), décès(John Lennon, 1980, Bruno Carrette,1989) ou autres (Pétain promu maré-chal en 1918, Devaquet contraint à ladémission, 1986, l’URSS remplacée parla CEI, 1991) offrent un choix d’informa-tions des plus variées.

Force de l’instantReste que l’Histoire vivante ne se

réfugie pas dans les dates marquanteset que rien ne peut comme l’archivedonner conscience de la force de l’ins-tant où tout bascule, où l’événementaccède à un statut supérieur. Réunisautour d’Emmanuel de Waresquiel, quisigne lui-même deux des quarante-deux entrées (le procès-verbal du ser-ment du Jeu de paume et la genèse dudrapeau tricolore), une vingtaine d’his-toriens, de conservateurs et d’écrivains

(le dernier document, l’original dudécret du projet de loi portant l’aboli-tion de la peine de mort est présentépar Bertrand Poirot-Delpech) propo-sent ainsi une passionnante sélectionde documents provenant des archivesde l’Assemblée nationale. Robespierreannotant le projet de Constitution de1791 (Annie Jourdan), le procès-verbaldu vote des Conventionnels condam-nant Louis XVI à l’échafaud (Jean-Christian Petitfils), la lettre d’abdica-tion de Napoléon au lendemain deWaterloo (Jacques-Olivier Boudon), lesétudes de Delacroix pour le palais Bour-don (Sébastien Allard) ou les terrescrues de Daumier, portraits à chargecontre la monarchie de Juillet (EdouardPapet), les lettres de Louise Michel,déportée en Nouvelle-Calédonie, à Vic-tor Hugo (Michèle Riot-Sarcey), lesinventaires des biens des congrégations

qui préparent la séparation des Egliseset de l’Etat (René Rémond), jusqu’à ladéclaration Badie, signée par les pre-miers parlementaires opposés à l’octroides pleins pouvoirs à Pétain (Jean-Pier-re Azéma), chaque pièce inédite sait ren-dre sensible un moment fort de l’identi-té nationale depuis l’avènement du par-lementarisme moderne. Une leçon dechoses et d’histoire captivante. a

Philippe-Jean Catinchi

Signalons les Itinéraires secrets dans labibliothèque du Sénat, que proposeFrédéric d’Agay, D’encre et deLumières, autre invitation au voyageà travers l’archive, collections degravures, estampes, plans, atlas,pamphlets, correspondances etouvrages qui font le fonds de ce lieude mémoire (éd. de La Martinière,296 p., 60 ¤).

Rimbauden imagesFACE À RIMBAUDde Jean-Jacques Lefrère.

Phébus, 188 p., 39,50 ¤.

« REVIENS, REVIENS CHER AMI »Rimbaud-Verlaine.L’Affaire de Bruxellesde Bernard Bousmanne.

Bibliothèque royale de Belgique/Calmann-Lévy, 174 p., 35 ¤.

A utant qu’à sa biographie qu’ilpublia en 2001 (Fayard), Jean-Jac-ques Lefrère s’est intéressé à l’ico-

nographie de Rimbaud. Huit photogra-phies du poète des Illuminations sontconnues à ce jour. De nombreux dessinset caricatures, notamment de Verlaine,et quelques tableaux, viennent répondreà notre curiosité. Le maître d’œuvre decet ouvrage impeccable a donc classé etcommenté toutes les images représen-tant l’écrivain, de l’enfant à l’école deCharleville à l’agonisant dessiné par sasœur Isabelle, en 1891. Une section pitto-resque à la fin de l’ouvrage contient desportraits à l’authenticité douteuse… Cesont comme les marges de la légende, cequ’on nomma le « mythe » Rimbaud…

Bernard Bousmanne, dans un autrealbum, publie tous les documents sur lafameuse querelle qui opposa Rimbaud àVerlaine, à Bruxelles, le 10 juillet 1873.Au terme de celle-ci, l’auteur de Sagessetira sur celui d’Une saison en enfer. Il y alà encore les caricatures qui jouèrent unrôle si important et les fac-similés desauditions judiciaires. Mais il y a surtoutla photo de l’arme du « crime » : un bonvieux revolver, un Lefaucheux 7 mm, quisemble ne pouvoir faire de mal à person-ne. Il fut probablement acheté à l’armu-rerie Montigny, le matin même, par Ver-laine. Ce n’est pas la moins belle piècede la légende ! a

Patrick Kéchichian

Beaux livres Histoire

Page 6: Revista Historia en Francés

LE CHEMIN DE L’INCA,de Patrick BardLe photographe et écrivainPatrick Bard a emprunté leQhapac Nan, le « GrandChemin » qui va de la Colombieau Chili en passant parl’Equateur, le Pérou, la Bolivie etla cordillère Argentine. Photosen noir et blanc et en couleurs,long récit de voyage : un livreraffiné aux climats multiples.Seuil, 216 p., 39 ¤.

CORPS DIVINS,de Pierre et GillesDes saints et des saintes, desdieux et des divinités, despersonnages mythologiques...Autant de figures magnifiées,entre peinture et photo, parPierre et Gilles. Avec lescommentaires de l’historiendes religions Odon Vallet.Kitsch, sexy, un brin pervers.Ed. du Chêne, 184 p., 49,90 ¤.

RODTCHENKO ET LEGROUPE OCTOBRE,d’Aleksandr Lavrentiev,introduction de Philippe SersCe pavé sérieux mais pas trèsbien imprimé s’ouvre par unelongue étude sur Rodtchenko(1891-1956) et surtout sur legroupe Octobre, qui rassemblaitdes professionnels de l’imageengagés dans la modernité desannées 1920, en Russie, puis desphotos de cette aventureformelle de haut vol.Traduit du russe par JacquesBonnet, Hazan, 352 p., 45 ¤.

SIGNES DES TEMPS,textes de Nicholas Barker,photos de Martin ParrCe livre, paru enGrande-Bretagne en 1992, est lepremier de l’Anglais MartinParr, célèbre pour ses photosdocumentaires sur la classemoyenne dans le monde. Voilàla traduction en français. Elle estimportante, car ce petit objetassocie des photos d’Anglaisdans leur salon avec lescommentaires des propriétaires.Instructif et hilarant.Traduit de l’anglais parChristophe Jaquet, Textuel,128 p., 59 photos, 39 ¤.

URAKAMI,de Guillaume HerbautCe livre a pour sous-titreMémoire de la bombe atomique,imprimé en couverture sur uneimage buccolique de cerisiers enfleur. Nous sommes au Japon, etce grand album d’images encouleurs joue sur les douleurscachées. Soit les effets de labombe atomique sur les corps etla nature à Urakami, un quartierde Nagasaki. Démonstrationremarquable en dix-huit photos.Ed. Anabet, 22 p., 45 ¤.

APRÈSLEDÉLUGE,de RobertPolidoriPlus de300 pages,

une seule de texte. Lephotographe Robert Polidori adocumenté minutieusement lesravages de l’ouragan Katrina, àLa Nouvelle-Orléans, en 2005.Pas un personnage dans cetravail documentaire froid :façades, intérieurs, rues, voitures,arbres, paysages... Distant eteffrayant à la fois.Ed. Steidl, 336 p., 75 ¤.

LA PHOTO À LA UNE,PARIS-SOIR, FRANCESOIR, de Didier Pourqueryet Philippe LabardeA travers photographies et fac-similés de journaux, les auteursracontent le rôle des imagesdans deux grands quotidiensfrançais, Paris-Soir et FranceSoir. Dix événementsmarquants, des émeutes du6 février 1934 à la mort de Piafen 1963, servent de support à un

récit qui se veut autant uneplongée dans l’histoire qu’uneanalyse du rôle des photos dansun quotidien.Ed. Paris Musées, 160 p., 39 ¤.

MELTING POINT,de Stéphane CouturierStéphane Couturier se penchesur les chaînes de montage del’usine Toyota à Valenciennes.On retrouve intacte, chez cespécialiste de la photod’architecture, la capacité àégarer l’œil : en superposantdeux négatifs, il compose deslabyrinthes aux teintes floues oùtous les détails sontreconnaissables – pare-brise, filsen spirale, tableau de bord –mais rien n’est compréhensible.Ed. Transphotographic Press /Ville ouverte, texte d'AndréRouillé, 60 p., 32 ¤.

COLOR INTRANSPARENCY,Photographic Experimentsin Color, 1934-1946,de Laszlo Moholy-NagyLe photographe hongrois LaszloMoholy-Nagy, apôtre de la« nouvelle vision » dans lesannées 1920, a aussi mené desexpérimentations moins connuesen couleurs. Il utilise des objetsusuels, la lumière d'un flash ouson entourage pour composerdes tableaux fascinants.Ed. Steidl. 248 p., 60 ¤. Textes enanglais et allemand de JeannineFiedler et Hattula Moholy-Nagy

COME AGAIN,de Robert FrankEn 1991, Robert Frank étaitchargé de photographier lecentre de Beyrouth en ruine

après la guerre au Liban.L’auteur du célèbre LesAméricains (1959) avaitégalement réalisé des Polaroïdnoir et blanc, qu’il collait dansun cahier de brouillon. C’est unincroyable fac-similé de cecahier, avec les traces de Scotchet le quadrillage, qui est publié.Ed. Steidl, 48 p., 24 ¤.

UNKNOWNWEEGEEOn retrouvedans cesimages,pour laplupartinédites, laviolence desphotos que

l’Américain Weegee (1899-1968)a prises dans la rue : meurtriersau regard fixe, cadavresrecouverts d’un drap, carcassesfumantes de voitures, foulesterrifiantes et voyeuses. Sansdoute toutes ces photos neméritaient pas de sortir del’ombre.Ed. Steidl, textes en anglais deLuc Sante, Cynthia Young, PaulStrand et Ralph Steiner. 160 p.,120 photos, 30 ¤.

PEOPLE, de Stefan RuizDes portraits ? Des célébritéscroisent des anonymes, desacteurs, des prisonniers, unedanseuse de ballet et même desproches du photographe, pourcertains en pleine santé, puis, àla fin du livre, dans leur cercueil.C’est bien sûr une image delui-même que dessine en creuxStefan Ruiz.Ed. Chris Boot, 144 p., 55 ¤.STUDIO SHAKHARI

BAZAR, de Gilles SaussierDans un quartier de Dacca(Bangladesh), Gilles Saussiercultive une œuvre originaleautour du portrait et du statutde l’image. Ce sont ces mises enabyme que raconte et montrel’ouvrage.Ed. Le Point du jour, 156 p., 35 ¤.

THE ROAD TO RENO,d’Inge MorathEn 1960, la photographe IngeMorath, de l’agence Magnum,accompagnée d’HenriCartier-Bresson, fut chargée defaire un reportage sur le

Des exemples de l’infinie variété des formes et des visages

L’art du portrait

Arnold Schwarzenegger, Sun Valley, Idaho, 1997. ANNIE LEIBOVITZ

toutsur

l’évolution

Pourquoi la gauchetriomphe-t-elle du

centre et de la droite?

ANATOLIA/ÉD. DU ROCHER

VASSILI ROZANOV

Le Feu noir

Dans la production toujours plus abondan-te de livres de photographies, surtoutquand Noël approche, les ouvrages deportraits occupent la place la plus visible.

Ils sont grands, gros, lourds, chers. Les meilleurs ?Au moins sur un point : la densité de modèles célè-bres y est sans égal. Ces livres attirent quand cescélébrités donnent plus que le minimum syndicalau photographe, posent dans un lieu intime, adop-tent une pose spectaculaire, se déshabillent ou por-tent un vêtement incongru, font le pitre ou affi-chent leur désespoir. Les stars font un effortquand le photographe est aussi une star. Quandtout ce beau monde joue d’égal à égal. Et quandles images, avant de finir dans un livre, sontpubliées dans un magazine prestigieux afin de fai-re la promotion d’un film ou d’un disque.

Prenons l’Américaine Annie Leibovitz. A57 ans, et depuis les disparitions en 2004 deRichard Avedon et d’Helmut Newton, elle estsans doute la portraitiste la plus chère et la pluscélèbre au monde. Son livre La Vie d’une photo-graphe, 1990-2005 (1) contient une sacrée bro-chette de people : Scarlett Johansson, Nicole Kid-man, Bruce Springsteen, Patti Smith, LeonardoDiCaprio, Brad Pitt, Johnny Depp et Kate Moss,Bruce Willis et Demi Moore, Jack Nicholson… Ouencore Nelson Mandela, Jasper Johns, MerceCunningham, William Burroughs.

Leibovitz érige aussi le portrait en scoop. Onn’a jamais vu ailleurs George Bush posant avecson cabinet resserré, Bill Gates chez lui devantson ordinateur, Keith Richards dans sa bibliothè-que, Bill Clinton assis sur son bureau présiden-tiel, Arnold Schwarzenegger faisant le beau auski. Ou deux merveilleux portraits qui surgissentaux deux tiers du livre : à gauche, RobertDe Niro ; à droite, Al Pacino. Vêtements sombresdans un décor crépusculaire.

La particularité de ce livre est justement d’êtresombre. Mortuaire même. Car les portraits decélébrités sont mêlés à des images autobiographi-ques de Leibovitz. Dans un texte de onze pages,elle explique que ces quinze ans écoulés sont mar-qués par un double deuil, celui de son père etcelui de sa compagne, l’essayiste Susan Sontag,disparus à quelques semaines d’intervalle,durant l’hiver 2004-2005.

Annie Leibovitz photographie ses voyages, samaison de campagne, sa famille, ses trois filles –une des photos les plus saisissantes est un auto-portrait nu à 51 ans et enceinte. Elle photographiesurtout Susan Sontag, même à Sarajevo assiégéepar les Serbes en 1993, et jusqu’à son lit de dou-leurs. Les portraits de célébrités sont en noir ouen couleur. Les photos intimes le plus souvent ennoir et blanc. La maquette ne les distingue pas.Tout est fait pour appliquer le credo de Leibovitz :« Je n’ai pas deux vies distinctes. »

Et pourtant la colle ne prend pas bien entre lessobres instantanés familiaux et les mises en scèneau graphisme percutant de personnalités. Parcequ’on ne saisit pas bien le style de Leibovitz. Cestyle, il éclatait chez Richard Avedon, qui donnaitla même dimension tragique au visage de MarilynMonroe et à celui de son père mourant. Reste quela tentative de Leibovitz est ambitieuse et sincère.

L’Allemand Peter Lindbergh est une autre starde la photo, surtout dans la mode. Son livre est unobjet aussi lourd que celui de Leibovitz, maisbeaucoup plus léger par le contenu. Il s’agit de116 portraits de femmes – d’où le titre du livreUntitled 116 (2) –, pour la plupart célèbres,d’autres moins, réalisés entre 1983 et 2004, clas-sés par ordre alphabétique, selon le prénom :d’Alexa Davalos à Zoe Gaze. Beaucoup d’actrices,des chanteuses, des mannequins. Monica Belluc-ci, Sharon Stone, Madonna ou Penélope Cruz.Tout est en noir et blanc, rythmé par quelques tex-tes signés Fellini, Leonard de Vinci, James Joyceou Picasso.

Forme dynamiqueSouvent on ne voit que le visage, voire les yeux

(Madonna). Lindbergh aime les filles aux yeuxclairs, les filles tout court. Toutes semblent à leuravantage, sauf Jeanne Moreau. Mais les imagestiennent essentiellement à cause de la qualité etde la beauté des modèles, beaucoup moins par lestyle du photographe, plutôt en retrait. Sans dou-te est-ce suffisant pour rendre ce livre attractif.Tout cela manque un peu de décor, d’air. Aussiquand Isabella Rossellini promène son chiendans une rue de New York, on respire.

Il y a un côté showbiz dans le livre de Lind-bergh. Un autre registre de portraits se dévelop-

pe dans l’ouvrage de Gérard Rondeau (3), unphotographe attachant, dont le travail est en par-tie lié au journal Le Monde depuis une vingtained’années. Ecrivains, peintres, artistes, musiciensde jazz, intellectuels, défilent, en noir et blanc. Laforme du livre est dynamique, qui mêle portraitsisolés et d’autres imprimés dans Le Monde. A celaRondeau a ajouté ses mots qui courent – manus-crits ou typographiés – autour des photos. Ron-deau décrit ses rencontres avec Paul Bowles àTanger, ou avec l’artiste Louise Bourgeois à NewYork. L’exercice est parfaitement réussi.

Les livres de Leibovitz, Lindbergh et Rondeauont un point commun : les modèles sont identi-fiés. On les aime ou on ne les aime pas, mais ceressort de la reconnaissance est central. Il l’estd’ailleurs depuis que Nadar a inventé le genre auXIXe siècle. Or « un nouveau portrait photographi-que », en rupture avec cette tradition, est en

vogue depuis une quinzaine d’années. Un livre,intitulé Faire faces (4), en rend compte à travers113 artistes. Les portraits sont souvent frontauxmais, c’est le paradoxe, peu importe l’identité. Levisage est un matériau que l’artiste modèle à saguise : il est standardisé, manipulé, vieilli, rajeu-ni, cousu, habillé, mort… Bienvenu dans le mon-de moderne. a

Michel Guerrin

(1) Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Ariel Marinie,éd. de la Martinière, 480 p., 350 photos, 105 ¤.(2) Ed. Schirmer/Mosel, 356 p., 207 photos, 119 ¤.(3) Chroniques d’un portraitiste, préface de PhilippeDagen, postface de Michèle Champenois, Seuil/CNDP,224 p., 49 ¤(4) Faire faces, le nouveau portrait photographique,de William Ewing, avec Nathalie Herschdorfer. ActesSud, 240 p., 300 photos, 49 ¤.

PhotographieBeaux livres Photographie

ZOOM

Page 7: Revista Historia en Francés

0123 7Vendredi 8 décembre 2006 7

Quand la Farm Security Administration envoyait une équipe de photographes illustres à travers les Etats-Unis

Images de l’Amérique en crise

Famille sur la route (Mississipi) par Dorothea Lange. DR

LES ANNÉES COOLde Martine Ravache,

Panama, 288 p., 39 ¤..

L a couverture de ce livre épais, estautant rigide qu’épouvantable.Mais elle dit bien le projet. Sur un

fond bleu turquoise, des jeunes gens,garçons et filles, entièrement nus, s’ébat-tent dans la mer en levant les bras auciel et en faisant le V avec leurs doigtsdans la grande tradition Peace and Love.Les corps sont sveltes, les cheveux pasencore très longs, les fesses blanches etles visages heureux. Une typographiemolle de couleur fuchsia plonge dans lebain d’une époque que l’auteur intituleLes Années cool.

Martine Ravache a la belle idée deraconter ces années « baba cool », cesexpériences de vie alternative qui ontgermé juste après Mai 68 et qui se sontétirées durant la décennie 1970. Récitdéjà fait ailleurs, dira-t-on. Mais quiprend ici une forme particulière.

Martine Ravache est une spécialistede la photographie, notamment de l’ima-ge d’amateur. Elle a déniché des docu-ments inédits qui dormaient dans lesalbums de famille d’une cinquantained’acteurs de cette période. Ces docu-ments sont associés à de courts récitsdesdits témoins, ce qui permet au livred’accumuler une multitude d’expérien-ces et d’aventures – textes et images –vues de l’intérieur. Quelques portraitsd’identité ou en plan large de cestémoins, outre qu’ils donnent des indi-ces sur une coupe de cheveux ou unmanteau afghan, singularisent un peuplus cette aventure.

Ce n’est donc pas un livre d’histoiremais de témoignages portés par unemise en page colorée et assez déjantée.Les expériences ? Un voyage de Berlinvers l’Afghanistan, un bus hippie enIrak, un champ de cannabis au Népal,toutes sortes de « bonnes vibrations »,un voyage dans le désert vers Tombouc-tou, la vie en communauté dans le Lar-zac, la vie psychédélique à Londres ou àAmsterdam, les concerts en plein aircomme celui de l’île de Wight en 1969…

Quelques slogans merveilleux ryth-ment le livre : « Dieu n’est pas mort, ilest en voyage » ou « Faire l’amour dansles prés, ça excite les fleurs ». Bref, unlivre qui touche juste parce qu’il n’estni cynique ni nostalgique. Juste danscette époque. a

M. G.

L’AVENTURE DE LA PHOTOCONTEMPORAINE DE 1945 ÀNOS JOURS,de Louis Mesplé.

Ed. du Chêne, 150 ill., 256 p., 59,90 ¤.

Quoi de commun entre l’image célè-bre de Buzz Aldrin posant le piedsur la Lune, un document ama-

teur d’un bateau de guerre argentin entrain de couler pendant la guerre desMalouines et une mise en scène de l’ar-tiste canadien contemporain Jeff Wall ?Réponse : ces images sont autantd’exemples de la diversité de formes etd’usages qu’a connus la photographie

depuis 1945. Et c’est à ce titre qu’ellesfigurent dans le livre de Louis Mesplé.

Sans chercher à dresser une histoireexhaustive, l’ancien directeur de la pho-tographie au quotidien Libération etancien patron du festival photo d’Arles,met en évidence, en 150 exemples, lesévolutions, les ruptures et les filiationsmarquantes d’un médium omniprésent.

Le livre insiste sur l’histoire d’un artphotographique – les audaces de la cou-leur, la photo dite plasticienne – maissans la séparer des usages de l’imagedans l’information, la mode ou la com-munication. L’auteur ose quelques incur-sions bienvenues à l’étranger, dans laphoto de studio africaine (Seydou Keita)

ou la tradition japonaise. Dans ce livreau format imposant, les images sontreproduites en grand et parlent d’elles-mêmes tandis que des textes, courts etpédagogiques, éclairent la démarche desauteurs ou font le point sur un courant,une technique.

Il y a des raccourcis et des trous dansce parcours personnel. Des auteurs man-quent, ou des images. Certains artistescomme Diane Arbus, sont représentésnon par une œuvre mais à l’œuvre – sou-vent à cause des prix exorbitants atteintspar les droits d’auteur. Mais après tout,nous dit Louis Mesplé, « c’est cela aussi,l’histoire de la photographie ». a

Claire Guillot

LES PHOTOGRAPHESDE LA FSA. Archives d’uneAmérique en crise 1935-1943de Beverly Brannan, Gilles Mora.

Seuil, 356 p., 460 photos, 95 ¤.

WALKER EVANS : LYRICDOCUMENTARYDe John T. Hill. Textes (en anglais)de John T. Hill, Heinz Liesbrocket Allan Trachtenberg.

Steidl, 260 p., 200 photos. 54 ¤.

La Dépression des années 1930aux Etats-Unis a un visage. Celuid’une migrante saisie par la pho-tographe Dorothea Lange en

1936 dans le camp californien de Nipo-mo. Regard anxieux, enfants sales blot-tis dans son cou. Cette mère courage,jetée sur les routes par la pauvreté et parles tempêtes de poussière, a inspiréJohn Steinbeck et John Ford. Elle estdevenue le symbole d’un pays en crise.La photo, on le sait moins, a été prisedans le cadre de la plus ambitieuse mis-sion photographique de l’Histoire. Oucomment une douzaine de jeunes photo-graphes ont été recrutés par une agencede l’Etat fédéral afin de faire connaîtreau pays la misère de la population rurale« mal logée, mal vêtue, mal nourrie »mais aussi de démontrer le bien-fondéde la politique du New Deal de Roose-velt : relocalisations des agriculteurs, ins-tallation de camps pour déplacés.

Cette mission a pour nom la FarmSecurity Administration (FSA). Parmiles photographes recrutés, on trouvedes noms célèbres comme DorotheaLange et Walker Evans, mais aussi BenShahn, Gordon Parks ou Russel Lee.Dans un livre fourni, Les Photographesde la FSA, servi par des images splendi-des, Gilles Mora et Beverly Brannanracontent cette entreprise documentai-re, idéologique et esthétique.

La FSA a une tête : l’économiste RoyStryker. Il recrute les photographes,fournit à chacun une feuille de route,choisit les images, les interprète. Lessujets sont divers : culture du coton,migrants jetés sur les routes, sécheres-se, habitat délabré ou condition desNoirs. A l’orée des années 1940, l’agri-culture n’est plus une priorité américai-ne. C’est l’effort de guerre du pays. Stry-ker finit par démissionner.

La question de la propagandeSur les quelque 177 000 négatifs pro-

duits dans le cadre de la FSA, le livre éva-cue les icônes (dont la mère migrante)au profit de documents inédits. Pour cha-que auteur, sont présentées une sérielivrée à la FSA et une sélection de photosisolées. Le parti pris a pour but de mon-trer la méthodologie de l’agence maisaussi de mettre en valeur les sujets et l’es-thétique de chaque photographe.

Que voit-on ? Dorothea Lange fait leportrait des migrants chassés de leur fer-me avec un baluchon pour seul bagage.Ben Shahn s’immerge dans les petites

villes américaines du Midwest en déshé-rence. Carl Mydans, le seul photojourna-liste, pose un regard dynamique sur lestaudis et entrepôts du Vieux Sud. JackDelano et John Vachon concilient des-cription et voix personnelle. Le plus lyri-que est sans doute Arthur Rothstein, quisera d’ailleurs accusé par les conserva-teurs d’avoir mis en scène un crâne decerf dans un champ craquelé afin de ren-dre la sécheresse plus spectaculaire.

On touche une dimension centrale dela FSA : la propagande. Roy Stryker sem-ble avoir laissé aux photographes uneassez grande latitude d'action. Mais lecarcan idéologique a pesé lourd sur cer-

tains, notamment les meilleurs. Or cetaspect est bizarrement passé sous silen-ce dans le livre de Brannan et Mora. Parexemple, la FSA n’hésitait pas à détruiteles négatifs – elle en était propriétaire –qu’elle ne jugeait pas « conformes » auxattentes. Et Dorothea Lange s’est réguliè-rement insurgée contre l'utilisation faitede ses images.

Le cas Walker Evans (1903-1975) estle plus exemplaire. Ce dernier est consi-déré comme le père d’un « style docu-mentaire » qui fait toujours école, aupoint d’être un des artistes les plusinfluents du XXe siècle. Dès le début dela FSA, il annonce : « Je ne ferai aucunprosélytisme photographique pour aucungouvernement. » Son éviction du projeten 1937, pour « des raisons budgétai-res », a sans doute plus à voir avec lesnombreux conflits qui l'opposent à Stry-ker. Et qui n’ont rien d’anecdotique : ilsdéfinissent ce qui sépare une œuvre pho-tographique indomptable d’un docu-ment au service de la propagande.

Evans affirme, au moyen d’une cham-bre grand format, son rythme et sonvocabulaire visuel frontal sans faire deconcessions à l’agenda politique de laFSA : portraits frontaux de fermiers,intérieurs vétustes, signes urbains, archi-tecture rurale, monuments patrioti-ques... Un second livre, Walker Evans :Lyric Documentary, se concentre sur cet-te période. Où l’on voit que la préoccupa-ton d’Evans n’est plus la FSA mais uneambition folle : interroger le statut desimages anonymes et les racines de laculture américaine. a

Claire Guillot

« Bonnesvibrations »

tournage des Misfits, de JohnHuston, avec Marylin Monroe.Dans ce journal sensible, oncroise des stars mais surtoutl’Amérique profonde.Ed. Steidl, textes en anglais,144 p., 160 photos. 50 ¤.

MYAMERICA,de ChrisMorrisLorsqu’unancienreporter deguerre se metà couvrir

l’administration Bush, lesphotos qu’il ramène ne sont pasforcément moins dérangeantes.Dans ces paysages irréelspeuplés d’hommes à oreilletteset ces portraits de gens figésdans la contemplation de leurprésident émerge uneAmérique glacée, oùs’entrechoquent l’obsessionsécuritaire, le patriotisme et ladévotion. Une vision splendideet effrayante.Ed. Steidl, 164 p., 112 photos, 42 ¤.

LA MONTAGNE, etPARIS-COULEURS,de Willy RonisDans la foulée du triomphe del’exposition Ronis à l’hôtel deville de Paris, deux livresdévoilent des photos inéditesdu photographe humaniste.Dans La Montagne (éd. Terrebleue, 174 p., 38 ¤), Ronischante son amour du ski et despaysages de neige. Quelquesphotos surprennent : desscènes rurales et des portraitsfrontaux, qui disent la duretéde la vie alpine dans les années

1930. Paris-Couleurs (éd. LeTemps qu’il fait, 118 p., 35 ¤.)révèle les tentatives colorées depar ce maître du noir et blanc.Surprenant.

SWEET EARTH :EXPERIMENTAL UTOPIASIN AMERICA,de Joel SternfeldLe photographe américain s’estpenché sur une soixantaine decommunautés expérimentalesparmi celles qui s’épanouissentaux Etats-Unis. Il a associé untexte à chaque exemple, mais sesimages parlent d’elles-mêmes.Ed. Steidl, textes en anglais,136 p., 60 photos, 68 ¤.

LEAST WANTED, A Centuryof American MugshotsMeurtriers, voleurs, proxénètes,délinquants vous regardent droitdans les yeux. Avec cettecollection de photos d’identitéjudiciaires américaines, réuniespar Mark Michaelson, nous voilàà la racine du portrait.Ed. Steidl/Kasher, 288 p.,330 photos. 48 ¤.

WORK, de Mitch EpsteinLes travaux majeurs d’unmaître américain dans un livrerétrospectif. Ses photos sur lesloisirs des Américains, l’Inde oule Vietnam, l’enquête intimequ’il a menée sur son pèreruiné prouvent que ce grandcoloriste ne perd jamais ce qu’ila à dire dans sa quête formelle.Ed. Steidl. 276 p., 138 photos,48 ¤. Textes en anglais. DVD dufilm Dad.

Sélection établie parClaire Guillot et Michel Guerrin

Histoire subjective des images actuelles

Beaux livres photographie

Page 8: Revista Historia en Francés

Chlamydoselachus anguineus ou requin lézard MARINE THEMES

Du défi du conquérant aux contemplations de l’esthète

Montagnes magiquesL’Alconcagua (6 962 mètres) est le point culminant de la Cordillères des Andes GIANNI PASINETTI

Tableaux vivants des confins de l’Ethiopie, du Kenya et du Soudan

Peuples du Rift

DR

« Abysses », saisissante plongée dans l’infini des fonds de l’océan

Ivresse des profondeurs

LES PLUS BEAUX SOMMETSDU MONDEd’Alessandro Gogna.

Arthaud, 300 p., 40 ¤.

HUANG SHAN,MONTAGNES CÉLESTESde Wang Wusheng(photographies), Diaman Harper,Hung Wu, Seigo Matsuoka.

Imprimerie nationale, 240 p., 69 ¤.

Qu’est-ce que la plus belle mon-tagne du monde ? Au momentd’entrer dans l’hiver, deux« beaux livres » permettent derevisiter cette question de

« subjectivité photographique ».Les Plus Beaux Sommets du monde ne

brille pas tant par l’originalité de soncontenu que par sa forme, qui méritequ’on s’y arrête. Chaque double page, à

peu près carrée, est pliée en quatre. Lelivre peut donc se lire de deux façonsdifférentes. Première lecture : une sériede doubles pages où domine le pay-sage, éclairée par les textes éruditsd’Alessandro Gogna, qui offre un pre-mier survol. Soit un tour du monde desmontagnes les plus connues, sagementnumérotées selon leur continent d’ori-gine : de 1.1 pour le McKinley au nordde l’Amérique à 7.1 pour le Vinson, seul« plus beau » sommet d’Antarctique,plus un huitième continent d’annexes.

La seconde lecture, que l’on ne peuts’empêcher de mêler allégrement à lapremière, offre un contenu plus docu-mentaire. Elle suppose de déplier lespages, bien à plat s’il vous plaît, puis deles replier avant de poursuivre, si l’onne veut pas transformer ce bel objet encharpie. Le geste, il faut l’avouer, estd’abord décourageant : le plaisir s’effa-ce au profit d’une gymnastique éprou-vante. Mais si l’exercice est repris par

approches successives, on découvre dessensations de lecture nouvelles. Ainsi,les pages ont un adret et un ubac. L’Ei-ger ne dévoile l’austérité de son énor-me paroi nord que si l’on déplie son ver-sant sud, couleur caramel. Le pic Com-munisme, au Pamir, est la fois un tristemamelon dominant la steppe d’Asiecentrale et une fantasmagorie glaciairevue de l’ouest. Pour d’autres monta-gnes, on pourra choisir de laisser l’en-vers au secret, comme l’image attendued’un calendrier de l’avent.

Le plein et le videEnfin, certaines visions resteront atta-

chées au souvenir d’une lecture patien-te. Il faudra pour les revoir un bon sensde l’orientation et la même patience.Pour retrouver la splendeur du K2, aucœur du massif du Karakoram, refairela marche d’approche et déplier le gla-cier du Baltoro. Se souvenir que c’est enAntarctique qu’Erhard Loretan chemine

accompagné de son double projeté surle brouillard. Et ne pas oublier que c’estsur le sommet du Cervin que se font faceces deux gravures de Gustave Doré : lavictoire et la chute, à quelques instantsd’intervalle, avec ces pantins agités degestes étrangement semblables.

Depuis une paire de siècles, les monta-gnes sont une affaire de conquérantsplus que d’esthètes, du moins de ce côté-ci de l’Himalaya. C’est sans doute pour-quoi on ne trouve pas les Huang Shanparmi les « plus belles ». Ce petit massifmontagneux planté dans la grande plai-ne chinoise, au sud-ouest de Shanghaï,est un emblème de l’empire du Milieu.Des escaliers vertigineux y mènent surdes balcons à 1 800 mètres d’altitude,pas de quoi fouetter un sherpa… Maisl’intérêt, bien sûr, est ailleurs : une affai-re de représentation et d’esprit, à laquel-le Wang Wusheng a consacré une bon-ne partie de sa vie. Les initiales de cephotographe forment, dans notre alpha-bet latin, un dessin qui rappelle celui ducaractère chinois shan, montagne.

Dans Huang Shan, montagnes célestes,il n’y a pas une trace de vie sinon unpetit temple perché et, une seule fois, lesoleil et la lune. Un univers de noir etblanc, de plein et de vide. Les seules sil-houettes sont celles des pins-en-forme-de-paon, perchés sur des doigts de gra-nit qui semblent abstraits du monde

réel. Les montagnes flottent dans unocéan de brume. « En Chine comme auJapon, explique Seigo Matsuoka, pourexprimer l’idée de paysage on associe lescaractères de la montagne et de l’eau. C’estune vue idéale – hautes cimes, eau couran-tes des torrents –, une scène empruntée àla nature sur laquelle l’artiste projette unordre plus élevé de spiritualité et deconscience intérieure. » Sur les composi-tions de Wang Wusheng, la brumeestompe ou découpe les plans commel’encre bue par le papier.

Il y a bientôt vingt ans, Marc Riboud,grand arpenteur de la Chine, avait consa-cré aux Huang Shan un bel ouvrage quiexprimait puissamment la réalité dulieu, flots de touristes compris.

Ce n’est pas le propos de WangWusheng. Né en Chine en 1945, il fut« rééduqué » pendant la révolutionculturelle, alors qu’il était étudiant enphysique. Après deux ans de travaux for-cés, il découvrit la photographie, puis lesHuang Shan, une expérience qu’il racon-te ainsi : « Je restais là, toujours cinq ousix heures d’affilée, oubliant tout, savou-rant seulement cette sensation, cette beau-té. Les yeux embués, j’entendais une voixvenue du vide : là est l’origine de ton art etle sens de ta vie. »

Wang Wusheng vit aujourd’hui àTokyo. a

Charlie Buffet

LES PEUPLES DE L’OMOde Hans Silvester.

La Martinière, coffret de deuxvolumes, 304 et 160 p., 120 ¤.

H omme oiseau, hommefleur, homme gazelle,visages mouchetés,

rayés, étoilés, enduits à grostraits d’argile, ocre, blanche,rouge, comme le serait la toiled’un peintre, torses couverts dedessins géométriques, couleursfranches soulignant les courbesdu corps : les seins, les fesses,les hanches. La peau commesupport de la création contem-poraine. Les bergers de l’Omose peignent comme d’autress’habillent, changeant de toilet-te au gré de leur humeur et aurythme des bains dans la riviè-re. Les dessins ne sont pascodés. Ni rituel ni répétition,juste la liberté.

« Ces peintures n’ont aucunevaleur pour eux. Ils vivent en har-monie avec la nature, ils se fontbeaux. C’est très touchant »,raconte Hans Silvester, qui apassé dix mois avec eux. Lemiroir leur est inconnu et l’eaudes mares trop trouble pour ren-voyer leur image. C’est le regardde l’autre, sa réaction qui donnesa valeur à la métamorphose, àl’œuvre. Car c’est bien d’artqu’il s’agit, comme le montre lasérie de portraits plein cadre duphotographe. Un art dont laforce évoque Picasso, Matisse,Miro ou Niki de Saint Phalle.

Cet album est l’un des plussurprenants de cette fin 2006.Non pas seulement pour la qua-

lité des clichés qui révèlent lequotidien de l’un des peuplesles plus isolés de la planète,celui de la vallée de l’Omo, dansle sud-ouest de l’Ethiopie, maispar la révélation de ces artistesdu Rift qui vivent en totale har-monie avec leur environnement.

Tradition guerrièreLes peuples de l’Omo compo-

sent la quinzaine de tribus afri-caines vivant dans la dépressiondu Rift, aux confins de l’Ethio-pie, du Kenya et du Soudan. Unmonde perdu. Les rares pistessont praticables à la seule sai-son sèche. Se partageant un ter-ritoire grand comme deux foisla Belgique, les groupes les plusnombreux comptent 70 000 per-sonnes, les plus modestes, quel-ques milliers d’individus.

La sécheresse, le manque depâturages, nourrissent une tra-dition guerrière et la haine viscé-rale que se vouent entre elles les

tribus. Avec les kalachnikovsentrés en contrebande du Sou-dan, les conflits sont plus meur-triers. Un modèle ancien vauthuit vaches, un neuf, quarante,le prix d’une très belle fille.Depuis toujours, les Surmas etles Bume, les plus doués de cepeuple d’artistes, s’entre-tuent.La survie de la tribu est plusimportante que la mort d’unjeune garçon, lequel guerroiepar habitude, par nécessité, pardevoir envers son clan, commepar plaisir. Avoir un ennemi,c’est éprouver son courage.

Avec leurs huttes en brancha-ges, ces artistes qui vivent nus(il fait 45 à 50 ˚C à l’ombre, seu-les les femmes portent une peaude chèvre sur les hanches), senourrissent de baies, de racines,de viande et de lait. Loin d’êtremisérables, ils sont, grâce àleurs troupeaux, les paysans lesplus riches de l’Ethiopie. a

Florence Evin

ABYSSESde Claire Nouvian.

Fayard, 256 p., 40 ¤.

Q uiconque se penchera surAbysses connaîtra l’eupho-rie d’une plongée à toutesles profondeurs d’un livre

de référence : il traversera lesphotographies d’un spectacle fas-cinant, les récits d’un voyagevers l’inconnu, les explicationslimpides d’un ouvrage savant, ets’adonnera même à une expé-rience philosophique. Ses décou-vertes l’emmèneront à des centai-nes, des milliers de mètres sousles mers, là où l’obscurité sert derefuge à la faune la plus variée dela planète. Les engins sous-marins dépêchés par les hommesdans le plus vaste habitat du glo-be n’ont pu saisir qu’une infimepartie de ces millions d’espèces.

Claire Nouvian a sélectionnéles plus saisissantes de leurs pri-ses de vue. Les projecteurs y révè-

lent les transparences des mas-ses gélatineuses, les rouges vifsqui garantissent l’opacité à cesprofondeurs, la bioluminescencedes appâts dont se servent lesprédateurs, les contre-projec-teurs, tout aussi sophistiqués,dont usent leurs proies pour sedissimuler. Dans le noir se joueainsi une gigantesque partie decache-cache où la faculté decréer ou de percevoir une lueurest si cruciale que la surviedevient un art. Les textes scienti-fiques, aussi lumineux que lesimages, distinguent le peuple del’entre-deux-eaux, aux lisières dela zone éclairée, et celui desgrands fonds, qui a appris à résis-ter aux pressions extrêmes, àtirer son énergie de substancestoxiques.

Leur fréquentation aidera àdécentrer son regard, à prendreconscience que la planète estprincipalement peuplée de for-mes vivantes qui continuent à

être ignorées par l’homme. Aconnaître les liens aussi : à quelpoint ce monde-là dépend desévénements de surface, particu-lièrement d’un réchauffement cli-matique ou d’une surpêche quiont déjà compromis son équili-bre. A quel point le haut a aussibesoin du bas, notamment de latranshumance quotidienne demilliards d’organismes vers lasurface, en masses si compactesque les premiers marins équipésde sonars crurent que, chaquenuit, le fond de l’océan se soule-vait. Ce nouveau regard s’habi-tuera à ne plus avoir peur, àoublier les noms terrifiantsdonnés à certaines créatures parleurs premiers observateurs :ogre, diable, « vampire venu del’enfer ». Dans les crocs démesu-rés, dans les filaments empoison-nés, Abysses apprend à discernerl’ingéniosité de l’évolution et l’in-croyable diversité du vivant. a

Jérôme Fenoglio

VoyagesBeaux livres Voyages

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0123 9Vendredi 8 décembre 2006 9

.ZOOMVOYAGE (S)D’UNHUMANISTEdePaul-EmileVictorDans ces

soixante-dix ans de dessins(1923-1992) réunis par sa fille,Daphné Victor, on sent l’ennuialangui du Grand Nord. Lesmeilleurs portraits sont saisis detrois quarts, comme si la tropgrande intimité des huis clospolaires imposait de croquersans être vu, sauf de la sensuelleDouminia. Ch. B.Ed. Ouest-France, 142 p., 30 ¤.

LES GRANDSEXPLORATEURS –CONQUÉRIR ET INVENTERLE MONDECette encyclopédie est dense etsolide. On retrouve bien sûrMarco Polo, Magellan,Livingstone, Gagarine, maisaussi bien d’autres« inventeurs » du monde pourqui la postérité fut moinsgénéreuse. La litanie des nomsforme une jolie musique, avecquelques notes inattendues,appuyées par une iconographieoriginale. Ch. B.Larousse, 312 p., 34 ¤.

TOMBOUCTOU, RÉALITÉD’UN MYTHEd’Eric Milet. Photographiesde Jean-Luc ManaudSous la couverture similicuircomme celle d’un albumoublié dans le grenier de lavieille Europe, se pressent desmots enluminés, des vignettes,gravures, photographies sépia,des fonds dorés, des beautés quiont fait rêver toutes les époques.Si bien que les contemporainesphotographies couleur deJean-Luc Manaud prennent unrelief étrange. Ch. B.Arthaud, 168 p., 40 ¤.

NIDS ETHNIQUES,de Nicolas Reynard etJean-Louis MarzoratiDogons du Mali, Gabras duKenya, Chipayas de Bolivie,

Mokens de Thaïlande… etHakkas. Un village fortifié,circulaire, offrant au visiteurl’image d’une muraillehermétique et abritant plusieursdizaines de familles parlant unemême langue, des bêtes, desédifices religieux… Ce sont lestulous des Hakkas, menacés parl’urbanisation brutale de laChine. Il n’y a pas plus belleillustration de ce concept de« nid ethnique », magnifié parle photographe NicolasReynard. Ch. B.Hoëbeke, 128 p., 38 ¤.

MONTAGNES, les grandesœuvres de la terre, de KevinKling et Paul TapponnierLes chaînes de montagnes del’Himalaya et du Karakorum enAsie rassemblent tous lessommets de plus de8 000 mètres de la planète.L’ouvrage que proposent laphotographe Kevin Kling et lescientifique Paul Tapponnierentremêle de très belles vuesde ces sommets à desexplications didactiques sur latectonique des plaques. Ceprocessus qui crée lesmontagnes de la Terre atteintson paroxysme en Asie, avecl’affrontement titanesque de laplaque indienne contre laplaque euro-asiatique. C. Ga.La Martinière, 320 p., 49 ¤.

SICILE,de Dominique Fernandezet Ferrante FerrantiLes passions italiennes deDominique Fernandez, quimarquent toute son œuvre deromancier, alliées à sonérudition et à l’intimité duphotographe Ferrante Ferrantiavec la Sicile – son père estsicilien –, font de cet album unvoyage littéraire et plastiqueloin de toute banalitétouristique. Il commence parune interrogation sur l’identitésicilienne et se termine au cœurde la « splendeur immobile del’été », dans cette civilisationqui « s’est constammentrenouvelée et continue à serenouveler ». Jo. S.Ed. de l’Imprimerie nationale,240 p., 69 ¤.

DES DIEUX ET DES HOMMES,LA DANSE COSMIQUEDE L’INDERoland et Sabrina MichaudVoilà bientôt 40 ans que Sabrinaet Roland Michaud sillonnentl’Inde. Pour cet anniversaire, lecouple met en scène les dieuxmajeurs des hindous, là où ilssont vénérés, sur les marchesd’un sanctuaire, au bord del’océan, lors des grandsrassemblements religieux. DeBenarès à Calcutta, duKarnataka au Kerala, avec descarnets de voyage personnels,des « fenêtres historiques » et despoèmes tirés des Veda, ilsl’appréhendent la complexité decette terre sacrée. Fl. E.Chêne, 320 p., 65 ¤.

GOLF ?de Martin MatjeConnu pour ses illustrations enjeunesse, Martin Matje (mort en2004) a également collaboré à larevue Golf Magazine, où ilillustrait la chronique d’AlexisOrloff. Pleins de finesse, d’uneredoutable acuité, frôlant parfoisl’absurde, ses dessinsprovoquent le rire mais toutaussitôt de cruelles questionssur notre comportement autourdes greens qui, comme chacunsait, se prolongent dans le vie detous les jours. J.-L. A.Denoël Graphic, 22 ¤.

LA FRANCE DU RUGBYde Pierre Ballester et PascalMaître (photographies)Vingt-six comités, autantd’étapes pour visiter une Francedu rugby loin des sirènes duprofessionnalisme. De Lumio àCouiza, de Bédarrides àCollioure, des aventureshumaines et culturellesdifférentes. Cette plongée dansl’esprit d’un rugby de terroir,passionné et solidaire, ne faitpas le départ entre terrepatrimoniale et frichesnouvellement gagnées à l’ovalie.La même foi, la même soif dedéfi. On sent le cuir usé, la bouefraîche, la sueur tenace et lemuscle camphré. Une odeformidable à un sport aux règlesde fratrie. Ph.-J. C.Ed. du Panama, 332 p., 40 ¤.

Deux inventaires illustrés témoignant chacun, à leur manière, d’un monde en pleine mutation

Les couleurs du lointain

Maxime Du Camp en Egypte en 1850. DR

Godard au travail.

Beaucoup plus intéressant

que Godard en week-end.

www.cahiersducinema.com

384 pages.59 € en librairie.

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Parcoursde rêve

TRÉSORS PHOTOGRAPHIQUESDE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIESous la directiond’Olivier Loiseaux.

BNF/éd. Glénat, 240 p., 34,99 ¤.

PORTRAIT D’UN MONDEEN COULEURSde Marc Walter et Sabine Arqué.

Préface de Jean-Christophe Rufin,Solar, 384 p., 49 ¤.

Aujourd’hui, après les admirablesperfectionnements apportés parPrévost et par Daguerre, on peutpresque se dispenser de voyager à

travers les climats lointains. » Alexandervon Humboldt (1769-1859), qui fait icil’éloge de la photographie naissante –nous sommes en 1844 – ne s’est pas dis-pensé de parcourir le monde. Ce baronprussien, polyglotte et cosmopolite, aexploré le continent américain et arpen-té une bonne partie de l’Asie. Il est mem-bre d’une kyrielle de sociétés savantesdont la Société de géographie, fondée en1821, à Paris. Cette institution, toujoursvivante, a entendu le message de Hum-boldt. Si elle a favorisé les voyages d’ex-ploration, sur le terrain, elle a aussi col-lectionné très tôt les photographies quelui envoyaient ses correspondants. Sonconsidérable fonds d’images est aujour-d’hui déposé à la Bibliothèque nationalede France (BNF). Olivier Loiseaux,conservateur des cartes et plans de laBNF, était donc à pied d’œuvre pour fai-re son choix et présenter ce voyageimmobile « à travers les climats loin-tains ».

Les opérateurs qui, dans la deuxièmemoitié du XIXe siècle, ont envoyé leursimages à la Société de géographie appar-tenaient à toutes les professions. Ontrouve parmi eux des littérateurs, com-

me Maxime Du Camp, qui part pourl’Egypte avec Flaubert en 1849, et desexplorateurs comme Désiré Charney,qui se déplace de Madagascar au Mexi-que. Pierre Delanneau est militaire, ilaccompagne les colonnes en route versle Niger. Joseph Bidault de Glatigné,l’ami de Rimbaud, séjourne en Abyssi-nie et tente de vivre de la vente de sesimages. Jean Chaffanjon remonte lecours de l’Orénoque, poussé par le goûtde l’aventure. Henri Porcheron est uningénieur qui photographie les installa-tions minières d’Afrique australe.August Loeffler travaille pour l’US Navy,mais s’intéresse aussi aux infrastructu-res et aux gratte-ciel de Manhattan. Rai-mund von Stillfried-Ratenicz est letémoin d’un Japon qui bascule rapide-ment dans la modernité : il fixe les der-niers samouraïs en armure et les pre-miers garçons de café de Tokyo. DimitriSolomirsky témoigne de l’industrialisa-tion rapide de la Russie.

Impeccables compositionsCar l’intérêt de ce volume ne réside

pas dans la somme d’exotisme qu’il recè-le mais dans ce panorama, cet inventaired’un monde en pleine mutation, poussépar la première révolution industrielle. Ilne faut pas non plus négliger la qualitéde la plupart de ces images. LinnaeusTripe arrive à élaborer une étonnantecomposition à partir des jeux de lumièregéométriques filtrant à travers une colon-nade indienne. Timothy O’Sullivan saitrendre sans pathos la sévère somptuosi-té des paysages d’Arizona. Et les photo-graphies rapportées par Désiré Charneydu Yucatan ne sont pas seulement desti-nées à révéler les beautés de l’architectu-re maya, elles nous touchent encore parleurs impeccables compositions.

Avec Le Portrait d’un monde, noussommes dans un autre univers. En quel-ques décennies nous avons changé de

planète : le tourisme est déjà une puis-sance avec laquelle il faut compter. Auxinformations envoyées à une sociétésavante succèdent les images de charmedestinées à faire rêver les touristes. Leflou artistique succède à la rigueur docu-mentaire. Et la couleur au noir. Une cou-leur largement artificielle qui privilégiele rose fuchsia, le bleu pâle et le vert ten-dre. En 1889, le Suisse Orell Füssli a misau point un procédé combinant photo-graphie et lithographie. Le photochromedonne au monde les teintes d’une actua-lité heureuse. C’est un univers de cartes

postales, de clair de lune romantique surle Grand Canal de Venise et de villas élé-gantes se reflétant sur le lac Majeur.Au Caire, les tombeaux des mamelouksse réduisent à une série de plans archi-tecturaux, sans humanité pour pertur-ber la composition bien sage, surmontéed’un ciel sans nuages. Les guerriersbédouins qui posent sous de verts pal-miers sont inoffensifs en dépit de leursarmes. Ce monde lisse, sans aspérités,aux couleurs de l’enfance, est déjà celuide la nostalgie. a

Emmanuel de Roux

GOLFS DU MONDE,Paysages d’exception.Photographies de David Cannon

Ed. Hermé, 264 p., 175.

D e dimensions imposantes(30×39 cm), Golfs du monderéconcilie partisans et opposants

à la fameuse phrase de Mark Twain,selon lequel « le golf est une promenadegâchée par une petite balle blanche ». Surces clichés pris sur tous les continents,pas l’ombre d’une balle de golf. La placeà la rêverie est d’autant plus ouvertequ’il n’y a pas non plus la moindre tracede joueur arpentant les parcours subli-mes choisis par David Cannon. On pour-ra donc au choix imaginer les coups lesplus fabuleux – ou les plus réalistes – ouse promener tranquillement, ce qui per-mettra de comprendre en quoi le paysa-ge ne gâche en rien le plaisir des gol-feurs. Quatre quadruples pages sontrecommandées : une fois dépliées, leurenvergure s’étend sur 1,56 mètre.

Tout au long de ces pages, le silenceest aussi de rigueur. Pas plus de tracesde commentaires exceptés un avant-pro-pos d’Ernie Els, une introduction et unelégende pour chaque photo indiquant lelieu, le trou et l’architecte du parcours.Si cette absence se faisait pesante, onpourra se reporter aux articles du Dic-tionnaire amoureux du golf d’André-JeanLafaurie (Plon, 564 p., 24,50 ¤), parfoisamusant, souvent instructif, toujoursamusé et amoureux, parmi lesquels figu-rent précisément des commentaires surcertains des parcours offerts à la vue dulecteur : Augusta et son Amen Corner –théâtres du fameux Masters –, SaintAndrews – la Mecque du golf –, PebbleBeach, Spyglass ou Cypress Point – réu-nis à l’article Seventeen Mile Drive –, etmême Les Bordes, unique parcours fran-çais de ce recueil. a

Jean-Louis Aragon

Beaux livres Voyages

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Cuvier, Haute Selve, 1996. MAIRIE DE BORDEAUX/LYSIANE GAUTHIER

Sculpture en papier recyclé et fil de métal DR

Sylvain Dubuisson, ambassadeur d’un domained’excellence pour les créateurs français : le design

Les objetsont la paroleSYLVAIN DUBUISSON,LA FACE CACHÉE DE L’UTILEd’Yvonne Brunhammer.

Ed. Norma, 222 p., 65 ¤.

DÉCORATION ET HAUTECOUTUREArmand-Albert Rateau pourJeanne Lanvin, un autre Art déco.d’Hélène Guéné.

Ed. Les Arts décoratifs, 256 p., 45 ¤.

Où ranger tous ces livres ? Leslibraires sont comme nous, ilscherchent à gagner de la place.En 1992, quand La Hune,

fameuse librairie de Saint-Germain-des-Prés, eut l’occasion d’aménager unespace en mezzanine, pour y installerles collections d’art, d’architecture et demode, Jean-Noël Flammarion confial’équation à Sylvain Dubuisson. Diffici-le de trouver plus amoureux des motset des mystères de l’écriture que ce desi-gner et architecte. Géomètre subtil, ilsut jouer avec l’exiguïté de l’endroit,laissant toutes leurs chances aux ouvra-ges, mais sans renoncer à marquer lelieu d’une étrangeté : un escalier debateau qui se dédouble de part etd’autre d’un pilier pour se rejoindre enhaut, attirant le lecteur aventureux. Du

spectaculaire comme en retrait ; del’éclat, mais avec réserve.

Il y a un an, le même Dubuisson met-tait la dernière main à la transformationdu magasin historique de la maison Car-tier, rue de la Paix, à Paris. Réunion etagrandissement des espaces, installa-tion d’un escalier théâtral, restaurationdes boiseries, création de lampes et devitrines et d’armoires à parfums. Desinterventions conduites avec un doigtéet une retenue remarquables.

S’il est un domaine où les créateursfrançais sont à nouveau présents sur lascène internationale, où leurs interven-tions sont recherchées et leurs signatu-res respectées, c’est bien celui du design.Après l’éclosion euphorique des années1980, encouragée par des commandesd’Etat et l’impulsion de Jack Lang, alorsministre de la culture, le public manifes-te son goût pour un environnement quo-tidien plus inventif. Lents à s’engager,les industriels sont toujours devancéspar les entreprises italiennes qui, elles,n’hésitent pas à passer commande à desdesigners français.

Imperceptible jamais vuDans cette génération, Dubuisson res-

te hors catégorie, comme le montre lelivre-somme de ses travaux depuis vingt-cinq ans réalisé par Yvonne Brunham-mer, spécialiste du mobilier et des créa-

teurs du XXe siècle. L’ouvrage est publiéà l’occasion de la rétrospective organiséeau Musée des arts décoratifs de Bor-deaux, par Bernadette de Boysson et dela réédition de plusieurs meubles, avecle Mobilier national et l’appui d’unealliée de la première heure, l’éditriceFrançoise Darmon.

Architecte, fils et frère d’architecte,Sylvain Dubuisson, né en 1946, exerceson métier en funambule ; sa manièreest de tracer la ligne la plus exigeanteentre les contraintes qu’il s’impose. Celava de l’objet unique, comme les lampesdes années 1980, à des aménagementsde musée, des monuments commémora-tifs, du mobilier de ville…

Quelle que soit l’échelle de l’interven-tion, le soin mis à rechercher une formeinédite, à instaurer l’imperceptiblejamais vu, est constant. En ouverture dulivre, une soixantaine de pages livrentau lecteur le dessin dans sa nudité et sonraffinement, sur un grain de papier diffé-rent, sans commentaire.

Mots cachés, papiers pliés, imagesenfouies, goût du mystère, SylvainDubuisson se situe parfois à la limite del’ésotérisme. Ses objets, petites conjura-tions adressées au temps qui passe, célè-brent l’instant et avouent que leur utili-té, c’est le plaisir d’exister.

D’un service à thé pour le porcelainierallemand Rosenthal à un bureau courbepour le ministre de la culture, d’un litd’appoint, modeste comme un radeau, àla ligne tracée dans les vignes, pour lechai de Haut-Selve, dans le Bordelais,majestueux et simplissime, la rigueur nedément pas les envolées des premierstemps. Maniant le chêne, le frêne et lepoirier comme des bois précieux,Dubuisson les associe au métal. La fibrede carbone, pour une table ultralight, lecarbure de silicium pour un stylo, sontdes alliés sur des voies nouvelles.Contemporain avec passion, il renouepar le raffinement et la précision avecune lignée de tradition française. Il n’estdonc pas étonnant que le livre trouve sa

place dans la collection où Maïté Hudry,directrice des éditions Norma, a aidé àredécouvrir les créateurs de mobilier desannées 1940 et 1950 : André Arbus,Maxime Odd, Janette Laverrière, Char-lotte Perriand, et tout récemment, en2006, Jean-Michel Frank par Pierre-Emmanuel Martin-Vivier.

La réouverture en septembre duMusée des arts décoratifs à Paris a étéaccompagnée de plusieurs livres. Leplus étonnant est l’enquête consacréepar l’historienne Hélène Guéné à l’extra-ordinaire alliance entre 1920 et 1925 dudécorateur Armand-Albert Rateau, et dela créatrice de mode Jeanne Lanvin.Au-delà de l’hôtel particulier, reconsti-tué dans les salles du musée, ils signè-rent ensemble des magasins et un théâ-tre ainsi que le pavillon de l’élégance àl’exposition de 1925. Faune et flore, Anti-quité et Orient, les sources étaient multi-ples, l’Art déco à son apogée, avec unregard dédoublé. a

Michèle Champenois

L’infinie souplesse de la matière et l’éternité des motifs

Décor de papierPAPIER, CRÉATIONSET MÉTAMORPHOSESde Martine Paulais.

Ed. Dessain et Tolra,144 p., 29,50 ¤.

MOTIFS, d’ElspethThompsonet Tricia Guild.

Ed. Ouest-France, 210 p., 30 ¤.

M obilier, luminaires,objets de décoration,bijoux, robes, sacs à

main en papier, commencent àinvestir, en Occident, les universde la mode et de la maison. Lescréateurs découvrent les qualitéset les promesses que cette matiè-re recèle, des siècles après l’Asie,où son utilisation dans l’habitatest une tradition.

Découpé, comprimé, trempé,déchiqueté, mâché, le papier seplie à toutes les formes, peut gar-der sa teinte virginale ou se colo-rer, être léger ou solide. Naturel,écologique, éphémère, il est lecontre-pied à tous les matériauxindustriels et artificiels de notreépoque. Il a l’art aussi d’imposerune transparence, des jeux d’om-bres et de lumière, une dimen-sion poétique qui plaisent auxdesigners et stylistes.

Le livre de Martine Paulais,sans vouloir être exhaustif, dé-voile l’étendue des objets et desœuvres d’art que le papier ad’ores et déjà fait naître sous lesdoigts des artistes qui en sonttombés amoureux. Histoire etfabrication du papier, transfor-mation du carton, recettes de

pâtes à papier précèdent lescent pages d’illustrations quimontrent les bols, lampes etvases d’Agnès Petit, la chaussu-re et le violon des Farfelus Farfa-dets, les méduses lumineusesde Géraldine Gonzalez, maisaussi des colliers, des robes etdes sculptures… tout en papier,vivant, léger, sensuel. Et pourmettre le rêve à portée du lec-teur, l’ouvrage est ponctué deconseils qui permettent de réali-ser soi-même quelques-unes deces créations.

Rayures, carreaux et fleursChangement de décor, avec

Motifs intemporels, qui nousentraîne dans l’univers de l’An-glaise Tricia Guid, qui a fondé en1970 Designers Guild, société lon-donienne connue et reconnuedans une quarantaine de pays,pour la variété de ses créations :tissus d’ameublement et papierspeints, linge de maison, petit

mobilier, moquette, tapis etaccessoires. Grande créatrice demotifs et de couleurs, TriciaGuild puise son inspirationpartout : brocarts et damas d’Ex-trême-Orient, illustrations bota-niques et peintures floralesanciennes, carreaux et rayures deScandinavie, imprimés ethni-ques d’Inde et d’Amérique latine,décors picturaux des porcelainesde Chine et d’Europe, dessinsgéométriques et motifs abstraitsdes peintures contemporaines.

Elle a ainsi contribué à nousapprendre à égayer les maisonsaprès des années de murs et derideaux blancs, de meubles capi-tonnés d’unis sombres. En osantassocier rayures et fleurs, figura-tif et abstraction, motifs ancienset couleurs vives… Elle a ouvertle champs des possibles, réconci-lier les styles anciens et moder-nes, apportant sa fantaisie à tou-tes sortes d’atmosphères. a

Véronique Cauhapé

Un tour du monde des « artifices de la contrainte »

Souffrir pour être belle

M arche entravée, tailleétranglée, corps per-cé… : pour paraître plus

désirables, les femmes, surtout,mais pas seulement, ont depuistout temps porté atteinte à leuranatomie. Cet ouvrage, superbe-ment illustré de 160 photogra-phies, tente de décoder les « arti-fices de la contrainte », de ceux

qui ont fait naître la coutume despieds bandés en Chine, des longscous cerclés de métal en Birma-nie, de la scarification en Afriquenoire jusqu’aux tatouages et pier-cings, magnifiés, de nos jours,dans les défilés de Jean PaulGaultier. Le texte de MichelBiehn, antiquaire et spécialisted’étoffes et de costumes anciens,

est éclairé par les analyses deCatherine Bensaïd, psychanalys-te, de Jean-Yves Leloup, théolo-gien, et de Catherine Tourre-Malen, anthropologue.

Ce livre offre des raccourcis sai-sissants, comme ce cliché d’une« femme-girafe » rapprochéd’une photographie prise en1902 de la duchesse de Marlbo-rough portant un maxi « collierde chien » en perles fines ; ou cet-te dame du XIXe siècle portantun corset « taille de guêpe »,comparée aux hommes Dinka duSoudan, gainés dans de hauts cor-sets perlés et multicolores, qu’ilsportent le jour comme la nuit.

L’auteur ne porte pas de juge-ments sur ces pratiques, maisfait le tour des instruments detorture et de mutilation qui ontservi de subterfuge à l’hommepour s’évader de l’état de nature.« Le rapprochement des motshabit et habitude ou costume etcoutume montre bien, souligneMichel Biehn, le lien qu’il y aentre la manière d’être extérieure,l’apparence que l’on se donne etl’attitude convenable qu’il s’agitd’adopter dans le monde danslequel on vit. » « Tout est habit delumières, précise pour sa partCatherine Bensaïd, pour quirayonne d’une lumière qui est enlui. Pour qui est ce qu’il est, toutsimplement ». a

Véronique Lorelle

CRUELLE COQUETTERIEOU LES ARTIFICES DE LACONTRAINTE,de Michel Biehn.

La Martinière, 192 p., 42 ¤.

Art de vivreBeaux livres Art de vivre

Page 11: Revista Historia en Francés

0123 11Vendredi 8 décembre 2006 11

Une sélection parmi la profusion d’ouvrages culinaires qui paraissent à l’occasion des fêtes de fin d’année

« La cuisine, c’est plus que des recettes »

Le livre de recettes est un festin enparoles dont le lecteur semble nejamais se lasser, tant l’édition estprolifique. « La cuisine, c’est plus

que des recettes », rappelait le grand cuisi-nier Alain Chapel, disparu en 1990. Cer-tains ouvrages réussissent à faire parta-ger la passion qui anime leurs auteurs,d’autres en révèlent un aspect méconnu,la sensibilité et la générosité, les deuxqualités nécessaires, mais pas suffisan-tes, d’un grand cuisinier.

Depuis la table numéro 5 de la salle àmanger de l’Hôtel Meurice, où elle a seshabitudes, Kazuko Masui, grande spécia-liste de la gastronomie française auJapon, observe le ballet du service de sal-le et noue vite avec Yannick Alleno, lechef, un dialogue qui sera le prétexte decet ouvrage conçu comme un reportagevivant agrémenté de 80 recettes saison-nières (1). Yannick Alleno a pris la direc-tion de la brigade en 2003. Il n’a pas35 ans. Sa première carte est un enchan-tement : pince de tourteau parfuméeaux agrumes, homard bleu au vin deChâteau-Chalon, filet de rouget à la crè-me de sardine… L’année suivante, consa-crée par le Michelin, sa cuisine s’enhar-dit. Mais le chef conserve un œil sur lerépertoire classique. C’est alors le pot-au-

feu de Dodin-Bouffant en quatre servi-ces, d’après l’évocation littéraire de Mar-cel Rouff, dont il donne une version tou-te personnelle, avec judru (gros saucis-son de ménage bourguignon) mariné aumarc de Bourgogne, poitrine de porcgratinée et fine purée Soubise, puissuprême de volaille à la façon de LucienTendret. Photographies de Philippe Bar-ret dans les coulisses de la brigade.

Quoi de commun entre la criée duGrau-du-Roi et le marché au poisson deTokyo ? Pas grand-chose, si ce n’est leregard de Jacques et Laurent Pourcel,ces chefs montpelliérains qui, de Ban-gkok à Shanghaï ou Tokyo, ont entreprisde faire connaître leur cuisine. L’ouvra-ge, écrit avec le concours de Sophie Bris-saud (2), est une balade parfumée à l’om-bre de la grande cuisine chinoise, où l’ondécouvre la recette du cabillaud cuit à lavapeur dans une feuille de bananier oucelle de l’ormeau assaisonné d’une vinai-grette au corail d’oursin.

Retour au bercail avec Philippe Gau-vreau, le très talentueux chef de LaRotonde (Le Lyon vert), ou plutôt dansles élevages sélectionnés par son compli-ce, le boucher Maurice Trolliet. Le pro-duit – veaux, vaches (de Salers), cochon– est au cœur des recettes de Philippe

Gauvreau, qui, depuis dix ans qu’il don-ne des cours de cuisine, a vu d’abord lesmères, puis leurs filles et enfin les hom-mes s’intéresser à l’art culinaire. C’estpour eux qu’il a préparé cinquante-septrecettes familiales accessibles à toutamateur (3). Avec des photographies deJean-François Mallet qui semblent desvariations des toiles de Chardin.

Regarder autrementLa transmission, assurée autrefois par

les mères, n’avait guère laissé de placeau nourricier de la famille, le père, tenuéloigné des fourneaux. Guy Martin, chefet directeur du Grand Véfour, à Paris,répare cette injustice en offrant à PierreMartin, son père, « épicurien, généreux etcuisinier à ses heures », le loisir de don-ner ses recettes du pays natal, la Savoie(4), avec la soupe paysanne au petit-salé, la matelote d’anguille à la sauge etles atriaux (foie et rognons de porc encrépinette) aux baies de genièvre, en pré-lude au festival de saveurs contrastéesdes recettes de Guy Martin.

Le contraste, Thierry Marx, chef(deux étoiles) du Château de Cordeillan-Bages, à Saint-Julien-en-Médoc, en faitune théorie, comme autrefois les futuris-tes autour de Marinetti (5). Au début du

XXe siècle, le renouveau fulgurant desarts avait pris en charge toutes lesexpressions artistiques, et donc l’inventi-vité en cuisine. Ce fut l’occasion pourApollinaire et son ami Marinetti, princede l’avant-garde italienne, de mettre lecouvert d’une « cuisine cubiste ». Pourcette génération, tout était vieux : lespâtes, les sauces, la découpe au guéri-don… La nouveauté s’inspirait des procé-dés de l’agroalimentaire d’alors, sous lesigne du chimiste allemand Justus vonLiebig (1803-1873), inventeur desconcentrés de viande et du fameuxbouillon Kub. L’époque industrielle dudébut du XXe siècle n’était pas moinsféconde que la nôtre. Extraits, arômes,vitamines, mode de cuisson et de congé-lation : déjà notre monde technologiqueréducteur était créé. On peut regretterque Thierry Marx n’ait pas approfondila dimension historique de sa démarche.Cela eût été admettre qu’elle avait quel-ques antécédents. Or, précisément, laliberté revendiquée par le chef s’appuiesur son absence de racines. Son ouvrage,moins qu’un manuel de la cuisined’avant-garde, est une invite à regarderautrement les recettes de cuisine.

Ce n’est pas la technologie qui a inspi-ré le grand cuisinier Joël Robuchon,

mais une fascination pour les techni-ques culinaires, qu’il n’a eu, au long desa carrière, de cesse de maîtriser. LeTout Robuchon est une explication, unevulgarisation au bon sens du terme, dela cuisine du maître, capable de fixer sou-verainement les saveurs et les arômes,dominant la technique, méfiante enversles exercices de style ou les effets demode (6). Ecrites par Vincent Noce, les660 recettes de Joël Robuchon montrentqu’il est un passeur remarquable, initia-teur plus qu’innovateur, l’émotion culi-naire résultant de l’économie desmoyens mis en œuvre. a

Jean-Claude Ribaut

(1) Quatre saisons à la table no 5, deYannick Alleno et Kazuko Masui, Glénat,276 p., 60 ¤.(2) L’Asie des frères Pourcel, éd. AgnèsViénot, 236 p., 38 ¤.(3) Veaux, vaches, cochons et Cie.Recettes de Philippe Gauvreau, Glénat,256 p., 45 ¤.(4) Gourmands de père en fils. Recettesde Guy Martin, Seuil, 156 p., 45 ¤.(5) Planète Marx. Recettes de ThierryMarx, Minerva, 240 p., 130 ¤.(6) Livres de chefs. Tout Robuchon,Perrin, 768 p., 90 ¤.

PIERRECARDINÉVOLUTION– MEUBLESET DESIGN,de BenjaminLoyautéCritiquespécialisé

dans le design et les artsdécoratifs, Benjamin Loyautés’est penché sur la ligne demobilier créée, dans les années1970, par Pierre Cardin. Lacommode Champignon en boislaqué, le meuble ovoïde en tubesde métal chromé et caissonslaqués ou la table vague auxfilets bleus en disent long surl’approche expérimentale etavant-gardiste du créateur.Pierre Cardin a su aussis’entourer de talents tels SergeManzon, Christian Adam, MariaPergay ou Giacomo Passera,pour œuvrer au renouveau dumobilier français. V. Lo.Flammarion, 216 p., 65 ¤.

GUCCI by GUCCI,de Sarah MowerDe Sophia Loren à Madonna,de Jackie Kennedy à CameronDiaz en passant par RichardBurton ou Woody Allen : cetouvrage présente 85 ansd’histoire de la maison Gucci àpartir de ses archives. Desuperbes photographies,souvent inédites montrentl’étroite relation entre lesicônes du spectacle, de la hautesociété et la griffe florentine,née dans la maroquinerie etdevenue l’une des plus grandesmarques de luxe au monde.Conçu par le directeurartistique de Gucci, DougLloyd, cet ouvrage luxueux estdû au travail de la journalisteSarah Mower. V. Lo.La Martinière, 450 p., 135 ¤.

LE PRINTEMPSDE GUERLAIN,de Maryline DesbiollesCe livre est à offrir à toutes lesfemmes dont les grand-mèresou les mères ont porté Jicky,premier parfum de la maisonGuerlain, superbe jus qui parleautant à la mémoire qu’auxsens. L’écrivain MarylineDesbiolles raconte commentnaissent ces parfums immortelsdont on ne connaît quequelques noms prestigieux :Mitsouko, Chants d’arômes,Shalimar, l’inimitable Vol denuit, Nuit d’amour, ou L’Heurebleue… Depuis Jicky, sept centsparfums ont pris leur envol,dont beaucoup ont disparu.Quel dommage ! D. Fr.Le Cherche-Midi, 256 p., 50 ¤.

VAN CLEEF, de Marc PetitUn livre magnifique, intemporel,dont la mise en page est à lahauteur des pièces de joaillerieprésentées. De broche en parure,de bague en bracelet, lacréativité de la maison Van Cleef& Arpels se déroule en un longruban éclatant de la couleur etde la beauté des pierres. Chaquebijou est unique par l’art dusertissage, l’assortiment desrubis, des diamants, desémeraudes. Ch.R.Ed. du Cercle d’art, 220 p., 100 ¤.

MÉMOIRE DU RESTAURANTFrançois Régis GaudryDes premiers restaurants à laveille de la Révolution auxgrandes heures des boulevards,François Régis Gaudry dresseun tableau pittoresque de latable au XIXe siècle qui voitapparaître les restaurantspopulaires (les bouillons) puis,après 1870, les brasseries.Conduite avec verve etérudition, cette présentationcritique apporte une illustrationsouvent originale soutenue parnombre d’anecdotes et traitsd’époque. J.-C. Ri.Aubanel, 222 p., 39 ¤.

HOMARUS BOXTriptyque (la base,le produit, le plat)de Filip Verheydenet Tony Le DucVoici un petit bijou éditorialsous la forme de trois ouvragescartonnés dorés sur tranche,sobrement mis en page etagrémentés d’illustrationsexplicites. Le premier livre estconsacré à la base, car il nesaurait y avoir de cuisine sansconnaissance des techniques,ingrédients et gestes ducuisinier. Le deuxième est dédiéaux produits. Le plat, troisièmepartie, est consacré auxprincipales recettes d’unrépertoire allant des grandsclassiques de la cuisinebourgeoise aux écumes,mousses et autres gélifiants dela cuisine d’avant-garde.J.-C. Ri.Homarus Editions culinaires(Belgique), 3 vol. de 320 p.,79,50 ¤.

PARKER ILLUSTRÉ DESPLUS BEAUX VIGNOBLESDE FRANCE ET DU MONDEde Robert ParkerUn tour du monde desvignobles d’exception mené parle plus célèbre (et redouté) descritiques viticoles, RobertParker. Loin d’être exhaustif,ce superbe ouvrage est surtoutl’occasion de réviser sesclassiques, ou plutôt de rêver àces vins de légende qu’on neboira jamais. J. G.Solar, 816 p, 90 ¤.

ZOOM

Beaux livres Art de vivre

Page 12: Revista Historia en Francés

Plusieurs options s’offrent àl’amateur de beaux livres. La pre-mière, celle du vagabondage, estbrillamment illustrée par l’ouvra-

ge que Vincent Pinel consacre au ciné-ma français. Il s’agit d’une propositionde travelling sur le cinéma français. Par-cours ludique, focalisé sur quelquesdates-événements concernant des per-sonnalités, des œuvres ou des faits, cet-te histoire initiée par les frères Lumièreet s’achevant avec la révolution de lacaméra DV est belle à regarder et syn-thétisée à l’aide de textes brefs et d’enca-drés qui font resurgir films, auteurs,acteurs et actrices, débats, courants, éco-les esthétiques. Rien de très original,peut-être, mais un concept réussi etcompétent, et puis, tout de même, despartis pris qui régalent. Les photogra-phies choisies ne sont pas toujours cel-les que l’on attend (tant mieux), les cha-pitres ne sont pas convenus, voire auda-cieux (vive le coup de projecteur surChris Marker !) et tout le monde sait-ilce que fut le « cinéma de Babel », ceque représenta Marcello Pagliero ?(Cinéma français, de Vincent Pinel,Cahiers du cinéma, 320 p., 45 ¤).

Autre point de vue : celui de l’exhaus-tivité. Il est adopté par deux férus decinéma asiatique à destination desmaniaques (ou futurs…), auxquels lemarché du DVD offre de plus en plusd’explorations. Pas d’autre approche icique celle des faits, pas d’analyses, plutôtune recension des genres, des studios,des acteurs (les méchants, les comiques,les beautés fatales…), réalisateurs, tech-niciens et une somme de documents(box-office, awards, filmographie), chro-nologie, glossaire, guide pratique ducantonais, 9 463 films recensés. Hormisun petit cahier central reproduisant desaffiches locales, ce dictionnaire géant afait le pari (économique) du noir etblanc (Encyclopédie du cinéma de Hong-Kong des origines à nos jours, d’EmrikGouneau et Léonard Amara, Les BellesLettres, 562 p., 62 ¤).

Objet féticheDans la catégorie du pavé destiné aux

fans sort un album entièrement consa-cré aux trois derniers épisodes de lasaga Star Wars. Pour tout savoir sur lessecrets de tournage de 1. La Menace fan-tôme, 2. L’Attaque des clones, 3. La Revan-

che des Sith, pour tout voir surtout carl’ouvrage est essentiellement visuel,conçu comme une exposition, avec plan-ches dépliables faisant l’inventaire desarmes de combat. A condition d’avoirdes biceps (le livre pèse un bon poids)vous saurez tout (maquettes, costumes)sur les lieux, vaisseaux, personnages,droïdes, bestioles effrayantes, accessoi-res, pilotes de modules, batailles. Entrecatalogue de luxe, produit dérivé pourbibliothèque galactique et objet fétichepouvant être dépiauté en posters (sacri-lège !), voilà un livre générationnel (StarWars, La Prélogie, de StephenJ. Sansweet et Pablo Hidalgo, Flamma-rion, 344 p., 120 ¤).

Spécialiste du dessin d’animation,Pierre Lambert est le prototype d’hom-

me qui s’est laissé enfermer dans la grot-te d’Ali Baba. La sienne se nomme WaltDisney, et après s’être penché sur le ber-ceau de Pinocchio, Mickey et Blanche-Neige, il propose un paquet cadeau surla grande période de l’œuvre du cartoo-niste. L’intérêt principal de cette sommeréside dans l’iconographie, fastueuse :cellulo sur décor de production à lagouache, croquis, documents originaux,exploration des films à la loupe, du pro-jet initial à la réalisation finale. L’ouvra-ge (Walt Disney, l’âge d’or, de PierreLambert, Démons et Merveilles, 296 p.,59 ¤) complète le catalogue (indispensa-ble) de l’exposition « Disney » qui setient actuellement au Grand Palais, dontPierre Lambert est l’un des commissai-res (Il était une fois Walt Disney, 356 p.,45 ¤).

Il existe une autre tradition du beaulivre de cinéma : celle de l’évocation dessalles mythiques et du culte du septièmeart. Elle est honorée dans un album dephotographies en noir et blanc d’AlainPotignon, recension de salles parisien-nes (Nos Cinémas de quartier, Parigram-me, 160 p., 25 ¤), et surtout dans le par-cours nostalgique d’Olivier Barrot etAlain Bouldouyre, où tout, clichés, cro-quis, reproduction de couvertures derevues, scènes de rue, appareils de pro-jection, respire le rétro des ciné-clubs,salles cultes, actualités, affiches (Voya-ges au pays des salles obscures, Hoëbeke,126 p., 29 ¤). A cette mythologie appar-tiennent également les films de l’entrac-te, en particulier les pubs Jean Mineurqui, elles aussi, ont droit à leur album(La publicité fait son cinéma, de FabriceCarlier, Flammarion, 232 p., 30 ¤). a

Jean-Luc Douin

GODARD AU TRAVAIL,les années 60d’Alain BergalaMagnifique ouvrage, àl’iconographie parfois inédite,sur la genèse des quinzepremiers longs métrages deGodard, soit d’A bout de souffle

à Week-end. A l’issue d’untravail d’enquête incluantdivers témoignages, AlainBergala replace les mythes decréation dans la réalité, aurisque de contrarier deslégendes. Ce livre est lachronique de tournages defilms moins improvisés que cequi fut cru, le récit de choixtechniques, de tergiversationssur l’engagement d’une actrice.Et répond à des questions passi innocentes que cela :pourquoi Anna Karina seprénomme-t-elle Odile dansBande à part ? J.-L. D.Ed. des Cahiers du cinéma,384 p., 59 ¤.

SAINT-GERMAIN-DES-PRÉSEntretiens de Juliette Grécoavec Michael Delmar etSophie Agacinski.S’« il n’y a plus d’après àSaint-Germain-des-Prés », il y aun « toujours », un moment del’Histoire, où, après le chaos dela deuxième guerre mondiale,on a tenté de retrouver la joiede l’existence. Une jeune filleétrange, alors mutique, était là,avec Sartre, Beauvoir, Vian etles autres. Elle s’appelaitJuliette Gréco, elle est devenueune chanteuse mythique, etelle est le fil rouge de ce belalbum de mémoire, dontl’excellent travailiconographique est dû à YannAubry. Jo. S.Ed. Michel Lafon, 194 p., 39,90 ¤.

MARLON BRANDO,de Patrick BrionIllustrée par plus de300 images qui s’appuient surdes témoignages, desanecdotes et un impeccabletravail biographique, cettemonographie retrace la vie etla carrière de l’acteur le pluscélèbre de l’histoire du cinéma.Cette vision synthétique deBrando fait surgir la carrièreinégale, chaotique et fascinantede l’interprète de Sur lesquais ou encore ApocalypseNow. S. BdLa Martinière, 318 p., 39 ¤.

AUDREY HEPBURN,souvenirs et trésors d’unefemme d’élégance,d’Ellen Erwinet Jessica Z. DiamondVous aimez Audrey Hepburn,et pensez tout connaître de lasublime interprète deVacances romaines, Le Vent dela plaine ou encore Diamantssur canapé ? Alors un conseil :précipitez-vous sur AudreyHepburn, souvenirs et trésorsd’une femme d’élégance. Carpour un beau livre, ç’en estun. Exceptionnel même, unvéritable livre à trésors. Ungrand coup de chapeau àl’éditeur, Naïve, pour avoir suaccomplir ce véritable tour deforce éditorial.F. N.Traduit par Nathalie Peronny,Naïve, 194 p., 35 ¤.

PARAISOS PERDIDOS1400-1506. ChristophorusColumbusPour les 500 ans de la mort deChristophe Colomb,Hesperion XXI et La CapellaReial de Catalunya proposentun fascinant parcours à traversles musiquesarabo-andalouses, juives etchrétiennes de l’antiqueHesperia au premier temps duNouveau Monde. Un voyage àtravers les textes, poésies etrécits, qui mêlent languesarabe, hébraïque, araméenne,latine, castillane, nahuatl etd’autres encore. Le livre,multilingue, est superbementillustré. Ph.-J. C.Alia Vox, « Raices & Memoria »,AVSA 9850 A + B,272 p. + 2 CD.

THE ROLLING STONES,les débuts d’une légende,photographies et textesde Bent RejDu 25 mars 1965, à Copenhagueau 1er mai 1966, à Londres, lephotographe Bent Rej est dansles traces des Rolling Stones, entrain de devenir le deuxièmegroupe le plus important aumonde avec les Beatles. Lesregards sont encore naïfs, lesattitudes ont une allégresse noncalculée. Ce qui rend précieusesles 300 images, pour la plupartinédites, de ce recueil. Mise enpage dynamique qui souligne lescontrastes entre la sauvagerie

scénique et la gaminerie deséquences intimes. S. Si.Ed. Tana, 320 p., 45 ¤.

COLUCHE, UN MEC LIBRE,de Laurent Balandras etFabienne Waks

Des premiers pas de Coluche surles planches du Café de la Gareà la création des Restos ducœur, cette biographie restitueson parcours atypique, maisaussi toute une époque. M. S.Textuel, 192 p., 49 ¤.

Cinéma La Pagode à Paris ALAIN POTIGNON

ANNA HALPRINA l’origine de la performancede Jacqueline Caux.

Panama, 176 p., 29 ¤.

Anna Halprin, à l’origine de la per-formance est le livre de cetteannée, par ailleurs assez pauvre

en publications qui seraient, à son ima-ge, traversées par une pensée, sinonune hypothèse intrigante. JacquelineCaux, elle, ne craint pas de s’adresseraux méninges de son lecteur. Il s’agitd’un vrai livre dans lequel les photosne sont pas là pour faire de la figura-tion, mais pour démontrer l’audace, lamodernité réjouissante d’une des pion-nières de la performance, cet « art duvivant en révolte contre toutes les limita-tions façonnées par l’ordre établi ».

L’auteur tient bon la barre, se pla-çant à la hauteur de l’époustouflanteAnna Halprin, chorégraphe qui a toutinventé de la liberté artistique au tour-nant des années 1950 – sa premièrepièce, The Lonely One, créée en 1944,lui valut les éloges de John Cage. Toutau long des interviews, dont les ques-tions n’ont rien de cette superficialitéde rigueur ailleurs, Jacqueline Cauxnous fait pénétrer dans les mystèresd’une création unique, matrice origi-nelle de créations rebelles, s’appuyantsur des concepts révolutionnaires –aujourd’hui copiés, pillés : à savoir,création collective, refus de faire écoleou de diriger une compagnie, improvi-sations dansées dans tous les lieux ima-ginables, sauf dans les théâtres de l’or-dre bourgeois. Un régal d’intelligence,très cruel pour les chorégraphesactuels qui se voudraient les héritiersde cet esprit libertaire.

Plus léger, le livre de notre collabora-trice Rosita Boisseau, intitulé Panoramade la danse contemporaine (Textuel,608 p., 59 ¤) dont le titre même annon-ce le contenu : un passage en revue,avec interviews, de 90 artistes de la dan-se contemporaine. Une question cepen-dant : pourquoi Pina Bausch, évidem-ment présente dans cet ouvrage par lesphotos, n’a-t-elle pas répondu au ques-tionnaire ? a

Dominique Frétard

ZOOM

ORSON WELLES AU TRAVAILde Jean-Pierre Berthoméet François Thomas.

Ed. Cahiers du cinéma, 320 p., 52 ¤.

La carrière cinématographique d’Or-son Welles avance à rebours. Elles’ouvre par Citizen Kane, le film

qu’on attend d’un réalisateur confirmé,au sommet de ses possibilités, tournéavec des moyens dont Welles ne bénéfi-ciera plus par la suite. Elle s’achève enEurope, quasiment en exil, alors que leréalisateur passe d’un projet avorté àun autre, tourne des films-essais (Véri-tés et mensonges ; Filming Othello), ou

des fragments de films (The Dreamers)dans un hangar, avec un dénuementqui sied davantage à un débutant qu’àun maître. La légende Welles repose enpartie sur cette trajectoire illogique.

Le portrait d’un Orson Welles au tra-vail était peut-être la pièce manquantedu puzzle Welles. Celle qui permet,après la multitude de biographies consa-crées au réalisateur, de cerner lescontours d’une carrière chaotique. DeCitizen Kane à Falstaff, en passant pardes projets avortés (le fameux Heart ofDarkness, d’après Joseph Conrad, quidevait être son premier film) lesauteurs ont donc puisé dans des archi-ves américaines et européennes pour

retrouver scénarios, contrats, mémos,story-boards, maquettes, plans de tra-vail, correspondances. L’une des réussi-tes de ce magnifique livre est de parve-nir à un Welles homogène, guidé parun principe d’ébullition. Il travaillaitrégulièrement sur plusieurs films enmême temps, proposant une dizaine desujets au lieu d’un et préparant ses tour-nages avec soin, sans que se dessine ungrand principe de travail. Celui-ci est,au contraire, dicté par le sujet de cha-que film. La méthode de Welles étaitempirique : gérer avec rigueur l’acci-dent et le hasard sans lequel, au ciné-ma, rien n’est possible. a

Samuel Blumenfeld

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Orson Welles, la trajectoire illogique

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Le vagabondage nostalgique ou l’exhaustivité

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