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INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE ET DE DOCUMENTATION PÉDAGOGIQUES SERVICE DES ETUDES ET RECHERCHES PEDAGOGIQUES SENS ET COMMUNICATION TT 1974

SENS ET COMMUNICATION

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Page 1: SENS ET COMMUNICATION

INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE ET DE DOCUMENTATION PÉDAGOGIQUES

SERVICE DES ETUDES ET RECHERCHES PEDAGOGIQUES

SENS ET

COMMUNICATION

TT

1974

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Dans la même collection

2344 - L'enseignement du français à l'école élémentaire - essais et confrontations (1970)

2346 - L'enseignement du français à l'école élémentaire - as­pects linguistiques (1971)

2347 - L'enseignement du français à l'école élémentaire - prin­cipes de l'expérience en cours (1971)

2361 - L'enseignement du français à l'école élémentaire - plan de rénovation - hypothèses d'action pédagogique (1973)

2352 - Linguistique et enseignement du français - recherches au niveau du premier cycle (1969-70 - 1970-71) (1972)

2356 - Enseignement du français et enseignement des mathé­matiques - deuxième cycle du second degré (1972)

2357 - Linguistique fonctionnelle et enseignement du français (1973)

2363 - Enseignement du français et linguistique : problèmes pratiques et théoriques (premier cycle du second degré) (1974)

2365 - Langage : langue parlée, langue écrite et créativité à l'école maternelle (unité de recherche pré-élémentaire) (1974)

Document de recherche à l'usage des établissements

chargés d'expérimentation Tous droits réservés

Page 3: SENS ET COMMUNICATION

SOMMAIRE

Pages

PREALABLES

• Présentation du contenu 9

• Essai de définition d'une recherche pédagogique pour «sens et communication » (Patrick CHARAUDEAU) 11

• Réflexion sémio-linguistique sur la communication (P. CHARAU­DEAU) 19

• Indications bibliographiques 31

A. ELUCIDATION DU SENS

• Problématique I. Enseignement d'une grammaire du sens : hypothèses

(P. CHARAUDEAU) 35 II. Procédure pédagogique (P. CHARAUDEAU) 44

• Exemples I. Exercice d'élucidation sémantique à partir d'une phrase

donnée (Henri BESSE) , . 47 II. Exercice d'élucidation sémantique à partir d'une «faute

d'expression » (P. CHARAUDEAU) 49 III. Exercice d'élucidation de la situation de communication

et approche du récit oral (H. BESSE et P. CHARAU­DEAU) . . . . . . . 52

B, COMMUNICATION ET EXPRESSION

• Tableau de répartition des expérimentations 64 • L'enquête socio-culturelle sur et par la classe

Préliminaires 67 I. Présentation de la fiche (Rémy MARTEL) . 67

II. Compte rendu des premiers résultats (Denise BURGOS et R. MARTEL) . 70

III. Hypothèses scientifiques (P. CHARAUDEAU) 78 IV. Description des circuits de communication de l'expéri­

mentation (P. CHARAUDEAU) 78

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• Discours et enunciation A - OBJECTIF ET INTERPRETATIF DANS L'IMAGE Préliminaires 81

I. Présentation de la fiche (R. MARTEL) 82 II. Hypothèses sémio-linguistiques sous-jacentes (P. CHA-

RAUDEAU) 85 III. Description des circuits de communication mis en œuvre

dans l'expérimentation (P. CHARAUDEAU) 88 IV. Compte rendu des premiers résultats (André TOURNES

et Annie HUCHON) 91

B - OBJECTIF ET SUBJECTIF DANS LES TEXTES Préliminaires 99

I. Hypothèses sémio-linguistiques sous-jacentes (P. CHA­RAUDEAU) 99

II a. Exercices sur des titres de journaux 104 1. Présentation de la fiche (R. MARTEL) 104

2. Compte rendu des premiers résultats (Bertrand MURCIER) 105

II b. Exercices sur « La Plage » de R. Grillet 110 1. Présentation de la fiche (R. MARTEL) 110 2. Compte rendu des premiers résultats (Martine

BEAULU) 111

II c. Exercices sur un extrait de « La Modification » 117 1. Présentation de la fiche (R. MARTEL) 117

2. Compte rendu des premiers résultats (Martine BEAULU) 118

• Structures narratives : premiers exercices Préliminaires 121

I. Présentation de la fiche : différence entre fonction et qualification (R. MARTEL) 121

II. Exercice de production : élaboration d'une consigne et compte rendu des résultats (M. BEAULU) 123

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Page 5: SENS ET COMMUNICATION

C. ANNEXES THEORIQUES

• Eléments pour une description des circuits de communication et des comportements individuels dans le groupe (P. CHA-RAUDEAU) 129

• Eléments pour une description sémantique des énoncés d'un dialogue (H. BESSE) 133

• Eléments pour un classement sémantique des catégories gram­maticales (P. CHARAUDEAU) 145

• Eléments pour une description des structures narratives (d'après Cl. BREMOND) 159

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Page 6: SENS ET COMMUNICATION

PRÉALABLES

• PRESENTATION DU CONTENU

• ESSAI DE DEFINITION D'UNE RECHERCHE PEDAGOGIQUE POUR « SENS ET COMMUNICATION »

• REFLEXION SEMIO-LINGUISTIQUE SUR LA COMMUNICATION

• INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

Page 7: SENS ET COMMUNICATION

PRESENTATION Généralement, les problèmes pédagogiques sont posés en ter-DU CONTENU m e s c l e " transmission » du savoir. Il s'agit, dans cette perspec­

tive, de trouver la méthode pédagogique la plus adéquate à faire « passer » un savoir donné, de sorte que l'élève « assimile » un certain nombre de connaissances et ne soit pas une simple machine à enregistrer.

Cependant, même lorsque ce savoir ne vient pas du maître mais des livres, ou même lorsque le maître imagine une tactique pédagogique Inductive pour amener progressivement l'élève à acquérir le dit savoir, il nous apparaît qu'il s'agit toujours d'une procédure de transmission.

Ce que nous voulons faire c'est poser les problèmes pédago­giques en termes de « construction » du savoir par les élèves, savoir à visage multiple qui naît des rapports de communication qui s'établissent entre les individus.

Dans cette dernière perspective, la problématique pédagogique n'est plus affaire d'application des sciences humaines (linguis­tique, psychologie, sociologie, etc.), mais elle fait partie inté­grante d'une réflexion théorique sur les faits de communication et de langage.

C'est pourquoi nous accordons, dans nos travaux de recherche, autant d'importance à la réflexion théorique (1) qu'aux procé­dures pédagogiques proprement dites. On le remarquera tout au long de la présentation de nos expérimentations ainsi que par l'existence des annexes théoriques en fin d'ouvrage.

Le travail que nous présentons, ici, et qui n'est qu'une partie d'un projet de longue haleine, peut se résumer en une préoccu­pation et deux axes de recherche : — Notre préoccupation c'est de créer une pédagogie qui place l'élève au cœur des mécanismes de la Communication du point de vue du Sens, rejetant délibérément la surface stylistique du discours.

Nos axes de recherche sont : — l'un plus strictement linguistique, c'est-à-dire plus tourné vers la phrase, encore que nous n'éliminions jamais totalement la dimension énonciative du discours. Il s'agit de la première partie « Elucidation du Sens » ; — l'autre plus sémio-linguistique, c'est-à-dire tourné vers la totalité du discours comme acte de communication. C'est la deuxième partie « Communication et Expression ».

Chacune de ces parties se présente d'une façon particulière parce qu'elle est le résultat du travail d'un groupe particulier — et de toute évidence chaque groupe a une personnalité qui lui

(1) A ce propos, nous conseillons au lecteur de commencer par la lecture des deux premières annexes.

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est propre —, mais cette différence tient également au fait que le groupe « Elucidation du Sens » travaille aux niveaux du pre­mier degré et du premier cycle du second degré, alors que le groupe « Communication et Expression » travaille exclusivement au niveau du second degré.

Un dernier mot pour émettre un vœu : que nos collègues du premier et du second degrés nous fassent part de leurs criti­ques : une recherche de cet ordre a besoin d'être constamment confrontée à la multiplicité des réalités pédagogiques, et pour autant que nous expérimentions nous-mêmes en classe, nous ne pourrons jamais nous passer des réactions des autres collègues.

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Page 9: SENS ET COMMUNICATION

ESSAI DE DEFINITION D'UNE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE POUR «SENS ET COMMUNICATION»

PREAMBULES

Travaillant essentiellement dans le domaine psycho-socio-linguistique, nous ne pouvions pas ne pas nous interroger, parallèlement à nos recherches pédago­giques, sur ce que sont nos hypothèses théoriques de base, sur notre conception d'une méthodologie de l'enseignement du français, et donc, du même coup, sur ce que devrait être le cadre dans lequel nous déployons notre activité de recherche.

Il est évident qu'une telle réflexion impliquait d'une part que nous analysions et critiquions des modèles existants et d'autre part que nous « théorisions » à partir du concret de nos expérimentations, pour essayer d'aboutir à un ensemble cohérent d'hypo­thèses.

Ceci explique, par conséquence, que nous soyions amené à nous définir en contrepoint d'une certaine façon de concevoir la recherche pédagogique (I), sans compter que cette façon de procéder permettra de mieux faire ressortir nos propres hypothèses (Il et III).

L CE QUE NOUS NE FAISONS PAS

Ce que nous voulons éviter de faire — et cela n'est pas simple —, c'est de l'application d'une disci­pline scientifique. Nous ne faisons pas de la linguis­tique appliquée, nous ne faisons pas de la sémio-tique appliquée, ni de la psychologie appliquée, ni de la psycho-sociologie appliquée, etc., mais nous essayons de définir, en la faisant émerger de nos

expérimentations, une « problématique pédagogi­que » qui tienne compte des données de la linguis­tique moderne, de la sémiotique, de la psychologie, etc., ce qui est très différent.

Les raisons, qui font que nous nous opposons à cette vue « applicative » de la pédagogie, sont au nombre de deux ; l'une étant corrélative de l'autre.

1) Première raison : Il ne faut pas confondre expé­riences scientifiques qui s'inscrivent dans le cadre de la théorie d'une discipline scientifique et expéri­mentation pédagogique qui s'inscrit dans le cadre d'une méthodologie particulière et autonome, la­quelle repose sur une réalité tout aussi particulière : la classe.

Exemples : — Faire une expérience de « dynamique de groupe » dans la classe, c'est faire une expérience de psycho-sociologie et non une expérience péda­gogique dans la mesure où cette expérience de dyna­mique de groupe, pour être probante, neutralise, provisoirement, l'une des composantes de la réalité pédagogique — par exemple, travail sur les procé­dures et élimination du contenu.

— Tester à partir de quel âge on peut étudier les « structures narratives » avec les élèves, ou tester la différence de comportements selon les âges et les sexes en face de ce phénomène sémiotique im­plique également l'élimination d'un certain nombre d'autres composantes qui devraient entrer à part entière dans l'activité pédagogique.

— Tester les performances de raisonnement des en­fants en fonction d'un certain nombre de paramètres, ampute forcément la relation pédagogique de l'une ou l'autre de ses composantes.

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— Enfin, vérifier la validité de tel modèle méta-linguistique grammatical ou lexical, nous semble beaucoup plus tourné vers le modèle en question que vers ce qu'est la totalité de l'acte pédagogique. Mais entendons-nous bien, il n'est pas question de dénier à ces procédures expérimentales leur valeur, ni même l'utilité qu'elles peuvent avoir pour amé­liorer la méthodologie de l'enseignement. Celle-ci a besoin de connaître les procédures de communi­cation dans le groupe-classe, elle a besoin de connaî­tre les conditions de saisie et de production des structures narratives et de tel ou tel type de raison­nement, elle a besoin, enfin, de savoir comment réagissent les élèves devant tel ou tel métalangage qu'on pourrait leur proposer.

Nous disons cependant que ces procédures expéri­mentales n'appartiennent pas en propre à la totalité pédagogique que nous, nous voudrions saisir à tra­vers une méthodologie qui aurait son autonomie.

2) Deuxième raison : En rester à une procédure d'expérimentation telle que nous venons de la dé­finir, et qui se trouve hors du cadre proprement méthodologique c'est, à notre avis, maintenir une partition totalement artificielle des activités de la classe de français. En effet le découpage de ces ac­tivités sera toujours : la «classe de grammaire», la « classe de vocabulaire » —qu'on appellera main­tenant méthodologie de l'enseignement de la gram­maire et de l'enseignement du lexique —, un fourre-tout qu'on appelle « classe d'expression » dans lequel on met toutes les activités de communication orale, plus ou moins libre et certaines activités de commu­nication écrite, et enfin, « classe de littérature » à laquelle on ne donnera certainement plus le même intitulé, mais qui correspondra au moment où l'on traitera de thèmes littéraires, philosophiques, idéo­logiques, voire politiques.

Notre critique à l'égard de cette « partition artifi­cielle des activités de la classe de français » repose sur une position à la fois théorique et méthodo­logique de notre part. On ne les exposera pas dans le détail, et nos deuxième et troisième points les mettront en évidence. Disons seulement que du point de vue d'une théorie sémio-linguistique de la communication on ne voit pas du tout à quoi correspond cette partition et on peut donc se de­mander si un modèle pédagogique peut être en contradiction avec les phénomènes réels de la communication humaine.

D'autre part, du point de vue méthodologique il nous paraît important de ne pas confondre « mé­thodologie de l'enseignement du français » et « types de classe ». La « méthodologie » fournit l'ensemble des composantes de base dont doit dépendre l'activité pédagogique de la classe. C'est donc « une totalité ». Le « type de classe » est la spécification de certaines actions pédagogiques ; mais ces actions pédagogi­ques, ponctuelles par conséquent, doivent inclure la totalité méthodologique précédente.

Exemple : si en classe on veut faire découvrir aux élèves certaines structurations de langue, la procé­dure mise en place devra tenir compte de la totalité méthodologique. Ainsi un type de classe que l'on pourrait baptiser « découverte des structures lin­guistiques du français » devrait inclure le gramma­tical, le lexical, et une procédure de travail qui tienne compte des composantes psycho-socio-sémio-linguistiques.

II. NOTRE CONCEPTION DE LA RECHERCHE PEDAGOGIQUE

Chemin faisant, nous avons dégagé lés différents niveaux qui composent ce cadre de recherche que nous croyons très particulière.

1) Tout d'abord le niveau théorique : « probléma­tique de la communication ».

Que serait, en effet, une expérimentation pédago­gique sans théorie sur la communication alors que « le pédagogique » est, par excellence, de la commu­nication ? De même que serait une pédagogie de la littérature sans théorie de la littérature ? — Et l'on peut se demander, à ce propos, si l'échec de cet enseignement ne tient pas autant à l'absence de pédagogie qu'à l'absence d'une problématique de la littérature —.

Cette problématique de la communication est, pour nous, de type sémio-linguistique et essaye de rendre compte de la totalité des faits de communication.

2) Le niveau méthodologique : « méthodologie de l'enseignement du français » qui est radicalement tourné vers le pédagogique mais utilise les données

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des sciences humaines. Ce niveau est autonome, il a son existence propre et c'est là que se situent les concepts qui président à l'activité pédagogique en général (voir III - 2).

C'est à ce niveau également que se situent nos pro­cédures d'expérimentations.

3.) Le niveau : « expérimentations scientifiques » se trouve entre 1) et 2) mais, comme nous l'avons déjà dit, il est plus dépendant de 1) que de 2) et cependant il est indispensable à la construction du modèle méthodologique.

4) Le niveau : « types de classe » qui ne peut se dé­finir qu'après avoir établi le cadre méthodologique et qui constitue la spécification de l'activité pé­dagogique générale en fonction d'une classe par­ticulière. Cette spécification dépendra aussi bien de l'infrastructure administrative, que des moyens matériels existants, du cadre d'enseignement, de l'âge des enfants, du milieu social de recrutement, bref d'un certain nombre de paramètres sociolo­giques et socio-économiques.

C'est le domaine de la pédagogie différenciée.

Schéma résumé ci-dessous.

Remarques : a) Certaines flèches sont doublement orientées ; c'est que toute expérimentation et ré­

flexion à l'un des niveaux se répercute sur l'autre. Et nous n'hésiterons pas à dire que la réflexion méthodologique nous a permis de préciser des points théoriques encore obscurs.

b) On voit que dans un tel cadre de recherche, l'évaluation pose des problèmes.

Elle est possible dans le cadre de l'expérimentation scientifique puisque celle-ci cherche par sa pro­cédure même à vérifier des résultats.

Mais elle est difficile dans le cadre méthodologique puisque l'expérimentation parie sur une transfor­mation à long terme des procédures de saisie et de production des phénomènes sémio-linguistiques de la part de l'enfant ; on ne peut donc savoir par avance « ce qu'il faut regarder » pour procéder à une évaluation. L'évaluation n'est guère possible dans une activité à visée prospective.

c) Enfin dernière remarque, étant donné que la « méthodologie de l'enseignement du français » n'est pas un modèle rigide de procédures figées, mais un cadre d'activité pédagogique avec ses compo­santes et ses types d'action, on comprend aisément que le succès d'une pédagogie moderne dépende de la formation du maître. Car au bout du compte ce cadre méthodologique c'est un « savoir interroger, découvrir et analyser » les phénomènes sémio-lin­guistiques à travers des procédures de communica­tion. Il faut donc que le maître possède lui-même ce type de savoir-faire.

Problématique communication

#

Méthodologie enseignement

^ >

Types de classe

%

Expériences scientifiques

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III. NOS HYPOTHESES DE TRAVAIL

1. Problématique de la communication

Nos hypothèses sont présentées au fur et à mesure de la publication de nos travaux, car il nous paraît indispensable qu'elles s'enracinent dans une expé­rimentation et qu'inversement les enseignants se rendent compte que nos expérimentations s'inscri­vent dans un cadre théorique cohérent.

Essayons cependant d'en donner les lignes de force.

a) Tout acte de communication repose sur un rap­port triangulaire IL < JE > TU, centré sur le JE.

Donc communiquer c'est, à la fois, symboliser le monde ( « parler le monde » ) et transmettre cette symbolisation. En cela tous les actes de discours sont des actes de communication, de l'information « banale !» à la poésie.

b) Mais cette « transmission » ne va pas de soi, car le récepteur (TU) n'est pas l'émetteur (JE). Pour lui, le discours qui lui est transmis est « opaque » ; il doit le «découvrir». Il a, pour cela, la possi­bilité de « prendre possession » de la parole à son tour, pour demander des elucidations au JE précé­dent, s'opposer à lui ou surenchérir sur lui. Du même coup on voit que tout JE reçoit un reflet du discours qu'il a produit à travers les réactions du TU.

Conclusion : l'acte de communication n'est pas sim­plement un acte de diffusion d'information à un interlocuteur qui enregistrerait passivement, mais bien un acte polémique puisque JE et TU se trou­vent dans un rapport de surenchère qui tient à ce que chacun des interlocuteurs, devant la spécificité de fait de son discours cherche à établir un consen­sus avec l'autre (dualité : consensus / spécificité).

c) Conséquence : ce que « transmet » le JE dépend du type de rapport qu'il établit avec le TU. Autre­ment dit la « symbolisation » du monde est rela­tive à ce type de rapport. C'est pourquoi nous disons que tout discours s'inscrit avec ou contre des discours antécédants, ce qui constitue «l'implicite du dis­cours ».

Cela nous amène à une autre conclusion : puisque la symbolisation (c'est-à-dire la « construction du

savoir ») se fait à travers des rapports polémiques, c'est que le « savoir » n'est pas pré-constitué ; cha­que individu se construit son propre savoir à travers une somme de rapports de communication, et donc le « savoir » n'est pas unique mais relatif à cette somme de rapports de communication.

2. Niveau méthodologique

• Nous voudrions donc créer une pédagogie dans laquelle l'élève n'aurait plus à recevoir — même du mieux possible — un savoir préconstitué mais serait amené plutôt à se construire son propre savoir, et à en prendre la mesure. Nous voudrions que tout élève lorsqu'il produit un discours ne se contente pas de reproduire un savoir qui appartient à un certain modèle pédagogique, mais soit un JE à part entière, responsable et conscient du discours qu'il produit.

• Mais maintenant se pose la question de savoir « comment » atteindre cet objectif ? Réponse : Essentiellement par la mise en œuvre d'une « technique d'élucidation » à travers certaines procédures de communication.

• Cette « technique d'élucidation », on le compren­dra aisément, se définit au fur et à mesure de nos expérimentations, puisqu'il faut qu'elle émerge de la réalité pédagogique.

Cependant nous pouvons déjà en donner les fonde­ments.

Il faut, pour cela, distinguer « problématique de l'élucidation » et « domaine d'application ».

2.1. PROBLEMATIQUE DE i L'ELUCIDATION

Pour qu'il y ait véritablement elucidation efficace, il faut trois conditions : — Faire découvrir le phénomène qui fait problème, et le localiser. — Donner la possibilité d'analyser ce phénomène. — Exécuter ce travail de découverte et d'analyse dans une démarche essentiellement inductive.

Autrement dit il faut :

a) Mettre l'élève dans des conditions d'exercice qui l'obligent à; découvrir, à travers la manipulation

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Page 13: SENS ET COMMUNICATION

d'un matériau et à travers les blocages du circuit de communication dans lequel il se trouve, un phénomène auquel il n'était pas forcément sensible. C'est ici que se situe notre recherche sur les « tech­niques de simulation des circuits de communica­tion».

b) Lui fournir des possibilités d'explication en lui proposant plusieurs façons d'interroger le phéno­mène en question, et en faisant en sorte que ces façons d'interroger et les réponses apportées soient le fait de l'ensemble de la classe. C'est ici que se situe notre réflexion sur les « techniques métalin-guistiques d'élucidation».

Ainsi il y a d'abord une elucidation qui passe par une « pratique » avant qu'elle mette en jeu une «connaissance».

Au total il y a un mouvement d'enchaînement suc­cessif « pratique-connaissance » puisque après la phase technique d'analyse il y a une nouvelle mise en oeuvre de la « pratique » qui permet une récur­rence sur la pratique précédente et la découverte de nouveaux phénomènes.

C'est donc ce mouvement « pratique -*• connais­sance -»• pratique -*• connaissance » qui constitue la problématique de l'élucidation et on remarquera, à travers la lecture de nos travaux, que toutes nos procédures pédagogiques respectent cette probléma­tique (voir procédure pédagogique de l'élucidation du sens). (A. II p. 44).

2.2. DOMAINES D'APPLICATION DE L'ELUCIDATION

Il y a essentiellement deux domaines d'application : le domaine strictement linguistique, et le domaine sémio-linguistique.

a) D. LINGUISTIQUE : C'est le lieu de découverte et d'analyse des structures linguistiques de la langue (structures grammaticales et lexicales) à travers des procédures pédagogiques inductives.

b) D. SEMIO-LINGUISTIQUE : C'est le lieu de découverte et d'analyse des phénomènes du discours, tant sous leur aspect formel (comme les structures narratives) que sous leur aspect sémantique (inves­tissement mythique et réactions mythologisantes des élèves) toujours à travers des procédures pédago­giques qui respectent notre problématique de l'élu­cidation.

3. Programme d'expérimentations

Nous sommes maintenant en mesure d'exposer notre double programme d'expérimentation.

3.1. DOMAINE LINGUISTIQUE : «Elucidation du sens et découverte des structures linguistiques du français ».

a) NIVEAU : 1er degré et 1" cycle du second de­gré.

b) PROGRAMME : Il ne peut pas y avoir de pro­gramme détaillé, comme pour l'expérimentation du domaine sémio-linguistique parce qu'il s'agit ici de mettre au point une « technique d'élucidation » pour faire en sorte que les élèves soient amenés à décou­vrir, à prendre conscience et à utiliser les struc­tures linguistiques du français.

Cette technique est élaborée à partir de quatre points de départ :

— Les productions que l'élève est amené à faire, soit qu'on le place dans une certaine tâche, soit qu'il ait été mis au contact de l'événement.

— Des corpus pré-constitués par le maître ou les élèves comme les tables de concordances, articles de dictionnaire à critiquer, liste d'exemples, ma­nuels, etc.

— Documents visuels, images, bandes dessinées, sketches en films fixes, etc. — Textes littéraires ou non-littéraires pour étudier les cas de transferts, les techniques rhétoriques, et d'une façon générale les jeux de langage.

3.2. DOMAINE SEMIO-LINGUISTIQUE :

« Structures du discours et procédures de commu­nication ».

a) NIVEAU 1" et 2° cycles du second degré.

b) PROGRAMME : Tout discours est la résultante de la mise en oeuvre des différentes fonctions du langage (polémique, référentielle, rhétorique, etc.), et c'est selon le degré de participation de ces fonc­tions que l'on peut différencier les discours et les grouper par types.

Nous avons donc pensé qu'il fallait d'abord décom­poser ces différents aspects du discours, les étudier

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Page 14: SENS ET COMMUNICATION

avec les élèves de façon à mieux recomposer ensuite l'ensemble de tout acte de communication qui inclut ces différents aspects.

D'où notre découpage, purement tactique, qui nous permet de faire nos expérimentations, par séries, sur chacun de ces aspects : 1) Discours narratif

2) Discours polémique

3i) Discours rhétorique

4) Variété des discours

1) Discours narratif

Etude du discours narratif à travers :

a) ETUDE SUR DESCRIPTION OBJECTIVE ET DESCRIPTION INTERPRETATIVE A PARTIR DE :

— Image fixe

— Textes (non-littéraires et littéraires)

— Production des élèves

b) ETUDE SUR L'OPPOSITION DIALOGUE/RE­CIT ET SUR LES DIFFERENTS TYPES DE RE­CITS en fonction des circuits de communication à partir de :

— Séquences d'images

— Textes (non-littéraires et littéraires) — Production des élèves

c) ETUDE DES STRUCTURES NARRATIVES à partir de :

—• Production des élèves

— Travail comparé sur contes, nouvelles, etc.

— Les structures narratives au cinéma, au théâtre.

d) QU'EST-CE QUE LE DISCOURS CRITIQUE ?

2) Discours polémique

a) ETUDE DE L'ARGUMENTATION LINGUISTI­QUE A TRAVERS : — Le discours publicitaire

— Le discours propagandiste — Le discours d'essai philosophique — Le discours informatif et critique

b) QU'EST-CE QUE L'ENQUETE DU POINT DE VUE DE LA COMMUNICATION?

3) Discours rhétorique

a) ETUDE DES PROCEDES RHETORIQUES A TRAVERS : — Les titres de journaux — La publicité — L'humour — La chanson — L'argot

— La poésie

b) QU'EST-CE QUE LA POESIE ?

4) Variété des discours

a) ETUDE DES DIFFERENTS TYPES DE DIS­COURS DE LA PRESSE et des situations énon-ciatives qu'ils véhiculent :

—> Chronique (?)

— Faits divers (?)

— Articles de fond (?), etc.

b) ETUDE D'AUTRES DISCOURS

— Scientifique

>— Didactique

— etc.

c) QU'EST-CE QU'ECRIRE, QU'EST-CE QUE PARLER?

Remarques : Il est évident qu'il n'y a pas de cloi­sons étanches entre chacune de ces séries. A propos du narratif on rencontrera du rhétorique, à propos du polémique on rencontrera du narratif et du rhé­torique, etc. Nous en avons conscience, mais il s'agit, dans chaque partie de bâtir l'expérimentation autour d'une procédure discursive particulière.

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Page 15: SENS ET COMMUNICATION

• Chaque série d'expérimentation forme donc un tout en soi et possède une certaine autonomie. Mais en même temps, chacune d'elles s'articule sur la suivante pour constituer un nouvel ensemble chaque fois plus complet.

• C'est tout au long de nos expérimentations que nous nous interrogeons simultanément sur les pro­cédures de communication, et les techniques d'élu-cidation puisque nous avons vu (méthodologie) que nous ne voulions pas séparer «procédures» de « contenu », le savoir de l'élève se construisant dans et par les procédures pédagogiques.

• Enfin on fera la remarque suivante : à aucun moment nous n'avons parlé de littérature ni de discours littéraire. Non point que nous ne croyions pas à une telle réalité, mais parce que nous refusons de considérer l'œuvre littéraire comme ayant une fin en soi. Elle est, pour nous, une des manifestations possibles d ' o u t r e chose», autrement dit elle est l'actualisation possible (dépendant d'une codification particulière) d'un discours multiple qui «parle le monde ».

P. CHARAUDEAU.

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Page 16: SENS ET COMMUNICATION

REFLEXION SEMIO-LINGUISTIQUE SUR LA COMMUNICATION

1. INTRODUCTION

1.0. L'analyse du discours est un secteur de la linguistique en plein développement. Les recherches actuelles se situent aux confins des autres sciences humaines telles psychologie, psychanalyse, sociolo­gie et anthropologie, qui font partie intégrante des phénomènes de communication.

1.1. Le linguiste a longtemps craint de sortir de son champ d'étude strictement linguistique de peur de trahir sa méthodologie ; pour cette raison il considérait avec précaution les tentatives d'ouver­ture vers l'une de ces sciences. Cependant une ré­flexion nouvelle qui se situe à l'intersection de la philosophie du langage et de la sémiotique litté­raire et non-littéraire et de la sémantique, s'est imposée à l'intérieur même de la linguistique, et a obligé le linguiste à remettre en question un certain nombre de présupposés épistémologiques. Cette ré­flexion nouvelle peut être appelée d'un mot : « renonciation ». Avec les études sur renonciation il n'y a plus de linguistique « innocente », comme le dit M. Foucault, « le signe est devenu « malveil­lant », c'est-à-dire non plus clair, mais opaque et « à découvrir » dans toute production de discours puisque se constituant d'une façon spécifique dans chaque production de discours».

Mais cette énonciation constitue également un fait nouveau du point de vue méthodologique car elle permet au linguiste de s'ouvrir vers ces sciences connexes dont nous parlions, sans pour autant sortir indûment de son champ d'investigation, car cette ouverture il la fait à travers une théorie de la communication, qui reste à faire d'ailleurs, mais dont on voit naître les prémisses.

1.2. Ce que nous proposons dans ce court article, ce sont des éléments de définition pour une théorie

de la communication, au vu de quoi nous élabo­rerons un questionnaire destiné à faire apparaître le cadre énonciatif dans lequel a été produit le discours que l'on cherche à étudier.

Mais il faudra se garder de considérer ce ques­tionnaire comme la totalité de l'analyse du discours en question. Il n'est que le premier temps d'une analyse du discours qui devra se prolonger par la recherche des caractéristiques linguistiques (et/ou rhétoriques) de chaque discours étudié.

2. « SENS ET SIGNIFICATION » « ENONCE ET DISCOURS »

2.1. OBSERVATION : soit par exemple :

(1) « A la base des bonnes affaires en Irlande se trouve PAllied Irish Investment Bank».

a) Pour qui a une compétence linguistique suffi­sante en français, cet énoncé est doté de sens ; c'est-à-dire, de la façon la plus empirique qui soit, on comprend quelque chose à cet énoncé.

Bien plus, on est en mesure de décomposer l'infor­mation qui, dans un premier temps, a été saisie globalement.

Ainsi on aurait : (a) « il s'agit des affaires qui se font en Irlande » (b) « ces affaires sont « les bonnes affaires » » (c) « il y a l'Allied Irish Investment Bank »

— plus la relation qui s'établit entre cette dernière information (c) et les deux premières (a) et (b), relation explicite par « à la base de »

19

Page 17: SENS ET COMMUNICATION

— plus une certaine formulation de la phrase qui la rend différente de tout autre formulation.

b) Pourtant cette décomposition ne nous livre pas tout sur la valeur communicatrice de cette phrase.

Faisons un test ; précisons les circonstances de communication qui encadrent ce discours, puis fai­sons-les varier. Nous constaterons que l'information variera en même temps, mais seulement en partie :

— JE (sujet produisant le discours) professe une « idéologie •» anti-capitaliste. Il s'adresse dans l'ins­tant de ce discours à un TU qui essaie (par les discours antécédants) de le convaincre que l'Irlande est un pays à bases démocratiques.

Dans ce cas la phrase produite est un discours qui contiendra, outre les informations précédemment décomposées les informations suivantes : « vous voyez, l'économie de l'Irlande repose sur des trusts financiers » et « voilà la preuve qu'il s'agit d'un pays capitaliste».

— JE appartient à une banque concurrente. TU appartient à la même banque que JE. Le discours de JE pourra alors signifier en plus, et selon la spécificité du rapport JE-TU : « l'AIIB nous est supérieure » et « je l'avoue ».

— JE appartient à l'AIIB.

Il est possible alors que l'information supplémen­taire — toujours pour un rapport JE-TU parti­culier — soit :

« Vraiment nous sommes les plus puissants » et «je m'en vante».

— Supposons à présent, que ce discours soit un slogan publicitaire. Si l'on pose que l'objectif du slogan consiste à provoquer chez le tu-lecteur-consommateur le désir de se procurer un produit, et que, à cette fin, le slogan lie à l'achat du produit, l'espoir d'obtenir une satisfaction, on, acceptera que tout slogan repose d'une façon plus ou moins expli­cite sur le raisonnement suivant (1) : « si vous achetez le produit P, vous obtenez le résultat R», ou « si vous voulez le résultat R, achetez le pro­duit P » .

(1) On lira l'excellent article « implication et publicité » de Y. Blum et J. Brisson in « Langue française », n° 12, Larousse.

Dans cette perspective et pour revenir à notre exemple, on en déduira les informations supplé­mentaires suivantes :

« Si vous voulez que vos affaires soient bonnes, il faut y mettre à la base, l'AIIB. »

« Or, vous ne pouvez que vouloir cela, donc contac­tez l'AIIB. »

c) On voit, par conséquent, qu'on ne peut saisir la totalité de signification d'un discours, qu'en préci­sant les instances du discours, à savoir le JE, le TU et le rapport spécifique, aussi bien matériel qu'imaginé (voir plus loin 3.2.), qui lie JE et TU. La preuve en est qu'il suffit que l'on change ce rapport pour que la totalité de signification d'un même énoncé, change en même temps.

Mais on aura remarqué également que s'il y a va­riation de la totalité de signification concommitament à la variation du rapport JE-TU — plus générale­ment du rapport triangulaire JE-TU-IL que l'on appellera provisoirement circonstances de commu­nication —, il semble que l'énoncé, lui, soit toujours présent avec un « sens global » qui correspondrait à la saisie empirique de cet énoncé hors circonstan­ces de communication par tout individu de même communauté socio-linguistique ayant compétence linguistique suffisante.

Nous pouvons donc anticiper, dès à présent, sur notre explication (1.2.) et poser qu'une phrase consi­dérée hors circonstances de communication est un énoncé ayant un sens et, que cette même phrase in-circonstances de communication — ce que l'on appellera plus loin « le cadre énonciatif » — est un discours ayant une signification spécifique et, à ce titre, ayant valeur de communication.

2.2. EXPLICATION

Ainsi donc est posé le problème du sens et de la signification, ou pour l'exprimer autrement, de la constante et des variables sémantiques dans un procès de communication, puisque c'est ce que nous avons remarqué dans notre précédente observa­tion.

20

Page 18: SENS ET COMMUNICATION

Pour essayer d'élucider ce problème, nous allons d'abord définir la communication comme un phéno­mène à'inter-comprehension (a) puis nous essaie­rons de voir comment le langage se constitue dans le cadre de cette communication (b) et enfin nous en déduirons la nécessité d'établir cette double dis­tinction énoncé/discours et sens/signification (c).

a) On a toujours affirmé qu'il fallait, pour qu'il y ait communication, la présence d'un locuteur et d'un auditeur que l'on nomme parfois, en termes géné­raux : émetteur et récepteur.

Mais peut-être n'a-t-on pas encore tiré toutes les conséquences de cette affirmation.

— Tout procès de communication renferme bien une information puisque, à plus ou moins brève échéance, il provoque une réaction — physique ou linguistique —. C'est là, la seule preuve empirique et expérimentale que nous ayions de ce phénomène ; à ce sujet, Bloomfeld, linguiste américain des années trente avait déjà remarqué : « deux situations ne sont jamais totalement semblables et donc les mes­sages qui s'y attachent respectivement ne sont pas identiques. Pourtant on constate qu'ils provoquent des réactions identiques chez les individus diffé­rents ».

Mais nous pourrions être encore plus précis dans notre observation et constater alors, qu'en fait, l'émetteur n'est satisfait — et donc estime que son information a été reçue — que lorsque le récepteur a réagi à cette information ; réaction, qui en retour, représente pour l'émetteur l'existence de l'informa­tion qu'il vient de produire. On voit, alors, que le récepteur est autre chose qu'un destinataire passif du procès de communication, comme le présente la plu­part des théories de la communication ; il est, au contraire, tout aussi actif que l'émetteur puisque « réagir » c'est produire une information en retour. Du même coup on comprend que ce que l'émetteur attend du récepteur, c'est que celui-ci lui renvoie, de quelque façon que ce soit, le « reflet » de son information, ce qui nous induit à penser que l'émet­teur lorsqu'il communique a le désir d'être compris.

— Reprenons cela en d'autres termes :

• Tout émetteur se pose comme sujet communi­quant, dès l'instant qu'il produit un discours à l'in­tention d'un destinataire, c'est-à-dire, dès l'instant qu'il prend possession de la parole, et c'est pourquoi nous le représenterons par JE.

• Tout récepteur est l'interlocuteur d'un JE en ac­tivité de communication, c'est-à-dire qu'il est à la fois recevant un discours qu'il doit comprendre, et produisant à son tour une information. Nous le représenterons par TU.

On dira alors que tout JE est en même temps un TU « en puissance » puisqu'il produit un discours en fonction de ce qu'il croit savoir du TU, et puis­qu'il sera effectivement un TU (différent du pré­cédent), lorsque l'interlocuteur aura pris la parole à son tour pour lui renvoyer le reflet de son dis­cours.

De même, on dira que le TU est en même temps un JE « en puissance », puisque comprendre le discours qu'il reçoit c'est essayer de le saisir comme s'il était en lieu et place de celui qui le produit, et puis­qu'il sera effectivement JE (différent du précédent), lorsqu'il prendra la parole à son tour.

— Ainsi la communication linguistique n'est plus conçue comme la simple production d'un discours à l'adresse d'un destinataire, mais comme une ren­contre dialectique de deux mouvements qui partent chacun d'un protagoniste, chaque protagoniste ayant une « personnalité double ».

On figurera ce progrès ainsi :

(TU) « (JE)

A Í

b) Donc, si le langage n'est pas donné, mais se constitue dans une totalité de procès de communi­cation, et si tout procès de communication se réalise dans une dualité JE-TU, nous sommes obligés d'ad­mettre qu'il n'existe pas un code linguistique par communauté socio-linguistique, mais autant de codes linguistiques que d'individus se posant comme JE à un moment ou à un autre. Autrement dit, chaque individu se constitue un code forcément à travers une somme de relations avec des TU, puisque, sans cela, il n'existerait pas comme JE. Or, dans cette somme de procès de communication le JE, nous

21

Page 19: SENS ET COMMUNICATION

l'avons vu, cherche à être compris du TU, et, à cette fin, il va chercher à établir un « consensus » avec celui-ci ; mais pourquoi doit-il établir un consen­sus ? Et bien précisément parce que le langage n'est pas donné une fois pour toutes et que chaque JE produit à chaque fois un « discours spécifique » (spécificité dont il a, d'ailleurs plus ou moins conscience) qui est à découvrir par le TU.

— Nous pourrions apporter des preuves à ce que nous avançons. Ce sont des preuves issues de l'obser­vation des phénomènes de communication, mais elles n'en ont pas moins de valeur. Il suffirait d'étudier le mécanisme de la création des signes dans diffé­rents domaines linguistiques comme le domaine technique, le domaine argotique et le domaine poé­tique. Le fait qu'aucune création linguistique ne soit faite ex-nihilo, mais soit toujours faite par transfert à partir de signes déjà existants est une preuve de ce jeu « consensus/spécificité » sur lequel repose toute communication et donc la constitution du lan­gage.

Nous ne pouvons trop nous étendre sur ce point dans le cadre de cet article, et nous rappellerons seulement, l'existence du métalangage dans le lan­gage humain auquel nous avons consacré un article : « les bases de la technique métalùiguistique d'élu-cidation » (1).

Il arrive parfois au JE d'interrompre son discours pour solliciter directement le TU par des énoncés du genre : «Tu comprends?», «Tu vois ce que je veux dire ? ».

De son côté, le TU, sans même avoir été sollicité par le JE peut également manifester : • Qu'il comprend bien l'information : «je vois».

• Qu'il ne comprend pas (ou pas bien) : « non, je ne comprends pas ».

• Qu'il doute de son interprétation : « mais alors, dans ce cas, quel sens faut-il donner au mot « poli­tique » ?

Ces énoncés qui ont un caractère figé et autonome sont en quelque sorte des « ouvreurs » métalinguis-tiques. C'est-à-dire que le discours qui suivra aura pour rôle d'élucider le discours antécedant. Ce discours sur le discours, ce métalangage d'élucidation est précisément rendu nécessaire par l'existence de

(1) Etudes de Linguistique Appliquée n° 11, Didier, 1973.

cette spécificité inhérente à tout discours que le JE essaye de rendre consensus, dans la mesure où le JE effectivement veut établir un circuit d'inter-compréhension. En fait à tout moment les protago­nistes de la communication sont confrontés à ce pro­blème qui est fort bien illustré par l'un de ces ouvreurs dont l'expression est : «Ah, mais atten­tion ! c'est qu'il y a démocratie et démocratie ».

C'est-à-dire le tour où le JE affirme qu'il y a le signe x et le signe x'. C'est le phénomène de la polysémie inhérente au langage.

Mais il est temps de revenir au problème que nous avons posé au début de cette explication — la diffé­rence entre sens et signification — et de l'aborder maintenant à la lumière de ce que nous savons sur la communication linguistique.

c) Nous avions remarqué lors de notre observation précédente qu'un énoncé contenait un sens global — celui qu'on peut lui donner hors-contexte — mais que placé dans une circonstance de communication particulière, il prenait une signification particulière. Nous reconnaîtrons là le résultat du jeu « consen­sus/spécificité ». Mais voyons cela d'un peu plus près.

• Sur quoi repose le sens ?

Sur la possibilité de produire un certain nombre de «phrases alternatives», autour de l'énoncé consi­déré. Bien sûr cette activité est systématisée menta­lement. Elle rend compte à la fois des lois générales de l'organisation des signes linguistiques sur les deux axes syntagmatique et paradigmatique, et des lois propres à chaque code linguistique, celles-ci reposant sur une probabilité qui est donnée par l'usage que la communauté fait de ces signes et de leurs combinaisons.

Par exemple un énoncé du genre (2) «Pierre est au tennis » peut être saisi hors contexte. On lui at­tribuera un sens dans la mesure où l'on peut oppo­ser cet énoncé à d'autres comme (3) « Pierre est au football», (4) «Jean est au tennis», (5) «Pierre mange des pommes de terre », etc.

Ce sont ces opérations sur l'axe paradigmatique et sur l'axe syntagmatique qui nous permettent de re­connaître : — Une certaine relation de base, qu'on appellera, ici, locative, et qui oppose (2) (3) (4) à (5).

22

Page 20: SENS ET COMMUNICATION

— « Pierre » comme nom propre référentiel.

— « tennis » comme une entité substantivée ayant un certain contenu sémantique. — « a » comme un relateur de mouvement et/ou situation spatiale. — « le » comme un présentateur présupposant une connaissance antérieure du signe présenté de la part de JE-TU. — « est » comme une explicitation de la relation de base dans un certain cadre temporel, etc.

A noter qu'il est préférable de parler de produc­tion de «phrases alternatives», car l'emploi du terme « commutation paradigmatique » laisse à pen­ser que les signes s'opposent terme à terme, alors que faire une opposition paradigmatique, c'est chan­ger la totalité de la combinatoire syntagmatique ; plus généralement, à tout moment d'une opération sur l'un des axes, c'est l'autre que l'on met en cause. Par exemple, ici, ce n'est pas « Pierre » qui s'oppose à «Jean», ni «football» qui s'oppose à « tennis », mais la totalité de (2) à la totalité de (3) (4) (5), (x) et (y).

Mais il est aussi vrai que l'on ne peut pas opposer n'importe quel énoncé à (2). Il y a une sélection qui se produit et qui dépend d'une probabilité d'usa­ge de ces phrases alternatives, probabilité d'usage qui se constitue à travers les consensus qui s'établis­sent lors de chaque procès de communication.

Nous répondrons donc à la question posée initiale­ment : « le sens d'un énoncé repose sur la possi­bilité de construire des phrases alternatives qui se font en fonction d'une certaine probabilité d'usage ».

• Sur quoi repose la signification ?

Sur la façon dont le JE se situe par rapport au TU et au monde — le IL —, à travers son discours.

En effet la spécificité d'un discours n'est jugée comme telle que par rapport aux différents TU et non au JE seul.

C'est qu'en effet le JE produit son discours en fonction de ce qu'il croit savoir de TU ; plus géné­ralement, en fonction de ce qu'il croit savoir de TU et de IL. Et comment saisit-il — imagine-t-il — le TU et le IL, si ce n'est à travers d'autres discours

précédemment produits ?

Autrement dit, nous ne ferions que « parler le mon­de et les autres » et c'est en « parlant le monde et les autres » que nous conceptualiserions linguisti-quement l'univers ; c'est ainsi que nous créerions des significations.

Nous dirons donc que tout discours produit repose sur d'autres discours antécédents — avec lesquels ou contre lesquels celui-ci s'inscrit —< et parfois une partie de ce discours est clairement manifestée dans le langage : par exemple, la relation de pré­supposition linguistique. Si JE dit (6) « Pierre conti­nue à nier », il ne se contente pas d'affirmer quelque chose sur le monde, mais comme dit O. Ducrot, il affirme aussi quelque chose sur l'interlocuteur puis­qu'il présuppose que celui-ci sait que « Pierre niait auparavant ».

Reprenons l'exemple (2). Supposons que JE soit la femme de « Pierre », et que TU courtise JE. Alors, outre son sens comme énoncé, ce discours pourra avoir la signification « nous sommes libres pour un moment ». On voit bien que cette signification n'est perceptible que par rapport à d'autres discours implicites qui ne sont perçus que par des données extérieures à l'énoncé produit.

Ainsi donc, ces circonstances de communication dont nous avons parlé auparavant se précisent. Ce sont non seulement l'environnement matériel de la communication, mais aussi une certaine somme de discours produits antérieurement qui font que le JE se situera d'une façon spécifique par rapport au TU et au monde à travers son énoncé. C'est le rap­port « imaginé ».

IL — réfèrent ( —JE — émetteur —) TU — inter­locuteur.

Nous résumerons cette explication :

Le sens d'un énoncé repose sur un consensus qui est établi par une probabilité d'usage, ce qui permet de saisir cet énoncé hors-circonstances de commu­nication. Mais il n'est pas encore un acte de commu­nication.

Les circonstances de communication sont ce que nous appellerons dorénavant le cadre énonciatif du discours. Si l'on considère donc l'énoncé dans son cadre énonciatif, alors cet énoncé devient discours

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Page 21: SENS ET COMMUNICATION

ayant valeur de communication avec outre son sens-consensus, une signification-spécifique ; soit :

ENONCE + SITUATION = DISCOURS | ENONCIATIVE \

(usage-consensus) spécificité

SENS SIGNIFICATION

3. LA SITUATION ENONCIATIVE

La situation énonciative peut être décomposée en deux types de situation : « la situation de commu­nication » et « la situation de discours ».

3.1. LA SITUATION DE COMMUNICATION

a) Elle représente les conditions matérielles de la communication, conditions qui vont avoir une in­fluence plus ou moins contraignante sur la commu­nication :

Evidemment il s'agit de conditions matérielles perti­nentes pour la communication. Par exemple si deux personnes assises à la terrasse d'un café commentent des événements politiques, l'environnement maté­riel « café » ne sera pas pertinent du point de vue du réfèrent, mais l'une de ses conséquences pourra l'être, le fait par exemple que les deux interlocu­teurs — assis à la même table — soient présents, autrement dit ce qui est pertinent c'est la présence matérielle du TU.

Il peut également se faire, par ailleurs, que l'un des interlocuteurs parle au garçon de café pour lui commander une boisson. Dès lors l'environnement matériel « café » redevient pertinent du point de vue du réfèrent, mais seulement pour cette instance du discours.

b) Cette situation de communication repose sur trois types de composantes : le rapport JE-TU, le rapport

JE-Référent et le canal de transmission choisi par le JE et permis par l'environnement matériel.

• Le rapport JE-TU, va être conditionné, dans une certaine mesure par la présence ou l'absence du TU.

En effet si le TU est présent, le JE quel qu'il soit se trouve dans un rapport de perception directe et immédiate avec le TU, ce qui veut dire qu'il utili­sera probablement le canal oral pour communiquer (voir plus loin) mais qu'en plus, il peut utiliser d'autres moyens d'expression — gestes, mimi­ques, etc. —, étant ainsi « à la merci de l'autre » par son comportement, et pouvant en même temps « agir sur l'autre » par ce comportement. Il s'ensuit une convention qui est celle de l'échange. C'est-à-dire que JE s'adresse à TU, mais qu'à tout moment TU peut devenir JE et transformer son interlocuteur en TU (voir notre schéma de communication en 22 a). Et cela a des conséquences linguistiques. En effet, le JE sachant à tout moment qu'il peut être interrompu par le TU, se trouve plus ou moins contraint à la précipitation dans la transmission de ses informations, à ce que nous appelions « la spon­tanéité » dans la communication.

Cela explique dans de telles conditions, que les discours produits se caractérisent par un ordre des mots particulier (ce qu'on appelle 1' « ordre affectif des mots», cette mise en tête de la phrase des éléments d'information jugés intuitivement les plus urgents, voire les plus importants par le JE), par une série de phrases très segmentées, en accumu­lation, sans presque de « liens logiques » exprimés, par une alternance de termes génériques et de ter­mes précis sémantiquement, tous ces caractères lin­guistiques répondant en fait à une démarche de la pensée qui se développe en temps forts et temps faibles et qui produit un discours ouvert en «re­dondance progressive».

Exemples :

A. « Tu es allé voir Hélène finalement ? »

B. « Oh, tu sais, j 'ai juste été, un petit moment, un après-midi chez elle» (1).

(1) Il est évident qu'il s'agit d'une transcription graphi­que d'un discours oral. A ce titre, cet exemple est cho­quant à la lecture, alors qu'il est banal en situation de conversation.

24

Page 22: SENS ET COMMUNICATION

Dans le cas contraire — TU absent -> non-échan­ge — le discours prend une autre allure. On re­marque, linguistiquement, un ordre des mots pro­gressif, construit, une phrase beaucoup plus continue dans son développement et dont la segmentation ne heurte pas la lecture — sauf cas d'effets voulus dans le cadre du discours littéraire — une succession de signes précis et concis sémantiquement ; en effet, cette fois, la situation de non-échange permet une démarche de la pensée plus réfléchie, ce qui produit un discours à « continuité progressive » qui tend à se fermer sur lui-même.

Cependant il faut ajouter ceci : la présence du TU peut prendre des aspects multiples ; c'est pourquoi nous pensons qu'il faut également se demander si le TU est unique ou multiple. En effet il peut se faire que le TU soit présent mais sous forme mul­tiple — un public, une réunion de travail, etc. — Dans ce cas-là, la convention change et l'échange ne se fait plus ; ou alors il se fait d'une façon orga­nisée qui, en fait, démultiplie les rapports JE-TU — c'est le cas de «tables rondes», ce devrait être le cas de la classe —.

Par ailleurs, il sera également utile, voire indispen­sable, de se demander si la communication est directe ou médiate. En effet nous avons un certain nombre de situations dans lesquelles A échange avec B, bien qu'ils ne soient pas présents l'un à l'autre visuellement. Et l'on voit que le développement des mass-média complique et démultiplie ces types de rapports ; il faudra donc en tenir compte.

• Le rapport JE-référent est intimement lié au précédent, au moins pour une partie.

D'abord, constatons que la présence ou l'absence du réfèrent permettra au JE d'avoir ou non un support matériel qui lui sera utile lorsqu'il commu­niquera — par exemple lors de la procédure dis­cursive de « description » — mais il faudra égale­ment remarquer si ce réfèrent est commun au JE et au TU, ce qui n'est pas évident même lorsque le JE est en présence du réfèrent (au téléphone, par exemple, A décrit ce qu'il a sous les yeux et que ne voit pas B). Si donc ce réfèrent est présent et/ou commun, les discours produits sont des dis­cours de l'implicite, alors que dans le cas contraire ils seront forcément explicites sous peine d'échec de communication.

Mais il faut aussi interroger ce réfèrent d'un autre point de vue. Est-il matériel ou non ? Est-il événe­

mentiel ou non. En effet cela va conditionner les « procédures discursives » dont nous parlerons plus loin (voir situation de discours 3.2.c), car si le réfèrent est un objet matériel on peut en faire une description plus ou moins objective, mais on ne peut en faire un récit, puisqu'il faut une successivité d'événements. Or, si le réfèrent est événementiel on peut procéder à un récit, que l'on peut d'ail­leurs compléter par une procédure de description (ex. : un accident).

• Le canal de transmission

Il s'agit essentiellement de l'opposition oral/graphi­que — qu'on ne confondra pas avec parlé/écrit — à laquelle on peut ajouter, si l'on veut, mais avec une importance moindre, les oppositions gestuel/ non-gestuel, icônique/non-icônique.

L'opposition oral/graphique concerne le choix du système de signifiants fait par le JE ou imposé au JE par cet environnement matériel. Le canal oral utilise un code phonique, le canal graphique un code graphique (alphabet, idéogrammes...).

Ce choix ou cette contrainte a encore des consé­quences linguistiques. En effet le choix du canal oral permet au JE d'utiliser, par exemple, toutes les ressources de la prosodie qui lui permettront par là-même, d'économiser du discours verbal (par exemple, l'utilisation d'une intonation pour signifier l'indignation n'a plus besoin d'être explicitée verba­lement. Au contraire la contrainte du canal graphique oblige le JE, une fois de plus à être explicite, mais en revanche, le discours graphique est un support visuel qui permet une lecture avec retours en ar­rière, ce qui autorisera le JE à utiliser ce que, bana­lement on appelle des digressions (d'où la diffi­culté d'une lecture à voix haute pour un public «innocent» d'un discours «proustien »).

On lira un tableau résumé (p. 26) de ces trois types de composantes et de leurs conséquences lin­guistiques, et nous voudrions conclure sur cette situation de communication en faisant une remar­que.

On voit que l'opposition traditionnelle langue par­lée/langue écrite n'est plus recevable comme l'oppo­sition de deux ordres chacun pur et unique.

Tout d'abord, il ne faut pas confondre, ce qui est souvent le cas, parlé et oral d'un côté, écrit et

25

Page 23: SENS ET COMMUNICATION

SITUATION DE COMMUNICATION

Condi

TU

t Présent

1 1

JE \ \

(TU)

Absent

tions matérielles

• Présence du TU

+ Echange

• Réfèrent présent et/ou commun

• Canal : oral

• Absence du TU

+ N. échange

• Réfèrent absent et n. commun

• Canal : graphique

— "̂ Conséquences

— Perception immédiate d'un comportement — Economie de tout ce qui est commun dans la situation

— Spontanéité : temps forts/ temps faibles, dans la commu­nication Démarche en « redondance pro­gressive » Non-possibilité d'effacement

— Non-perception, besoin de précision

— Non-économie

— Réflexion : pensée continue et progressive

Possibilité d'effacement

^ . •

— "̂ Caractéristiques du discours

o Prosodie

• Economie de si-implicite gnes lexicaux et des

liens logiques

• Ordre des mots (affectif) • Alternance termes génériques et précis

• Phrase segmentée

Discours ouvert

• Contexte explici­tant • Effacement des

Explicite référentiels • Explication des faits prosodiques

• Ordre des mots (construit)

Successivité de signes précis

• Phrases continues avec liens logiques Discours qui tend à se fermer (digressions possibles)

graphique de l'autre ; nous nous sommes déjà ex­pliqués là-dessus.

Quant à l'opposition parlé/écrit, c'est en fait une opposition dont chacun des termes est la résultante d'une combinaison des composantes dont nous ve­nons de parler. C'est pourquoi nous préférons, pour notre part, parler de type de discours x ou y selon les situations de communication x ou y.

E. Benveniste a déjà proposé d'opposer situation de dialogue à situation de récit et en effet, c'est cette opposition qui est le fondement de la distinction dis­cours parlé/discours écrit (1). Mais on ne peut se

(1) E. Benveniste : «Problèmes de linguistique géné­rale », NRF, Gallimard, Paris, 1966 (chapitre V).

contenter de cette seule opposition tant les combi­naisons des composantes sont nombreuses.

On aura donc intérêt à interroger tout dicours sans a priori d'étiquetage d'après le questionnaire que nous proposons en fin d'article.

3.2. LA SITUATION DE DISCOURS

C'est un domaine linguistique en exploration et dont l'essai de structuration — comme ce qui précède d'ailleurs — n'engage que son auteur, bien que les propositions qu'il fait ici dépendent forcément de

26

Page 24: SENS ET COMMUNICATION

ses lectures et échanges, c'est-à-dire dépendent d'une somme de rapports JE-TU-IL, étant lui-même dans une situation de discours.

Cette situation de discours repose donc sur l'hypo­thèse que tout discours est produit avec ou contre un ou plusieurs discours antérieurs à cette pro­duction, dans la mesure où l'on accepte comme postulat de base que «nous ne faisons que nous représenter le TU et le monde-IL à travers le lan­gage ».

Ainsi tout discours est produit en fonction de ce que le JE sait — ou croit savoir — du TU (savoir imaginé qui dépend de discours antérieurs), de ce qu'il sait du IL, et de ce qu'il sait de lui-même en rapport avec le TU et le IL.

D'où les trois types de rapport sur lesquels repose (à des degrés divers) tout discours, chacun de ces rapports mettant en oeuvre une fonction énonciative particulière : le rapport JE-TU et la « fonction po­lémique», le rapport JE-énoncé et la «fonction de modalisation », le rapport JE-référent et la « fonction situationnelle » (2).

a) RAPPORT JE-TU : FONCTION POLEMIQUE

Cette fonction comprend trois activités :

• Activité de « discrimination ». Le JE doit mani­fester par son discours à quel type de TU il s'adresse.

A cet égard, il dispose de signes linguistiques, les appellatifs (tu, vous, noms de famille, prénoms, t i­tres, etc.) qui lui permettent de sélectionner dans le possible des TU celui ou ceux qu'il va solliciter.

o Activité de « mise à distance ». Le JE établit un certain type de rapport avec le TU du point de vue de ce que l'on pourrait appeler la « familiarité ». Ce rapport il le manifestera dans son discours, tantôt

(2) On se gardera d'assimiler trop vite ces « fonctions » à celles de R. Jakobson ou aux concepts de J. Dubois — certains étant des emprunts — exposés notamment dans « énoncés et énonciations », in Langage n° 13, « l'analyse du discours », Larousse. Nous ne pourrons nous justifier longuement dans cet article mais disons qu'il s'agit à la fois d'emprunts et de spécifications, voire de redéfinitions.

lors de la « discrimination » (ex. : « mec ! toi ! vous ! Monsieur ! Excellence ! », montrant une mise à distance chaque fois plus grande), tantôt lors des choix de structures syntaxiques et/ou des termes lexicaux (ex. : « je ne puis » et « des clous ! »). En fait, c'est dans cette « mise à distance » que l'on retrouve une partie des fameux « niveaux ou re­gistres de langue » qu'on définit habituellement comme une stratification verticale. Disons plutôt que tout « JE » « joue de l'accordéon » vis-à-vis du TU à travers ses discours, et l'on aura une vue plus juste de ce phénomène, sans pouvoir encore en déterminer les variations (3).

• Activité d'« agression/complicité ». Tout JE, dès l'instant qu'il prend possession de la parole, se met en position de supériorité vis-à-vis du TU, et essaie, par définition, de lui imposer un « univers de dis­cours ». En quelque sorte il « agresse » le TU. Ce­lui-ci, à son tour, prend la parole et retourne le rapport d' « agression » en devenant JE, et ainsi de suite ; c'est cette surenchère qui fonde la « fonc­tion polémique» terme qu'il ne faut pas prendre dans son sens habituel, car il peut y avoir fonction polémique, même quand les deux interlocuteurs sont d'accord sur un sujet.

Cette « agression » — et son complémentaire « la complicité », (on retrouve par là-même notre jeu consensus/spécificité) — peut revêtir deux as­pects discursifs : l'aspect « injonctif », l'aspect « per­suasif ».

Nous développerons dans un prochain article cette « fonction polémique ». Contentons-nous de dire, pour l'instant, que l'aspect « injonctif » ne laisse aucune alternative au TU, en tant que discours, tan­dis que l'aspect « persuasif » avec son complémen­taire la « dissuasion » tend à enfermer progressi­vement le TU dans « l'univers de discours » habilement présenté par le JE.

On comprendra aisément que, par le biais de cette «fonction polémique», entrent dans le discours des

(3) En tout cas, cette façon d'envisager les «fameux re­gistres » peut avoir des incidences pédagogiques, si l'on fait prendre conscience à l'enfant de la multiplicité des rapport JE-TU et donc des discours qui s'y attachent en terme de « distance ». Ainsi on n'a plus de raison d'élimi­ner l'argot ni le jargon des enfants, mais on doit leur faire saisir ce que leur utilisation implique comme rap­ports.

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composantes sociologiques, psychologiques, voire psychanalytiques. En effet, tout discours dépend des « points de vue imaginés » de JE sur TU, de JE sur lui-même, de JE sur ce qu'il croit que le TU sait de lui (JE) et de JE sur ce qu'il croit que le TU sait de lui-même (TU). D'où notre questionnaire (p. 30). La difficulté réside du point de vue linguis­tique, dans le repérage et la détermination des marques de discours qui véhiculent ces différentes informations. C'est dans ce domaine que la séman­tique a encore beaucoup à faire, une sémantique dont le champ d'étude serait le discours tel que nous l'avons défini.

b) RAPPORT JE-ENONCE : FONCTION MODALISATRICE

Ce concept est en partie emprunté à U. Weinreich. Il s'agit du rapport que le JE entretient avec son propre énoncé quant à son « adhésion » à celui-ci. Cette « adhésion est d'ailleurs variable. Tantôt le JE peut « prendre en charge » son discours et le mani­fester, tantôt au contraire, il peut mettre une certaine « distance » entre son discours et lui-même, voire s'en « désolidariser » à la limite ; le discours devient alors un discours rapporté puisque le JE « de fait » c'est-à-dire celui de la situation de communication, ne veut pas être le JE énonçant, c'est-à-dire celui de la situation de discours rapporté.

Le problème pour le linguiste est encore celui du repérage des marques du discours, mais ici la tâche est un peu plus aisée parce qu'il est rare que le JE ne veuille pas manifester clairement son atti­tude vis-à-vis de son discours. Aussi emploie-t-il volontiers des verbes de modalité (je pense que, je crois que, je juge que, etc.) des adverbes (peut-être, sans doute, évidemment, etc.) des procédés d'em­phases, des reformulations avec transformation de phrases, etc.

c) RAPPORT JE-REFERENT : FONCTION SITUATIONNELLE

Disons, tout d'abord, qu'il ne faut pas confondre cette fonction avec la fonction symbolique.

Il s'agit ici de la façon dont le JE se situe par rap­port au réfèrent, et cela de trois points de vue :

Du point de vue déictique c'est-à-dire sa situation dans l'espace et le temps qu'il manifefste la plupart du temps dans son discours en utilisant des systèmes appropriés (déictiques, temps, etc.).

Du point de vue notionnel, c'est-à-dire son rapport « imaginé » comme dans le cas de la « fonction polémique», mais au réfèrent et non au TU. Comment le JE voit-il le monde et comment il croit que le TU le voit.

Du point de vue discursif et nous rejoignons ici le rapport JE-référent de la situation de communi­cation, lorsque nous proposions d'interroger ce réfè­rent pour savoir s'il est matériel ou événementiel. En fait, dans la situation de communication, il s'agissait de contraintes alors qu'ici, il s'agit du « point de vue » que choisit le JE. En effet, si celui-ci se trouve devant «un stylo », par exemple, il se trouve bien devant un réfèrent matériel (situa­tion de communication). Il pourra donc procéder à une description, mais il n'y est nullement contraint. Il peut par exemple raconter les étapes de la fabri­cation du stylo, et nous aurons alors affaire à un récit.

Par conséquent le réfèrent, en réalité, n'est rendu pertinent que par le discours du JE et donc, du même coup, par la procédure discursive qu'a choisi le JE.

Nous proposons, tout provisoirement, de considérer les quatre procédures discursives suivantes : — procédure de description — procédure de récit — procédure de commentaire — procédure d'analyse.

Il est rare de trouver chacune de ces procédures à l'état pur dans un discours donné, car tout discours en intègre généralement plusieurs. Mais il est né­cessaire de les différencier, au départ, pour mieux analyser les discours, qu'ils soient littéraires ou non.

3.3. EN CONCLUSION à cette présentation de la situation énonciative nous voudrions résumer notre conception de la communication.

• Les discours produits lors de la communication représentent une conceptualisation du monde (fonc-

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Page 26: SENS ET COMMUNICATION

tion de symbolisation), mais conceptualisation qui est faite dans un réseau de communication avec un ou plusieurs TU, qui fabriquent et modifient dans chaque instance de discours cette conceptualisation à travers un jeu de consensus et spécificité (fonction -métalinguistique).

• Cette communication se fait dans un cadre énon-ciatif qui se décompose en : — Situation de communication, avec son cadre d'en­vironnement matériel, par rapport au TU, au réfè­rent et au canal de transmission.

— Situation de discours, avec les rapports imaginés au TU (fonction polémique), à l'énoncé (fonction modalisatrice) et au réfèrent (fonction situation-nette) .

Ceci devrait constituer la base de toute méthodo­logie de la communication linguistique. (On trouvera le questionnaire en fin d'article.)

4. COMMUNICATION ET PEDAGOGIE

Nous ne voudrions pas terminer cet article, somme toute assez théorique, sans rappeler que notre visée est bien pédagogique. Mais il faut tout de même dire bien haut, qu'il n'y aura pas de rénovation pédagogique sérieuse sans une réflexion théorique sous-jacente de chacune des sciences humaines dont dépend l'activité pédagogique. Certes, pédagogues et linguistes nous n'en sommes qu'au stade de l'arti­sanat, mais conscients d'être des artisans qui devons toujours avoir la main à la pâte, nous savons que nous ne pouvons pas nous contenter d'être de simples praticiens. Sans une réflexion théorique nous ne saurions jamais analyser les phénomènes nouveaux, et nous serions incapables de trouver des solutions coordonnées à nos problèmes, ni de rien modifier de fondamental à notre enseignement.

Aussi bien, s'agissant de linguistique, avec une théo­rie de la communication humaine nous ne sommes plus innocents, comme nous le disions dans notre introduction.

Nous savons maintenant, qu'essayer d'établir des circuits de communication ce n'est pas simplement affaire de motivation pour les élèves. C'est qu'il s'agit de recréer dans la classe des situations qui permettent de faire comprendre à l'élève quel doit être son rôle de JE et/ou de TU dans la multipli­cité des situations énonciatives qu'on lui propose, parce que cela est constitutif de l'individu. Il faut même aller jusqu'à « simuler » ces situations pour l'obliger à produire des discours dont il devra lui-même découvrir les significations en fonction des réseaux de relations qu'il établit avec les autres. Et de ce point de vue, reconnaissons que le modèle traditionnel de la classe avec le maître en position de JE tout-puissant par le savoir, et les élèves-TU, fait que d'une part les élèves sont rarement des JE qui prennent possession de la parole (puisqu'ils réci­tent) et que d'autre part la multiplicité des situations se trouve neutralisée.

Certes, il n'est pas simple de créer ces circuits de communication. Il y faut une technique et nous espérons pouvoir, un jour, proposer quelque chose à ce sujet avec notre équipe de PI.N.R.D.P. Mais en attendant ayons conscience que la classe devrait être avant tout, une école de communication humaine.

Autre conséquence de cette réflexion, et comme corrolaire de la précédente : la possibilité d'analyser le discours pour aboutir à une typologie des dis­cours. Nous avons parlé dans notre introduction de la nécessité d'établir une telle typologie. Nous le com­prenons mieux maintenant puisque les discours dé­pendent de la variété des situations énonciatives. Là aussi, il y faut une technique rigoureuse. Mais fai­sons fi de catégories ou de concepts « a prioriques » tels : langue parlée, langue écrite, langue familière, langue littéraire, niveaux ou registres de langue, et interrogeons tout discours selon un questionnaire, qui est à modifier et enrichir, mais qui nous permettra de mettre en lumière les caractéristiques des discours propagandiste, publicitaire, historique, scientifique, quelle que soit leur appellation traditionnelle, qu'ils soient littéraire ou non.

Toute une pédagogie de la communication et de l'enseignement des discours est à faire. Elle est déjà en train, et il serait bon que des échanges se fassent à ce sujet. Pour notre part nous n'avons rien pré­tendu d'autre que livrer quelques bases de réflexion.

P. CHARAUDEAU.

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Page 27: SENS ET COMMUNICATION

QUESTIONNAIRE

SITUATION DE COMMUNICATION

(JE)-TU :

• Le TU est-il présent ou absent ?

• Y a-t-il échange ou non-échange entre JE et TU ?

• Le TU est-il unique ou multiple ?

• La communication est-elle directe ou médiate ?

(JE)-réfèrent :

• Est-il présent ou absent ?

a Est-il commun ou non-commun ?

• Est-il matériel ou non-matériel ?

• Est-il événementiel ou non-événementiel ?

Le canal :

• Est-il oral ou graphique ?

• Y a-t-il du gestuel ?

• Y a-t-il de l'iconique ?

SITUATION DE DISCOURS

JE-TU et fonction polémique :

— Quel type de « distance » le JE établit-il vis-à-vis du TU ?

— Quel type « d'agression » utilise-t-il ?

— Quels sont les « points de vue imaginés » du JE ?

— Quels sont les « points de vue imaginés » du TU?

JE sur (TU) : « Comment le JE voit-il le TU » ?

JE sur (JE) : « Comment le JE se voit-il » ?

JE sur (TU-JE) : « Comment le JE voit-il le rap­port du TU à lui-même, JE » ?

JE sur (TU-TU) : « Comment le JE voit-il le point de vue que le TU a sur lui-même, TU » ?

N.B. : Il s'agit d'un questionnaire théorique qui es­saie de couvrir la totalité de ces points de vue.

JE-énoncé et fonction modalisatrice

— Est-ce que le JE « prend en charge » son dis­cours ?

— Est-ce que le JE « se désolidarise » de son dis­cours ?

JE-réfèrent et fonction situationnelle :

— Quelest le «point de vue déictique» du J E ?

— Quel est le « point de vue notionnel-imaginé » du JE?

• JE sur (réfèrent).

• JE sur (TU-référent).

— Quel est le « point de vue discursif » ? • procédure de description, • procédure de récit, • procédure de commentaire, • procédure d'analyse.

Page 28: SENS ET COMMUNICATION

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

ELUCIDATION DU SENS

« Problème du sens dans l'enseignement d'une langue étrangère », in Langue française n° 8 (Larousse).

B. POTTIER, « Organisation d'un champ conceptuel : liberté » (Lin­guistique et pédagogie, I.N.R.D.P., juin 1971).

« L'analyse lexico-sémantique » (ibid., annexe 3 au bilan du groupe Charaudeau, année 71-72, publication de l'I.N.R.D.P.).

«L'analyse syntaxico-sémantique» (ibid., annexe 4).

B. POTTIER, Présentation de la linguistique (Klincksieck), nouvelle édition à paraître courant 74.

E. FERREIRO, Les relations temporelles dans le langage de l'enfant (Droz, Paris, Genève, 1971).

J. PIAGET, Le langage et la pensée chez l'enfant (Delachaux et Niestlé).

J. LECLERCQ, Enquête sur le langage de l'enfant français (Multi-graphie, C.R.E.D.Ï.F., E.N.S. de Saint-Cloud, Paris, 1988).

GENOUVRIER et PEYTARD, Linguistique et enseignement du fran­çais (Larousse).

COMMUNICATION ET EXPRESSION.

R. JAKOBSON, Essais de linguistique générale (éd. de Minuit). lpe partie : Problèmes généraux, linguistique et théorie de la commu­nication (texte d'accès difficile). 5* partie : Poétique (notamment le début).

E. BENVENISTE. Problèmes de linguistique générale. 3* partie, X : Les niveaux de l'analyse linguistique (conclusions sur la phrase et le discours). 5e partie : chap. XX, La nature des pronoms (Gallimard).

J. PEYTARD, Oral et scriptural : deux ordres de situations et de descriptions linguistiques (Langue française n° 6).

L. COURDESSES, Blum et Thorez en mai 1936 : analyse d'énoncés (Langue française n° 9).

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Page 29: SENS ET COMMUNICATION

Objectif et subjectif dans les textes

E. BENVENISTE (ci-dessus).

G. GENETTE, Discours du récit (chap. 4 et 5) in Figures III, Seuil, 1972.

Frontières du récit (in Communications n" 8 ou Figures II, 1966).

M. BUTOR, Répertoire II : L'usage des pronoms personnels dans le roman (éd. de Minuit, 1964).

Description de l'image

U. ECO, Communications n° 14. Sémiologie des messages visuels.

Structures narratives

R. BARTHES, C. BREMOND, A.-J. GREIMAS, Communications n" 8.

C. BREMOND, Le message narratif (Communications 4).

V. PROPP, Morphologie du conte (Seuil, 1970).

G. GENETTE, Vraisemblance et motivation (Figures II).

A.-J. GREIMAS, Sémantique structurale, Larousse, 1966.

Circuits de communication

« Réseaux de communication et structures de groupe », C. Flament (chap. 3, § 2, Analyse a priori. Le modèle de discussion).

Le discours

«Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage» (Ducrot et Todorov, Le Seuil). Ouvrage de consultation. Linguistique générale, J. Lyons.

Page 30: SENS ET COMMUNICATION

A. - ELUCIDATION DU SENS

• PROBLEMATIQUE

I. Enseignement d'une grammaire du sens : hypothèses

II. Procédure pédagogique

• EXEMPLES

I. Exercice d'élucidation sémantique à partir d'une phrase donnée

II. Exercice d'élucidation sémantique à partir d'une «faute d'expression»

III. Exercice d'élucidation de la situation de communication et approche du récit oral

Page 31: SENS ET COMMUNICATION

PROBLEMATIQUE

I. ENSEIGNEMENT D'UNE GRAMMAIRE DU SENS : HYPOTHESES

AVERTISSEMENT : Nos hypothèses, dans ce domai­ne de l'enseignement de la grammaire, étant assez différentes dei celles que l'on trouve généralement dans les articles ou ouvrages consacrés à ce sujet, nous allons être obligé de nous en expliquer et par conséquent de nous situer par rapport aux hypo­thèses qui ne sont pas les nôtres, car il est vrai qu'on ne peut pas élaborer une théorie sans réfé­rence à d'autres théories existantes ou se constituant, avec ou contre lesquelles celle-ci se construit (1). Mais entendons-nous bien. Il ne s'agit pas, dans notre esprit, de vouloir détruire les autres hypo­thèses de travail. Celles-ci doivent être menées jusqu'au bout de leurs conséquences et les résultats obtenus seront la preuve de leur utilité ou de leur caducité.

Qu'on ne nous taxe donc pas d'impérialisme, et surtout que l'on veuille prendre la partie polé­mique de notre discours comme nécessaire à la clarté de notre position et non point comme une querelle d'école.

1. HYPOTHESES LINGUISTIQUES

1.1. Posons tout d'abord que tous les systèmes de formes naissent du sens (2), et que le sens naît lui-

(1) Cf. « Réflexion sémio-linguistique sur la communica­tion ». « Tout discours est produit avec ou contre un ou plusieurs discours antérieurs à cette production » (chap. 3.2 La Situation du discours).

(2) Ici, pris dans un sens général, cf plus loin l'oppo­sition sens/signification, termes qui sont recouverts par celui que nous utilisons maintenant.

même d'un procès de communication. Si nous ad­mettons que tout individu, inséré dans un groupe, communique pour transmettre avant tout du sens, alors nous n'aurons pas de peine à admettre que les individus d'une communauté socio-linguistique quelle qu'elle soit cherchent à se constituer un code de distinctions formelles qui sont destinées à faire percevoir des distinctions sémantiques.

Autrement dit la forme est soumise au sens et c'est bien ainsi que chaque communauté socio-linguis­tique se constitue son sytème phonologique et son système morpho-syntaxique puisque chacun des éléments de ce système qu'ils soient ou non porteur de sens est destiné à faire percevoir une distinction sémantique.

• Posons également, et rappelons (cf. note 1) que ces systèmes — et donc les codes linguistiques — se constituent à travers un rapport dialectique JE-TU qui naît du fait que tout individu désirant être compris par le (ou les) TU auquel il s'adresse cher­chera à établir avec lui un « consensus » du fait mê­me qu'il se heurte aux difficultés de compréhension du TU, c'est-à-dire du fait qu'il produit un discours « spécifique ». Nous dirons que c'est cette dualité « consensus/spécificité » qui assure l'existence et le changement des systèmes signifiants.

• A partir de ce double postulat (3), observons les faits de communication et demandons-nous comment on peut saisir le sens, et quel sens ?

1.2. Nous renvoyons à notre « Réflexion sémio-lin­guistique sur la communication », qui expose la pro­blématique de la communication et de l'analyse du discours, et nous nous contenterons de faire une série de remarques.

• L'expérience de la communication nous indique que tout discours est ambigu, et cela a été maintes

(3) Pour nous c'est autre chose qu'un postulat.

35

Page 32: SENS ET COMMUNICATION

fois affirmé par les théories linguistiques structu­rales ou génératives.

Mais peut-être n'a-t-on pas suffisamment précisé ce concept d'ambiguïté.

On peut, en simplifiant les choses, considérer qu'il y a deux types d'ambiguïté : une ambiguïté de sens et une ambiguïté de signification.

Soit l'énoncé, qui nous a été suggéré par un collè­gue, (1) « Est-ce que vous fumez ? ».

a) Nous savons que le signifiant « fumez » peut ap­partenir à des signes différents dans la mesure où il s'insère dans des contextes différents (2) « le paysan fume son champ», (3) «Pierre fume une cigarette», (4) «Pierre fume de colère», (5) «la cheminée fume».

A priori, nous ne pouvons pas savoir lequel de ces signes a été choisi par le locuteur dans l'exemple (1), même si une certaine probabilité d'usage nous in­cline à penser qu'il s'agit du signe qu'on retrouve dans (3). Quoi qu'il en soit nous nous rendons compte qu'il nous faut connaître certaines circons­tances de communication pour pouvoir interpréter l'énoncé (.1) :

Dans le sens de (2) : Dialogue entre deux paysans. Dans le sens de (3) : Une personne tend un paquet de cigarettes à une autre. Dans le sens de (4) : Ironie d'une personne qui vient de vexer son interlocuteur.

Dans le sens de (5) : S'agissant des vapeurs dégagées par le corps après un effort physique, par exemple.

Evidemment on se rend compte que chacune de ces interprétations supposent des circonstances bien pré­cises pour justifier les ellipses, et transferts qui rendront chacun de ces énoncés normalement inter­prétables.

Nous avons donc affaire dans ce cas à une ambiguïté de sens parce que « fumez » sera aisément reconnu comme polysémique par l'ensemble des individus d'une communauté socio-linguistique.

b) Mais notre exemple (1) est également ambigu à un autre titre. Pour s'en rendre compte il faut le considérer non plus seulement comme énoncé, mais comme un discours dont l'interprétation dépendra

cette fois, non plus seulement des conditions maté­rielles de communication (situation de communi­cation) mais des rapports d'interlocution qui exis­tent entre JE et TU et qui constituent ce que nous avons appelé la situation de discours.

Ainsi, et selon la situation de discours, « Est-ce que vous fumez »? — en prenant toujours le même sens, celui qui correspond à la valeur du signe « fumer » en (3) — pourra vouloir signifier :

est-ce que vous fumez -f- voulez-vous une ciga­rette, ou est-ce que vous fumez -f- est-ce que vous consom­mez du tabac régulièrement, ou est-ce que vous fumez -f- je voudrais bavarder avec vous, ou est-ce que vous fumez -f- changeons de conver­sation, etc.

On n'aurait aucune peine à imaginer les situations de discours qui justifieraient chacune de ces infor­mations implicites qui tiennent à l'originalité du rapport JE-TU et qui expliquent que la plus grande partie de la communication humaine se situe à ce niveau implicite de signification.

Nous avons donc affaire, cette fois, à une ambiguïté de signification qui tient à une relation beaucoup plus individuelle et moins socialisée des interlocu­teurs entre eux, mais également constitutive de tout fait de communication.

En résumé : Ambiguïté de sens Ambiguïté de signification

Rapports socialisés Rapports individualisés

levée par : « Sit. de « Sit. de communication» discours».

1.3. Nous voudrions voir, à présent, comment, mé-thodologiquement, on peut atteindre le sens et comment on peut atteindre la signification.

Nous proposons pour cela le concept de « para­phrase ».

Après tout, interpréter un discours c'est bien pro­duire mentalement une série de « discours alterna­tifs » au premier — ce qui justifie les deux ordres syntagmatique et paradigmatique de l'organisation

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Page 33: SENS ET COMMUNICATION

de tout discours —. Ces discours alternatifs nous les appellerons paraphrases.

Or on constatera que, selon qu'il s'agit de saisir le sens ou la signification on produit un type de para­phrase particulière.

a) SAISIE DU SENS ET PARAPHRASES DEFINITIONNELLES

Soit l'exemple (6) «Patience rue d'Ulm ! ».

Nous conviendrons que cet énoncé peut être para­phrasé par :

(7) « Il faut que vous preniez patience rue d'Ulm ».

(8) « Soyez patient rue d'Ulm ».

(9) « Prenez patience rue d'Ulm ».

(10) «Dans la rue d'Ulm il faut être patient», etc.

A l'intersection de ces paraphrases se trouve une structure qui constitue le sens de (6), structure qui nous informe que :

• JE donne un conseil à TU.

• JE-TU sont dans un rapport d'interlocution di­recte.

a Le contenu de ce conseil est :

• Vous <— être patient (relation attributive).

• Dans la rue d'Ulm (localisation spatiale).

b) SAISIE DE LAji SIGNIFICATION ET PARAPHRASES DESIGNATIONNELLES

Replaçons maintenant l'exemple (6) dans la situa­tion énonciative précise dans laquelle il a été produit comme discours.

Il s'agit d'une information donnée par la speakerine de la station de radio émettrice « F.I.P. » dont on sait — par convention — qu'elle diffuse de la mu­sique toute la journée et des informations sur l'état de la circulation dans Paris.

Ce discours peut alors être paraphrasé par :

(11) « Il y a un embouteillage rue d'Ulm ».

(12) «La circulation est ralentie rue d'Ulm». (13) « Vous roulez lentement rue d'Ulm ».

Discours en apparence fort différents les uns des autres mais qui sont équivalents par ce fait qu'ils appartiennent à la même intention de communi­cation qui se trouve, comme précédemment à l'in­tersection de ceux-ci, à savoir :

« je vous préviens, il y a un embouteillage rue d'Ulm ».

c) PARAPHRASES DEFINITIONNELLES ET PARAPHRASES DESIGNATIONNELLES

Les paraphrases définitionnelles sont ainsi appelées parce qu'elles se trouvent dans un rapport para-digmatique les unes vis-à-vis des autres et que tout signe ou séquence de signes se définit par opposition à d'autres signes ou séquences de signes du même paradigme pour une série contextuelle donnée. Il en est de ces paraphrases comme pour « taxi », « métro », « autobus », « voiture » dans le contexte « pour aller à mon travail je prends :

le taxi le métro l'autobus ma voiture ».

Ces signes se définissent les uns par rapport aux autres dans le paradigme sémantique /moyens de transport/.

• Les paraphrases désignationneïles sont ainsi ap­pelées car ce qui justifie leur affinité n'est pas un rapport structurel paradigmatique mais un rapport de désignation d'une même intention de commu­nication. De même que l'on peut désigner une même personne par les termes «fils», «soldat», «Jac­ques », « aîné », « consolation », « révolutionnaire » — une mère attendant son fils qui vient en per­mission pourra dire : (15) « Aujourd'hui je vais voir mon... » et utiliser l'un des termes ci-dessus mentionnés, sans que ces termes, cependant, se défi­nissent les uns par rapport aux autres, de même, une même intention de communication peut être désignée de plusieurs façons, chacune lui conférant une spécificité particulière.

On remarque de plus que ces signes ou séquences de signes peuvent, contrairement au cas précédant,

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Page 34: SENS ET COMMUNICATION

se trouver dans un enchaînement syntagmatique. On pourait très bien concevoir des discours du genre :

(15 bis) « Aujourd'hui je vais voir Jacques, mon fils, mon soldat, ma consolation, mon désespoir », ou (6 bis) en combinant (9), (11) et (12) «Prenez patience rue d'Ulm car un embouteillage y ralentit la circulation ».

Ceci explique que les paraphrases définitionnelles soient dans les rapports structurels de type : syno­nymie, antonymie, hyponymie, e t c . , et que les paraphrases désignationnelles soient dans des rap­ports de contiguïté de type : rhétorique (synecdoque, métonymie, etc.) et autres transferts.

Ex. : Entre (7) et (9) il y a un rapport para-syno-nymique, plus une ellipse dans (9), entre (6) et (11) il y a un raisonnement « explicatif » de cause-conséquence /C'est parce qu'il y a un embouteillage rue d'Ulm qu'il faut que vous preniez patience/.

1.4. Conclusion : la double structuration sémantique

• Des propos qui précèdent, nous sommes amené à conclure qu'il n'existe pas une seule structuration linguistique, mais au moins deux.

Struct, de langue

Paraphrases définitionnelles

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Si, partant de ce que nous appellerons maintenant d'un terme général : «un texte», nous nous inté­ressons exclusivement à son aspect explicite, et cherchons à en dégager les catégories de langue qui ont permis sa réalisation, comme sens, alors nous aboutirons à une structuration de la langue par le biais des paraphrases définitionnelles.

Si, en revanche, partant du même texte, nous nous intéressons à son aspect implicite et cherchons à en dégager les catégories de discours qui ont per­mis sa réalisation comme signification, alors nous aboutirons à une structuration du discours par le biais des paraphrases désignationnelles.

Nous en ferons une représentation figurée (ci-dessous) :

Mais 1 on se rend tout de suite compte que, du point de vue méthodologique, la Structuration de Lan­gue (1) présuppose la structuration de discours (2) si bien que le linguiste se trouve constamment devant ce problème : qu'est-ce qu'une structuration de discours qui ne reposerait pas sur une structu­ration de la langue, et qu'est-ce qu'une structuration de la langue qui se satisferait d'elle-même et qui serait menée indépendamment du discours, puisqu'on ne communique qu'avec du discours ?

Nous voyons par là-même se dessiner le problème qui se posera à l'enseignant : comment aborder avec les enfants cette double structuration sémantique ?

Struct, de discours

4 \\ / Paraphrases

/ désignationnelles

(Enonce) (Discours)

^ TEXTE V

(Explicite) (Implicite)

Page 35: SENS ET COMMUNICATION

2. HYPOTHESES PEDAGOGIQUES

C'est ici que, comme nous l'avions annoncé dans l'avertissement, nous allons devoir radicaliser notre point de vue par rapport à d'autres pratiques péda­gogiques, non point pour détruire celles-ci, mais pour mieux faire comprendre nos options.

2.1. Nous avons posé, pour commencer (1.1.) que « tous les systèmes de formes naissent du sens, et que le sens naît lui-même d'un procès de commu­nication ».

Dès l'instant que l'on a accepté un tel postulat, il nous semble que l'on devrait chercher à construire une démarche pédagogique qui mette l'élève au cœur d'une procédure d'apprentissage qui prendrait le sens comme point de départ.

Or il nous apparaît, à travers les lectures que nous avons pu faire sur l'enseignement de la grammaire, que les procédures suivies souffrent d'une contra­diction et suivent une démarche pseudo-ûiductive. Expliquons-nous.

a) Lorsque l'on fait travailler les élèves au décou­page syntaxique d'une phrase, que le modèle d'ana­lyse soit structuraliste, fonctionnel ou génératif, on le fait soit dans le but d'initier l'élève au manie­ment d'un instrument d'analyse en soi — et le lan­gage devient alors un objet-prétexte —, soit dans l'espoir que la prise de conscience d'un mécanisme formel ait une action, par récurrence, sur la prati­que du langage et donc l'améliore.

Dans le premier cas, il n'y a rien à dire si ce n'est qu'il s'agit dans ce cas de l'apprentissage d'un sys­tème formel — comme s'il s'agissait d'un modèle mathématique —, mais dans le deuxième cas, nous disons d'une part qu'il s'agit d'un pari, d'autre part qu'il y a une contradiction. Qu'il s'agisse d'un pari ne peut être une critique ; la plupart de nos hypo­thèses pédagogiques sont des paris. Encore faut-il être bien conscient, qu'à l'heure actuelle, rien ne nous permet d'affirmer que cette action, par récur­rence, de la saisie d'un mécanisme formel sur la pratique du langage ait une quelconque réalité. Voilà pour le pari.

Mais nous disons également qu'il y a contradiction entre l'objectif d'amélioration de la pratique du langage et la procédure suivie, car on peut se de­

mander comment un découpage formel de la phrase aura cette action par récurrence sur la pratique du langage, puisque cette pratique est sémantique dans la mesure où elle s'inscrit dans un procès de commu­nication, et que l'on croit que communiquer c'est transmettre du sens.

b) Pour ce qui est de la démarche pseudo-induc­tive nous voulons dire que la tendance moderne est à faire réfléchir les élèves sur un problème avant de les amener à trouver la solution. En cela c'est très bien. Mais il se trouve qu'en linguistique, il n'y a pas une solution et une seule au découpage syntaxi­que d'une phrase. Certes il n'y a qu'une solution pour un modèle d'analyse donné, mais il y en a plusieurs si nous ne posons pas au départ l'existence du modèle. Et c'est là que la démarche inductive est une illusion, puisqu'on veut amener les élèves à découvrir un métalangage qui est préalablement posé par le maître. Là non plus nous ne disons pas qu'il faille rejeter cette procédure, mais nous vou­drions que l'on prenne bien conscience de ce qu'elle implique.

2.2. On a vu ensuite, dans nos hypothèses linguis­tiques, que tout discours pouvait faire l'objet d'une double structuration parce qu'il contient un sens socialisé et une signification individualisée. En fait le sens est une réalité fictive puisque tout discours est produit en situation énonciative et donc se pré­sente avec une signification particulière. Quoiqu'il en soit il contient un double sémantisme et à ce titre est doublement ambigu pour le récepteur.

Or il nous apparaît que les procédures utilisées pour enseigner la grammaire ne tiennent que très rare­ment compte de ce fait, dans la mesure où elles pren­nent comme point de départ une phrase pratique­ment désambiguïsée puisqu'elles n'interrogent pas au préalable la situation énonciative qui la déter­mine.

Nous retrouvons ici la contradiction précédemment mentionnée : comment travailler au découpage d'une phrase en voulant qu'il y ait récurrence au niveau de la pratique, si on ne sait pas quelle signification l'élève investit dans la phrase en question qu'elle soit produite par lui, ou qu'il la reçoive et l'inter­prète ? Prenons une phrase de situation de dialogue au hasard et avant de l'analyser demandons-nous ce qu'elle pourrait vouloir dire. Nous trouverons plusieurs significations. Puis faisons cet exercice

39

Page 36: SENS ET COMMUNICATION

d'élucidation avec les élèves et nous en trouverons encore plus.

Ceci pose également le problème des exercices struc­turaux, car bien souvent on n'a pas conscience que l'on donne comme identiquement formelles des structures de phrases qui en fait contiennent des sémantismes différents et dont, au total, les struc­tures syntaxico-sémantiques sont différentes.

Enfin nous constatons que la plupart des métalan-gages grammaticaux proposés ne représentent pas dans leur formalisation la marque de renonciation lorsque celle-ci est donnée explicitement dans le discours.

Par exemple une analyse de type génératif donnera pour : (16) « Je préfère les blondes » et (17) « Je pense que tu as tort», deux représentations diffé­rentes, certes, mais cette différence apparaîtra dans la structure même de la phrase. C'est-à-dire que le S.V. de (16) se décomposera en verbe + groupe nominal, alors que le SV de (17) se décomposera en verbe -f- phrase (S.N. + S.V.) + nominalisation.

Et pourtant l'essentiel de la différence entre ces deux phrases réside dans la situation énonciative. Celle-ci n'est pas marquée explicitement dans (16) et peut être du type : JE dire : «moi préférer les blondes », alors qu'elle est marquée explicitement dans (17) : JE penser : «toi avoir tort».

Dans le premier cas le locuteur profère un acte de parole par lequel il manifeste adhérer à son pro­pos, alors que dans le deuxième cas par son acte de parole il manifeste prendre une certaine distance par rapport à son propos. Du même coup, et malgré l'identité formelle, on ne peut pas déclarer iden­tiques (17) et (18) « je vois que tu as tort » puisque l'acte de parole de (17) est « dubitatif » alors que celui de (18) est « affirmatif ».

Mais cessons de critiquer et voyons ce que l'on peut proposer.

2.3. Une grammaire des faits de communication

Ce que nous proposons se précisera au cours de nos expérimentations, mais nous voudrions déjà en don­ner les grandes lignes.

Tout d'abord, nous situant en marge du « pari de récurrence » dont nous avons parlé, voulant éviter la contradiction « étude formelle —• saisie du séman-tisme pour une meilleure pratique » et voulant jouer

à fond le jeu de «la démarche inductive», nous cherchons à mettre en place une procédure — in­verse par rapport aux procédures habituelles — qui parte d'une interrogation du sens (1) pour aboutir à un classement des structures qui nous soit pro­posé par cette elucidation préalable et non imposé par un métalangage a priorique. A la limite donc, étant donné une phrase on ne peut pas savoir à l'avance quelle en sera la structure, ni combien de structures on trouvera.

Mais pour cela il faut certaines conditions.

a) La première, c'est précisément d'avoir une tech­nique d'élucidation. Nous avons dit dans d'autres fiches l'importance d'une elucidation par la pratique linguistique et nous en avons donné les principes. Nous voudrions donner, ici, le cadre de cette tech­nique.

Le problème étant de faire élucider la signification et le sens de la phrase sur laquelle on travaille on fera produire aux élèves des paraphrases dont on sait que les unes seront de type définitionnel et les autres de type désignationnel.

Mais afin de faire un travail de groupe efficace, il nous semble nécessaire que le maître ait à sa dis­position un questionnaire destiné à interroger la si­tuation énonciative.

Ce questionnaire, tiré de notre « réflexion pour une typologie des discours » et légèrement trans­formé, peut très bien s'appliquer à l'étude d'une phrase :

— Qui est JE ?

— Qui est TU ? : • Est-il unique ou multiple ? • Est-il présent ou absent ? • Y a-t-il échange ou pas entre JE-TU ?

— Rapport JE-TU : o Par quel canal (oral/graphique) JE s'adresse-t-il à TU ? • Comment JE voit-il TU (un ami, un adulte, etc.) ? (Imaginer ce qui a pu être dit avant et après.)

— Rapport JE-IL : • Où se trouvent JE et TU ? (le lieu est-il perti­nent ? Qu'est-ce qu'ils voient ?).

(1) « Sens », toujours dans son acception générale re­couvrant l'opposition Sens/Signification.

40

Page 37: SENS ET COMMUNICATION

• Le moment du discours est-il pertinent ? • Qu'est-ce que le TU ignore/sait du IL.

Mais comprenons bien le sens de ce questionnaire. L'objectif est de faire produire des discours qui doivent progressivement révéler différentes situa­tions énonciatives possibles (pratique intuitive). Il ne s'agit donc pas de livrer ce questionnaire aux élèves, mais de l'utiliser pour provoquer, le cas échéant, des discours élucidants, et pour classer ensuite ces discours.

b) Deuxième condition, il faut que le maître réflé­chisse — afin qu'il puisse faire réfléchir les élèves — à ce que pourrait être un classement des caté­gories linguistiques du point de vue sémantico-fonctionnel. C'est-à-dire non pas procéder à un regroupement morpho-syntaxique par types de syn-tagmes, déterminants et éléments de relation, non pas davantage chercher quelles sont les différentes propriétés du relatif « qui » ou de la particule néga­tive «ne», mais chercher à établir un regroupe­ment des catégories linguistiques qui, bien que non identiques formellement, sont sémantiquement équi­valentes car elles correspondent à une même fonc­tion sémantique.

Ex. : Vocatif, impératif, injonction, appellatif, in-terrogatif et certains verbes auxiliaires de modalité (ordonner, supplier, etc.) appartiennent, avec des nuances sémantiques variables à une même classe sémantique d'interlocution qui met JE et TU dans un rapport polémique.

Déictiques (démonstratifs, adverbes de lieu, etc.), temps et aspects appartiennent à une même classe sémantique du point de vue spatio-temporel du JE-TU.

Pour cette réflexion nous nous inspirons nous-mêmes des travaux de B. Pottier (1) qui nous montrent la voie à suivre. Nous voudrions simplement ajouter que toutes ces catégories linguistiques, éparses dans la grammaire traditionnelle, doivent pouvoir se ra­mener (2) :

— au rapport JE-TU, polémique, qui aboutit à une structuration interpersonnelle ;

(1) Voir prochaine édition de « Présentation de la l in ­guistique », chez Klincksiek.

(2) Voir annexe 3.

— au rapport JE-IL, situationnel, qui aboutit à une structuration référentielle de deux points de vue : • spatio-temporel (déictiques, temps, aspects) ; a notionnel (assertion, appréciation, quantification, etc.).

c) Troisième condition, avoir un métalangage mi­nimum.

Nous avons en effet critiqué la démarche pseudo-inductive qui consiste à poser au départ l'existence d'un métalangage qui conditionne toute l'analyse ; mais il est évident qu'on ne pourrait jamais faire d'analyse scientifique si l'on ne se donnait un ins­trument d'analyse avec ses concepts opératoires et critères de vérification.

Ce que nous voudrions cependant proposer c'est un métalangage qui ne colle pas trop au modèle théorique d'analyse.

Expliquons-nous. Dans les grammaires transforma-tionnelles, par exemple, le métalangage est issu du modèle d'analyse lui-même, ce qui fait que choi­sir d'utiliser ce métalangage c'est adhérer obliga­toirement au modèle d'analyse. (Il est évident que nous ne faisons pas ici allusion au simple repérage des S.N, et S.V. de surface, mais à un ensemble conceptuel avec ses structures profondes et règles de transformation). Dans une grammaire (au sens général) des structures du sens, il nous faut un métalangage qui soit un ensemble d'unités concep­tuelles et de relations en nombre réduit qui ne re­présente pas lui-même un modèle, mais dont la combinaison unités-relations permette de rendre compte de n'importe quel type de discours pro­duit.

Ainsi, et tenant compte de ce que nous avons dit dans nos hypothèses linguistiques, un tel métalangage doit pouvoir représenter :

— La structure syntaxico-sémantique sous-jacente à un ensemble de paraphrases jugées équivalentes ou en relation.

— La situation énonciative formulée explicitement par le JE.

— Les faits de transferts et intégrations sémanti­ques.

On verra en annexe d'une façon plus détaillée ce métalangage et son utilisation. Nous nous contente­rons ici d'en donner les grandes lignes.

41

Page 38: SENS ET COMMUNICATION

— LE MODELE DE FONCTIONNEMENT D'UNE PHRASE SERA AINSI REPRESENTE :

UE)^y-^r- d i t ~ ^ » IproposK^^s, à /~~»(Tu)

et (TU) ̂ -vx-» interprète.

Les flèches ondulées (<-

| propos | • de

-) représentent renon­

ciation formulée explicitement.

Ex. : « Je te demande de partir »

^ à ~ ~ > ( T U ) toi partir JE) r ^ - ~ ordres

alors que « je lui demande de partir

^ d i r e ~ JE ordre lui partir J E ~

— LES UNITES DE RELATION SONT LES SUI­VANTES :

• Entité : Unité conceptuelle dont la caractéris­tique est d'être autonome (c'est-à-dire de ne ren­

voyer qu'à elle-même). C'est elle qui constitue la base de tout énoncé. On la représentera ainsi : O

• Comportement : Unité conceptuelle dont la carac­téristique est de dépendre toujours d'une entité-base (c'est-à-dire de renvoyer toujours à autre chose qu'elle-même).

Elle constitue souvent la partie predicative de l'énoncé.

On peut subdiviser cette unité en : comportement statique : Q comportement dynamique : \ZZ1

• Deux types de relation :

— Relation exocentrique ou active qui implique une différence de puissance sémantique aux deux pôles (+) -• (—) — Relation endocentrique ou attributive dont la base support est indifférente à la notion de puis­sance "o <—

• LA MARQUE DE LA FORMULATION DENON­CIATION dont nous avons déjà parlé dans le modèle de fonctionnement (^^v,^-»)

Le chien est grand »

T E ) - . d i t .

(chien est grand)

Le chien dort

( J E ) ~ ~ - d i t Q

Voyons quelques exemples

i ~ x » ( T Ù

(chien dort)

« Le chien mange sa pâtée »

JE) ~ v ^ . dit o o (chien mange sa pâtée)

Je crois que le chien dort »

JEj/^^^croire ^ -~ a à~~*(ru)

(chien dort)

42

Page 39: SENS ET COMMUNICATION

Une telle formalisation nous montre qu'elle n'est pas un critère en soi, mais le dernier temps d'une analyse. Par sa simplicité, sa visualisation, sa sou­plesse, son souci de représenter l'ensemble de l'in­formation sémantique d'une phrase, elle devrait avoir une certaine efficacité dans l'enseignement grammatical.

Elle peut rendre compte de n'importe quelle phrase courte ou longue et permet de mettre en évidence des distinctions sémantiques que ne représentent pas d'autres formalisations.

Par exemple :

« la balle a traversé le mur »

o :ô et « Pierre a traversé la Manche »

o-i ^ ou bien « Pierre monte la valise :

Ô-C •O Pierre monte la garde :

ocn: (lexicalisation complète)

ou bien encore les intégrations :

« Peut-être que le plus important, c'est d'être venu

peut-être xjH-est —, •¿7 plus

important

Voilà donc pour la troisième condition, et nous ajouterons que l'on pourrait même concevoir que le métalangage, tel que nous l'entendons, soit inventé par les élèves, à condition toutefois que celui-ci se révèle économique et opérant, tant il nous semble que le plus important est l'élucidation sémantique qui doit être menée au préalable par les élèves.

Nous terminerons cet exposé de nos hypothèses de travail en précisant que si celles-ci ne nous semblent pas être les seules valables, il nous semble en revan­che, qu'il y a un réel danger :

— d'une part à n'attirer l'attention des élèves que sur les mécanismes formels du langage, car alors on maintiendra comme autrefois l'existence d'une cloi­son étanche entre le langage de la communication et celui de la classe de grammaire ; — d'autre part à faire croire aux élèves qu'il n'exis­te qu'un modèle d'analyse au lieu de leur laisser découvrir la -multiplicité des structures.

Nous préciserons encore que cet exposé concerne ce qui a trait à une micro-activité de la classe de français : la réflexion grammaticale.

En ce qui nous concerne nous ne pensons pas qu'il doive exister une classe de grammaire en soi et pour soi, mais nous pensons au contraire que cette activité reflexive doit s'appliquer à l'occasion de tel ou tel exercice de communication puisque la classe de français nous semble devoir être essentiellement une classe de communication.

C'est en liaison avec d'autres travaux exposés dans nos autres fiches du premier et second degré (1) qui « s'attaquent » à ce vaste projet d'enseigne­ment du sens et de la communication à l'école, que nous concevons le développement de ces hypothèses.

P. CHARAUDEAU

(1) Voir : — « Enquête socio-culturelle dans et par la classe ». — « Description de l'image ». — «L'objectif et le subjectif dans la description». — « Passage au récit oral ».

43

Page 40: SENS ET COMMUNICATION

II. PROCEDURE PEDAGOGIQUE

1. POUR REPONDRE AUX OBJECTIONS que nous avons faites dans notre « Essai de définition d'une recherche pédagogique » et au cours de l'ex­posé de nos hypothèses sur « Enseignement d'une grammaire du sens», il nous faut concevoir une procédure pédagogique à la fois globale, souple et précise dans la technique d'elucidation qu'elle met en œuvre.

Ainsi : — pour espérer obtenir une récurrence effective de la connaissance des structures du langage sur la pratique du langage,

— pour suivre une véritable démarche inductive qui permette à l'élève de découvrir et de se construi­re son savoir,

— pour éviter le cloisonnement artificiel entre les différentes approches de la langue (grammaire, vo­cabulaire, expression),

pour éviter donc ces trois obstacles, nous avons conçu une procédure pédagogique générale : — qui repose sur une succession de phases d'ac­tion pédagogique — pratique — connaissance — pratique —,

— à propos de l'étude du sens, — et qui met en œuvre un « savoir interroger » les phénomènes sémantiques du langage, — le tout mettant en évidence les structures du lan­gage en relation avec la « mécanique de la commu­nication ».

2. UNE TELLE CONCEPTION IMPLIQUE DONC :

2.1. Une technique d'elucidation — ce savoir inter­roger dont nous venons de parler —.

Cette technique d'elucidation repose sur des prin­cipes généraux qui tiennent à ce qu'est, d'une façon générale, l'approche de l'objet-langue, mais en même temps elle se spécifie selon l'aspect particulier de cet objet (phrase, discours, textes longs, etc.).

Cette technique d'elucidation multiple sera donc mise en place progressivement, en fonction de nos études,

mais on pourra en avoir déjà une idée si l'on se reporte à certains de nos exercices présentés ci-dessous à propos d'une phrase (3.1.) d'une faute d'expression (3.2.) et d'un sketch audio-visuel (3.3.).

2.2. Une procédure de déroulement du travail qui tienne compte de la succession des phases d'action pédagogique dont nous venons de parler (pratique — connaissance — pratique) :

a) PRATIQUE : pour que les productions des élèves puissent être exploitées dans le cadre d'une certaine action pédagogique, il faut que ces pro­ductions soient contrôlées (1).

On les contrôlera donc en plaçant les élèves dans des conditions de communication qui les amènent, sans brider leur spontanéité, à produire un ou plu­sieurs types de discours qui constitueront un maté­riau linguistique exploitable.

Cette phase sera donc caractérisée par, ce que nous appelons, des exercices de dramatisation. Exercices de « dramatisation » parce que, dans cette phase, nous partageons la classe en groupes, auxquels nous donnons une tâche à exécuter, ce qui a pour effet de mettre ces groupes en situation concurrentielle (mê­me tâche pour tous les groupes) ou en situation complémentaire (tâche partagée entre les groupes).

Nous sommes donc, ici, dans la phase du travail de groupe, le maître en profitant pour observer le comportement psycho-sociologique des élèves dans l'exécution de leur tâche.

b) CONNAISSANCE : une fois le travail exécuté en groupes, il y a, bien évidemment, confrontation, comparaison et critique générale des résultats.

C'est ici que doit être mise en œuvre la technique d'elucidation spécifique de l'objet étudié.

Cette phase, importante au plus haut point, puisque c'est d'elle que va dépendre la possibilité de réin­vestissement futur par l'élève d'un nouveau savoir dans une nouvelle pratique, sera faite collectivement, et c'est alors que le maître entrera à part entière dans les circuits de communication qui s'établiront dans la classe. Il lui faudra, là, un certain savoir

(1) On aura compris que « contrôler », ici, ne veut pas dire « soumettre » ni « contraindre autoritairement », et donc n'est pas blocage de la spontanéité.

44

Page 41: SENS ET COMMUNICATION

faire pour que son « savoir interroger » les phéno­mènes mis en évidence, ne bloque pas l'élève dans une attitude passive mais au contraire incite celui-ci à construire son propre savoir.

Nous sommes donc, ici, dans la phase collective de la procédure générale.

c) PRATIQUE : c'est le moment critique où l'élève doit réinvestir son travail antérieur dans une nou­velle pratique. C'est le moment où l'on peut vérifier qu'il y a, à la fois, récurrence et génération d'une nouvelle aptitude à communiquer. C'est le moment enfin, où l'élève doit se découvrir une certaine capacité — voire une certaine puissance — à commu­niquer et/ou élucider.

Mais cette phase, on le comprendra aisément, doit elle aussi, être contrôlée.

Il faudra pour cela trouver des consignes de produc­tion qui permettent à l'élève de réinvestir son savoir dans deux domaines :

•— domaine critique, qui consiste à vérifier que l'élève est maintenant capable de démonter, à son tour, un certain mécanisme linguistique (par exem­ple analyser seul d'autres phrases, interroger sa pro­pre expression et au besoin s'autocorriger, lire une bande dessinée, etc.),

— domaine de réécriture, qui consiste à vérifier si ce nouveau savoir permet à l'élève d'améliorer, de diversifier, de contrôler sa propre écriture.

Nous sommes, ici, dans la phase individuelle de no­tre procédure (ce qui n'exclut pas quelques produc­tions collectives).

On se reportera au tableau ci-joint qui donne une vue d'ensemble de cette procédure.

2.3. Enfin, notre conception de l'action pédago­gique implique une étude et un choix du matériau de travail.

On se reportera à notre « Essai de définition d'une recherche pédagogique» (3.1.), pour ce qui est du classement de ce matériau et nous nous contenterons de faire quelques remarques :

— CE MATERIAU DOIT ETRE VARIE ET DIF­FERENCIE, mais on évitera un cloisonnement entre chaque type. Par exemple on ne considérera pas le travail sur un poème comme plus noble ou plus important, et on montrera, au contraire, que tel phénomène linguistique découvert lors de l'étude d'une phrase, par exemple, se retrouve dans le dialogue d'une bande dessinée, dans un poème, dans une publicité, etc.

— La différenciation du matériel se fera également en fonction des âges, des niveaux, etc.

— Enfin, ce matériau est évidemment ouvert et l'on essaiera, chaque fois que cela sera possible, de le faire choisir par les élèves.

P. CHARAUDEAU.

45

Page 42: SENS ET COMMUNICATION

\ . PROCEDURE ^^PEDAGOGIQUE

^ \ ^

MATERIAU ^ \ .

MATERIAU

Compte rendu d'événements Documents visuels (sonores)

Ex. : — Images s

— Dessins - photos — B.D. , — Sketches filmiques

Corpus à constituer (ou constitués) — Article de diction­naire — Listes de concordance — Manuels — Fautes

Textes littéraires ou non —• Poèmes — Chansons — Publicité — Prose (contes, nou­velles, ...)

— Jeux divers

P R A T I Q U E

DRAMATISATION (Tâche)

Phase de groupes

1. Donner ou faire choi­sir le matériau de travail 2. Consigne de travail (sit. concurrentielle ou complémentaire) 3. Exécution du travail en groupe

E

—» Fabriquer dialogues/ • récits

—» Fabriquer une histoi­re à partir d'un sketch en images muettes.

——> Comparaison et cri­tique de dictionnaire (un même article)

—» Sur un corpus, cher­cher des fautes et essayer d'expliquer

—> Reconstitution de texte (particulière)

—> Phrases à tons, mots croisés, etc.

CONNAISSANCE

ELUCIDATION (Technique)

Phase collective

1. Rapport et confronta­tion du travail 2. Analyse - Classements

X E M P L E

—> Comparaison - Elu­cidation critique - Etude de phrases

—> Comparaison - Eluci­dation texte, image

—> Comparaison - Réor­ganisation sémantique

—> Comparaison - Elu­cidation - Correction

—> Elucidation lexicale et phrastique (étude des re­gistres)

—> Elucidation lexicale et phrastique

P R A T I Q U E

PRODUCTION (Consignes)

Phase individuelle 1. Consigne de produc­tion - Critique Consigne de production -Réécriture 2. Constitution libre de dossiers

S

—> Consignes de trans­formation

—> Consignes d'étude d'un autre sketch

—» Réécriture d'un arti­cle

—» Auto-correction

—> Faire faire une re­constitution par un élève

—» Exercices individuels divers

46

Page 43: SENS ET COMMUNICATION

EXEMPLES

I. EXERCICE D'ELUCIDATION SEMANTIQUE A PARTIR D'UNE PHRASE DONNEE

BUT DE L'EXERCICE

Le professeur semble souvent imposer une analyse grammaticale des phrases qui n'est pas « sentie » par les élèves. L'analyse est appliquée mécaniquement sans que la nécessité en soit comprise. Car cette nécessité est liée au sens de la phrase, et si ce sens va de soi pour le professeur, il n'en est pas de même pour le élèves.

Une phrase isolée, même lorsqu'elle est extraite d'un texte, n'est pas « reçue » et interprétée de la même manière par tous les élèves. Selon sa per­sonnalité, ses soucis du moment, la situation de communication qu'elle évoque ou rappelle, chaque élève a une « lecture » particulière de la phrase, même si celle-ci paraît non ambiguë.

Il faut partir de cette « lecture » particulière et donner à chaque élève l'occasion d'exprimer sa pro­pre interprétation, avant de passer à l'analyse gram­maticale.

Entre les différentes « lectures » il y a souvent de grandes divergences qui ne dépendent pas des évé­nements différents auxquels les élèves se sont réfé­rés pour interpréter la phrase, mais d'une struc­turation différente des divers éléments de la phrase. Autrement dit, ce ne sont plus des différences de signification impliquées par les différentes situa­tions de parole imaginées, mais des différences de sens plus linguistiques liées à des points de vue différents sur la construction même de la phrase et sur les rapports qu'entretiennent entre eux les dif­férents éléments qui la composent.

Ces « lectures » différentes du sens classées, il est alors possible d'aborder l'analyse proprement dite,

afin de voir que ces « lectures » dépendent d'une compréhension différente des rapports syntaxiques et sémantiques.

Cet exercice consiste donc à faire prendre conscience aux élèves qu'une même phrase peut être inter­prétée différemment et que l'analyse grammaticale qu'on en fait dépend de l'interprétation qu'on lui donne, l'analyse de la syntaxe ne pouvant être séparée d'une réflexion sur le sens.

PROCEDURE GENERALE

Choisir volontairement une phrase ambiguë et conduire les élèves à expliciter ce qu'elle leur « dit », au moyen de paraphrases. Puis regrouper les para­phrases de signification voisine et les distinguer de celles qui ont un sens différent. Passer à l'analyse proprement dite en demandant aux élèves la ma­nière dont ils voient l'organisation des différents éléments de la phrase. Fixer cette organisation-in­terprétation par des schémas ou des graphiques, si possible, proposés par les élèves.

DEROULEMENT CHRONOLOGIQUE

1. Ecrire la phrase au tableau, sans commentaire.

2. Demander à chaque élève d'en écrire une para­phrase (ou plusieurs) sur un cahier. Cette phase doit être silencieuse : une « lecture » donnée à haute voix, risque d'orienter les autres.

3. Rassembler et classer les paraphrases proposées. Sous un même sens on peut regrouper des para­phrases de significations différentes. Généralement, il n'y a pas trop de difficultés, les différences de sens apparaissent aux élèves (et au professeur) d'une « nature » différente des différences de si­gnification.

47

Page 44: SENS ET COMMUNICATION

4. Analyse « sémantico-fonctionnelle ».

Appliquer le questionnaire relatif à la situation énonciative (cf. fiche B).

Classer les catégories « sémantico-fonctionnelles » [cf. fiche B en commençant par les unités concep­tuelles («entités» et «comportements»), puis en passant aux «relations»].

5. Fixer l'analyse par une représentation visuelle abstraite (soit celle proposée dans la fiche B, soit une autre inventée par les élèves).

PREPARATION DE L'EXERCICE

— Recherche des phrases ambiguës à la fois au niveau du vocabulaire et de la syntaxe.

— Réfléchir aux diverses interprétations possibles et à leur analyse.

RESULTATS A CONSIGNER

— Les paraphrases trouvées.

— Les classes de paraphrases. — Les schémas de visualisation.

EXEMPLE

1. Phrase de départ

Je l'ai trouvé malade.

2. Paraphrases (quelques exemples)

a. Je suis allé chez lui et il était malade.

b. Je l'ai découvert au coin de la rue et il était malade (un petit chien).

d. J'ai pensé qu'il était malade.

e. J'ai eu l'impression qu'il était malade.

f. Pour moi, il était malade.

g. J'ai vu que ça n'allait pas.

h. Il disait qu'il allait bien, mais moi j 'ai découvert sa maladie.

i. J'ai découvert qu'il était malade.

3. Classement des paraphrases

— Sens « recontrer, tomber sur » : a, b, c.

— Sens « estimer, juger » : d, e, f, g. — Sens « découvrir » : h, i.

4. Analyse

— Les « unités conceptuelles

62) trouver

— Les «, relations » dépendent des sens.

5. Visualisation

—• Sens « rencontrer »

malade

trouver

Sens « estimer »

( J E ) ~ - ^ ^ trou ver ~ O > e— malade

Sens « découvrir :

trouver

è c. Quand je suis arrivé, il était malade. H. BESSE

48

Page 45: SENS ET COMMUNICATION

II. EXERCICE D'ELUCIDATION SEMANTIQUE A PARTIR D'UNE « FAUTE D'EXPRESSION »

(Proposition d'un schéma de travail)

— TEXTE

« Verlaine écrivit ce sonnet, qui s'incorpore dans son œuvre « Jadis et naguère », ... »

— BUT

Etablir une stratégie pour que l'élève découvre par lui-même l'inadéquation qui existe entre sa propre expression et le consensus linguistique découvert à travers le corpus constitué par lui-même et les au­tres élèves.

Ainsi le rapport élève-maître (modèle) deviendra élève-consensus (modèle) dans lequel se trouvent le maître et les camarades. L'expression correcte de­viendra du même coup un problème de commu­nication.

1. Constitution du corpus (A partir de dictionnaire, de documents, de la production des élèves)

— « Pierre a incorporé un développement nouveau dans sa rédaction. »

— « Il faudrait incorporer ce paragraphe dans le premier chapitre. » — « Ils ont incorporé des territoires étrangers dans leur empire. »

— « Quand il viendra à Paris, on l'incorporera dans notre société. •» — « Tout de suite elle fut incorporée dans la fa­mille. »

— « Je vais bientôt être incorporé dans l'armée comme médecin. » — «... puis vous prenez des œufs et vous les incor­porerez à la sauce. »

— « Il faudrait incorporer cette indemnité au trai­tement. »

— « Les bâtons de dynamite sont incorporés à la roche... »

— « On incorpore dans la matière des éléments de granit qui font corps avec elle. » — « La fibre de verre est incorporée dans le bois... »

2. Observation

Faire découvrir les constantes :

— syntaxiques :

soit : P

Prép. GN

— sémantiques : A 1 —» «animé», «humain». A 2 plus petit que A 3 (cf. mettre + dans). A 2 et A 3 appartiennent au même domaine.

3. Manipulations

a) TRANSFORMATIONS SYNTAXICO-SEMANTIQUES

Il s'agit de savoir si on peut commencer par un autre actant que A 1, pour révéler des contraintes.

A 2 -» Passif : A 2 est incorporé dans A 3 por A 1. —» Résultatif : A 2 est incorporé dans A 3.

A 3 - > Impossible à moins de transformer le verbe : A 3 comprend A 2. A 1 = A 2 Vision active par transfert de la puis­sance de A 1 à A 2.

A l - A2 (puissant)

(S incorpore ® (n. A3

puissant)

Conséquence : Si A 1 et A 2 sont tous les deux « animés-humains » on a affaire à un « moyen ac­

tif » («Pierre s'est incorporé tout seul à...»).

Si A 2 n'est pas « animé-humain » alors on a affaire à un « moyen passif » ( « ce paragraphe s'incorpore­rait fort bien dans ce chapitre »).

49

Page 46: SENS ET COMMUNICATION

b) TRANSFORMATION MORPHO-SEMANTIQUE

Dans tous les cas c'est incorporation qui apparaît («l'incorporation de l'Autriche à l'Allemagne», « sursis d'incorporation », « l'incorporation d'une indemnité à un traitement», etc).

On remarquera que dans tous les cas : A 1 procède à l'incorporation. A 2 subit l'incorporation.

c) REDUCTION ACTANCIELLES

On remarquera que l'on ne peut supprimer A 3 que dans le domaine « Armée » :

: Pierre vient d'être incorporé »

: L'incorporation des conscrits »

donc comportement

à part.

Dans les autres cas il faut : — des référentiels : « Il faudrait y incorporer ce paragraphe » « Il s'y est incorporé très aisément »

•— ur.-j situation contraignante : (dans le récit) « 11 faut l'incorporer davantage » (dans une négociation) « Il faudra incorporer ce territoire »

PREMIER RESULTAT syntaxico-sémantiques :

Schéma des contraintes

0 /

/ /

/ an.-humain

i i

puissant

r -\ 1 r i i

>, A2-£.A3] i l » •

action /""*\ mouve- ^ [ \ i V ment V J

dynamique ' N ^ v ' : i

1 i

n. puissant n. puissant • i • •

subissant statique

4. Recherche des ensembles lexicaux et analyse sémique

Il s'agit d'établir pour chacun des types d'exemples

corps d'armée

(par domaine psycho-socio-linguistique) deux séries paradigmatiques, celle des synonymes et celle des antonymes :

incorporer appeler, enrôler, recruter (dans)

libérer, avoir la quille exempter, réformer

territoires, pays, régions

paragraphe développement

indemnité, liste

famille, groupe, gens, société

matière

annexer, intégrer, rattacher (à) détacher, séparer, retirer

insérer, introduire (dans) rattacher (à)

inclure (dans), ajouter (à)

intégrer, introduire, associer

incorporer, introduire, encastrer

détacher, séparer retirer

retirer, retrancher

exclure, éliminer, séparer

dégager, extraire, retirer.

Remarque :

— Dans chaque domaine, existe un terme plus adé­quat que les autres (soulignés).

— On remarquera alors que c'est dans les deux seuls

domaines Armée et Matière qu'incorporer est le plus adéquat.

— On posera que les autres emplois sont des trans­ferts du concept d'incorporer à d'autres domaines (dont la série est ouverte).

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Page 47: SENS ET COMMUNICATION

Au cours de ces transferts le terme emporte dans son semantisme une partie du domaine auquel il appartient. C'est ce qui provoque l'impression de « trop concret » relevée dans le contexte de la copie analysée par les correcteurs. Ceci expliquerait de même l'ironie de « on va à l'incorporation » dit par le chef du personnel qui va embaucher.

— Enfin on remarquera que les traits de signifi­cation constants sont :

/mettre dans/ (qui implique A 2 et A 3 et A 1) et /dépendance/.

5. Schéma de configuration sémantique

Libérer

Avoir la quille

Démobiliser

Bureau A

Recrutement I f l /accepter/ l y

Dégager

Extraire

Retirer

^Comptabilité. ' x \ \ Inclusion

A /éléments

Constituants/

Embauche Intégration

rx\ Territ. Géo\ „ A\ | Annexion ^domination/

x = /mettre dans/

y •= /dépendance/

z t= /sortir de/

Appeler Introduire

Enrôler Encastrer

Recruter Mettre dans

Insertion

Conclusion : Ceci n'est pas encore la version péda­gogique du système d'auto-correction, mais repré­sente le soubassement de ce système. P. CHARAUDEAU.

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Page 48: SENS ET COMMUNICATION

I l l EXERCICE D'ELUCIDATION DE LA SITUATION DE COMMUNICATION ET APPROCHE DU RECIT ORAL

I. REFLEXIONS SUR LES FINALITES DE L'EXERCICE

Il ne s'agit pas, ici, de développer une analyse rigoureuse de ce qu'est le récit, mais simplement de présenter les quelques considérations qui nous ont conduit à proposer l'exercice de la fiche d'expéri­mentation donnée en annexe.

1. Quelques caractéristiques de renonciation du récit oral

1.1. Les dictionnaires définissent le récit comme « une relation » ou « une histoire », écrite ou orale, « d'un fait» (Petit Larousse) ou «d'événements réels ou imaginaires » (Robert, Dictionnaire du Fran­çais Contemporain). Les parasynonymes en seraient «narration», «rapport», «conte», etc.

Ces définitions sont peu satisfaisantes, mais elles mettent l'accent sur ce qui distingue, dans une première approche, le récit de types d'enonciation différents, comme le dialogue, par exemple. C'est « une histoire » ou « une relation », c'est-à-dire, une suite plus ou moins longue d'énoncés prononcés par un même locuteur qui n'est pas ou peu interrompu par son ou ses auditeurs. De plus, le récit semble impliquer une certaine successivité temporelle : cette suite d'énoncés fait référence à un fait ou à des séries de faits qui se sont déroulés ou auraient pu se dérouler dans un certain ordre, celui par lequel nous avons coutume d'interpréter la durée, le temps vécu. En cela, le récit se distingue de l'exposé, qui est, lui aussi, un discours continu, mais qui organise les faits rapportés selon un ordre logique ou conven­tionnel, pour ainsi dire a-temporel, puisque la suc­cessivité selon laquelle ils sont évoqués dans le discours ne correspond plus à celle selon laquelle ils ont été vécus. Il est à noter que même les récits imaginaires reproduisent l'expérience d'un avant et d'un après (cf. les récits de science fiction).

1.2. Toute énonciation suppose un locuteur et un auditeur (ou des auditeurs), et chez le locuteur l'intention d'influencer l'auditeur d'une manière ou d'une autre. Mais il existe des types de communi­cation divers, selon les facteurs qui entrent en ligne de compte.

Qu'il soit écrit ou oral, le récit est contraint par le fait qu'il évoque des faits auxquels n'assiste pas l'auditeur. Dans un dialogue dont les énoncés ren­voient à la situation de discours, aux choses qui se trouvent dans l'environnement du locuteur et de l'auditeur, la communication peut s'appuyer sur ces réalités. Il n'en va pas de même dans le récit. L'au­diteur ne connaissant pas ce qu'évoque le locuteur, a besoin de nombreuses indications sur le temps, le moment où se sont déroulés les événements nar­rés, leur durée, leur lieu et leurs circonstances ; il a besoin de savoir à quoi ressemblent les personna­ges auxquels il est fait allusion, comment ils s'ex­priment, pourquoi ils agissent ainsi. Il ne peut s'appuyer sur les circonstances au milieu desquelles se déroule l'acte de communication du récit ; l'en­tourage physique de cet acte l'aide mal à saisir ce qui est raconté : il importe peu à un récit, que les interlocuteurs soient assis, debout, ou couchés, qu'ils soient à la terrasse d'un café, dans un appartement ou dans un train, qu'il fasse froid ou qu'il fasse chaud, les paroles prononcées n'ont que des rap­ports très indirects avec la situation réelle et pré­sente des interlocuteurs. Le récit dépayse, entraîné les interlocuteurs dans un monde qui n'est relié au ici et maintenant de renonciation que par la voix du locuteur. Bref, les interlocuteurs ne peuvent guère compter, dans leur désir de communication, sur un certain univers perceptif commun, et doivent s'appuyer avant tout sur des moyens proprement lin­guistiques. Pour reprendre la distinction classique du Cercle linguistique de Prague, le récit est beau­coup plus proche du discours explicite et donc auto­nome, que du discours implicite ou de situation.

Il s'ensuit que le récit doit faire appel à des pro­cédés linguistiques plus complexes et plus struc­turés que le dialogue.

1.3. Mais si le récit est relativement autonome par rapport à la situation de discours, il ne l'est pas par rapport au locuteur sujet de renonciation. Celui-ci est toujours présent dans les énoncés du récit : il n'y a pas de récit qui ne soit d'une ma­nière ou d'une autre imprégné par la subjectivité de celui qui le fait. Tout récit porte la marque per­sonnelle de celui qui l'énonce.

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Page 49: SENS ET COMMUNICATION

Certes, le plus souvent, le récit se fait à la troisième personne, à la non-personne, selon E. Benvéniste, mais, même si le locuteur n'a pas assisté aux évé­nements qu'il relate, par le fait seul de les relater, il prend position par rapport à eux. Il dit, plus ou moins ouvertement, ce qu'il en pense, ce que leur évocation provoque en lui.

Cette marque peut être explicitée dans le récit lui-même, par des verbes (J'ai eu l'impression que... ; je pense que... ; etc.), par des incises (me semble-t-il ; à ce que je crois ; etc.), et par de nombreuses formes dans lesquelles le locuteur affirme claire­ment que ce qu'il rapporte n'est pas la réalité toute simple, comme photographiée, mais sa manière pro­pre de rendre compte des événements. Cette attitude du locuteur par rapport à ce qu'il dit n'apparaît souvent pas aussi manifestement. Elle se décèle dans le choix des substantifs (appeler un personnage ce type plutôt que ce monsieur peut montrer qu'on entretient à son égard un certain mépris), des ad­jectifs (il portait une chemise d'une propreté dou­teuse), des adverbes, ou de certains compléments (il s'exprimait avec insolence), etc., autant de fa­çons indirectes de dire ce qu'on pense des faits rapportés, et d'induire l'auditeur à réagir comme on a réagi.

Les énoncés d'un dialogue de situation portent aussi la marque des locuteurs, mais plus directement, pas à travers et sous le couvert de l'évocation d'évé­nements. Le récit met en jeu une sorte d'emboî­tement d'une première communication dans une seconde communication, et le locuteur de renoncia­tion n'est jamais exactement le même que les per­sonnages sujets qui apparaissent dans les énoncés. Cela est vrai, même dans le cas d'une confession ou du récit d'un événement dans lequel le locuteur a été personnellement engagé, le je du moment de renonciation n'étant plus le je du temps du récit. Un exemple fera comprendre ce que nous entendons par emboîtement. Supposons qu'un locuteur ait été témoin d'un petit dialogue entre deux personnes, et qu'il relate cette conversation à un auditeur, qui ne connaît pas ces deux personnes et qui n'a pas été témoin de cette conversation ; pour que l'auditeur puisse comprendre le récit, il faut que le locuteur lui décrive ces deux personnes, le heu et le moment de la conversation (cf. 1.2.) et qu'il rapporte les paroles qui ont été prononcées ; mais le locuteur ne reproduit jamais exactement, il interprète un sou­venir, et restitue ce souvenir interprété. L'auditeur n'a donc qu'une relation imparfaite de ce qui s'est

effectivement dit et il doit interpréter quelque chose qui est déjà une interprétation. Autrement dit, ce qu'il entend est un discours sur un autre discours. L'acte de communication que constituait le dialogue est relaté, rapporté par un acte de communication aux caractères très différents.

L'auditeur est donc confronté à un travail de déco­dage complexe, découvrir à travers une communi­cation à laquelle il participe, une communication à laquelle il n'a pas participé. Et si l'auditeur ne veut pas voir l'événement rapporté exactement comme le locuteur cherche à le lui faire voir, il lui faudra distinguer constamment ce qui relève de la première communication de ce qui est le fait de la seconde.

1.4. Il faut enfin, brièvement, distinguer le récit oral du récit écrit. Dans le premier, l'auditeur est présent (si nous excluons les récits enregistrés au magnétophone ou au magnétoscope), au moment de renonciation. Il n'en va pas de même dans le se­cond.

Imaginer un auditeur (ou un auditoire) fictif quand on écrit n'est pas la même chose que d'avoir un auditeur (ou un auditoire) physiquement en face de soi. Les réactions de celui à qui est destiné le récit s'inscrivent instantanément sur son visage, dans son comportement. Le locuteur sent et voit constam­ment dans quelle mesure il influence son auditeur. Celui-ci peut d'ailleurs intervenir, protester, deman­der le sens d'un terme, exiger une précision complé­mentaire, ou manifester son incompréhension pour obliger l'auditeur à reprendre son récit, à mieux s'expliquer.

Si, dans un récit oral, le locuteur rapporte des paroles, il peut, par le ton de sa voix, le rythme de son elocution, ses mimiques, ses gestes, imiter le personnage qui parle. A l'écrit, il faudra, à l'aide des mots, de la ponctuation, caractériser la maniere de parler de ce même personnage. Les éléments para-linguistiques jouent donc un rôle plus grand dans le récit oral que dans le récit écrit, et c'est sans doute pourquoi il est plus spontané, plus facile que le récit écrit.

Notons enfin que le ton de la voix est très riche en indications manifestant l'attitude du locuteur par rapport à ce qu'il relate. On peut, peut-être, dé­couvrir des indications analogues, mais plus délicates à déchiffrer, dans un récit manuscrit, il n'en est guère question dans un récit imprimé.

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Page 50: SENS ET COMMUNICATION

Si grossière que soit cette approche un peu phéno­ménologique du récit oral, elle montre qu'il s'agit d'un type de discours plus complexe que le dia­logue ou la conversation, tant au niveau des condi­tions d'énonciation qu'au niveau des énoncés eux-mêmes, mais que le récit oral offre moins de difficultés, pour la relation des paroles en particulier, que le récit écrit, et que par conséquent il peut constituer une étape pédagogique importante avant d'aborder les narrations écrites.

2. Le récit oral chez l'enfant

Sans vouloir entreprendre une étude approfondie du récit oral chez l'enfant, quelques remarques s'im­posent. Très tôt, l'enfant, sous une forme frag­mentaire, réduite à des séquences de deux ou trois énoncés, utilise le récit oral. Mais même chez l'en­fant de neuf ou dix ans, il paraît présenter des caractères qui ne sont pas exactement ceux qu'un adulte donnerait à ce type de discours.

Pour manifester cette différence, il suffit de confron­ter quelques récits d'enfants à ce que spontanément un adulte dirait sur le même thème.

2.1. Voici quelques exemples de récits d'enfants.

Charly, élève de cours moyen, relate ainsi une visite au Muséum : «Nous sommes partis en autobus... et puis en métro jusqu'à la gare d'Austerlitz pour aller voir le Muséum ; alors nous sommes rentrés, nous avons vu des empreintes de pattes et il y avait un gros mammouth à l'entrée, euh, il y avait des... il y avait aussi des poissons et des documents sur les hommes préhistoriques ; ensuite nous sommes montés au premier étage, euh... nous avons vu des mammouths et des grandes bêtes qui avaient des longues queues et un grand cou, euh !... il y avait des genres de grenouilles qui étaient dans le plâtre avec les os qui étaient collés, euh ! Alors on a vu des... euh... on a vu des ossements... oh ! je ne me rappelle plus ».

Christine, plus jeune, rapporte sa visite au zoo : « Et puis... on a vu un petit singe qui était tout

malheureux, il était tout seul et puis nous, on lui lançait des cacahuètes, et puis il les mangeait pas ; il voulait une banane, il faisait comme ça [geste] ; il y avait beaucoup de pigeons, c'étaient eux qui mangeaient les cacahuètes et les bouts de pain... »

Une petite fille de 10 ans rapporte des conversa­tions : « Tu sais elle est pas coquette. L'autre jour quand on a quand maman nous a emmenées... heu... cher­cher les chaussures, alors maman elle nous disait : vous être contentes mes petites filles ? Alors on dit : ben bien sûr. Oh ! ben non moi ça m'fait rien tu sais, ça m'fait comme si j'avais des vieilles chaus­sures. Tu sais si çà t'ennuie j 'en veux pas alors j'préfère garder mes vieilles. Ça c'est pareil au moment d'I'été quand on nous achète des robes : Oh ! non maman ne nous achète pas celle-là, elle est trop belle tout ça ah ! elle elle est pas coquette mais est pas comme moi. Moi j'suis très coquette — Par exemple j'aime pas mettre mon pantalon. J'trou-ve qu'il gratte... »

Remarquons que ces trois récits sont ceux d'enfants fréquentant l'école élémentaire. Les enfants d'école maternelle produisent des récits oraux moins longs souvent et moins riches que ceux-ci.

2.2. Si on compare ces récits qu'aurait pu tenir un adulte, on est frappé par les points suivants. Les circonstances spatiales et temporelles des événe­ments rapportés ne sont pas, ou peu, précisées. On ne « voit » pas le zoo, ni les cages, ni les fossés ; on ne « voit » pas le Muséum, ni les salles ; on ne sait pas à quoi ressemble le magasin de chaussures. Peu d'indications sur le moment où se déroulent les faits (ensuite nous sommes montés au second étage, au moment d'I'été, Pautre jour...). Le passé composé, l'imparfait situent ces faits dans un passé dont on ne sait pas très bien si il est proche ou lointain.

Les personnages, les acteurs des événements ou des dialogues, rapportés, sont réduits aux substantifs qui servent à les désigner ; quand on essaie de les dé­crire, c'est par un adjectif (un gros mammouth, un petit singe, ...). Pas d'opposition ou de relatives pour tenter de rendre à l'auditeur ce qu'étaient ces acteurs. « Maman » est maman et cela doit suffir pour saisir son comportement. Quand le je de renon­ciation (celui qui fait le récit) coïncide avec le je de l'énoncé, il est, le plus souvent repris par on ou par nous, mais sans que ce je ou ce nous passé soit caractérisé.

Les séquences d'énoncés ne correspondent pas non plus exactement à la manière dont un adulte les organiserait.

Elles suivent très généralement le déroulement tem­porel des événements relatés. Aucune composition,

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Page 51: SENS ET COMMUNICATION

aucun plan, ne vient bouleverser l'ordre linéaire des faits tels qu'ils ont été vécus, les uns après les autres, séparés seulement par des puis, des et puis, des euh, des il y avait, des alors, qui ponctuent le récit et assurent sa progression. On trouve extrê­mement peu d'emplois du plus-que-parfait qui mon­treraient que l'enfant peut restructurer des faits passés, non pas en fonction du moment présent où il fait le récit, mais par rapport au moment même des événements relatés.

Les conversations rapportées le sont presque tou­jours au style direct, sans que souvent l'enfant prenne la peine d'indiquer qui tient le discours rapporté. Peu de verbes ou d'expressions permettant de décrire le sens d'une réplique d'une manière synthétique : on trouve des Papa, il veut pas pour Papa a dit de ne pas aller jouer dans la cour, mais on ne trouve pas de il a refusé, elle l'a complimentée sur sa robe, elle a accepté, je n'ai pas obtenu satis­faction, etc. L'enfant se contente de reproduire tel quel ce qu'il a entendu, en essayant d'imiter l'into­nation ou les gestes : il répète plus qu'il interpète.

Mais l'enfant intervient dans son récit, tout comme l'adulte : Christine dit sa compassion à l'égard du petit singe qui était tout malheureux ; un commen­taire inséré vient préciser la manière dont on juge un personnage (tu sais elle est pas coquette) ; le plus souvent c'est le ton, le débit de la voix qui indi­quent ce que ressent le narrateur par rapport â ce qu'il rapporte. L'enfant éprouve peu le besoin de caractériser son attitude face aux faits qu'il relate, de marquer ses distances par rapport à ce qu'il raconte.

2.3. Tout se passe comme si l'enfant, même en fin de cours moyen, ne parvenait pas tout à fait à faire de son récit oral un discours explicite et donc autonome. Il ne le détache pas du ici et maintenant des événements relatés dans le récit, ou du moins, il le détache moins que ne le ferait un adulte.

La raison en est, peut-être, que l'enfant au moment même où il rapporte les événements du récit, c'est-à-dire au moment de renonciation, revit les événe­ments rapportés, s'il les a déjà vécus, ou les vit, au fur et à mesure qu'il les invente, s'ils sont ima­ginaires. L'enfant « voit » le musée dont il parle, il « voit » sa mère, le zoo, il « entend » encore les paroles prononcées, le petit singe resurgit avec sa cage et les badauds, et s'il fait le récit d'un cosmo­naute sur Mars, il n'éprouve pas le besoin de décrire

l'homme et la planète parce que l'un et l'autre, au moment où il en parle, sont comme présents. Le langage du récit ne serait donc pas pour lui, locu­teur, un langage explicite ayant une autonomie pres­que complète par rapport à la situation dénon­ciation du récit, mais resterait un langage en grande partie implicite s'appuyant sur des perceptions ima­ginaires ou mémorielles, un langage proche du lan­gage de situation qu'il pratique à longueur de jour­née, ce langage qui ne possède de signification précise que parce qu'il est dans un certain rapport avec des circonstances extra-linguistiques particu­lières.

Autrement dit, accoutumé au dialogue, implicite et situationnel, l'enfant sentirait confusément que les conditions de communication changent lorsqu'il passe au récit, mais, en raison de sa vive mémoire ou vive imagination, vivant les données extra-linguistiques entourant les événements relatés, il ne se rend pas compte que son auditeur (ou son auditoire) ne les connaît pas. Ne pensant pas que son interlocuteur est privé des informations situationnelles dont il bénéficie, il ne pense pas à compenser la perte d'in­formation que le type d'énonciation du récit en­traîne. Il fait presque comme si son auditeur pouvait spontanément revivre ce qu'il a vécu ou ce qu'il vit. D'où les insuffisances du récit oral enfantin pour un auditeur adulte habitué à des locuteurs capables de distinguer entre ce qu'ils savent et ce qu'ils doivent faire savoir pour être pleinement compris.

Cette explication sommaire n'a rien de scientifique, mais elle ne semble pas trop en contradiction avec ce qu'on sait de la psychologie de l'enfant. Remar­quons cependant que lorsque l'auditeur du récit enfantin est un autre enfant, il ne paraît pas éprou­ver de difficultés de compréhension. Le récit oral enfantin paraît plus inadapté aux oreilles d'un adulte qu'à celles d'un enfant, et on peut se demander si les exigences de l'adulte ne sont pas liées à des normes esthétiques ou culturelles n'ayant qu'un rap­port incertain avec la communication proprement dite.

3. Audio-visuel et prise de conscience des conditions d'énonciation

S'il est vrai que les insuffisances du récit oral chez l'enfant sont dues d'une part au fait que l'enfant distingue imparfaitement les conditions d'énoncia-

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Page 52: SENS ET COMMUNICATION

tion du récit de celles du dialogue de situation, et d'autre part au fait qu'il ne dissocie pas ou mal l'implicite de l'explicite, on peut imaginer des pro­cédures pédagogiques qui peuvent favoriser la prise de conscience de ces distinctions.

Deux étapes nous paraissent nécessaires :

— prendre conscience que dans un dialogue en si­tuation les choses qui entourent le locuteur et l'au­diteur jouent un certain rôle dans la communication, autrement dit, que dans un dialogue oral en situa­tion, il y a un implicite ;

•— voir si cette sensibilisation à l'implicite situa­t iona l peut être réinvesti dans le récit en faisant prendre conscience au locuteur que l'auditeur ne peut comprendre cet implicite situationnel que si on le décrit explicitement.

3.1. La première étape comprend les trois pre­mières phases indiquées dans le déroulement chro­nologique (voir plus loin).

Le point de départ en est la séquence d'images (quatre à six images). On sait qu'une image peut être interprétée d'un grand nombre de façon et qu'on peut produire à son propos une infinité d'énon­cés différents. Pour pallier en partie cette ambiguïté de l'image, nous avons imposé deux contraintes. Premièrement, les images doivent toujours présen­ter une situation de dialogue, c'est-à-dire quelqu'un s'adressant à quelqu'un d'autre, et l'enfant est in­vité à « se mettre à la place » des personnages pour imaginer ce qu'ils peuvent se dire, afin d'éviter tout discours commentaire ou descriptif de la situation. Deuxièmement, les images sont en séquences, ce qui a pour conséquence de restreindre le choix des inter­prétations possibles, parce qu'on est obligé de ne retenir que les interprétations communes à quatre ou cinq images, interprétations dont le nombre est né­cessairement inférieur à celui de celles qu'on pour­rait faire sur une seule image.

La partie principale de cette étape devrait être la troisième phase, celle de la discussion entre les dif­férents groupes, parce que c'est au cours de cette discussion et par elle que les enfants prendront conscience des circonstances spatio-temporelles, in-ter-interlocuteurs, auxquelles ils ont spontanément et inconsciemment prêté attention, lorsqu'ils ont inventé leur dialogue. Ils se rendront également compte qu'ils n'interprètent pas tous la réalité de la même manière.

3.2. La phase du récit proprement dit n'est des­tinée qu'à vérifier si la sensibilisation aux circons­tances jouant un rôle dans un dialogue peut inférer dans le récit que l'enfant fait de ce dialogue. On a pu constater que, lorsqu'il y a eu véritable discus­sion, l'enfant reprend et explicite certains détails situationnels, comme s'il avait mieux conscience de ce qui est nécessaire à son interlocuteur pour suivre son récit. On tend donc vers un récit plus proche de celui des adultes.

4. Conclusions

4.1. Nous ne nous cachons pas qu'une procédure comme celle-ci laisse dans l'ombre la question de savoir si il y a lieu d'entraîner l'enfant au récit oral, ou si au contraire il est inutile d'essayer, l'évo­lution vers le récit de type adulte étant directement liée aux étapes du développement de la psychologie enfantine. Nous pensons seulement que la procédure proposée ne risque guère de « traumatiser » l'en­fant.

4.2. Les maîtres qui ont tenté cette expérimentation insistent sur le fait que ce qui est intéressant c'est la démarche suivie, plus que le détail de l'exercice. Autrement dit, il faudrait saisir dans les échanges de la classe tout ce qui peut conduire les élèves à prendre conscience de l'importance de l'implicite dans leurs dialogues.

4.3. Enfin, certains maîtres sont partis de bandes dessinées dont les bulles avaient été occultées : la motivation des élèves, mêmes ceux de l'école mater­nelle, a été grande et la discussion qui a suivi n'en a été que plus enrichissante.

H. BESSE

IL PRESENTATION DE L'EXERCICE

But de l'exercice

Les récits oraux des enfants sont généralement constitués de séries de notations plus ou moins coor­données par des il y a, des puis et des alors. On y trouve rarement les précisions permettant de

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Page 53: SENS ET COMMUNICATION

comprendre où, quand, et comment se sont passés les événements racontés. De même lorsque des dis­cours sont rapportés, ils sont introduits par des il m'a dit suivis des paroles au style direct : l'into­nation, les gestes, les mimiques, l'allure générale du locuteur, etc., ne sont pas décrits à l'auditeur. Il semble que l'enfant faisant un récit, revive la situation évoquée et qu'il n'éprouve pas le besoin de la recréer verbalement pour un interlocuteur qui n'y a pas participé. Il s'agit donc d'amener les élèves à prendre conscience du fait que l'interlocuteur a besoin d'un certain nombre d'indications spatio­temporelles gestuelles, intonatives, descriptives des personnages, pour comprendre ce qui est raconté. Il faut les sensibiliser à l'importance de l'implicite dans un dialogue en situation, pour qu'au moment du récit, ils puissent restituer explicitement ce qui n'était pas dit, mais dont les interlocuteurs avaient une expérience, laquelle n'a pas été partagée par l'auditeur du récit.

Procédure générale

Sensibiliser les élèves à l'implicite d'un dialogue oral provoqué à l'aide d'une mise en situation visuelle. Puis procéder à une certaine elucidation de cet implicite, afin de voir si cette elucidation conduit à un enrichissement du récit oral.

La mise en situation de dialogue se fait à partir de petites séquences d'images (trois ou quatre) ; il est préférable qu'on n'y voie que deux personnages : un troisième personnage pouvant provoquer une description de la scène et non pas une réplique en situation ; la situation peut être émotive, comprendre des personnages adultes, ou seulement des enfants, mais elle doit avoir une certaine conventionnalité (mère et son enfant, une rencontre, l'achat d'un objet, la visite au médecin, etc.) ; pour simplifier la pédagogie de l'élucidation, il vaut mieux qu'un seul personnage parle dans une seule image : on obtien­dra ainsi une seule réplique pour la séquence, enfin il est très important que l'image destinée à simuler, la situation de dialogue, présente le personnage lo­cuteur comme étant réellement en mesure (et comme éprouvant la nécessité) de dire quelque chose à son interlocuteur (un petit enfant qui tombe dans un bassin pourra crier, mais vraisemblablement ne dira rien au petit camarade qui le regarde : si l'élève essaie de se mettre à la place du petit qui tombe, il imaginera une sorte de monologue inté­

rieur, ou bien dira : « je ne peux pas parler, j'ai la bouche pleine d'eau » (sic), ce qui montre que l'élève a bien senti qu'il n'est pas dans une situation où l'on parle à quelqu'un).

Déroulement chronologique

1 - Présenter la séquence d'images dans le bon ordre à chaque élève séparément ; lui dire : tu es ce petit garçon (cette petite fille, ce monsieur, etc.), parle à cette petite fille, etc.

Eviter la question : tu es X, qu'est-ce que tu dis ? qui pourrait amener le style indirect : Je dis que... ou il dit que...

Noter la réplique sur un carnet, ou l'enregistrer au magnétophone (l'intonation, le geste, la mimique accompagnant la réplique sont importants).

Procéder ainsi pour chaque élève de la classe en s'efforçant à ce que les autres élèves ne « copient » pas l'élève questionné.

2 - Regrouper les répliques ainsi obtenues en les regroupant en sous-ensembles sémantiques. Dans un même sous-ensemble, on aura les répliques ayant des sens voisins, plus ou moins paraphrastiques les unes des autres.

Exemple : à un enfant qui s'est fait mal, sa mère pourra dire : mon pauvre petit, tu t'es fait mal ; viens que je te soigne, toutes ces phrases témoignent d'une certaine sollicitude ou compassion ; on les regroupera donc dans un même sous-ensemble qui s'opposera au sous-ensemble : tu ne peux pas faire attention, c'est de ta faute ; çà t'apprendra, etc.

Remarque : une même phrase, selon l'intonation et la mimique pourra être dans un sous-ensemble ou dans l'autre : qu'est-ce que tu t'es fait ? (réprimande, inquiétude).

Regrouper les élèves selon les sous-ensembles de répliques.

3 - Montrer aux élèves (en écrivant les répliques au tableau, ou en les faisant entendre) qu'ils ont in­terprété différemment la même situation.

Demander pourquoi de manière à faire prendre conscience que, selon le groupe, ils n'ont pas dis­cerné les mêmes traits pertinents dans la situation

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Page 54: SENS ET COMMUNICATION

simulée. La relation mère-enfant n'a pas été ressen­tie de façon identique. L'explication peut en être dans la vie personnelle de l'enfant, mais aussi dans l'impression laissée par l'image de la mère : si elle paraît gentille ou pas, par exemple.

4 - Faire faire le récit de la petite histoire à un autre élève n'ayant pas vu les images. Pour cela on pourra, avant l'expérience, diviser la classe en deux afin d'avoir autant de locuteurs ayant vu les images que d'auditeurs ne les ayant pas vues. Noter ou enregistrer les récits.

5 - Classe témoin

Diviser la classe en deux (comme en 4).

Une moitié regarde les images (individuellement si possible) cinq à six minutes. Consigne : regardez et imaginez ce que se disent les personnages (le petit garçon, la petite fille...).

Puis faire raconter à un des élèves qui n'a pas vu ces images, les images ayant toutes été reprises par le professeur.

Noter ou enregistrer les récits obtenus.

Préparation de l'exercice

— Préparer des images (les dessiner ou choisir des séquences adéquates dans le matériel pédagogique existant).

Ces images seront plutôt petites pour que le profes­seur puisse les présenter à un élève sans que les autres les voient.

— un magnétophone, si possible.

Résultats à consigner

— Une feuille contenant toutes les répliques pro­duites par la classe mais regroupées selon les sous-ensembles sémantiques discernés par le professeur.

— Une feuille contenant l'ensemble des récits ob­tenus.

— Une feuille contenant l'ensemble des récits de la classe-témoin.

—• Il serait bon que chaque réplique soit suivie des initiales de l'élève ainsi que du récit correspon­dant.

—• La discussion entre les groupes ayant interprété différemment les images pourrait être enregistrée ; cela donnerait d'utiles points de repères pour la comparaison des récits de la classe où a eu lieu l'élucidation de l'implicite et la classe-témoin.

ÍII. LA SITUATION DE COMMUNICATION : L'ORDRE DU DIALOGUE ET L'ORDRE DU RECIT

1 - La situation de communication représente les conditions matérielles de la communication, condi­tions qui vont avoir une influence plus ou moins contraignante sur la communication.

Evidemment, il s'agit des conditions matérielles per­tinentes pour la communication. Par exemple, si deux personnes assises à la terrasse d'un café commentent des événements politiques, l'environne­ment matériel « café » ne sera pas pertinent, du point de vue du réfèrent, mais l'une de ses consé­quences pourra l'être, le fait, par exemple, que les deux interlocuteurs — assis à la même table — soient présents ; autrement dit, ce qui est ici per­tinent c'est la présence matérielle du TU.

Il peut également se faire, par ailleurs, que l'un des interlocuteurs parle au garçon de café pour lui commander une boisson. Dès lors, l'environnement matériel « café » redevient pertinent du point de vue du réfèrent, mais seulement pour cette instance de discours.

Ce point est capital, car le questionnaire de situation de communication que nous proposons à la fin, ne serait d'aucune utilité s'il ne portait sur la situation pertinente pour une instance de discours-donnée.

2 - Cette situation de communication repose sur trois types de composantes : le rapport JE - TU, le rapport JE - réfèrent, et le canal de transmission choisi par le JE et permis par l'environnement ma­tériel.

a) Le rapport JE-TU va être conditionné, dans une certaine mesure, par la présence ou l'absence du TU.

58

Page 55: SENS ET COMMUNICATION

En effet, si le TU est présent, le JE, quel qu'il soit, se trouve dans un rapport de perception directe et immédiate avec le TU, ce qui veut dire qu'il uti­lisera probablement le canal oral pour communiquer (voir plus loin) mais qu'en plus, il peut utiliser d'autres moyens de communication — gestes, mi­miques, etc. — étant ainsi « à la merci de l'autre » par son comportement et pouvant en même temps « agir sur l'autre » par ce comportement. Il s'ensuit une convention qui est celle de l'Echange. C'est-à-dire que JE s'adresse à TU, mais qu'à tout moment, TU peut devenir JE et transformer son interlocuteur en TU. Cela a des conséquences linguistiques.

En effet le JE, sachant qu'il peut, à tout moment, être interrompu par le TU, se trouve plus ou moins contraint à la « précipitation » dans la transmission de ses informations ; d'où ce que nous appellerons la « spontanéité » de la communication.

Dans de telles conditions, les discours produits se caractérisent par :

— UN ORDRE DE MOTS PARTICULIER (ce qu'on appelle habituellement! «l'ordre affectif des mots», cette mise en tête dans la phrase des éléments d'in­formation jugés intuitivement les plus urgents, voire les plus importants par le JE).

— UNE SERIE DE PHRASES TRES SEGMEN­TEES, en accumulation, sans presque de « liens lo­giques » exprimés, avec énormément de signes à valeur conative ou phatique (1) (interjection, ap-pellatif, etc.).

— UNE ALTERNANCE DE TERMES GENERI­QUES ET DE TERMES PRECIS du point de vue sémantique. En fait, tous ces caractères linguistiques répondent à une démarche de la pensée qui se déve­loppe en temps forts et temps faibles et qui produit un discours ouvert, en « redondance progressive »

(1) Pour ces termes, cf. Jakobson « Essais de linguistique générale », Editions de Minuit.

Ex. : A : « Tu es allé voir Hélène finalement » ?

B : « Oh ! tu sais, j 'ai juste été, un petit moment, un après-midi, chez elle » (2).

On remarquera :

— LA SEGMENTATION de l'énoncé de B, l'accu­mulation des informations, sans éléments de liaison : Oh / tu sais / j 'ai juste été / un petit moment / un après-midi / chez elle.

— LA PRESENCE D'APPELLATIF : «tu sais».

— LA MISE EN TETE des éléments apportant une information restrictive (B veut se justifier par avan­ce en disant qu'il a vu Hélène, mais pas longtemps). «Oh... tu sais... juste... petit». On remarquera en revanche, que le moins important de l'information — « chez elle » — est rejeté à la fin de l'énoncé puisque cette information a déjà été donnée par A — « Hélène » — et par B sous son aspect affir-matif «j'ai été».

— L'ALTERNANCE DE TERMES GENERIQUES : « j 'ai été », « un moment », « après-midi » (en par­tie) « chez elle » et de termes plus précis (3) — l'intonation de «oh», « tusá is» (en partie), «jus­te», «petit», «après-midi» (par accumulation).

— LA REDONDANCE de l'information restrictive — intonation de «oh», « tusá i s» , «juste», «pe­tit», «après-midi» (par accumulation).

Dans des conditions contraires, TU absent, il n'y au­rait plus échange et le discours prendrait alors une autre allure. On remarquerait, linguistiquement, un ordre des mots progressif, construit, une phrase beaucoup plus continue dans son développement et dont la segmentation ne heurte pas la lecture ; sauf cas d'effets voulus dans le cadre du discours litté­raire — une succession de signes précis et concis ; en effet, cette fois, la situation de non-échange per­met une démarche de la pensée plus réfléchie, ce qui produit un discours à « continuité progressive » qui tend à se fermer sur lui-même.

Cependant, il faut ajouter ceci : la présence du TU peut prendre des aspects multiples ; c'est pourquoi nous pensons qu'il faut se demander si le TU est

(2) Il est évident qu'il s'agit d'une transcription gra­phique d'un discours oral. A ce titre, cet exemple est cho­quant à la lecture alors qu'il est banal en situation de conversation. (3) « Précis » est une notion relative au contexte.

59

Page 56: SENS ET COMMUNICATION

Quant à l'opposition parlé/écrit, c'est en fait une opposition dont chacun des termes est la résultante d'une combinaison des composantes dont nous venons de parler. C'est pourquoi nous préférons, pour notre part, parler de type de discours x ou y selon les si­tuations de communication X ou Y.

E. Benveniste (1) a déjà proposé d'opposer situation de dialogue à situation de récit et, en effet, c'est cette opposition qui est le fondement de la distinction

discours parlé/discours écrit. Mais on ne peut se contenter de cette seule opposition, tant les combi­naisons des composantes sont nombreuses.

On aura donc intérêt à interroger tout discours sans a priori d'étiquetage d'après le questionnaire que nous proposons ci-dessous (1).

P. CHARAUDEAU

QUESTIONNAIRE

SITUATION DE COMMUNICATION

(JE) - TU

• : Le TU est-il présent ou absent ?

m Y a-t-il échange ou non-échange entre JE et TU ? • Le TU est-il unique ou multiple ? m La communication est-elle directe ou médiate ?

(JE) - Réfèrent

• Est-il présent ou absent ?

• Est-il commun ou non-commun ?

• Est-il matériel ou non-matériel ?

• Est-il événementiel ou non-événementiel ?

Le canal

• Est-il oral ou graphique ?

• Y a-t-il du gestuel ?

• Y a-t-il de l'icônique ?

(1) E. Benveniste, « Problèmes de linguistique générale », NRF, Gallimard, Paris, 1966, (chap. V).

61

Page 57: SENS ET COMMUNICATION

unique ou multiple. En effet, il peut se faire que le TU soit présent mais sous forme multiple — un public, une réunion de travail, etc. —.

Dans ce cas-là, la convention change et l'échange ne se fait plus ; ou alors il se fait d'une façon organisée qui, en fait, démultiplie les rapports JE-TU — c'est le cas des «tables rondes », ce devrait être le cas de la classe.

Par ailleurs, il sera également utile, voire indis­pensable, de se demander si la communication est directe ou médiate. En effet, nous avons un certain nombre de situations dans lesquelles A échange avec B, bien qu'ils ne soient pas visuellement pré­sents l'un à l'autre, comme dans la conversation téléphonique. Et l'on voit que le développement des mass-media complique et démultiplie ces types de rapports ; il faudra donc en tenir compte.

b.) Le rapport JE-REFERENT est intimement lié au précédent, au moins pour une partie.

D'abord, constatons que la présence ou l'absence du réfèrent permettra au JE d'avoir ou non un support matériel qui lui sera utile lorsqu'il communiquera — par exemple, lors de la procédure discursive de « description » —. Mais il faudra également remar­quer si ce réfèrent est commun au JE et au TU, ce qui n'est pas évident même lorsque le JE est en présence du réfèrent. (Au téléphone par exemple A décrit ce qu'il a sous les yeux, que B ne voit pas.) Si donc, ce réfèrent est présent et/ou commun, les discours produits sont des discours de l'impli­cite, alors que dans le cas contraire, ils seront for­cément explicites sous peine d'échec de communi­cation.

Voici quelques exemples :

(au jeu de boules) « alors, tu lances ? » (la boule) ;

(au volley-ball) «j'ai» (le ballon) = «je suis à la réception » ;

(situation de séparation) « au plaisir » (de vous re­voir) ;

(le gendarme à un automobiliste) « permis, s'il vous plaît» (de conduire).

Mais il faut aussi interroger ce réfèrent d'un autre point de vue.

Est-il matériel ou non ? Est-il événementiel ou non ?

En effet, cela va conditionner les « procédures dis­cursives», car si le réfèrent est un objet matériel, on peut en faire une description plus ou moins objective, mais on ne peut en faire un récit, puis­qu'il faut une successivité d'événements. Cepen­dant, si le réfèrent est événementiel, on peut pro­céder à un récit, que l'on peut d'ailleurs compléter par une procédure de description (ex. : un acci­dent) .

c) Le canal de transmission

Il s'agit essentiellement de l'opposition oral/graphi­que — qu'on ne confondra pas avec parlé/écrit — à laquelle on peut ajouter, si l'on veut, mais avec une importance moindre, les oppositions gestuel/non gestuel, icônique/non iconique.

L'opposition oral/graphique concerne le choix du système de signifiants fait par le JE ou imposé au JE par cet environnement matériel. Le canal oral utilise un code phonique, le canal graphique un code graphique (alphabet, idéogrammes, etc.).

Ce choix (ou cette contrainte) a encore des consé­quences linguistiques. En effet, le choix du canal oral permet au JE d'utiliser, par exemple, toutes les ressources de la prosodie qui lui permettront, par là-même, d'économiser du discours verbal. (Par exemple l'utilisation d'une intonation pour signifier l'indignation qui n'a plus besoin d'être explicitée — Nous retournons dans le domaine de l'implicite).

Au contraire, la contrainte du canal graphique oblige le JE, une fois de plus, à être explicite, mais, en revanche, le discours graphique est un support visuel qui permet une lecture avec retours en arrière, ce qui autorisera le JE à utiliser ce que, banalement, on appelle des digressions.

3 - On lira un tableau résumé de ces trois types de composantes et de leurs conséquences linguistiques, et nous concluerons sur cette situation de communi­cation en faisant une dernière remarque.

On voit que l'opposition traditionnelle langue par­lée/langue écrite n'est plus recevable comme l'op­position de deux ordres, chacun pur et unique.

Tout d'abord, il ne faut pas confondre, ce qui est souvent le cas, parlé et oral d'un côté et écrit et graphique de l'autre ; nous nous sommes expliqué là-dessus.

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Page 58: SENS ET COMMUNICATION

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Page 59: SENS ET COMMUNICATION

B. - COMMUNICATION ET EXPRESSION

• TABLEAU DE REPARTITION DES EXPERIMENTATIONS

• L'ENQUETE SOCIO-CULTURELLE SUR ET PAR LA CLASSE

• DISCOURS ET ENUNCIATION

A. Objectif et interprétatif dans l'image

B. Objectif et subjectif dans les textes

• STRUCTURES NARRATIVES : PREMIERS EXERCICES

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Page 60: SENS ET COMMUNICATION

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Page 61: SENS ET COMMUNICATION

TABLEAU DE REPARTITION DES EXPÉRIMENTATIONS

• Il s'agit de montrer que chacune de nos expéri­mentations suit une même procédure pédagogique, celle que nous avons définie dans la problématique de l'élucidation du sens (A, II p. 44).

« Rappelons seulement que cette procédure consiste à partir d'une première production de l'élève (PRA­TIQUE 1), pour lui permettre ensuite de se construi­re un certain savoir sur l'objet produit (CONNAIS­SANCE) et aboutir à une nouvelle production (PRATIQUE 2) au cours de laquelle on peut es­pérer qu'il y aura réinvestissement de la phase an­térieure.

La première phase se caractérise par une « mise en situation » des groupes auxquels on donne une tâche à exécuter, cette « mise en situation » étant de type « concurrentiel » (chaque groupe ayant même tâche et même matériau) ou « complémentaire » (chaque groupe ayant une tâche partielle complémentaire des autres). C'est la phase de DRAMATISATION.

La deuxième phase se caractérise par une « activité d'élucidation » qui se fait collectivement. Il y faut une technique d'analyse. C'est la phase d'ELUCIDA-TION.

La troisième phase se caractérise par une activité de « production » de la part de l'élève en répondant à une consigne destinée à lui faire réinvestir ce qu'il a découvert au cours de la phase antérieure. Il y a donc un « savoir faire » particulier dans l'élaboration de la consigne en question. Cette phase, individuelle, est la phase de PRODUCTION. Mais il faut préciser que cette production peut être de deux ordres :

— Production critique sur un nouvel objet du même type, pour réinvestir la procédure d'analyse de la phase antérieure. — Production de réécriture à partir d'une consigne générale et prenant l'objet étudié comme point de référence (sous des aspects divers).

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Page 62: SENS ET COMMUNICATION

L'ENQUETE SOCIO-CULTURELLE SUR ET PAR LA CLASSE

PRELIMINAIRES

Cet exercice d'enquête a été conçu en fonction d'une recherche continue sur les circuits de communication dans la classe. Il comportait en même temps un travail sur les techniques d'élucidation du sens pour rendre les élèves aptes à comprendre des ques­tions qui leur étaient posées aussi bien que les réponses qu'on leur demandait ensuite d'analyser.

Pratiquement on verra que l'exercice consistait à faire faire une enquête par les élèves sur eux-mêmes en les divisant en petits groupes ayant chacun la responsabilité d'un thème (cf. I. Présentation de la fiche - 2. Procédure).

Notons dès maintenant qu'un travail d'enquête pré­sente des aspects très divers et qu'on rencontre d'au­tres problèmes que celui des circuits de communica­tion ou celui de l'élucidation du sens. Il demanderait une bonne connaissance des techniques d'enquête ordinairement utilisées, une réflexion sur l'in­terprétation sociologique du comportement des indi­vidus, et en ce qui concerne une enquête sur la culture des élèves, une représentation suffisamment claire et cohérente des faits de culture. Sur le plan linguistique, l'enquête soulève aussi beaucoup de questions différentes : qu'est-ce qu'un thème ? qu'est-ce qu'interroger ? comment interroger ? peut-on reformuler des réponses et les classer ? comment ?

Nous ne pouvions pas pousser très loin l'exercice dans toutes ces directions à la fois. Il constitue une sensibilisation aux expérimentations qui doivent fai­re suite et en cela il y est aidé par l'étendue même des questions qui se posent. C'est une ouverture à l'expérimentation des procédures discursives, des circuits de communication, de la mythologie des élèves.

D'un autre point de vue l'exercice était destiné à débloquer la situation pédagogique en permettant aux élèves de se connaître, et aux professeurs de mieux distinguer les attitudes individuelles et col­lectives. De ce point de vue, il était aussi une ou­verture vers de nouvelles procédures pédagogiques.

Une fiche d'expérimentation a été proposée aux équipes d'établissement.

I - PRESENTATION DE LA FICHE

PLAN DE CETTE FICHE : 1. Objectifs - 2. Procé­dure - 3. Préparation - 4. Déroulement - 5. Ré­sultats et bijlan.

1. Objectifs

1.1. FOURNIR DES DONNEES SOCIO-CULTU­RELLES sur les classes dans lesquelles se déroulera l'expérimentation cette année. L'enregistrement des résultats de l'enquête dans un fichier ou un tableau constitue donc l'étape finale indispensable de l'en­quête.

1.2. MODIFIER LE CIRCUIT DE COMMUNICA­TION SCOLAIRE traditionnel. Celui-ci n'est jamais parvenu à instaurer une communication horizontale élève «-» élève et il se dégrade en une relation verticale triangulaire dont le sommet est le maître.

1.3. ADAPTER LES ELEVES AU SCHEMA DE LA COMMUNICATION. En effet, s'il arrive que les élèves s'adressent directement les uns aux autres, il est rare qu'ils tiennent vraiment compte du « tu » (inadaptation de leur discours, fonction expressive

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Page 63: SENS ET COMMUNICATION

surdéveloppée au préjudice de la fonction « cona-tive » (1) indifférence à l'inversion de la commu­nication, c'est-à-dire à la réponse du « tu» ) . A cet égard, l'enquête, avec son aspect informationnel, ses exigences de précision dans le jeu des questions et des réponses, « branche » le « je » et le « tu » sur le schéma de communication. L'enquête est un dia­logue qui ne peut faire autre chose que se réaliser pleinement. En outre l'expérience proposée prévoit des travaux de groupes, des débats collectifs, des prises de notes qui introduisent des types de dis­cours très divers dans une action pédagogique unique.

1.4. CREER LE BESOIN DE TECHNIQUES METAMNGUISTIQUES :

1.4.1. Durant l'enquête plusieurs exercices provo­queront une attitude reflexive sur les questions po­sées, puis sur les réponses rendues. Ces exercices permettront l'élucidation et l'amélioration des dis­cours produits.

1.4.2. Après l'enquête, le dépouillement des ré­ponses, leur classement et leur interprétation condui­ront les élèves à une analyse sémantique motivée puisqu'elle est inévitable dans toute démarche so­ciologique.

2. Procédure

L'expérience consiste à associer les élèves à l'enquête faite sur eux-mêmes. Ils décideront donc des ques­tions à poser, les testeront par un examen critique, ils* s'interrogeront et recueilleront les réponses eux-mêmes si cela est possible, et en tout cas ils procé­deront au dépouillement du corpus de réponses. Ils seront donc amenés à travailler en petits groupes, à s'interpeller d'un groupe à l'autre, à se rencontrer par deux, à prolonger hors de la classe ce qui aura été fait dans la classe. Cependant le professeur aura un double rôle très important :

a) Observer le comportement des élèves dans leur travail de groupe.

(1) Ces termes de Jakobson (Essais de l ing, générale, Ed. de Minuit, Í970, p. 214 à 220) sont employés ici uni­quement pour montrer la possibilité de lier l'expérimen­tation aux recherches linguistiques.

68

b) Intervenir pour faciliter les circuits de commu­nication (par des retouches aux questions, le dévoi­lement des ambiguïtés et de leur origine soit dans les questions, soit dans les réponses).

3. Préparation

3.1. Chaque classe ayant une physionomie propre, il sera intéressant de choisir celle qui peut le mieux se prêter à l'expérience. Outre la nécessité de pré­parer un examen, difficilement compatible avec la durée de cette expérience, les attitudes de véritable inhibition qui demanderaient une préparation psy­chologique délicate peuvent être considérées comme des obstacles absolus à la réalisation de l'enquête.

3.2. VOIR DANS CETTE FICHE LA DESCRIP­TION DES HYPOTHESES LINGUISTIQUES.

3.3. ETUDIER LA POSSIBILITE DE SE FAIRE ASSISTER PAR UN COLLEGUE pour observer le travail des groupes, et surtout celle d'enregistrer au magnétophone des morceaux de séance.

3.4. ANNONCER L'EXPERIENCE EN CLASSE.

3.4.1. Comme une occasion de se mieux connaître.

3.4.2. Comme une recherche des centres d'intérêt, communs ou opposés, dans la classe, en vue de lectures, de débats ou de productions de textes ulté­rieurement.

3.4.3. En faisant éventuellement apparaître qu'à des origines socio-culturelles différentes correspon­dent des pédagogies différentes.

3.5. RECHERCHER LES DIVERSES RUBRIQUES OU « THEMES » DE L'ENQUETE.

Les modalités de cette recherche sont nombreuses :

3.5.1. Le professeur les énonce lui-même.

3.5.2. Il tient des conversations exploratoires avec des groupes d'élèves en fin de classe ou ailleurs.

3.5.3. Il les fait apparaître au cours d'un débat en classe, etc.

Page 64: SENS ET COMMUNICATION

4. Déroulement

Quatre moments peuvent être distingués :

4.1. ELABORATION DES QUESTIONNAIRES (1 ou 2 heures) par groupes.

4.1.1. Constitution d'un nombre d'équipes égal au nombre des thèmes de l'enquête et prise en charge élective d'un thème par équipe. Le professeur peut intervenir dès ce stade en éliminant ou ajoutant des thèmes d'enquête, pour des raisons variables (risque de conflits psychologiques, nécessité d'obtenir un certain type de renseignements socio-culturels, etc.).

4.1.2. Chaque groupe rédige en commun les ques­tions qu'il juge importantes sur le thème qu'il a choisi.

4.1.3. Il serait utile que le professeur consigne ses remarques sur le comportement spontané et l'orga­nisation de chaque groupe (Y a-t-il un « ténor » ? A quoi doit-il sa prépondérance ? Y a-t-il des ex­clus ? etc.). On peut aussi réaliser des enregistre­ments en plaçant un micro dans un ou plusieurs groupes.

4.1.4. De toutes façons, pour mieux connaître les divers comportements, on demandera autant que possible à chaque élève de tenir un journal de l'enquête qui serait complété en une dizaine de minute à la fin de chaque séance.

4.2. VERIFICATION LINGUISTIQUE DES QUES­TIONNAIRES (1 heure + 2 heures + 1 heure).

4.2.1. Echange des questionnaires ainsi élaborés, deux à deux, entre les équipes (pour des raisons de commodité le nombre des thèmes, c'est-à-dire des équipes, pourrait être pair ; sinon on effectuera une permutation circulaire).

Chaque équipe devra alors vérifier le questionnaire qui lui aura été remis (1) pour relever les ques­tions ambiguës, rechercher les raisons de l'ambi­guïté, préparer la refonte du questionnaire si les « item » se recoupent : l'équipe établira une liste courte de points à soulever lors de l'étape sui­vante.

4.2.2. Séance collective : chaque équipe se placera successivement devant le reste de la classe et solli-

(1) Le mieux sera sans doute de demander à ces équi­pes de « tester » sur elles-mêmes le questionnaire qu'on leur aura confié.

citera des éclaircissements sur les points relevés précédemment. Evidemment ces éclaircissements se­ront fournis par les auteurs du questionnaire incri­miné. Les autres élèves seront, à ce moment précis, seulement témoins.

Pendant cette séance collective, le professeur inter­viendra fréquemment : a) pour aider les élèves dans les demandes et les réponses d'éclaircissement ;

b) pour formuler des avis sur la rédaction du ques­tionnaire (comment interroger, comment définir le domaine d'expérience encadrant la question (2), comment faire apparaître les présupposés) ;

c) pour préparer le regroupement et la refonte de certaines questions ; d) pour demander aux élèves des prises de notes.

4.2.3. Etablissement définitif des questionnaires : les équipes initiales récupèrent leur questionnaire. Elles en reprennent la formulation d'après les cri­tiques faites auparavant. Elles fondent ensemble les questions trop ouvertes (ex. : « que penses-tu de... ? ») et celles qui, par exemple, n'aboutissent qu'à un inventaire (ex. : « quels sports pratiques-tu ?» ). Au contraire, elles peuvent interroger sur le pourquoi d'une préférence, d'une opinion. C'est à ce moment que se situe l'intervention la plus précise du professeur pour que ces questions posées débouchent sur des données socio-culturelles utilisables. Il peut faire inscrire dans un thème une question qui ne s'y trouvait pas, et dans ce cas il y aura intérêt à ce que la question soit « suppositive » (ex. : « que serait pour toi la classe idéale ? » Moyens, rap­ports).

4.3. REPONSE AUX QUESTIONNAIRES.

Diverses méthodes sont possibles :

4.3.1. Si on dispose de locaux vastes et d'un temps suffisant, chaque groupe peut se répandre à travers la classe pour faire passer une interview à tous les élèves (durée minimum : 2 heures X 2). Le groupe établit une fiche pour chaque élève de la classe.

(2) Ainsi les élèves d'une section technique, à une ques­tion qui portait sur leur intérêt pour la technique, ont fréquemment répondu négativement parce qu'ils ont cru qu'on les interrogeait sur les disciplines techniques de l'école. Le domaine d'expérience avait faussé la ques­tion parce qu'il n'était pas explicité.

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4.3.2. On peut également demander aux groupes, s'ils acceptent, de réaliser ces interviews entre les horaires de français.

4.3.3. On peut faire polycopier le questionnaire intégral regroupant tous les thèmes, et demander à chaque élève d'y répondre par écrit chez soi. Les fiches de réponse sont nominatives (et non anony­mes).

4.4. TRAITEMENT DES REPONSES (2 heures + 2 heures).

4.4.1. Répartition des réponses aux questionnaires entre les groupes initiaux (ou bien les groupes se reforment autrement). Chaque groupe reçoit un échantillonnage équilibré de réponses selon les thè­mes qui ont ordonné l'enquête. Ainsi chaque groupe dépouillera un corpus équivalent (on peut prévoir de demander aux élèves de répondre à chaque thème sur une feuille de couleur déterminée). Cha­que groupe se concerte pour l'analyse sémantique et la synthèse des réponses.

4.4.2. Les groupes se succèdent au bureau pour demander, s'il est nécessaire, et brièvement, des éclaircissements aux réponses difficiles à traiter. L'élève désigné donne les éclaircissements, les au­tres restent témoins!.

4.4.3. Après une nouvelle concertation, les groupes viennent présenter, l'un après l'autre, le bilan du dépouillement du corpus qui leur a été remis. Ils définissent les centres d'intérêts dans la classe, les opinions, etc. [en fonction de certaines variables si possible (âge, profession des parents, sexe) qui doi­vent donc figurer sur chaque feuille séparée]. Cha­que groupe ayant travaillé sur un échantillonnage de réponses à des questions identiques, la classe toute entière pourra confronter les diverses synthèses pro­posées, une grille générale réunissant toutes les in­formations sera constituée avec l'aide du professeur.

5. Résultats

• Le journal individuel de l'enquête sera relevé. • La grille générale consignera les données socio­culturelles recueillies.

Sur cette grille les réponses devront être regroupées par équivalence sémantique sous une même éti­quette ( « Méta-réponse »).

On pourra y faire figurer des paramètres tels que : âge, sexe, origine sociale (père - mère), etc. Aux professeurs et aux élèves à découvrir les paramètres pertinents.

• De plus le professeur voudra bien présenter un bilan répondant aux questions suivantes : •— Quels sont les obstacles à l'établissement de ces circuits de communication ?

— Quels sont les problèmes concernant Yélucida-tion ?

— Quels sont les problèmes qui ont trait au contenu de l'enquête ?

— Quelles sont vos impressions générales sur la classe dans le cadre de cette expérimentation ? — Que faudra-t-il modifier dans la fiche pour la perfectionner ?

Rémy MARTEL.

II - COMPTE RENDU DES SEANCES D'EXPERIMENTATION

1. Conditions d'expérimentation

LES CLASSES

— Une 4e d'enseignement long mais composée en fait d'élèves très différents par l'âge, le niveau, l'origine sociale puisqu'on y trouvait aussi des élè­ves d'enseignement court pour les besoins de l'en­seignement des langues étrangères (a)

— Une 2° AB mixte à majorité de filles (b) un atelier interclasses d'explication de textes, au niveau de la 2°, (b')

— Une 2° AB mixte avec majorité de filles d'un établissement parisien, (c) — Une 2' C de la banlieue ouest de Paris, (d) — Une terminale de garçons, section F 3 de tech­niciens industriels (e)

CONDITIONS MATERIELLES

Toutes les classes avaient plus de 30 élèves. Une seule disposait d'un local vaste (amphithéâtre) fa­cilitant le travail de groupes (e). Aucune n'a utilisé de magnétophone.

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DUREE

L'expérimentation a pris beaucoup de temps dans toutes les classes. Une fois sur deux les élèves ont d'abord refusé de se lancer dans ce travail mais presque toujours ils ont fini par y consentir un peu plus tard. Ce retard enregistré, l'enquête elle-même a occupé entre un mois et un trimestre et demi suivant le temps hebdomadaire de travail : c'est ainsi que dans une classe le professeur regrette de n'avoir pris qu'une heure chaque semaine (d).

MODALITES DU DEROULEMENT

Partout l'enquête a débuté avant l'achèvement de la fiche, ce qui explique qu'elle n'ait pas été exac­tement suivie. Dans la plupart des cas, la vérifi­cation linguistique des questionnaires n'a pas eu lieu (I. Présentation de la fiche 4.2.). Elle a été effectuée une fois (c) par échange avec d'autres groupes comme prévu. Plusieurs classes ont demandé expressément que les réponses soient anonymes : dans ces cas-là il a été difficile de faire une véri­fication linguistique des réponses, mais les élèves ont regretté à la fin d'avoir choisi l'anonymat (c). In­versement ceux qui avaient accepté d'indiquer leur nom, ont parfois éludé des questions où ils pouvaient s'engager (a). Enfin le choix des interviews orales ou des formulaires à remplir, c'est-à-dire de ré­ponses écrites, orientait le travail dans des direc­tions très différentes. Deux classes ont adopté la méthode du formulaire (a), (c).

La présentation de l'exercice aux élèves a presque partout rencontré des difficultés. Deux fois au moins il a été rejeté (b), en particulier dans une classe très hostile non mentionnée plus haut. Il est facile d'en percevoir les raisons : l'aspect inquisiteur d'un tel travail dans le cadre scolaire peut être dénoncé par certaines classes. Une autre raison est apparue. La fiche proposait de présenter l'enquête comme une occasion de mieux se connaître (3.4.1.). Tous les professeurs semblent avoir introduit l'exercice avec ce motif, mais les réactions ont été très diffé­rentes. Les classes mentionnées sont divisées, consti­tuées de groupes ou d'isolés rivaux ou pour le moins étrangers : aucune de nos classes ne fait exception à cette règle. Les secondes qui rassemblent des élèves de diverses provenances sont des classes par­ticulièrement critiques. Or nous avons provoqué tantôt un intérêt visible (c), (e), tantôt une méfiance et un conflit (b), (d). La réaction de classes appa­remment semblables est en fait difficilement pré­

visible et dépend de variables nombreuses telles que le mode d'insertion du maître dans sa classe, l'exis­tence d'un leader parmi les élèves, le climat général de l'établissement... Des élèves influents ont jugé que la proposition de se connaître était trompeuse (b), (d).

(b) La majorité affirme supporter les cama­rades imposés par le fait-classe, sans avoir envie de les connaître mieux... Les relations au­thentiques se passent ailleurs et sont choisies :

« Je ne vois pas pourquoi il faudrait que je m'entende avec ceux qui sont là. » « Ceux qui sont là ne s'intéressent à rien. — Avec toi il faudrait tout le temps faire de la politique. » « Je préfère parler à mes copains. »

Les phénomènes de groupes ont joué un rôle im­portant lors de la présentation de l'exercice aux classes avec l'objectif de mieux se connaître.

(b) Le débat ne sera vraiment lancé que sur l'intervention d'une élève (doigt levé, silence des autres) qui trouve « intéressant de cher­cher à se connaître». Réplique d'un garçon (seul fermement opposé d'emblée à l'enquête mais un des ténors de la classe, grand prestige auprès des filles) :

« Mais qu'est-ce que tu veux savoir ? »

Dans certaines classes on a pu dépasser le blocage en créant ou en attendant des circonstances nou­velles et en modifiant la présentation. Dans l'une (b'), le point de départ a été un atelier « Expérience de la liberté dans Les Mouches », à la suite de quoi les élèves ont préparé des questionnaires sur des thèmes comme «Famille et liberté», «Liberté et loisirs » ; dans une autre classe, plusieurs semaines après un premier refus, l'enquête a été entreprise à la faveur de l'étude de textes qui montraient la dépendance des types de culture par rapport aux milieux sociaux (d). Ces modalités différentes d'ex­périmentation ne relèvent certes pas du projet défini dans la fiche ; elles attirent cependant l'attention des expérimentateurs sur un point important : la classe est une réalité qui résiste, dont il faut suivre l'évolution, en soupesant tous les aspects en jeu, en créant les incitations, si l'on veut y instaurer une situation d'expérimentation.

Choix des thèmes de l'enquête : ils ont parfois été formulés par le maître (d), (e), mais alors des

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élèves ont refusé de s'occuper par exemple du thème de l'école et on a dû refondre les deux thèmes « Loi­sirs » et « Ecole » en « Distractions » et « Activités culturelles » (e). Ailleurs les thèmes ont été for­mulés par les élèves (b') : « Ils ont essayé de re­couvrir par une série de questions classées par ru­briques la totalité du vécu de chacun » (c). Chaque groupe propose un thème qui l'intéresse et la coor­dination s'effectue au cours d'une discussion collec­tive.

Dans tous les cas les équipes se sont formées par relations des élèves entre eux et non par le choix commun d'un thème. Cette démarche qui paraît quasi inévitable n'empêche pas que chaque groupe rencontre ses difficultés de fonctionnement. Elles peuvent tenir au thème : un groupe qui avaient choisi « Les relations sexuelles » a été arrêté dans son compte rendu final et n'a pu en présenter d'au­tre (e). Une difficulté supplémentaire tenait à la répartition des responsabilités dans chaque groupe : très souvent un ou deux élèves imposent des orien­tations de travail, ou bien assurent toutes les tâches de rédaction et de communication avec la classe.

Comment avoir une idée précise des discussions de chaque groupe ? Le maître en circulant dans la classe a pu se rendre compte des difficultés que les groupes avaient à résoudre mais il aurait été très utile de disposer du corpus complet des inter­ventions des élèves dans les groupes. L'absence du magnétophone est une des insuffisances les plus gê­nantes de l'expérimentation. Pour y remédier on pouvait demander à certains élèves de jouer le rôle d'observateurs dans leur groupe, mais écrit un pro­fesseur, « personne n'aurait voulu se sacrifier en étant l'observateur de son équipe» (c). Dans une classe les élèves ont tenu un journal de l'enquête dont ils ont extrait les éléments pour un rapport indi­viduel final (e) : ces rapports ont l'inconvénient de s'en tenir à des généralités (critiques contre la négligence des réponses, voire critique contre le contenu des réponses) et d'être très pauvres en indications concrètes sur les faits de discours, les problèmes de l'élucidation.

Enfin toutes les classes se sont heurtées au problème de l'utilisation des données recueillies. Partout il en a été présenté des comptes rendus oraux, par grou­pe, à la classe. Mais ensuite professeurs et élèves se sont trouvés devant une espèce de vide. Nous ver­rons que l'extrême difficulté de réaliser le premier objectif (cf. I. Présentation de la fiche, 1.1.) en est une des causes essentielles. Toutefois une procé­

dure intéressante a été adoptée dans une classe pour atteindre l'objectif (c). Les réponses écrites compor­taient une feuille de renseignements sur la situation sociale et familiale des élèves. Malgré l'anonymat, ces renseignements étaient utilisables par la numéro­tation des réponses, un numéro correspondant à cha­que élève. Les renseignements ont été collectés par une équipe tandis que les autres travaillaient au dépouillement sur les différents thèmes. Tous dis­posaient ainsi d'une banque de données individuelles permettant de rapprocher certains types de réponses des situations de famille, d'âge, etc., connues. Mais le rapprochement s'est révélé bien entendu très difficile et aucun tableau systématique n'a été éta­bli.

On prévoyait une incidence de cet exercice sur les travaux suivants de la classe (lectures, recherches documentaires, débats). La durée de l'enquête s'éten-dant parfois à tout un trimestre, des activités pa­rallèles ont eu lieu qui ne tenaient pas compte des découvertes faites sur la classe. En général, si les élèves ont eu parfois de véritables « révélations » (rapport, e) sur leurs camarades, l'impression d'en­semble est moins nette. Rappelons qu'ils ont re­gretté l'anonymat des réponses au moment des bilans. Dans les discussions critiques qui accompa­gnaient ces bilans les auteurs des réponses évoquées découvraient leur identité, ayant souvent l'impres­sion qu'on trahissait leur pensée. A ce point les po­sitions de chacun s'éclairaient et la classe tout en­tière prenait conscience d'un certain aboutissement de l'exercice (e). Du point de vue de l'expérimen­tateur, le profit tiré de l'enquête doit être apprécié par rapport aux quatre objectifs de la fiche (I. Pré­sentation, 1.).

2. Commentaire critique des résultats : réalisation des objectifs

2.1. L'INFORMATION SOCIO-CULTURELLE

Le tableau recommandé par la fiche n'a donc été constitué dans aucune des six classes. Pourquoi ? Les classes ni le maître n'étaient suffisamment armés pour faire une analyse sociologique des réponses. Il était évidemment possible de donner lecture de ces réponses à la classe : par exemple on choisissait pendant le dépouillement les questions sur lesquelles les divergences paraissaient les plus caractéristiques et on esquissait un profil de la classe en soulignant des types de réponses antithétiques ou voisines (e).

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Cependant, même envisagé aussi simplement, l'es­sai d'analyse n'a pas été très satisfaisant : il aurait fallu encourager les questions très fermées et les réponses par oui et par non pour donner des résultats précis. Or cette méthode était contraire à notre dernier objectif (techniques métalinguistiques). Elèves et professeurs ont tous été conscients de cette contradiction :

(e) Un élève écrit : « Nos questions étaient trop personnelles et poussées pour pouvoir faire un sondage style I.F.O.P. : elles étaient donc impossibles à mettre en chiffres». «Je crois que la meilleure solution était de prendre intégralement les réponses plutôt que de vou­loir les interpréter par des croix à l'intérieur de cases. La synthèse n'est donc pas faite à partir de tous les résultats mais des idées do­minantes car le but de cette enquête n'est pas de faire des statistiques mais de faire l'exposé à la classe des différentes idées de celle-ci». (c) Rapport du professeur : « Comment faire des statistiques avec des questions qui ne pré­voient pas le traitement par ordinateur (type « cocher la bonne réponse », trois réponses étant suggérées) ? ». Ailleurs (b') : « Les ques­tions du type « es-tu pour ou contre ? » ou ne provoquant que des réponses par oui ou par non sont nombreuses, certains élèves affirmant qu'ainsi les réponses seront plus faciles à clas­ser ».

C'est surtout l'insuffisance des instruments d'ana­lyse qui a rendu impossible la présentation d'un tableau général. A ce niveau en effet le dépouille­ment et le classement exigent, en toute rigueur, de référer les réponses à des variables pertinentes ou paramètres. Dans certains cas les classes avaient renoncé à s'interroger sur le milieu socio-profes­sionnel d'origine. On ne pouvait alors que référer telle réponse d'un élève à d'autres du même type pour comparer ses diverses attitudes (s'intéresse-t-il à la fois à la musique classique et à la musique moderne ? à la lecture, au cinéma et aux sports ?). Ce travail a été entrepris dans une classe au moins (e) mais la difficulté d'interpréter des ré­ponses recueillies oralement n'a pas permis de le mener à bonne fin : les élèves ne sont alors parvenus qu'à des listes de pourcentages sans essai d'expli­cation (cf. annexe 4 de ce compte rendu).

Lorsque les équipes disposaient de renseignements sur le milieu social, elles n'en étaient pas moins embarrassées pour faire des regroupements par ca­

tégories : par exemple, « comment classer les pa­rents sur le plan socio-professionnel ? » (c). A ce point l'enquête se heurtait à des difficultés techni­ques qui dépassaient le cadre d'une expérimentation sur les circuits de communication.

2.2. MODIFICATION DU CIRCUIT DE COMMUNICATION SCOLAIRE

C'est l'aspect le plus nettement positif de l'expéri­mentation. Sur ce point les avis sont presque una­nimes : il y a eu par exemple des discussions animées et prolongées avant l'élaboration des questionnaires. « Activité de tous, nouvelle, écrit un professeur. On discute avec animation des questions et aussi des réponses » et à la fin « la classe est un peu lasse mais le temps heureux de l'élaboration des questions ne sera pas oublié » (c). Dans une autre classe (e), l'activité est intense et bien organisée ; le rendement est bien supérieur à celui qui a été obtenu jusqu'à présent pour les autres exercices notamment écrits : la quasi-totalité des élèves, même les plus effacés, ont pris la parole dans les groupes lors de la prépa­ration des questionnaires. Signalons que la classe qui a refusé l'enquête (b) y a elle-même gagné quelque chose sur le plan de la communication : « Le refus lui-même a instauré une communication dans la classe, des groupes s'attardant à la fin de l'heure pour poursuivre la discussion». Cependant ce déblocage et cette mise en place d'un nouveau circuit dont le professeur n'était plus le seul pôle ne pouvait avoir d'intérêt véritable que si les élèves acceptaient d'actualiser le schéma de la communi­cation.

2.3. SCHEMA DE COMMUNICATION ET TECHNIQUES D'ELUCIDATION

L'enquête est un exercice contraignant qui crée des circonstances de communication différentes de celles du débat dans la mesure où le but principal recher­ché par l'un des deux locuteurs (celui qui interroge) est d'obtenir une réponse et de se l'expliquer. Tou­tefois le questionneur possède un pouvoir évident qui lui permet de diriger le questionné : il faut qu'il s'en rende compte.

Or une constatation générale peut être faite : la phase orale de la préparation des questionnaires, de même que les interviews (dans le cas des classes qui ont choisi cette méthode), font souvent oublier la direction interrogeante de la parole de l'enquê­teur. Un élève s'en félicite : « Nous avons eu le

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plaisir de remarquer que certaines questions lors de l'interrogation furent l'objet de petits débats pas­sionnés qui s'amorçaient » (e). Ce qu'un professeur formule autrement : « Pour l'élaboration des ques­tionnaires, les élèves sont plus soucieux de trouver des « sujets » que de susciter des réponses plus nuancées. L'important semble même être de trouver des thèmes de discussion possible avec les cama­rades plutôt que d'obtenir des résultats permettant d'esquisser un profil de la classe». Et au cours de l'enquête : « Parfois longue discussion : l'objectif de l'enquête est alors perdu de vue » (b'). Les prises à partie sont très fréquentes pendant cette phase : l'élève interrogé est contredit, désapprouvé par l'en­quêteur (qui lui reproche de ne pas faire de poli­tique, d'avoir choisi l'enseignement technique sans s'intéresser aux sciences et aux techniques, etc.) :

(b') «Quelle genre de musique aimes-tu? — Classique. —• Pourquoi ? — (Hésitations et interjections) Parce que ça me plaît. — Alors tu n'aimes pas la musique moderne ?

La discussion continue, l'élève interviewé se faisant agresser pour avoir qualifié la « pop » de «musique casse-tête »... Cette projection de soi apparaît très souvent au cours de l'en­quête. »

La fonction polémique masque dans tous ces cas (très nombreux) la nécessité de l'élucidation des formes utilisées, tant pour la mise au point des questionnaires que pour la réception des réponses. C'est pourquoi après l'animation des discussions ini­tiales préparatoires, la rédaction des questions et plus encore leur reformulation ont été péniblement obtenues : « L'établissement définitif des questions (chaque équipe ayant récupéré son questionnaire) est une étape pénible, et à la 3e heure, il n'y a plus qu'un ou deux élèves par équipe qui débattent avec le professeur du maintien d'une question, de l'addition d'une autre, de la formulation » (c). Il est vrai que ce professeur voit une autre cause : « Cette fatigue est due pour une bonne part au grand nombre des questions ». Le même obstacle est signalé ailleurs (b') : « Les tentatives pour reformuler des questions trop générales ont été trouvées bien contraignantes ». C'est ce qui explique peut-être le moindre intérêt porté par les classes au passage à l'écrit chaque fois qu'il était nécessaire (rédaction des questionnaires, prises de notes sur les

réponses orales, composition du tableau des résul­tat) : l'écrit représente en lui-même un degré d'élu -cidation plus grand du discours produit et du dis­cours reçu et se prête peut-être moins au rapport polémique que les élèves recherchent. Ainsi, dans un groupe (b'), «la question : vous intéressez-vous à la politique ? est la seule trace d'une discussion au sein du groupe sur la participation aux assemblées d'élèves, le droit d'affichage... ».

Malgré ces difficultés la nécessité de l'élucidation a été perçue par de nombreux élèves, lors des inter­views (qui ont cet avantage précieux sur les ques­tionnaires) ou dans les comptes rendus finaux, quand ce n'était pas au cours de vérifications linguisti­ques méthodiques.

Exemples de points ayant suscité une activité méta-linguistique (le « Qu'est-ce que tu veux dire par là ? » est déjà un métalangage) :

FORMES TROP OUVERTES

« La nature t'aide-t-elle à comprendre la vie des humains ? » (a). « Penses-tu être utile à l'évolution humaine ?» (e). « Aimes-tu la vie en société ? »

QUESTIONS AU MOINS PARTIELLEMENT REDONDANTES

« Est-ce que le sport t'intéresse » -(- « Qu'est-ce que le sport pour toi ? » « Vous entendez-vous avec vos parents ?» + « Comment considérez-vous vos parents ? »

FORMES AMBIGUËS

« Fais-tu partie d'un groupe social ? » « Pensez-vous être bien informé sur les sciences et les techniques ? » Les élèves se sont aperçus qu'ils avaient pris cette question dans deux sens diffé­rents : 1. Avez-vous une bonne culture scientifique ? 2. Y a-t-il de bons moyens d'information scienti­fique ? (e).

Il s'est trouvé des formes non ambiguës qui ont cependant été l'occasion d'un malentendu général : « Penses-tu que la religion puisse servir de lien en­tre les hommes ? ». « Il s'est manifesté ici, écrit un élève, une curieuse confusion... Ainsi les interrogés ont pu comprendre : — La religion, est-ce que c'est bien ? — La religion crée-t-elle des liens ?

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Nous pensons que les élèves ont voulu donner tout de suite leur opinion sur la religion d'où cette confusion ». Le débat qui a eu lieu sur ce point en séance collective a surtout montré que les élèves voulaient juger l'Eglise alors qu'on les interrogeait sur la religion.

« Vacances est-il synonyme pour toi d'évasion ? » La connotation tantôt positive tantôt fortement né­gative du mot a rendu impossible l'interprétation des réponses.

« Qu'attendais-tu du lycée ? » Réponse (par écrit) : « J'attendais une bonne éducation et moins de le­çon ! J'arrivais d'un C.E.G., pour l'ambiance je m'y attendais ». Il y a ici supposition d'un réfèrent commun et perçu de la même manière défavorable (selon toute vraisemblance) sans que le locuteur ait cru nécessaire d'élucider son sous-entendu (c).

QUESTIONS RESTRICTIVES OU IMPOSANT DES PRESUPPOSES

« Pourquoi certains jeunes sont-ils racistes alors qu'ils forment l'humanité de demain ?» (a). Qu'est-ce qui compte le plus ici, la question ou l'assertion ? « Comment considères-tu les relations sexuelles, comme signe d'amour ou de vice ? »

« Penses-tu que ta pensée sexuelle est saine ?» La classe a très bien perçu que le groupe qui lui posait ces questions lui tenait en fait un discours polémique en vue de l'émancipation et elle a rejeté l'ensemble de l'enquête sur ce thème (e).

En conclusion un objectif a été pleinement atteint : la mise en relation par des actes de communication, d'élèves d'un même groupe, d'une même classe. Toutefois les appréciations des élèves sont variables, selon les personnalités, le degré d'intégration à la classe, le sujet abordé. « J'ai remarqué que ce débat a permis à la section de se solidariser un peu plus... Le travail tout entier du groupe a été positif et intéressant... Il a permis un certain rassemblement de la classe sur elle-même. » Quelqu'un au contraire se plaint « qu'il existe des coalitions entre différents élèves » (e).

L'enquête en elle-même et les objectifs linguisti­ques ont été moins bien réalisés. Les comptes rendus d'élèves abondent certes en remarques sur la néces­sité de mieux contrôler l'outil linguistique. L'un es­time que la grande difficulté est de « faire compren­dre parfaitement le sens de la question ». Un autre :

« Nous avons conclu qu'un débat ne peut avoir lieu qu'avec un choix judicieux de mots basé sur leur définition exacte, de part et d'autre». Cependant l'analyse des circonstances de communication, des circuits, des procédures discursives, a été très som­maire. On n'a guère obtenu plus qu'une sensibili­sation.

Pour une reprise de l'expérimentation, il faut pré­voir :

— un moyen de consigner toutes les interventions des élèves soit en groupe soit dans les discussions collectives ;

—• une insistance sur l'activité métalinguistique. Les élèves pourraient être avertis qu'ils vont expéri­menter les techniques d'expression de l'enquête, par une sorte d'exercice de simulation ; si au contraire on veut conserver à cette enquête sa valeur de dé­couverte de faits socio-culturels, une information préalable de sociologie appliquée est indispensable autant pour le professeur que pour les élèves.

N.B. Nous donnons en annexes quatre documents :

1. Un texte de présentation des questionnaires des­tiné aux familles dans un établissement où l'admi­nistration a critiqué l'exercice (en raison de son caractère « indiscret » ) .

2. Un formulaire de réponse (fragment) sur les loi­sirs.

3. Un autre formulaire sur les rapports avec la famille. 4. Un exemple de renseignements socio-culturels tirés du dépouillement de réponses (fragments).

ANNEXES

1. Chapeau rendu nécessaire par l'attitude de l'administration

Cette enquête socio-culturelle faite par les élèves d'une classe sur eux-mêmes fait partie de l'expéri­mentation d'un groupe de recherches de 11.N.R.D.P. et est menée parallèlement dans un certain nombre de classes de lycée.

Elle doit : 1) FOURNIR DES DONNEES SOCIO-CULTUREL­LES AUX ELEVES ET AUX MAITRES. Permettre

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aux élèves de mieux se connaître et se situer ; aider les maîtres à modifier la conduite de la classe en fonction de son visage réel et de ses besoins réels. Des courants, des tendances se dessineront qui per­mettront de choisir mieux les travaux de lecture, d'écriture, de parole...

2) APPRENDRE A COMMUNIQUER MIEUX. Les élèves ont au cours de l'enquête l'expérience d'une communication horizontale d'élèves à élèves très difficile à obtenir dans une classe. Ils ont d'autre part à tenir compte du TU comme on le fait peu dans le dialogue courant, à dévoiler les ambiguïtés et les présupposés des questions, à élucider les ré­ponses...

3) FAIRE FAIRE TOUT UN TRAVAIL LINGUIS­TIQUE, dans la formulation progressive des ques­tions, puis dans le dépouillement des réponses et leur analyse sémantique pour en faire une synthèse aussi exacte que possible.

Ce travail qui ne peut se faire que dans une classe qui l'a toute entière accepté, semble particulière­ment justifié dans une classe hétérogène par son recrutement, et pour des élèves à vocation écono­mique et sociale.

Il se déroule de la façon suivante :

1 - Libre répartition des élèves en équipes qui éta­blissent chacun les rubriques de leur « questionnaire des élèves par les élèves », puis les questions à poser à l'intérieur de ces rubriques. Pas d'intervention du professeur sinon pour noter ce qui se passe dans chaque groupe (à défaut du journal de bord tenu par chaque équipe).

2 - Echange circulaire des questionnaires et effort d'élucidation. Puis devant les autres équipes, deman­de d'éclaircissements systématiques de chaque équipe à l'équipe dont elle a étudié le questionnaire.

3 - Etablissement définitif du questionnaire de la classe, chaque équipe ayant en mains son propre questionnaire. Les rubriques à retenir se dégagent par comparaison. Les questions sont refondues, cer­taines éliminées (trop vagues, inutiles...), d'autres précisées... Le professeur mène le jeu quant à la formulation des questions, sans rien changer bien évidemment au contenu choisi en commun par la classe, même si l'on est parfois incomplet.

Pour la suite du travail, la classe a choisi de ré­pondre par écrit et anonymement au questionnaire. Il n'y aura donc pas de demandes d'éclaircissements.

Il ne s'agira pas de discuter les réponses. Mais cha­que équipe en ayant un échantillonnage ou toute une rubrique, d'en faire l'analyse, d'en dégager les grands thèmes, les centres d'intérêts, les opinions, etc., si possible en fonction de variables à déter­miner. Ensuite aura lieu la synthèse de tous les bilans de dépouillement, et l'essai d'établissement d'une grille générale.

2. Questions et réponses

10) Comment aimes-tu t'habiller ? Suis-tu la mo­de ?

J'aime beaucoup le pantalon, les pulls angora. Je suis la mode.

11) La bonne cuisine, est-ce important pour toi? J'aime manger de bonnes choses. Mais cela ne m'ennuie pas de manger des choses simples.

12) Bois-tu de l'alcool ? Fumes-tu ? Je ne bois jamais d'alcool. Je fume un peu.

13) Aimerais-tu vivre ailleurs qu'à Paris ? Pour­quoi ?

Non parce qu'il y a de la vie à Paris.

14) Sors-tu en bande ? Quel genre de sortie ? De temps en temps. Spectacle à Paris. Pique-nique en vacances.

15) Qu'entends-tu par vacances idéales ? Etre en bonne compagnie.

Bien m'amuser.

Me reposer.

16) Pars-tu en vacances avec des parents ? avec qui d'autres ?

Je pars en vacances avec mes parents.

17) Que fais-tu en vacances ? Les vacances, est-ce important ? Je me détends. Je visite. Je fais de la marche. Je lis. Les vacances sont importantes.

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18) Travailles-tu (job) pendant tes vacances ou ton temps libre ? A quoi ? Sinon, le voudrais-tu ? pourquoi ? Je ne travaille pas pendant les vacances. J'aimerais travailler au mois de juillet cette année.

19) Vas-tu aux sports d'hiver ? Je n'y suis pas encore allé, mais peut-être à Pâ­ques cette année.

20) Eventuellement, autres activités extra-scolai­res ? Je vais à des visites de musées avec un groupe.

3. Questions et réponses (second exemple)

1) Ta famille est-elle une famille unie ? Oui je pense qu'elle est unie mais par contrainte et superficiellement.

2) Qui est le plus autoritaire de ton père et de ta mère ? Avec qui es-tu le plus en confiance ? Cela dépend de ce que vous entendez par autori­taire. Si c'est une personne qui sait se faire aimer et res­pecter alors ma mère est cette personne. Mais si c'est une personne devant qui l'on tremble alors c'est mon père.

3) Parles-tu librement avec tes parents (problèmes personnels, politiques, sexualité) ? Oui avec ma mère. Mon père considérant que les seuls problèmes pou­vant me préoccuper sont ceux du bahut.

4) Comment tes parents te considèrent-ils ? Es-tu un sujet de discussion ? Ils me considèrent comme un objet de fierté qu'ils forgent à la réussite qu'ils ont pu atteindre.

5) Tes parents surveillent-ils tes lectures ? Non. Tes fréquentations ? Non, bien qu'elles ne soient pas souvent à leurs goûts. Tes sorties ? Oui, ils les refusent quelles qu'elles soient la plupart du temps.

6) Ta position parmi tes frères et/ou sœurs ? As-tu des responsabilités ? J'ai un frère aîné qui a 22 ans.

7) T'entends-tu bien avec tes frères et/ou sœurs ? Peux-tu discuter avec eux ? J'adore mon frère car il a su me donner tout ce qui me manquait auprès de mes parents. Il est ma famille.

4. Résultats en pourcentages

Le type de question posé ne permettait pas de faire l'explication sociologique des réponses de la classe (une seule question utile : Est-ce que tes parents travaillent tous les deux ? — oui, 60 % — non, 40 % ) .

Mais des profils psychosociologiques se sont dégagés dans leurs grandes lignes (réponses à l'état brut). Exemple de questions et type d'affectations de pour­centages :

Aimes-tu la vie en société ? — oui, 42 % — non, 22 % — guère, 36 %.

La discussion est-elle possible entre toi et tes pa­rents ? — oui, 70 % — non, 30 %

— 40 %, refus de l'élève — 60 %, refus de ses parents.

A qui exposes-tu tes problèmes ? — père, 10 % — mère, 90 %.

La TV prend-elle une grande place dans ta fa­mille ? —• oui, 50 % —• non, 50 %

Pratique de un ou plusieurs sports, 75 % (dont 24 % natation, 16 % foot...).

Suivent les émissions sportives (TV, radio), 70 %, (jeux olympiques, 85 % ) .

77

Page 73: SENS ET COMMUNICATION

Lisent des magazines sportifs, 30 %.

Assistent à des matches, 35 %.

Vacances avec les parents, 53 % avec des amis, 35 %, seul, 8 %.

Partent en voyage, 75 %.

Pour les vacances en groupes organisés, 46 %.

Contre les vacances en groupes organisés, 43 %.

Ne parlent pas d'eux-mêmes de la sexualité, 14 élè­ves/31.

de communication qui est dominante, nous propo­sons dans ce chapitre :

— « Réflexion sémio-linguistique sur la communi­cation (Voir préalables p. 19).

— « Description des circuits de communication mis en œuvre dans l'expérimentation ».

IV - DESCRIPTION DES CIRCUITS DE COMMUNICATION MIS EN ŒUVRE DANS L'EXPERIMENTATION

N'aiment pas du tout en parler, 6/31.

En parlent couramment (?), 9/31.

Refus total, 2.

« Croient » aux sciences occultes, 46 %.

Il s'agit de décrire les circuits de communication des différents moments du « déroulement » (fi­che A.4.) ; en utilisant le questionnaire de nos hypo­thèses linguistiques (p. 30).

1. Elaboration des questionnaires (4.1.2.)

HI - HYPOTHESES SCIENTIFIQUES : REFLEXION POUR UNE TYPOLOGIE DES DISCOURS

CONCERTATION EN GROUPE et CIRCUITS DE COMMUNICATION LIBRES (c'est-à-dire sans maî­tre) A PROPOS D'UNE TACHE COMMUNE DETERMINEE A L'AVANCE.

Avertissement : Ce chapitre concerne les hypothèses scientifiques de base sur lesquelles repose l'expé­rimentation. Pour ce qui est de cette fiche, deux do­maines linguistiques, au moins, devraient être déve­loppés : le domaine de la technique métalinguistique d'élucidation — proprement linguistique — et celui des circuits de communication — psycho-socio-lin­guistique.

Cependant il nous paraît difficile d'exposer plusieurs hypothèses au cours d'une même expérimentation, surtout lorsque chacune d'elles nécessite un déve­loppement relativement important. De plus, chaque expérimentation privilégie un domaine scientifique particulier, ce qui nous autorise à ne développer que « l'hypothèse dominante ».

Considérant, ici que c'est l'hypothèse sur les circuits

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SITUATION DE COMMUNICATION

— Le TU est présent — Il est multiple et/ou indi­viduel.

Il y a possibilité d'échanges.

La communication est directe.

78

Page 74: SENS ET COMMUNICATION

— Le Réfèrent est présent et commun (c'est le thè­me, encore appelé « domaine d'expérience » ou DE). Il n'est pas matériel.

— Le canal est oral lors de la concertation (inter­viennent donc des faits prosodiques et gestuels), et graphique lors de la transcription des questions.

SITUATION DE DISCOURS

— JE-TU. Il s'agit de « camarades de classe » sans interférence du maître. Donc la distance est faible (familière) entre JE-TU.

A ce titre chaque élève est un JE engagé dans le discours qu'il produit, puisqu'il n'a pas à réciter un savoir qu'il aurait dû apprendre.

Lorsqu'il est TU, c'est un camarade qu'il écoute, mais il est probable qu'il ait tendance à l'interpréter à travers son propre univers de signification.

Par conséquent on est bien dans le cas où chaque individu du groupe voit son interlocuteur d'un cer­tain point de vue (voir Préalables p. 30) et donc la fonction polémique peut jouer à plein, encore qu'il est peu probable qu'ils sachent élucider leur propre discours à l'intention de l'autre ou des autres.

— JE-énoncé : C'est à voir. En principe dans cette première étape chaque JE devrait prendre en charge son propre discours.

— JE-référent : Le réfèrent est bien limité et struc­turé par le thème. Il s'agit du domaine d'expérience à propos duquel vont être produits les discours.

Ce D.E. est donc unique, et chaque discours produit est une façon pour le JE de révéler son « univers de signification » à propos de ce D.E.

Quant à la procédure discursive, il s'agit d'une « pro­cédure interrogative » qui correspond précisément à l'activité d'enquête.

2. Vérification linguistique des questionnaires

1. CONCERTATION POUR PRISE DE CONNAISSANCE DU QUESTIONNAIRE D'UN AUTRE GROUPE (4.2.1.)

— La situation de communication est la même qu'en 1.

— Situation de discours :

• L'élève est un TU qui reçoit un discours (le questionnaire) qu'il va essayer d'élucider.

• Cette elucidation « sauvage » (puisque non orga­nisée) se fait à travers une concertation : « qu'est-ce que tu crois qu'il a voulu di re?», «moi, je crois que... ».

La fonction polémique existe donc, mais à travers le métalangage d'élucidation.

— JE-énoncé : Cette fois il ne devrait pas y avoir « prise en charge totale » des discours, parce que le JE sait qu'il ne fait qu'interpréter (d'où l'abon­dance des « modalités non assertives » : je crois que, je pense, probablement...).

—- JE-référent : Le réfèrent, ici, est le questionnaire étudié.

Le D.E. est donc unique et commun.

Mais le point de vue sur le questionnaire pourra varier, car étudier chaque question c'est l'envisager en fonction des réponses possibles qu'imagine chaque élève et qui l'engagent plus ou moms.

La procédure discursive est, ici, la procédure méta-linguistique d'élucidation.

2. SEANCE COLLECTIVE D'ELUCIDATION (4.2.2. et 4.2.3.)

Cette fois l'élucidation est organisée :

— Un groupe (A) répond aux questions d'éluci­dation que lui pose le groupe (B) :

• Lorsqu'il est questionné, il est TU.

• Lorsqu'il répond il est JE devant un groupe TU, les autres groupes étant témoins (ce qui est impor­tant) .

— Le maître est un « archi-témoin » dans la mesure où il assiste à l'ensemble du débat et doit noter Q et R. Mais il est aussi un JE multiple lorsque, pour animer et organiser les échanges il s'insère dans les différents circuits de communication.

Il doit être vigilant de façon à ce que le débat, à ce stade, reste dans le cadre de l'élucidation.

79

Page 75: SENS ET COMMUNICATION

(A)

(D)

Témoins

N.B. La situation de C est encore la même que pré­cédemment.

La situation de D est issue des remarques ci-dessus, mais on pourra s'interroger d'une façon plus pré­cise sur les rapports qui s'établissent entre les grou­pes, après observation.

3. TRAITEMENT DES REPONSES (4.4.)

Les circuits sont à peu près les mêmes qu'en 2 (concertation - séance collective d'elucidation). On remarquera cependant :

— Le D.E. est multiple, mais limité, dans la mesure où chaque groupe traite un échantillon de réponses à plusieurs questions.

— La situation du discours n'est pas tout à fait identique, dans la mesure où il ne s'agit plus de questions, mais de réponses aux questions qui fata­lement engagent beaucoup plus chaque JE.

— Dans cette phase de travail le rôle du maître est primordial. Il devra veiller à faire comprendre aux élèves que, bien souvent, entre les réponses qu'ils reçoivent et les jugements qu'ils portent (ex. : R « je ne suis jamais sorti avec une fille »). (Juge­

ment : « C'est un refoulé » ), il y a des discours intermédiaires qu'ils doivent élucider.

4. Enfin, nous ferons une dernière série de re­marques, à propos du dernier moment de cette expé­rimentation : les résultats (5).

— Au moment de l'établissement de la grille, tou­jours à travers les circuits de concertation-échange-élucidation intra-groupes ou inter-groupes, la procé­dure discursive est une procédure d'analyse et de classification, à propos d'un D.E. de nouveau uni­que.

S'il est demandé à chaque élève de faire un compte rendu de l'ensemble du travail, on remarquera que : — Le TU auquel s'adresse son travail écrit, est considéré comme anonyme ou multiple. (En aucun cas ce ne doit être le maître — Il faut que l'élève soit dans la situation d'un JE-journaliste qui fait un commentaire.)

— La procédure discursive est donc celle du commentaire, mais passant par le canal graphique et étant en situation de JE-(TU) -IL ; il devra en tirer les conséquences linguistiques (contrôle et or­ganisation du discours).

P. CHARAUDEAU

80

Page 76: SENS ET COMMUNICATION

DISCOURS ET ENONCIATION

A. OBJECTIF ET INTERPRETATIF DANS L'IMAGE

PRELIMINAIRES

Cette fiche est donc le premier moment de notre série discours narratif : « Etude sur description ob­jective et description interprétative».

Mais elle-même se décompose en trois temps : — Description d'image fixe. — Etude de textes divers. — Production des élèves.

Il s'agit dans cette fiche n° 2 de la « description d'image fixe » et d'une première découverte, à ce propos ; de la différence entre description objective et description interprétative, que l'on retrouvera dans les expérimentations suivantes sous des aspects dif­férents.

Précisons donc quelques points en ce qui concerne les objectifs de cet exercice :

a) Tout d'abord, et malgré sa position d'antériorité par rapport au récit (dans la tactique de notre expé­rimentation) cet exercice n'est pas du tout destiné à laisser croire que la description serait première par rapport au récit, ni1 que le récit serait une suite de descriptions.

b) Travailler sur la description ne veut pas davan­tage dire que cette procédure discursive existe à l'état pur dans la communication. L'observation de la réalité du discours nous montre en effet, que la description se mêle constamment à d'autres procé­dures discursives et que ce n'est que dans des frag­ments de discours ou dans des situations très parti­culières que nous la voyons se manifester comme telle.

c) C'est précisément pour cette raison que nous avons imaginé une procédure expérimentale qui nous oblige à isoler la description pour permettre

aux élèves de mieux l'interroger et ainsi d'en être moins dupes.

d) Pourquoi « d'en être moins dupes » ? Et bien, précisément, parce qu'en fait une description n'est pas, par définition, objective. Elle le sera plus ou moins selon la façon dont le sujet parlant inter­viendra dans cette procédure discursive.

C'est pourquoi nous voulons nous interroger, avec les élèves sur la différence description objective -description subjective ou mieux interprétative car il se trouve que la plupart du temps, c'est celle-ci qui masque celle-là, en « trompant » ainsi l'inter­locuteur (TU).

e) Mais cette opposition objectif-interprétatif est complexe :

— Premièrement convaincu que tout discours véhi­cule une vision subjective {au sens de relatif au sujet) de l'univers, nous cherchons cependant à voir ce que serait un discours plus ou moins objectif et un discours plus ou moins interprétatif.

— Deuxièmement nous voudrions montrer que les différentes formes de cette opposition relèvent toutes d'un principe épistémologique général (opposition sens-signification) et qu'en même temps ces diffé­rences sont justifiées par la procédure discursive qui manifeste cette opposition.

C'est pourquoi nous vous proposons cette fois une réflexion sur la description de l'image fixe.

Quelques mots sur la procédure d'expérimentation : Celle-ci (qu'il s'agisse d'exercices, de jeux, etc.) n'est jamais une fin en soi. Elle est destinée à placer les élèves dans une double situation d'opposition par rapport aux uns, de complicité par rapport aux au­tres, parce que nous sommes convaincus que le savoir se construit à travers des rapports de commu­nications polémiques (situations conflictuelles) et que l'école est le lieu, non pas de la transmission d'un savoir tout fait, mais de la découverte d'une multi­plicité de savoirs qui se construisent entre les indi­vidus.

81

Page 77: SENS ET COMMUNICATION

C'est pourquoi les circuits de communication mis en œuvre dans cette expérimentation seront décrits suc­cinctement en insistant sur les points les plus impor­tants, d'autant plus que vous avez toujours la possi­bilité de compléter cette description en utilisant le questionnaire de la « Réflexion pour une typologie des discours » de la fiche n° 1.

Nous vous présentons donc le déroulement de l'ex­périmentation, les hypothèses scientifiques qui la sous-tendent, les circuits de communications qu'elle met en jeu et un compte rendu des premiers tra­vaux.

I - PRESENTATION DE LA FICHE

1. Objectifs

1.1. POINT DE DEPART

Début d'une expérimentation progressive sur le dis­cours narratif selon le schéma : Procédure discursive de description. — Procédure discursive de dialogue et récit. — Etude des struc­tures narratives. — Réemploi.

1.2. ARTICULATION DESCRIPTION/NARRATION

Cette distinction est pour l'instant méthodologique. En théorie, description et narration peuvent être consubstantielles. En pratique, on cherchera pour­tant à éliminer autant que possible les séquences narratives de la description.

1.3. RECHERCHE DE LA DESCRIPTION OBJECTIVE

Opposer description objective/description interpré­tative.

1.4. «TRANSPARENCE» OU «OPACITE» DE LA COMMUNICATION

Faire apparaître que l'objectivité du discours permet mieux « le transfert du sujet d'énonciation sur le récepteur» (1).

(1) Langue française (Linguistique et société, n° 9, L. Courdesses (p. 25).

2. Procédure

2.1. FAIRE DECRIRE UNE IMAGE

La description fera apparaître : des composantes subjectives, des composantes objectives.

Jeu de la subjectivité — niveau iconographique de l'image.

Jeu de l'objectivité — niveau iconique (2).

2.2. SITUATION DE COMMUNICATION

L'image est décrite : — par un groupe d'élèves qui ne la voit pas et qui interroge ;

— par un groupe d'élèves qui l'observe et qui ré­pond.

Cette situation mettra en lumière une des raisons du blocage de la communication : — aux questions ou aux réponses subjectives fera suite l'incompréhension du groupe d'en face et 1' « opacité » de la communication ;

— aux questions ou aux réponses objectives fera suite une « transparence » de la communication.

2.3. DESSIN DE L'IMAGE ET CONFRONTATION

L'image est dessinée par tous les élèves du groupe qui questionne.

Tous les dessins sont ensuite confrontés.

On fait l'étude des variations.

3. Préparation

3.1. CHOIX DE L'IMAGE

Pour ne pas transformer l'exercice en devinette, on veillera aux conséquences de cette sorte qu'entraî­nerait le choix d'un dessin humoristique.

Choisir de préférence une image « neutre ». Un des­sin trop fortement codifié est immédiatement l'objet

(2) Selon une distinction établie par Umberto Eco (Com­munication n° 15), voir volet B, page 7.

82

Page 78: SENS ET COMMUNICATION

d'une lecture au niveau iconographique. Il permet mal d'opposer description objective/description sub­jective. (On reconnaît vite un personnage célèbre, un être ou un objet stéréotypé).

3.2. SENSIBILISATION

On annoncera aux élèves un exercice sur l'objectivité et la subjectivité du discours.

Si cette préparation risque d'être incomprise on cherchera des activités de sensibilisation : — examen rapide d'une affiche (cinéma, publicité) connue, — projection d'une image, puis elle est retirée, on s'efforce de la décrire de mémoire, etc.

Ces jeux feront apparaître la diversité des interpré­tations. La présente fiche permettra ensuite de mieux comprendre la raison de cette diversité.

3.3. ENREGISTRER OU NOTER QUESTIONS ET REPONSES

Il est particulièrement important d'enregistrer Q et R dans cette expérimentation (cf. 4.2.).

4. Déroulement

4.1. DESCRIPTION ET DESSINS DE L'IMAGE

4.1.1. Créer deux groupes

— L'un détient l'image. — L'autre veut la connaître et doit la dessiner (sans attacher d'importance à la valeur esthétique de son dessin).

On recommande les groupes peu nombreux (5 ou 6 maximum). On cherchera toutefois comment pra­tiquer cet exercice dans une classe nombreuse (créer plus de deux groupes ? le reste de la classe est té­moin ?).

1.2.4. Les deux groupes peuvent se concerter quel­ques instants auparavant (mise au point d'une tac­tique commune de description ou d'interrogation).

4.1.3. Questions et réponses

a) Le maître n'interviendra absolument pas dans cette phase. Il note Q et R et observe le fonction­nement des 2 groupes.

b) Le fonctionnement pourrait se faire de la façon suivante : un élève du groupe A (sans image) de­mande à un élève (en le nommant) du groupe B un renseignement sur l'image. L'élève de B doit fournir le renseignement (sans chercher à tromper son interlocuteur), puis un autre de A pose une autre question à un autre de B de la même façon et ainsi de suite de façon à découvrir progressive­ment les détails de l'image.

4.1.4. Dessins

Chaque élève du groupe A doit faire sa propre re­présentation graphique en utilisant tous les rensei­gnements fournis par les élèves du groupe B.

4.2. CONFRONTATION : PHASE COLLECTIVE

4.2.1. Comparaison des dessins et relevé des va­riantes. Essayer d'expliquer d'après les renseigne­ments fournis à quoi tiennent ces variantes : — formulation de la Q ; — formulation de la R ; — interprétation de la R par l'élève questionneur ; (se servir de l'enregistrement de la séance).

Il s'agit en travaillant sur les discours produits de montrer :

— ce qui a permis à la communication de passer (probablement la dimension objective) ; — ce qui a bloqué la communication dans ce type d'exercice (probablement la dimension subjective).

4.2.2. Phase proprement interprétative

Cette phase se fera collectivement. Le travail n'est plus organisé par groupes. Le professeur suscitera le débat en lançant des questions générales du type : « Que veut dire le dessin ? Quelle est votre inter­prétation ? Quelle impression vous laisse le des­s in?» a) Les élèves devront se livrer à une interprétation personnelle du dessin. b) Ils devront justifier leur interprétation d'après les données objectives du dessin (par ce travail il sélectionnera les traits pertinents dans le dessin qui concourent à son interprétation).

Le maître, tout en laissant au débat sa liberté, devra inciter les élèves à justifier leur interprétation.

A l'issue de ce travail un regroupement des interpré­tations devra être effectué avec indication de l'en-

83

Page 79: SENS ET COMMUNICATION

semble des traits pertinents (du dessin) correspon­dants.

c) Montrer que chacune de ces interprétations trahit un univers de discours psycho-socio-culturel et en tant que tel démasque le JE.

4.3. RENOUVELLEMENT : INVERSION DE LA SITUATION (facultatif)

Choix d'une nouvelle image. Inversion des deux groupes. Confrontation des dessins.

5. Résultats

Les résultats ne seront que transcription des notes prises au cours des différentes phases.

5.1. CLASSEMENT SEMANTIQUE DES DIFFERENTES INTERPRETATIONS

Pour les deux dessins étudiés.

Mise au point des diverses interprétations de chaque dessin :

— formulation (verbale) ;

— justification : recherche des signes iconiques justifiant ces interprétations et classement de ces signes.

5.2. STOCKAGE DES RESULTATS pour la pour­suite de l'expérimentation sur le discours narratif.

5.3. NE PAS OUBLIER L'APPORT CRITIQUE DU MAITRE SUR L'EXPERIENCE dans son ensemble.

On peut imaginer d'en faire un compte rendu aux élèves.

Ce sera une occasion pour le maître de présenter son point de vue sur le déroulement et l'aboutisse­ment de l'expérience (moment de mise au point n'ayant pas le caractère d'une conférence). Ainsi les élèves pourront devenir autres que de simples agents de l'expérimentation : c'est-à-dire à leur tour des observateurs critiques.

84

FIG. 1

(Dibujos humorísticos Siglo XXI)

Page 80: SENS ET COMMUNICATION

« J'ai l'intention de me mettre à vivre très bien­tôt. »

(Brilliant enterprises)

FIG. 2

II - HYPOTHESES SEMIO-LINGUISTIQUES SOUS-JACENTES

1. Rappel de l'opposition sens-signification

1.1. Nous renvoyons à «réflexion pour une typo­logie des discours » de la fiche n° 1 pour ce qui est de l'exposé de notre conception de la communication linguistique, conception qui fonde cette opposition.

Nous nous contenterons donc de rappeler : — Tout procès de communication se définit comme étant la production d'un discours par un certain JE

ENONCE -f- SITUATION (usage-consensus)

SENS

FIG. 3

à l'adresse d'un certain TU dans une certaine si­tuation énondative.

— Ce discours véhicule à la fois un sens, qui est le résultat de l'établissement d'un consensus entre JE et TU, et une signification, qui est le résultat de la spécificité que le JE investit dans son discours en fonction de la vision qu'il a du TU et du Monde (il) — la situation énonciative.

— Méthodologiquement, nous avons donc été amené à poser :

ENONCIATIVE = DISCOURS >(spécificité)

SIGNIFICATION

85

Page 81: SENS ET COMMUNICATION

1.2. Nous voudrions maintenant préciser un point en ce qui concerne cet énoncé-sens pour éviter des interprétations déviantes.

Nous avons dit que « l'Enoncé contenait un sens global — celui qu'on peut lui donner hors-contex­te —•». Or une telle formulation pourrait laisser croire que l'énoncé serait un degré zéro du sens qui existerait préalablement à tout discours et au-, quel se superposerait purement et simplement une signification.

En fait, il n'existe pas de sens à l'état pur, et ce sens dépend lui-même du contexte dans lequel est produit le discours (polysémie du sens). Sans signification il n'y aurait pas sens et inversement. Cependant, et malgré cette interdépendance, on peut croire à l'exis­tence du sens (outre sa nécessité sur le plan métho­dologique) car il ne peut qu'exister de par le besoin d'établir des consensus dans une communauté socio-linguistique (sinon pas de communication possible) et puis parce qu'on peut l'isoler expérimentalement (cf. : «Réflexion pour un typologie des discours», 2.1.).

C'est pour cela que nous avons précisé : le sens dé­pend d'une probabilité d'usage des phrases alter­natives » (p. 8). C'est-à-dire que le sens lui-même répond à une codification, mais codification la plus générale d'une communauté socio-linguistique don­née qui rend l'énoncé « radicalement objectif et innocent » comme dirait R. Barthes.

En regard de cela, la signification répond à une codification idiolectale (c'est-à-dire les composantes psycho-socio-culturelles de l'individu) qui traverse le sens de l'énoncé pour rendre le discours, nous dirons par symétrie, radicalement subjectif et non-innocent. Et, du même coup, si l'énoncé est clair au TU, le discours est une énigme à découvrir.

2. L'image

Nous voudrions vous présenter maintenant quelques définitions des différents « messages » que contient l'image d'après R. Barthes, en essayant de les rac­crocher à notre théorie.

2.1. L'IMAGE DENOTEE

a) R. Barthes dit

o Elle ne se rencontre jamais à l'état pur.

• Elle véhicule le « message privatif » qui reste après effacement (mental) de toutes les connota­tions (interprétation symbolique). • Elle a une « fonction d'identification » comme premier degré de l'intelligible à travers un « savoir anthropologique perceptif ». Par exemple, dans le cas de l'image publicitaire qu'il analyse, ce serait savoir ce qu'est une tomate. • Elle est radicalement «objective et innocente».

b) Nous dirons : — L'image dénotée correspond au sens d'un énon­cé. —• Mais le savoir qui la définit est plus large que celui du sens puisqu'elle s'adresse à nous par le canal perceptif. Par conséquent le savoir qui la définit correspond plutôt à une codification anthro­pologique comme le dit R. Barthes, mais nous n'irons pas jusqu'à dire, comme lui, que c'est « un message sans code ». — A la suite de U. Eco nous dirons qu'il s'agit de la dimension « iconique » de l'image (R. Barthes parle de « message littéral » et réserve le terme « iconique-codé » au message symbolique de l'ima­ge).

c) La description objective de l'image consistera donc à inventorier les élément présents dans une image en les qualifiant par des termes qui les iden­tifient indépendamment des autres éléments.

Ex. : Fig. 1 (1) — Il y a un homme qui porte chapeau haut-de-forme, lunettes, moustache, etc.

Fig. 2 — Un personnage est assis devant une table, sur laquelle se trouve un livre, etc.

Fig. 3 — Il y a un personnage avec un balai, il porte une casquette à carreaux, etc.

C'est donc essayer de « parler le sens littéral » de l'image privée de la spécificité des situations énon-ciatives particulières qui pourraient la signifier.

2.2. L'IMAGE CONNOTEE

a) R. Barthes dit : e Elle véhicule un message symbolique, culturel dans des signes discontinus qui traversent l'image dénotée. • Elle dépend d'interprétations qui sont variables selon les individus, mais interprétations non-anar-

(1) Pour les figures, voir à la fin de cette étude.

86

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chiques car dépendant chacune du type de savoir investi (pratique, national, culturel, esthétique).

b) Nous dirons

— L'image connotée correspond à la signification du discours.

— Le savoir qui la définit est de type idiolectal et dépend de composantes psycho-socio-culturelles, ce qui n'exclut pas que la spécificité de ce savoir appar­tienne au groupe. On s'en rend bien compte avec des dessins fortement codifiés. Par exemple la fi­gure 3 peut être lue à travers une grille (codifi­cation) socio-politique, et la symbolisation qui en résulte n'appartient pas en propre à tel ou tel indi­vidu, mais à l'ensemble de ceux qui ont cette grille en commun.

—• A la suite de U. Eco nous dirons qu'il s'agit de la dimension « iconographique » de l'image.

c) La description interprétative de l'image consis­tera à mettre en relation les éléments précédemment nommés au niveau objectif pour en tirer une sym­bolisation :

Ex. : Fig. 1 — Un grand capitaliste est assis sur ce qui représente le fardeau du travailleur. L'op­presseur écrase l'oppressé.

Fig. 2 — Le personnage essaie de fuir la prison-culture en essayant d'atteindre par le rêve la liberté-nature.

Fig. 3 — Lénine balaie ce qui représente la bour­geoisie-aristocratie capitaliste.

Mais il ne faut pas oublier que cette interprétation symbolisante dépend d'une situation énonciative, [c'est-à-dire des composantes psycho-socio-cultu­relles de l'individu qui interprète], et que, de plus, cette interprétation est un acte de discours qui s'adresse à un certain interlocuteur (TU). On se reportera, à ce propos, au volet C de cette fiche, et on constatera que certaines interprétations n'étaient que la marque d'une opposition d'un élève vis-à-vis d'autres.

Ainsi dans ces trois figures, selon le rapport II (— JE —) TU on pourrait avoir :

Fig. 1 — Un riche propriétaire terrien est assis sur une énorme pomme de terre (on voit que dans ce cas, pomme de terre est plus du côté interprétatif qu'objectif, ce qui nous rappelle la valeur du contex­te) qui écrase le pauvre agriculteur. Celui-ci ne tire pas les bénéfices de son travail.

De plus surgit l'ironie si l'on dit que cette pomme de terre a un « visage humain ».

Fig. 2 — Voir interprétations des élèves : « c'est un bohème », « c'est un romantique ».

Fig. 3. — « Plus précisément il s'agit des conflits au Moyen-Orient », etc.

EN RESUME : Pour un type d'image donné dire : « il sourit » c'est de l'iconique-objectif ; dire : « il est heureux», c'est de l'iconographique-interpréta-tif. Dire : « il a les yeux bridés » c'est de l'iconique-objectif, dire : « c'est Lénine ou Ho Chi-Minh » c'est de l'iconographique-interprétatif.

On remarquera enfin que cette description interpré­tative peut faire surgir des procédures discursives variées :

— narrative : une histoire induite de l'image avec son avant et son après ;

— evaluative : les jugements portés sur l'image ; — analogique : le paysage c'est la liberté, etc.

3. Remarques en rapport avec l'expérimentation

• A PROPOS DU CHOIX DES IMAGES, on constatera qu'un dessin trop fortement codifié pré­sente un double inconvénient : — L'interprétation a tendance à passer en même temps que la description (ex. : il est plus facile de dire « Lénine » que « personnage aux yeux bri­dés», «à casquette et barbiche» ou bien «gros capitaliste » que « gros bonhomme à chapeau haut-de-forme... ». — Du même coup, la phrase interprétative n'a plus de raison d'être et ce d'autant plus que l'image est plus fortement codifiée, car elle fait obstacle à la projection de situations énonciatives variées. — D'autre part, bien que l'expérience n'ait pas été tentée, une image de type surréaliste ou onirique, risque de présenter les mêmes inconvénients car la lecture de l'image ne peut se faire qu'au niveau interprétatif-symbolique. •— Enfin, on doit pouvoir essayer avec une pho­to (1) (non truquée) encore que souvent l'abondance des éléments et la couleur soient un obstacle à la description.

(1) Sur la différence photo-dessin, du point de vue image, voir R. Barthes : « Rhétorique de l'image », in Commu­nication 4.

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Page 83: SENS ET COMMUNICATION

• A propos de la description objective, on ne confondra pas « nomination et qualification objec­tive des éléments du dessin » avec « figures ».

Dire d'un personnage : «c'est un capitaliste», c'est interpréter le dessin, dire «il a un gros ventre», c'est le décrire objectivement, mais dire : « il y a une boule ronde et en-dessous deux traits verti­caux terminés par deux petits traits horizontaux », c'est livrer des « figures » du dessin au sens de composantes perceptives n'ayant aucun sens en soi et dont la combinaison seule, forme une unité d'ordre supérieure qui, elle, a un sens.

P. CHARAUDEAU

n i - DESCRIPTION DES CIRCUITS DE COMMUNICATION MIS EN ŒUVRE DANS L'EXPERIMENTATION

Il s'agit de décrire les circuits de communication des deux phases principales de l'expérimentation : la phase de description (et exécution du dessin) et la phase de confrontation (et interprétation du des­sin).

N.B. Pour les composantes de la situation de commu­nication et de la situation de discours, nous ren­voyons aux hypothèses scientifiques de la fiche n° 1 : « L'enquête socio-culturelle dans et par la classe » (cf. : surtout le questionnaire final).

1. Description et dessins de l'image (volet A.4.1.)

Il faut comprendre que la plupart de ces expérimen­tations prévoient un circuit de communication théo­rique que le comportement des élèves modifie quel­que peu. C'est pourquoi nous sommes amené à distinguer une situation théorique et une situation de fait (qui n'est qu'un ensemble de suppositions quant à la modification de la description théorique, ce qui ne détruit pas pour autant l'existence de ce circuit de communication).

1.1. SITUATION THEORIQUE

a) Réseau de communication

C'est pour nous l'organisation des rapports dans lesquels se trouvent les individus à l'intérieur d'un groupe ou les groupes les uns vis-à-vis des autres.

Nous avons affaire, ici, à deux groupes A et B :

— Le groupe A n'a pas d'image. Aucun des membres du groupe A n'a de renseignements sur l'image, on peut donc considérer qu'ils n'ont pas besoin de se concerter.

De plus, chacun des membres du groupe doit exé­cuter un dessin individuel, donc il n'est pas affecté à une tâche collective, ce qui fait que ce groupe n'est qu'une juxtaposition d'individus qui ne travail­lent pas en commun. Leurs seuls points communs :

• Ils cherchent tous à obtenir la même information (mais pour le compte de chacun d'eux).

e Ils tirent parti des réponses fournies par le grou­pe B à chacun des autres membres du groupe.

Ce groupe se définit donc par une situation imposée et il ne forme pas un véritable NOUS, bien que cha­cun des membres ne soit pas séparé des autres.

-^ Le groupe A est un groupe à JE individuel.

— Le groupe B a une image. Autrement dit tous les membres de ce groupe possèdent le même stimulus (nous n'osons pas dire le même réfèrent parce que nous ne savons pas si chaque membre du groupe perçoit — et donc structure — le dessin de la même façon).

Les quelques instants de prise de connaissance du dessin ne constituent pas une véritable concertation puisque les membres du groupe ne doivent pas arri­ver à résoudre un problème, ni à construire un savoir.

Chacun des membres sera seul à répondre à la question du groupe A et par conséquent, malgré l'impression de plus grande cohésion donnée par le stimulus commun, c'est un groupe identique au pré­cédent.

—» Le groupe B est un groupe à JE individuel.

— Le rapport Gr. A («s-») Gr. B : La véritable communication s'établit entre ces 2 groupes de la façon suivante :

• Le groupe A est demandeur d'informations par chacun de ses membres.

• Le groupe B est donneur d'informations par cha­cun de ses membres, mais étant donné que ces infor­mations ont une même source, on considère qu'il s'agit là d'un réseau centralisé, ainsi représenté :

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Page 84: SENS ET COMMUNICATION

Gr. A

Q

Gr. B

b) Situation de communication

Nous nous contenterons de faire remarquer :

• Pour les 2 groupes, le TU (représenté par un membre de l'autre groupe) est présent et pris indi­viduellement.

• Il y a possibilité d'échanges et la communication est directe.

• Le réjérent est connu du groupe B, inconnu du groupe A (donc non-commun). Il est matériel c'est-à-dire perceptible physiquement.

a Le canal est oral lors de l'échange (interviennent donc des faits prosodiques et gestuels dans la communication-réponse de B vers A, dont A aura à tirer parti pour sa représentation dessinée).

c) Situation de discours

On fera les remarques suivantes :

• A et B échangent sans interférence du maître, donc la distance JE-TU est faible (familière).

• La possibilité de rapport polémique entre JE et TU est cependant presque inexistante dans cette phase. En effet : JE-A ne considère TU-B que comme une source d'information sur laquelle il n'a d'ailleurs aucune prise. JE-B livre son information à TU-A sans savoir ce que celui-ci va en faire (puisque JE-B ne voit pas le dessin qu'exécute TU-A).

Mais voir aussi la situation de fait (1.2.).

1.2. SITUATION DE FAIT

Elle concerne principalement la situation de dis­cours.

a) Cependant pour le réseau de communication, on pourrait faire la remarque suivante : Si on décide que le groupe B se concerte un long moment et prépare et organise sa description, il pourrait alors se faire que chacun des membres qui répondra aux questions de A se soumette à la vision du groupe (qui formerait un NOUS), auquel cas chacun serait un JE-porte-parole du groupe NOUS.

b) Pour la situation de discours on se reportera au volet C, et on remarquera, à travers les différents dialogues des élèves, que ces lois du genre ne sont pas strictement respectées. En effet : — tantôt un membre du groupe A et un membre du groupe B se heurtent parce que A ne comprend pa (ou ne voit pas ce qu'il peut faire de) l'infor­mation de B ;

— tantôt les membres du groupe B ne sont pas d'accord entre eux sur l'interprétation (objective ? interprétative ?) du dessin et « s'empoignent ». Un très fort rapport polémique (qui peut aller jusqu'à la rupture) s'instaure entre eux ;

— tantôt le maître peut intervenir (encore que ce ne soit pas souhaitable dans cette phase) et alors le réseau et les rapports se trouvent modifiés.

2. Confrontation et interprétation de l'image (volet A.4.2.)

Cette phase est d'une extrême importance car elle correspond à l'objectif précis de l'expérimentation :

— Prendre conscience de la double « lecture » ob­jective interprétative.

— Prendre conscience que la « lecture interpréta­tive » engage totalement le JE qui la produit en s'y révélant.

Page 85: SENS ET COMMUNICATION

2.1. SITUATION THEORIQUE

a) Réseau de communication

Ce réseau est assez complexe, mais on doit y trouver, réalisés différemment ces trois temps principaux :

• Premier temps : Echange général des interpré­tations dans un réseau circulaire (il n'y a plus de Gr. A ni B).

• Deuxième temps : Regroupement des interpré­tations par affinités (sous une étiquette séman­tique) .

• Troisième temps : Justification pour chaque nou­veau groupe de ses interprétations en rapport avec les données objectives de l'image.

Essayer de convaincre les autres groupes de la cohérence de leurs interprétations (donc plusieurs réseaux centralisés successivement sur le ou les grou-pe(s) à influencer).

b) Situation de communication

Elle est identique à celle de la phase précédente à cette différence près que le réfèrent est cette fois commun à tout le monde.

c) Situation de discours

Cette fois la fonction polémique du discours devrait jouer à plein puisque chaque élève s'insère dans un double circuit :

— d' « agression » par rapport à ceux qui n'ont pas la même interprétation que lui ; — de « complicité » par rapport à ceux qui ont la même interprétation.

Tout JE se trouve donc dans le rapport triangu­laire.

IL TU

Mais il n'arrivera à prendre conscience de cela que lorsqu'il se rendra compte que son interprétation du IL dépend des TU avec lesquels et contre lesquels il s'inscrit, c'est-à-dire dépend des rapports de son système « idéologique » à celui des autres et que selon la « force d'action » des autres sur lui, il est amené ou non à modifier son interprétation du IL.

2.2. SITUATION DE FAIT

Elle sortira du déroulement effectif de l'expéri­mentation et il est difficile de prévoir les modifi­cations apportées par cette situation à la situation théorique précédemment décrite.

Mais c'est ici, que nous voudrions nous interroger brièvement sur le rôle du maître.

En effet, celui-ci sera amené à jouer tel ou tel rôle selon la classe dans laquelle il se trouve, selon les rapports qu'il entretient avec ses élèves (c'est-à-dire aussi bien du point de vue du maître sur les élèves que des élèves sur le maître).

• Dans cette phase il aura un rôle très délicat à jouer, car tout en ne s'imposant pas (c'est-à-dire n'imposant pas son « univers de pensée » à lui) c'est lui qui devra amener les élèves à la prise de conscience dont nous avons parlé. Il doit veiller à :

— bien installer les différents circuits de commu­nication ; — amener discrètement les élèves à leur faire pren­dre conscience de la double lecture ;

— provoquer la « situation conflictuelle » finale tout en maintenant les circuits de communication ;

— faire prendre conscience de la relativité du savoir aux univers de pensée qui sont derrière les diffé­rents JE et TU, que le savoir naît de ces rapports, qu'il existe donc, mais qu'il a des aspects multiples et féconds.

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Page 86: SENS ET COMMUNICATION

IV - COMPTE RENDU DES PREMIERS RESULTATS

2. Commentaire critique des résultats

1. Conditions matérielles

1.1. CLASSES INTERESSEES PAR L'EXPERIMENTATION

Le travail a été expérimenté en :

Terminale B (Argenteuil, 10 élèves), dessins 1, 2.

Seconde (Meudon, 34 élèves), dessins 1, 2, 3.

Quatrième (Gonesse, 24 élèves), dessin 1.

Cinquième (Gonesse, 24 élèves), dessin 1.

Sixième (Edgard-Quinet, 2 groupes de 16), dessin 3.

Toutes les classes se sont intéressées à l'expérimen­tation sauf la 4e de Gonesse qui a refusé le travail parce que c'était «bébé».

1.2. MATERIEL ET SITUATION

Toutes les classes sauf la seconde de Meudon dis­posaient d'un magnétophone. Les 6e8 sont enregistrées en cassette, l'écoute est presque inaudible. En ter­minale, la cassette est efficace parce que le groupe est très petit. En 5e pour la phase préparatoire (pré­paration par groupe) deux groupes travaillent dans le couloir pendant que le professeur écoute le 3* groupe se concerter et enregistre. En seconde l'expérience est menée deux fois. La première sans magnétophone, les questionneurs rédigent. La se­conde avec sept magnétophones et sept groupes travaillant de manière autonome.

1.3. DUREE DE L'EXPERIENCE

Terminales, 3 heures. Deux heures pour la descrip­tion-interprétation, une heure pour l'écoute. Seconde, 3 heures. 1 h description, 1 h confrontation interprétation par groupe, 1 h présentation des di­verses interprétations.

Cinquième, 1 h réemploi une semaine après.

Sixième, 1 h dans chaque groupe ; description et interprétation collective. Réécoute impossible. Il sera possible d'étudier un passage de la transcription faite par le professeur.

L'objectif du travail est double. L'un porte sur la différence entre l'objectif et l'interprétatif, l'autre sur l'établissement de circuits de communications divers dans la classe. Nous présentons ci-dessous, les résultats des travaux dans les classes intéressées ainsi qu'une analyse détaillée des circuits de commu­nications qui se sont établis dans la seconde de Meudon.

2.1. OBJECTIF-INTERPRETATIF

L'expérimentation prévoit une brève présentation aux élèves des notions. En terminale les élèves ont compris d'emblée les termes proposés. En seconde le professeur a sensibilisé ses élèves en leur mon­trant une affiche Lewi's. En 6e aucune présentation n'a été faite, seule la consigne : bien décrire pour qu'on puisse dessiner. Les termes ont été prononcés au moment des interprétations mais semble-t-il pas très bien compris.

Conclusion : Il semble préférable de sensibiliser avant. La publicité Lewi's semble bien rendre.

a. La description

Toutes les descriptions comportent des éléments in­terprétatifs.

Quand les questions démarrent sur un détail la des­cription demeure très longtemps descriptive. Des réponses par oui et non font durer la description très longtemps, presque l'heure. L'interprétatif surgit souvent par une question :

ex. : il réfléchit ? il est heureux ? il est communiste (dessin 3) ?

On peut remarquer dans ce dernier cas que l'inter­prétation vient de ce qu'une réponse objective pré­cédente a fait naître par association une notion précise que la question « Est-il communiste ? » veut vérifier.

Quand la question démarre sur une question géné­rale, la réponse (reliant des éléments divers) est interprétative : ex. : Quelle est la situation du dessin ?

R. Spatiale.

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Page 87: SENS ET COMMUNICATION

Les questions suivantes impliquent que le question­neur pense aux astronautes (dessin 2).

Certaines réponses font intervenir des éléments nar­ratifs : ex. : Est-ce qu'il donne un ordre (dessin 3). R. Non, mais il en a donné.

A propos de la description, il faut remarquer :

— Que les élèves répondeurs se libèrent mal des réponses par oui et non.

— Que les questions contraignantes ne donnent pas de réponses riches. — Que les répondeurs n'osent pas sortir du terrain délimité par la question. — On peut se demander si le groupe qui a le dessin ne devrait pas commencer par donner avant toute question un élément de renseignement. — Que les élèves les plus jeunes partent d'un détail et s'y maintiennent si bien que l'erreur du dessin vient non d'une interprétation mais de l'intervention tardive du renseignement qui donne la synthèse.

Ex. : dans le groupe de 6e on a parlé 3/4 d'h d'un seul personnage (dessin 3) et tous les dessins mini­misent la boule.

b. Confrontation des dessins, recherche de la cause des erreurs

C'est l'étape la plus importante pour qu'on compren­ne que la non objectivité est cause de la non trans­mission du savoir.

C'est la plus difficile parce qu'elle suppose la réécou­te de toute la description.

En terminale les élèves ont tout réécouté, très pas­sionnés par leur propre texte.

En 6e une partie du texte était inintelligible.

En 2e au cours de la deuxième expérience les élèves aidés du professeur ont tout réécouté, transcrit et commenté. Il s'agit-là d'une réussite limite qui a demandé un très gros effort mais qui a donné des résultats assez exceptionnels (voir annexe).

Remarques : à ce stade se déclenche aussi bien chez les grands que chez les petits une procédure d'ac­cusation réciproque, cherchant à établir la faute du groupe adverse, c'est le moment polémique (voir analyse des circuits de communication en seconde).

c. Interprétation du dessin

Elle s'est faite de manière différente.

En terminale, collective.

En 6e, collective.

En 2e par groupes, les groupes ont discuté ensemble de leurs interprétations et ont à leur tour présenté chacun les diverses interprétations et les justifica­tions « iconiques ».

En 5e chaque élève a fait ses remarques par écrit, donnant souvent beaucoup d'interprétations chacun.

Les 6e" donnent peu de précisions à partir du dessin, elles ¡inventent.

Les terminales arrivent confusément à repérer qu'ils interprètent à partir de leur propre situation.

Une seconde constate qu'il ne peut interpréter Lé­nine parce qu'il ne le connaît pas.

En général les différentes interprétations sont attri­buées au caractère ouvert du dessin plutôt qu'à des différences socio-culturelles. Une prise de conscience qu'une interprétation venait d'un camarade issu d'un C.E.G. et très attaché à des explications techniques et souvent opposées à celles du groupe, s'est faite en l'absence du camarade.

Conclusion — On a bien compris ce qu'est une description ob­jective. — On a bien vu que l'interprétation bloque la communication.

— Bien recherché les éléments iconiques justifiant les diverses interprétations mais presque pas entrevu quels éléments subjectifs jouaient dans l'interpré­tation.

d. Apport non prévu

— La création spontanée et extra-rapide de petits récits (en 6e).

— Des questions ou réponses portant sur le carac­tère du dessin, le style, son caractère achevé ou inachevé, la caricature, etc. (partout).

— L'apparition d'un discours collectif non polé­mique, ou chacun prélève dans le discours qui pré­cède un élément qui l'aide et qu'il complète ; chaque Je se comporte alors comme élément d'un Nous.

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Page 88: SENS ET COMMUNICATION

— La difficulté pour le professeur de rester un élément passif. Tentation de faire aller l'exercice plus vite ; tentation d'intervenir chaque fois qu'un bloquage se manifeste ou un conflit violent.

— Découverte sur la procédure questions-réponses : le groupe répondeur a le savoir et les références, mais ne peut s'en servir parce qu'il est soumis au groupe questionneur. Le groupe questionneur ne pose jamais de questions ouvertes mais des questions qui impliquent une réponse supposée et déjà acquise (voir analyse des circuits de communication).

ANNEXE I

Exemples de questions contraignantes

D. n° 1

Un paysage ? Non. Un animal ? Non. Un personnage ? Non. Il a des poils ? Non. Un chapeau ? Non. Un short ? Non. C'est un homme ? Oui. Est-il assis ? Oui. Sur une chaise ? Oui. Est-il devant une chose ? Oui. Il a de la barbe ! Non.

Cinquièmes

Remarques : les questions se poursuivent ainsi pendant une cinquantaine de questions. Jamais les réponses ne sortent du « oui » ou du « non ».

Passage à l'interprétatif

D. n° 2

— Il est habillé comme celui qui est sur la terre ? R. Il a une casquette à carreaux, un complet noir, des yeux bridés.

— C'est un vietnamien ? R. Non.

— C'est Hochi-min ? R. Non.

— Il est mort? R. Oui. Il est très connu (est-ce que je le dis ?). C'est Lénine.

— Est-ce qu'il tient quelque chose ? R. Oui, un balai.

— Alors il balaie les capitalistes.

Terminales

Remarques : la réponse objective donne plu­sieurs éléments objectifs dont l'ensemble connote objectivement Lénine {pour l'auteur Mayakovski dessinant pour des russes). Pour l'élève, les éléments connotent le Vietnam (yeux bridés).

Lénine plus balai donne directement la bonne interprétation sans qu'on ait besoin de passer par la description du capitaliste.

Processus de symbolisation

—- Le sol est un socle.

— Les rayons du soleil : un météorite libérateur.

— Le matelas représente la terre soutenue par l'ou­vrier. — Le socle : la route du temps. — Un tapis volant.

— L'ouvrier s'envole vers un horizon meilleur, le capitaliste va tomber.

Deuxièmes

Remarques : construction non polémique.

Recherche d'une erreur

D. n° 3 (on constate que les dessins ont tous un très gros soleil)

— On a dit qu'il y avait un gros soleil alors que c'est un tout petit soleil !

— C'est un gros soleil, parce que, enfin il est tout petit sur le dessin mais il doit être grand, puisqu'il n'y a rien comme paysage, il doit être chaud.

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— Mais nous, on pense à la grandeur ! et tu vois ce qu'on a mis, alors tu vois la différence ?

Sixièmes

Justification d'une interprétation

D. n" 3

C'est un Anglais.

Pourquoi, à quoi tu le vois ? Il en a l'air, il a le chapeau ; il a la tête aussi ; une cravatte.

C'est pas obligé parce que les Français aussi.

Sixièmes

Exemples d'une interprétation écrite par chaque élève seul

D. n° 1

Cette image fait penser à un poème de Prévert, Page d'écriture.

Car c'est un enfant assis à un pupitre qui regarde par la fenêtre les oiseaux qui volent.

Remarques : importance du contexte culturel.

Il doit se trouver là car il a des leçons ou des devoirs à faire. Il tourne la tête pour voir un pay­sage vallonneux. Il imagine peut-être qu'après ses leçons il pourra aller jouer dans les collines ou alors il a un devoir à faire sur une description et il se base sur le paysage qu'il voit, ou alors il réfléchit à quel jeu il pourrait jouer.

Remarques : l'élève isolé, sans interlocuteur produit plusieurs interprétations.

Exemples de création narrative

D. n" 3

— Ils peuvent faire du cinéma tous deux ou c'est un dessin ? — C'est un esclave qui porte son maître. —• Un film exagéré.

— Un prisonnier ou un paysan. — Un domestique. — Un premier ministre ou un député. — Un monsieur qui est arrivé dans un nouveau pays, il n'a pas envie de marcher sur la terre de peur de rentrer dans la terre ; il a pris une pierre, il est monté dessus, ou bien c'est une éponge, oui une grosse éponge, une éponge géante c'est possible. Il dit à son esclave « toi tu marcheras et moi je verrai ».

— Ou alors, il est trop petit et il veut voir le pay­sage. -— Une grosse éponge, on s'enfoncerait, une grosse éponge ça n'existe pas ! — Ou alors un rêve. Il arrive dans un pays, d'au­tres hommes viennent souvent les embêter ; il arrive dans le pays ; alors il les a sauvés et depuis ce jour-là il a été élu par tout le monde, c'est lui qui commande ; il est porté parce qu'il est fatigué.

•— Ça peut être un homme pauvre, un clochard qui vient de gagner dix francs, on lui a mis dans son sac, parfois il y a des gens qui mettent leur chapeau ; il a dix francs, il fait un rêve qu'il était riche, il achetait un beau costume, il est roi, et il a dû rêver.

— Une personne qui veut dominer le pays et tout voir. — L'image d'une histoire, une histoire sans pa­role. — Un esclave qui en a marre de porter son maître et rêve qu'un jour c'est lui qui le portera, alors il se voit déjà sur la grosse pierre.

Sixièmes (groupe 1)

Remarques :

On voit apparaître l'idée qu'il y a une fabu­lation, dessin, livre, cinéma.

Peu de polémique sauf à propos de l'éponge énorme qui n'existe pas.

Il se bâtit aussi là un texte commun sur le personnage qui arrive et devient roi. Chaque élève reprend un élément précédent pour y ajouter et le modifier.

Les deux dernières histoires font apparaître une inversion comme si les élèves gênées de­vant le personnage assis voulait le justifier ;

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Page 90: SENS ET COMMUNICATION

elles le supposent pauvre et prenant une re­vanche. L'autre groupe plus âgé et de milieu socio-culturel plus simple a bien vu le pauvre qui « subit » le riche.

2.2. ETUDE DE LA SITUATION DE DISCOURS DANS LA DESCRIPTION DE L'IMAGE

a. Description de l'image et exécution des dessins

1. Rapports groupe A - groupe B :

Le dialogue n'est pas toujours facile à établir et l'échange se fait parfois assez mal.

Le groupe A ne voit pas très bien comment poser les questions. Il s'interroge pour savoir ce qu'il faut demander.

Le silence peut s'établir et les autres interviennent en demandant de poser des questions sur le lieu, les personnages, etc.

Ces tâtonnements au départ risquent d'orienter les questions dans trois voies différentes :

a) Le groupe A essaie de déterminer les compo­santes du dessin : s'ensuivent des questions du type : « est-ce qu'il y a tel ou tel objet, personnage... ? ».

Le catalogue étant infinitif ces questions risquent de durer. De plus elles enferment souvent le groupe B dans une attitude agressive et narquoise. Le grou­pe B refuse de donner des informations complé­mentaires et se contente de répondre oui ou non. Lorsque ce type d'échange est établi, il est diffi­cile de s'en dégager. On pourrait peut-être inciter les élèves détenteurs de l'image à formuler dès le départ, avant toute question, une phrase descrip­tive qui éviterait ces longues investigations et ce jeu de devinettes.

b) Le groupe A au mépris de toute consigne, commence par poser des questions interprétatives sur le sens du dessin ou même sur le genre du dessin, ce qui est très souvent compris par le groupe B de la même façon :

« est-ce une caricature ? » « est-ce un dessin politique ? » « est-ce symbolique ? ».

Le groupe B a le choix entre trois attitudes :

— soit il condamne ce type de questions et peut refuser d'y répondre ;

— soit il se consulte pour essayer de répondre mais bien souvent se trouve en désaccord ; — soit il répond, sans hésiter, sûr de son savoir et de sa toute-puissance, et affirme alors des choses curieuses et inattendues. Un membre du groupe peut ainsi imposer une interprétation qui sera reprise par tous pendant toute la durée de l'exercice.

Remarque : Bien souvent, le type d'échange décrit précédemment dans a) entraîne cette attitude du groupe B, car lassé des longues investigations, il essaie d'expliquer, mais de manière détournée, le sujet du dessin.

Ces deux échanges sont toujours agressifs et mani­festent plus ou moins le désir du groupe B de ne pas se départir de sa supériorité.

Enfin, après que les élèves questionneurs aient ex­primé à de multiples reprises leur incompréhension, ils attaquent le groupe B et demandent directement ce qu'il y a dans le dessin. Ils veulent que les autres prennent parti, la réserve du groupe B étant souvent ressentie comme une prudence excessive. A quoi répond la perplexité des autres qui se re­tournent vers le professeur et demandent ce qu'il' faut dire. On se retrouve en quelque sorte au point de départ.

Bien sûr, le groupe B ne se montre pas toujours aussi réservé. Parfois au contraire les informations données dépassent largement les informations de­mandées. Le groupe A peut s'enfermer dans le mu­tisme, risquant de temps à autre une timide interro­gation. La supériorité des autres s'affirme alors dans leur attitude protectrice, leur désir de voir les élèves du groupe A exécuter un beau dessin.

Finalement on peut voir deux types d'échanges :

— les échanges où le groupe A s'exprime le plus, les autres essayant d'en dire le moins possible, alors que les questions pleuvent ;

— les échanges où le groupe B s'exprime le plus, analyse l'image et réduit plus ou moins les autres à de simples exécutants.

Entre ces deux extrêmes, toutes les modalités sont possibles. On peut également passer d'un type d'échange à l'autre, mais ceci est rare.

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Page 91: SENS ET COMMUNICATION

2. Rapports des élèves du groupe A entre eux.

Les élèves enquêteurs échangent peu de propos, chacun s'efforce de comprendre seul ce dont il s'agit et exécute seul son dessin.

Néanmoins une certaine rivalité s'instaure entre eux surtout lorsque le groupe B réserve ses infor­mations et se contente de répondre par oui ou par non. Il faut pour chacun faire preuve de perspicacité, de flair, d'ingéniosité. Ce sera à qui trouvera le premier les éléments du dessin, à qui tirera les conclusions les plus logiques des réponses données. Ainsi, après avoir posé les questions :

« les personnages sont-ils face à face ?» — réponse : « non » ; « les personnages sont-ils dos à dos ? » — réponse : « non » ;

les élèves dessineront les personnages dans le même sens, soit tournés vers la gauche ou vers la droite. Un seul dessinateur ne fera pas la déduction et sera traité d'idiot lorsque les dessins seront comparés.

Les élèves sont souvent fixés sur l'idée qu'ils ne doi­vent pas commettre d'erreurs et confondent inter­prétation et faute, ce qui les gênera lorsqu'ils verront d'où viennent les différences de leurs dessins.

3. Rapports des élèves du groupe B entre eux.

Ils sont plus nombreux. Les élèves se concertent lorsqu'une difficulté survient. Ils peuvent s'opposer sur deux plans : — dans l'interprétation, s'ils ne sont pas d'accord ; — dans la conduite à adopter vis-à-vis des autres (voir rapports groupe A - groupe B).

Il faut signaler à quel point l'interprétation donnée par un élève peut s'imposer aux autres. Si la diffi­culté de communiquer entre les deux groupes est forte, le groupe B se sent solidaire et préfère souvent convenir d'une interprétation abusive ou en tout cas discutable plutôt que révéler des oppositions en son sein.

b. Comparaisons et examen critique de l'enregis­trement des questions et des réponses

1. Lorsque l'on compare les dessins exécutés, le groupe B fait figure de censeur. Il note avec éclat ce que untel a oublié, comment telle ou telle réponse a été déformée.

La relation entre les membre du groupe A n'est pas plus calme. Chacun fait valoir son destin.

2. Ces oppositions s'apaisent dans la seconde confrontation. Le groupe A confronte les dessins exécutés à l'original. Il demande des comptes au groupe B, l'accuse d'avoir dissimulé des informations « importantes », d'avoir fait des erreurs. Ce dernier se réfugie en général dans le fait qu'aucune ques­tion n'a été posée sur le sujet en cause. Il paraît nécessaire à cette étape d'écouter et de commenter de manière critique les questions et les réponses. La présence du professeur est ici indispensable. Si les élèves perçoivent assez bien après coup ce que leurs propos comportaient d'interprétatif, ils ana­lysent très mal leurs rapports.

c. Interprétations

Paradoxalement, les oppositions semblent s'atténuer à cette étape de l'expérience. Chacun en effet possède le même réfèrent maintenant. Chacun explique le sens qu'il lui accorde. On parle à tour de rôle, on justifie chaque interprétation.

A partir de cette consigne les élèves cherchent dans le dessin de qui peut aller dans leur sens, et ils sont prêts à admettre que le dessin peut donner lieu à plusieurs interprétations, que le choix de l'une ou de l'autre dépend de leur univers psycho-culturel, mais que le dessin porte en lui les éléments des in­terprétations données.

Aussi la recherche des interprétations se fait-elle non seulement parfois en opposition aux autres mais surtout avec l'aide des autres. Chaque découverte permet une recherche, chacun procède à partir des remarques déjà faites.

Les oppositions peuvent disparaître à la fin de l'exercice, toutes les interprétations étant justifiées, les élèves sont conduits à penser qu'on peut toutes les admettre.

Il faut signaler à ce propos le cas où les oppo­sitions sont artificiellement maintenues. Dans les discussions, les élèves jouent parfois trop bien le jeu. Leurs camarades connaissent « leurs opinions » et veulent les faire ressortir à tous prix. Les élèves s'attendent, surtout lorsque le dessin se prête à une interprétation politique, à ce que soient révélées leurs idées en ce domaine. A moitié dupes d'eux-mêmes, ils vont forcer leur rôle.

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Page 92: SENS ET COMMUNICATION

ANNEXE II

Exemple de travail critique exécuté à l'audition de l'enregistrement des questions et des réponses

Les élèves écoutent avec le professeur leur enregis­trement. On arrête l'audition à chaque fois que du discours interprétatif apparaît, ce qui explique pour­quoi l'information n'est pas passée. On essaie :

— de déterminer à quel genre de discours on a affaire (narration, commentaire...) ; •—• d'analyser les relations entre élèves.

Dans cette perspective, une élève découvre que si la réponse qu'elle a donnée n'a été perçue que par un seul camarade, c'est parce qu'elle s'est particu­lièrement adressée à lui à ce moment, établissant ainsi une relation privilégiée entre eux (commen­taire des élèves sur le rôle du regard).

Ceci est un travail difficile que les élèves n'accom­plissent pas toujours avec enthousiasme : il faut revenir sur quelque chose d'accompli, d'achevé. Il faut d'autre part se trouver dans des conditions matérielles favorables, ce qui n'est pas le cas lorsque plusieurs groupes travaillent sur leur enregistre­ment tous ensemble dans une même salle. D'autre part, le professeur ne peut être présent partout à la fois. L'exercice est néanmoins très bénéfique. On peut en moduler les applications :

— l'exercice peut être exécuté après la confron­tation des dessins, il servira alors essentiellement à en expliquer les différences. Inversement, on peut attendre que l'ensemble du travail d'interpré­tation soit achevé et laisser les élèves oublier un peu leurs propos et leur comportement ;

— plutôt que d'écouter l'ensemble de l'enregistre­ment, on peut examiner avec la classe entière des passages choisis par le maître, de préférence ceux où la communication semble avoir été difficile.

Un rapport est ensuite demandé par le professeur (voir feuilles ci-jointes).

Rapport d'un groupe d'élèves D. n° 2

DIALOGUES ENTRE LES DEUX GROUPES ET CRITIQUES

Question : Les hommes sont-ils debout ? Réponse : Deux sont debout.

Commentaire : Les dessinateurs ont conclu sur le moment que les cinq hommes pouvaient se diviser en deux groupes plus ou moins opposés par leur position, deux étant debout, trois ne l'étant pas.

En outre, réponses imprécises de l'autre groupe qui aurait dû donner des renseignements sur la position de ces trois derniers hommes.

Question ; Est-ce que les hommes ont une occu­pation caractéristique ? Réponse : Oui on en voit un avec un balai.

Commentaire : Et les quatre autres ? manque de précision.

Question : Est-ce que les 4 hommes qui ne tiennent pas le balai sont actifs ? Réponse : Oui ils sont actifs, ils font quelque chose. Commentaire : Manque de précision de la part du dessinateur.

Qu'entend-il par actif ? De plus, il est assez difficile de répondre sachant que les quatre hommes tom­bent ; tomber est-il un état ou une activité ?

Question : Est-ce que les quatre hommes ont une activité caractéristique ?

Réponse : Ils courent, un lève les bras, un tombe, il y en a même trois qui tombent.

Commentaire : Les hommes tombent-ils ou cou­rent-ils ? la réponse est évasive...

Question : Est-ce que quelque chose provoque la chute des trois hommes ? Réponse : Le balai.

Commentaire : Le dessinateur a été aiguillé sur une fausse voie, il a déjà admis d'après une réponse inexacte donnée antérieurement qu'il y avait trois hommes qui tombaient.

La réponse est exacte mais trop imprécise.

Question : Est-ce que l'homme pousse les trois autres ?

Réponse : L'homme balaie les quatre autres, trois tombent et un court.

Commentaire : Précision tardive de la part du 2e groupe : Le fait qu'un homme court est sans importance du fait qu'il s'apprête lui aussi à tomber. Il eût donc été plus simple de répondre que les 4 hommes tom­baient. D'autant plus que les dessinateurs peuvent

97

Page 93: SENS ET COMMUNICATION

croire que l'homme qui court lève les bras car il a échappé au «balayage», ce qui est faux.

Question : Est-ce que l'homme qui lève les bras s'apprête à tomber ? Réponse : C'est possible, c'est possible mais disons qu'il a pied dans le vide. Commentaire : Cette question n'aurait jamais dû être posée, si le deuxième groupe avait donné les renseignements précis nécessaires.

Question : Est-ce que les quatre hommes sont en « short » ?

Réponse : Non pas du tout (cette réponse est suivie de données assez précises sur la tenue vestimentaire des quatre hommes — et plus particulièrement sur leur coiffure.

Commentaire : L'un des dessinateurs a été conduit à croire qu'il s'agissait d'une publicité en faveur d'une marque de chaussure de sport (les 3 hommes n'étant pas chaussés de chaussures de la marque vantée par la publicité, ne passe pas l'obstacle du balayeur, le 4° qui lui est bien chaussé ne tombe pas lève les bras en signe de joie et de victoire avant de tomber tout de même). Le dessinateur aurait dû demander au préalable les précisions sur la tenue vestimentaire des quatre hommes et ne pas deman­der tout de suite s'ils étaient en short.

Question : Est-ce qu'on voit l'homme au balai en vue plongeante ? Réponse : L'homme au balai se trouve en haut du globe et pousse les hommes en les regardant tom­ber. Commentaire : L'interlocutrice décrit la scène assez précisément mais ne sait manifestement pas ce qu'est une vue plongeante.

Il s'agit ici de prolonger cette expérience en étu­diant la différence entre objectif et interprétatif dans des textes descriptifs. (On emploiera désormais le terme subjectif pour l'opposer à objectif, en réservant le terme interprétatif à l'une des procé­dures discursives du subjectif). — La différence en­tre objectif et subjectif est repérable à partir des divers types de procédures utilisées par le JE •— qu'il soit narrateur ou simple locuteur, présent ex­plicitement ou implicitement dans son discours — pour produire son discours. Les différents exercices proposés ont pour buts de permettre une décou­verte des marques linguistiques de ces procédures discursives, et de sensibiliser les élèves à la situation du JE-narrateur par rapport à ses personnages et à son discours.

Trois textes de base ont été choisis, qui présentent des aspects différents du subjectif :

— Des titres de journaux.

— Un « instantané » de Robbe-Grillet : La Plage.

— Un extrait de La Modification de Butor.

Ces textes ont donné lieu à des consignes et à des expérimentations différentes. Dans le cas des titres de journaux, on a eu recours à un travail de groupe chaque fois que les conditions le permettaient. Les textes de Robbe-Grillet et de Butor ont plutôt favo­risé un travail individuel, menant à la découverte, par diverses pratiques de l'écriture (exercices de transformation, de re-création), de l'opposition entre objectif et subjectif en fonction de la situation du narrateur locuteur.

Les résultats ont été présentés et discutés collecti­vement et parfois réinvestis dans des exercices de réemploi.

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Page 94: SENS ET COMMUNICATION

B. OBJECTIF ET SUBJECTIF DANS LES TEXTES

PRELIMINAIRES

La procédure de description d'une image fixe devait mener à la découverte de la différence entre des­cription objective et description interprétative.

I. HYPOTHESES SEMfO-LINGUISTIQUES SOUS-JACENTES

Il s'agit de reprendre la distinction objectif/inter­prétatif à propos de textes descriptifs.

Soucieux que nous sommes de montrer la cohérence de nos hypothèses de travail, nous ferons quelques rappels tout en suivant notre réflexion.

1. Discours et modèle de fonctionnement de la communication

1.1. Rappelons tout d'abord que nous définissons le discours comme le produit d'un énoncé et d'une situation énonciative dont le résultat constitue un acte de communication.

Rappelons aussi que ce discours véhicule une signi­fication spécifique (et non un sens) qui dépend des points de vue que le JE a sur le TU et le IL (situa­tion de discours), d'où le questionnaire de l'article : «Réflexion pour une typologie des discours».

1.2. Ce qui nous occupe maintenant, c'est de cher­cher à savoir comment se manifestent ces différents points de vue, et par quoi ils sont marqués linguis-tiquement.

Nous ferons l'économie d'une démonstration qui par­tirait d'une série d'observations pour aboutir à la construction d'un modèle de fonctionnement de la communication, et nous nous contenterons (et nous permettrons) de procéder par assertions successi­ves.

Nous remarquerons donc (et poserons) que renon­ciation d'un discours est formulée d'au moins deux façons :

a) Par des marques qui révèlent le JE explicitement et donc par lesquelles le JE s'énonce en tant que tel.

Ceci est très net dans les exemples du genre (1) « Je ne pense pas qu'il ait tort », où : — par l'emploi du pronom personnel « je » le lo­cuteur s'énonce comme /prenant-possession-de-la-parole/ et donc se pose comme JE en face de son interlocuteur ;

— par l'emploi du verbe « penser » en liaison avec la « négation » et le « subjonctif » le locuteur ex­prime clairement une modalité de /doute/.

Ces marques, chaque langue se les constitue à sa façon. Pour le français ce sera par exemple : les pronoms personnels, les marques de temps, les di­verses modalités exprimées par des verbes ou des adverbes («probablement»), les démonstratifs, les possessifs, l'interrogation, l'injonction, etc. Mais il ne faut pas perdre de vue que ces catégories n'ont rien d'universel — chaque langue ayant ses solutions formelles propres —. En revanche on peut se de­mander — fidèle à notre démarche qui consiste à se demander quelles sont les composantes sur les­quelles repose un phénomène linguistique — quels sont les différents « points de vue » du JE qui sous-tendent ces marques de façon à classer celles-ci non plus d'après des critères morphosyntaxiques (verbes auxiliaires de modalité, phrases interrogatives, im­peratives, oplatives, etc. ; adverbes, verbes im­personnels, déterminants (articles, démonstratifs, possessifs, etc., etc.) mais d'après des critères séman-tico-fonctionnels ( « fonctionnel » au sens de « fonc­tionnement de la communication ») qui regrouperont dans une même classe des catégories formelles dif­férentes.

Sans pousser trop loin notre classification (1) (p. 1) nous proposons les deux « points de vue » suivants : (1) POINT DE VUE POLEMIQUE ET RAPPORT JE-TU. (2) POINT DE VUE SITUATIONNEL ET RAP­PORT JE-IL (2).

Dans (1) nous trouvons tous les procédés d'[appro-priation] et d'[allocution] (c'est-à-dire du JE au

(1) On aura intérêt à consulter «Présentation de la linguistique », de B. Pottier, mais dans la nouvelle ver­sion qui va paraître chez Klincksieck, car notre réflexion en est issue. (2) Pour justification de ces deux rapports, voir : «Ré­flexion pour une typologie des discours ».

99

Page 95: SENS ET COMMUNICATION

TU) sous forme de « pronoms personnels », « moda­lités d'[ordre] et de [supplique], «statuts de phra­ses interrogatives, exclamatives, imperatives, etc. » ; « appellatifs »i, etc.

Dans (2) nous trouvons les procédés de [situation spatio-temporelle] sous formes déictiques, tempo­relles, aspectuelles, et les procédés de [situation no-tionnelle] qui se subdivisent en divers types d'[as­sertions] sous forme de modes, verbes de modalité, négation, supposition, etc.

— Cette formulation explicite de renonciation, nous l'appellerons formulation externe.

b) Cependant nous remarquerons que renonciation d'un discours est formulée d'une autre façon, beau­coup plus discrète, celle-là : il s'agit du choix d'ex­pression et d'organisation du discours qui est révé­lateur d'un point de vue énonciatif du JE.

Ainsi dans notre exemple précédant ce serait le choix de l'expression « je ne pense pas » qui, oppo­sée à par exemple « je doute » pourrait signifier /une plus grande prudence/ de la part du JE ou bien un désir de laisser à son interlocuteur /le bénéfice du doute/, cela dépendra de la situation précise de discours.

En fait on trouvera dans cette deuxième formu­lation qu'on appellera formulation interne, tous les, procédés qui président à la mise en forme d'une substance du signifié dont l'ensemble constituerait une sorte de rhétorique générale ; précisons cepen­dant qu'il ne s'agirait pas ici d'une rhétorique de l'écart, mais d'une rhétorique du choix et de la contrainte (l'un ne peut aller sans l'autre) par rap­port à une intention de communication. C'est pour­quoi nous y trouverions, de notre point de vue, aussi bien le choix d'une phrase passive, au lieu d'activé (qui peut être la marque de l'effacement volon­taire de l'agent et, partant, deviendra un acte polé­mique :

Ex. : «Ils ont été frappés, roués de coups, puis décapités») que le choix de tel transfert séman­tique de type métaphorique ou métonymique (ex. : l'écart que nous proposons le terme : technique de dans les titres de presse ci-joints en annexe, on constatera que le concept /gens/ est exprimé par «paires d'yeux», «fans», «foule», «visiteurs», etc.).

Et c'est pour éviter une confusion avec les défini­tions habituelles de « rhétorique » qui se réfèrent à discours.

1.3. Nous résumerons à présent nos propositions de la façon suivante r.

a) Tout discours se compose d'un énoncé et d'une situation énonciative.

b) L'énoncé est le contenu « sémantico-conceptuel » d'une information à l'état le plus « constatif » (il est donc « fictif » ou « construit » pour les besoins de la cause, puisque tout acte de communication se faisant en situation énonciative, on ne le trouve jamais à l'état pur).

c) La situation énonciative, dont les composantes sont les différents « points de vue » qui reposent

, . JE sur le rapport triangulaire I L rjrg , est marque par deux types de formulation : une formulation externe, une formulation interne.

d) D'où la représentation suivante :

¡(1) 1 1 I

J E i

i r i

! (2) i

1

F. externe

F. interne

/ ENONCE / TU

e) Exemple simplifié : « ouvre l'œil et le bon ! ». Enoncé : /toi surveiller/.

F. externe : /rapport allocutif-injonctif/ par un « impératif».

F. interne : choix de l'expression lexicalisée avec son transfert métonymique, dont la signification dé­pendra de la situation de discours.

1.4. Mais, par ailleurs, si nous regardons de près les structures d'un roman, par exemple, nous re­marquons, à un autre niveau, l'existence de ces deux types de formulation énonciative.

a) Ainsi, dans un roman, le JE-narrateur peut s'énoncer en tant que tel lorsqu'il prend la parole et se révèle comme narrateur. Il peut le faire systé-

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Page 96: SENS ET COMMUNICATION

matiquement tout au long de son roman et devenir, à la limite un narrateur-personnage au milieu des autres personnages ou ne faire que quelques appa­ritions à la « Tom Jones » créant ainsi un effet de distanciation — ironique ou d 'humour — complice selon les cas. Dans le « Petit Prince » de Sa in t -Exu­péry le narra teur est tantôt personnage, dans ses rencontres avec le Petit Prince, tantôt na r r a ­teur-effacé, tantôt narra teur s'adressant directement au lecteur — « quand le mystère est trop impres­sionnant, on n'ose pas désobéir ».

b) Mais le JE-nar ra teur peut ne pas s'énoncer et t ransparaî t re cependant dans la façon dont il orga­nise son récit et manie ses personnages ( « vision du dedans » / « vision du dehors ») .

(2)

1.5. Au vu de cette homologie nous voudrions conclure à u n modèle de fonctionnement unique de tout acte de communication, du fait de discours dont les composantes seraient :

— UN PROPOS (1) : contenu sémantico-concep-tuel-constatatif (énoncé ou récit selon les cas).

— UNE FORMULATION EXTERNE : révélatrice-explicite des points de vue du J E dans la situation énonciative par des catégories formelles.

— UNE FORMULATION INTERNE : révélatrice-implicite des points de vue du JE dans la situation

(1) Au sens où l'emploie B. Pottier à l'heure actuelle.

Nous ne nous étendrons pas sur cet aspect qui est assez complexe, d 'autant que nous y reviendrons lors de notre travail sur les structures narrat ives.

Ce que nous voudrions retenir c'est Phomologie qui semble s'établir entre « énoncé — formulation e x ­terne - formulation interne » d 'une part , et « récit — nar ra teur s'énonçant — narra teur racontant » d 'autre part , si l'on veut bien nous accorder que le récit soit comme l'énoncé un concept qui recouvre une réalité fictive, à savoir : le contenu sémantico-narratif à l 'état le plus « constatif » (ou « référen-t i e l» ) .

Nous proposerons alors la représentation suivante pour le « code narrationnel » qui structure un r o ­man :

énonciative par une technique de discours. C'est à t ravers la conjonction de ces trois composantes que l'on saisira l'univers de signification véhiculé par le discours, univers de signification lu i -même révéla­teur d'un « système de pensée » ou « idéologie » du JE.

2. Description de l ' image : objectif/interprétatif

2.1. Au cours de l'exposé des problèmes de des­cription de l 'image (cf. : « hypothèses scientifiques » p. 87) nous avons défini :

(1)

Narrateur

x Code narrationnel du discours \

Narrateur (**) Récit s'énonçant

Personnage 1

Personnage 2

Personnage 3

h. J

(«w) Récit raconté Lecteur

101

Page 97: SENS ET COMMUNICATION

— LA DESCRIPTION OBJECTIVE comme l'inven­taire des éléments qui constitue la dimension iconi-que de l'image, révélatrice d'un message dont le sens correspond au « savoir anthropologique per­ceptif » établi par une communauté socio-linguis­tique donnée (consensus).

— LA DESCRIPTION INTERPRETATIVE comme la mise en relation de ces éléments constituant ainsi la dimension iconographique de l'image, révélatrice d'un message symbolique (R. Barthes) dont la signi­fication est fonction de la situation énonciative qui lie l'individu qui interprète à l'image.

2.2. On voit donc, que pour l'image, lorsque l'in­dividu interprète, c'est une vision globale qu'il projette sur cette image, vision qui véhicule un univers de pensée particulier en fonction d'une situation énonciative particulière.

Ce que nous voudrions étudier à présent, c'est, non plus le rapport du discours à une image, mais le discours lui-même, lorsqu'il se veut descriptif, pour essayer d'y repérer les marques de l'objectif et de l'interprétatif.

3. L'objectif et le subjectif dans la description

3.1. S'agissant du discours verbal — et plus parti­culièrement du discours littéraire — l'intuition nous incite à retrouver l'opposition objectif/interprétatif à travers des oppositions du genre « il a vingt ans » (objectif) « il doit avoir une vingtaine d'années » (interprétatif).

Mais très vite, une observation un peu plus fine, nous oblige à constater que l'interprétatif a lui-même des visages multiples. Il suffit de comparer : « il doit avoir vingt ans », « il a presque vingt ans », «il a une vingtaine d'années», «il a l'âge de l'in­souciance et de la folie » pour se rendre compte que nous n'avons pas affaire à de l'objectif mais que l'interprétatif nous propose à chaque fois une vision différente.

Aussi nous ne parlerons plus d'interprétatif, pour le discours verbal, mais de subjectif comme terme générique qui s'opposera à objectif, et nous réser­verons le terme « interprétatif » pour désigner l'une des procédures discursives de ce subjectif (voir ci-dessous 4).

3.2. En fait, ce à quoi nous voulons arriver c'est à définir cette opposition objectif/subjectif par le modèle de fonctionnement de tout acte de commu­nication que nous avons proposé ci-dessus (cf. 1).

L'OBJECTIF c'est le propos, le contenu sémantico-conceptuel-constatif de l'énoncé ou du récit.

LE SUBJECTIF c'est la manifestation linguistique de la situation énonciative sous son double aspect de formulation externe et formulation interne.

Si l'on admet qu'il soit aisé de dépouiller un discours de son subjectif tel que nous venons de le définir, il faudrait en revanche une étude très détaillée et minutieuse pour déterminer la spécificité de ce sub­jectif. Et cela suppose que l'on connaisse :

— d'une part toutes les ressources de la langue (catégories sémantico-formelles) dont dispose le JE pour se manifester par une formulation externe, •— d'autre part toutes les ressources de la technique de discours dont dispose ce même JE pour se mani­fester à travers une formulation interne.

L'exposé de ces procédés n'est pas l'objet de cette fiche et d'ailleurs la linguistique est loin d'en avoir fait une étude complète.

Aussi nous contenterons-nous, fidèle à notre dé­marche interrogative de proposer un certain nombre de distinctions et de définitions qui devraient nous permettre, dans un premier temps, d'interroger un texte pour en dégager quelques-unes de ses compo­santes.

4. Les procédures discursives

Tout d'abord, posons que l'on peut repérer l'objectif et le subjectif aux types de procédures discursives mises en œuvre par le JE pour produire son discours, et que ce sont ces mêmes procédures discursives qui nous permettront de distinguer les différents aspects du subjectif.

4.1. LE CONSTATIF est la procédure discursive caractéristique de l'objectif que l'on trouvera dans «il a douze ans», cette phrase étant prise comme un énoncé car il se pourrait que dans une certaine situation énonciative elle véhicule un implicite parti­culier (exemple : A « tu l'aimes ? », B « oh, il a douze ans ») et soit donc, pour une part, de l'ordre du subjectif.

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Page 98: SENS ET COMMUNICATION

4.2. L'EVALUATIF est une procédure discursive caractéristique du subjectif sous son aspect : « ap­préciation », que celle-ci soit marquée par un juge­ment invérifiable d'une autre personne que le JE, parce qu'il n'y a pas de critère externe au JE (ex. : « c'est vraiment beau ! » ) ou que celle-ci soit mar­quée par un jugement d'approximation (ex. : « il a presque douze ans » ou dans « La Plage », de A. Robbe-Grillet - « ils ont sensiblement la même taille... une douzaine d'années ».

4.3. L'INTERPRETATIF est une procédure discur­sive du subjectif sous son aspect « jugement déduc-tif ou inductif » fait à partir de prémisses posées ou d'une observation de départ. Elle est donc diffé­rente de la précédente puisque l'interprétatif est le résultat d'un raisonnement implicite, absent de l'évaluatif (ex. : [d'après sa barbe et ses cheveux] « il doit avoir quarante ans » ; et dans « La Plage » : «... et sans doute aussi le même âge » ; et dans l'extrait de « La Modification » : « il fait effort pour garder les yeux fixés... pour aller vite dans sa lec­ture mais sans rien laisser échapper d'important... ce texte doit lui servir à préparer quelque chose, un cours sans doute... qu'il doit donner... un cours de droit probablement, etc. » ).

4.4. L'ARGUMENTATIF est une procédure discur­sive dont on pourrait penser qu'elle appartienne au domaine de l'objectif, mais en fait, linguistique-ment (1) il n'existe pas de façon objective de déve­lopper une argumentation. Le choix des différentes propositions d'une argumentation, leur articulation, leur formulation rhétorique sont relatives au JE et donc subjectives. C'est un sujet d'étude que nous reprendrons lors de notre travail sur le « discours polémique » ; contentons-nous pour l'instant de dé­finir cette procédure comme un acte de discours destiné au TU, dans un rapport « polémique » de persuasion. Elle se différencie donc de la précédente en cela que l'argumentatif est exocentrique (vers le TU) alors que l'interprétatif est endocentrique (pour le JE).

(Ex. dans le texte de M. Butor : « ...non qu'il man­que d'excellents lycées dans cette ville... » [c'est la prise en considération par anticipation d'une objec­tion éventuelle du TU], de même la parenthèse un peu plus loin : « c'est une réaction très sotte, c'est

(1) Nous utilisons toujours ce ternie dans le sens large d'un linguistique de la Communication, dans le cas contrai­re nous précisons.

entendu, mais il est sûr que vous auriez préféré que votre premier-né fût un garçon »).

4.5. LE RHETORIQUE, est la procédure discursive qui couvre tous les faits de la technique de discours et qui, à ce titre, est caractéristique du subjectif sous divers aspects que nous proposons de recouvrir sous le terme « emphase » ou « séduction » si l'on estime que toute « emphase » ou « jeux de lan­gage » a une fonction de séduction dans la commu­nication. Les exemples sont légions, on ne citera que la variation «paires d'yeux», «fans», «foule», «entrées», «visiteurs» pour le même concept /gens/ de l'annexe p. 109.

5. Les points de vue du narrateur

Nous ne voudrions pas, dans un premier temps, mul­tiplier les concepts qui nous permettraient d'analyser ce phénomène si complexe du subjectif dans le dis­cours, mais nous voudrions quand même rappeler le concept de points de vue proposé par certains sémio-ticiens (2).

Il s'agit en fait de ce à quoi nous avons fait allusion dans le chap. 1 (et que nous avons développé dans « réflexion pour une typologie des discours »), sur la situation énonciative de discours et les différents points de vue du JE et qui est appliqué ici à la poétique.

Il faudra s'interroger, si l'on veut faire le tour du subjectif dans un texte, sur les rapports qui s'éta­blissent entre : — Le narrateur et le récit. — Le narrateur et les personnages. — Le narrateur et le lecteur ;

et ne pas perdre de vue que ces différents points de vue sont marqués par :

— LE CHOIX DE LA PROCEDURE DISCUR­SIVE.

Ex. : « il y a encore eu changement de pouvoir ! Décidément on ne peut plus être sûr de rien ». La deuxième partie soulignée est une procédure inter­prétative qui a pour rôle d'établir un lien direct particulier entre narrateur et lecteur.

(2) T. Todorov, « Qu'est-ce que le Structuralisme », Le Seuil, 1968, p. 116 («Les visions dans le récit»).

103

Page 99: SENS ET COMMUNICATION

— LE CHOIX DU SYSTEME NARRATIF « PER­SONNEL / A-PERSONNEL » au sens où l'entend R. Barthes (2) et qui « ne bénéficie pas forcément des marques linguistiques attachées à la personne (je) et à la non-personne (il) » et dont le critère distinctif semble être la possibilité de transformation du récit en instance du JE sans « que cette opéra­tion n'entraîne aucune autre altération du discours que le changement même des pronoms grammati­caux».

Ex. : dans l'extrait de « La Modification », la trans­formation de (1) « ...et qu'il doit donner cet après-midi... » en (2) « ...et que je dois donner cet après-

I!. EXERCICES

TITRES

I - 650 000 paires d'yeux pour la plus grande ker­messe aérienne (1™ page).

II - Apothéose au Bourget : plus d'un demi-million de fans en deux jours pour admirer les évolutions de 200 appareils venus du monde entier (page 27).

Exercices :

1er TEMPS

Il est évidemment possible de faire l'exercice avec d'autres textes de presse que ceux qui sont cités :

(1) T. Todorov, « Qu'est-ce que le Structuralisme » ; voir aussi, « Rhétorique générale ». (2) R. Barthes, « Communication 8 », p. 20.

midi... » est la marque d'un système narratif a-per­sonnel puisque le « doit » de (1 ) qui signifie [incer­titude] devient [obligation] dans (2). (C'est le sens de nos exercices de transformation — cf. : volet A).

Ainsi Va-personnel est la marque d'un point de vue externe au récit alors que le personnel est la marque d'un point de vue interne.

— LE CHOIX DE L'ORGANISATION LOGIQUE, TEMPORELLE ET SPATIALE DU RECIT au sens de T. Todorov (1).

P. C.

ARTICLES

III - C'est une foule immense, évaluée à plus de 650 000 personnes qui a défilé en 2 jours au salon du Bourget (1™ page).

IV - Le chiffre officiel des entrées au Bourget était hier de 350 000. Ajoutons à ce total du dernier jour les 300 000 visiteurs de la veille, puis tous ceux qui sont venus ici la semaine, les jours où il n'a pas fait beau, voilà donc plus d'un million de personnes qui sont allées admirer en tout désintéressement des machines qu'aucune d'elles ne peut rêver de jamais posséder (p. 27).

on s'assurera que les relations entre les phrases comparées permettent au mieux de faire ce tra­vail.

a) Préparation

Distribution des documents à chaque élève. Consigne : « Ces textes disent une même chose. Résumez ce qu'ils disent, en employant les termes les plus généraux possibles ». Toute autre formule

Ha - EXERCICES SUR LES TITRES DE JOURNAUX

1. Présentation de la fiche

COMPARAISON DE QUATRE TITRES DE PRESSE

104

Page 100: SENS ET COMMUNICATION

permettant de rapprocher l'élève du schéma concep­tuel peut être retenue : on évaluera sa pertinence ensuite d'après les réponses des élèves.

b) Travail collectif

L'exercice étant bref, il ne paraît pas nécessaire de demander aux élèves d'y réfléchir d'abord par groupes.

Chaque élève qui désire répondre avance une for­mule de résumé qui est immédiatement discutée par l'ensemble de la classe avec l'avis du maître. Celui-ci note (au tableau), ou fait noter les réponses, les termes-clés qui conduisent au schéma conceptuel.

La discussion portera vraisemblablement sur le caractère plus ou moins générique des termes avan­cés.

Etablir le schéma conceptuel, d'après nos hypothèses (cf. : annexe p. 112 et 113) mais aussi dans le pro­longement des idées sorties de la discussion qui a précédé.

2e TEMPS

a) Consigne : « A partir du schéma qui a été réa­lisé, recherchez les variantes correspondant à chacun des éléments de ce schéma. Situez-les en les classant dans un tableau sous le schéma. »

On amènera ainsi à la découverte des spécifications que chaque phrase donne à la base sémantique commune.

b) Travail de groupe sur cette consigne

c) Examen des réponses, discussion

Les hésitations qui se produiront au moment de situer les spécifications dans le tableau tiennent à la structure sémique de chaque mot. Il est donc très souhaitable de terminer ce travail par une étude simplifiée mais exemplaire de quelques mots dont le rapprochement et la comparaison peuvent faire ressortir l'existence des sèmes (ex. : « entrée » :

— animé humain, — visiteur).

Si les textes étudiés posent des problèmes trop complexes, on s'en servira pour sensibiliser les élè­ves à cette structure sémique du mot et on pourra compléter la sensibilisation par tout autre exercice, toute autre étude qui permettent une analyse sé­mique et une découverte de la combinatoire.

Enfin on montrera dans les titres examinés la rup­ture entre des volontés d'objectivité (cf. : « chiffre officiel», les estimations arithmétiques) d'une part, et le jeu interprétatif que permettent les différentes spécifications («paires d'yeux» ; «fans»), d'autre part.

La progression de ce travail et des suivants sera ainsi assurée.

2. Compte rendu des premiers résultats

2.1. Conditions matérielles des expérimentations

Notre compte rendu porte sur des expériences ten­tées dans trois établissements différents, par trois professeurs différents, dans des classes de seconde. Il s'agit dans chaque cas d'un exercice de réemploi, à partir de la consigne précédemment donnée (l'ob­jectif et le subjectif dans les textes cf. p. 106). Ces exercices obéissant à des consignes différentes, il nous a paru préférable de présenter des remarques sur chaque expérience séparément et successive­ment, avant d'essayer de dégager des éléments comparabbes ou communs et de faire un bilan.

2.2. Commentaire critique

1" EXPERIMENTATION

— Consigne : rédiger, un titre et un article courts (pour une 1" page de journal) puis un titre et un article plus détaillés (pour l'intérieur du journal) sur un événement librement choisi.

Tenir compte du public auquel on s'adressera en adoptant un « style » particulier.

— Déroulement : ce travail a été fait par groupes, immédiatement à la suite de l'exercice qui vient d'être proposé. Toutes les équipes ont pris des sujets différents, sauf deux qui ont choisi une transplanta­tion cardiaque, mais l'ont traitée de façon différente (une version « sérieuse », une version humoristi­que). Voici les sujets retenus, à titre indicatif :

— Voyage gastronomique du Président de la Répu­blique en CHINE. — Le putsch au CHILI. — Une transplantation cardiaque. — Un homme vient d'accoucher. — Explosion près de OKLY.

105

Page 101: SENS ET COMMUNICATION

— Un sous-marin en perdition. — Drame de l'alcoolisme (version comique).

— Quelques observations

Dans certains groupes, on a su adopter un « style » bien déterminé et s'y tenir. Dans d'autres, la volonté de présentation objective est contrariée par des fan­taisies peu appropriées, ce qui fausse le jeu des rap­ports objectif-subjectif. Cela paraît dû à plusieurs raisons, et en tout cas moins à la pratique peu assidue de la lecture des journaux, qu'à l'énoncé trop vague d'une consigne qui ne définissait pas, a priori, le public auquel on s'adressait.

C'est sans doute l'examen des rapports entre les titres et les articles qui peut permettre de mesurer la tension entre l'objectif et le subjectif dans cet exercice.

A travers les productions des élèves, on n'a pas trou­vé d'exemple d'un schéma conceptuel repérable à partir des 4 énoncés. Par contre, il est arrivé que l'article de lre page se présente comme une simple expansion du titre le précédant.

Exemple : — « Nouvelle tentative des chirurgiens français, sui­vie de près par des millions de gens » (titre). — Des millions de français attendent avec impa­tience des nouvelles de l'opéré du cœur » (article).

Parfois l'article de 1™ page n'ajoute qu'une infor­mation supplémentaire au titre ; parfois au contraire, les titres et les articles ont des contenus totalement différents : il n'y a pas entre eux de lien explicite.

Certains élèves ont donc bien vu qu'un titre est rare­ment le résumé fidèle d'un article et ils ont étendu le procédé : dans leurs productions, les deux titres d'une part, les deux articles de l'autre se répon­dent.

Exemple : « Explosion en plein ciel près d'ORLY » (titre de lre page). « Après 1/2 heure de vol ; le Boeing 757 de la PAM-

PAM s'est désintégré en plein vol » (titre à l'in­térieur) .

Certains groupes ont su trouver un titre et un article de r e page suffisamment « ouverts » et « objec­tifs » pour que la curiosité du lecteur ne soit satis­faite que par le 2e titre et le 2e article.

Exemple : un chirurgien victime de sa transplan­tation (titre de 1™ page).

« Il y a une semaine, dans les environs de PARIS, une transplantation cardiaque aux graves consé­quences a été effectuée sur un jeune homme de 20 ans par le professeur X » (article de Iro page).

Ce n'est qu'à l'intérieur du journal que l'on apprend la « vérité » : on a greffé sur le jeune homme un cœur de singe. Fou furieux, il a sauvagement assas­siné le chirurgien.

Conclusion

— Cet exercice, pour être efficace, doit être proposé à la suite de « Variations sur un thème » et béné­ficier ainsi préalablement, d'une procédure rigou­reuse.

— La consigne n'est sans doute pas assez contrai­gnante, pour permettre ensuite une confrontation critique, très précise, des résultats. La diversité des sujets n'aide pas les élèves à dépasser une vision assez impressionniste de l'exercice.

2e EXPERIMENTATION

— Consigne. A partir d'un événement choisi par le professeur, plusieurs groupes rédigent un titre, un sous-titre, et un article complet. L'événement choisi était celui-ci :

« Castor et Pollux, les deux satellites français, re­tombent dans l'Atlantique».

QUELQUES OBSERVATIONS

— Choix d'une orientation. Le sujet pouvait prêter à interprétation(s). De fait, sur 8 productions, on dénombre deux versions « pseudo-objectives » (la fin des articles indique une prise de position favorable à l'expérience en question), pour G versions forte­ment interprétatives (4 articles humoristiques, 2 ar­ticles polémiques, l'un sur le mode : « c'est un échec et un scandale », et l'autre : « non ce n'est pas un échec »).

•— Remarques sur les traces du subjectif

Elles sont multiples et rarement discrètes.

Dans les articles «pseudo-objectifs », le titre ne dit rien de l'événement lui-même (la chute) et attire simplement l'attention sur l'expérience Castor et Pollux.

Dans les articles « ironiques », le titre repose le plus souvent sur un jeu de mots (ex. : « à l'eau, j'égout-te ? ») qui révèle le point de vue adopté par l'auteur.

106

Page 102: SENS ET COMMUNICATION

Le sous-titre et l'article ne feront que confirmer. Il arrive qu'en livrant l'information que le titre avait escamotée, le sous-titre dénonce par là l'usage du subjectif camouflé sous une apparence d'objec­tivité par le titre.

Exemple : « Réalisation de l'expérience Castor et Pollux » (titre « neutre » ) est dénoncé par : « Les deux satellites Castor et Pollux, après un vol spatial exceptionnel, ne purent accomplir le programme fixé et durent amerrir finalement dans l'Atlantique».

Parfois titre et sous-titre, en attirant l'attention du lecteur sur un événement secondaire distinct de l'événement principal (ex. : « Un banc de thons à moitié anéanti par la retombée de C. et P. ») ou en généralisant l'échec de C. et P. (ex. : « Nouvel échec de la politique spatiale française »), s'avouent comme une interprétation, avant l'article lui-même, toujours envahi par le subjectif.

— Remarques sur les rapports titres - sous-titres -articles

Dans presque tous les cas, titres, sous-titres et arti­cles apportent des indications différentes et parfois contradictoires. A une exception près, les titres et les sous-titres sont de « mauvais résumés » des ar­ticles.

Les sous-titres jouent un rôle de transition ambigu : — soit qu'ils reprennent une partie du contenu du titre et ajoutent un élément supplémentaire qui sera développé par l'article (c'est rarement le cas),

— soit qu'ils mettent l'accent sur un point ignoré par le titre et que l'article va reprendre et amplifier (c'est le cas général).

Le plus souvent, l'énoncé de l'événement est donné non par le titre, mais par le sous-titre.

Les articles se présentent avec une structure narra­tive très marquée (il s'agit en général des circons­tances de la chute) et le commentaire interprétatif s'y déploie largement, soit par l'humour, soit par l'intervention d'éléments extérieurs à l'affaire, soit par la conclusion tirée du récit lui-même. Dans un cas, le récit paraît fait d'éléments informatifs rela­tivement neutres, mais la dernière phrase montre que ces indications avaient pour fonction de venir à l'appui de la thèse selon laquelle il faut « plus de crédits pour le prochain projet».

Conclusion

— Le subjectif est présent de façon surabondante et complexe dans ces productions et un relevé fait selon des critères systématiques permettrait d'en me­surer mieux les traces.

— Ce relevé serait facilité par une consigne tenant compte de la spécificité du ou des publics au(x)-quel(s) on s'adresse.

3e EXPERIMENTATION

— Consigne : Des groupes choisissent dans des jour­naux trois événements et classent par ordre d'im­portance.

Ensuite ils rédigent trois dépêches courtes (trois lignes environ), en tenant compte du fait que, dans la plupart des cas, les titres sont de mauvais résu­més.

QUELQUES OBSERVATIONS

— Choix des événements

Dans la catégorie «urgents», on trouve des évé­nements habituellement classés comme politiques (la République proclamée en GRECE), économiques (la famine dans le Sahel) ou faits divers (le Tupolev s'écrase au BOURGET).

Dans la catégorie «ordinaires», on trouve des in­formations scolaires, sportives, des revendications sociales, des problèmes diplomatiques, des faits di­vers.

Dans la catégorie « peut attendre », on trouve un sondage sur une question considérée comme secon­daire (Les Français et le théâtre) et surtout diverses informations régionales.

En somme,

« Urgent » -^ qui concerne beaucoup de gens

et/ou —> qui présente un caractère de gravité évident (mort, op­pression réelles/virtuelles)

« Ordinaire » -^ épisode n o n déterminant dans un processus suivi

et/ou —> événement concernant un secteur ressenti comme « se­condaire »

107

Page 103: SENS ET COMMUNICATION

« Peut attendre » —> information sur un sujet mi­neur

et/ou —» information ne pouvant concerner qu'une catégorie de gens restreinte.

— Rapports titres - articles

Parfois le titre, très vague, ne présume pas du contenu de l'article (ex. : « Le capitaine » pour parler d'une rencontre sportive où l'on a remarqué le Ministre de l'Economie et des Finances).

Dans un certain nombre de cas, l'article ne fait que répéter le titre, en l'amplifiant à peine, avec une ou deux informations supplémentaires, ou un commentaire.

Il est rare que les articles apportent une information différente de celle que le titre proposait. Ex. : « 37 % des Français ne vont jamais au théâtre » (titre) est suivi d'un article où l'on parle des Fran­çais qui trouvent le prix des places trop élevé, de ceux qui suivent la critique, etc.

— Remarques sur les traces du subjectif

Elles sont beaucoup plus discrètes que dans la 2' ex­périmentation, ce qui s'explique aisément : les titres sont empruntés à des journaux (surtout Le Monde), les articles sont courts (tentation de la redondance), les événements de référence sont réels.

Néanmoins un certain jeu du subjectif et de l'ob­jectif peut être décelé. Ainsi, à partir d'un titre « neutre », « Le 1er bar-toilette pour chiens à Mont­martre», on trouve un article fortement teinté de subjectivité («Cette heureuse initiative... »). Inver­sement, à partir d'un titre subjectif («Il faut in­troduire davantage de liberté et d'initiative dans le travail scolaire»), on trouve un article qui insiste sur le cadre et les circonstances du congrès d'une Fédération de Parents d'Elèves.

Conclusion

— A partir d'une consigne précise et contraignante, les productions obtenues semblent permettre une comparaison, une confrontation critique et un bilan plus faciles que dans les cas précédents.

— Les critères permettant de déterminer les raisons du choix d'un événement et du classement par ur­gence restent à trouver.

CONCLUSIONS

Il est possible de dégager un certain nombre de traits communs à ces expérimentations.

— Tous ces exercices de réemploi ont pu être réa­lisés en groupe, sans difficulté particulière.

— Quand il y avait liberté dans le choix de l'évé­nement à traiter, on observe la très grande diversité des sujets retenus et l'influence de l'actualité immé­diate.

•—• Le plus souvent, priorité a été donnée à des évé­nements à forte coloration dramatique.

— Il semble que le choix d'un événement « sé­rieux » limite la présence du subjectif, tandis que le choix d'un événement « mineur » la favorise.

Dans ce dernier cas, l'humour et l'ironie s'imposent fréquemment.

Par rapport aux objectifs visés, il semble que les élèves ont été sensibles aux diverses possibilités qu'offrait le jeu interprétatif, à partir de la pré­sence d'un « auteur » s'énonçant de façon plus ou moins discrète (formulation interne). C'est surtout visible dans les textes humoristiques. En revanche, certaines difficultés doivent être signalées :

— Le travail de confrontation critique a été le plus souvent malaisé, parce que les élèves manquent de recul par rapport à leurs productions et en restent à un point de vue teinté d'impressionnisme. Le pro­blème de l'acquisition d'un outillage critique en liaison avec ce type d'exercices se pose donc.

— La vérification linguistique de la différence entre objectif et subjectif a été problématique dans le cas des consignes trop «ouvertes». Cette vérifi­cation — comme le travail d'élucidation critique — ne paraît praticable et possible que lorsque la consi­gne est suffisamment «fermée».

Enfin il est évident que des exercices de cette na­ture sensibilisent les élèves aux problèmes de la presse et de l'actualité, et apportent un matériau socio-culturel et mythologique qu'il faudrait appro­fondir en vue de nouvelles expérimentations.

B. MURCIER

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Page 104: SENS ET COMMUNICATION

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Page 105: SENS ET COMMUNICATION

• Les titres de presse : Variation sur thème — Ex-plicitation du tableau.

Notre propos était de montrer comment le même scheme de base commun aux quatre textes pouvait être configuré linguistiquement.

Ce que l'on trouvera donc dans le cadre supérieur ce sont des concepts généraux et la relation qui s'établit entre eux. Chaque bande inférieure cor­respond à chacun des textes, et les mots ou sé­quences de ces textes sont répartis selon leurs cor­respondants conceptuels. C'est pour cette raison qu'il peut se faire qu'un même mot corresponde à plusieurs concepts (ex. : « yeux » correspond à /gens/ en combinaison avec « paires » et à /voir/ en combinaison avec « pour » ).

Enfin on remarquera :

— L'affinité entre le quantificateur /beaucoup/ et le concept /succès/.

— L'affinité entre /salon du Bourget/ et /avions/.

— Le « résidu » qui n'est résidu que par rapport à ce scheme de base mais peut être récupéré au niveau de la « fonction emphatique » du titre de presse.

II b - EXERCICES SUR « LA PLAGE »

1. Présentation de la fiche

LA PLAGE

Trois enfants marchent le long d'une grève. Ils s'avancent, côte à côte, se tenant par la main. Ils ont sensiblement la même taille, et sans doute aussi le même âge : une douzaine d'années. Celui du milieu, cependant, est un peu plus petit que les deux autres.

Hormis ces trois enfants, toute la longue plage est déserte. C'est une bande de sable assez large, uni­forme, dépourvue de roches isolées comme de trous d'eau, à peine inclinée entre la falaise abrupte qui paraît sans issue et la mer.

Il fait très beau. Le soleil éclaire le sable jaune d'une lumière violente, verticale. Il n'y a pas un

nuage dans le ciel. Il n'y a pas, non plus, de vent. L'eau est bleue, calme, sans la moindre ondulation venant du large, bien que la plage soit ouverte sur la mer libre, jusqu'à l'horizon.

Ils sont blonds, presque de la même couleur que le sable : la peau un peu plus foncée, les cheveux un peu plus clairs. Ils sont habillés tous les trois de la même façon, culotte courte et chemisette, l'une et l'autre en grosse toile d'un bleu délavé. Ils mar­chent côte à côte, se tenant par la main.

Alain ROBBE-GRILLET

« Instantanés » (La Plage - 1956)

Exercices :

a) SUBSTITUTION DE «JE» A «IL»

Trois personnages sont posés dans le texte. Ils sont désignés par la 3e personne. L'un d'eux sera in­troduit à la 1™ personne. La transformation sera faite par un travail de groupe ou individuel. On recherchera ensuite le mode le plus intéressant de dépouillement des productions d'élèves. Ils peuvent donner lecture, tour à tour, du nouveau texte. Ils peuvent être invités à classer les modifications qu'ils ont apportées au texte initial, etc.

Objectifs particuliers : il faut faire apercevoir que l'organisation du texte (narratif) dépend de la si­tuation que se réserve le narrateur et des possibi­lités qui en découlent au point de vue de l'in­terprétatif et de l'objectif. Ainsi dans ce texte, l'introduction de « je » fonde les indications objec­tives à propos de l'âge («douzaine»), mais laisse une grande place au subjectif ( « presque de la même couleur que le sable »,).

b) «EXPANSION» NARRATIVE

Consigne : « Garder la première phrase de chaque paragraphe et la compléter par trois ou quatre lignes de récit, ou plus » (travail de groupe ou indivi­duel).

Objectif particulier : montrer que tout morceau descriptif est en fait un « appel de narration » (ce qui confirme d'ailleurs que toute différence entre description et narration relève d'une méthode et non d'une théorie).

110

Page 106: SENS ET COMMUNICATION

Il sera donc nécessaire de rechercher avec les élèves ce qui a orienté leur récit dans la description de Robbe-Grillet.

2. Compte rendu des premiers résultats

2.7. CONDITIONS MATERIELLES CLASSES D'EXPERIMENTATION :

5e, C.E.S. Gonesse 4e, C.E.S. Saint-Denis 4e C.E.S. Gonesse 4" DA, C.E.G. Paris 4e AE, C.E.G. Paris 2e C, Gonesse 2 A, Maisons-Alfort.

CONSIGNES ADOPTEES

Des deux consignes présentées sur la fiche, c'est la seconde («expansion narrative») qui a été unani­mement retenue. Dans une seule classe (4e, Paris) il a été demandé « d'essayer d'employer la pre­mière personne » dans les récits. Notons que deux élèves de la classe ont fait cet essai. Néanmoins, le ou les points de vue adoptés par les élèves dans leurs narrations ont permis de faire un compte rendu critique des conséquences dues à la différence de situation du narrateur.

La consigne même d'expansion narrative a été as­souplie. Tous les travaux dont nous rendons compte ont consisté à inventer une suite au texte de Robbe-Grillet ou à « extraire du récit deux phrases que vous intégrerez dans un récit mettant en scène les trois enfants» (2e, Gonesse) (1).

DEROULEMENT

La rédaction individuelle des récits a été suivie d'un commentaire collectif animé par le professeur.

(1) Il est significatif que les phrases choisies par la pres­que totalité des élèves soient de caractère constatif, mais à forte connotation de mystère : « Trois enfants marchent le long d'une grève ». « Hormis ces trois enfants, toute la longue plage est déserte ».

2.2. COMMENTAIRE CRITIQUE DES RESULTATS

A. LA SITUATION DU NARRATEUR

A.l. LA DISTANCE PRISE PAR RAPPORT AU RECIT

1.1. JE ne s'énonce pas

Beaucoup d'élèves ont adopté — au moins dans les premières lignes — le point de vue choisi par Robbe-Grillet : celui du narrateur extérieur au récit, ob­servateur qui tout en se voulant objectif, laisse appa­raître sa subjectivité : (ex. : « ils ont sans doute le même âge » ). Loin de s'effacer, ce narrateur est inscrit dans le récit par les termes de modalisation (sembler, paraître), par les appréciations qu'il porte...

Ex. : « L'un est grand, très mince. Son nez fait penser à Cassius Clay, un vrai nez de boxeur. Il semble habitué à commander... (élève de 2e). Cette présence du narrateur se marque aussi dans les récits par des questions telles que « Où allaient-ils ? », «Qui peuvent-ils bien ê t re?» , chargées de souligner le caractère étrange, mystérieux qu'il at­tribue aux personnages.

1.2. JE s'énonce

Ce que nous avons dégagé précédemment devient encore plus explicite grâce aux marques de la pre­mière personne et à la transcription directe des réactions du narrateur («je fus frappée par...», « ils venaient d'éveiller en moi une vive curiosi­té»...). Les quelques récits d'élèves racontés par un JE introduisent un élément nouveau : celui de la proximité, sur cette plage, du narrateur et des enfants. Loin de permettre un rapprochement, cette proximité rend le trio encore plus énigmatique puis­que le mutisme des enfants ou le sentiment d'étran-géité qu'il éprouve à leur égard, empêche le narra­teur d'en savoir plus que ce qu'il voit ou entend. Respect de cette « vision du dehors » poussée dans ses dernière conséquences.

A.2. ABOLITION DE LA DISTANCE ENTRE LE NARRATEUR ET LE RECIT

Cette suppression de la distance peut se marquer de différentes manières :

2.1. Le narrateur est l'un des enfants lui-même

Ex. : « La plage s'étend très loin et j'aime à m'ima-giner que le monde s'arrête avec elle. Nous ne

111

Page 107: SENS ET COMMUNICATION

parlons jamais quand nous marchons ainsi. Nous écoutons le cri des mouettes et regardons les reflets du soleil sur l'eau. J'ai envie de courir et de me jeter dans l'eau fraîche, mais je ne veux pas troubler mes deux amis dans leur recueillement. Cette plage est le seul endroit que nous aimions... Je sais que nous pensons tous les trois la même chose au même moment » (48).

L'organisation de ce récit, presque unique en son genre, est entièrement centré autour du JE qui raconte, commente et s'approprie un NOUS indif­férencié dans sa vision unique.

2.2. Dans les récits à la troisième personne

Le narrateur utilise essentiellement deux procédés pour faire pénétrer le lecteur dans l'univers des en­fants : le dialogue, qui permet d'avoir accès aux secrets, et le changement de point de vue ; le narra­teur n'est plus alors l'observateur-interprète intrigué et ignorant, mais celui qui est « avec » ses personna­ges. Des expressions telles que « ils s'étonnent... », «ils décident de...», «l'envie leur prend de...», traduisent ce type de point de vue. Dès que le narra­teur se met à expliciter, nous quittons le domaine de l'étrange pour entrer dans celui du récit d'aven­tures.

Eléments descriptifs du texte de Robbe-Grillet

Trois enfants... Ils ont sensiblement la même taille...

Ils sont blonds... Ils sont habillés tous les trois de la même façon...

côte à côte se tenant par la main

marchent.... s'avancent...

Hormis ces trois enfants, toute la longue plage est déserte.

Pour ne pas alourdir ce compte rendu, nous n'étu­dierons pas en détail les rapports que les élèves ont instauré entre le narrateur et ses personnages et entre le narrateur et le lecteur. Nous nous conten­terons de deux remarques : lorsque l'un des enfants se détache comme acteur principal, il s'agit souvent du plus petit des trois (sous l'influence de la signa­lisation faite par la description de Robbe-Grillet) ; ensuite il pourra être fructueux d'amener les élèves à s'interroger sur les remarques à portée « morali­satrice » ou « philosophique » ( « personne ne peut les comprendre », « comme l'été sur la plage, la beauté et l'innocence passent trop vite » ) , pour leur faire chercher qui parle et leur signaler l'une des formes possibles que le narrateur emploie pour s'adresser au lecteur.

B. LE FONCTIONNEMENT DES RAPPORTS ENTRE DESCRIPTION ET NARRATION

B.l. Les appels à la narration

Si, dans les récits, presque tous les détails de ce texte court ont été retenus avec plus ou moins d'in­sistance, on peut néanmoins en dégager quelques-uns qui sont à l'origine des questions fondamentales for­mulées ou implicites ayant suscité l'organisation de la narration.

Enigmes à résoudre

Qui sont-ils ? que sont-ils ?

Pourquoi se ressemblent-ils ?

Quels liens les unissent-ils ? ou contre quoi ^ , ., . „ ou pourquoi ) s o n t " l l s u m s ?

D'où viennent-ils ?

Où vont-ils ?

Que font-ils seuls ici ?

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Page 108: SENS ET COMMUNICATION

Ces énigmes nées du texte appellent des qualifi­cations (traits « psychologiques, références socia­les...) et des séquences narratives qui vont les arti­culer — voire les résoudre — dans une série de combinaisons plus ou moins riches. Par la narra­tion, les enfants sont réintroduits dans la tempora­lité (histoire individuelle, suite chronologique de leurs actions...) pendant qu'ils prennent possession de l'espace-plage (jeux, baignades, aventures...) in­tégré alors dans la logique narrative.

B.2. Organisation du au narratif

passage du descriptif

La richesse des récits produits par les élèves ne permet pas de les intégrer tous. Nous allons donner quelques exemples de l'utilisation des éléments four­nis par le texte, des qualifications sémantiques et de la mise en place des schémas narratifs qui en ré­sultent.

Eléments fournis par le texte Nouveaux éléments

celui du milieu est un peu plus petit

ils s'avancent côte à côte + douzaine d'années

ils s'avancent côte à côte + ils sont habillés tous les trois de la même fa­çon

plage déserte -f- lumière verticale et violente

sable

falaise abrupte 1) 2)

il pleure

présence de malfaiteurs

errance

arrivée des Martiens + rayon laser, explosion atomique à des milliers de km

accident de terrain

faille découverte

Qualifications sémantiques

il est faible

ce sont des amis redres­seurs de torts

ce sont les pensionnaires d'un orphelinat en fugue

c'est un lieu agressé

c'est l'emplacement du trésor

c'est un endroit inexplo­ré qui doit receler des richesses

Schémas narratifs

aide des deux autres

élimination des « mé­chants »

découverte de la famille

mort des enfants

recherche et découverte du trésor

escalade découverte du trésor

Ces quelques exemples donnent les éléments de la chaîne de raisonnement de certains récits sans qu'il nous soit possible d'en déterminer avec assurance le fonctionnement. Il semble néanmoins que les éléments ajoutés soient consécutifs aux qualifica­tions sémantiques apportées ou à la résurgence de schémas narratifs connus.

a) Rôle des qualifications sémantiques Ex. : « Trois enfants marchent le long d'une grève Celui du milieu paraît triste, les deux autres sem­

blent le consoler et lui apporter un réconfort... Le soleil brille ; l'eau est pure et transparente. Ces garçons ne profitent ni de l'eau ni de l'espace ; ils marchent doucement, rapprochés les uns des autres, leur visage est grave. Le plus petit, quelques jours auparavant a perdu son chien. Non loin de là, sur une petite falaise, il l'a enterré... Quelques larmes coulent le long des joues du cadet, celui-ci pense aux moments heureux qu'il passait avec son chien... L'aîné cherche à le consoler et à le faire rire... » (élève de 4e).

113

Page 109: SENS ET COMMUNICATION

Pour cet élève, « plus petit» par lequel A. Robbe-Grillet a qualifié l'enfant situé au milieu, a fonction­né semantiquement comme terme d'une opposition non pas tant avec « grand » qu'avec « âgé » et « fort », et a été investi comme « plus faible », « plus vulnérable ». On peut donc supposer que ce sont les qualifications sémantiques qui ont motivé le schéma narratif : douleur-consolation.

b) Résurgence de schémas narratifs connus Ex. : « Les trois enfants escaladent la falaise. Tout à coup ; ils s'arrêtent. Ils ont aperçu une étroite ouverture dans la falaise. Ils ramassent une pierre et la lancent, puis une deuxième, une troisième. Et, l'instant d'après, ils entendent le bruit de quelque chose qui se brise. Un trésor. Ils voient déjà une caverne pleine d'or comme celle d'Ali-Baba. Alors, ils se précipitent tous vers l'entrée... » (élève de 4e).

La falaise abrupte, à l'accès difficile, rappelle les récits de chasse au trésor (la référence à Ali-Baba est significative). Il suffisait de trouver une « faille » pour introduire la séquence « découverte du tré­sor ». Le récit décomposé dans l'avant-dernière ligne du tableau procède de la même manière. Le sable (creuser) d'une plage mystérieuse, hors du monde quotidien, fait resurgir les mêmes schémas. Là en­core il fallait un signe : l'uniformité suggère alors l'anomalie signifiante du tas de sable.

Dans tous les récits, le passage à la narration s'est accompagné d'un enrichissement de la description.

B.3. Descriptif et narratif dans les récits d'élèves

Ce travail de création « contrôlée » a permis aussi de faire sentir aux élèves l'importance complémen­taire dans un récit de la description et de la narra­tion. On peut cette fois, comme le propose un pro­fesseur de 4°, partir du narratif en faisant un découpage en séquences de quelques récits d'élè­ves :

récit ;1 : — départ en barque des trois enfants — tempête — accostage en catastrophe en un lieu inconnu (la plage) — secours apporté par un vieux marin — arrivée des parents

récit 2 : — départ en hors-bord — tempête

•— accostage en un lieu inconnu — aide apportée par un paysan — retrouvaille avec la mère

a) Ce découpage élimine, bien sûr, les éléments descriptifs, pourtant présents dans les récits. Il est donc intéressant de comparer et de différencier les deux séquences « tempête » telles qu'elles sont ra­contées et de faire apparaître que description et narration s'impliquent mutuellement dans la drama­tisation du récit.

b) On peut aussi superposer ces deux ensembles sin­gulièrement identiques et amener les élèves à s'in­terroger sur la « nature » de leur récit. Chacun des deux groupes de séquences peut, en effet, se réduire à quatre fonctions : départ — épreuve — aide — retour. Il est alors possible de faire intervenir les autres récits et de marquer les différences. Cette méthode a permis dans une classe de 2* de dégager des constantes narratives nées de ce texte descriptif et de distinguer les récits à forte narrativité et les récits « d'atmosphère » essentiellement qualificatifs.

C. INVESTISSEMENT AFFECTIF, CULTUREL... DES ELEMENTS DU TEXTE

Ce passage à la narration ouvre une troisième pers­pective : les prolongements donnés aux détails du texte ne sont pas arbitraires et l'investissement sémantique des « appels à la narration » laisse apparaître des différences selon la classe d'âge, le sexe, la classe sociale et les références culturelles (lectures), la situation familiale de l'élève. Faute de méthode d'analyse, nous nous contenterons de don­ner les interprétations les plus courantes.

1) La plage comme lieu clos

a) Pour l'ensemble des récits du premier et du second cycle, la plage frappée par la lumière vio­lente, l'absence de vent suscitent des images d'an­goisse (rencontre avec des animaux effrayants, om­bres de matelots disparus), de menaces devant le déchaînement des éléments trop calmes (orages, cy­clones, tempêtes), de mort.

L'atmosphère de ce texte clos ressentie comme étouffante peut expliquer que des élèves, surtout les plus jeunes, aient introduit dans leurs récits des éléments sécurisants (adultes bienveillants, maison sur la plage dans laquelle habite la mère ou les parents).

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Page 110: SENS ET COMMUNICATION

b) La moitié des élèves d'une classe de 2e (Go-nesse) a ressenti la plage déserte comme refuge dans une série d'oppositions avec la ville ou plus généralement avec le « monde » tel qu'ils se le re­présentent : plage / ville enfance / adultes innocence / course au profit beauté / bêtise humaine aube d'une civilisation / monde ancien en décom­position nouvelle rêve / réalité

2) La plage (-f- la mer) comme lieu ouvert de l'aventure

Pour les élèves jeunes, la plage est un lieu privilégié pour les jeux et l'aventure (découverte de trésors, secours apporté à des oiseaux blessés...).

A travers ces récits, il est donc possible de voir transparaître les goûts des élèves, leurs aspirations et leurs habitudes de lecture.

En produisant des récits à partir de l'instantané de A, Robbe-Grillet, les élèves ont actualisé le nar­ratif que la description portait à l'état latent et ont mis à jour ce que les éléments constatifs eux-mêmes, bien qu'apparemment impersonnels, compor­taient d'appel à la subjectivité. Qu'il s'énonce ou pas, c'est un JE qui parle le « monde » (IL) et qui se parle en même temps. Dans le texte suivant extrait de La Modification, les rapports entre JE et IL vont être marqués linguistiquement de façon plus nette encore grâce à une procédure interpré­tative.

M.-M. BEAULU

ANNEXE

Voici, à titre d'exemple, le récit produit par un élève de 4e auquel le professeur avait demandé d'imaginer une suite au texte de A. Robbe-Gril­let.

« Un hurlement strident retentit soudain derrière eux. Pris de panique, ils se mettent à courir se tenant toujours par la main. Ils regardent de tout

côté mais pas derrière eux pour chercher des yeux un abri, une grotte, une cabane de baigneurs, un trou. Rien, il n'y a rien du tout. Alors affolés, ils courent de plus en plus vite, se tenant toujours par la main.

Enfin, à 500 mètres ils aperçoivent un trou, un grand trou. Repartant de plus belle, ils se dirigent vers cet abri précaire. Toujours derrière eux le hurle­ment qui déchire l'air s'amplifie et se rapproche. Le trou n'est plus qu'à 100 mètres. Vite, plus vite. Mais le plus petit de tous trébuche sur les restes d'une vieille barque recouverte depuis longtemps par le sable de la plage. Il tombe lourdement et pé­niblement se relève pour recommencer avec ses camarades la course folle.

Enfin le trou ! Ensemble ils sautent dedans. Au moment où ils se jettent dans le trou, un crépitement se fit entendre. Quelques secondes plus tard, on voyait dans le trou trois petits corps inanimés se tenant par la main, les vêtements rouges de sang. Les avions ennemis qui avaient accompli leur odieux massacre pouvaient maintenant repartir vers de nou­veaux carnages.

Voici, chers téléspectateurs, le deuxième épisode des massacres de la guerre 39-45, qui vient de se ter­miner. J'espère vous retrouver demain pour la suite de notre feuilleton. » (C.E.S. Gonesse.)

EXPERIENCE AU LYCEE FRANÇOIS-VILLON - 14» (Pr D. BURGOS)

CLASSE DE 2e AB2 — 32 élèves «faibles», qui préfèrent les exercices de création à tous les autres.

TRAVAIL PREPARATOIRE : Lecture du texte (dis­tribué) :

La Plage de Robbe-Grillet (instantanés). Les élèves remarquent son caractère étrange, son « vide d'évé­nements ». Mis au passé, il est entièrement à l'im­parfait : c'est une description, même la lre phrase ( « Trois enfants marchent le long d'une grève » ) —• très objective : il ne semble y avoir de trace du narrateur que dans « sans doute » (2e ligne) — « une douzaine d'années » (3e ligne) — « assez large » (2e paragraphe).

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Page 111: SENS ET COMMUNICATION

CONSIGNE : Choisir trois éléments (trois phrases) du texte — les inclure dans un récit libre. Le pas­sage du présent au passé est permis.

DUREE : 2 heures, le travail préparatoire compris.

OBSERVATION DES TEXTES PRODUITS :

Les éléments choisis : tows les éléments du texte, avec une fréquence variable. Ils ont quelquefois réellement déclenché l'imagination. D'autres fois, ils semblent avoir été intégrés plus ou moins laborieu­sement à une histoire banale, souvenir de vacances ou fragment de roman feuilleton.

— La plage n'a au total été que le lieu d'une fuite, d'une poursuite (il n'y a alors qu'une simple drama­tisation du paysage)

— ou d'une histoire de mort (action même du récit ou souvenir)

— ou d'une histoire d'amour — ou de jeux et autres activités liées à la mer.

Dans 7 devoirs la plage, a totalement disparu au profit d'opposés (?) : 2 histoires de montagne — 2 histoires de forêts — 3 histoires dans une ville ou un village... Restent le beau temps et/ou les per­sonnages de Robbe-Grillet. Parfois îa mer a pris pratiquement toute la place (histoires de naufrage, de pêche). Deux fois la plage a été éliminée au profit de la falaise, là où elle n'a plus de plage à ses pieds (ou se jette ou tombe dans la mer).

— Les trois enfants sont quelquefois devenus très adultes — une fois, trois rochers ! Deux fois, à la fin de l'histoire ils sont trois fantômes, ou trois om­bres (le chiffre 3 des contes).

Plus remarquable est le passage à deux : deux en­fants de sexe différent — deux amoureux — un chien et son maître.

Deux fois on passe à plus de trois : une sortie d'école, les gens d'un village...

— « Ils s'avancent côte à côte se tenant par la main » est l'élément le plus utilisé (dans 20 récits) parce qu'il créait un lien entre les personnages que toute l'histoire expliquerait (c'est ce qu'on dit les élèves).

— « Une douzaine d'années » : en syntaxe libre, l'expression a été utilisée une fois dans le sens de : « il y a longtemps, une douzaine d'année»...

-— « Celui du milieu, cependant, est un peu plus petit que les deux autres. »

Elément utilisé réellement pour trois rochers — et un groupe : un enfant entre l'homme et la femme.

— « Il fait très beau. » « Le soleil éclaire le sable jaune d'une lumière vio­lente, verticale. » « Il n'y a pas un nuage dans le ciel. Il n'y a pas non plus de vent. » « L'eau est bleue, calme, sans la moindre ondulation venant du large... »

Tous éléments utilisés presque toujours avant ou après le moment le plus dramatique. En oppo­sition — une fois le calme et la sérénité du ciel ont été ceux de la nuit !

— « Ils sont blonds, presque de la même couleur que le sable... »

Elément peu utilisé, toujours pour un couple.

— Ils sont habillés tous les trois de la même façon, culotte courte et chemisette... »

Elément peu et mal utilisé — trop contraignant. On peut noter encore que tous les récits sont à la 3" personne sauf trois.

COMPTE RENDU EN CLASSE. 1 heure.

Essentiellement lecture de devoirs permettant de voir l'essentiel de ce qu'avaient « donné » les élé­ments du texte de Robbe-Grillet et de chercher pourquoi.

PROFIT TIRE ET CRITIQUE

Le rapport description-narration est apparu tout à coup comme très étroit. En même temps qu'il a semblé clair qu'un même élément objectif pouvait s'intégrer très bien à quantité d'univers différents. Pour être plus poussé, le travail devrait peut-être être fait sur des éléments fixés pour toute la classe — ou être une suite à tout le texte ?

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Les « histoires » autour des éléments du texte de Robbe-Grillet :

II c - EXERCICES SUR « LA MODIFICATION »

— Deux amants seuls, avant la fin du monde. — Trois enfants en fuite — prennent une embarca­tion — meurent. Leurs fantômes à minuit... — Tournage d'un film. — Deux enfants qui s'aiment et découvrent leur nudité. — Trois enfants — une partie de bain, des jeux... (3 fois). — Elle — amour déçu — se jette dans la mer depuis la falaise. — Trois enfants perdus qui viennent de la forêt — marchent vers un pêcheur (deux fois). — Trois enfants poursuivis pour avoir souri à l'en­nemi — on les assassine. — Trois enfants découvrent un livre dans une épave. — En montagne des gens passent une frontière pen­dant la guerre. — Trois enfants en mer —- un noyé. — Deux amoureux. — Sortie de l'école — beau temps — on part vers des jeux. — Un conte : découverte d'une amphore magique — le nain qui vivait à l'intérieur se venge — les trois enfants sont changés en fantômes. — Une femme archéologue •— découverte de trois rochers — s'endort, — rêve. — Trois noirs (dont un enfant) fuient un lyn­chage. — Dans une ville trois personnes que suit le narra­teur vont voir un mort (victime de la ville). — Trois enfants en pèlerinage sur la plage : un 4e était tombé de la falaise. — Deux enfants, un garçon et une fille jouent sur la plage = rêve du garçon. — « Je » pleure un amour mort en mer. — Dans les bois des enfants découvrent une mai­son. — Trois enfants font naufrage, puis sont sauvés. — Départ pour la pêche (3 jeunes). — Trois pêcheurs en mer. — Trois jeunes — excursion en montagne. — Monologue d'un chien dont le maître s'est noyé. — Trois enfants trouvent un homme blessé.

1. Présentation de la fiche

LA MODIFICATION

Il fait effort pour garder les yeux fixés sur les lignes agitées par le mouvement du wagon, pour aller plus vite dans sa lecture mais sans rien laisser échapper d'important, un crayon dans sa main droi­te, marquant de temps en temps une croix dans la marge, parce que ce texte doit lui servir à préparer quelque chose, un cours sans doute qui n'est pas prêt et qu'il doit donner cet après-midi, un cours de droit probablement puisque, si le titre courant danse trop pour que vous puissiez le déchiffrer à l'envers, vous êtes pourtant capable d'identifier les trois premières lettres L, E, G, du premier mot qui doit être « législation », vraisemblablement à Dijon puisqu'il n'y a pas d'autre université sur la ligne avant la frontière.

Il porte une alliance à son doigt effilé et agité ; il doit venir faire ses cours deux ou trois fois par semaine, une seule fois peut-être s'il s'est bien débrouillé, s'il a un pied-à-terre là-bas ou un hôtel assez bon marché qui lui convienne, parce qu'il ne doit pas être royalement payé, et laisser sa femme à Paris où il habite comme la plupart de ses col­lègues, avec ses enfants, s'il a des enfants, qui sont obligés d'y rester à cause de leurs études, non qu'il manque d'excellents lycées dans cette ville mais parce qu'ils ont déjà peut-être leur baccalauréat, l'aînée du moins, ou l'aîné (c'est une réaction très sotte, c'est entendu, mais il est sûr que vous auriez préféré que votre premier-né fût un garçon), car, s'il est certainement plus jeune que vous de quelr ques années, il s'est peut-être marié plus tôt, et ses enfants, mieux suivis, n'auront pas eu de difficultés à faire des études plus brillantes que Madeleine, par exemple, qui n'en est qu'à sa première à dix-sept ans.

Il tourne la page avec fébrilité, il revient en arrière ; il n'a pas la conscience tranquille ; il doit se re­procher d'avoir reculé jusqu'à ces dernières minutes un travail qu'il aurait dû terminer depuis longtemps en toute tranquilité ; ou bien une difficulté sou­daine a-t-elle surgi et s'est-il brusquement obligé à reprendre complètement tout ce qu'il avait en effet préparé, cette leçon dont il croyait ne plus avoir à s'occuper et qu'il recommençait tous les ans sans

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Page 113: SENS ET COMMUNICATION

histoires depuis l'obtention de son poste ? Il y a une distinction véritable chez lui, et, on le sent, de l'honnêteté.

Michel BUTOR «La Modification»

Exercices :

a) TRANSFORMATION DE «IL» EN «JE» C'est un exercice proche du précédent {La Plage, exercice a) . Mais le texte ayant un caractère inter­prétatif très marqué, les élèves pourront remarquer des différences avec celui de Robbe-Grillet. Alors que ce dernier se contente d'appels de narration, Butor amorce nettement la narration par le jeu de l'interprétatif et trace la voie de toute production de récit.

Remarques :

— On peut se contenter du premier paragraphe ou étendre l'exercice à tout le texte.

— On avertira les élèves du cas de « vous », sans toutefois leur dire nécessairement qu'il disparaît, ce qu'ils auront à découvrir.

Certains détails qui disparaissent avec « je » peu­vent être conservés à une condition, qu'il s'agisse d'un récit au passé, de souvenir. Les élèves sauront-ils retrouver cette condition ?

b) RE-ECRITURE DU TEXTE

Consigne : « A, B et C » sont dans un comparti­ment. A et B décident de décrire C.

A décrit C et montre ce qu'il a fait à B. C'est le texte de Butor. B déclare qu'il n'est pas d'accord avec cette des­cription et réécrit le texte de Butor en y intro­duisant son interprétation.

2. Compte rendu des premiers résultats

2.1. CONDITIONS MATERIELLES

L'expérimentation s'est déroulée selon les procédures et dans les classes suivantes :

— Oralement, l'enseignant consignant les résultats de la discussion collective en :

• 1 A, Maisons-Alfort où, après la lecture du texte, il est laissé un temps de réflexion avant la mise en commun des résultats. • 4e, C.E.S. Saint-Denis. • 4e D A, C.E.G. Paris.

— Par rédaction individuelle suivie d'une confron­tation collective en 2" A et 2e AB, Gonesse.

Proposition d'approche

Pour des élèves de 4e (Saint-Denis), le professeur a ressenti la nécessité de préparer la classe par l'observation-interprétation d'une photographie re­produite dans l'ouvrage utilisé. Devant les deux personnages de l'image dont ils doivent dire « ce qu'ils sont», les élèves emploient spontanément les formes de modalisation et les termes introduisant l'interprétation ( « je l'imagine »..., « je me le repré­sente... »). Le professeur fait alors procéder à l'in­ventaire de ce vocabulaire et relever les éléments icôniques qui motivent les différentes interpréta­tions. La transformation du texte de M. Butor se trouve alors en terrain connu.

2.2. COMMENTAIRE CRITIQUE DES RESULTATS

I. LA TRANSFORMATION DE IL EN JE

1.1. La logique du nouveau récit

Le travail de transformation entraîne pour tous les élèves la disparition des formes de modalisation (doit, sans doute, probablement...) et des alterna­tives. Toutefois, la réduction des interprétations pro­posées par M. Butor dans « il doit venir faire ses cours deux ou trois fois par semaine... » a posé quel­que problème. Plusieurs élèves de 2e n'ont pas hésité à écrire : « Je viens faire mes cours deux fois par semaine parce que je me suis bien débrouillé; que j 'ai là-bas un pied-à-terre... ». Ces élèves, pour qui faire cours et venir faire cours étaient iden­tiques, superposaient sur un professeur du supérieur les schémas professionnels du 1er et 2* degré ; venir à Dijon deux fois par semaine leur semblait donc un allégement.

Presque toujours les liens de causalité ont été réta­blis par l'introduction de «car», «puisque»... à la place de «si».

La transformaion de IL en JE a enfin entraîné des changements de registre dans le langage : « je me

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Page 114: SENS ET COMMUNICATION

reproche de... » devient pour certains « je m'en veux de... », «je n'ai malheureusement pas...») et des investissements sémantiques ( « s'il a... » est devenu pour quelques élèves « car j'ai loué... »). Ces trans­formations sont ressenties comme étant moins im­personnelles. Le souci de rétablir une logique dis­cursive plus « naturelle » a même parfois mené à un retournement du schéma de base, ex. : au lieu de «je viens faire mes cours une seule fois par semaine parce que je me suis bien débrouillé», un élève (2e) écrit : « je me suis débrouillé pour ne venir qu'une seule fois parce que je ne suis pas royalement payé».

1.2. Elucidation

La nature de certaines expressions ou la façon dont les élèves les ont intégrées dans leur nouveau texte a nécessité des phases d'élucidation.

Le mélange, dans une même phrase, d'éléments constatifs et évaluatifs a prêté à des discussions' qu'il n'était pas nécessaire de trancher pourvu que les élèves en sentissent la pertinence. Alors que tous, par exemple, ont éliminé « il porte une alliance à son doigt... », certains acceptent très bien de dire ou d'écrire : « je tourne les pages avec fébrilité », car l'évaluation subjective de « avec fébrilité » compense la distance que suppose le détail consta-tif « je tourne les pages ».

Le maintien de certains détails objectifs a obligé les élèves à préciser dans quel(s) contexte(s) telle ex­pression pourrait être effectivement maintenue et à découvrir la nouvelle fonction que revêtent ces détails. Que JE précise qu'il tient son crayon dans la main droite et droite devient insistance signifi­cative sur ce qui peut être le masque d'un criminel gaucher, ou sur la présence suggérée d'une main gauche menaçante... Il en est de même pour le main­tien d'une expression telle que « puisque il n'y a pas d'autre université avant la frontière » (2e). JE se révèle alors comme un universitaire trafiquant de drogue ou relai d'une organisaton étrangère pour lequel un poste à Dijon est à la fois une couverture et un moyen. Cette elucidation met les élèves en situation de discours et a mené par exemple une

élève de 2* à constater que « finalement tout a un sens»... dans un certain contexte.

IL RE-ECRITURE

Une ré-écriture du texte, peu expérimentée, a pré­senté un double écueil : celui de la pauvreté, si les élèves s'en sont tenus aux détails du texte qui ferment de plus en plus les possibilités d'interpréta­tion (les variantes concernent essentiellement la na­ture de la lecture, roman policier, pornographique...), ou celui d'une très grande dispersion si d'autres détails sont intégrés.

III. RE-EMPLOI

Consignes proposées : — décrire le personnage d'une photographie et imaginer ce qu'il peut être (4°, Saint-Denis).

— Dans la rue, dans le métro, un passant vous in­trigue. Vous l'observez et vous essayez de déterminer qui il peut bien être (4e, Paris).

Dans les deux cas, les travaux montrent qu'il est difficile, surtout pour de jeunes élèves, de maîtriser la verbalisation et l'interprétation de signes gestuels, vestimentaires, icôniques... Les récits sont souvent confus, voire incohérents car l'exercice exige une rigueur très contraignante. Dans la seconde consigne, « intrigue » oriente presque tous les récits vers une forte narrativité (style de l'enquête), et « porte même certains élèves à oublier le jeu description-interprétation pour passer à l'assertion catégorique.

Si les consignes de ré-écriture et de ré-emploi ont permis aux élèves de se heurter directement aux difficultés de ce procédé d'écriture, il semble néan­moins que les obstacles aient été trop grands pour que les travaux aboutissent à des résultats encou­rageants et positifs. Par contre, bien que la trans­formation de IL en JE, liée à la longueur des phrases demande un effort de concentration non négligeable, l'exercice a été bien accueilli et a prêté à des discus­sions fructueuses.

M.-M. BEAULU

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Page 115: SENS ET COMMUNICATION

STRUCTURES NARRATIVES : PREMIERS EXERCICES

PRELIMINAIRES

Nous présentons, ici, le premier temps d'une série d'expérimentations sur les structures narratives.

On n'oubliera pas, en prenant connaissance de cette expérimentation, que notre propos est de faire dé­couvrir les composantes d'un phénomène pour mieux les recomposer ensuite dans une totalité. L'expéri­mentation qui suit portera donc essentiellement sur la différence fonctions/qualifications ; d'autres exer­cices ultérieurs, porteront sur d'autres distinctions.

Enfin on n'oubliera pas, non plus, notre cadre d'ac­tivité pédagogique en trois phases — Pratique-dra­matisation / Connaissance-élucidation / Pratique-production — (voir A, Problématique, II), et l'on constatera que cet exercice correspond aux deux premières phases, la dernière ne pouvant se faire que lorsque l'on aura recomposé la totalité de la « narrativité ».

I - Présentation de la fiche : différence entre fonction et qualification

1. OBJECTIFS

Distinguons les objectifs généraux par lesquels cette fiche se rattache à une série d'expérimentations sur les structures narratives (elle en est le premier temps), l'objectif particulier rapporté à un genre (et un certain sens de ce mot) : la bande dessinée.

1.1. OBJECTIFS GENERAUX

On pose le problème des structures en narration : telle est la visée théorique de cette fiche (1). Cet objectif peut au moins être formulé de deux fa­çons.

(1) Cf. Annexes théoriques (infra) : Eléments pour une description des structures narratives (C. Chabrol).

1.1.1. .Repérer les structures et le sémantisme du récit

Les « personnages » peuvent être identifiés à des types (par généralisation) ou «actants». Ils relè­vent alors des structures. Ils ont une « psychologie », un portrait physique, etc. : ces propriétés relèvent du sémantisme particulier à chaque « histoire ». II en va de même dans le récit pour les actions de ces personnages, les moyens qu'ils utilisent, les objets : tous ces éléments peuvent être désignés de manière générique ou particulière (cf. Propp). Il existe sans doute une continuité entre les structures et le sé­mantisme. Mais dans la perspective structurale il importe de percevoir les différences.

1.1.2. Distinguer fonction et qualification

Il faut montrer aux élèves que certains énoncés servent au récit ( « font progresser l'histoire ») alors que d'autres affectent aux personnages, aux objets, des qualités sans conséquence pour le récit : les premiers énoncés sont des fonctions, les autres des qualifications.

1.2. OBJECTIF PARTICULIER

On fera percevoir aux élèves la différence entre les fonctions et les qualifications dans des séquences de bande dessinée. Dans ce cas, la différence ne joue pas sur des énoncés. Elle porte sur les éléments graphiques représentant le décor, l'air et l'attitude des personnages. On évitera de travailler sur ce qu'ils disent : il est plus commode de ne travailler que sur l'élément graphique.

2. PROCEDURE

2.1. On donne aux élèves une image de B.D. ex­traite de sa séquence et on leur demande de l'ob­server de façon à laisser de côté les éléments des­criptifs inutiles et à réécrire un contexte, une séquence qui tienne compte des éléments utiles, c'est-à-dire des fonctions.

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Page 116: SENS ET COMMUNICATION

2.2. Comme pour les expérimentations précéden­tes, on fait travailler les élèves en groupes de 4 ou 5. Chacun des groupes a la même tâche. Les résultats auxquels ils parviennent sont confrontés en séance collective. La présentation à la classe de la séquence alimente la réflexion collective sur l'opposition qua­lification/fonction.

3. PREPARATION

Rappelons que l'usage du magnétophone est de loin le meilleur moyen de réfléchir après coup à l'exer­cice et d'en tirer des conclusions pédagogiques et théoriques.

Avec cette fiche, des images de B.D. sont à la dispo­sition des maîtres. S'ils veulent faire d'autres choix, notons que plusieurs points sont à considérer : — Certaines images sont peut-être trop pauvres en éléments narratifs et trop riches en qualifica­tion. Elles suggèrent une seule séquence et annulent l'intérêt d'une situation compétitive entre les grou­pes. — On doit pouvoir supprimer les bulles et autres textes sans préjudice pour l'exercice. — Les images en couleur ne peuvent être convena­blement reproduites.

Cette fiche ne nécessite pas de sensibilisation parti­culière des élèves : on peut l'utiliser comme un point de départ.

4. DEROULEMENT

4.1. LA CONSIGNE

Distribution de l'image à chaque équipe.

1) Enumérez dans le détail tous les éléments que vous voyez dans l'image. 2) Que font les personnages ? Que faisaient-ils avant ? Que feront-ils après ? (Que viennent-ils de faire ? Que vont-ils faire ?).

3) Barrez dans l'énumération les éléments qui ne servent pas dans votre récit.

Cette consigne est précise. Cependant on peut pré­voir des difficultés. Signalons-en deux, peut-être saura-t-on mieux répondre aux groupes s'ils posent des questions sur la consigne :

— les élèves risquent de raconter une histoire n'ayant que des liens très vagues avec les « fonc­tions » visibles dans l'image. Mais cette éventualité

est justement une chose que l'on veut connaître par l'expérimentation ; — ils peuvent raconter des séquences situées à un autre niveau de la structure narrative (Barthes, la «syntaxe narrative subrogeante», Communications n° 8) que la séquence choisie. Toutefois s'ils tiennent compte des fonctions de l'image, il n'y a pas de raison de les en empêcher.

4.2. TRAVAIL DE GROUPES On proposera aux groupes de désigner leur rappor­teur.

Les descriptions et les récits seront portés sur des feuilles différentes.

Si les élèves ne peuvent se mettre d'accord dans leur groupe, ils feront leur propre récit.

Enfin il est possible de demander d'abord à cer­taines classes (lBr cycle ?) de dessiner les images qui précèdent et celles qui suivent l'image observée.

Mais il est indispensable ensuite de leur demander de faire un récit verbal d'après leur dessin.

4.3. ELUCIDATION PAR CONFRONTATIONS Chaque groupe lira tour à tour : — l'énumération des traits relevés dans l'image, — son récit.

Un second tour de classe aura lieu pour que les groupes donnent lecture des éléments qu'ils n'auront pas barrés dans l'énumération.

On présentera enfin la B.D. originale aux élèves.

Cette discussion collective sera notée soigneusement (ou enregistrée) : les résultats en sortiront.

5. RESULTATS

Ils peuvent être présentés dans un tableau comme celui-ci :

Groupe 1 . . Groupe 2 . . Groupe 3 . . Groupe 4 . .

Description de l'image

Eléments retenus

Actions imaginées

Les tableaux et le compte rendu de l'élucidation collective seront très utiles au groupe de conception.

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Page 117: SENS ET COMMUNICATION

II - Exercice de production : élaboration d'une consigne et compte rendu des résultats

a) ELABORATION DE LA CONSIGNE

Voici un exemple de travail préparatoire à l'étude du récit

Le récit choisi étant une nouvelle de Buzzati « le K » ; le groupe de conception en a fait une analyse des structures narratives.

Puis il a utilisé le schéma narratif de cette nouvelle pour élaborer une consigne que les élèves devront suivre pour produire leur propre récit (ils n'ont pas encore connaissance de la nouvelle).

Le problème est de trouver une consigne qui na soit ni trop vague, ni trop précise, ni trop directe­ment liée au récit de la nouvelle. On s'est vite aperçu en travaillant sur la formulation de cette consigne que la tâche n'est pas aisée, car, en fait, il n'y a pas de structures narratives purement for­melles ; le contenu sémantique des signes engage toujours dans une direction « interprétative ».

Consigne

1) X et Y partent ensemble.

2) Ils rencontrent Z être (mystérieux / fabuleux I non naturel).

3) Y raconte à X qui est Z et lui dit que Z cherche à lui nuire (à lui, X).

4) Les rapports entre X et Z : tantôt X s'éloigne, tantôt il se rapproche de Z. X se décide à établir le contact avec Z. Z lui apprend qu'il ne cherche pas à lui nuire.

5) X transmet un don à Z.

Remarques sur le choix des termes soulignés

1) Partent en mer a semblé trop engagé sur le plan sémantique et trop directement en rapport avec «le K» .

2) Animal surtout combiné avec fabuleux engageait trop dans le fantastique. Fabuleux, mystérieux sont également engagés, mais non naturel est tout de même orienté sémantique-ment.

3) Révèle : trop marqué, dit a semblé préférable. Le suit a semblé trop marqué par son sémantisme de «constance», «régularité», voire «fatalité».

4) S'éloigne et se rapproche ont été préférés aux termes attraction - répulsion beaucoup plus mar­qués sémantiquement.

b. COMPTE RENDU DES RESULTATS

b.l. CONDITIONS MATERIELLES

Les travaux ont été réalisés à partir de cette consi­gne dans les classes de : — 5e, C.E.S. Gonesse — 4% C.E.G. Paris — 4e, C.E.G. Paris — 4e C.E.S. Gonesse — 1™ Saint-Denis à partir d'une consigne différemment formulée, en classe de 2e (Gonesse) ; nous ne rendrons pas compte ici des résultats et noterons simplement que les termes choisis ont orienté tous les récits vers le fantastique — confirmation apportée par l'expé­rience de l'importance du contenu sémantique pour les structures narratives.

Dans deux classes (2" et 1") la rédaction des contes a été faite en groupe. Tous les travaux ont été commentés collectivement.

b.2. COMMENTAIRE CRITIQUE DES RESULTATS

Le caractère ouvert de la consigne a permis d'ob­tenir un éventail de récits fort variés : récits senti­mentaux, merveilleux, récits d'espionnage, de scien­ce-fiction... La « nature » de ces récits ne dépend pas tant d'un fonctionnement différent du schéma narra­tif que du lieu, du temps, des caractéristiques prêtées aux personnages, de tout ce que les élèves ont in­vesti dans cette trame commune.

Contenu et rôle de la première séquence

X et Y y sont nommés, sauf dans quelques récits de 5e et plus particulièrement dans les récits de science-fiction où les lettres semblent être conser­vées comme signes d'un univers technologique où la « personne » est un matricule. Ils sont situés socia­lement (pauvre, riche, remarié, jeune marié...), pro­fessionnellement (espion, cosmonaute, paysan...). En donnant aussi les raisons du départ (voyage de no­ces, mort accidentelle du père en Afrique, mission spéciale...) et la destination du voyage, cette sé­quence situe le récit dans un temps et dans un

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espace définis, lui donne ses caractéristiques et les conditions d'une vraisemblance à laquelle est atta­chée toute une tradition romanesque.

Enfin cette séquence donne la nature des rapports établis entre X et Y. L'expression « partent en­semble » a fait créer parfois entre les deux personna­ges de fort liens dus à la situation (cosmonautes en­fermés dans un vaisseau spatial, spéléologues pri­sonniers de la terre à la suite d'un éboulement...)-Ceci aura des conséquences importantes pour la troi­sième séquence.

Exemples de 1™ séquence : « Deux amis, Axelle et Jacques, profitèrent de leurs vacances (1) pour se rendre en Afrique (2) où le père de Jacques, qui venait de mourir (1), exploitait une plantation (1) » (4e). «Nous sommes au XXIII' siècle (1). Depuis très longtemps déjà les voyages interplanétaires sont pra­tiqués (1) par l'humanité. X et Y partent dans un vaisseau spatial qui décolle dans un bruit assourdissant en direction d'une pla­nète lointaine (2). Après un long voyage, X et Y atterrissent sur une terre nue, dépourvue de verdure, au sol rocailleux et déchiqueté (2) » (4°).

Chacune de ces séquences prend soin de souligner la vraisemblance de l'histoire (1) tout en ménageant les signes (2) que nos habitudes de lecture nous permettent de reconnaître comme amorces d'aven­tures.

Contenu et rôle de la deuxième séquence

Elle ferme l'éventail des possibilités d'aventures ou­vert par la séquence 1 en choisissant une seule aventure parmi d'autres probables.

Elle renforce les signes de suspens donnés dans la séquence 1, que la rencontre soit attendue ou non. Exemple 1 : rencontre attendue (il y avait eu rendez-vous).

Deux espions, XT 15 (Y) et KT 14 (X) arrivent à New York où ils rencontrent Archer (Z), 3e es­pion : «... dans un bar tranquille de la 23* avenue vers neuf heures du soir. Là leur agent les mit au courant d'une nouvelle invention concernant les sous-marins atomiques. Les renseignements avaient l'air vala­bles ; il n'y avait aucune raison de se méfier, sem­blait-il» (4e).

La négation du doute, capitale pour la suite, souligne

le climat de mystère, de méfiance dans lequel bai­gnent les récits d'espionnage.

Exemple 2 : rencontre due au hasard (suite du 2* exemple supra). « Tout semble désert, rien ne trouble le silence lorsque surgit, comme par enchantement, dans un bruit de tonnerre et dans une lumière aveuglante, Z, le robot. D'une stature gigantesque, son corps d'acier est surmonté d'une tête massive et carrée avec deux antennes. Trois lampes clignotent à la place des yeux J. (4*).

Cette apparition donne forme à l'inquiétude suscitée par le dénuement et le silence d'un lieu inexploré.

L'apparition, dans l'univers quotidien, d'un génie sorti d'une lanterne, ou l'arrivée dans une forêt du chevalier à l'armure d'or fixe le caractère merveil­leux des récits.

Dans cette séquence, X et Y sont réduits au rôle de témoins.

Contenu et rôle de la troisième séquence

C'est la première séquence qui pose des difficultés aux élèves car elle est un nœud du récit qui relie les signes distribués précédemment afin de rendre cohérent et vraisemblable que X soit seul visé et que Y ait des raisons de prétendre connaître les inten­tions de Z. C'est sur elle aussi que repose le déroule­ment des deux autres séquences.

Certains élèves ont surmonté la difficulté en pré­parant cette séquence. Ex. : Qualifié de menteur dans la séquence 1, Y prétend savoir qui est le génie apparu. Tout en s'inscrivant dans une vraisem­blance « psychologique », son intervention va attirer les soupçons (séquence 4).

— Y rapporte à X les propos tenus par Z dans un entretien où X était absent.

— Y interprète des informations reçues au sujet de Z : « Plus tard, cependant, XT 15 reçut des détails sur Archer. Il les communiqua à son collègue (X, cf. supra) en ces termes : «il se pourrait qu'Archer soit un agent double ». »

L'élève fait l'économie de ces détails mais le lecteur retient surtout l'interprétation motivée par la mé­fiance soulignée dans la séquence 2, qui déclenche la suite du récit dans lequel l'enquête concerne désor­mais les activités de Z.

— X a nui, il y a longtemps, à Z que Y reconnaît.

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— Y reproduit un savoir antérieur venu des fonds de la tradition (comme dans la nouvelle de Buzza-ti) .: « Oh, dit Jean (Y) en voyant arriver le chevalier à l'armure d'or ? Je le reconnais. Sauve-toi vite. Il va nous capturer pour se servir de nous comme esclaves. »

Certains élèves ont limité cette séquence à la for­mule même de la consigne.

Ex. : Deux explorateurs, Castel (Y) et Midon (X), pris dans un éboulement, ont vu apparaître Bore-no (Z). « Castel apprend à Midon que Boreno lui veut du mal» (4').

Pourquoi Midon peut-il prétendre savoir cela ? Pourquoi Castel serait-il seul visé alors que tous deux éprouvent la même peur devant l'animal fantas­tique ? ¡Nous n'en saurons pas davantage.

Ces ellipses que l'on retrouve dans la plupart des récits où X et Y, enfermés dans un lieu clos, sont tous deux concernés par la même menace, montrent que cette consigne, malgré la liberté qu'elle laisse, demande l'élaboration d'une logique du récit assez serrée. On peut voir aussi dans ces manques le résul­tat maladroit d'une intuition intéressante : une me­nace, un mystère sont d'autant plus grands que le narrateur ménage des zones d'ombre, des parts d'in­connu. Maladroits ou pertinents, les silences pèsent lourd dans un récit. C'est lors de la confrontation des travaux que peut être faite cette sensibilisation.

L'absence d'investissement sémantique pour l'ex­pression « cherche à lui nuire » a eu aussi pour conséquence de rendre inopérant le rôle d'opposant présumé donné par Y à Z. Le personnage, « être de papier » est donc lui aussi un tissu sémantique. Jusqu'à la fin de cette séquence, Y puis Y et Z sont les acteurs principaux l'un étant le détenteur d'un savoir que X se contente pour l'instant de recevoir, et l'autre l'objet d'une communication truquée en­tre Y et X.

Contenu et rôle de la quatrième séquence

Orientés par l'expression « se décide à », tous les élèves ont fait douter X de ce qu'a dit Y. Temps faible dans la suite narrative, le début de cette séquence prépare la vraisemblance de la décision prise par X. Dans le mouvement de va-et-vient attraction-répulsion, les rapports entre X et Z vont progressivement se modifier, entraînant par là-même une modification des rapports entre X et Y (qui dis­

paraît du récit ou qui se montre de plus en plus jaloux, voire franchement hostile).

Comme l'invitait à le faire la fin de la séquence donnée, le retournement de la situation ne tient presque jamais à un changement de rôle de Z (un exemple de journaliste effectivement rival de­venu allié) mais à la rectification du faux savoir transmis par Y qui restitue à Z sont rôle d'adjuvant motivé par la transmission du don. Cette fin de séquence apparaît comme le deuxième nœud du ré­cit.

Contenu et •iôle de la cinquième séquence

Alors que dans la nouvelle de Buzzati cette séquence joue un rôle bien plus important que la précédente, il n'en est pas de même dans les récits d'élèves. Le don ponctue le plus souvent les révélations faites par Z sans apporter une dimension nouvelle à la signification du récit. En fait, il n'est pas facile de trouver un don qui s'inscrive parfaitement dans l'ensemble du récit. Cette séquence laisse place aux plus grands prodiges, même dans les récits réalistes (l'ex-mari, par exemple, qui a harcelé le nouveau couple de Tahiti en Allemagne et d'Allemagne en Suisse, voulait lui faire cadeau de... 50 000 F...). Les élèves qui ont choisi un récit merveilleux ont eu la tâche plus facile (don de l'immortalité, de la richesse recherchée faits par le chevalier-magicien, la fée...). Cette séquence est alors capitale. Ceci nous montre donc que le terme « don » rappelle un type de récit bien particulier (le conte de fées) et suscite des fins merveilleuses plus ou moins bien intégrées dans la narration.

Dans quelques copies, la transmission du don (un diamant magique par exemple) déclenche une nou­velle séquence : — Y essaie de s'emparer du diamant ; — mort des trois personnages.

Cet exercice est donc une approche — qui ne saurait suffire — des relations entre des formes, des modèles narratifs généraux et le sémantisme d'un récit. Il est à intégrer dans les exercices préparatoires à la dif­ficile distinction entre fonctions (et séquences de fonctions) et qualifications.

Des élèves de lre ont écrit — toujours sur la même consigne — des parodies de roman sentimental en vidant les séquences du contenu sémantique voulu par ce type de récit.

Cet exercice permet aussi, à partir d'une pratique réelle, de sensibiliser les élèves au rôle que joue

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chaque séquence dans la progression du récit et aux liens nécessaires qu'entretiennent entre eux les dé­tails distribués sur plusieurs séquences.

Enfin cet exercice a fait naître non seulement le désir de connaître la nouvelle de Buzzati et d'en dégager toutes les séquences mais celui d'étudier le schéma narratif de récits plus longs comme La Mare aux diables. A Saint-Denis, une classe de 2e a compo­sé des récits sur le schéma narratif dégagé du Petit Chaperon rouge par une autre classe de 2e. Autant de prolongements que la consigne comportait, même sans formulation explicite.

M. M. BEAULU

ANNEXE

Voici deux exemples de récits produits par un élève de 4e (C.E.G. Paris) et par un élève de 5e (C.E.S. Gonesse) à partir de la consigne.

« Deux amis, Axelle et Jacques, profitèrent de leurs vacances pour se rendre en Afrique où le père de Jacques, qui venait de mourir, exploitait une plan­tation. Ils furent surpris, en débarquant, de rencon­trer un certain monsieur Henri qui leur propose de les héberger.

Axelle, fouillant sa mémoire, se rappelle qu'il était l'associé du père de Jacques, ce qu'ignorait son ami.

Il le mit au courant et lui demanda de se méfier de monsieur Henri, le soupçonnant de vouloir s'ac­caparer le bien de Jacques et se demandant jusqu'à quel point il n'aurait pas provoqué l'accident qui fut fatal au père de son ami pour devenir le seul maître de l'exploitation, ignorant l'existence de ce fils.

D'un côté comme de l'autre s'installait un climat de méfiance car ce monsieur Henri ignorait également les intentions de Jacques. Monsieur Henri leur donna un boy pour les diriger à travers les plantations et les aider dans un pays dont ils ignoraient les dangers. Jacques fut convaincu que le boy était là pour le surveiller et se montra nerveux. Cependant l'attitude de monsieur Henri, l'amour que lui por­taient les Noirs, la renommée qu'il avait dans le pays, tout prouvait que c'était un honnête homme et Jacques se trouvait ridicule de le soupçonner ; mais dès qu'il essayait de se rapprocher de lui, il se souvenait des avertissements d'Axelle et il ima­ginait les pires hypothèses.

Un jour, cependant, sa curiosité et son impatience le poussèrent à aller voir monsieur Henri et à se faire raconter l'accident de son père ; celui-ci le fit sans gêne. Il lui confia qu'il était inquiet de voir ce jeune homme arriver, peut-être décidé à vendre l'exploitation pour obtenir sa part et à rentrer immédiatement en France alors que lui et son père avaient eu tant de mal à tout mettre en œuvre. Il lui offrit tous les domaines, lui demandant de lui en laisser la direction, Jacques accepta avec joie et lui demanda de rester à ses côtés pour ap­prendre ce métier et le seconder » (élève de 4e).

« L'histoire se déroule il y a bien longtemps, en 120 000 av. J.-C. X est un skorgliz, venant de Skorgle. Sa peau est rose, il mesure 8 m 75 et pèse 350 gr. Il n'a pas de tête mais il possède six bras articulés et douze pieds. Y est un tégoratus de Tégoro ; sa peau est bleue, il mesure 35 mm et pèse 15 kg. Il a huit têtes, pas de bras et cinq pieds. Y a sauvé X d'un ma-mouthus dinosaurus qui allait l'écraser, et depuis, ils sont amis. Un jour ils partent à la chasse sur leur auto-fusée-aéro-jeep avec leurs missiles de poche. En chemin ils se trouvent soudain devant un terri­fiant horrorus. Il mesure 1 m 85, pèse 80 kg. Il a une tête, deux bras, deux jambes et sa peau est blanche. Y a déjà vu un de ces êtres et il raconte à X que Z est très dangereux et qu'il va les manger. X veut partir mais sa curiosité le retient. Il approche de deux pas et recule de trois. Puis, prenant son courage à deux mains, il avance résolument vers Z. Pendant ce temps, Y s'enfuit de ses cinq pieds. X, fi­nalement, arrive devant Z qui lui parle en ces ter­mes : « Je ne suis pas un monstre, et je ne te man­gerai pas. Comme tu es courageux et que tu ne t'es pas enfui, je fais te faire le don qui te revient de droit et que j'avais gardé pour moi depuis 700 années. Ce don est celui de pouvoir faire la cuisine comme un grand chef ».

X saisit le don, qui était une araignée migale, sort son pistolet thermique et, d'une rafale de gaz mor­telle, envoie Z dans l'hyper-espace à jamais, réduit en poussière à jamais. « Bon débarras », dit-il. Puis, il revient vers Y celui-ci, resté à quelques mètres de là, a tout vu. Il saisit son laser et appuie sur la détente en direction de X. Celui-ci meurt, une expression d'ahurissement dessinée sur le visage. La migale s'étant échappée pique Y de son dard em­poisonné. Y, après des souffrances atroces, mourra à son tour » (élève de 5°).

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C. - ANNEXES THÉORIQUES

• ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION DES CIRCUITS DE COMMUNICATION ET DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS DANS LE GROUPE

• ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION SEMANTIQUE DES ENONCES D'UN DIA­LOGUE

• ELEMENTS POUR UN CLASSEMENT SEMANTIQUE DES CATEGORIES GRAM­MATICALES

• ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION DES STRUCTURES NARRATIVES

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ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION DES CIRCUITS DE COMMUNICATION ET DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS DANS LE GROUPE

Il s'agit, ici, d'un ensemble de remarques à propos des circuits de communication, et non point de l'ex­posé de telle ou telle théorie psycho-sociologique.

Conscient, que le maître ne peut être à la fois un spécialiste en psychologie, en linguistique, en socio­logie, etc., nous voudrions cependant, lui fournir les quelques éléments pertinents de l'appareil psycho­sociologique qu'il pourra utiliser avec profit. Et, soucieux que nous sommes de ne pas appliquer des concepts scientifiques à la pédagogie, mais bien d'interroger ces concepts à la lumière d'une problé­matique pédagogique, il convient de dire à ce propos, que notre exposé n'est pas tributaire de la seule psycho-sociologie, mais aussi de la sémio-linguis-tique.

Un groupe peut se définir par :

— l'information qui s'y produit ;

— la situation matérielle de communication dans laquelle il se trouve ;

— la consigne de tâche qui est donnée ;

— le comportement de fait des membres du groupe.

Les trois premières composantes nous permettent de décrire les circuits de communication qui naî­tront de l'exécution d'une tâche donnée (I).

La quatrième composante nous amènera à interroger le comportement de fait des membres du groupe (II), comportement qui pourra remettre en question la description a priorique des circuits de communi­cation.

I. DESCRIPTION DES CIRCUITS DE COMMUNICATION

1. L'INFORMATION

Celle-ci doit être considérée sous deux aspects : — l'orientation des échanges d'information ;

— la dominante de ces échanges.

Au confluent de ces deux aspects, les échanges — conscients ou pas — se constituent en réseaux de cir­culation de l'information qui peuvent se combiner dans une successivité (par phases) et aboutir à plu­sieurs situations.

e LES RESEAUX (1) SONT :

— circulaire, — diagonal,

— centralisé, — complet.

• LES PHASES (1) SONT :

1) Echange général d'information. 2) Constitution de la majorité. 3) Action de la majorité sur le déviant.

(1) Cf. Flament, «¡Réseaux de Communication et Struc­tures de Groupe », Dunod.

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• LES SITUATIONS DE RESEAU SONT :

— Réseau complet : Il se constitue à l'issue des trois phases précédentes. L'ensemble se constitue en NOUS, puisque, après la phase 2, la majorité agit sur le déviant (X).

— Réseau centralisé sur A (XAB)

Phase 1 : B et X ne peuvent échanger leurs infor­mations que par l'intermédiaire de A. Phase 2 : Se constitue normalement entre A et B. Phase 3 : C'est A qui agira sur le déviant (X) mais en tant que JE porte-parole du NOUS (A-B).

— Réseau centralisé sur X (AXB) Phase 1 : Cette fois, c'est A et B qui ne peuvent échanger leurs informations que par l'intermédiaire du déviant (X).

Phase 2 : A et B n'étant pas en contact la majorité peut se contituer, du moins par l'échange d'infor­mation. Il n'y aura pas, ici, de NOUS.

Phase 3 : A et B peuvent agir sur le déviant (X) mais en tant que JE individuels qui auraient même opinion mais pas sentiment de leur communauté. Dans cette situation, le déviant se défend mieux et peut conserver son indépendance, voire rallier à lui A et B.

2. LA SITUATION! MATERIELLE DE COMMUNICATION

Nous nous référons, ici, à la situation proprement linguistique, et nous reprenons donc notre question­naire de situation de communication (2), réduit à ses éléments pertinents pour notre étude.

(JE)-TU : — Le TU est-il présent ou absent ? — Y a-t-il échange ou non entre JE et TU ?

— La communication est-elle directe ou médiate ?

(JE)-objet-référent : — Est-il présent ou absent ?

— Est-il commun ou non au JE et au TU ?

(2) Voir : p. 67.

Le canal :

•— Est-il oral ou graphique ?

— Y a-t-il du gestuel, de Yicônique ?

3. LA CONSIGNE DE TACHE

Celle-ci détermine, chez les sujets qui reçoivent la consigne, une attitude a priorique vis-à-vis de l'objet sur lequel ils travaillent et vis-à-vis de leurs inter­locuteurs.

Il s'agit donc des points de vue (ou vision) que tout sujet-JE peut avoir sur l'objet-référent d'une part et sur le ou les interlocuteurs-TU d'autre part.

Nous retrouvons donc ce que nous avons défini comme étant la situation de discours (3), que nous simplifions ici pour la description des circuits de communication :

JE-TU :

Quel type de distance le JE établit-il vis-à-vis du TU?

Quel type d'agression utilise-t-il ?

Comment, aux termes de la consigne, le JE doit-il voir le TU ?

JE-objet-référent :

• Quel type de distance JE établit-il vis-à-vis du réfèrent (prend-il en charge son discours ou s'en désolidarise-t-il ?).

• Est-ce que les termes de la consigne (par ses présupposés, sous-entendus et implications) oblige le JE à voir le réfèrent d'une certaine façon ?

Ces premiers éléments nous permettant de décrire d'une façon a priorique (c'est-à-dire nous permettant de prévoir) les circuits de communication qu'impli­quent les exercices que nous imaginons, il faut maintenant se donner un moyen de décrire le comportement de fait des élèves, lors du travail en groupe.

(3) Voir : p. 26.

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II. DESCRIPTION DES COMPORTEMENTS INDIVIDUELS DANS LE GROUPE ET DU GROUPE EN TANT QUE TEL

0. En fait, on le devine, il y a interaction constante entre l'individu et le groupe.

Dans l'exécution d'une tâche (quand bien même il y aurait refus d'exécution), le comportement de l'individu est la manifestation de la façon dont il se situe par rapport et dans le groupe, et inversement le comportement du groupe dépend du jeu des inter­relations qui s'établissent entre ses membres.

Mais il est possible de dégager les composantes de cette interaction, composantes que l'on peut regrou­per autour de trois pôles : l'individu, le leader-ani­mateur, le groupe.

a) L'individu : Il se définit comme appartenant à un groupe par :

— UNE «CONSCIENCE D'APPARTENANCE», dont il est difficile de percevoir les motivations, mais dont on peut penser que celles-ci seraient de trois ordres :

• Hédonique, c'est-à-dire le plaisir d'appartenir au groupe est ressenti dans l'instant même de cette appartenance.

• Ethique, c'est-à-dire que l'appartenance au groupe est posée comme un devoir antérieur à l'exécution de la tâche elle-même.

• Pragmatique, c'est-à-dire que l'appartenance au groupe est jugée, cette fois, comme meilleur moyen d'obtenir un certain résultat.

— UNE «DETERMINATION DES OBJECTIFS», qu'il ne faut pas confondre avec la motivation d'ordre éthique. Il s'agit, quel que soit le type de « conscience d'appartenance», du besoin qu'a l'indi­vidu de concevoir des objectifs pour concrétiser l'existence du groupe.

— LES MOYENS qu'on lui donne ou qu'il se donne pour atteindre l'objectif, et qu'il ne faut pas non plus confondre avec la motivation d'ordre pragma­tique. On peut en effet se faire un devoir de parti­

ciper à un travail de groupe (motivation éthique) et vouloir cependant des moyens pour réussir une tâche.

b) Le leader-animateur : Il se définit comme l'in­dividu ayant une action particulière à l'intérieur du groupe. Cette action en fait, n'est pas unique ; elle peut prendre des aspects différents, mais elle se caractérise par une dominante d'influence, ou auto­rité, qui peut provenir de la personnalité de l'indi­vidu — le leader se dégage du groupe — ou qui peut être imposée de l'extérieur -— le leader est affecté d'un attribut institutionnel —.

De ce fait, à un moment ou à un autre, il y a cen­tralisation du réseau de communication sur lui, mais à des degrés divers et par des procédures qui peu­vent être très différentes les unes des autres.

c) Le groupe, lui, se définit au carrefour de deux tensions inverses :

— LE « DEGRE DE COHESION » qui nécessite que les membres du groupe s'attachent à trouver des procédures de travail qui permettent l'information de circuits dans un réseau complet et qui permettent à ses membres de se réaliser pleinement. C'est ce que l'on appelle la « régulation » du groupe.

— LE « DEGRE D'EFFICACITE » qui nécessite que les membres du groupe se préoccupent du contenu de la tâche, de l'atteinte de l'objectif, de la réussite, les procédures n'étant mises en place que pour servir au mieux cette préoccupation. C'est ce que l'on ap­pelle la « rentabilité » du groupe.

On voit donc que, dans le premier cas, le contenu, et l'objectif cèdent le pas aux procédures, alors que dans le second cas, c'est l'inverse qui se produit.

De la détermination et de la définition de ces trois composantes se dégagent donc trois types d'obser­vations, par lesquels nous allons proposer maintenant des questionnaires.

1. QUESTIONNAIRE POUR OBSERVATION DU COMPORTEMENT DE L'INDIVIDU

• Attitude-silence :

— Silence complet (ce qui ne signifie pas obligatoi­rement non-participation).

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• Attitude-action : — Recherche d'informations. — Apport d'informations. — Propositions-suggestions. — Commande, ordonne, règle, organise (voir lea­der) .

— Distrait, amuse, blague. — Démontre. — Juge.

— Illustre (avec ses moyens matériels ou non).

— Aide, défend — soutient l'opinion d'un autre.

• Attitude-question : — Questionne pour avoir des informations.

— Demande qu'on exécute des tâches (sollicitation).

— Propose objections et sollicite réponses.

• Attitude-réponse : — ¡Refus simple I — Refus actif, polémique \

— Indifférence vrai (non concerné)

— Doute (incertitude)

— Acceptation simple — Acceptation active, polémique

NON

( NI OUI \ NI NON

OUI/NON ?

OUI

— Juge les résultats (critique/approuve). — Réduit/augmente les conflits. — Stimule/freine l'exécution. —• Accepte/refuse un travail, une proposition.

— Interroge/interprète/synthétise. — Aide/refuse d'aider.

• Du point de vue de sa participation/non-participation, il peut être : — Autoritaire et rester à l'extérieur du groupe. — Coordinateur et rester à l'extérieur du groupe. — Coopératif et être à l'intérieur du groupe. — Laisser faire et être observateur (il se montre comme tel). — Laisser faire et être absent (evanescence).

3. QUESTIONNAIRE POUR OBSERVATION DU COMPORTEMENT DU GROUPE

• GROUPE CENTRE PRESQUE EXCLUSIVEMENT SUR LE CONTENU

A la limite, ce groupe, totalement centralisé, ne fonctionne que par son ou ses leaders.

2. QUESTIONNAIRE POUR OBSERVATION DU COMPORTEMENT DU LEADER-ANIMATEUR

• Centrage sur le contenu :

— Définit la tâche. — Définit les objectifs. — Donne la méthode. — Découpe la tâche. — Donne des solutions.

• Centrage sur la procédure :

— Donne et répartit les rôles.

• GROUPE CENTRE PRESQUE EXCLUSIVEMENT SUR LA PROCEDURE

A la limite, ce groupe, n'obtenant aucun résultat quant à la tâche qui lui a été confiée, éclate.

• QUELLES ETAPES A SUIVI LE GROUPE Objectifs, propositions, critiques, décisions, etc.

• Í D'OU EST VENUE LA DECISION — d'une autorité individuelle ? — d'une minorité ? — d'une majorité ? — d'une unanimité ?

P. CHARAUDEAU

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ÉLÉMENTS POUR UNE DESCRIPTION SÉMANTIQUE DES ÉNONCÉS D'UN DIALOGUE

Un énoncé peut être décrit à différents niveaux : phonétique, phonologique, morphologique, syntaxi­que, sémantique, stylistique, etc. Chacun de ces niveaux peut être abordé à l'aide de concepts diffé­rents intégrés dans des théories différentes.

Dans cette étude, nous nous attacherons au niveau sémantique, mais en l'abordant dans une perspective particulière : sans nier l'importance de l'analyse du sens des mots d'un énoncé, nous voudrions montrer que cette analyse ne nous donne que peu d'indi­cations sur les conditions d'emplois réelles de cet énoncé.

Or, pédagogiquement, qu'il s'agisse de langue ma­ternelle ou de langue étrangère, il semble bien qu'un énoncé ne puisse être considéré comme « compris » par les élèves que lorsque ceux-ci se montrent capable de le réemployer, tel quel ou avec quelques variations, à bon escient, c'est-à-dire selon les conventions d'emplois suivies par la communauté linguistique dont il relève.

Avant d'analyser, dans cette perspective, un petit dialogue, il est utile de préciser rapidement les concepts qui sous-tendront cette analyse.

1. Sens et communication (quelques définitions)

1.1. Tout acte de communication suppose un lo­cuteur, un auditeur (ou un auditoire) et l'intention, chez le premier, d'influencer le second d'une ma­nière ou d'une autre (dans le cas considéré, à l'aide de messages linguistiques ou para-linguistiques : gestes, mimiaues, ...). Cet acte de communication

se situe dans certaines circonstances spatiales et temporelles auxquelles le locuteur et l'auditeur ne peuvent être totalement indifférents et qui jouent un certain rôle dans la transmission des messages.

Parmi les conditions d'un acte de communication, certaines sont très générales, d'autres sont plus par­ticulières.

Les premières relèvent de ce que nous appelons les types de communication. Elles sont assez abstrai­tes parce qu'elles sont liées à des comparaisons impli­cites entre différentes enunciations, comparaisons qui sont à la base de la typologie traditionnelle qui dis­tingue le dialogue, le récit, l'exposé, l'information radio, etc. Les critères qui permettent de distinguer ces différents types d'énonciation sont assez hété­rogènes, et notre propos n'est pas, ici, d'en proposer de nouveaux et de plus homogènes. Nous voudrions simplement en rappeler quelques-uns.

Parmi les conditions nécessaires à ce type de commu­nication particulier qu'est un dialogue, on peut ainsi distinguer : présence physique obligatoire de l'audi­teur ; possibilité pour celui-ci d'intervenir à tout moment pour donner la réplique ; la faible distance entre les interlocuteurs ; la possibilité d'utiliser les gestes, les mimiques, l'intonation, parce qu'il est difficile de dialoguer par écrit ; la perception d'un univers commun ; etc. Dans ce type d'énonciation, il est possible de distinguer des sous-types ; par exemple, le dialogue de situation, et le dialogue hors situation ; si, assis à la terrasse d'un café, je commande une bière au garçon, en levant la main et en disant : — Un demi, s'il vous plaît !, il s'agit d'un dialogue de situation ; si, à la même terrasse, en buvant ma bière, je discute, avec un ami, du film qu'on vient de voir ou des prochaines vacances, il s'agit d'un dialogue hors situation. Autrement dit, il y a dialogue de situation quand il existe un rapport direct, physique, entre ce qui se dit et l'environne­ment spatial et temporel, entre ce qui se dit et le

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comportement des interlocuteurs ; il y a dialogue hors situation quand il n'y a pas de rapports directs entre ce qui se dit et l'environnement physique (si on parle, par exemple, d'événements passés ou fu­turs) , entre ce qui se dit et ce que les interlocuteurs font (ils peuvent rester assis et discuter des exploits sportifs les plus mouvementés). Au cours d'un même dialogue, il arrive évidemment souvent qu'un énoncé relève du dialogue de situation et que le suivant relève du dialogue hors situation.

Une situation de discours est l'actualisation particu­lière et unique d'un type ou d'un sous-type de com­munication. Elle dépend de l'entourage physique et social, réellement présent ou évoqué, au moment de l'acte de communication (tel genre de table, telle chaise, tel café, telle rue, etc.) ; de l'image que les interlocuteurs se font de cet entourage (pour moi ce café peut être chic, pour quelqu'un d'autre vul­gaire...) ; de l'identité des interlocuteurs (c'est un garçon particulier auquel je m'adresse : il a un âge défini, il est habillé de telle façon, il porte la moustache, etc. ; de l'idée qu'ils se font l'un de l'autre ; des événements antérieurs à l'acte de communication (je ne demanderai pas de la même façon une bière, si je le fais parce que j'ai un moment à passer ou pour lire mon journal, ou si je le fais parce que j 'ai passé une heure ou deux à chercher quelque chose dans les magasins) ; des relations entre les interlocuteurs (je peux être un habitué de ce café ou m'y asseoir pour la première fois) ; etc. Il y a donc autant de situations de dis­cours que d'actes de communication. Mais même si deux situations de discours ne sont jamais tout à fait semblables, elles peuvent être analogues et donc comparables, si par exemple, elles ont un effet identique sur l'interprétation sémantique d'un même énoncé. A partir d'un énoncé donné, il est possible d'imaginer des situations de discours différentes et de regrouper ensemble celles qui, pour des locu­teurs-auditeurs compétents, imposent une interpré­tation sémantique semblable (ou très voisine) de cet énoncé. On peut, ainsi, à partir de chaque énoncé induire une sorte de classification des innombra­bles situations de discours, en regroupant dans la même classe celles qui conditionnent l'interprétation sémantique d'un énoncé donné, de manière identique. Deux situations de discours qui infléchissent de la même manière l'interprétation d'un énoncé donné, seront dites analogues ; les traits communs à l'en­semble de la classe de ces situations de discours pourront être appelés traits pertinents de ces situa­tions de discours.

1.2. Le problème est maintenant de savoir ce que nous entendons par interprétation sémantique d'un énoncé et en quoi une situation de discours peut in­fléchir cette interprétation. L'interprétation séman­tique pourrait être grossièrement définie comme la valeur d'information ou de communication que nous donnons à un énoncé donné, ou bien quelle est l'in­tention de communiquer qu'il prétend traduire. Or, pour un même énoncé, cette valeur de communi­cation peut changer considérablement selon le type d'énonciation et selon la situation de discours. Un exemple suffira à le montrer.

Prenons l'énoncé : Jacques est à la pêche. Hors type d'énonciation et hors situation de discours, les locu­teurs-auditeurs qui savent le français, peuvent en fournir une interprétation sémantique. Nous suppo­serons, pour simplifier, que tous tombent d'accord sur l'interprétation la plus probable : « Quelqu'un qui s'appelle Jacques, est parti essayer de prendre du poisson ». Mais il serait également possible, dans certains idiolectes, d'interpréter cet énoncé : « Jac­ques est parti à la recherche de vieux meubles {chez des brocanteurs) », par exemple. Cette interprétation globale qui correspond à l'interprétation que, sponta­nément, font les locuteurs-auditeurs compétents d'une communauté socio-linguistique donnée de cet énoncé, hors environnement énonciatif et situation-nel, nous l'appelons sens de l'énoncé. Le sens de chacun des mots de l'énoncé correspond au sens global que l'on peut reconstituer à l'aide d'un dic­tionnaire, en choisissant pour chaque terme le sens qui convient quand il y a polysémie. Quand l'énoncé n'est pas ambigu, c'est-à-dire quand il ne comprend pas de mots polysémiques, le sens de l'énoncé est le même pour tous les locuteurs-auditeurs ayant même compétence. Ce sens est constant, présent dans toute utilisation de cet énoncé, quel que soit l'environne­ment. Il correspond sans doute à une « trame •» d'in­terprétation sémantique essentielle à toute langue et que consignent les ouvrages lexicographiques. Il re­lève d'une compétence sémantique.

Mais le sens d'un énoncé peut être infléchi par le type d'énonciation et la situation de discours, on parlera alors de signification de l'énoncé.

Ainsi Jacques est à la pêche dans un dialogue de situation ne traduira pas la même intention de communiquer dans les situations de discours sui­vantes. Quatre personnes se connaissant jouent aux cartes autour d'une table ; Jacques, l'un des joueurs, ne fait pas très attention au jeu ; on sait que c'est un grand amateur de pêche ; son partenaire dit

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l'énoncé en question, la signification en sera quelque chose comme : « Jacques ne fait pas attention, il est encore en train de penser à ses histoires de pêche ». Deuxième situation de discours : une jeune femme ayant pour mari Jacques l'émet devant un jeune homme, qui est un copain de Jacques et qui vient d'entrer en demandant si Jacques est là ; la signification sera à peu près équivalente à « Jacques n'est pas là». Troisième situation : mêmes person­nages, mais le jeune homme est l'amant de la jeune femme ; l'intention de communiquer et partant la signification sera évidemment différente : « nous avons tout notre temps », par exemple. Quatrième situation : le jeune homme a rendez-vous avec Jacques pour partir jouer au football, l'énoncé pourra alors avoir la signification : « il a oublié son rendez-vous ». Et on pourrait ainsi imaginer de nombreuses autres situations de discours qui don­neraient à cet énoncé des significations particulières.

Changer de type de communication change souvent la signification de l'énoncé. Supposons que l'énoncé en question n'apparaisse plus dans un dialogue, mais dans un récit écrit et que ce soit la première phrase de ce récit. Sa signification sera alors voisine de : « je vais vous raconter une histoire, il y a un personnage qui s'appelle Jacques, et au moment où commence l'histoire, il se trouve au bord de l'eau en train de pêcher ».

Pour un même énoncé quelle est la relation entre son sens (ou ses sens s'il est ambigu) et ses di­verses significations ? Nous n'avons pas de réponse précise, mais on peut remarquer d'abord qu'il n'est pas possible de donner n'importe quelle signification à un énoncé de sens donné, du moins si on s'en tient à l'utilisation habituelle de la langue. Jacques est à la pêche, dans un message codé de guerre, pourrait certes signifier « envoyez des avions » ou « vous avez été dénoncés » ou n'importe quelle autre chose, mais seuls les auditeurs ayant connaissance du procédé de codage pourraient saisir cette significa­tion artificielle, tandis que les significations de cet énoncé citées, plus haut peuvent être comprises de tout locuteur-auditeur francophone. Dans l'utilisation habituelle de la langue, cet énoncé, quelle que soit la situation de discours, ne peut avoir la significa­tion : « Jacques se marie dimanche prochain » ou «Jacques roule beaucoup trop vite», etc. Ensuite, il est aisé de voir que les diverses significations pos­sibles de cet énoncé peuvent être regroupées en deux grandes classe : celle où Jacques est présent et celles où il n'est pas présent. Emettre cet énoncé en

sa présence ou en son absence change les sous-entendus mis en jeu par renonciation : dans le premier cas on sous-entend qu'il n'est pas présent mentalement là où il est présent physiquement, sinon l'énoncé devient non-sens ; dans le second cas on sous-entend que quelque chose est possible ou n'est ra^ possible puisqu'il est absent pour raison de pêche. Enfin, on pourrait illustrer ce que nous avons avancé à la fin de 1.1. sur les situations de discours analogues, en montrant, par exemple, que la signi­fication : « nous avons tout notre temps » pourrait apparaître dans des situations de discours diffé­rentes de celles que nous avons décrites.

1.3. La manière la plus ancienne et la plus ré­pandue de manifester la signification d'un énoncé est de traduire la signification de cet énoncé au moyen d'autres mots, soit de la même langue, soit d'une langue étrangère : dire la même chose, autre­ment. La réaction comportementale de l'auditeur à un énoncé ne peut manifester que la signification des énoncés tels que les ordres ou les questions. Pour tous les autres, il n'est guère d'autre moyen que le transcodage à l'aide d'autres mots.

Parmi les transcodages servant à manifester la compréhension du sens et de la signification d'un énoncé, trois nous paraissent particulièrement utiles pédagogiquement, ce sont la paraphrase, le discours rapporté et la création de situations analogues.

Nous ne pouvons, dans le cadre de cet article, étu­dier les différentes sortes de paraphrases. Nous dé­finirons seulement ce que nous entendons par para­phrases d'un énoncé donné : c'est l'ensemble des énoncés qui, utilisés dans le même type de communi­cation et la même situation de discours que l'énoncé de départ, traduisent sensiblement la même intention de communiquer, ou bien ont même valeur d'infor­mation pour un auditeur compétent (1). Ainsi, soit

(1) Cette définition intuitivement simple implique ce­pendant des problèmes théoriques difficiles. La plupart des linguistes qui travaillent actuellement sur la para­phrase cherchent à raisonner les opérations qui permet­tent de passer de la phrase paraphrasée à une phrase paraphrasante ou à un ensemble de phrases paraphrasti­ques, sans tenir généralement compte des contraintes contextuelles ou situationnelles qui interdisent ou auto­risent, au niveau du discours, telle ou telle paraphrase. Notre définition repose sur une démarche inverse : ce sont les contraintes contextuelles et situationnelles qui sélec­tionnent l'ensemble des phrases paraphrastiques, sans que nous cherchions à élucider par quelles opérations il est possible de passer d'une paraphrase à une autre para­phrase.

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la situation de discours suivante (type de communi­cation : dialogue de situation) : deux personnes dans une salle, l'une près de la fenêtre fermée, l'autre en train de travailler dans un coin, il fait très chaud ; la seconde dit à la première : Ouvre la fenêtre ; seront considérées comme paraphrases de la signi­fication de cet énoncé, par exemple, les énoncés : Ah ! si tu pouvais me donner un peu d'air !, J'ai chaud, Avec cette chaleur, Comment veux-tu tra­vailler, Tu voudrais ouvrir, Il fait meilleur dehors que dedans, Pourquoi veux-tu laisser cette fenêtre fermée, etc. D'après sa définition même, la para­phrase ne change pas le type de communication.

Il n'en va pas de même du discours rapporté. Sauf lorsqu'il rapporte un discours déjà rapporté, il sup­pose toujours le passage d'un type de communication à un autre type plus complexe. Entendre un dia­logue de situation ou le rapporter à un auditeur qui ne l'a pas entendu n'implique pas les mêmes contraintes d'énonciation. Le discours rapporté, sous ses formes les plus simples, regroupe ce qu'on ap­pelle ordinairement le style direct, le style indirect, et le style indirect libre, mais il comprend également l'ensemble des termes, expressions, énoncés qui per­mettent de commenter des paroles, des attitudes, des actes de communication. Il a refusé peut-être le discours rapporté de non ; elle la complimente de Vous avez une bien jolie robe aujourd'hui ; elle s'exprime avec distinction de certaines formules choisies. Le discours rapporté, tel que nous l'enten­dons, ne se confond pas avec le passage à la troisième personne. Je peux rapporter que j'ai accepté sa proposition avec empressement, alors que j'avais dit : — oui, avec grand plaisir. Si quelqu'un dans un type d'énonciation comme un exposé dit : — Je prétends que le gouvernement a fait son devoir et que je le rapporte sous l'énoncé : il a prétendu que le gouvernement a fait son devoir, je ne me montre pas rapporteur fidèle. Le discours rapporté devrait être quelque chose comme : il a affirmé avec force que le gouvernement a fait son devoir. Le discours rap­porté peut manifester les sous-entendus : il a dit qu'il serait contre mais, en fait, il est pour ; expliciter ce qui est implicite dans un dialogue de situation, par exemple ; synthétiser de longs développements : il exposa longuement ses arguments; préciser le sens d'une intonation : elle lui a dit, d'un ton iro­nique et attristé, ils sont bien élevés tes enfants ! ; etc. Le discours rapporté est, comme on le voit, une sorte de glose, de commentaire sur un autre discours. Il se différencie, par là, de la paraphrase ; il ne cherche pas à traduire la même intention de commu­

niquer, mais plutôt à dire ce que le locuteur du discours rapporté pense d'un autre discours et la manière dont il l'interprète, non pas, pour l'auditeur du discours de base mais pour celui du discours rap­porté.

La troisième manière de manifester si on a compris la signification d'un énoncé est de le réemployer dans des situations analogues, sans en modifier sa signification. Il est souvent difficile de réemployer l'énoncé tout entier tel quel, le changement de si­tuations de discours entraînant dans l'énoncé même des substitutions paradigmatiques pour l'adapter aux nouveaux referents présents ou évoqués. Ainsi Jac­ques peut être remplacé par Pierre, Paul, Valérie, etc., et la pêche par le travail, la messe, la piscine, etc. Le sens de l'énoncé change donc bien, mais sa structure ne change pas, et, curieusement, les signi­fications obtenues ne sont guère différentes : que Jacques soit à la messe, au travail ou à la piscine, ne change pas l'intention de communiquer de sa femme quand elle reçoit son amant.

Notons que la paraphrase, telle que nous l'avons définie, ici, le discours rapporté et les situations de discours analogues manifestent des significations plus que des sens. Les situations analogues ne peuvent d'ailleurs que manifester des significations, que cel­les-ci coïncident avec les sens ou en diffèrent. Mais le discours rapporté, et la paraphrase, sous une forme proche de la définition du dictionnaire pour les mots, peuvent également manifester le sens des énoncés. Il suffirait de ne traduire que l'interpré­tation sémantique qui reste valable dans toutes les ré-utilisations de cet énoncé. Mais une telle inter­prétation, si elle est possible pour les mots, existe-t-elle toujours pour les énoncés ?

2. Analyse de la signification des énoncés d'un dialogue

2.1. Il s'agit d'un dialogue tiré du cours audio­visuel Voix et Images de France (C.R.E.D.I.F., Didier, Paris, 1962, p. 116). Les types d'énonciation et les situations de discours sont visualisés à l'aide de dessins que l'on projette sur un écran : ces dessins sont au nombre de cinquante trois. Vingt images

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visualisent le type de communication du dialogue. On y voit à la fois la locutrice-auditrice et le locuteur-auditeur. A ces vingt images s'ajoutent quinze images qui ne présentent qu'un seul des personnages du dialogue, mais comme les images sont lues en sé­quences, on a aucune peine à restituer le second personnage hors-champ du dessin. Dix-huit images, enfin, visualisent un type dénonciation très différent du dialogue : l'héroïne remplit sa fiche d'hôtel, elle lit les énoncés inscrits sur la fiche, puis écrit ce qu'on lui demande, en le prononçant. Par rapport à ce qui est écrit sur la fiche, elle est en position d'auditrice (lecteur, en fait) ; par rapport à ce qu'elle écrit, elle est en position de locutrice (et, en même temps, de scripteur). Quand elle écrit, l'audi­teur qui est en face d'elle (l'employé de l'hôtel) n'est normalement pas le destinataire de ses messages : le véritable destinataire est absent, et les énoncés écrits renvoient à des événements qui n'ont pas de relation directe avec les événements et l'entourage physique de renonciation. Les images ne présentent, pour ce type de situation, que les mains gantées, le stylo et la fiche.

Certaines images contiennent des ballons dans les­quels sont dessinés les referents possibles de certains mots ; nous n'en tiendrons pas compte dans cette analyse.

A L'HOTEL

Voix : une cliente, l'employé de l'hôtel, le patron.

Une cliente — Bonjour, Monsieur. Avez-vous une chambre, s'il vous plaît ?

L'employé — Mais oui, Madame. Nous en avons une très jolie au cinquième étage et une autre, plus pe­tite, au deuxième.

Une cliente — Je prendrai celle du cinquième.

L'employé — Le garçon va monter vos valises.

Une cliente — Merci, je n'ai pas de valises.

L'employé -— Combien de jours pensez-vous rester, Madame ?

Une cliente — Je ne sais pas encore... deux jours ou un mois.

L'employé — Voulez-vous remplir cette fiche ?

Une cliente — Est-ce que c'est vraiment nécessaire ?

L'employé — Mais certainement, Madame. Tenez, voilà un stylo.

Une cliente — Nom et prénom : eh bien, mettons... Durand Lucienne.

Née le... ? 26 mars 1933. Née à... ? Née à Paris, naturellement. Profession... couturière, par exemple. C'est gentil d'être couturière, n'est-ce pas ?

L'employé — Mais oui, Madame.

Une cliente — Nationalité : française. Numéro de la carte d'identité : j 'ai perdu ma carte. Date d'arrivée : le 9 mars 1957. Date de départ : je ne sais pas. Moyen de transport : l'avion. C'est tout ?

L'employé — Non, Madame. Vous avez oublié d'écri­re votre adresse.

Une cliente — Ah ! c'est vrai. Rue Lafayette... Los Angeles. Voilà.

L'employé — Merci, Madame. Ah ! voilà le patron.

Le patron — Vous voudriez une chambre, Madame ?

Une cliente — Mais oui, naturellement...

Le patron — Mais... vous ressemblez à quelqu'un que je connais ! Ah ! vous êtes actrice de cinéma !...

Une cliente — Chut ! Ne le dites pas. Je viens me reposer. Je ne veux voir personne.

Le patron — Vous pouvez comptez sur moi, Ma­dame.

Nous n'analyserons que les énoncés qui nous parais­sent présenter quelques problèmes, quant à leur signification (2). Pour alléger la présentation, para­phrase sera réécrit P ; discours rapporté D R ; si­tuations analogues, S A.

(2) Une analyse de ce dialogue avait été entreprise, il y a quelques années par le Bureau Pédagogique de Kaboul, sous la direction de M. ¡Roquemaurel. Cette analyse se situait dans une perspective d'explication à des élèves étrangers. Notre optique est ici différente, mais nous re­prenons quelques points de cette analyse.

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2.2. AVEZ-VOUS UNE CHAMBRE, S'IL VOUS PLAIT?

Au niveau du sens, cet énoncé est ambigu à cause de la polysémie de chambre, qui peut être « une pièce pour coucher », « une chambre à air d'un pneu », « une chambre noire pour photographe ama­teur », « le mobilier d'une chambre à coucher », pour ne tenir compte que des acceptions les plus cou­rantes. Certes la plupart des locuteurs-auditeurs compétents choisiront spontanément le premier, mais les autres ne sont pas exclus dans des situations de discours particulières : un garage devant lequel on a arrêté sa voiture avec un pneu crevé, un magasin de matériel photographique pour amateurs, un ma­gasin de meubles pas très fourni...

Sélectionner le sens « pièce pour coucher » est donc déjà une sélection liée à la situation de discours ; ici, sur l'image, le hall d'entrée d'un hôtel de bonne catégorie.

Le verbe avoir n'est pas ici un auxiliaire, ni une copule, comme dans tu as mal, il a faim, il a son sens plein, mais est-ce qu'ici, selon la définition du dictionnaire, il « indique la possession » ?

Hors situation du discours, le sens de cet énoncé pourrait être : «Etes-vous possesseur ou proprié­taire d'une chambre ». Mais la signification actua­lisée ici serait plutôt : « Pouvez-vous me louer une chambre ».

Quant au s'il vous plaît, est-ce que dans ce dialogue il n'est que « la formule de politesse employée pour une demande, un conseil, un ordre » ? Ou bien joue-t-il un rôle sémantique dans l'énoncé.

En se situant, au niveau du sens, on voit que cet énoncé apparemment très simple à décoder, laisse, pour peu qu'on s'interroge sur la ou les interpré­tations qu'on lui donne, une impression de flou : l'au­diteur lui donne une sorte d'interprétation séman­tique générale, mais aux limites incertaines, et ne peut dire exactement quelle est l'intention de communiquer qu'il est censé véhiculer.

Au niveau de la signification (dans la situation de discours présenté par l'image), l'intention de commu­niquer paraît beaucoup plus précise.

Des P de cet énoncé pourraient être :

— Pouvez-vous me louer une chambre, je vous prie ?

— Je voudrais (louer) une chambre ?

— Est-ce qu'il vous reste quelque chose ?

— Etc.

Le D R donnerait :

— Elle demande à l'employé s'il y a une chambre à louer.

— Elle demande à l'employé s'il a une chambre à lui louer.

— Etc.

S A possibles :

— Chez l'épicier, une cliente : — Avez-vous du beurre normand, s'il vous plaît ?

— Un fumeur qui n'a plus d'allumettes : — Avez-vous du feu, s'il vous plaît ?

— Etc.

Supposons qu'un professeur ou un élève arrête son analyse au sens de l'énoncé et ne cherche pas à déceler l'intention de communiquer mis en jeu par la situation de discours actualisée ici. Il ne produira que des P approximatives. Au D R, il admettra : elle demande s'il a une chambre qui est possible mais imprécis. Enfin le s'il vous plaît, par un élève étranger qui apprend le français par exemple, ris­quera d'être compris comme une forme postiche ne jouant aucun rôle sémantique important dans l'énon­cé, et l'élève ne saura distinguer la différence de sens qu'il y a entre Avez-vous un crayon ? et Avez-vous un crayons, s'il vous plaît ? La première ques­tion, selon les situations de discours, peut entraîner, en cas de réponse affirmative, soit Oui, j'en ai un, soit Oui, en voilà un, mais la seconde ne peut ad­mettre que la réponse : Oui, en voilà un (le Oui, j'en ai un sera ressenti comme ironique — «j'en ai un, mais je le garde», si la réponse n'est pas accompagnée d'un geste de présentation du crayon). Quant au professeur qui voudrait travailler, sous forme d'exercice structural, la structure de cet énon­cé, s'il s'en tient au sens, il aura tendance à bâtir son exercice sur — Avez-vous une chambre ? — Oui, j'en ai une avec substitutions paradigmatiques, alors qu'ici la structure sémantico-syntaxique intéressan­te est — Avez-vous.., s'il vous plaît ? — Oui, je peux vous en donner...

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— MAIS OUI, MADAME.

Le sens de ce Mais peut être interprété comme une particule destinée à renforcer le oui et pourrait être paraphrasé par : Bien sûr, Madame, Bien entendu, Assurément, etc.

On peut se demander si ce sens correspond bien à la signification de l'énoncé ici. Remarquons que dans cette situation de discours, l'employé en cas de refus, ne dirait pas Mais non, Madame, mais sans doute Je regrette Madame, nous n'en avons plus. Bien sûr, bien entendu, assurément ont, dans cette situa­tion de discours, quelque chose d'insolent, leur signi­fication est voisine de « pourquoi poser cette ques­tion, puisqu'il est évident que dans un hôtel il y a des chambres » ou « vous demandez ce qui va de soi ». Le sérieux du visage de l'employé, son ton, démentent cette interprétation.

L'opposition Mais oui / Je regrette est, pour un Français, liée à ce que Bally appelait « une évoca­tion de milieu », autrement dit, elle est connotée. Elle évoque des rapports de service, on l'entend chez les marchands, dans les hôtels, les agences, etc. D'au­tres SA appropriées à cette signification du Mais oui, seraient, par exemple, chez l'épicier : — Avez-vous des œufs frais ? — Mais oui, Madame, ou dans une agence : — Auriez-vous des billets pour l'Opéra ? — Mais oui, Monsieur, etc.

— NOUS EN AVONS UNE TRES JOLIE AU CINQUIEME ETAGE ET UNE AUTRE PLUS PETITE AU DEUXIEME.

Cet énoncé pose des problèmes de syntaxe liés aux pronominalisations : nous en avons une, une autre, au deuxième, mais il est aisé d'en vérifier la compré­hension en demandant de développer l'énoncé en établissant tous les antécédents. Le sens en semble clair, mais sa signification est délicate à déterminer sur deux points : Nous et petite.

Ce nous n'est ni un je -j- ils, ni ce qu'on appelle un nous de majesté (Nous, Président de..., décidons...) ou un nous de modestie (Nous traiterons les points suivants...). Nous signifie ici l'ensemble des gens de l'hôtel qui sont au service des clients. Le patron de l'hôtel dirait, sans doute : — J'en ai une... S A pos­sibles pour ce nous. Une employée de grand magasin à un client : — Je regrette, nous n'en avons plus. Dans une banque : — Nous sommes fermés, le sa­medi.

Petite n'a pas nécessairement ici le sens habituel de «moindres dimensions». Cet adjectif est lui aussi connoté par la situation de discours. Sa signification est une autre moins bien, plus modeste, moins chère, etc. C'est une sorte d'euphémisme, par lequel l'em­ployé cherche à influencer la cliente, en suggérant que si elle choisit cette petite chambre, elle sera considérée comme quelqu'un qui n'a pas les moyens de s'en payer une autre. Et il est courant de craindre le mépris des employés. Réemplois possibles : un vendeur de voitures, d'appartements, etc.

— JE PRENDRAI CELLE DU CINQUIEME.

Deux nouvelles pronominalisations, mais quelle est la signification de ce futur (même oralement on ne peut le confondre avec un conditionnel présent : celui-ci supposerait une intonation de phrase inache­vée, un mais... sous-entendu).

Le sens habituel du futur voudrait que le fait de retenir la chambre soit postérieur à renonciation. Or, en fait, quand la cliente dit je prendrai, elle re­tient, à ce moment même et par l'emploi de ce mot, la chambre. C'est une sorte de performatif : il sert par son énonciation à effectuer l'action qu'il signifie. Ce futur morphologique a donc une valeur de présent. Une P possible serait : — Je prends celle du cinquième. Je prendrai atténue seulement l'af­firmation en la reportant en quelque sorte dans l'avenir, par un procédé un peu symétrique à celui qui nous fait dire : — Je venais vous dire... S A pos­sibles : dans un café (— Que prendrez-vous ?) ; dans un magasin (— J'en prendrai deux mètres).

— LE GARÇON VA MONTER VOS VALISES.

— MERCI, JE N'AI PAS DE VALISES.

Passons sur la polysémie de garçon : dans un hôtel il ne peut s'agir que du sens « employé subalterne », puisque nous sommes ni au bar, ni au restaurant. Mais l'énoncé, au niveau de sa valeur de commu­nication, est intéressant parce qu'en fait il a deux destinataires différents (tous les deux sur l'image), et comme la relation entre le locuteur et ses deux auditeurs n'est pas du tout la même, la signification de l'énoncé change. Pour le garçon, c'est un ordre ; P : — Montez les valises de Madame. Pour la cliente, c'est une simple information ; P : — On va s'occuper de vos bagages.

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Le sens de merci est soit une interjection de poli­tesse employée pour exprimer sa gratitude, soit une particule destinée à renforcer une acceptation ou un refus : — Oui, merci ; Non, merci. Ces deux sens ne sont peut-être pas absents du merci de cet énoncé, mais sa signification n'est pas exactement Non merci et pas exactement je vous en remercie. L'un est trop «sec», l'autre trop poli. Des P pos­sibles seraient : — Ce n'est pas la peine ; — C'est inutile ; etc. D'autres S A : on propose du feu à quelqu'un qui en a (— Merci, j'ai ce qu'il me fout) ; grève du métro, on vous propose une voiture, mais vous devez déjà partir avec quelqu'un (— Merci, j'ai déjà une proposition). L'idée de remerciement subsiste mais elle est secondaire.

— COMBIEN DE JOURS PENSEZ-VOUS RESTER, MADAME ?

Cette question dans la bouche du réceptionniste pourrait être une question très conventionnelle, mais dans ce dialogue elle entretient, implicitement, un rapport logique avec la réplique précédente (— Mer­ci, je n'ai pas de valises). Elle cache un Alors ou Dans ce cas... D'autres S A sont aisées à décou­vrir.

— JE NE SAIS PAS ENCORE : DEUX JOURS OU UN MOIS.

On peut donner à cet énoncé deux significations différentes. Deux jours ou un mois peut être pa­raphrasé par Deux jours, trois, une semaine, un mois, je verrai ou par si je suis bien, un mois, si je suis mal, deux jours. Dans le premier cas ou signifie «entre deux jours et un mois», dans le second il signifie « ou bien deux jours, ou bien un mois ». C'est un ou excluant nécessairement l'une des possibilités. Le premier ou n'est pas exac­tement le et/ou des logiciens ; compte tenu de la situation de discours (en particulier la psychologie et le comportement de la cliente), nous pensons que c'est lui qui est actualisé dans cet énoncé : en fait, elle ne veut pas répondre. Autres S A : après la location d'un appartement (— Vous pensez rester ici longtemps ? — Je ne sais pas, une année ou dix ans) ; projet de grand voyage (— Vous parlez toujours de partir, mais quand allez-vous le faire ? — Oh ; je ne sais pas, dans six mois ou dans vingt ans).

— VOULEZ-VOUS REMPLIR CETTE FICHE ?

— EST-CE QUE C'EST VRAIMENT NECESSAI­RE ?

Répondre à une question par une question est une manière de ne pas y répondre.

Remplir une fiche a ici un sens qui coïncide avec sa signification. C'est le sens répertorié dans les dictionnaires : « inscrire les indications nécessaires dans les espaces laissés en blanc. Exemple : remplir un questionnaire, un mandat, une fiche, etc. ». Re­marquons que la question est ici un ordre poli. La seconde réplique demande une analyse plus poussée. Son sens serait : — Est-ce qu'il est absolu­ment obligatoire de la remplir ? ou — Est-ce que c'est bien vrai qu'il s'agit là d'une formalité obli­gatoire ? Cette cliente est française, elle a voyagé, elle sait qu'en France remplir sa fiche est une obli­gation. Cette question réponse signifie donc quelque chose d'autre que son sens : on ne pose pas une question simplement pour demander ce qu'on sait, surtout quand on a parfaitement conscience que l'in­terlocuteur sait fort bien qu'on en connaît déjà la réponse. La signification de cet énoncé est un sous-entendu qui pourrait se traduire ainsi : « Ayez l'amabilité de me dispenser de cette obligation, je n'y tiens pas ».

Autres S A : on part pour un séjour sous les Tro­piques (— Emporte quelque chose de chaud ! — Est-ce que c'est vraiment nécessaire ?) ; discussion avec un garagiste (— Il faudrait changer le moteur, — Est-ce que c'est vraiment nécessaire).

— MAIS CERTAINEMENT, MADAME. TENEZ, VOILA UN STYLO.

Mais n'a pas ici la signification qu'il avait dans mais oui, il a un de ses sens répertoriés dans les dictionnaires, il vient renforcer le certainement. Tenez, de même, est ici très proche de son sens «prendre avec la main».

— NOM ET PRENOM : EH BIEN, METTONS : DURAND LUCIENNE.

Nous avons signalé plus haut que Nom et prénom relève d'un type d'énonciation qui n'est pas le dia­logue, mais la lecture d'un texte écrit (sous-type : lecture à voix haute). Nous n'en n'analyserons donc pas les significations dans le cadre de cette étude.

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Deux remarques seulement. La situation de discours, visualisée dans le film par la main gantée de brun, celle de la cliente, tenant un stylo pointé sur la fiche d'hôtel, entraîne des modifications syntaxiques particulières (Nom et prénom donnerait dans un dialogue : Quel est votre nom et votre prénom ? La situation permet une « économie » ; on peut penser à un gendarme dressant une contravention!). La cliente pourrait lire en silence, si elle le fait à haute voix, c'est qu'elle veut maintenir un certain contact, un certain dialogue, avec son interlocuteur. Les commentaires qu'elle insère dans sa lecture, s'adressent d'ailleurs autant à l'employé qu'à elle-même.

Eh bien, mettons en est un bon exemple. Le type d'énonciation n'est plus la lecture, mais comme dans la lecture, il n'y a pas d'auditeur présent, on se parle à soi-même (monologue extériorisé). Dans ce type d'énonciation, et dans cette situation de discours, la signification serait : — Ecrivons, ou — Bon, j'écris..., ou Bon, je mets... Mais ce type d'énonciation se complique ici, du fait qu'il n'annule pas celui du dialogue. Et dans le dialogue actualisé ici, mettons a une autre signification. P : Eh bien, si vous voulez, je peux écrire... ; S'il faut absolument rem­plir cette fiche, admettons que je m'appelle Durand. D R : Puisqu'il lui faut remplir sa fiche, elle propose de donner un faux nom. La désinence de la pre­mière personne du pluriel (ons) implique d'ailleurs un nous, que l'employé admet une certaine compli­cité : — Vous êtes d'accord avec moi, n'est-ce pas, pour que je mette... Mettons, ici, a donc une ambi­guïté liée au fait que deux types d'énonciation se chevauchent. Sa signification peut donc être dé­chiffrée sur deux plans. Autre S A : on vous ques­tionne pour un sondage, vous n'aimez pas les son­dages (— Etes-vous favorable à... ? — Oh ! vous savez, moi, les sondages ! Enfin, si vous voulez, mettons...).

Durand est un nom propre évidemment connoté par sa fréquence en France. Lucienne serait plutôt ac­tuellement connoté comme un prénom vieillot pas très distingué : ce n'est pas un prénom à la mode, comme Corine, Stéphanie, Véronique ou Adeline !

— NEE LE... ? 26 MARS 1933. NEE A... ? NEE A PARIS, NATURELLEMENT.

Naturellement a, ici, son sens de «par conséquence logique», mais fonctionne, à notre avis, dans deux types d'énonciation superposés, comme le mettons

vu ci-dessus, il prend deux significations diffé­rentes. Dans le monologue extériorisé, on peut l'in­terpréter par les P suivantes :

— A Paris, c'est normal après ce que j'ai écrit (le raisonnement suivi serait : j 'ai pris le nom de Durand qui est très courant, donc je dois habiter à Paris, là où vit un Français sur cinq). Dans le dialogue avec l'employé, l'intention est sans doute différente, et un peu ironique : c'est un faux nom, Paris est grand, on ne pourra pas vérifier les indi­cations de la fiche, d'où le choix « tout naturel », logique, de Paris. Autre S A : un mari cherche à s'excuser d'un retard (— Qu'est-ce que tu vas dire à ta femme ? — Que j'ai eu une panne, natu­rellement) .

— PROFESSION... COUTURIERE, PAR EXEM­PLE. C'EST GENTIL D'ETRE COUTURIERE, N'EST-CE PAS?

Par exemple également s'inscrit dans les deux types d'énonciation. P du monologue extériorisé : — Pour­quoi pas, couturière, ou bien — je ne sais pas, coutu­rière est un exemple de profession, n'est-ce pas, Monsieur ? Autrement dit, elle feint, en sachant que le réceptionniste n'est pas dupe, de comprendre que Profession sur la fiche signifie : « citez une pro­fession » et non « donnez votre profession ». D'un questionnaire d'état civil, elle fait un questionnaire de vocabulaire. Cette « erreur » n'est pas comique parce qu'elle la fait volontairement pour tourner en dérision des formalités qu'on lui affirme abso­lument nécessaires.

Gentil, ici, a une signification juste à mi-chemin de deux des sens répertoriés de cet adjectif, d'une part un gentil métier peut être un métier « délicat, faisant appel au goût », d'autre part la construction c'est gentil évoque des énoncés comme C'est bien gentil tout ça, C'est gentil, chez eux, mais petit, autrement dit ce qui « se dit d'une œuvre ou d'une chose dont on ne fait pas grand cas». Le premier sens nous semble plus relever du monologue exté­riorisé que le second plus ironique. Le n'est-ce pas invite d'ailleurs l'interlocuteur à accepter ce qualifi­catif mi-moqueur, mi-juste.

— MAIS OUI, MADAME.

Dans la bande enregistrée du dialogue, l'intonation est ici celle de quelqu'un qui « joue » le rôle qu'on veut bien lui faire jouer. Ce mais oui est proche du

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premier que nous avons vu, il se situe dans un rapport client-serviteur, mais l'intonation en change la signification, elle souligne que le réceptionniste accepte le jeu pour mieux laisser entendre qu'il refuse de s'y laisser prendre. L'intention est, à peu près, identique dans les S A suivantes : une femme et son mari (— Ecoute, chéri, tu pourrais m'aider à faire la vaisselle, ce serait gentil, n'est-ce pas ? — Mais oui, chérie) ; on propose comme avantageux quelque chose qui n'est pas considéré comme tel par l'interlocuteur (— Tu ferais une affaire, si tu m'ache­tais cette voiture — Mais oui, mon vieux (c'est toi qui en ferait une).

Nous sautons les trois répliques suivantes qui, dans la perspective que nous suivons, présentent moins d'intérêt, encore qu'il y faudrait analyser la valeur du c'est tout ? et les connotations de Rue Lafayette et Los Angeles. La « logique » des fausses indications semblent les suivre : Lafayette évoque La Fayette, le « libérateur » des Etats-Unis, qui, eux, évoquent Los Angeles, capitale du cinéma qui fait rêver la couturière-actrice (les lunettes noires, son assurance, un incognito aussi volontairement maladroit nous avaient déjà mis sur la piste de la véritable person­nalité de ce personnage).

— MERCI, MADAME. AH ! VOILA LE PATRON. "

Le merci a, ici, une signification qui ne diffère en rien de son sens habituel, mais on peut le comparer à Merci, je n'ai pas de valises. Patron n'a, sans doute, pas ici la connotation populaire et parfois péjorative de la patronne du bar, ou le patron, j'ai pas confiance en lui. On peut se demander d'ailleurs si dans un hôtel comme celui-ci, un réceptionniste désignerait ainsi le directeur devant une cliente... On imagine, en revanche, fort bien cet énoncé entre deux employés de l'hôtel occupés à bavarder au lieu de travailler, par exemple.

— VOUS VOUDRIEZ UNE CHAMBRE, MADA­ME ?

Le conditionnel présent utilisé pour exprimer un désir, un conseil, une demande, un refus, marque conventionnellement une réserve polie : il permet de présenter comme une simple éventualité ce qui, en fait, n'en est pas une (par une sorte de distan­ciation comparable à celle que nous avons vu pour je prendrai). La signification est plus proche de

la P : Est-ce que vous désirez une chambre ? que de : Est-ce que vous voulez une chambre ? Autre S A : à un ami pour demander un service (— Tu voudrais m'aider, Pierre ?).

— MAIS OUI, NATURELLEMENT.

C'est le troisième mais oui et le quatrième mais. Le mais renforce le oui de réponse, comme dans mais certainement (cf. plus haut). C'est le second natu­rellement, son sens est sans doute le même que le premier, mais la signification est un peu différente, il renvoie à un raisonnement logique, mais comme télescopé en une évidence ( « Si je suis dans un hôtel, c'est forcément pour demander à y loger » ). On reproche à l'interlocuteur le fait de poser une question dont la réponse est évidente. Autres S A : un jour de pluie, une mère et son fils qui part pour l'école (— Dis maman, je mets mon imperméable, — Mais oui, naturellement) ; (— J'éteins les lampes, en partant, — Mais oui, naturellement). Ce re­proche est agressif ou moqueur ou indulgent, selon l'intonation.

— MAIS... VOUS RESSEMBLEZ A QUELQU'UN QUE JE CONNAIS !

Cinquième mais du dialogue ! Ce mais est classé dans les dictionnaires comme « entrant dans les phrases exclamatives ou interrogatives ». Il exprime «le doute, l'hésitation, la suspension et aussi l'étonne-ment », dit Littré. La signification dépend donc de l'intonation : ici, vraisemblablement, il renvoie à un moment d'hésitation dans la reconnaissance. Au­tre S A : quelqu'un arrive chez vous, il ne vous semble pas inconnu (Mais... c'est Jacques!).

Sans vouloir nous attarder sur les dernières répli­ques, nous tenons à signaler l'intonation de Ah ! vous êtes actrice de cinéma ! qui au D R pourrait donner : il se rappelle soudain qu'il l'a vue en photo (l'image montre le patron faisant un signe de la main vers une affiche collée sur le mur et sur laquelle on lit Cinéma).

— CHUT ! NE LE DITES PAS. JE VIENS ME REPOSER. JE NE VEUX VOIR PERSONNE.

Ne le dites pas, en dialogue, peut entre autres, apparaître dans deux types de situation de discours : soit le locuteur le prononce quand un de ces inter-

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locuteurs est prêt à dire quelque chose que lui, locuteur du Ne le dites pas, ne veut pas entendre, soit dans des S A comme celle du dialogue étu­dié.

Au D R, dans le premier cas, l'énoncé pourra don­ner : — X... l'arrêta en lui demandant de ne pas dire ce qu'il avait l'intention de dire ; dans le second on pourra avoir : — Il lui demanda (le pria, lui ordonna) de ne pas le dire ou bien — Il lui demanda de ne pas le répéter. Celui-là implique de ne pas le dire aux personnes présentes au moment de renonciation, celui-ci de ne pas le dire aux per­sonnes que l'auditeur pourra rencontrer.

Je ne veux voir personne pose un problème de signi­fication amusant. Une analyse syntaxico-sémantique de cet énoncé conduit à dire que le sujet de l'infi­nitif voir est je et que son objet est personne. Le sens serait donc : « mon intention, ma volonté est que moi, je ne vois personne». Mais ici, la signi­fication semble différente, elle est : «Je veux que personne ne me voit». L'objet syntaxique devient donc le sujet sémantique de l'infinitif et le sujet syntaxique, son objet sémantique. Comme P pos­sibles, on peut imaginer : — Que personne ne vienne me déranger ; — Personne ne doit savoir que je suis ici ; — Je ne reçois personne. Il est vrai que quand on voit on risque d'être vu.

3. Remarques sur la conduite de cette analyse et sur ses applications pédagogiques possibles

3.1. Pour ne pas compliquer l'analyse, nous avons fait comme si ce dialogue était un dialogue dont nous aurions été témoins. Or, en réalité, ce dialogue s'emboîte dans un type de communication très diffé­rent de celui du dialogue. Le professeur de langue étrangère qui le découvre dans le sous-type de com­munication : lecture muette. Le locuteur du discours qu'il lit n'est pas présent : c'est l'auteur créateur de ce dialogue. De plus le professeur lecteur le lit dans une situation de discours particulière : pour faire son cours, ou par curiosité pédagogique. Les énoncés, dans ce type d'énonciation et dans cette situation, prennent alors d'autres significations qui se surajou­

tent à celles que nous avons analysées. L'énoncé — Je prendrai celle du cinquième sera décodé comme incitation à travailler en classe la pronominalisation par celui, celle, ceux, celles ; pensez-vous rester, voulez-vous remplir, je ne veux voir comme le pré­texte à aborder et à systématiser la construction : verbes autres qu'auoir ou être suivis d'un infinitif ; etc. Le professeur de langue, habitué à ce cours audio-visuel, découvre donc des intentions qu'un lecteur peu informé ne découvrira pas. Or, ces in­tentions de communiquer étaient pourtant celles de l'auteur du dialogue qui l'a écrit dans un but, avant tout, pédagogique. Pour lui, ses auditeurs étaient d'une part les professeurs utilisateurs du cours, d'au­tre part les élèves. Ce qui explique en partie que la cliente lise à haute et très distincte voix ce qui est écrit sur la fiche. Il est vrai, comme nous l'avons vu, qu'elle veut maintenir un contact avec l'em­ployé : elle veut qu'il soit au courant de ce qu'elle fait. La lecture à haute voix se justifie donc, non seulement par des raisons pédagogiques (que les élèves puissent connaître la prononciation de ce qui est écrit), mais aussi par des raisons internes au dialogue.

Ainsi, il peut y avoir plusieurs « lectures » des signi­fications d'un dialogue aussi simple, et nous nous en somme tenus aux intentions de communiquer « conscientes » des personnages ou de l'auteur du dialogue, mais on pourrait également — ce que font de nombreux professeurs — chercher les indices des intentions masquées, « inconscientes », de l'auteur par exemple. Pourquoi avoir choisi cette française un peu snob ? Pourquoi un hôtel de bonne caté­gorie ? Quelle est l'idéologie mise en jeu par ce dialogue ? Quelle image l'auteur a-t-il voulu trans­mettre de la civilisation française Quelle image, involontairement, livre-t-il de lui-même ? Etc. Mais comme les méthodes pour analyser les idéologies ou les mobiles sous-jacents à un texte demeurent mal maîtrisées, malgré les progrès que leur a fait faire la psychanalyse, le risque d'une interprétation à ce niveau est qu'il n'y ait plus de communication et que le décodeur ne fasse du texte un miroir où il lit ses propres phobies et ses propres désirs, sans trop tenir compte de ce qui est réellement dit et des raisons, conscientes ou non, qui ont pu amener l'au­teur à le dire ainsi.

3.3. D'un point de vue pédagogique, c'est la « lec­ture » que nous avons longuement analysée qui nous paraît la plus intéressante.

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Dans un enseignement de langue étrangère s'ap-puyant sur une méthodologie audio-visuelle, elle est indispensable, s'il est vrai que ce qui importe le plus dans l'apprentissage d'un idiome nouveau ce sont, dans un premier temps, les significations, les sens se constituant peu à peu à partir des diverses significations de discours. Vouloir s'en tenir aux sens, tels que les classent plus ou moins spontanément les locuteurs-auditeurs francophones compétents, revient à ne pas tenir compte des conditions d'énonciation et de discours qui font que tel énoncé peut être réemployé ou ne pas l'être. Or la connaissance de ces conditions est nécessaire à l'élève étranger qui veut faire un usage du français voisin de celui qu'en font les Français. De plus nous savons, par de nom­breux travaux portant sur la comparaison des lan­gues, que chaque langue découpe l'univers séman­tique à sa manière et que ces découpages mettent souvent en jeu des distinctions beaucoup plus fines que les distinctions répertoriées dans les dictionnaires sous le nom de sens ou acceptions. Un Français ne distinguera pas deux voilà dans Voilà l'autobus («qui arrive») et voilà Madame X... (« je vous la présente ») ; un étranger, selon sa langue maternelle, le fera, parce que dans cette langue la formulation sera tout à fait différente dans un cas et dans l'autre.

Pour la pédagogie de la langue maternelle, une analyse des significations des discours non litté­raires nous paraît pouvoir apporter une contribution intéressante aux techniques d'elucidation du sens. On pourrait procéder plus systématiquement que nous l'avons fait ici (de crainte d'être trop long), énoncé par énoncé, en demandant d'abord les para­phrases (le professeur ou les élèves écartant celles qui ne semblent pas convenir au type d'énonciation et à la situation) ; puis en demandant d'imaginer des situations analogues de réemplois, soit de l'énon­cé tel quel, soit de l'un ou l'autre de ses éléments (ceux qui posent problème) ; enfin en passant au discours rapporté qui permettra d'expliciter à l'aide d'un lexique et d'une syntaxe différents les cir­

constances d'emploi des formes et la signification véhiculée par ces emplois. Un tel travail nous paraît pouvoir être profitable comme entraînement au compte rendu, à la narration, mais aussi comme approche de la grammaire.

H. BESSE

BIBLIOGRAPHIE

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TODOROV T., Problèmes d'énonciation, in Langages n° 17, mars 1970, Didier-Larousse, Paris, 1970.

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ÉLÉMENTS POUR UN CLASSEMENT SÉMANTIQUE DES CATÉGORIES GRAMMATICALES

INTRODUCTION

1. Il ne s'agit pas, ici, de parler méthodologie de l'enseignement grammatical, on l'aura compris par avance, mais il ne s'agit pas davantage de donner une description complète des catégories grammati­cales du français.

2. Si l'on se reporte à notre « Essai de définition d'une recherche pédagogique pour « Sens et Commu­nication», on se rappellera que notre méthodologie essaye d'éviter le cloisonnement des différentes ap­proches de la langue française tel que enseignement grammatical, enseignement lexical, enseignement lit­téraire, etc., et qu'au contraire nous essayons de placer l'élève au cœur des problèmes de découverte du sens d'une façon plus globale.

C'est pourquoi cette courte étude, si elle concerne plus particulièrement les catégories grammaticales du français cherche plutôt à fournir le cadre d'une réflexion sémantique qui permette d'accéder à une « nouvelle » grammaire, celle de la communication.

3. Et si l'on se reporte également à notre première partie sur 1' « Elucidation du sens » (I), on se rappel­lera que notre méthodologie part toujours de procé­dures de discours (récit, sketches, fautes, etc.), car nous ne croyons pas à une récurrence possible de la découverte des structures sur la pratique du lan­gage, si cette réflexion sur les structures se fait pour elle-même.

Il faut, cependant, pour que puisse se faire cette récurrence dans une méthodologie de l'élucidation, que le maître dispose d'un « savoir interroger » ces procédures de discours. Et c'est donc dans l'intention

de lui fournir un tel « savoir interroger » que nous lui proposons cette étude.

4. Nous commencerons donc par un rappel de quel­ques bases théoriques (I) de notre réflexion linguis­tique, celles qui concernent : — le schéma de communication (1.1.) ; — les fonctions du langage (1.2.) ; — la hiérarchie de ces fonctions (2.).

Puis nous donnerons les composantes de structura­tion (II, 1.2. et 3), un exemple de structuration : la quantification (4) et enfin une ébauche de struc­turation sémantico-grammaticale (5).

I. RAPPEL DES BASES THEORIQUES

« Fonctions du langage et points de vue énoncia-tifs du JE (locuteur). »

1. SCHEMA DE COMMUNICATION ET FONCTIONS DU LANGAGE

1.1. Rappelons d'abord que nous définissons l'acte de communication en général, comme un acte qui met en œuvre un processus double de « symboli-sation-transmission » et que, du même coup, tout

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sujet communiquant (JE) se livre à une double activité de symbolisation du réel, et de transmission de cette symbolisation à un interlocuteur (TU) qui réagit et avec lequel il est obligé de compter.

a) L'activité de « symbolisation » place le JE au carrefour du monde (IL) et du code linguistique dont il dispose, code qu'il peut d'ailleurs modifier en se donnant une technique que nous appelons « technique de discours ».

Ainsi placé, le JE se construit, par l'acte même de communication, une vision linguistique — un savoir sur le monde —, cette vision étant manifestée d'une façon plus ou moins explicite par le discours pro­duit.

b) L'activité de « transmission » oblige le JE à prendre en considération le TU parce que les réac­tions du TU sont les seules preuves de la trans-

1.2. Cette situation du JE, au carrefour du monde-IL, du Code et du TU, se livrant à une double acti­vité de « symbolisation-transmission » nous permet, du même coup, de mettre en évidence les différentes fonctions du langage (1).

(1) Nos fonctions ne sont pas tout à fait celles de R. Ja­kobson bien qu'elles s'en inspirent. L'honnêteté voudrait que nous nous en expliquions, mais le lecteur compren­dra que ce n'est pas ici le lieu.

mission effective d'une communication. Or le TU peut manifester qu'il comprend ou ne comprend pas, ou comprend mal le discours produit par le JE ce qui va faire prendre conscience à ce dernier de la spécificité de son discours et va l'inciter à re­chercher un consensus avec l'aide du TU. Cela veut donc dire que tout interlocuteur ne saisit qu'une partie (V'L') de la vision linguistique du JE (VL) que celui-ci, par ses elucidations (techniques; méta-linguistiques), essaie d'agrandir. Et si l'on sait que les rôles des protagonistes de la communication sont interchangeables, on dira que toute communication repose sur une dualité « consensus/spécificité » qui est la marque de la différence des codes du JE (Co­de L) et du TU (Code L'), et qui nous fait poser l'hypothèse que toute communication repose sur un rapport de surenchère polémique JE-TU et que c'est en fonction de ce rapport que se façonne la vision linguistique du monde (IL).

c) D'où le « schéma de communication » suivant :

a) Rapport JE-TU et « fonction polémique »

Elle se compose de trois types d'activité : « discri­mination», «mise à distance», et «agression/ complicité ».

• ACTIVITE DE «DISCRIMINATION». Car le JE doit manifester par son discours (ou son compor­tement non-verbal) à quel TU ou à quel type de TU il s'adresse, pour se mettre « en prise » avec lui.

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A cet égard, il dispose de signes linguistiques — les « appellatifs » — (tu, vous, noms de famille, pré­noms, titres, formules de salut et autres expressions de début ou fin de dialogue) — qui lui permettent d'alerter son interlocuteur et au besoin de le dis­criminer dans un ensemble de locuteurs possibles ; on peut, à ce titre, les appeler «termes d'adresse».

• ACTIVITE DE « MISE A DISTANCE ». Car lors­que le JE s'adresse à quelqu'un, il ne peut éviter de manifester, à travers son discours — et donc à travers le choix des signes auquel il s'est livré pour fabriquer son discours — un certain type de rap­port qu'il établit avec le TU du point de vue de ce que l'on pourrait appeler la «familiarité». Ainsi dans « mon cher, vous m'ennuyez ! », mon cher ¡et vous, en même temps qu'ils sollicitent un interlo­cuteur particulier («Termes d'adresse»), sont l'in­dice d'une certaine distance, difficile à caractériser, mais que l'on perçoit différente de celle que signalait l'énoncé « mon vieux, tu m'ennuies ! » dans lequel on peut considérer que mon vieux et tu réduisent cette distance (de même la série « mec ! toi ! vous ! monsieur ! Excellence ! Majesté ! » montre, pour un type de contexte donné, une mise à distance chaque fois plus grande).

Mais cette « mise à distance » ne se manifeste pas qu'à travers les appellatifs. Elle peut tout aussi bien se manifester dans le choix des structures syn­taxiques correspondant à une même classe sémanti-co-grammaticale (il ya plusieurs façons de donner un ordre ou de poser une question), ou bien encore par le choix des termes lexicaux («je ne puis»/ «des clous », ou «casser les pieds» à la place de « ennuyer » ce qui réduirait davantage la distance JE-TU).

Une remarque importante : C'est dans cette « mise à distance » que l'on retrouve une partie des fameux « niveaux ou registres de langue » — qui sont en fait le résultat d'une certaine « mise à distance » et d'une certaine « situation de communication ». Ces termes nous ont habitué à concevoir ce phé­nomène comme une stratification verticale de ni­veaux autour d'une référence-norme (on voit bien là, la tradition positiviste), alors que sa seule justi­fication linguistique réside dans le type de rapport qui s'établit entre JE et TU.

• ACTIVITE D' « AGRESSION/COMPLICITE ». Car tout JE, dès l'instant qu'il « prend possession de la parole», se met en position de supériorité vis-à-

vis du TU, et essaie, par là-même, de lui imposer son « univers de discours ». En quelque sorte il « agresse » le TU. Celui-ci, à son tour prend la parole et retourne le rapport d' « agression » en devenant JE, et ainsi de suite. C'est cette suren­chère, nous l'avons dit, qui fonde la communication en général comme reposant sur un rapport dialec­tique JE-TU, et c'est elle qui fonde plus particu­lièrement cette fonction polémique, c'est pourquoi nous prenons ici cette activité dans un sens plus strict.

Sans entrer dans le détail, nous dirons que cette activité peut revêtir deux aspects discursifs : l'as­pect «injonctif» et l'aspect «persuasif».

— L'aspect « injonctif » ne laisse aucune alternative au TU ; c'est ce que l'on voit se manifester, à des degrés divers dans les modalités d'ordre.

— L'aspect « persuasif » — avec son complémen­taire le « dissuasif » — est plus intéressant du point de vue d'une analyse du discours puisque, dans ce cas, le JE, cherchant à enfermer habilement le TU dans un certain système de pensée, met en œuvre une « technique de discours » qui va des stéréotypes les plus grossiers à une fine rhétorique.

b) Rapport JE-IL : « fonction situationnelle »

Il s'agit pour le JE, de se situer par rapport au monde qu'il conceptualise. Par exemple, lorsque JE dit «viens ici» ou «je te retrouve là-bas», il manifeste, à travers le choix de certains signes, sa situation dans l'espace par rapport à un point de référence donné.

Evidemment on pourrait objecter que cette fonction dépend aussi du rapport JE-TU puisque le JE, en fin de compte, sait toujours quelle est sa situation et n'a donc besoin de la préciser que pour la « signi­fier » au TU. En fait, nous pensons que cette « si-gnifiance » tient à ce qu'est d'une façon plus géné­rale l'aspect « transmission » de la communication, et l'on pourrait dire, alors que toutes les catégories ou signes linguistiques ont ce rôle de « signifiance ». Il nous apparaît cependant que tout « point de vue situationnel » appartient au rapport JE-IL puisque c'est le JE, et lui seul, qui décide du point de réfé­rence.

Nous dirons donc que cette fonction situationnelle repose sur deux points de vue : spatio-temporel et notionnel.

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— POINT DE VUE SPATIO-TEMPOREL, c'est-à-dire la situation dans l'espace et dans le temps pour laquelle chaque langue dispose de systèmes appro­priés (déictique, temporel, aspectuel, etc.).

— POINT DE VUE NOTIONNEL, c'est-à-dire la situation du JE du point de vue de ses « prises de position » de tous ordres (intellectuel, affectif, etc.) par rapport à ce monde perçu, symbolisé et transmis. Là aussi, chaque langue dispose de sys­tèmes appropriés pour permettre au JE de mani­fester ce que nous appellerons, après d'autres, la « modalisation » de la vision du monde : verbes de modalité (je peux, je crois, je nie, j'interdis, etc.), adverbes {peut-être, sans doute, évidemment, etc.) ; des procédés d'emphases, de reformulations, de ré­pétitions, etc.

• FONCTION RHETORIQUE. Mais il peut se faire que le JE utilise la technique de discours au premier degré ( « premier » par rapport au discours métalin-guistique) ; soit pour agir sur le TU (rhétorique-polémique), soit pour projeter sur le monde une vision particulière (rhétorique-poétique), soit pour les deux à la fois.

Du même coup il y a une technique propre à la fonction rhétorique qui, en principe, ne se confond pas avec la technique de la fonction métalinguistique mais se trouve souvent en intersection avec celle-

2. HIERARCHIE DES FONCTIONS DU LANGAGE

c) Rapport JE-code : « technique de discours »

Ce rapport met en œuvre deux fonctions que l'on peut réunir sous un même intitulé, « technique de discours», parce qu'elles se caractérisent toutes les deux par les deux points communs suivants :

•— prise de conscience — plus ou moins intuitive, plus ou moins raisonnée — par le JE des structures du code dont il dispose et des possibilités de mo­dification de ces structures ;

— action sur les structures de ce code lors de la production du discours et dons l'instant de produc­tion.

Ces possibilités et cette action relèvent d'une tech­nique que se donne le JE.

Cependant cette « technique de discours » se diffé­rencie selon l'objectif poursuivi par le JE, ce qui donne naissance à nos deux fonctions : métalinguis­tique et rhétorique.

• FONCTION METALINGUISTIQUE. Répondant au besoin qu'éprouve tout JE de bien faire passer la communication, celui-ci va utiliser le langage pour élucider son propre discours à l'adresse du TU. Et dans la mesure où cette utilisation se fait selon une certaine technique qui cherche à ne pas confon­dre ce deuxième discours avec le premier — lui conférant ainsi une valeur d'objectivation — nous dirons après R. Jakobson que ce discours a « fonction métalinguistique ».

Rappelons qu'en fait de hiérarchie, il ne s'agit pas d'établir un ordre d'importance, ni même peut-être de dire quelle fonction prédomine sur l'autre — puisque c'est précisément ce fait qui serait la mar­que d'un type de discours —, mais il s'agit d'essayer de voir comment elles se situent l'une par rapport à l'autre lors d'un acte de communication.

R. Jakobson (2), par exemple, les a distribuées selon leur appartenance aux différents facteurs fonda­mentaux de la communication (p. 214), ce qui lui a permis d'établir le schéma suivant (p. 220).

Emotive

Référentielle Poétique Phatique Métalinguistique

Conative

Etant donné que nous avons défini nos fonctions en termes de rapports (JE-TU, JE-IL, JE-code) nous ne pouvons pas en faire la même distribution.

• Et d'abord la « fonction référentielle » que nous ne prenons pas tout à fait dans le sens de R. Jakob­son.

Pour nous, c'est l'entier de l'acte de communication qui est un « processus de symbolisation référen­tielle », en même temps qu'il est un « acte de trans­mission ». Or ce processus de symbolisation est une résultante dont les composantes sont les différentes

(2) R. Jakobson, Ed. de Minuit.

< Essais de linguistique générale », 1963,

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fonctions. Nous avons vu cependant que ces fonc­tions étaient d'ordre subjectif dans la mesure où elles procédaient d'un « point de vue énonciatif » relatif au JE.

Il reste donc à constater qu'en plus de ces fonc­tions, il existe deux autres activités sans lesquelles la mécanique de la communication ne serait pas complète. Ces activités sont plus particulièrement tournées vers l'organisation du monde, et d'une façon plus indépendante du JE, ce qui leur donne un caractère plus objectif. Il s'agit de 1' « organisation narrativo-descriptive » et de la « catégorisation sé­mantique » de l'univers.

— L'ORGANISATION NARRATIVO-DESCRIPTI­VE. Il s'agit de ce qui permet à une langue de manifester un certain nombre d' « opérations de pen­sée » — et inversement, il est probable que ces « opérations de pensée » ne soient possibles que dans la mesure où il existe un langage —. C'est de cette interdépendance « opérations de pensée for­melles-langage verbal » que naît une structuration du monde en un certain nombre de relations logico-conceptuelles archétypiques. Et ceci apparaît aussi bien — encore que de façons différentes •— chez les linguistes préoccupés de définir des structures profondes (générativistes) ou des relations logico-conceptuelles de base (quelques sémanticiens et lo­giciens), que chez les sémioticiens qui cherchent à établir des structures narratives formelles, lesquel­les se situeraient en-deçà de la manifestation.

— LA CATEGORISATION SEMANTIQUE peut être conçue, dans la mécanique de la communication, comme une sorte de « remplissage » des structures formelles, « remplissage » qui dépendrait lui-même de la mise en œuvre des différentes fonctions.

Evidemment, l'observation des faits de langage mon­tre qu'il y a une forte interdépendance entre les structures formelles et le contenu sémantique et que

tout compte fait l'un dépend de l'autre. On peut cependant remarquer que le contenu sémantique est lui-même structurable dans sa partie « consens-sus » d'un groupe socio-linguistique, ce qui lui donne un caractère objectif — ce qui n'empêche pas au JE de subjectiviser ce contenu sémantique, en utilisant la « technique de discours » (rhétorique-poéti­que) —.

Cette catégorisation sémantique va du plus géné­rique ( « sèmes génériques » de type : « animé, hu­main, animal, etc. ») au plus spécifique d'une langue et même d'un contexte ( « sèmes spécifiques » ).

Autre point délicat de la mécanique de la Commu­nication : la « technique de discours ». En effet celle-ci est également indissociable du reste puis­qu'elle est ce qui permet à la symbolisation de se faire — donc au code de se constituer —, et ce qui permet également aux fonctions de se manifester. Son omniprésence lui donne une place à part des fonctions polémique et situationnelle.

Enfin on remarquera que les fonctions émotive, phatique et conative de R. Jakobson se trouvent pour nous dans le rapport JE-TU sous l'intitulé « fonction polémique».

C'est pourquoi nous dirons :

Tout acte de communication véhicule un « proces­sus de symbolisation referentielle » qui résulte, à la fois, d'une double catégorisation formelle et séman­tique (« organisation narrativo-descriptive » et « ca­tégorisation sémantique ») et de la position que le JE occupe par rapport au TU (« fonction polémi­que »), au IL («fonction situationnelle»), au code (« fonctions métalinguistique et rhétorique »), toute cette mécanique s'incluant dans une « situation énonciative ».

C'est ce que nous représentons par le schéma sui­vant :

Situation énonciative — —

Fonction polémique

Fonction situationnelle

Symbolisation referentielle

(narratif) (Semant.) 0 Technique du discours (Fonction métalinguistique) (Fonction rhétorique)

149

Page 143: SENS ET COMMUNICATION

II. STRUCTURATION ferons une ébauche de restructuration de la gram­maire du français (3).

O. Voici donc, après ces rappels théoriques, l'ébau­che d'une structuration sémantico-fonctionnelle à propos du français.

De quoi s'agit-il exactement ?

1) De déterminer les classes conceptuelles de base dont pourrait dépendre toute langue naturelle (L.N.), autour desquelles s'organiseraient les différents sys­tèmes de chaque langue (ex. : « classe d'interlo-cution»).

2) De déterminer, à l'intérieur de ces classes, quels sont les différents axes sémantiques qui carac­térisent chacun de ces systèmes (ex. : l'axe de l'in­jonction, l'axe de la quantification, l'axe du temps, etc.).

3) De restructurer la grammaire d'une langue, en regroupant autour de chaque axe sémantique — et donc de chaque classe conceptuelle — les catégories morpho-syntaxiques qui lui correspondent (ex. : certains indéfinis, les numéraux, les adverbes de quantité, certains suffixes et préfixes, et certaines locutions appartiennent à l'axe de la quantification dans une classe de «situation notionnelle »).

Nous nous proposons donc de donner quelques exem­ples pour chacune de ces opérations, après quoi nous

(3) Cette étude s'inspire des travaux de B. Pottier, bien que notre propre recherche nous ait amené à modifier, justifier, voire contredire certains aspects de ses classifi­cations. Aussi renvoyons-nous à sa «Présentation de la

1. NIVEAU DES CLASSES CONCEPTUELLES

Celles-ci sont issues, pour nous, de la mécanique de l'acte de communication et c'est pourquoi il était important d'en rappeler les éléments essentiels dans le chapitre précédent.

Puisque, pour nous, le signe se construit en même temps qu'il se réalise dans l'acte de communication, il est bien normal que les systèmes dont dépend chaque signe dépendent eux-mêmes des compo­santes de la communication.

1.1. Les classes d'organisation narrativo-descrip-tive ( « Symbolisation référentielle »•)

Elles se composent des relations logico-oonceptuelles de base telles qu'a pu les définir B. Pottier.

Il s'agit des trois relations-noyau : — Relation existentielle (« i l pleut»), relation attributive («I l est grand », « il a une voiture »), relation active ( « Il démolit le mur») auxquelles il faut rajouter d'au­tres relations-cas qui entourent le noyau, comme causal, agentif, instrumentif, datif, bénéficiaire, fi­nal (4).

Linguistique », Klincksieck, dans sa nouvelle version très remaniée qui sortira prochainement.

(4) Voir ici-même «Elucidation du Sens» (I).

(9)

Caus. (7)

(8)

Agt

Inst.

(10) Loc.

E

T

(1) [ ] < (2) %^ <

(3) ® -Wfc»

(4) Dat.

- • Ben.

Final (6)

(5)

150

Page 144: SENS ET COMMUNICATION

EXPLICATIONS 1.3. Les classes énonciatives (Rapports JE-TU et JE-IL)

— En (1), (2) et (3) il s'agit de relations-noyaux dont la description a été donnée dans notre exposé « Enseignement d'une grammaire du sens » (p. 41).

— Nous ne donnerons que quelques exemples d'il­lustration :

(1) «Voici Pierre», « il y a beaucoup de voitures aujourd'hui ! ».

(2) «Pierre est professeur», «Pierre est grand», « Pierre dort ».

(3) « Pierre a frappé Paul ».

(4), (5) (6) «Pierre a donné un livre à Jean (4) pour Paul (5) pour qu'il le lise» (6).

(7) «Pierre a tué Paul avec (7) un couteau».

(8) « Pierre a rencontré Jean grâce à (8) (malgré) Paul ».

(9) « Tu as tort parce que (9) j 'ai raison ».

(10) Il s'agit du cas locatif dans lequel peut se trouver situé tout noyau.

Ce cas se décompose essentiellement en localisation spatiale (E) et localisation temporelle (T).

Ex. : « Il m'a donné rendez-vous à dix heures (10.T) place du marché (10.E).

1.2. Les classes de catégorisation sémantique

(« Symbolisation référentielle »)

Il faudrait renvoyer à une étude qui n'est pas encore faite tant le travail est immense et délicat. En effet, autant il est relativement aisé de trouver des constantes dans les relations — ce qui est le cas de l'organisation narrative — autant il est difficile de trouver les composantes sémantiques que chaque langue se donne en structurant l'univers.

Pour donner cependant un exemple, rappelons ce que B. Pottier appelle les « classes d'identification » qu'il groupe en oppositions binaires : matériel/non-matériel, vivant/non-vivant, humain/non-humain, sexe (genre - sexe - mâle/femelle), puissant/non-puissant, continu/discontinu, etc.

Elles dépendent des points de vue énonciatifs du JE sur le TU et le IL. On obtiendra donc :

— LES CLASSES D'INTERLOCUTION qui cor­respondent à la « fonction polémique » et sont le lieu de la « structuration interpersonnelle ».

Ex. : l'injonction.

— LES CLASSES DE SITUATION REFEREN­TIELLE qui correspondent à la « fonction situa-tionnelle » et se trouvent être le lieu de la « struc­turation des points de vue référentiels ». Ex. : La déixis, l'époque, la quantification, l'asser­tion, etc.

2. NIVEAU DES AXESÍ SEMANTIQUES

C'est le niveau de l'organisation interne aux systè­mes qui se trouvent appartenir à telle ou telle classe conceptuelle.

2.1. A l'intérieur de l'organisation narrativo-des-criptive et de l'une de ces classes de relation, par exemple l'attribution, il faudrait étudier les degrés d'inhérence de cette relation.

Par exemple entre /ê t re / et /avoir/ il y a différence d' « inhérence » dans l'attribution alors que entre /être à/ («il est à Paris») et /ê tre/ («il est Pa­risien » ) il y a une différence de « qualification ». /Etre/ est la marque d'une «identité», alors que /être à/ est la marque d'une « localisation ».

2.2. A l'intérieur de la catégorisation sémantique se trouvent ce que l'on appelle habituellement les « champs sémantiques ».

2.3. A l'intérieur des classes énonciatives, il fau­drait également étudier les axes qui caractérisent chacun des systèmes qui appartient à chaque classe. Par exemple, la classe injonction, se caractérise, entre autres, par un axe « d'agression » qui va du plus iau moins.

151

Page 145: SENS ET COMMUNICATION

(«Prise à témoin, sollicitation, ordre, invective»), et par un axe « d'engagement » dont les pôles se­raient «promesse» et «intention».

Par exemple, la classe d'assertion, se caractérise, entre autres, par un axe de « conviction » dont les pôles seraient « certitude » et «non-certitude».

3. NIVEAU DES SYSTEMES MORPHO-SYNTAXIQUES

C'est le niveau de l'organisation de la grille morpho­syntaxique qui caractérise chaque langue mater­nelle. Mais, ici, deux remarques sont nécessaires :

3.1. Première remarque : la liste des catégories morpho-syntaxiques qui s'attachent à chaque classe sémantico-conceptuelle, n'est pas fermée.

En effet, on n'oubliera pas que, dans tout processus de communication, renonciation du discours peut être formulée d'au moins deux façons :

a) par des marques qui révèlent le JE explici­tement et donc par lesquelles le JE s'énonce en tant que tel. Par exemple dans « je ne pense pas qu'il ait tort » le locuteur :

— se pose comme JE en face de son interlocuteur, en prenant-possession-de-la-parole ( « je ») ; — exprime une modalité (verbe « penser » en liai­son avec « négation » et « subjonctif ») ;

b) par des procédés de discours qui appartiennent à la technique rhétorique tels que transformation passive, transfert sémantique de type métaphorique ou métonymique, etc.

Une question se pose alors : faut-il faire entrer dans la classification des catégories morpho-syn­taxiques en fonction des classes sém<antico-fonction-nelles des procédés de discours ?

La réponse est délicate car, étant donné l'interaction fonctionnement-contitution du langage, on constate qu'il y a des procédés qui sont déjà fixés en caté­gories de langue, d'autres qui sont en passe de se fixer, d'autres enfin qui restent au niveau du seul contexte.

Exemple : la répétition est un procédé de discours qui peut appartenir à une classe d'emphase et donc de structuration interpersonnelle, ou à une classe de quantification et donc de structuration référen-tielle.

Dans notre tableau de structuration nous n'y ferons que quelques allusions.

3.2. Deuxième remarque

Les catégories morpho-syntaxiques sont souvent des catégories syncrétiques de plusieurs classes séman-tico-fonctionnelles. Et bien qu'il soit possible de dé­terminer, la plupart du temps, laquelle de ces classes est dominante, cela ne rend pas aisée la tâche de classification.

Ainsi en est-il de l'interrogation qui véhicule à la fois du /doute/ et de 1'/injonction/ (intimer l'ordre de répondre).

Cela remarqué, nous dirons que dans l'ordre de l'organisation narrativo-descriptive, les classes de relations sont configurées par des systèmes morpho­syntaxiques tels que des types de phrases (verbales, nominales, avec ou sans sujet, avec ou sans objet, etc.), que dans l'ordre de la catégorisation séman­tique, les champs sémantiques sont configurés par telle ou telle combinaison de morphèmes lexicaux et que dans l'ordre des classes énonciatives, les classes sémantico-grammaticales sont configurées par des systèmes de morphèmes grammaticaux tels que ar­ticles, pronoms, relatifs, indéfinis, etc.

4. UN EXEMPLE : «LA QUANTIFICATION»

Avant de donner le tableau de structuration séman-tico-fonctionnelle, qui ne sera nécessairement qu'un cadre de classification, nous voudrions illustrer ces propos en prenant comme exemple la « quantifica­tion ».

4.1. Observation

a) Soit une phrase au singulier :

«Aujourd'hui, j 'ai fait une faute dans ma dictée»,

t 152

Page 146: SENS ET COMMUNICATION

QUESTION : De quels moyens d'expression lin­guistique disposons-nous pour quantifier cette ex­pression ?

REPONSE :

— Numéraux : deux, trois, quatre... vingt, etc. — Indéfinis : plusieurs, quelques, des, etc. — Adverbes de quantité : beaucoup de, trop de, bien des, etc.

— Partitif : « il y a de la faute ».

b) Soit cette autre phrase :

« Aujourd'hui, à midi, j 'a i mangé de la vian-

t de saignante ».

t • ESSAYONS DE QUANTIFIER LE SUBSTANTIF : — Adverbes de quantité : beaucoup de, trop de, etc. — Indéfini : tout ( + complémentation).

— Numéraux : une tonne de, 3 kg de, 500 g de, etc.

— Locution : une grande quantité de.

• ESSAYONS DE QUANTIFIER L'ADJECTIF : — Adverbes de quantité : très, assez, trop, bien, etc. — Préfixes : archi-, ultra-, etc.

— Suffixe : -issime ? (en tout cas «richissime»). — Locutions : on ne peut plus, à souhait, etc.

c) REMARQUES

• Des signes tels que adverbes, indéfinis, articles et numéraux, et qui sont habituellement classés dans des catégories grammaticales différentes se trouvent ici groupés autour d'une même classe conceptuelle : la quantification (Q).

a Les procédés de quantification n'ont pas tous la même importance d'emploi.

Certains sont sentis comme appartenant à une caté­gorie déjà fixée en langue (ex. : les numéraux).

D'autres sont sentis comme le résultat d'un transfert (exemple du partitif) c'est-à-dire comme apparte­nant à la technique du discours.

• Les procédés de quantification varient selon ce qui est à quantifier : On ne peut pas quantifier le substantif par très.

On ne peut pas quantifier l'adjectif par trois. On ne peut pas quantifier le substantif viande par deux (sauf contexte particulier).

4.2. Proposition de classement sémantico-fonctionnel

a) NIVEAU CONCEPTUEL

• Dans la « mécanique » de la communication, la quantification résulte du « point de vue » que le JE a sur le monde-IL quant à son aspect quantitatif.

Nous dirons donc que la Q appartient, dans le cadre du rapport JE-IL, à la «fonction situationnelle».

Et nous dirons que, dans le cadre de cette fonction situationnelle, la Q appartient à un point de vue de « structuration notionnelle ».

• En quoi consiste cette «structurationnotionnelle», autrement dit quelle est la définition de la quanti­fication à ce niveau conceptuel ?

La Q peut être considérée comme une opération qui s'applique au contenu sémantique du signe.

— Si ce contenu implique une vision de disconti~ nuité, c'est-à-dire la saisie d'un concept limité, l'opération consistera en une « multiplication ex­terne » de l'unité.

Ex. : « J'ai acheté 3 timbres à 50 c ».

— Si ce contenu implique une vision de continuité, c'est-à-dire la saisie d'un concept non limité, l'opé­ration consistera en une « intensification interne » du contenu sémantique. Ex. : Il boit beaucoup de vin». « Il est très intelligent ».

b) NIVEAU DES AXES SEMANTIQUES

Rappelons qu'il s'agit de l'organisation interne aux systèmes en rapport avec une langue particulière.

153

Page 147: SENS ET COMMUNICATION

Sans entrer dans le détail on remarquera que, pour le français, il faudrait étudier les axes suivants :

— Le degré de quantification : peu, assez, beaucoup, trop, etc.

— Les partitions globales : — Deux : bi, duel. — Trois : tri, triel. — Moitié : semi, mi, demi, etc. — Groupe : suffixes (at, aie), lexemes, etc.

— La distribution, la discrimination, la comparai­son.

c) NIVEAU MORPHO-SYNTAXIQUE

C'est le lieu d'étude des conditions d'emploi des formes, conditions d'emploi qui dépendent aussi bien des contraintes de type formel que des contraintes de type sémantique.

Ce qui fait, qu'au bout du compte, l'organisation de ce niveau est, morpho-sémantico-syntaxique.

Voici un classement des quantificateurs, classement qui ne tient compte que des contraintes sémantiques et qu'il faudrait donc compléter par une étude de combinatoires syntaxiques.

— MULTIPLICATION EXTERNE (correspondant à la « vision de discontinuité » )

Indéfinis (plusieurs, quelques, etc.). Numéraux (deux, dix, etc.). Adverbes de quantité (beaucoup de, etc.). Locutions (un grand nombre de).

— INTENSIFICATION INTERNE (correspondant à la « vision de continuité » )

Adverbes de quantité (beaucoup de, très, bien, etc.). Indéfinis totalisants (tout). Suffixes (-issime). Préfixes (archi-, hyper-, super-, etc.). Locutions (on ne peut plus).

— QUANTIFICATION ET RELATIONS (catégorie complexe du point de vue sémantique)

La distribution (chaque, n'importe qui, etc.).

La discrimination (l'un... l'autre, les autres/le reste, les trois-quarts, etc.). La comparaison (le plus, le moins).

N.B. :

1) On peut, par la « technique de discours », utiliser un opérateur du « continu » pour l'appliquer au « discontinu » à des fins de quantification empha­tique. Ex. : « Il y a de la voiture, dans la rue ! ».

2) On peut, à l'inverse, utiliser un opérateur de quantification du « discontinu » pour l'appliquer au « continu », à condition que celui-ci soit découpé au préalable par un « opérateur de mesure ».

Ex. : « J'ai mangé 3 kg de viande en une semaine ».

3) Enfin, on n'oubliera pas que la technique de discours peut avoir recours à d'autres procédés comme : — La répétition («très, très joli» ou «joli, joli»). — La prosodie ou la graphie ( « Il est eNOORR-me ! »).

5. EBAUCHE DE STRUCTURATION SEMANTICO-GRAMMATICALE

5.1. Rappelons le cadre conceptuel de base des classes d'énonciation :

Rapport JE-TU : « Fonction polémique »

Lieu de la « Structuration interpersonnelle » par classes d'interlocution.

Rapport JE-IL : « Fonction situationnelle »

Lieu de la « Structuration des points de vue réfé-rentiels » par classes de situation.

5.2. Structuration

JE-TU : « Structuration interpersonnelle »

Elle se décompose essentiellement en deux classes d'interlocution : l'allocution et la délocution.

154

Page 148: SENS ET COMMUNICATION

Nous donnerons quelques exemples d' « axes sé­mantiques » et de «catégories formelles» (au sens catégories grammaticales traditionnelles) correspon­dant à chacune de ces classes.

AXES SEMANTIQUES ALLOCUTION :

— « Exclamation » — « Injonction » (sollicitation — ordre — invective) — « Interrogation » (complexe puisque à la fois, «injonction» et «assertion»)

CATEGORIES FORMELLES

— Exclamatif — Impératif, injonctif, optatif, appellatif

— Interrogatif

DELOCUTION : — « Discrimination » des protagonistes de la Communication — « Ordre/supplique » — « Engagement/soumission » — « Position/présupposition »

— Pronoms personnels et appellatifs

— Verbes de modalité — Verbes de modalité — Articles

N.B. : Grâce à la « technique de discours » il se forme des « lois du discours » qui nous permettront d'ajouter à ces catégories : — Les verbes performatifs — Les signes de présupposition — Les maximes, proverbes et autres procédés rhétoriques polémiques.

JE-IL : « Structuration des points de vue référentiels » Elle se décompose essentiellement en deux classes de situation : spatio-temporelle et notionnelle. Nous en donnerons un aperçu :

AXES SEMANTIQUES

SITUATION SPATIO-TEMPORELLE : — « La Deixis » (ici, là, là-bas) — « L'époque » (maintenant, avant/après) — « L'aspect » (déroulement, initial/final)

CATEGORIES FORMELLES

— Démonstratifs, adverbes, prépositions — Temps verbaux, adverbes — Auxiliante, locutions

SITUATION NOTIONNELLE — « L'assertion » : • Eventuel/effectif • Certitude/non-certitude • positif/négatif • affirmatif/suppositif

— Modes verbaux, adverbes — Verbes de modalité — Affirmation, négation, adverbes — Verbes de modalités

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— « Le jugement » :

• Appréciation

• Justification

• Approximation etc.

— « La volition »

— « L'obligation »

SITUATION NOTIONNELLE 2 :

— « La quantification » (voir 4.)

— « La confrontation » (comparaison, identi­fication, coordination)

N.B. On aura remarqué que la même catégorie formelle correspond à plusieurs classes sémantiques.

Cela est bien normal ; ce sont des catégories syn-crétiques qui véhiculent plusieurs contenus séman­tiques selon le type de contexte dans lequel elles se trouvent employées. Par exemple le mode « sub­jonctif » dans tel type de contexte pourra véhiculer à la fois un contenu d' « éventuel », de « non-certi­tude », et de « suppositif » ( « supposons qu'il soit reparti»). De plus on le voit apparaître en combi­naison avec l'Optatif ( « qu'il vienne ! » ), ou avec une modalité d'ordre («j'ordonne qu'il se retire ! ») ou même avec l'interrogatif ( « croyez-vous qu'il vienne ? »), catégories appartenant à des classes sé­mantiques qui font partie de la « structuration inter­personnelle*.

Voilà pourquoi un classement grammatical par ca­tégories formelles est impossible à admettre lorsque l'on cherche à déterminer les structures de fonction­nement sémantique d'une langue ; mais voilà aussi pourquoi nos grammaires traditionnelles n'ont ja­mais enseigné à « mieux parler français » ; c'est par­ce qu'elles sont totalement déconnectées du processus de production linguistique qui repose essentiellement, nous l'avons vu, sur des composantes sémantico-fonctionnelles.

Verbes de modalités et adverbes

— Verbes de modalités — Auxiliaires et semi-auxiliaires — Adverbes et périphrases

— Indéfinis, adverbes, numéraux, locutions, etc.

— Le comparatif, le superlatif, les coordon­nants, adverbes d'identification

III. INCIDENCES PEDAGOGIQUES

Nous terminerons par quelques réflexions destinées à montrer l'intérêt d'une telle structuration pour l'enseignement de la langue, et nous renvoyons à nos recherches futures pour en voir l'exploitation précise.

1) Une telle « grammaire » est une grammaire du locuteur, car elle lui permet :

— De voir quels moyens d'expression sont à sa disposition pour exprimer une intention de commu­nication donnée. C'est une grammaire de co-disponi-bïlité des moyens d'expression par rapport à une classe sémantique donnée.

—- D'étudier la différence entre ces moyens d'ex­pression, et de saisir plus sainement les différences de registres, puisqu'il n'y a différence de registres que par rapport à une même intention de commu­nication référentielle.

— D'étudier, du même coup, les procédés de la « technique de discours » rhétorique, et de mesurer

156

Page 150: SENS ET COMMUNICATION

par là-même l'interaction qui se fait entre la pro­cédure rhétorique et le contenu d'intention de communication.

2) Une telle grammaire est une grammaire de des­cription sémantique parce qu'elle permet à l'inter­locuteur de découvrir sous l'agencement des caté­gories formelles les composantes de l'intention de communication du locuteur et de saisir quel est son « point de vue » par rapport aux pôles de la commu­nication (TU et IL).

3) Enfin une telle grammaire permet une démarche pédagogique véritablement inductive, car :

— d'une part elle plonge l'élève au cœur du « sens » dont il est seul responsable, ce qui permet au maître de tenir compte du contenu sémantique que l'élève investit dans un discours produit ou reçu ;

— d'autre part cette grammaire est une « manière d'interroger » le discours et non un modèle métalin-guistique rigide qui imposerait par avance un type de structuration formelle de la phrase.

Ici, au contraire, l'élève, utilisant cet instrument d'interrogation, aboutira à une formalisation qui lui sera propre et qu'il pourra, à la limite, avoir in­venté.

P. CHARAUDEAU

157

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ELEMENTS POUR UNE DESCRIPTION DES STRUCTURES NARRATIVES

Le sujet est vaste et les méthodes d'approche va­riées.

Aussi nous contenterons-nous de proposer un ques­tionnaire élaboré à partir des études de Cl. Bré-mond (1) et destiné à permettre de déterminer les rôles que jouent les différents « personnages » (pris au sens large) d'un récit.

C'est par la détermination de ces rôles que les personnages deviennent actants et c'est par là que l'on pourra du même coup procéder à l'ordonnan­cement des séquences narratives et à la nomi­nation des fonctions qui les composent.

QUESTIONNAIRE SUR LE PERSONNAGE (HUMAIN OU ANTHROPOMORPHE)

—• Subit-il une action ? — Agit-il ?

• S'il subit, est-ce :

— comme victime ? (il est frustré, il a des craintes, il n'a pas d'information). — Comme bénéficiaire ? (il est satisfait, il a des espoirs, ïl a des informations).

• S'il agit, est-ce : — Volontairement? (il décide). — Involontairement? (il ne décide pas).

• S'il agit involontairement :

— Quelles sont les circonstances qui ont causé son influence ?

• S'il agit volontairement, est-ce : — Comme agresseur ? — Comme adversaire d'un agresseur ? —• Comme allié ? — Comme justicier ?

• S'il agit volontairement comme agresseur, se li-vre-t-il à : — Une agression directe? (par quel processus?). — Une agression indirecte ? (par quel processus de tromperie ? tromperie — dupe — faute — exploita­tion).

• S'il agit comme adversaire, que choisit-il : — La fuite? (par quel processus?).

— La riposte ? (par quel processus ?). — La négociation ? (par quel processus ? Voir : allié).

• S'il agit comme allié, est-ce : — En agressant directement l'adversaire de celui qu'il aide ?

— En aidant le personnage qui le prend pour al­lié ?

• Dans ces deux cas, agit-il : — Fortuitement ? (par quel concours de circonstances ?) — Volontairement et directement ? (par quel processus ?) — Volontairement et indirecte­ment ? (par quel processus ?)

' V. Agresseur

(1) « La logique des possibles narratifs », in Communi­cations, n° 8, Seuil. (*) « Logique du récit », Seuil.

• L'alliance donne-t-elle lieu à une négociation ? (Processus de séduction — Pacte — Engagement.)

• S'il agit comme justicier-rétributeur, est-ce :

— En punissant ? (quel châtiment ?). — En récompensant ? (quelle récompense ?).

15»

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AJACCIO - C.D.D.P. : avenue Pugliesi-Conti - 20000 Ajaccio ALBI - C.D.D.P. : Centre administratif, rue du Général-Giraud - 81010 Albi Cedex ALENÇON - C.D.D.P. : Cité administrative, place Bonet - 61013 Alençon AMIENS - C.R.D.P. 33, rue des Minimes - B.P. 348 G - 80026 Amiens Cedex ANGERS - C.D.D.P. : 9, rue Grandet - 49000 Angers ANGOULÊME - C.D.D.P. : 1, rue Vauban -16017 Angoulême ARRAS - C.D.D.P. : 39, rue aux Ours - 62022 Arras AUCH - C.D.D.P. : rue Boissy-d'Anglas - 32007 Auch AVIGNON - C.D.D.P. : 8, rue Frédéric-Mistral - 84000 Avignon BEAUVAIS - C.D.D.P. : 22, avenue Victor-Hugo - B.P. 321 - 60030 Beauvais Cedex BESANÇON - C.R.D.P. : 16 et 17, rue Ernest-Renan - B.P. 1153 - 25003 Besançon Cedex BORDEAUX - C.R.D.P. : 75, cours d'Alsace-Lorraine - 33075 Bordeaux Cedex BOURG-EN-BRESSE - C.D.D.P. : 6, rue Jules-Ferry - 01000 Bourg-en-Bresse BOURGES - Antenne du C.R.D.P. : 9, rue Edouard-Branly -18000 Bourges BREST - C.D.D.P. : 108, rue Jean-Jaurès - 29200 Brest CAEN - C.R.D.P. : 21, rue du Moulin-au-Roy -14034 Caen Cedex CAHORS - Antenne du C.R.D.P. : Cité Administrative - quai Cavaignac - 46000 Cahôrs CARCASSONNE -C.D.D.P. : 56, avenue du Docteur-Henri-Goût -11012 Carcassonne CHALONS-SUR-MARNE - Section du C.R.D.P. : Cité administrative - 51036 Châlons-sur-Marne Cedex CHAUMONT - C.D.D.P. : 20, rue Haeusler - 52000 Chaumont CHARLEVILLE/MEZIERES - C.D.D.P. : 18, rue Voltaire - 08100 Charleville'Mézières CLERMONT-FERRAND - C.R.D.P. : 15, rue d'Amboise - 63037 Clermont-Ferrand DIGNE - C.D.D.P. : Ancien lycée de jeunes filles - place des Cordeliers - 04000 Digne DIJON - C.R.D.P. : Campus universitaire de Montmuzart, boulevard Gabriel - B.P. 490 - 21013 Dijon Cedex FOIX - C.D.D.P. : 31 bis, avenue du Général-de-Gaulle - 09008 Foix FORT-DE-FRANCE (Martinique) - C.D.D.P. : 49. rue Victor-Sévère -97200 Fort-de-France GAP - Antenne du C.R.D.P. : 4, avenue du Maréchal-Foch - 05000 Gap GRENOBLE - C.R.D.P. : 11. rue du Général-Champon - 38031 Grenoble Cedex LAON : C.D.D.P. : 27, rue Ferdinand-Thuillard - impasse de l'Eglise - 02000 Laon LA ROCHELLE - C.D.D.P. : rue de Jéricho - 17000 La Rochelle LE MANS - C.D.D.P. : 31, rue des Maillets - 72000 Le Mans LILLE - C.R.D.P. : 3, rue Jean-Bart - 59046 Lille Cedex LIMOGES - C.R.D.P. : 44, rue Gay-Lussac - 87031 Limoges Cedex LYON - C.R.D.P. : 47-49, rue Philippe-de-Lassalle - 69316 Lyon Cedex 1 MARSEILLE - C.R.D.P. : 55. rue Sylvabelle - 13291 Marseille Cedex 2 MENDE - C.D.D.P. : 12, avenue du Père Coudrin - 48000 Mende MONTAUBAN - C.D.D.P. : 9, rue du Fort - 82000 Montauban MONT-DE-MARSAN - C.D.D.P. : Cité Galliane, avenue Cronstadt - 40000 Mont-de-Marsan MONTPELLIER - C.R.D.P. : allée de la Citadelle - 34064 Montpellier Cedex NANCY - C.R.D.P. : 99, rue de Metz - 54000 Nancy NANTES - C.R.D.P. : 17, rue Gambetta - B.P. 1001 - 44036 Nantes Cedex NEVERS - C.D.D.P. : Ecole du Château - 58000 Nevers NICE-C.R.D.P. : 117. rue de France -06000 Nice NIMES - C.D.D.P. : 10, Grand' Rue - 30000 Nîmes NIORT - C.D.D.P. : 1. rue Jules Ferry - 79000 Niort ORLEANS - C.R.D.P. : 55, rue Notre-Dame-de-Recouvrance - 45012 Orléans Cedex PARIS - C.R.D.P. : 29. rue d'Ulm - 75230 Paris Cedex 05 - Librairie : 13. rue du Four - 75270 Paris Cedex 06 PAU - C.D.D.P. : Villa Nitot - avenue Nitot - B.P. 299 - 64016 Pau PERPIGNAN - C.D.D.P. : 24, rue Emile-Zola - 66020 Perpignan Cedex POINTE-A-PITRE (Guadeloupe) - C.D.D.P. : rue du Gouverneur-Félix-Eboué - 97154 Pointe-à-Pitre POITIERS - C.R.D.P. : 6, rue Sainte-Catherine - 86034 Poitiers Cedex REIMS - C.R.D.P. : 47, rue Simon - B.P. 387 - 51063 Reims Cedex RENNES - C.R.D.P. : 92. rue d Antrain - B.P. 158 - 35003 Rennes Cedex RODEZ - C.D.D.P. : ENI -12, rue Sarrus -12000 Rodez ROUEN - C.R.D.P. : 2, rue du Docteur Fleury - 76130 Mt-St-Aignan

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INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE

ET DE DOCUMENTATION PEDAGOGIQUES

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Page 154: SENS ET COMMUNICATION

Posant comme principe que la pédagogie n'est pas un « lieu d'application » des sciences humaines (linguistique, sémiotique littéraire, psychologie, sociologie, psychanalyse), mais un « lieu de réflexion » autonome qui tire parti de ces sciences (dans un mouvement inverse à ce qu'est la science appliquée), ce numéro présente à la fois :

— une réflexion sur le statut de notre recherche ;

— une réflexion sur l'activité pédagogique en français à tra­vers des exercices expérimentés en classe ;

— une réflexion sémio-linguistique sur la communication, ces trois ordres de réflexion s'articulant l'un sur l'autre.

Quel que soit le niveau d'enseignement, la réflexion sémio-linguistique est la même et c'est elle seule qui peut fournir un certain « savoir-faire » à l'enseignant, c'est pourquoi elle se trouve présente tout au long des différents exposés.

La réflexion pédagogique, elle, s'appuie sur deux pôles :

— l'un, plus phrastique (« elucidation du sens » et « grammaire du sens »);

— l'autre, plus textuel (« communication et expression »).

Brochure n° 2369