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Ë Alep, la bataille finale ? « Un hors-d’œuvre. » Voilà com- ment un haut responsable de la sécurité syrien qualifiait les bombardements qui ont eu cours hier à Alep, la capitale éco- nomique du pays. Toute la jour- née pourtant, plusieurs secteurs de la ville tenus par les forces révolutionnaires de l’ASL (Armée syrienne libre) depuis une dizaine de jours ont été pi- lonnés par des tirs d’artillerie et des raids aériens. Le quartier de Salaheddine, à l’ouest, a été par- ticulièrement visé. « Ces bom- bardements sont les plus violents depuis le début de la bataille, mais l’armée de Bachar El-Assad n’a pas réussi à avancer », a as- suré le commandant de l’ASL à Alep. Vingt mille soldats loya- listes encercleraient désormais la seconde ville du pays. Des renforts continueraient à arri- ver pour livrer dans les pro- chains jours une bataille de grande ampleur. De leur côté, les rebelles, qui ont lancé leur offensive sur Alep il y a quinze jours et disent contrôler au- jourd’hui la moitié de la ville, ont tenté de s’emparer d’un bâ- timent de la télévision avant d’être repoussés par les forces fidèles au régime. Dans la périphérie de Damas, les combats ont également atteint une rare intensité, principale- ment à Tadamoun, au sud de la ville, où de nombreux rebelles restaient retranchés. Selon un gé- néral syrien, l’armée serait par- venue à conquérir la zone et contrôlerait la totalité de la capi- tale, où la situation serait « excel- lente et stable ». Téhéran, allié fi- dèle du régime de Bachar El-Assad, est pourtant venu contredire cette information : 48 pèlerins iraniens auraient été enlevés dans la journée d’hier « par des groupes armés terroris- tes » alors qu’ils se rendaient à l’aéroport de Damas. (AVEC AFP) JDD I 5 aožt 2012 INTERNATIONAL I 7 SYRIE Tandis que se poursuivent les massacres, Mitt Romney attaque Obama sur le dossier syrien. Sans être capable de proposer une autre politique DŽsarmante discrŽtion Eastwood vote Romney CLINT EASTWOOD a annoncé, vendredi soir, qu’il soutiendra Mitt Romney dans la course à la présidence américaine. La star de 82 ans explique que les États- Unis ont « besoin d’un bon coup de fouet » et que Romney est l’homme de la situation. Il s’est rappelé avoir croisé le candidat républicain il y a quelques années, lorsque Romney briguait le poste de gouverneur du Massachusetts. Eastwood avait alors pensé : « Mon Dieu, ce type est trop beau pour être gouverneur. Mais il pourrait bien devenir président. » SAVI/GETTY/AFP NEW YORK (ÉTATS-UNIS) CORRESPONDANCE MAXIME ROBIN Promettre beaucoup, menacer souvent, mais ne pas trop agir… Malgré les effets de manche de la secrétaire d’État, Hillary Clinton, sur l’urgence du départ de Bachar El-Assad, les États-Unis jouent un rôle mineur et peu visible sur le terrain dans le soutien aux rebel- les. Le 23 juillet dernier, le Washington Post révélait qu’au- cun agent de la CIA n’était posté en Syrie. Une poignée d’hommes sont basés en Turquie, dans quel- ques postes-frontières clés, super- visant les envois d’armes sans en fournir directement. Pourquoi cette frilosité ? « Depuis le dernier veto russo-chinois au Conseil de sé- curité de l’ONU et la fin des efforts diplomatiques, il semble que les États-Unis ont accru leur assis- tance à l’opposition, souligne Robert Malley, directeur du dé- partement Moyen-Orient à l’In- ternational Crisis Group de Wash- ington. Mais ils ont encore des scrupules, surtout en matière de fourniture d’armes. Ils craignent qu’elles tombent entre de mauvai- ses mains. » Que des islamistes ra- dicaux ou des groupes affiliés à Al-Qaida s’emparent d’armes made in USA embarrasserait au plus haut point Washington. Mar- vin Kalb, expert en défense au Brookings Institute et proche de la conseillère à la Défense de Ba- rack Obama, Michele Fournoy, re- connaît que « les Américains n’ont pas de stratégie claire… Comme tout le monde ! S’engager dans un processus dont personne ne connaît la fin, envoyer des armes aux re- belles quand on ne sait pas vrai- ment qui ils sont, c’est compliqué… » La campagne électorale aggrave l’attentisme Autre facteur expliquant l’at- tentisme des États-Unis, la campa- gne électorale. L’élection présiden- tielle du 4 novembre n’est plus que dans trois mois. « Ce contexte pèse sur tous les dossiers, y compris la Syrie, juge Rob Malley. Les Améri- cains sont las des guerres au Moyen- Orient. Obama a promis d’extraire les États-Unis des deux conflits dont il a hérité et n’a guère envie d’en inaugurer un troisième… » De temps à autre, le candidat Mitt Romney et ses amis du Parti républicain cri- tiquent Obama pour sa politique trop timide, mais Romney est loin d’en faire un argument de campa- gne. Il sait qu’à moins d’une crise majeure et soudaine, la politique internationale n’influe pas sur une élection. « Cette année, c’est l’éco- nomie qui domine la campagne, avoue Marvin Kalb. En cette pé- riode d’incertitude, les Américains voteront avec leur porte-monnaie. » Qui plus est, entre Obama et Rom- ney, au sujet de la Syrie, l’opposi- tion est minime. Ou plutôt le chal- lenger républicain peine à se démarquer. « D’éminents sénateurs incapables de détailler les positions de Romney sur la Syrie » titrait, la semaine dernière, le site Internet de la revue américaine Foreign Po- licy. The Christian Science Monitor ironisait, de son côté : « Romney a beau railler la politique étrangère d’Obama, notamment au sujet de la Syrie, il ferait exactement la même chose s’il était élu. » Ç Romney, une fois élu, il s’améliorera È D’une manière générale, sur bien des dossiers de politique étrangère, Romney ne se distin- gue guère d’Obama. Sauf peut- être au sujet d’Israël. Dimanche dernier, le républicain déclarait à Jérusalem qu’il considérait la Ville sainte comme la capitale de l’État hébreu, sous les vivats de la foule. L’un des rares moments positifs pour lui d’une tournée ja- lonnée d’innombrables faux pas diplomatiques, tant à Londres qu’à Varsovie, les deux autres ca- pitales visitées par l’ancien gou- verneur du Massachusetts, où il n’a presque jamais évoqué la Syrie. Au point que de nombreux observateurs se sont demandé si Romney avait la carrure suffi- sante… « Bien sûr que oui, assure Marvin Kalb. Il dispose de conseil- lers avisés, il est briefé tous les ma- tins. Romney est un homme intel- ligent : une fois élu, il s’améliorera. Mais il n’opérera pas de grand changement de cap, ni sur l’Iran ni sur Israël. Comme Obama, c’est un pragmatique. » g Les rebelles syriens capturent, hier, un tank de l’armée, dans un quartier d’Alep, actuellement sous leur contrôle. AHMAD GUARABLI/AFP

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Ë Alep, la bataille finale?«Un hors-d’œuvre. » Voilà com-ment un haut responsable de lasécurité syrien qualifiait lesbombardements qui ont eucours hier à Alep, la capitale éco-nomique du pays. Toute la jour-née pourtant, plusieurs secteursde la ville tenus par les forcesrévolutionnaires de l’ASL(Armée syrienne libre) depuisune dizaine de jours ont été pi-lonnés par des tirs d’artillerie etdes raids aériens. Le quartier deSalaheddine, à l’ouest, a été par-ticulièrement visé. « Ces bom-bardements sont les plus violentsdepuis le début de la bataille,mais l’armée de Bachar El-Assad

n’a pas réussi à avancer », a as-suré le commandant de l’ASL àAlep. Vingt mille soldats loya-listes encercleraient désormaisla seconde ville du pays. Desrenforts continueraient à arri-ver pour livrer dans les pro-chains jours une bataille degrande ampleur. De leur côté,les rebelles, qui ont lancé leuroffensive sur Alep il y a quinzejours et disent contrôler au-jourd’hui la moitié de la ville,ont tenté de s’emparer d’un bâ-timent de la télévision avantd’être repoussés par les forcesfidèles au régime.Dans la périphérie de Damas,

les combats ont également atteintune rare intensité, principale-ment à Tadamoun, au sud de laville, où de nombreux rebellesrestaient retranchés. Selon un gé-néral syrien, l’armée serait par-venue à conquérir la zone etcontrôlerait la totalité de la capi-tale, où la situation serait«excel-lente et stable ».Téhéran, allié fi-dèle du régime de BacharEl-Assad, est pourtant venucontredire cette information : 48 pèlerins iraniens auraient étéenlevés dans la journée d’hier« par des groupes armés terroris-tes » alors qu’ils se rendaient àl’aéroport de Damas. (AVEC AFP)

JDD I 5 aožt 2012 INTERNATIONAL I 7

SYRIETandis que se poursuivent les massacres, Mitt Romneyattaque Obama sur le dossiersyrien. Sans être capable deproposer une autre politique

DŽsarmantediscrŽtion

Eastwood vote Romney

CLINT EASTWOOD a annoncé, vendredi soir, qu’ilsoutiendra Mitt Romney dans la course à la présidenceaméricaine. La star de 82 ans explique que les États-Unis ont « besoin d’un bon coup de fouet » et queRomney est l’homme de la situation. Il s’est rappeléavoir croisé le candidat républicain il y a quelques années,lorsque Romney briguait le poste de gouverneur du Massachusetts.Eastwood avait alors pensé : « Mon Dieu, ce type est trop beau pourêtre gouverneur. Mais il pourrait bien devenir président. » SAVI/GETTY/AFP

NEW YORK (ÉTATS-UNIS)

CORRESPONDANCE

MAXIME ROBIN

Promettre beaucoup, menacersouvent, mais ne pas trop agir…Malgré les effets de manche de lasecrétaire d’État, Hillary Clinton,sur l’urgence du départ de BacharEl-Assad, les États-Unis jouent unrôle mineur et peu visible sur leterrain dans le soutien aux rebel-les. Le 23 juillet dernier, le Washington Post révélait qu’au-cun agent de la CIA n’était postéen Syrie. Une poignée d’hommessont basés en Turquie, dans quel-ques postes-frontières clés, super-visant les envois d’armes sans enfournir directement. Pourquoicette frilosité ? «Depuis le dernierveto russo-chinois au Conseil de sé-curité de l’ONU et la fin des effortsdiplomatiques, il semble que lesÉtats-Unis ont accru leur assis-tance à l’opposition, souligne Robert Malley, directeur du dé-partement Moyen-Orient à l’In-ternational Crisis Group de Wash-ington. Mais ils ont encore desscrupules, surtout en matière defourniture d’armes. Ils craignentqu’elles tombent entre de mauvai-ses mains. »Que des islamistes ra-dicaux ou des groupes affiliés àAl-Qaida s’emparent d’armesmade in USA embarrasserait auplus haut point Washington. Mar-vin Kalb, expert en défense auBrookings Institute et proche dela conseillère à la Défense de Ba-rack Obama, Michele Fournoy, re-connaît que « les Américains n’ontpas de stratégie claire… Commetout le monde ! S’engager dans unprocessus dont personne ne connaîtla fin, envoyer des armes aux re-belles quand on ne sait pas vrai-ment qui ils sont, c’est compliqué…»

La campagne électorale aggrave l’attentismeAutre facteur expliquant l’at-

tentisme des États-Unis, la campa-gne électorale. L’élection présiden-tielle du 4novembre n’est plus quedans trois mois. « Ce contexte pèsesur tous les dossiers, y compris laSyrie, juge Rob Malley. Les Améri-cains sont las des guerres au Moyen-Orient. Obama a promis d’extraireles États-Unis des deux conflits dont

il a hérité et n’a guère envie d’eninaugurer un troisième…» De tempsà autre, le candidat Mitt Romneyet ses amis du Parti républicain cri-tiquent Obama pour sa politiquetrop timide, mais Romney est loind’en faire un argument de campa-gne. Il sait qu’à moins d’une crisemajeure et soudaine, la politiqueinternationale n’influe pas sur uneélection. « Cette année, c’est l’éco-nomie qui domine la campagne,avoue Marvin Kalb. En cette pé-riode d’incertitude, les Américainsvoteront avec leur porte-monnaie. »Qui plus est, entre Obama et Rom-ney, au sujet de la Syrie, l’opposi-tion est minime. Ou plutôt le chal-lenger républicain peine à sedémarquer. «D’éminents sénateursincapables de détailler les positionsde Romney sur la Syrie » titrait, lasemaine dernière, le site Internetde la revue américaine Foreign Po-licy. The Christian Science Monitorironisait, de son côté : « Romney abeau railler la politique étrangèred’Obama, notamment au sujet de laSyrie, il ferait exactement la mêmechose s’il était élu. »

Ç Romney, une fois élu, il s’améliorera ÈD’une manière générale, sur

bien des dossiers de politiqueétrangère, Romney ne se distin-gue guère d’Obama. Sauf peut-être au sujet d’Israël. Dimanchedernier, le républicain déclaraità Jérusalem qu’il considérait laVille sainte comme la capitale del’État hébreu, sous les vivats dela foule. L’un des rares momentspositifs pour lui d’une tournée ja-lonnée d’innombrables faux pasdiplomatiques, tant à Londresqu’à Varsovie, les deux autres ca-pitales visitées par l’ancien gou-verneur du Massachusetts, où iln’a presque jamais évoqué laSyrie. Au point que de nombreuxobservateurs se sont demandé siRomney avait la carrure suffi-sante… « Bien sûr que oui, assureMarvin Kalb. Il dispose de conseil-lers avisés, il est briefé tous les ma-tins. Romney est un homme intel-ligent : une fois élu, il s’améliorera.Mais il n’opérera pas de grandchangement de cap, ni sur l’Iranni sur Israël. Comme Obama, c’estun pragmatique. » g

Les rebelles syriens capturent, hier, un tank de l’armée, dans un quartier d’Alep, actuellement sous leur contrôle. AHMAD GUARABLI/AFP