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Les enjeux décisionnels en santé publique Mécanismes psychologiques des erreurs de raisonnement: implications pour les décisions en santé Aymery Constant Maitre de conférences Psychologie de la santé

Psychologie des erreurs de raisonnement

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Page 1: Psychologie des erreurs de raisonnement

Les enjeux décisionnels en santé publique

Mécanismes psychologiques des

erreurs de raisonnement:

implications pour les décisions en

santé

Aymery Constant

Maitre de conférences

Psychologie de la santé

Page 2: Psychologie des erreurs de raisonnement

• Diagnostic

• Choix d’un traitement ?

• Initier un nouveau traitement ? Conserver le statut quo ?

• Décès ou handicap ?

• Acharnement ou euthanasie ?

• Qu’est ce qui doit primer?

• Vie?

• Bien être?

• Liberté?

• Devoir?

• Compassion?

Décision médicale

Page 3: Psychologie des erreurs de raisonnement

Raisonnement et décision

1) Processus logique et rationnel

2) L’Accumulation de savoir améliore la décision

3) L’expérience renforce la logique

4) Les décisions collectives sont les plus pertinentes

Page 4: Psychologie des erreurs de raisonnement

Une Rationalité….

…Limitée

Page 5: Psychologie des erreurs de raisonnement

Madame M., 62 ans, vient voir son médecin de famille car elle

sent fatiguée en permanence et a du mal à gérer ses activités

quotidiennes. Il lui prescrit des analyses sanguines:

Le médecin lui suggère qu’elle boit trop d’alcool et lui

recommande de limiter sa consommation voire une abstinence

totale. Il lui parle des traitements possibles, d’une

hospitalisation pour effectuer des traitements complémentaires

(endoscopie digestive, examen du foie…).

Etude de cas

transaminases élevées

Page 6: Psychologie des erreurs de raisonnement

=> Hépatite chronique C, contractée au cours d’une

intervention de sclérose des varices dix ans auparavant

Le test du VHC a été pratiqué plusieurs semaines après le

diagnostic initial, après que madame M. ait insisté et

finalement convaincu son médecin de revoir son

diagnostic, car elle ne boit que très modérément

Adressée au service d’hépatologie du CHU pour y débuter

un traitement antiviral (aucune conséquence sur la santé)

Etude de cas

Page 7: Psychologie des erreurs de raisonnement

Manque de connaissances ? De compétences ?

C’est un médecin diplômé

Mauvaise information ?

Toutes les informations médicales étaient valides

Manque d’expérience ?

Il exerce depuis des décennies

Manque de connaissance sur la patiente ?

C’est son médecin de famille depuis des années

D’où vient l’erreur ?

Page 8: Psychologie des erreurs de raisonnement

Transaminase élevée = alcoolisme :diagnostic le plus facilement

disponible en mémoire ?

Hypothèses

Peut être qu’un grand nombre de patients a un problème

d’alcool ? Et il a fait le lien avec sa patiente.

Pense t-il que le problème est forcement d’origine interne ? Et

non externe ?

Il n’a pas recherché de manière exhaustives les informations

pertinentes (intervention médicale invasive il y 10 ans)

A-t-il focalisé son attention sur les informations venant confirmer

sa croyance initiale (alcoolisme) en ignorant celles qui l’infirment

(aucun signe clinique) ou qui sont en faveur d’une hypothèse

alternative (asthénie chronique) ?

Page 9: Psychologie des erreurs de raisonnement

Heuristique

Stratégie cognitive simplifiée utilisée pour économiser du temps

qui permet de faire des déductions acceptables pour l’individu

Mis en évidence par Tversky & Kahneman, dans les années 70

Tversky, A. & Kahneman, D. (1974). Science, 185, 1124–1130.

Kahneman, D (1972). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases.

Cambridge: Cambridge University Press.

Trois de ces heuristiques sont particulièrement influents:

• Heuristique de Disponibilité

• Heuristique de Représentativité

• L’Ancrage

Page 10: Psychologie des erreurs de raisonnement

Disponibilité

On juge la probabilité d’un événement ou d’un objet en

fonction de sa disponibilité en mémoire. La

première impression ou l’explication la plus

présente à l’esprit est privilégiée pour expliquer un

évènement ou estimer une probabilité.

Selon une enquête, 50% des américains craignaient

de mourir dans une attaque terroriste en 2006 (Gallup

poll)

Tversky, A; Kahneman (1973). "Availability: A heuristic for judging frequency and probability". Cognitive Psychology 5

(1): 207–233

La probabilité d’un tel événement est estimée à une

chance sur 20 millions (calcul sur la base des chiffres

disponibles)

Page 11: Psychologie des erreurs de raisonnement

Représentativité

On a interviewé un groupe d’une centaines de

personnes dont 30 avocats et 70 ingénieurs. Ces

entrevues ont permis la rédaction de fiches

succinctes sur chacune de ces personnes.

On a ensuite tiré une de ces fiches au hasard:

« Jean est un homme de 39 ans. Il est marié et a

deux enfants. Il s’occupe activement de politique

locale. Son passe-temps préféré est la collection de

livres rares. Il aime la compétition, la discussion et

s’exprime bien »

Quelle est la probabilité que Jean soit avocat ?

Page 12: Psychologie des erreurs de raisonnement

Représentativité Négligence des probabilités au profit de

l’individu

On préfère se focaliser sur l’information descriptive

et individuelle, au mépris de la logique

mathématique.

Et au profit des similitudes supposées

« Jean est un homme de 39 ans. Il est marié et a

deux enfants. Il s’occupe activement de politique

locale. Son passe-temps préféré est la collection de

livres rares. Il aime la compétition, la discussion et

s’exprime bien » Avocat !!!

Page 13: Psychologie des erreurs de raisonnement

Ancrage (anchoring)

On demande à des participants d’estimer le

pourcentage de pays Africains membres des Nations

unies

Réponse : 25% en moyenne

Réponse : 45% en moyenne

• Dans l’autre groupe: « Est-ce plus ou moins de 65% ? »

• Dans un groupe: « Est-ce plus ou moins de 10% ? »

Page 14: Psychologie des erreurs de raisonnement

Ancrage (anchoring)

L’ensemble du processus de raisonnement est

gouverné par une seule donnée initiale dont il

est difficile de se départir par la suite

Explique l’influence des premières

impressions, ou celles des apprentissages

précoces sur la prise de décision ou l’analyse

d’une situation

Page 15: Psychologie des erreurs de raisonnement

Biais cognitif

«Distorsion que subit une information en entrant dans le système

cognitif ou en sortant. Dans le premier cas, le sujet opère une

sélection des informations, dans le second, il réalise une sélection

des réponses »

Le Ny (1991)

Informations

Pertinentes

Réponses

pertinentes

Informations

Non

pertinentes

Réponses

non

pertinentes

Biais de

sélection

Biais de

raisonnement

Heuristiques

Page 16: Psychologie des erreurs de raisonnement

Acad. Med. 2003;78:775–780

33 biais et heuristiques recensés potentiellement actifs en

clinique médicale

Page 17: Psychologie des erreurs de raisonnement

Biais de sélection

Négligence (Unpacking) – échec à prendre en compte toutes les

informations pertinentes disponibles

Disponibilité (Availability): Ne pas chercher d’autres éléments que

ceux présents à l’esprit – Les expériences récentes influencent le

diagnostic

Ancrage (Anchoring) –”la première impression est la bonne” -

Conserver un diagnostic, même après avoir reçu des informations

contradictoires

Search satisfiying bias– se limiter à la recherche d’information

satisfaisantes; mais pas optimales. Ne pas chercher plus loin

Page 18: Psychologie des erreurs de raisonnement

Biais de raisonement

Aggregate bias – les données scientifiques disponibles ne correspondent pas au patient – cas atypique

Représentativité – ignorer la prévalence réelle d’une maladie (les données statitstiques)

Gender bias – le genre affecte la probabilité du diagnostic

Gambler’s fallacy – “une suite de diagnostics identiques va forcement s’arrêter”

Illusion des séries – “une suite de diagnostics identiques va forcement continuer”

Page 19: Psychologie des erreurs de raisonnement

Transaminase élevée = alcoolisme :diagnostic le plus facilement disponible en mémoire ? biais de disponibilité

Peut être qu’un grand nombre de patients a un problème d’alcool ? Illusion des séries

Le problème est lié à la patiente et non à des événements externes. Erreur fondamentale d’attribution

Certaines informations importantes étaient inconnues (intervention médicale invasive il y 10 ans): Ancrage, unpacking

Focalise son attention sur les informations venant confirmer son diagnostic (transaminases élevées) en ignorant celles qui l’infirment (aucun signe clinique) ou sont en faveur d’une hypothèse alternative (asthénie chronique): Ancrage, Biais d’interprétation

D’où vient l’erreur ?

Page 20: Psychologie des erreurs de raisonnement

Les émotions peuvent compromettre la rationalité d’un décideur

Trois types d’affects:

Transitoire: facteurs environnant, fatigue….

Induits par la situation clinique

Endogène: anxiété, adaptation émotionnelle

Les meilleures preuves scientifiques peuvent être négligées à cause des affects

Biais Affectif

Page 21: Psychologie des erreurs de raisonnement

Deux modes de raisonnement concurrents:

Le premier est rapide, intuitif, automatique (voire

inconscient) implique souvent une composante

affective ou émotionnelle, et requiert peu de

ressources

=> Solutions satisfaisantes

Le second procède étape par étape, lent, délibéré,

dénué d’affect et couteux en ressources

=> solutions optimales

Vulnérable aux biais !

Page 22: Psychologie des erreurs de raisonnement

Rationalité limitée en santé

publique

Cadrage, aversion au risque et biais

d’interprétation

Page 23: Psychologie des erreurs de raisonnement

Définir des priorités ? Décider quels sont les facteurs de risque pour

la santé

Dépister le plus tôt possible ? Ou quand le problème atteint un seuil

critique?

Quelles actions mettre en place ? Comment faire ? Où ? Durée ?

Innover ? Maintenir le statut quo ?

Interdire ? Dissuader ?

Rendre obligatoire ? Encourager ?

Nouvelles stratégies ?

Comparaisons nationales, internationales ?

Cibler les individus? La société ? Les entreprises ?

Qu’est ce qui doit primer?

Liberté ? Bien être? Compassion? Efficacité ? Habitude ?

Décision en Santé publique

Page 24: Psychologie des erreurs de raisonnement

Certaines informations scientifiques sont considérées

comme acquises depuis des décennies car démontrées par

de nombreuses études épidémiologiques, relayées par les

médias et intériorisées par les individus

Preuve épidémiologique forte

Acceptation par le grand public

Pratique des professionnels

Santé Publique

Concordance

Effets nocifs du tabac, de l’alcool, du manque

d’exercice physique ou de la « malbouffe », ivresse au

volant, etc.

Page 25: Psychologie des erreurs de raisonnement

Prendre des décisions éclairées concernant la santé des populations suppose de pouvoir collecter des informations pertinentes

Dans les situations ambiguës, nouvelles, changeantes inconnues, ou chargée émotionnellement, la collecte et l’interprétation des informations vont être influencées par:

Recherche d’information

1) la manière dont l’information est présentée

2) les croyances du décideur

Page 26: Psychologie des erreurs de raisonnement

Vous êtes un décideur haut placé à l’OMS et vous voulez

mettre en place une action préventive pour réduire le

nombre de décès et de blessures liées aux morsures

d’animaux. Sur quel animal allez vous cibler vos efforts ?

en Australie ?

A) Le chien, B) le requin, ou C) le crocodile

en Roumanie ?

A) Le chien, B) le requin, ou C) le crocodile

Décision en Santé publique

en Afrique du sud ?

A) Le chien, B) le requin, ou C) le crocodile

Page 27: Psychologie des erreurs de raisonnement

Cadrage (Framing) L’ensemble du processus de raisonnement est

gouverné par la manière dont est présentée

l’information

Choisie par 72% des participants

Choisie par 28% des participants

On s’attend à ce qu’une épidémie tue 600 personnes.

On demande à des participants de choisir entre deux

programmes possibles

Option A: pourra sauver la vie de 200 personnes

Option B: 33% de chances de sauver 600 personnes

Page 28: Psychologie des erreurs de raisonnement

Cadrage (Framing)

Même scénario, présentation différente

Option A: 400 personnes vont décéder

Option B: 33% de chances qu’il n’y ait aucun décès

Choisie par 22% des participants

Choisie par 78% des participants

L’espérance mathématique est la même dans les deux cas, mais

les formulations évoquant des décès certains sont rejetées, alors

que celles impliquant des vies sauvées certaines sont préférées

Page 29: Psychologie des erreurs de raisonnement

Cadrage (Framing)

Phénomène d’aversion à la perte: la valeur négative d’une perte

est considérée comme supérieure à valeur positive d’un gain

équivalent (capacité, année de vie, décès..)

Possibilité ressenti

Gain de X Positif

Perte de X Extrêmement négatif

Page 30: Psychologie des erreurs de raisonnement

Cadrage (Framing)

Le cadrage permet d’influencer la décision en

utilisant notre tendance à l’aversion à la perte

Si vous êtes favorable au traitement LAMBDA,

vous direz au patient: « Avec le traitement LAMBDA, vous avez 90% de

chances de survie »

Si vous préférez une solution alternative, vous

direz: « Avec le traitement LAMBDA, vous avez 10% de

chances de décès »

Page 31: Psychologie des erreurs de raisonnement

Biais de confirmation Le Bio est-il meilleur pour la santé ? Les jeux vidéos peuvent-ils rendre les enfants violents ? Le WI-FI est-il cancérigène ?

=> A pour effet de semer le doute, même en l’absence de

preuve scientifique

Les comportements changent-ils pendant la pleine

lune ?

Question fermée (OUI/NON): Tendance naturelle à

chercher des informations confirmantes, qui vont

dans le sens du OUI => ignorer l’hypothèse

alternative

Page 32: Psychologie des erreurs de raisonnement
Page 33: Psychologie des erreurs de raisonnement

Reformulation

Poser la question de manière ouverte: Quels sont les facteurs de risque du cancer ?

- Tabac - Alcool - Obésité (sucre, graisse…) - Sédentarité, - Diesel - Soleil - …. Permet de relativiser et définir des priorités

Page 34: Psychologie des erreurs de raisonnement

Reformulation

Induire une comparaison pertinente! Le risque est-il plus élevé pour l’aspartame que pour le sucre ? Le risque est-il plus élevé pour la cigarette électronique que pour la cigarette classique ? Permet d’introduire les alternatives possibles dans la décision

Page 35: Psychologie des erreurs de raisonnement
Page 36: Psychologie des erreurs de raisonnement

Changer d’avis ?

...pas si simple

Page 37: Psychologie des erreurs de raisonnement

Biais d’interprétation

(confirmation des hypothèses)

Université de Santford (USA): On forme deux groupes d’étudiants en fonction de leur avis concernant la peine de mort: Un groupe pour la peine de mort; et un contre la peine de mort

On leur présente ensuite deux études: une

démontrant l’utilité de la peine de mort, et une

démontrant sa contre-productivité

Et on leur demande d’évaluer la qualité

méthodologique de ces deux études

Page 38: Psychologie des erreurs de raisonnement

“Biased assimilation and attitude polarization: The effects

of prior theories on subsequently considered evidence”

Conclusions des études sur la peine

de mort

« efficace » « Contre-productive »

Groupe Favorable

à la peine de mort Qualité ++ Qualité --

Page 39: Psychologie des erreurs de raisonnement

“Biased assimilation and attitude polarization: The effects

of prior theories on subsequently considered evidence”

Conclusions des études sur la peine

de mort

« efficace » « Contre-productive »

Groupe Favorable

à la peine de mort Qualité ++ Qualité --

Groupe contre la

peine de mort Qualité ++ Qualité --

Les études sont jugées valides si elles vont dans le

sens des opinions initiales, et discréditées dans le

cas contraire

Page 40: Psychologie des erreurs de raisonnement

Autre effets

Des médias couvrant une campagne politique vont être jugés hostiles par les deux camps Des lobbys vont sélectionner les études qui les arrangent (casque à vélo; effet néfaste d’un aliment ou bénéfice d’un médicament…)

Des travaux scientifiques vont être jugés sous un angle politique ou idéologique, sans considération de leur valeur scientifique intrinsèque

Page 41: Psychologie des erreurs de raisonnement

L’expérience renforce la logique

(ou freine toute évolution)

Page 42: Psychologie des erreurs de raisonnement

Question 1: « décrivez le contenu exact du repas de midi que vous avez pris il y a 15 jours »

Le Biais mnésique

Questions 2: « décrivez la situation dans laquelle vous vous trouviez lorsque vous avez appris les attentats du 11 septembre 2001 »

Le rappel des informations est facilité par l’intensité des émotions associées…et par leur nature

Page 43: Psychologie des erreurs de raisonnement

“Dissociation of recall and fragment completion”

Journal of Abnormal Psychology, 101, 575–580

Page 44: Psychologie des erreurs de raisonnement

Biais mnésique

Dans son fonctionnement normal, la mémoire traite et récupère les données agréables et plaisantes plus efficacement que les autres. => Disponibilité Accrue qui produit des biais de rappel Mécanisme de protection contre l'humeur dépressive (« positive illusions ») Permet aussi de justifier après-coup les décisions prises au cours de sa vie (« choice supportive bias »)

Page 45: Psychologie des erreurs de raisonnement

Biais mnésique

Nos expériences passées semblent bien plus positives qu'elles ne l'étaient en réalité

La référence purement subjective (hors données chiffrées comparables) à une situation passée est peu pertinente pour évaluer une situation actuelle ou à venir

Renforce des phénomènes comme la résistance au

changement, l’ancrage, la persévérance de croyances erronées, la confirmation des hypothèses, etc…

L’expérience éclaire surtout le passé

Page 46: Psychologie des erreurs de raisonnement

Est-il possible de se remettre

en question?

Page 47: Psychologie des erreurs de raisonnement

Erreur Fondamentale

Mise en évidence par Jones et Harris (1967) Des participants doivent juger des dissertations défendant des positions idéologiques, imposées par le professeur. La moitié des participants savent que le thème est imposé, les autres pensant qu'il s'agit de « libre expression »

« The attribution of attitudes », 1967

Page 48: Psychologie des erreurs de raisonnement

Erreur Fondamentale Même les participants qui savaient que le thème était imposé ont considéré qu'il reflétait la véritable position du rédacteur sur le sujet Leur attitude était jugée conforme à la position qu'ils étaient obligés de défendre Surestimation des causes internes à un individu, au

détriment de contraintes ou de causes externes possibles

Page 49: Psychologie des erreurs de raisonnement

Biais d’autocomplaisance Suite à un cancer mal diagnostiqué en 1980, M. Paul Mongerson décide de fonder une société visant à concevoir des logiciels d’aide au diagnostic. En 2006, il demande à son médecin pourquoi il n’utilise pas de logiciel d’aide à la décision. Réponse du praticien:

- « Cela prend du temps et je fais moins de 1% d’erreur »

The American Journal of Medicine (2008) Vol 121 (5A), fvii

- « La littérature montre que le taux d’erreur est de 5 à 10% »

- « C’est à cause des autres médecins »

Page 50: Psychologie des erreurs de raisonnement

Biais d’autocomplaisance

- Gosling (1992) a interrogé des enseignants sur la cause de la réussite et de l’échec de leurs élèves

- Les résultats ont montré que:

- Lorsque les étudiants réussissent, ils pensent c’est grâce à la qualité de leur enseignement

- Lorsque les étudiants échouent, ils pensent que c’est davantage liés à des causes externes (contexte familial)

Qui est responsable de l’échec scolaire ? (1992 ) PUF, Paris

Page 51: Psychologie des erreurs de raisonnement

Renforcement des croyances:

Les prophéties auto-réalisatrices

Page 52: Psychologie des erreurs de raisonnement

1° trimestre 2° trimestre 3° trimestre

Test de QI Test de QI

Enfants « précoces » Enfants « Normaux »

“Teacher Expectation for the

Disadvantaged”

Évolution

Page 53: Psychologie des erreurs de raisonnement

Evolution

Tous les élèves annoncés comme « précoces » ont progressé significativement Des relations privilégiées se sont formés entre ces élèves et les enseignants Des rôles plus importants (garder la classe, gérer les activités, etc...) leur était attribué Minoration des erreurs commis par les précoce

Page 54: Psychologie des erreurs de raisonnement

Effet Rosenthal

« Précoces » ou « normaux » => tirage à pile ou face

Rosenthal et Jacobson créaient chez les professeurs soit une « attente positive », soit, « pas d’attente ». Un préjugé basé sur un test valide, mais aux résultats faussés

…qui a eu un effet sur la conduite des

enseignants, les résultats des élèves, ce qui a

confirmé les attentes !

Page 55: Psychologie des erreurs de raisonnement

On demande à un étudiant d’appeler une personne qu’elle ne connaît pas sous un prétexte quelconque. On lui présente une photo de l’interlocuteur:

corpulence normale obèse

Préjugé (USA): « les personnes obèses ont

tendance à être désagréable et irritable »

“Why does behavioral confirmation occur? A functional

perspective on the role of the perceiver”

Page 56: Psychologie des erreurs de raisonnement

Prophéties auto-réalisatrices

Ceux qui croyaient téléphoner à une personne en surpoids se comportaient de manière plus désagréable que celles qui croyaient appeler une personne de corpulence normale En retour la personne au téléphone était également plus désagréable avec leur interlocuteur

=>Confirmant ainsi la croyance initiale

Snyder M, Haugen JA. 1994. Why does behavioral confirmation occur? A functional perspective on the role of the

perceiver. J. Exp. Soc. Psychol. 30:218–46

Page 57: Psychologie des erreurs de raisonnement

Etude prospective sur la consommation d’alcool des adolescents

“Self-Fulfilling Prophecies : The Synergistic

Accumulative Effect of Parents' Beliefs on Children's

Drinking Behavior”

Consommation d’alcool des

adolescents

Estimation par les parents

Temps 2

Consommation d’alcool

des adolescents

12 mois

Temps 1

• Estimation parentale conforme à la réalité

• Surestimation

• Sous-estimation

Page 58: Psychologie des erreurs de raisonnement

Surestimation des

deux parents

Consommation

+ élevée

Page 59: Psychologie des erreurs de raisonnement

Une étude menée en Grande-Bretagne, a

démontré que le nombre de passages aux

urgences suite à un accident à la route était de

52% supérieur les vendredi 13 par rapport aux

vendredi 6, même s'il y avait moins de voitures en

circulation.

Les auteurs recommandent de rester chez soi ce

jour-là

Scanlon, Luben, Scanlon, & Singleton, 1993

Is Friday the 13th bad for your health?

Page 60: Psychologie des erreurs de raisonnement

Cet élève est « précoce »

Les obèses sont désagréables

Mon enfant boit beaucoup d’alcool

Le vendredi 13 porte malheur

Décision, Conduites, actions

attentes

Croyances, stéréotypes

Réactions et résultats en

conséquence

Renforcement

des croyances

initiales

Contribue à l’effet « placébo », et la persistance de pratiques infondées car elles produisent un effet conforme aux croyances

Page 61: Psychologie des erreurs de raisonnement

Dynamique de groupe?

Le danger du conformisme

Page 62: Psychologie des erreurs de raisonnement

Effet ASCH On demande à un groupe d’étudiants d’effectuer

un test de vision simple: quelle ligne parmi les trois

correspond au modèle ?

Page 63: Psychologie des erreurs de raisonnement

Effet ASCH Le groupe est composé de « complices », à

l’exception d’un étudiant qui est le sujet réel de

l’expérience

Lorsque les complices soutiennent à l’unanimité

une mauvaise réponse, 37% des sujets

préfèrent se conformer à cette mauvaise

réponse que de s’opposer au groupe

Lorsque la pression du groupe disparait, le taux

de réponse correcte passe à 100%

=>Soumission à la majorité

=> conformisme

Page 64: Psychologie des erreurs de raisonnement

Effet ASCH

- Peur du ridicule, d'avoir l'air idiot, d'être rejeté

(Peur de la désapprobation sociale):

=>Influence Normative

- Le doute quant à la validité de sa propre réponse.

=> Influence informationnelle

L'influence informationnelle est particulièrement

importante quand on est confronté à une tâche que

l'on ne maîtrise pas.

L'influence normative est importante quand le

groupe est important pour nous

Page 65: Psychologie des erreurs de raisonnement

Soumission volontaire

On se conforme aux avis d’une

« autorité légitime »: blouses

blanches, experts, savant,

intellectuel, etc…sans interroger

ni l’origine ni la pertinence de leur

dires

Page 66: Psychologie des erreurs de raisonnement

Soumission à l’autorité

EHESP

66

Expérience datant de 1966 sur 22 infirmières

Un médecin nommé "Smith" appelle les

infirmières par téléphone et leur demande

d'administrer 20 mg d'un médicament

(Astroten) à un patient

• Les prescriptions par téléphone étaient strictement interdites

• Aucun docteur Smith ne travaillait effectivement au sein de

l'hôpital

• l'Astroten était « en phase de test »

• Enfin, la dose prescrite ne pouvait excéder 10mg selon les

indications du flacon

21 des 22 infirmières ont administré le « médicament » au

patient.

Hofling CK et al. (1966) "An Experimental Study of Nurse-Physician Relationships"

Page 67: Psychologie des erreurs de raisonnement

Rationalité limitée

Pourquoi tous ces biais de jugements ? Parce qu’ils semblent donner des résultats

satisfaisants dans les situations familières,

courantes, routinières et ne requièrent qu’un

minimum d’efforts

=> Adaptés aux situations de la vie de tous les jours

Conséquences adverses pour la santé publique:

le discrédit de connaissances valides, la persistance

de croyances erronées et de pratiques obsolètes; le

maintien de statut quo

Page 68: Psychologie des erreurs de raisonnement

Utiliser un médicament qui n’a jamais fait la preuve de

son efficacité, car on y est habitué

Considérer la cigarette inoffensive car plein de gens

fument depuis des années sans problème

Continuer à rouler vite car jamais eu d’accidents

« La consommation de bon vin n’est pas dangereuse »

Pour sa santé, il vaut mieux consommer du sucre que des

édulcorants; Les antibiotiques, c’est automatique; ne pas

toucher un granulé d’homéopathie (piège)

Page 69: Psychologie des erreurs de raisonnement

Félix-Archimède Pouchet

(1800-1872), médecin,

biologiste et chercheur

rouennais, fut l'un des

précurseurs de la science

naturelle....et l'un des

adversaires les plus

acharné de Pasteur !

Il a soutenu jusqu’à sa mort la théorie de la génération spontanée

Page 70: Psychologie des erreurs de raisonnement

de la « Rationalité Limitée » au

« Rationalisme Critique »

Page 71: Psychologie des erreurs de raisonnement

Contre-mesures

- Sensibiliser à l’existence des biais cognitifs par

l’information et l’éducation, en utilisant des exemples concrets et des descriptions détaillées de leurs effets - Forcer l’hypothèse alternative à toute question. - Prendre du recul par rapport au problème immédiat et analyser sa manière de le résoudre.

- Ne pas (trop) se fier à sa mémoire - Développer des algorithmes de décisions adaptés aux situations nouvelles

Page 72: Psychologie des erreurs de raisonnement

Douter a priori

- Privilégier les informations issues de plusieurs sources indépendantes utilisant des méthodes rigoureuses et transparentes de collecte et d’analyse des données (revue de littérature; méta-revue;…)

- Distinguer ce que disent les études de ce qu’elles ne disent pas

- Le niveau de preuve infirmant une hypothèse doit être au moins égal à celui la confirmant pour pouvoir induire un doute légitime

- Attention à l’émotion !

Attention !: groupes d’intérêt idéologiques, financiers,

religieux, politiques, corporatistes, etc…

Page 73: Psychologie des erreurs de raisonnement

Comment les décisions en santé

publique ont pu être influencées au

mépris des preuves scientifiques:

Exemples de cas en France

Si on a le temps……

Page 74: Psychologie des erreurs de raisonnement

EHESP

74

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EHESP

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EHESP

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Page 77: Psychologie des erreurs de raisonnement

Rapport INSERM 2005

S’appuyant sur les conclusions de plus d’un millier de recherches scientifiques internationales, les experts de l'INSERM préconisent dans un document de 364 pages (disponible en ligne) de mieux informer parents et éducateurs sur les troubles du comportements chez les enfants et de le dépister le plus précocement possible, dès l’âge de trois ans, afin d’en assurer la prévention.

Page 78: Psychologie des erreurs de raisonnement

Recommandations du rapport

Améliorer l’information sur le trouble des conduites en France, notamment au

moyen d’études épidémiologiques auprès d’enfants et adolescents dans la

population générale, tout comme dans des populations à haut risque (milieu

carcéral, éducation spécialisée, zones urbaines sensibles…).

• Repérer les facteurs de risque familiaux, pré- et périnataux, génétiques.

• Développer des programmes de prévention spécifiques,

former le personnel des structures éducatives,

intervenir auprès des familles à risques, dépister les signes

précurseurs le plus tôt possible, c’est-à-dire à 3 ans, et les reporter

sur le carnet de santé.

• Effectuer des évaluations régulières, approfondies et pluridisciplinaires

pour les sujets présentant des symptômes. Évaluer les effets des diverses

psychothérapies. Poursuivre les recherches pharmacologiques.

Page 79: Psychologie des erreurs de raisonnement

Rapport INSERM 2005

Le lendemain même, le Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (SNMPMI), s’insurge. Ses dirigeants seront à l’origine de Pasde0deconduite, qui ralliera plusieurs dizaines d’associations de psychologues, médecins, éducateurs… et dont la pétition (disponible en ligne) sera contresignée par près de 200 000 internautes. Parmi les premiers signataires, on retrouve des pédopsychiatres, psychologues cliniciens, médecins, maitre de conférence, professionnels de la petite enfance, …. …Dont beaucoup appartiennent à un courant de pensée philosophique qui avait déjà fait censurer un rapport de l’INSERM par le ministre de la santé en 2004

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Pétition

« les enfants dépistés seraient soumis à une batterie de tests élaborés sur la base des théories de neuropsychologie comportementaliste » « Selon les critères des études Anglo-Saxonnes » crèches et écoles transformées en « lieux de traque », « dressage ou rabotage des comportements », toxicomanie médicamenteuse pour abrutir le délinquant potentiel trop petit pour se défendre « Le moindre geste, les premières bêtises d’enfant risquent d’être interprétés comme l’expression d’une personnalité pathologique » à la merci d’une « pensée soignante robotisée »

http://www.pasde0deconduite.org/appel/

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EHESP

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Appel à l'initiative des premiers signataires suivants : Dr Christine Bellas-Cabane (pédiatre,

présidente du syndicat national des médecins de PMI), Dr François Bourdillon (président de la société

française de santé publique), Dr Marie-Laure Cadart (médecin, anthropologue, syndicat national des

médecins de PMI), Michèle Clément (secrétaire générale du syndicat national des psychologues), Dr

Yvonne Coinçon (pédopsychiatre, association des psychiatres de secteur infanto-juvénile), Jean-

François Cottes (psychologue clinicien, psychanalyste, InterCoPsychos, Institut de Jeunes Sourds de

Clermont-Ferrand), Pr Boris Cyrulnik (neuropsychiatre et éthologue), Pr Pierre Delion (chef de service

de pédopsychiatrie au CHU de Lille), Danièle Delouvin (psychologue, présidente d’A.NA.PSY.p.e. –

association nationale des psychologues pour la petite enfance), Dr Michel Dugnat (pédopsychiatre, unité

parents-bébés hôpital de Montfavet), Dr Marie-Thérèse Fritz (pédiatre, syndicat national des médecins

de PMI), Sylviane Giampino (psychanalyste, psychologue petite enfance, fondatrice

d’A.NA.PSY.p.e.), Pr Bernard Golse (chef de service de pédopsychiatrie CHU Necker-enfants malades,

professeur Université Paris V), Pr Roland Gori (psychanalyste, professeur d’université), Pr Catherine

Graindorge(chef de service de pédopsychiatrie Fondation Vallée, professeur Université Paris XI), Pr

Philippe Gutton (pédopsychiatre, professeur des universités), Alberto Konicheckis (maître de

conférences en psychologie clinique, Université de Provence), Dr Sophie Lemerle (pédiatre hospitalière,

présidente de la société française de santé de l'adolescent), Dr Evelyne Lenoble (pédopsychiatre, hôpital

Sainte-Anne), Pr Roger Misès (professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent,

Université Paris XI), Pr Martine Myquel (présidente de la société française de psychiatrie de l’enfant et

de l’adolescent et des disciplines associées), Gérard Neyrand(professeur de sociologie Université

Toulouse III), Dr Pierre Paresys (Union syndicale de la psychiatrie), Danielle Rapoport (psychologue

clinicienne, association Bien-traitance formation), Elisabeth Roudinesco(historienne, directrice de

recherches Université Paris VII), Dr Pierre Staël (président du syndicat des psychiatres français), Dr

Pierre Suesser (pédiatre, syndicat national des médecins de PMI).

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Cadrage

Contenu du rapport Contenu de la pétition

Etudes internationales Etudes Anglo-saxonnes

Dépistage Traque

Repérer les facteurs de risque

et prévenir les troubles

approche déterministe et

suivant un implacable principe

de linéarité

Prévention précoce Traque précoce

Pharmacologie en seconde

intention

Toxicomanie

Prise en charge

psychothérapique

Formatage, dressage ou

rabotage des comportements

intervenir auprès des familles à

risques

stigmatisation

Page 83: Psychologie des erreurs de raisonnement

Enfants: charge émotionnelle forte

Contexte politique et culturel

Lobbys et opinions idéologiques

Croyances concernant les méthodes « Anglo-saxonnes »

Irruption de recommandations internationales dans la sphère

professionnelle locale

Pétition: effet de cadrage et

aversion au risque

Mise en cause:

de l’INSERM

Des « Anglos-Saxons »

des experts

Des études internationales

Des recommandations

scientifiques

Maintien du statut quo

contexte

Changement des pratiques

=

dérive totalitaire

Page 84: Psychologie des erreurs de raisonnement

Fondamental pour

toute action de prévention

Page 85: Psychologie des erreurs de raisonnement

Pour finir….

Eléments de réflexion sur la décision en

santé publique

Page 86: Psychologie des erreurs de raisonnement

L’analyse des besoins doit s’appuyer sur des

preuves, pas des croyances…

Accès au soins vs. Recours aux soins

Page 87: Psychologie des erreurs de raisonnement

Mais les prédictions à moyens et

longs termes sont souvent à

coté de la plaque….

Une étude épidémiologique publiée dans The Lancet (16 juillet 2013) témoigne d’un

très net recul de 25% du taux de démences chez les plus de 65 ans en Angleterre au

cours de ces 20 dernières années : Alors que le taux de démences au sein de cette

population s’établissait à 8,3% il y a 20 ans, il n’est plus que de 6,2%

The Lancet Published Online July 16, 2013

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Devise à méditer…

« Nullius in Verba »