13methodologie

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  • 8/8/2019 13methodologie

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    LASDEL

    Laboratoire dtudes et recherches sur les dynamiques

    sociales et le dveloppement local

    BP 12 901, Niamey, Niger tl. (227) 72 37 80

    Lenqute socio-anthropologique deterrain : synthse mthodologique et

    recommandations usage des tudiants

    JP. Olivier de Sardan

    Octobre 03

    Etudes et Travaux n 13

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    Table des matires

    Avertissement.......................................................................................................................................... 3

    Premire partie. Quelques recommandations lmentaires................................................. 4

    1. Difficults de lentretien, et conseils mthodologiques ................................................................. 4

    2. Consignes pour les enquteurs du LASDEL................................................................................... 8

    3. Exemple dune fiche dentretien..................................................................................................... 9

    4. Lobservation ............................................................................................................................... 10

    5. Le dpouillement des donnes...................................................................................................... 14

    6. Quelques principes lmentaires de transcription des termes en langues nationales ................. 16

    7. Code de bonne conduite entre les chercheurs et collaborateurs dun programme de recherche 18

    Deuxime partie. Un canevas d'enqute collective multi-site: ECRIS .............................. 19

    Note de prsentation ........................................................................................................................ 19

    Introduction...................................................................................................................................... 19

    Une "affinit slective" entre un point de vue thorique et une procdure mthodologique........... 20

    Conflit............................................................................................................................................... 21

    Arne ................................................................................................................................................ 23

    Groupe stratgique........................................................................................................................... 24

    La procdure ECRIS ........................................................................................................................ 25

    Conclusion........................................................................................................................................ 28

    Troisime partie. La politique du terrain. Sur la production des donnes enanthropologie .......................................................................................................................... 30

    Introduction...................................................................................................................................... 30

    L'observation participante ............................................................................................................... 32

    Les entretiens ................................................................................................................................... 36

    Les procds de recension................................................................................................................ 40

    Les sources crites ........................................................................................................................... 41

    La combinaison des donnes............................................................................................................ 42

    La politique du terrain ..................................................................................................................... 43

    La gestion des biais de terrain..................................................................................................... 49

    Conclusion: plausibilit et validit .................................................................................................. 52

    Bibliographie

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    Avertissement

    Ce numro trs particulier de Etudes et Travaux du LASDEL sadresse avant tout auxtudiants de licence, de matrise et de DEA en sciences sociales qui dsirent avoir uncertain nombre de repres mthodologiques et pratiques concernant lenqute de terrain socio-anthropologique (de type qualitatif), fonde sur lentretien libre, lobservation, les tudes decas, telle que nous la pratiquons, sous des formes collectives (procdure ECRIS) etindividuelles.

    Nous nous sommes en effet aperus quils navaient reu aucune formation, dans laplupart des cas, sur le travail de terrain de type qualitatif, et que, bien souvent, lenqute sersumait pour eux ladministration de questionnaires.

    On trouvera donc ici dune part, en premire partie, des indications trs pratiques,

    issues des expriences du LASDEL en matire dencadrement dtudiants sur le terrain. Bienque nous naimions pas tout ce qui voque des recettes , nous avons constat que desconsignes ou des recommandations prcises taient indispensables.

    On trouvera ensuite, parce que lenqute socio-anthropologique ne se rsume en aucuncas des trucs ou des directives, et quelle implique une bonne comprhension et matrisedes problmatiques et des enjeux thoriques autour du terrain , deux textes gnraux, quicombinent le registre pistmologique (quels types de connaissances voulons-nous oupouvons-nous produire par lenqute de terrain, avec quelles limites ?) et le registremthodologique (comment produire ces connaissances en minimisant les biais et enmaximisant la qualit des donnes ?). Lun (en deuxime partie) explique les fondements et

    les procdures dune forme collective denqute que nous avons appele ECRIS et que nousutilisons trs souvent la fois comme outil de lancement dune enqute multi-sites et commeoutil de formation. Lautre, en troisime partie, propose une synthse des contraintes et desressources de lenqute de terrain.

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    Premire partie

    Quelques recommandations lmentaires

    1. Difficults de lentretien, et conseils mthodologiques 1

    Deux grandes difficults ont t repres ches les tudiants :

    - Difficult sloigner de la culture du questionnaire : on veut poser desquestions dans lordre, au lieu de mener une vritable conversation, avec sesdtours

    - Difficult dgager au fur et mesure dun entretien ce qui est pertinent ou paspar rapport lenqute dans les propos de linterlocuteur (ce qui se manifeste aussidans les difficults faire des synthses lors de restitutions ultrieures)

    Conditions et contexte des entretiens

    - Comment grer le passage spontan dun entretien individuel un entretiencollectif : on veut faire un entretien individuel, et on voit des gens venir etsagglomrer (soit du fait de linterlocuteur, qui veut des tmoins, soit du fait dulieu, qui est ou devient public) ? Ceci est invitable en dbut denqute (surtoutdans une enqute collective); do la ncessit de sjourner dans le village, derevenir voir linterlocuteur, pour par exemple, plus tard, prendre des rendez-vousindividuels ou plus discrets

    - Interlocuteurs absents, ou interlocuteurs incomptents : cest frquent, il faut de lapatience et du temps

    - Parfois on ne parle pas la langue locale : le problme du choix de linterprte sepose ; plus celui-ci est mme de comprendre la problmatique de lenqute,mieux cest. Mais il faut toujours consacrer du temps le former pour traduire leplus fidlement possible, sans modifier ou interprter les propos, ni les rsumer lexcs, et sans rpondre la place des interlocuteurs. Pendant que les gens parlenten langue locale, utiliser ce temps libre pour rflchir aux questions suivantes,et ne pas manifester dimpatience.

    - Fatigue ou saturation au bout de quelques entretiens :o Cela peut tre d un manque de concentration sur les propos de

    linterlocuteur, de vigilance pendant lentretien

    o Mais aussi cela peut signaler la ncessit dune pause !- Le statut social ou le genre de lenquteur peut parfois poser problme, mais ce

    nest pas ncessairement un handicap dfinitif (surtout dans la dure, et silenquteur est bien form)

    - La langue paysanne (ou le jargon professionnel) nest pas identique la languestandard des villes ; il faut donc lapprendre.

    1 Texte rdig partir des synthses des dbats et des bilans des enqutes menes dans le cadre des deuxpremiers ateliers de formation lentretien et au terrain organiss par le LASDEL en septembre 02 et octobre 03

    lintention dtudiants de niveau matrise de lUniversit Abdou Moumouni Niamey (avec participationdtudiants de lUniversit dAbomey-Calavi du Bnin). Il sagit donc dune mise en forme dun travail collectifaccompli par lensemble des chercheurs du LASDEL, qui ont encadr les tudiants.

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    - Plus lenquteur est comptent sur le sujet, plus il posera des questions pertinentes,et plus son interlocuteur ira loin : do limportance, avant un premier terrain,davoir fait un solide dpouillement documentaire

    - Habiter le village (si on travaille en milieu rural), sjourner longtemps dans lesservices (si on travaille en milieu professionnel urbain), cest indispensable. Une

    bonne enqute implique du temps, et suppose lobservation participante ,autrement dit ctoyer les gens, bavarder avec eux, vivre (au moins un peu) aveceux. On ne peut simplement descendre de voiture, faire trois entretiens, et repartir.Cest le soir, aprs le travail, quon apprend beaucoup de choses. Cest dans ladure que les gens shabituent au chercheur, et commencent lui faire confiance.

    - Un entretien avec un nouvel interlocuteur est parfois le dbut dune sriedentretiens avec lui : il est toujours prfrable davoir plusieurs entretiens avec uninterlocuteur intressant ou comptent ou disponible

    Lentre en matire

    - Expliquer toujours lobjet de lentretien ; et le faire en termes comprhensiblespour linterlocuteur, qui font sens pour lui (selon les interlocuteurs, on prsenteradonc diffremment lenqute)

    - Se prsenter toujours personnellement (en disant son nom) au dbut- Demander le nom de linterlocuteur (au dbut ou la fin, peu importe)

    La conduite de lentretien

    - Prvoir lavance la premire question, de type descriptif ou narratif, enparticulier biographique ( comment tes-vous devenue matrone ? , ou quel estvotre travail comme prsident du groupement ?)

    - Ne pas utiliser le canevas comme un questionnaire : ce nest quunpense-bte, qui permet de ne pas oublier certains points ; il faut viter de poser desquestions trop proches de lui, et non adaptes linterlocuteur; on ne doit pasncessairement suivre le mme ordre ; il faut pouvoir sloigner du canevas, etparfois mme loublier, quitte y revenir ensuite

    - Ne pas aborder tous les thmes du canevas avec tous les interlocuteurs : sefocaliser sur les thmes qui relvent des comptences de linterlocuteur, ou quisuscitent son intrt, sur ce qui le branche , et laisser tomber les thmes ducanevas qui ne le concernent pas, ou sur lesquels on pense quil naura rien dire

    - Eviter les questions trop gnrales, trop abstraites, trop proches du canevas ( est-ce que les femmes ont de lautonomie dans lespace conomique ?) : lesquestions quon pose ne sont pas les questions quon se pose, elles doivent fairesens pour linterlocuteur

    - Eviter les questions dont les rponses sont trop prvisibles ( est-ce que voustrouvez que vous gagnez assez dargent ?) ou qui ne font gure de sens ( est-ceque les marabouts peuvent avoir des jardins marachers ?) ou qui engendrent desrponses strotypes et artificielles ( est-ce que vous vous entendez entrevous ?)

    - Certains entretiens sont manifestement improductifs : ne pas sacharner, y mettrefin ds que possible tout en respectant la biensance

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    - Accepter les rptitions des interlocuteurs sans rien manifester, mais viter denfaire soi-mme (reposer autrement , sous une autre forme, avec dautres mots, unequestion laquelle il na pas t suffisamment rpondu)

    - Accepter les digressions de linterlocuteur ; celles qui sont pertinentes pour lesujet trait doivent tre encourages ; ne pas relancer par contre si elles ne sont pas

    pertinentes

    - Quand linterlocuteur est manifestement branch par un thme pertinent,lencourager au maximum, ne pas essayer de passer une autre question, ne pas lecouper

    - Lencourager donner des exemples, dvelopper tel ou tel cas- En cours dentretien, on peut faire une pause pour bavarder dautre chose, chercher

    des connaissances communes, utiliser la parent plaisanterie : cela dcrispelambiance

    - Eviter, surtout en dbut dentretien, ou lors dun premier entretien, les questions gnantes ou chaudes (sur largent, la politique, par exemple)

    - Demander, quand cest possible, dnumrer, de lister, de classer (= quelinterlocuteur fasse sa propre typologie) ; demander parfois de dfinir un terme(smiologie populaire)

    - Sappuyer si possible sur les propos de linterlocuteur pour poser la questionsuivante, mme si elle nest pas dans le cadre du canevas

    - Improviser des questions nouvelles, en fonction du droulement de lentretien (lesnoter au fur et mesure quelles vous viennent lesprit)

    - Un entretien, cest comme une consultation dInternet 2 : tout moment il y a denouvelles fentres que lon peut ouvrir, ou mme qui sont ouvertes parlinterlocuteur ; le bon enquteur les ouvre ou les consulte, le mauvais les ferme

    - Dans ses propos, linterlocuteur laisse parfois des zones dombre 3, peu claires,ou peu explicites : il faut alors lui demander dy revenir, dexpliciter, dedvelopper, et non passer la question suivante

    - Avoir en permanence un comportement dcoute, en hochant la tte, en montrant,par des interjections usuelles dans les langues locales, que lon suit de prs, avecintrt

    Prise de notes

    - Noter quelque part (marge, bas du cahier), au fur et mesure quelles viennent lesprit pendant la conversation, les questions que lon veut poser, les nouvellesquestions, les demandes de prcision, etc ; les rayer quand le point a t trait

    - Prendre quelques citations verbatim , cest--dire exactes, textuelles, intgrales,dans la langue locale, des propos de linterlocuteur sur des points particulirementpertinents (et les mettre entre griffes = entre guillemets) ; noter dans la languelocale les termes importants utiliss (smiologie populaire)

    2Cette mtaphore a t propose et dveloppe dans le second atelier par Nassirou Bako Arifari

    3 Expression utilise lors du second atelier par Aboubacry Imorou

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    - Quand linterlocuteur parle dun cas prcis, quil fournit un exemple, cest l quilfaut prendre le plus de notes, pour avoir des dtails illustratifs (beaucoupdenquteurs sarrtent au contraire dcrire ce moment)

    - Toujours prendre des notes mme si on enregistreEnregistrement

    - Demander lautorisation denregistrer avant de mettre en marche lenregistreur (lesgens connaissent les magntophones, ne pas croire quils ne sen rendront pascompte), en expliquant pourquoi (rassurer sur lusage des cassettes, et laconfidentialit : ces bandes ne seront coutes par personne dautre et seronteffaces)

    - Toujours essayer lenregistreur avant lentretien- Le poser au mieux par rapport au micro (en protgeant celui-ci du vent) et essayer

    ensuite quon oublie sa prsence, le banaliser

    -

    En fin dentretien, il peut tre efficace, si on veut aborder des sujets sensibles ,darrter lenregistreur pour permettre alors de parler plus librement (prendre desnotes si cest possible, mais si cela risque de bloquer la parole, ne noter quaprslentretien, ailleurs)

    - Dire le nom de linterlocuteur dans lenregistreur, noter mesure sur les cassettesles noms, lieux, dates

    Pour les enqutes collectives de formation

    - Lencadreur mne dabord lui-mme un entretien, avant que chaque stagiaire enmne un

    - Avant chaque entretien, prvoir en quipe les questions de dpart, les thmes ducanevas que lon va aborder et ceux que lon va laisser tomber

    - Aprs chaque entretien, faire un bref bilan en quipe

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    2. Exemple : consignes pour les enquteurs du LASDEL

    Voici titre dexemple, qui reprend certains thmes voqus ci-dessus, la fiche deconsignes distribue aux enquteurs du LASDEL, ainsi que la fiche dentretien remplir

    1.1. Pendant les enqutes

    Vrifier le fonctionnement de lenregistreur avant lentretien ; avoir des piles et cassettes derechange.

    Toujours partir avec une liste des problmes investiguer (= des questions de recherche,prcises ou plus gnrales, que lon se pose : ce que nous appelons canevas dentretien ) ; ne pashsiter y jeter un coup doeil pendant les entretiens ; ne pas sen servir comme dun questionnaire(cf. ci-dessous)

    Toujours avoir un cahier de notes, et sen servir, mme si lon enregistre (et y noter soit desremarques sur lattitude de lenqut, soit de nouvelles questions quil faut approfondir au fur et

    mesure de lentretien).

    Il faut parfois ne pas utiliser lenregistreur, ou le fermer, si cela semble gner linterlocuteur :en ce cas il faut prendre un maximum de notes

    Prendre toujours des notes aprs des conversations informelles intressantes (horsentretiens formels) ; noter galement les remarques personnelles, hypothses nouvelles, pistes suivre,etc.

    Ne pas hsiter poser des questions dont les rponses semblent videntes lenquteur ; mmesi elles sont galement videntes pour lenqut, on peut toujours lui demander pourquoi cest ainsi ?pourquoi dit-on que ?, etc

    Porter sur chaque cassette aprs lentretien un numro avec le code de lenquteur et le code delenqute, la date et le lieu de lentretien, le nom des enquts

    1.2. Transcriptions et saisies

    Toujours numroter les pages des cahiers et coder les cahiers

    Toute transcription ou traduction dun entretien enregistr doit tre prcde dun en-tteportant :

    nom de lenquteur

    numro de la cassette (ou des cassettes)

    nom de lenqut

    date et lieu dentretien

    Un entretien enregistr doit tre intgralement transcrit, jamais rsum

    Introduire de la ponctuation

    Ajouter la fin de la transcription de lentretien les remarques ventuelles crites pendantlentretien sur le cahier de notes

    Faire saisir les notes prises aprs les conversations informelles non enregistres, ainsi que lesobservations (avec le mme type den-tte que pour les entretiens)

    Remplir aprs chaque transcription dun entretien la fiche dentretien

    Corriger les saisies en se reportant en permanence loriginal, vrifier len-tte,introduire si besoin est de nouvelles ponctuations

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    3. Exemple : fiche dentretien du LASDEL

    Etude :

    Responsable :Enquteur (s) :

    Enqute : ( ) ECRIS ( ) Individuelle

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Groupe stratgique :

    Identit de lenqut (e) : Fonction :

    Particularits (ge, enfants, instruction, etc.) :

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Date de l'entretien : Lieu de l'entretien :Dure de l'entretien : (heures, minutes) ou de

    C a s s e t t e s R c a p i t u l a t i o n t r a n s c r i p t i o n s

    Indices compteurIdentification / code Faces

    dbut fin

    Dure

    D u r e t o t a l e t r a n s c r i t e

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Entretien portant sur (sujets, mots cls) :

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Remarques :

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    R s u m :

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    -4. Lobservation

    On doit rappeler que lobservation est toute aussi importante que lentretien. Elle doittre elle aussi transforme en donnes crites, pendant et aprs la squence observe.

    Nous ne donnerons pas ici de consignes particulires, chaque type dobservation etchaque sujet observ ayant ses particularits. On se contentera donc de proposer un exemple,qui nest en aucun cas un modle reproduire, mais qui montre quune observation doittre systmatique, minutieuse, rflexive, et interprtative.

    Cette fiche dobservation a t ralise aprs lobservation (le lendemain) partir desnotes dtailles (15 pages en criture serre sur un cahier grand format) prises pendantlobservation. Il est souhaitable de faire de telles fiches dans un dlai assez rapproch, silobservation a t fructueuse et a fourni des lments pertinents pour la recherche.

    Observation de lquipe mobile de planification familiale Z., le vendredi 11 avril, de 9

    heures 13 heures 45 (JP et FD)

    Contexte

    Lquipe mobile compose dune assistante sociale communicatrice (M., du CSI deH.) et dune sage-femme (H., du CSI de K.) tait arrive la veille vers 16 heures, avec unchauffeur, et le jeune fils du chauffeur servant dassistant (pese, commissions) ; elles avaientdj consult la veille pendant deux heures, et avaient commenc ce matin entre 7 et 8 heures.

    Ces quipes (il y en a 4) changent selon un systme de rotation entre 8 sages-femmes, quichacune font une semaine dans leur CSI, une semaine en quipe mobile, et six communicatrices (8

    taient prvues) qui font de mme.

    La consultation se droule dans une des trois pices de la case de sant, mise ladisposition de lquipe mobile ; une autre pice sert du bureau-salle de consultation-vente demdicaments gnriques lagent de sant communautaire (ASC), qui fait fonction dinfirmier,et nintervient pas dans les consultations de lquipe mobile ; la troisime pice devrait servir desalle daccouchement (elle est quipe dun lit gyncologique), mais elle na encore jamais servi.

    La case de sant, ouverte depuis 4 mois, et finance par le programme spcial duprsident, se trouve trs lcart du village (presque un kilomtre), sur une lgre hauteur. Elle esten dur, sans ventilation (sauf le fait de laisser portes et fentres ouvertes), avec une sorte deterrasse devant les pices, et un banc en ciment devant la pice de lASC. La cour est assez vaste,avec un hangar au milieu. Il ny a pas deau sur place (on doit lamener du forage du village).

    La consultation, qui sest interrompue 13 heures 15 pour une pause djeuner, a repris 13 heures 45, quand nous sommes partis, et devait se poursuivre jusqu ce que toutes les femmesvenues en consultation soient passes (les femmes se succdent en fait tout le temps, sans quil yait jamais eu de temps mort).

    Avant dentrer dans la salle de consultation, les femmes, qui sont quasiment toutes desmres allaitantes avec leur enfant (aucune adolescente, une seule femme seule), doivent faire peserleur enfant sous un hangar voisin, par le fils du chauffeur, qui porte le poids sur le carnet de santde lenfant.

    Elles attendent en fait devant la porte de la salle, parfois debout ou assises sur la terrasseou une marche, bien quil y ait un banc devant la porte de la salle de consultation de lASC (quilui-mme fait ses consultations normales, beaucoup moins nombreuses, pendant ce temps).

    Quand une femme sort, la sage-femme appelle la suivante, les femmes connaissent leur

    ordre darrive.

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    Jai moi-mme observ 34 consultations, mais je suis sorti pour 3 dentre elles, lorsquunexamen ou une piqre allait tre pratiqu (la sage-femme en ce cas demande en effet alors defermer la porte, qui sinon reste ouverte; par discrtion, et ne sachant pas si ctait pour un examengynco ou pour une piqre, je suis alors sorti chaque fois).

    Les deux membres de lquipe mobile ont sans doute pens une valuation de notre part,dautant quelles navaient pas compris que jtais sociologue (je men suis rendu compte pendant

    notre conversation la fin ; elles ont du penser que jtais mdecin), et ont donc probablementmodifi leur comportement habituel. Pendant toute la matine, elles ne nous ont quasiment jamaisregards, ni Fati ni moi, et encore moins parl.

    Je dcrirai ici une sance moyenne ou typique, faite partir de ces 34 sances, puisquelques variantes significatives.

    Sance standard

    Bor fo ma kaa, dit la sage-femme (SF).

    Une mre entre, avec son enfant (de 3 8 mois en gnral), tenant le carnet de sant delenfant la main, quelle tend lassistante sociale (AS). Les salutations par lAS et la SF sontbrves, un peu mcaniques.

    Cest lAS qui mne la barque . Environ trente cinq ans, le dbit de parole rapide etassur,elle est en tenue normale (robe en pagne) assise de lautre cot de la table qui fait face laporte, et prend en gnral linitiative des questions et des recommandations. La sage-femme, avecune blouse rose, est, elle, assise sur une chaise face lassistante sociale, ct de la consultante,qui sassied sur une sorte de tabouret en fer, plus bas que la chaise.

    Pendant toute la matine, jai cru que lassistante sociale tait la sage-femme, et que lasage-femme, beaucoup plus jeune (on lui donne une vingtaine dannes) et qui parle nettementmoins, tait son aide-soignante ou une stagiaire

    Comme beaucoup de carnets sont un peu dfrachis, et que la plupart ne sont pas plastifis , la sage-femme (SF) propose systmatiquement de le coller (kole est le termemme quelle emploie en zarma) pour 100 francs, cest--dire de le plastifier avec un rouleaude scotch large, transparent, opration que pas mal de femmes acceptent de financer (la sage-

    femme leur explique que cest le seul moyen pour que le carnet ne soit pas abm). La SF (et, unefois, lAS, quand la SF tait sortie) fait lopration en 4 minutes avec une grande dextrit, laidedune lame de rasoir quelle tient peu prs tout le temps la main, et dont elle se sert parfoispour pianoter sur la table en fer quand elle sennuie ou pense autre chose. Pendant ce temps,lAS conseille en gnral la femme soit sur les questions dalimentation du bb, soit surlespacement des naissances (cf. ci-dessous).

    Les femmes qui sont dj venues une consultation de lquipe mobile ont une grandefiche verte leur nom, que lAS recherche ( partir du nom et du numro du carnet) dans la liassedes fiches vertes du village. Celles qui ne sont jamais venues doivent en acheter une (100 francs).Pour celles qui nauraient pas de carnet de sant pour lenfant (je ne sais si cest le carnet banaldlivr dans nimporte quel CSI, ou si cest un carnet spcial, propre au projet, que toutes auraientdonc dj du acheter lors dune prcdente consultation avec lquipe mobile en tout cas cest

    un carnet vert), elles doivent en acheter un, toujours 100 francs, ds avant la pese qui prcde laconsultation. Les produits des ventes des fiches et des carnets sont mis dans des petits pots, alorsque les produits de la plastification restent en vrac sur la table (sans doute cest le bnfice de lAS et de la SF).

    Si cest le moment dun rappel de vaccin, la SF procde linjection sur le bb. Cest engnral ce moment quelle regarde le bb, lui parle ou lui sourit (parfois aussi quand la femmeentre, mais assez rarement). Parfois (4 fois sur 34) elle donne de la vitamine A par voie buccale,sur dcision de lAS (sans quon sache trs bien pourquoi celle-ci dcide tout coup den donner tel ou tel et pas aux autres).

    Si lenfant a pris du poids (a tonton), lAS le dit la mre et lencourage continuer (nima sobey). Sinon, ou si lenfant a environ 6 mois, lAS commence un discours trs au point, dequelques minutes, peu prs toujours identique, sur la ncessit de donner un complment

    nutritionnel, en loccurrence du kooko amlior , dont elle donne la recette, avec des phrasesdun dbit trs rapide, sur un ton qui nappelle pas la rplique ou la question, sans retour en arrireni vrifier la comprhension, o il est question de comment faire bouillir, de couvrir les casseroles,

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    de mettre 4 morceaux de sucre et 3 pinces de sel, dajouter du foie ou du poulet , etc.. etc..(honntement, je serais incapable de reproduire quelque recette que ce soit dbite si vite..).Parfois elle parlera (si les enfants sont plus grands) de complments plus nutritifs (dunguri)

    En fait, il y quatre constantes rptitives des consultations, dont trois discursives :

    - les critures diverses sur les diverses fiches et carnets, qui prennent du temps- la squence verbale proposition de plastification - la squence verbale recette - la squence verbale fulanzamyan safari , le mdicament pour se reposer , autrement dit la PF

    Les propositions de PF sont assez systmatiquement faites, souvent en demandant dabordsi la femme dj assist des sances de sensibilisation (fulanzamyan fakaarey). Largumentaireest centr essentiellement sur deux thmes

    - Largent : ce nest pas cher, explique lAS (parfois cest la SF qui sy met) 100 CFA par mois pourla pilule (fulanzamyan kini), 500 FCFA par mois pour linjection (pikiri) ; on explique aussi quepour la premire fois il faudra acheter un carnet spcial (100 CFA) et une fiche (blanche celle-l,100 CFA) ; que les femmes donc se prparent pour pargner cette somme (ni ma soola, ou ni manooru ceeci).

    - Le repos ,fulanzamyan (puisque cest le nom mme donn en zarma la PF) ; lutrus a besoinde repos, cest comme un pagne java quil ne faut pas vite dchirer

    Autres arguments annexes parfois utiliss :

    - Les gens du projet (porze) ont dpens de largent pour les femmes, ils payentlessence pour que la voiture vienne jusque dans le village, comment ne pas alors les couter, vouspour qui ils font tout cela ?

    - La prise de contraceptif ne bloque en rien de futures naissances quand on le dsirera (man ti safarikan ga ganji hayyan, ni ga fulanzam de).

    - Il ne faut pas couter les racontars des villageois (koyra borey senni), que chacun soccupe de cequi le regarde (bor kul ma furo nga muraado ra)

    - Les contraceptions populaires (koyra borey safari) ne valent rien (naane si no, on ne peut syfier), car ce sont des gens qui nont pas tudis (i mana cow)

    Le ton gnral est celui de lexhortation un peu paternaliste, ponctue de hoo mee renforant lvidence du propos, parfois culpabilisante ou condescendante. A une femme qui ditquelle a eu toutes ses grossesses espaces de trois ans, elle dit que si les broussards (kawuyaborey) trouvent cela espac, ce nest rien pour les gens de la ville qui peuvent espacer de mme 7ans. Autres propos entendus : Aujourdhui seule une imbcile accouchera (sans espacement) (saama hinne no ga hay, sohon) ; Celui qui accouche chaque anne nest pas comme un trehumain (bor kan ga hay jiri kulu a si hima borey, borey si hima).

    Par contre le concept zarma trs connu de nasuyan (naissance trop rapproche), avec sesconnotations courantes (on se moque de celle qui retombe enceinte quand elle allaite) nest

    presque jamais utilis ; cependant lAS en voque parfois la consquence bien connue de toutes :si on devient enceinte quand on allaite, on svre immdiatement le bb, ce qui est trs mauvaispour lui

    Variantes

    1) Parfois (3 fois en tout), lAS se lance (effet de notre prsence trs probablement) dansune dmonstration avec les accessoires pdagogiques de sa mallette : une sorte de plaque qui estcense reprsenter un demi-utrus en creux (je lai pour ma part trouve incomprhensible), o elleplace en relief un strilet (quelle appelle kawucu, caoutchouc), et un sexe masculin, pour expliquele prservatif ; manifestement ceci ne suscite pas dcho (et ce nest pas fait pour cela), ce nestquune squence visiblement artificielle, sans dialogue, non suscite par la dynamique duneconversation.

    2) Quand une femme nouvelle est intresse par la PF et a largent ncessaire, soit 300CFA pour le carnet, la fiche et la plaquette cest la pilule par laquelle les nouvelles commencent - (5 pendant la matine), ou bien quand une femme vient pour renouveler (2, dont

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    une piqre), il y a prise de tension, question sur les antcdents mdicaux (jaunisse, mo sey ;tuberculose, kotto beeri), parfois examen. Dautre part, la SF a cach la plaquette quelle venaitde placer auprs dune femme dans le carnet de sant de lenfant.

    Analyse de lobservation

    Je pense que nous avons commis deux erreurs.

    1) Quand nous sommes arrivs, en pleine consultation le matin 9 heures, nous aurions d prendreplus de temps (entre deux consultations) pour expliquer qui nous tions et ce que nous tions venufaire; pour viter quon ne soit pris pour une quip dvaluation, nous aurions d dire lquipemobile que notre but tait dobserver les femmes consultantes.

    2) Pendant la matine, F.D. naurait pas d seulement observer la pese lextrieur (ce quelle a fait)et interviewer quelques femmes (ce quelle a aussi fait), mais elle aurait d observer les femmesqui attendaient, couter leurs conversations, voire sy mler.

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    5. Le dpouillement des donnes

    Rappelons que les donnes, pour tre utilisables, doivent toutes se trouver sous formecrite (les enregistrements doivent avoir t transcrits), en gnral dans des cahiers, descarnets ou des dossiers et classeurs. Les donnes se dcomposent en gnral en cinq grandescatgories :

    - les entretiens (transcriptions ou prises de notes)- les observations (prises de notes descriptives)- les recensions (tableaux, listes, chiffres, schmas, plans)- les sources documentaires- les notes et rflexions personnelles (pistes, hypothses, commentaires, journal de

    terrain)

    Tous ces supports crits (on admettra pour simplifier quil sagit de cahiers) doiventtre pagins, et cods (par exemple cahier EF-A-3, pour le cahier n3 de lenqute foncire Ayorou, pages numrote de 1 95)

    Le dpouillement, qui fait suite chaque phase denqute de terrain, comprendplusieurs oprations imbriques : la lecture ou relecture des donnes, le marquage despassages les plus intressants, linventaire et le classement des donnes sous des formespermettant de les retrouver aussi facilement que possible en tant que de besoin.

    Il sagit de slectionner dans la masse des donnes, cest--dire dans les cahiers, lesinformations les plus importantes, celles qui vont tre utilises pour la rdaction, et de lesclasser sous une forme qui permet de les retrouver facilement.

    Pour slectionner, en gnral on souligne, on surligne, ou on coche en marge. Onnutilise videmment jamais toutes les donnes recueillies, il faut donc en retenir seulementles plus intressantes pour procder la rdaction du rapport ou de la thse. Et, parmi celles-l, dj slectionnes, une petite partie seulement figurera son tour sous forme de citations,dexemples ou de cas dans le texte final

    Pour classer, il y a plusieurs techniques possibles, sous une forme manuelle ousous une forme informatique.

    Classement manuel

    Il y a deux techniques manuelles souvent utilises.

    Le codage des cahiers originaux

    On procde par codage en marge des cahiers de donnes originaux, en indexant lespassages importants sous un mot-cl . On constitue une premire liste de mots cls, lis la problmatique de dpart de la recherche, sous lesquels on essaiera de ranger toutes lesdonnes disponibles. Chaque mot-cl sa fiche. A mesure qu'on relit les cahiers de donnes(en surlignant par exemple), on met en marge pour chaque passage retenu le mot-clcorrespondant. En mme temps, on porte sur la fiche de ce mot-cl les rfrences du passageen question (telle page de tel cahier ; on peut ventuellement ajouter sur la fiche un rsumtrs sommaire, d'une ligne, cela dpend des chercheurs). Au total, la fiche de chaque mot-clinclura une liste de toutes les rfrences des passages dans les cahiers correspondant ce mot-cl. Un mme passage peut videmment renvoyer plusieurs mots-cls. En fait, chaque mot-cl est une sorte de module, ayant vocation devenir partie de tel ou tel chapitre.

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    Ainsi, titre dexemple : un passage d'un entretien dans le cahier EF-A-3, page 4,concernant les conflits fonciers, sera cot en marge "co-fon" tout le long du passage concernsur le cahier (il pourra aussi y avoir une autre cotation simultane pour une partie de cepassage, renvoyant, mettons, parent , ou parti politique ); dautre part, sur la fiche"co-fon", on mettra le renvoi : EF-A-3 p 4, la suite dautres renvois dautres donnes sur

    dautres pages ou dautres cahiers, concernant galement les conflits fonciers. A mesurequon progresse dans le dpouillement, on produit de nouveaux mots-cls, pour descatgories dinformations non prvues dans la liste de dpart.

    La constitution de dossiers thmatiques par photocopies

    On peut aussi utiliser photocopies, ciseaux et colle. Au lieu de coder chaque passageintressant dans les cahiers originaux, on le photocopie pour le mettre physiquement dansun dossier qui a pour titre le mot-cl du systme dindexation ci-dessus. Le passage enquestion de notre exemple EF-A-3, p.4 sera donc photocopi et insr dans une chemise conflits fonciers avec dautres photocopies dautres passages dautres cahiers concernantce thme. Chaque dossier correspond donc un mot-cl. Si un passage concerne deux

    dossiers, on le photocopie deux fois. On aura la fin un ensemble de dossiers contenanttoutes les donnes dj classes (sous forme de photocopies), sans avoir se reporter auxcahiers dorigine.

    Classement informatique

    Il implique tout dabord que tous les cahiers de donnes aient t saisis pralablementen traitement de texte. Ce qui est videmment trs coteux en temps. Puis on recourra unlogiciel danalyse qualitative (qui est diffrent dun logiciel danalyse de contenu), aveclequel on slectionnera des passages puis on les indexera, passages que le logiciel reproduiraet insrera automatiquement dans des dossiers correspondants (il sagit donc de fait dunecombinaison informatique des deux techniques manuelles prcdentes).

    Il est dautres systmes de dpouillement. L'essentiel est davoir (ventuellement en sele bricolant ) un systme o lon se sente l'aise. Mais il faut un systme dedpouillement !

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    6. Quelques principes lmentaires de transcription des termes en languesnationales

    Les noms communs

    Ils sont toujours mis en italiques, ds lors quil sagit de mots ou phrases en languesnationales.

    Chaque langue nationale a ses rgles propres (souvent hlas non unifies), fixes parles linguistes ou les services dalphabtisation, en fonction des phonmes qui lui sont propres.Les tons ne sont en gnral pas marqus (nous ne sommes pas linguistes). Les allongementsde voyelles ou les redoublements de consonnes sont fonction de ce que lon entend, qui varieselon les parlers..

    Cf.zimma (prtres de possession), maani (graisse)

    Lessentiel est de sen tenir, dans un texte, un systme cohrent, et de dire lequel.

    Rappelons toutefois quelques rgles de base, issues du systme phontiqueinternational :

    ne jamais crire ou pour le son ou (comme dans soupe ), mais u , ou parfois w devant une voyelle

    suuru, la patience, et non sourou

    garwa (porteur deau) , et non garoua

    s est toujours siffl (sinon on met z ), il ne se redouble jamais (pasde ss ), on nen met jamais pour marquer le pluriel quand le nom estinsr dans une phrase en franaais

    maasa, beignet et non massa ; des zimma arrivent , et non des zimmas ; tuuzi,goinfre, et non tousi

    le g est toujours dur (comme dans gare )gidan soboro, moustiquaire

    le c dur (comme dans couteau ) est toujours transcrit par k a kani (il est couch) et non a cani

    NB : en zarma, par exemple la graphie c est conventionnellement utilise pour les

    sons ky ou ty : coro, ami ; ce, pied ; de mme la graphie j est utilise pour lessons dy et gy : maaje, chat ; ay jow, jai soif

    il ny a jamais de e muet, le e transcrit toujours le son a bare (il a tourn) et non a bar

    a ga baan (cest souple) et non a ga baane

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    Quelques rgles de base pour transcrire les noms propres (langues, ethnies , etc)

    - On procde comme en franais, o les noms propres ont toujours une majuscule,alors que les noms communs et les adjectifs nen ont pas

    Ex : les Franais, la langue franaise, en franais, un chef franais; les Hausa, la languehausa, en hausa, un chef hausa

    - Lorsque les noms ont un orthographe dusage en franais largement accept (ouvalid par ltat-civil), on le garde avec sa graphie officielle dorigine franaise (eton met donc un s au pluriel pour les noms de groupe)

    Ex : un Peul, les Peuls, les Touaregs, Issoufou, Ngourti (et, en gnral, tous les noms delieux officiels : villages, cantons, etc)

    - Lorsquils nont pas un orthographe dusage en franais largement accept, on lescrit avec lalphabet phontique international (et donc en italiques), ou selon lesrgles de transcriptions nationales stabilises sil y en a :

    Ex : les Kurtey (et non les Courteyes ), les Gobirawa (et non les Gobiraouas ),

    Dawey (et non Daweye), des hommes wodaabe (et non wodaab), les Hausa (et non les Haoussas ).

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    7. Code de bonne conduite entre les chercheurs et collaborateurs dunprogramme de recherche

    On prendra, ici encore, lexemple du LASDEL :

    - Les donnes recueillies dans le cadre dune opration de recherche du LASDELsont proprit du LASDEL

    - Les participants une opration de recherche du LASDEL peuvent chacun utiliserlibrement ces donnes pour leurs communications, publications et travauxpersonnels, mais condition bien videmment de faire explicitement mention duLASDEL, de cette opration de recherche, de son financement, et de sonresponsable

    - Mme si les donnes et leur analyse sont le produit dun travail collectif, cest le(s)rdacteur(s) dun article qui est (sont) signataire(s) de cet article, condition bienvidemment de faire explicitement mention en note de tous les collaborateurs quiont particip au travail de recueil et danalyse des donnes, et de traiter comme descitations (avec mention de lauteur) toute phrase intgrale reprise des crits duninformateur ou dun collaborateur

    - Lorsquun tudiant (matrise, DEA, ou doctorat) utilise dans un mmoire ou unethse les travaux dune opration de recherche du LASDEL (donnes, mais aussicadre interprtatif), il doit en avertir son directeur de mmoire ou de thse, et, dansson mmoire ou sa thse, faire mention de cette source, et la distinguer de sesdonnes et interprtations personnelles originales

    NB : Ces rgles sont galement valables pour les consultants utilisant les rapports ettravaux du LASDEL, qui doivent citer leurs sources, et, sils reproduisent despassages, les mettre entre guillemets avec mention de lorigine exacte. Il faut rappelerque le plagiat est non seulement inadmissible dun point de vue dontologique, maisaussi interdit par la loi.

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    Deuxime partie

    Un canevas d'enqute collective multi-site: ECRIS

    Note de prsentation

    On trouvera ci-dessous une version remanie dun texte crit en commun avec T.Bierschenk 4 pour prsenter un canevas denqute collective multi-sites, qui a t mis enoeuvre loccasion de divers travaux rcents en Afrique 5. On a fait parfois allusion auxavantages de lenqute collective sur lenqute individuelle, pourtant dominante en socio-anthropologie. Lenqute collective permet, certaines conditions, une confrontation desinterprtations de terrain, une plus grande explicitation des problmatiques, une triangulationmieux assure, une meilleure prise en compte des contre-exemples, une plus grande vigilancedans la rigueur empirique. Mais elle ne saurait tre une recette-miracle. Une recherche en

    quipe suppose en fait des alternances de phases collectives et de phases individuelles. Lecanevas ECRIS voudrait simplement optimiser les avantages dune recherche en quipe, etrguler cette alternance. Il suppose un savoir-faire professionnel et ne saurait en dispenser. Ilne se substitue en aucune faon la ncessaire vigilance du chercheur sur le terrain, maisvoudrait en permettre lexercice dans un cadre collectif. Il voudrait faciliter la mise en oeuvredes comptences anthropologiques au sein dune quipe sattaquant certains types dechantiers empiriques comparatifs. Il suppose toujours, aprs la phase collective, une phaseindividuelle denqute approfondie et dobservation participante.

    Introduction

    ECRIS (Enqute Collective Rapide d'Identification des conflits et des groupesStratgiques...) : ce sigle ne cache pas une technologie d'enqute collective "cls en main" etde courte dure qui entendrait se substituer l'tude de terrain individuelle et de plus longuedure ( caractre socio-anthropologique). Ce n'est donc pas un nouveau "produit" placersur le march aujourd'hui en expansion des tudes rapides, des enqutes presses et desvaluations au pas de course. C'est plutt un canevas de travail pour une recherche socio-anthropologique comparative multi-sites, mene en quipe, avec une phase collective rapide prcdant une phase de "terrain" classique, laquelle reste indispensable et rclameune investigation individuelle relativement intensive et donc relativement prolonge. Le nomest cet gard trompeur (ce sigle ft propos comme un clin doeil, mais nous a ensuitechapp) : si la phase collective est rapide, lenqute complte ne lest pas, et le travail

    dquipe passe par des recherches individuelles coordonnes. Le canevas de recherche ECRISrepose pour beaucoup sur une phase collective prliminaire qui est conue pour prcder,

    4 T. Bierschenk, professeur lUniversit de Mainz, Allemagne, est chercheur associ au LASDEL et membrede son conseil scientifique5 Une premire version de ce texte a t publie dans Human Organization (Bierschenk & Olivier de Sardan,1997a ; une autre se trouve en annexe dans louvrage sur Les pouvoirs au village ((Bierschenk & Olivier deSardan, 1998). Des enqutes sappuyant sur le canevas ECRIS ont t menes sur les pouvoirs locaux, au Bnin(cf. Bierschenk & Olivier de Sardan eds, 1998), en Centrafrique (cf. Bierschenk & Olivier de Sardan, 1997b), auNiger (Olivier de Sardan 1999, Moussa 2003, Hahonou, 2003 Elhadji Dagobi, 2003, Mohamadou, 2003), auMali (Kassibo, ed, 1998) ; sur la corruption, au Niger, au Bnin et au Sngal (Blundo et Olivier de Sardan,

    2001) ; sur la sant, au Niger, au Mali, au Sngal, en Guine et en Cte dIvoire (cf . Jaffr & Olivier de Sardan,2003) ; sur la gestion de lhydraulique villageoise, en Guine et au Niger (cf. Olivier de Sardan et ElhadjiDagobi, 2000)

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    orienter, impulser, et coordonner des enqutes plus approfondies ultrieures menesindividuellement, en permettant de les intgrer dans le cadre d'une tude comparative menesur plusieurs sites, et en facilitant une synthse finale. Dans la mesure o les thmes derecherche sont plus "pointus" que dans les recherches anthropologiques classiques, ECRISpermet d'amliorer considrablement le rendement et l'efficacit de ces recherches

    individuelles, ainsi que d'en raccourcir la dure. ECRIS permet d'autre part et peut-tre surtoutde fournir un cadre vritablement comparatif, par la mise au point collective sur le terraind'indicateurs descriptifs communs (de type qualitatif) que chacun utilisera ensuite sur sonpropre site de recherche.

    Nous considrons par ailleurs que toute nouvelle enqute ECRIS doit ncessairementamnager et modifier la procdure, que ce soit pour s'adapter de nouveaux thmes ou denouveaux sites, pour tenir compte de nouvelles contraintes, ou simplement pour faire place de ncessaires innovations.

    Une "affinit slective" entre un point de vue thorique et une procdure

    mthodologiqueLes "mthodes" en sciences sociales sont souvent considres comme des "outils"

    indpendants des problmatiques au service desquelles elles seront amenes fonctionner.Nous sommes en dsaccord avec cette vision "techniciste" des relations entre cadresthoriques et mthodologies d'enqute. Nous pensons au contraire que toute mthode enscience sociale est dans une relation d'"affinit slective" avec un "point de vue" sur le social.Ce peut tre une affinit avec des idologies (telles que populisme, libralisme, progressisme,par exemple), et/ou avec des paradigmes (tels que marxisme, analyse-systmes, cognitivisme,individualisme mthodologique....), mais aussi une affinit avec une certaine posturepistmologique ; Bien sr, cette notion d'affinit slective ne doit pas tre comprise dans unsens dterministe. Il n'y a pas de relation unilatrale et rigide de type "une thorie-unemthode". Un point de vue thorique particulier est compatible avec plusieurs mthodologiesd'enqute, mais en exclut d'autres. Inversement, une mthode donne ne peut pas tre utilisedans le cadre de n'importe quelle approche thorique, mais en tolre plusieurs. Autrement dit,les mthodes de production de donnes de terrain ont un certain type de liens avec desproblmatiques, des points de vue et des postulats, dont la pertinence est elle-mme lie l'objet d'enqute.

    Prenons un exemple, savoir la "boite outil", apparemment "neutre", de la mthodeconnue sous le nom de RRA (Rapid Rural Appraisal), ou sa jeune soeur PRA (ParticipatoryRural Appraisal). Aujourd'hui les mthodes inspires de RRA-PRA sont largement utilisesen Afrique de l'Ouest, sous le nom de MARP, par les agences de dveloppement

    multilatrales ou bilatrales, comme par les ONG 6. Elles sont censes fournir des valuationsrapides des "vrais besoins" d'une population, grce des enqutes collectives de 5 10 jours,utilisant une trentaine d'"outils", du transect au "diagramme de Venn", des jeux de cartes pourle classement des catgories sociales au "focus group", outils tous plus ou moins inspirs dessciences sociales. L'usage de ces outils permettrait de promouvoir la "participation" active dela population l'enqute, et, au del, la conception, la programmation, la ralisation oul'valuation des projets de dveloppement. Mais ces outils sont loin d'tre des moyens neutresde produire de l'information sur le monde. De faon implicite, ils vhiculent des prsupposs

    6 Pour une prsentation de RRA-PRA-MARP par leurs promoteurs, cf. Chambers, 1981, 1991, 1994; Gueye &

    Schoomaker Freudenberger 1991. Pour des analyses critiques, cf. Fall & Lericollais 1992; Scoones & Thompson(eds.) 1994; Lavigne Delville 1996; Mathieu 1996; Floquet & Mongbo 1996. L'idologie populiste deChambers, le "fondateur" de PRA-RRA, est analyse in Olivier de Sardan 1995, chapitre 5.

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    sur ce monde et ses configurations sociales . Une idologie populiste implicite a prsid leurchoix, elle s'exprime dans diverses prconceptions sur l'existence d'un consensus dans lescommunauts rurales, et la possibilit d'une collaboration spontane et immdiate entre la"population" et les chercheurs. Ainsi l'enqute par "focus group" (entretien collectif avec desmembres d'un mme groupe social), qui est privilgie par la MARP, si elle admet au dpart

    une certaine diffrenciation interne de la communaut ("les jeunes", "les femmes", "lespauvres"...), prsuppose l'homognit interne de chaque groupe, et "oublie" les formes decontrle social propre une runion de groupe organise par des trangers. Les mthodes declassement (au moyen de cartes) des catgories sociales locales par des informateurs locaux(l aussi runis en groupe) prsupposent un consensus communautaire sur les critres de ladiffrenciation sociale. Cette sorte de "localisation thorique" (ou idologique) des mthodesRRA-PRA-MARP nous semble expliquer au moins partiellement pourquoi, dans leur "boite outil", il n'y a pas de place pour les entretiens individuels, pour l'"observation participante",pour la prise en compte des langues locales et des problmes de traduction, pour l'analyse desstratgies individuelles, pour les tudes de cas de conflits7.

    Aussi pensons-nous qu'il vaut mieux faire tat du lien qu'ECRIS entretient avec notrepropre point de vue sur le social plutt que de l'ignorer ou de le cacher. ECRIS n'est pas unsimple "outil" ou une pure technique pour collecter de l'information. Certes nous produisonsainsi des donnes, mais en fonction d'une certaine problmatique. ECRIS est une mthode enquelque sorte "problmatique minimum incorpore". Elle s'inspire en effet clairement d'un"point de vue" en sciences sociales, et que trois mots-cls rsument: conflit, arne, groupestratgique. Autrement dit, nous ne pensons pas qu'un village africain soit une communautunie par la tradition, cimente par le consensus, organise par une "vision du monde"partage, et rgie par une culture commune... ECRIS au contraire est bas sur le postulat selonlequel un village est une arne, traverse de conflits, o se confrontent divers "groupesstratgiques".

    Conflit, arne, groupe stratgique: il convient d'expliquer ces trois concepts, deprciser d'o ils viennent, et dans quel sens nous les utilisons

    Conflit

    Les premiers travaux en anthropologie qui aient systmatiquement abord la ralitsociale par le biais des conflits sont sans doute ceux de l'Ecole de Manchester, ds le dbutdes annes 1950 8. Cependant les usages qui ont t faits de la notion de conflit restentambigus, et renvoient au moins trois niveaux diffrents d'analyse qu'il est utile dedsagrger.

    D'une part, un constat empirique: les socits, toutes les socits, sont traverses deconflits. Le conflit est donc un lment inhrent toute vie sociale. Cette ide est un leitmotivdans l'oeuvre de Max Gluckman, le fondateur de l'Ecole de Manchester, et dans celle de sesdisciples 9.

    7 En ce sens RRA-PRA-MARP n'ont pas rompu vraiment avec le mythe communautaire, ou ce qu'on a appelparfois "the community-culture approach" en anthropologie (cf. Bonfill Batalla, 1966, et Schwartz, 1981)8 Bien videmment, la notion de conflit tait dj au coeur du paradigme marxiste. Mais divers auteursextrieurs cette tradition ont mis en vidence l'importance des conflits, comme Dahrendorf (1959), en macro

    sociologie, ou Crozier (1964) en sociologie des organisations9 Le conflit est dj un thme d'un des premiers ouvrages de Gluckman (1940), mais prend plus d'importancedans des publications ultrieures comme : "Custom and conflict in Africa" (Gluckman, 1956).

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    D'autre part, une analyse structurelle: les conflits renvoient des diffrences depositions. Le plus clair exemple, et le plus systmatique, en est le premier grand ouvrage deVictor Turner (1957). Les conflits sont l'expression de "contradictions" structurelles.Autrement dit les socits, aussi petites soient-elles, et aussi dpourvues soient-elles deformes institutionnalises de "gouvernement", sont divises et clives. Ces divisions et ces

    clivages sont entretenus par des "coutumes", c'est--dire des normes, des rgles morales, desconventions (on pourrait aussi dire des codes culturels). Les conflits expriment donc desintrts diffrents lis des positions sociales diffrentes et sont culturellement structurs.

    Enfin, un postulat fonctionnaliste: les conflits, qui semblent vouer les socits l'miettement ou l'anarchie, concourent au contraire la reproduction sociale et aurenforcement en dernire analyse de la cohsion sociale: ils permettent de maintenir le liensocial (Gluckman, 1954).

    On peut aisment comprendre en quoi le postulat fonctionnaliste est aujourd'huiobsolte, et en quoi au contraire le constat empirique reste lui toujours valable. Il n'y a doncpas s'y attarder ici. Reste l'analyse structurelle, qui nous semble quant elle devoir tre

    amende (en suivant d'ailleurs certaines pistes que Gluckman lui-mme a traces dans sescrits les plus programmatiques). Il est vrai que bien souvent les conflits renvoient despositions diffrentes dans la structure sociale. Mais il convient de souligner l'existence d'une"marge de manoeuvre" pour les individus (cf. Long, 1989, qui a introduit dans la sociologie etl'anthropologie du dveloppement la problmatique de l'Ecole de Manchester). Un conflitentre personnes ou entre groupes n'est pas que l'expression d'intrts "objectifs" opposs, maisaussi l'effet de stratgies personnelles, plus ou moins insres dans des rseaux et organisesen alliances. L'analyse structurelle doit tre complte par une analyse stratgique. Lescaractristiques structurelles peuvent tre considres comme des contraintes et desressources pour les acteurs sociaux, contraintes et ressources qui varient selon les positionsrespectives de ces acteurs dans la structure sociale. Mais chaque situation sociale concrte

    relve de plus d'un systme de normes, ce qui permet aux acteurs sociaux d'oprre une"slection situationnelle" (optation) entre diffrentes normes (Gluckman, 1961). En d'autrestermes, les acteurs "jouent" avec les contraintes et les ressources structurelles, l'intrieurd'une certaine marge de manoeuvre. En outre, chaque acteur appartient plus d'une structure,et a plus d'un rle jouer, plus d'une identit grer.

    Pour notre part, nous privilgions surtout la dimension heuristique du reprage et del'tude des conflits, et c'est celle-ci qui est pour ECRIS fondamentale: les conflits sont un desmeilleurs "fils directeurs" qui soient pour "pntrer" une socit et en rvler tant la structureque les normes ou que les codes. Postuler l'existence d'un consensus est une hypothse derecherche beaucoup moins puissante et productive que de postuler l'existence de conflits. Les

    conflits sont des indicateurs privilgis du fonctionnement d'une socit locale. Ce sont aussides indicateurs du changement social, particulirement pertinents pour une anthropologie dudveloppement.

    Identifier les conflits, c'est aussi un moyen d'aller au-del de la faade consensuelle etde la mise en scne en direction de l'extrieur que les acteurs d'une socit locale proposentsouvent l'intervenant ou au chercheur extrieur. Ceci est particulirement important dans lechamp du "dveloppement", o les stratgies de mise en scne (impression managment) face des intervenants extrieurs sont devenues une part du savoir-faire des acteurs locaux. EnAfrique, o la "rente du dveloppement" est dsormais une composante structurelle del'conomie de nombreux villages et a t intgre dans les stratgies paysannes (Bierschenk &

    Olivier de Sardan, 1997), toute enqte est perue par les villageois comme les prmices d'unflux d'aide potentiel, et les gens prsentent donc aux chercheurs le spectacle d'un village uni et

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    dynamique, dont les besoins correspondent exactement ce que l'on pense que les visiteurssont prts fournir...

    Il ne faut donc voir, dans notre approche d'une socit par ses conflits, ni la recherchedu conflit pour le conflit, ni la volont de privilgier les conflits sur toute autre forme desociabilit, ni le refus de prendre en compte les consensus ou les codes communs. Notre

    hypothse n'est qu'une hypothse mthodologique, bien souvent vrifie, selon laquelle lereprage et l'analyse des conflits sont des pistes de recherche fructueuses, qui font gagner dutemps, et qui vitent certains des piges que les socits ou les idologies tendent auxchercheurs.

    Il reste ensuite identifier la hirarchie des conflits et comprendre leurs ventuelsliens mutuels. Tous les conflits ne se situent pas sur le mme niveau, ils n'ont pas tous lamme importance sociale. Ils sont plus ou moins productifs et pertinents en fonction du thmed'enqute. Autrement dit, les conflits doivent tre analyss. Ceci est une autre affaire, quidpasse les objectifs immdiats d'ECRIS. ECRIS n'entend pas se substituer aux ncessairesthorisations de tout travail empirique.

    Arne

    C'est peut-tre dans le contexte des analyses de Bailey que le terme, frquemmentutilis dans la littrature anglo-saxonne, est le plus significatif, bien qu'il ne soit jamaisexplicitement dfini (Bailey, 1969). Bailey voit la vie politique, nationale comme locale, entermes de "jeu", o se confrontent et s'affrontent les acteurs sociaux, autour de leaders et defactions. L'arne est au fond l'espace social o prennent place ces confrontations etaffrontements.

    La notion d'arne peut utilement tre rapproche de la notion voisine de "champ". PourSwartz (1968), le champ (politique) est un espace social et territorial l'intrieur duquel sont

    relis les uns aux autres les acteurs impliqus dans un processus politique. Le champ politiqueinclut "the values, meanings, resources, and relationships employed by (the) participants inthat process" (Swartz 1968: 9). Ainsi son acception du "champ politique" est plus large quecelle que Bailey et d'autres, dont nous-mmes, accordent "arne". Par contre "arne", pourSwartz, est : "the social and cultural area which is immediately adjacent to the field both inspace and in time" , zne qui "contains the repertory of values, meanings, and resources theseactors possess, together with the relationships among them" (relations qui peuvent tre"multiplexes" ou non) and "the values, meanings and resources possessed by the field

    participants but not employed by them in the processes which constitute the field" (ibid.).Divers auteurs ont quant eux utilis "arne" et "champ" de faon interchangeable, et d'autresont utilis "champ" pour inclure simultanment les sens de "chmap" et d'"arne" selon Swartz.Chez Bourdieu, "champ" est une notion polysmique, jamais clairement dfinie, qui oscilleentre plusieurs acceptions. C'est la fois un "march" (au sens mtaphorique) o les acteursdots de capitaux" divers (capital conomique, symbolique, social...) sont en concurrence, la fois un certain type de structure sociale autonomise (des institutions, des agentsspcialiss, un langage) et la fois un espace de jeu et d'enjeux relevant d'un rapport de forcesentre groupes sociaux. Mais dans tous les cas "champ" reste une notion trs "macro" etabstraite. On pourrait ainsi parler du "champ du dveloppement", afin de dcrire cesinstitutions spcifiques, ce langage particulier, ce march ingalement structur etingalement concurrentiel o se confrontent des idologies, des salaires, des comptences, desinstitutions, des symboles, etc...

    Pour nous, arne voque la fois une chelle plus restreinte et une plus claireconscience des affrontements chez les acteurs eux-mme. Une arne, au sens o nous

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    l'entendons, est un lieu de confrontations concrtes d'acteurs sociaux en interaction autoursd'enjeux communs. Un projet de dveloppement est une arne. Le pouvoir villageois est unearne. Une cooprative est une arne. Arne a un contenu empirique et politique (au senslarge) plus fort que champ. C'est un concept souple, dont l'extension et la forme varient selonles contextes et les thmes d'enqute. Sa valeur est avant tout exploratoire.

    Groupe stratgique

    C'est vers Evers (Evers & Schiel, 1988) que nous nous sommes cette fois tourns pouremprunter le concept de groupe stratgique. Chez ce sociologue allemand, il s'agit deproposer une alternative la catgorie de "classe sociale", trop fige, trop mcanique, tropconomique, trop dpendante d'une analyse marxiste en termes de "rapports de production"(on ne doit cependant pas oublier que nombre de chercheurs non marxistes se sont aussiappuys sur une analyse en termes de "classe sociale"). Les groupes stratgiques apparaissentainsi comme des agrgats sociaux plus empiriques, gomtrie variable, qui dfendent desinterts communs, en particulier par le biais de l'action sociale et politique.

    Cette perspective plus pragmatique, plus proche des ralits empiriques, au lieu dedfinir a-priori les critres de constitution de groupes sociaux, dduit les groupes pertinentspour un problme donn partir de l'analyse des formes d'action observables en vue del'appropriation de ressources. Cel ne signifie pas pour autant que les classifications sociales"classiques", telles que la classe sociale, le "genre", l'ethnicit, n'aient plus d'utilit. Mais ellesn'ont pas de priorit thorique. Elles peuvent n'tre que indirectement pertinentes, en tant quevariables structurelles constituant des contraintes ou des ressources pour l'action politique.

    Mais pour Evers les groupes stratgiques restent au fond au mme niveau "macro" queles classes sociales auxquelles ils se substituent et n'interviennent qu' l'chelle de l'arnenationale, de la socit globale ou des processus historiques long terme. De plus, la

    signification de la notion d'"action stratgique" un niveau aussi gnral et aggg est loind'tre vidente. On ne voit pas comment des groupes stratgiques aussi vastes peuventcommuniquer en termes d'options stratgiques et de coordination des actions. Et mme siEvers admet la possibilit thorique que l'appropriation de ressources non conomiques puissetre la base de la constitution de groupes stratgiques il ne propose aucune typologie desmodes non conomiques d'appropriation. Nous proposons de librer le concept de "groupestratgique" de sa definition conomique troite et de son acception trop macro, en le rendantopratoire au niveau de la socit locale, o il peut tre li l'observation des formesd'interaction directe entre acteurs identifiables.

    Il reste le problme de savoir si les groupes stratgiques sont des groupes "rels", plusou moins "en corps", dots de normes communes, de formes d'action collective ou deprocdures de concertation, ou si ce sont plutt des agrgats artificiels construits parl'analyste. Notre position est sur ce point pragmatique: nous considrons au dpart le groupestratgique comme une hypothse de travail du chercheur, comme une sorte de "groupevirtuel" qui nous aide penser la convergence des stratgies entre certains individus dont onpeut supposer qu'ils partagent une mme position face un mme "problme" (qui peutvidemment tre de nature conomique ou non). Autrement dit, face un "problme" donndans un contexte social donn, il n'y a pas une infinit d'attitudes et de comportements: onconstate un nombre fini d'attitudes et comportements, qui apparaissent comme lis auxrelations respectives que les acteurs entretiennent avec le "problme", c'est--dire leurspositions sociales par rapport lui. C'est un des objets mme de la recherche que de

    dterminer in fine si ces groupes stratgiques poss comme hypothse de dpart ont ou nonune existence "relle", autrement dit si les acteurs ayant une position commune partagent ounon des formes particulires d'interaction ou de concertation (de faon informelle - rseau,

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    affiliation, allgeance - ou formelle - institution, appartenance, organisation - ). Contrairementaux dfinitions sociologiques classiques des groupes sociaux, les "groupes stratgiques"(virtuels ou rels) ne sont pas pour nous constitus une fois pour toutes et pertinents quels quesoient les problmes : ils varient selon les problmes considrs, c'est--dire selon les enjeuxlocaux. Parfois ils renverront des caractristiques statutaires ou socio-professionnelles (sexe,

    caste, mtier, etc...), parfois des affiliations lignagres ou des rseaux de solidarit ou declientle, parfois des parcours biographiques et des stratgies individuelles.

    Selon les contextes ou les circonstances, un acteur social est un membre potentiel dediffrents groupes stratgiques, en fonction de son propre rpertoire de rles. Il n'y a pas defrontires rigides entre les groupes stratgiques. Le processus mme de l'enqute doitpermettre de rendre au fur et mesure plus complexe le schma de dpart. La notion degroupe stratgique reste essentiellement d'ordre empirique et heuristique. Elle supposesimplement que dans une collectivit donne tous les acteurs n'ont ni les mmes intrts, niles mmes reprsentations, et que, selon les "problmes", leurs intrts et leurs reprsentationss'agrgent diffremment, mais pas n'importe comment. On peut donc faire des hypothses sur

    ce que sont les groupes stratgiques face un "problme" donn: l'enqute montreravidemment si ces hypothses sont justes ou non, s'il faut recomposer autrement les groupesstratgiques, quelle est leur existence sociale vritable, et s'ils sont ou non capables de mettreen place des stratgies collectives et de nouer des alliances.

    La procdure ECRIS

    ECRIS se droule en 6 phases. On notera que la dmarche est un continuel va-et-viententre phases individuelles et phases collectives, la diffrence de l'enqute ethnographiqueclassique qui privilgie la recherche individuelle de longue dure, et la diffrence aussi desmthodes d'enqutes acclres (type RRA) qui privilgient l'enqute collective de courtedure. On notera galement que ECRIS propose un canevas comparatif et la mise au point

    d'indicateurs qualitatifs communs ad hoc pour les enqutes empiriques menes sur des sitesdiffrents, ce qui l aussi diffre tant de l'enqute ethnographique classique o le chercheurorganise solitairement son travail, que des mthodes rapides de type PRA-RRA-MARP, avecleurs outils standards.

    1) Une brve enqute individuelle de reprage

    Il s'agit l de prparer rapidement (un deux jours sur chaque site de recherche) letravail d'quipe venir en identifiant sommairement les principaux enjeux locaux (en fonctiondu thme de la recherche bien sr), afin de pouvoir prdterminer des groupes stratgiques(c'est--dire proposer des groupes stratgiques provisoires pour l'enqute collective venir),regroupant des catgories d'acteurs dont on peut prsumer qu'ils partagent un mme rapportglobal ces enjeux

    Si le thme de la recherche est mettons l'valuation d'un projet de

    dveloppement local, l'enqute prliminaire relvera par exemple l'existence

    d'enjeux fonciers lis au projet, de conflits agriculteurs/leveurs, de rivalits entre

    deux grandes familles aristocratiques, ainsi que l'exclusion des femmes desbnfices du projet. On pourra alors proposer comme groupes stratgiques

    provisoires: (1) les simples agriculteurs (2) les simples leveurs (3) les deux familles

    aristocratiques (4) les intervenants extrieurs (ONG, services techniques) (5) les

    femmes

    2) Un sminaire de prparation

    Ce sminaire (un ou deux jours) doit familiariser les participants avec la problmatiqueet la mthode (sils ne le sont pas), faire le point de la documentation sur les sites de

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    recherche, et proposer une srie d'indicateurs qualitatifs provisoires susceptibles de guider lesrecherches individuelles ultrieures (on ne peut videmment proposer des indicateursstandards, chaque thme d'enqute ncessitant le "bricolage" d'indicateurs spcifiques)

    On pourrait proposer, pour poursuivre avec l'exemple prcdent, comme

    indicateurs provisoires : l'histoire et la typologie des projets s'tant succd dans levillage, l'analyse d'un processus de dcision local li au projet actuel, la biographie

    de quelques acteurs centraux du projet, la description d'une assemble gnrale,

    l'inventaire des lieux de dbats et de discussion dans le village...

    3) L'enqute collective

    Le principe de base de ECRIS est le suivant: l'ensemble de l'quipe d'enquteurs tournesuccessivement sur chaque site et reste deux jours sur chaque site. Sur un site donn lesenquteurs se divisent en plusieurs groupes d'enquteurs (2 3 personnes maximum pargroupe). Chaque groupe d'enquteurs se focalise pendant les 2 jours sur un groupe stratgiquelocal et un seul. Il n'enqute que sur des personnes relevant du groupe stratgique qui lui a taffect. La composition des groupes d'enquteurs change d'un site l'autre. Chaque chercheurdoit sur l'ensemble des sites avoir travaill avec les groupes stratgiques les plus varispossibles.

    Cette enqute collective est le noyau central de ECRIS. Elle permet chacun de seconfronter l'approche d'un problme via la notion de groupe stratgique, ainsi que de seconfronter la varit et la relativit des groupes stratgiques. On ne considre pas legroupe stratgique comme un "vrai" groupe , un "collectif" ou un groupe institu (corporategroup). On ne suppose pas que le groupe stratgique ait une position commune tablie, bienque cela puisse parfois survenir. Il n'est pas question de "groupe-cible ( focus group): sicertains entretiens peuvent tre collectifs (en gnral parce que les circonstances l'imposent, etqu'un entretien individuel se transforme vite en entretien collectif informel ds lors qu'il n'est

    pas secret...), on privilgie plutt les entretiens individuels, avec des personnes aussi variesque possible l'intrieur du groupe stratgique affect un groupe d'enquteur

    Si sur le site retenu il y a 10 enquteurs, on fera donc 5 groupes d'enquteurs

    de chacu 2 personnes. Un de ces groupes enqutera par exemple uniquement auprs

    des femmes. Mais il ne runira pas les femmes du village ou ne convoquera pas

    leurs responsables. Il ira voir successivement femmes de chef et simples paysannes,

    vieilles femmes et jeunes femmes, responsables associatives et femmes

    marginalises, etc.

    La consigne principale est simple :

    1. Il s'agit d'identifier au fil de l'enqute le maximum possible de conflits et de

    contradictions, y compris ceux o les interlocuteurs ne sont pas impliqus directement (biensr, des stades ultrieurs de l'enqute, les conflits seront hirarchiss).

    Par exemple les entretiens avec des femmes permettront de prciser non

    seulement les conflits entre femmes et hommes propos de la commercialisation,

    mais aussi d'voquer leurs points de vue sur les conflits entre leveurs et

    agriculteurs, ou entre les deux lignage aristocratiques, ainsi que de reprer de

    nouveaux conflits (autour des appartenances religieuses ou politiques, ou propos

    du renouvellement du bureau de la cooprative, ou en raison de soupons de

    dtournement...)

    On peut y ajouter deux consignes complmentaires :

    2. Tenter de comprendre le plus possible "de l'intrieur" la relation que les membresde ce groupe stratgique entretiennent avec ce qui constitue le thme de la recherche ainsi que

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    leurs perceptions des autres groupes, et essayer de dcomposer le groupe stratgique endiverses composantes ayant des comportements ou des discours communs, et se diffrenciantdes autres composantes

    Quelles visions et quels usages les femmes d'agriculteurs ont-elles du projet

    de dveloppement ? Que pensent-elles des intervenants extrieurs et du rle du sous-prfet ? Les discours tenus parmi les femmes d'leveurs sont-ils diffrents ? Jeunes

    femmes et vieilles femmes semblent-elles avoir les mmes positions, les mmes

    apprciations ?

    3. Approfondir les indicateurs qualitatifs provisoires (mis au point lors du sminaire deprparation) et chercher des domaines o ils pourraient tre mis en oeuvre.

    La"dcision" locale dont il serait intressant de faire l'histoire pourrait tre

    le renouvellement du bureau...; tels et tels acteurs pourraient faire l'objet d'une

    biographie...; le baobab au centre du village et le domicile du chef le samedi matin

    lorqu'il rend justice sont les les principaux lieus de dbats observer...etc. Mais ilserait aussi intressant de rajouter parmi les indicateurs un recensement des

    diverses associations, des membres de leurs bureaux et des liens de parent entreceux-ci...

    Chaque soir une sance collective de bilan permet de recouper les diffrents conflitsvus selon diffrentes perspectives, d'mettre de nouvelles hypothses ou de nouvellesinterprtations, de concrtiser les indicateurs provisoires. Ces sances collectives constituentune base de travail pour celui des chercheurs de l'quipe qui travaillera ensuite sur le site.C'est en particulier grce ces sances que le travail ultrieur individuel est considrablementdfrich et prpar.

    La discussion collective sur le site en fin de journe, partir de donnes empiriquestoutes fraches, recueillies selon des perspectives varies (les groupes stratgiques...), grce une "entre par les conflits", est en effet un outil de construction de l'objet et de la mthode

    particulirement puissant. La verbalisation qu'impose le dbat plusieurs et le "brainstorming" collectif manquent en effet au chercheur individuel, qui aura tendance dcouperen deux phases trop distinctes sa recherche: d'un cot le recueil de donnes, de l'autre etultrieurement l'analyse et la mise en forme de ces donnes. A l'inverse, les sancescollectives de bilan chaque soir permettent en effet une analyse interprtative " chaud",permettant d'organiser sur le champ les donnes, de tracer des pistes de travail pour lelendemain, d'chafauder des modles trs provisoires, fluides, non duris par l'criture, noncoups de l'investigation... C'est un lieu d'mergence privilgi d'interprtations au plus prsdes matriaux empiriques, c'est--dire de "thories issues du terrain" (grounded theory, cf.Glaser & Strauss, 1967). De plus les formations , les itinraires, les comptences, les sujets

    d'intert des participants sont ncessairement diffrents: cette varit vaut complmentarit,ds lors qu'il y a un minimum de problmatique commune autour d'un mme terrain. Le dbatautour des donnes et de leur interprtation " chaud" est de ce fait beaucoup plus productifen dbut d'enqute que la rflexion plus ou moins intuitive d'un chercheur solitaire. Pendantune valuation collective, il faut convaincre les autres, tayer ses hypothses, prendre encompte les objections ou les contre-exemples, assumer les critiques.

    Le fait de travailler sur un seul groupe stratgique pendant deux jours permetd'approfondir la perspective particulire de ce groupe, sans risquer cependant une trop grandeidentification avec lui, dans la mesure o la comparaison avec les rsultats obtenus auprs desautres groupes, comme le fait de changer de groupe d'un site l'autre, relativisent les points devue. L'avantage de travailler partir des groupes stratgiques est de pouvoir explorer

    l'ventail social dans toute sa diversit, tout en approfondissant "de l'intrieur" chacune de sescomposantes. Les chercheurs de l'quipe sont ainsi confronts une pluralit de logiques

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    sociales, chacune d'entre elles mritant considration. Ceci est beaucoup plus difficile fairedans une enqute individuelle, o le chercheur est sans cesse en danger d'tre "encliqu" 10(d'tre identifi et de s'identifier une "clique", un sous-groupe), et o il ne peut facilementpasser du point de vue d'un groupe d'acteurs locaux un autre : le risque est soit de resterextrieur aux diffrents points de vue locaux, soit d'tre enferm dans un seul d'entre eux.

    4) Un sminaire de bilan d'enqute collective

    Celui-ci (un ou deux jours) a trois objectifs:

    - d'une part l'laboration finale des indicateurs qualitatifs communs, en quelque sortetests au cours de l'enqute collective, qui serviront chaque chercheur de points d'appuispour son enqute personnelle

    - d'autre part la dtermination des pistes de travail propres chaque site

    - enfin un premier essai comparatif, tentant de dgager partir des diffrents sites lespoints communs comme les spcificits de chacun, les lignes de force, les principaleshypothses

    5) Les recherches individuelles sur chaque site

    Dsormais la phase de travail de terrain individuel complmentaire estconsidrablement dblaye et srieusement mise sur les rails. Il n'y a plus de procdureunique qui puisse tre propose: ECRIS lgue chacun une srie d'indicateurs communs, etune srie de pistes particulires. Ce travail individuel ne peut avoir de dure standard. Toutdpend en effet des sujets explors. Certains peuvent demander des enqutes complmentairesindividuelles fort courtes de l'ordre de deux semaines (l'analyse d'une cooprative villageoiseou l'valuation d'un petit projet local), d'autres des enqutes complmentaires individuellesnettement plus longues de l'ordre de plusieurs mois (l'valuation de projets intgrs ou l'tudedes formes de pouvoir local).

    6) Le sminaire final

    Prpar par des rapports crits rdigs propos de chaque site, il est entirementconsacr l'analyse comparative, travers l'interprtation des donnes locales, les rsultatsobtenus travers les indicateurs qualitatifs, et le dbat autour des hypothses proposes.Habituellement, ce sminaire sert de base un rapport synthtique de conclusion, ainsi que -si la recherche a un aspect d'valuation ou d'expertise - l'laboration ventuelle derecommandations.

    Conclusion

    ECRIS a sans doute une pertinence particulire en termes de socio-anthropologie dudveloppement, et peut avoir galement une fonction d'aide l'valuation, pour deux raisonsfondamentales:

    - En tant que canevas d'analyse comparative sur plusieurs sites, ECRIS correspondbien aux besoins d'analyses lies la prparation, au suivi ou au bilan d'oprations dedveloppement. En particulier l'laboration au coup par coup d'indicateurs descriptifs,qualitatifs, non standardiss, qui font souvent dfaut dans un monde du dveloppementdomin par des indicateurs chiffrs et standards le plus souvent non fiables, est un atoutimportant

    10 cf. Olivier de Sardan, 1995 b

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    - Les concepts de conflit, d'arne et de groupe stratgique sont particulirementadapts l'insertion d'un projet de dveloppement dans des socits locales. Cela permet derompre la fois avec l'image consensuelle que les socits locales mettent en scne l'intention des trangers, et avec l'idologie "communautaire" ou populiste de beaucoupd'institutions de dveloppement. Cela permet de prendre en compte le fait que les ressources

    (matrielles comme immatrielles) d'un projet de dveloppement sont des enjeux pour desacteurs locaux trs diffrents.

    ECRIS est un canevas destin des recherches collectives et individuelles partentire et non un sous-produit simplifi destin des enqutes sommaires. Mais ECRIS peutaussi contribuer mettre les comptences de la recherche socio-anthropologique au serviced'oprateurs du dveloppement soucieux d'une meilleure comprhension des processussociaux qui sont l'oeuvre lorsque les actions de dveloppement se confrontent auxpopulations destinataires: en effet ECRIS introduit quelques cadres conceptuels, quelquescontraintes mthodologiques et quelques gains d'efficacit et de temps qui peuvent aider rduire srieusement l'cart entre les habitudes des chercheurs et les demandes des institutions

    de dveloppement.Ce canevas nest pas un dogme, et se veut d'ailleurs fondamentalement volutif. Il

    serait contraire son esprit mme qu'il dbouche sur un mode d'emploi standardincitant une reproduction l'identique. Nous avons propos ici une tentative deformalisation de ce qui est largement un savoir-faire issu de pratiques bricoles etexprimentales. Nous esprons que ECRIS continuera s'adapter ainsi d'un objet de recherche un autre, d'un terrain un autre, d'une quipe une autre. Cette souplesse est une desconditions de sa russite.

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    Troisime partie

    La politique du terrain. Sur la production des donnes en anthropologie 11

    Introduction

    Sociologie, anthropologie et histoire, bien que partageant une seule et mmepistmologie12, se distinguent malgr tout par les formes dinvestigation empirique quechacune dentre elles privilgie, savoir les archives pour lhistorien, lenqute parquestionnaires pour la sociologie, et le terrain pour lanthropologie. On conviendracependant volontiers quil ne sagit l que de dominantes, et quil nest pas rare que lon ailleemprunter chez le voisin. En particulier, lenqute de terrain a acquis une place nonngligeable en sociologie. De fait il n'y a aucune diffrence fondamentale quant au mode deproduction des donnes entre la sociologie dite parfois qualitative 13 et l'anthropologie.Deux traditions fondatrices fusionnent d'ailleurs clairement : celle des premiers ethnologues

    de terrain (Boas, et surtout Malinowski) et celle des sociologues de l'cole de Chicago. Etlon se rfrera ici de faon gale leurs postrits respectives 14.

    Ceci tant, lenqute de terrain, pour ceux qui ne la pratiquent pas, reste limbe dunflou artistique, que ceux qui la pratiquent ne se pressent gure de dissiper. Du fait de cecaractre souvent opaque ou mystrieux de la production des donnes de terrain,lanthropologie est, vue de l'extrieur, la fois la plus mconnue, la plus fascinante et la plusconteste des sciences sociales. On crdite souvent l'anthropologie de son empathie, etl'anthropologue de son vcu. Inversement on condamne tout aussi souvent lune commelautre pour pch dimpressionisme et de subjectivisme. Les aspects souvent irritants etparfois grotesques du mythe du terrain, lorsque l'anthropologue s'en auto-proclame le hros en

    dramatisant ses propres difficults15

    , achvent de brouiller les pistes.Or lenqute de terrain nest quun mode parmi dautres de production de donnes en

    sciences sociales. Elle a, comme les autres mais sa faon, ses avantages et ses inconvnients.Elle a ses propres formes de vigilance mthodologique, et a tout gagner expliciter lapolitique qui la guide. Ce flou du terrain doit donc tre autant que possible dissip.

    Il faut certes prendre acte du contraste vident qui oppose l'enqute par questionnaireset l'enqute de terrain. Elles apparaissent comme deux ples ou comme deux types-idaux (ilexiste heureusement des formes intermdiaires ou combines, nen dplaise aux intgristesdes deux bords), qui diffrent tant en raison des modalits respectives de la production des

    11 Une premire version de ce texte est parue dans Enqute, 1975, 1 :71-11212 Cf. Passeron, 1991.13 Cest l une appellation frquente aux Etats-Unis (cf. entre autres Kirk and Miller, 1986; Schwartz & Jacob,1979), qui, bien videmment, a ses inconvnients, en particulier celui de laisser entendre que la sociologiequalitative ne se soucierait pas des grandeurs ou des chiffres, ce qui est faux (cf. infra ce que jai appel lesprocds de recension). Inversement, appeler sociologie quantitative la sociologie par questionnaires, cestprendre le risque de laisser croire que celle-ci nmettrait ni jugements de valeurs ni interprtations nonquantifies, et ne sappuierait pas galement sur des donnes hors chiffres.14 Pour cette raison, nous utilisons le plus souvent pour notre part le terme de socio-anthropologie . On serappelle que le terme anthropologie a remplac dsormais le terme ethnologie , en raison entre autres desanciennes connotations coloniales de celui-ci.15 Le terrain devient alors une mystique" (Schwartz, 1993: 270-71), ou un "titre de gloire" (entitlement; cf.

    Schwartz & Jacob, 1979: 125). Cf. la critique de deux exemples parmi bien d'autres in Olivier de Sardan, 1988.On ne peut que souscrire cette remarque lapidaire: the subjects of ethnographies, it should never beenforgotten, are always more interesting than their authors" (Smith, cit in Sanjek, 1991: 610).

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    donnes et de la nature de celles-ci que par leur approche du problme de la reprsentativit.L'enqute par questionnaires prlve des informations circonscrites et codables sur la basedchantillons raisonns et dots de critres de reprsentativit statistique, dans une situationartificielle d'interrogatoire dont les rponses sont consignes par l'intermdiaire d'enquteurssalaris. Par contre l'enqute de type anthropologique se veut au plus prs des situations

    naturelles des sujets - vie quotidienne, conversations -, dans une situation d'interactionprolonge entre le chercheur en personne et les populations locales, afin de produire desconnaissances in situ, contextualises, transversales, visant rendre compte du point de vuede lacteur, des reprsentations ordinaires, des pratiques usuelles et de leurs significationsautochtones. L'enqute statistique est d'ordre plutt extensif (cf. la notion anglo-saxonne desurvey ), l'enqute de terrain est d'ordre plutt intensif (cf. les connotations de "terrain" enfranais) 16.

    Chacune a ses formes de rigueur, c'est--dire ses formes spcifiques de validation oude plausibilisation des donnes produites. Mais la rigueur de lenqute de terrain nest paschiffrable, la diffrence de la rigueur de lenqute par questionnaire, qui lest en partie. Il est

    clair que la validit statistique nest pas sa spcialit, et quelle ne peut tre juge laune de