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Architecture et urbanisme: L'image de a ville chez Claude-Nicolas LedouxAuthor(s): Mona OzoufSource: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 21e Anne, No. 6 (Nov. - Dec., 1966), pp. 1273-1304Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/27576747 .Accessed: 18/11/2013 15:15
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DOCUMENTS ET PROBL?MES
ARCHITECTURE ET URBANISME :
L'image de a ville
chez Claude-Nicolas Ledoux*
Ce livre est une confidence path?tique : Claude-Nicolas Ledoux, membre de l'Acad?mie Royale d'Architecture, dont la R?volution a
interrompu la carri?re 1, fait une tentative ? ce sera la derni?re ?
pour retrouver la faveur de l'opinion. Il entreprend de rassembler tous ses dessins et plans, et de publier cette d?monstration de son g?nie :
cinq volumes devaient composer cette somme. Le premier, le seul
publi? ?en 1804 ?, et dont la g?ographie fait l'unit? la plus imm? diate, r?unit les uvres franc-comtoises de Ledoux : th??tre de Besan
?on, maisons priv?es, command?es par des n?gociants ou des artistes,
et, surtout, projets pour la Saline d'Arc-et-S?nans. Les commentaires
qui accompagnent ces somptueuses planches dessinent une triste image de la d?pendance de l'architecte, en d?couvrant l'envers d'une condi
tion flatteuse : d?m?l?s avec les administrations et les entrepreneurs, difficult? de se faire payer, indiff?rence ou sarcasmes du public ; tout ceci sans doute major? par la reconstruction r?trospective d'un esprit d?sormais hant? par la pers?cution.
* Lecture d'un texte illisible : De VArchitecture consid?r?e sous le rapport de VArt, des M urs et de la L?gislation, de Claude-Nicolas Ledoux.
1. Un acte de bapt?me et une notice n?crologique parue le 15 d?cembre 1806 dans les Annales de VArchitecture et des Arts sont les sources auxquelles se reportent tous les
biographes de Ledoux. Ledoux est n? en 1736, a fait ses ?tudes au coll?ge de Beauvais, suivi l'enseignement de J.-F. Blondel. D?s trente ans, il reconstruit l'h?tel du comte d'Hallwyl. Mais c'est Mme Du Barry qui fait sa fortune. Il entreprend pour elle, en 1770, la construction du pavillon de Louveciennes. Il lui doit sans doute son entr?e, trois ans plus tard, ? l'Acad?mie Royale d'Architecture et l'approbation de ses plans pour la Saline d'Arc-et-S?nans. De 1770 ? 1789, il m?ne une carri?re tr?s brillante : il donne les plans du ch?teau de B?nouville, de la maison de la Guimard, de celle de
Mlle de Saint-Germain, des Salines, de nombreux h?tels ? Paris, du th??tre de Besan ?on, des barri?res de Paris, des prisons d'Aix. 1789 marque l'arr?t de cette production. Ledoux se voit signifier par Necker son cong? pour les travaux des Barri?res, puis la R?volution interrompt les travaux d'Aix. Rendu suspect par ses illustres clients, Ledoux est emprisonn? en 1793, rel?ch? six mois plus tard. C'est alors que, selon ses
biographes, il commence ? penser ? une grande uvre testamentaire, qui l'occupera jusqu'? sa mort.
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ANNALES
? De l'Architecture consid?r?e sous le rapport de l'Art, des m urs, et de la l?gislation ? : tel est le titre ambitieux de l' uvre. Mais il s'agit de tout autre chose que d'un trait? th?orique d'architecture, comme
il en foisonne au xvine si?cle ; ce n'est pas non plus une de ces collec
tions de plans et de projets que l'?poque, en mettant au concours les commandes importantes, fait partout surgir ; c'est la description d'une ville id?ale ? m?ditation sur l'architecture, sans doute, mais aussi
sur l'urbanisme, l'hygi?ne, la morale, la p?dagogie ?
que le livre, pre nant occasion des projets pour la Saline d'Arc-et-S?nans, propose. En 1775 en effet, Ledoux, depuis quatre ans inspecteur des Salines du
Roy, re?oit commande pour les b?timents d'une Saline en lisi?re de la for?t de Chaux. Les b?timents des Salines de Lorraine ?taient d?j? consid?rables : ? Arc-et-S?nans on avait vu plus grand encore
* ; et
d'autre part Ledoux, d?bordant le programme, ajoute aux plans de l'usine ceux de tous les b?timents qu'il estime indispensables ? une
ville achev?e. On trouve donc dans son livre des commentaires sur trois
cat?gories de constructions : celles qui, command?es, furent r?alis?es ? ce sont elles qu'aujourd'hui on peut, dans le bruit des restaurations,
d?couvrir ? Arc-et-S?nans ?; celles qui, bien que command?es, ne
furent pas r?alis?es ; et celles qui ne furent ni command?es, ni r?ali
s?es. Mais voici qui est ?trange : Ledoux, qui ?crit plus de vingt ans
apr?s l'abandon des travaux, est parfaitement instruit de ces distinc
tions, et ne les mentionne jamais pourtant (sinon, lorsqu'il ?voque, mais globalement et confus?ment, le complot ourdi contre lui). Quand, au d?but du livre, il pr?sente les monuments de sa ville, il cite, p?le
m?le, les greniers ? sel, les bains publics, les march?s, les ?glises, les cimeti?res, les th??tres qui la composent. Et il ajoute : ? construits, ou commenc?s depuis 1768 ?. Ce ? ou ? est pudique ; il est la seule allusion ? la distance qui s?pare ici le possible du r?el. Tout se passe donc comme si l'architecte prolongeait par l'?crit et le dessin l' uvre qui lui est d?sormais interdite, mais en voulant oublier cette interdiction : exp? rimentation mentale doublement passionnante, car elle plonge, ? la
diff?rence des utopies, ses racines dans des besoins r?els, des commandes
effectivement pass?es ; mais, ? la diff?rence des projets qui tendent encore ? la r?alisation et s'ordonnent au d?sir d'autrui, elle se trouve
lib?r?e par la disgr?ce de tout ce qui (argent, faveur, opportunit?) pour rait venir troubler son d?ploiement imaginaire. T?moignage des r?ve ries d'un homme, sans doute, mais cet homme a ?t? architecte, et sait
de quelles contraintes vit une uvre r?elle.
1. Ledoux devait, outre les b?timents industriels (bernes, maisons de cuites, ouvroirs, ?tuves, magasins, etc.), construire des maisons pour loger l'entrepreneur et ses employ?s, les commis de l'adjudicataire des fermes, les ouvriers ; et aussi, une salle d'audience, un greffe, une prison, une chapelle, ? dans la simplicit? requise pour une manufacture... ?.
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CLAUDE-NICOLAS LEDOUX
Ce livre, d'autre part, est vivement controvers?. Les uns l'estiment
presqu'inintelligible x
et, pour eux, la production litt?raire de Ledoux n'est que la sublimation manquee de son seul g?nie, celui de b?tisseur. Les autres 2 y voient un fleuve confus, mais qui roule ?? et l? des pail lettes ?tincelantes, susceptibles au moins de fournir une vingtaine de
bonnes citations. Ces pages, de toute mani?re, appelleraient l'ironie,
par leur d?sarmante na?vet?, leur extravagance appliqu?e ; elles seraient
la folie la plus ?clatante d'un architecte que tous les commentateurs s'accordent ? juger sage et fou. Leurs controverses, en effet, ne vivent
que de l'in?gal dosage de ces deux ?l?ments ; les uns, comme E. Kauf mann, voient surtout en lui l'architecte fonctionnel ; mais pour d'autres, comme Y. Christ, dans un livre dont le titre ? Projets et Divagations de C.-N. Ledoux ? est par lui-m?me assez parlant,
? les constructions
sages et classiques forment l'exception dans son uvre ?. De-ci, de-l?, on sugg?re
3 que la contradiction pourrait ?tre lev?e si on voulait bien
dissocier l' uvre et la glose, l'architecte et l'?crivain de l'architecture, seul coupable de d?lire : sage, le constructeur de cit?s-jardins et de
maisons fonctionnelles ; fou, m?galomane au moins, celui qui ose com
parer le r?le de l'architecte ? celui de Dieu. Mais ce divorce s'accomplit au prix d'une d?sinvolture
? jamais Ledoux ne s?pare ses ?difices du texte qui les accompagne
4 ? et se solde par l'excessive stylisation
de l' uvre : il faut alors en ?liminer les constructions all?goriques ou ? id?ologiques ? qui elles, du moins, manifestent ?videmment l'inti
mit? de l' uvre b?tie et de l' uvre ?crite. Tout invite au contraire ? tenter de comprendre cette intimit? et ? retrouver l'articulation des coupes, des plans, des ?l?vations de la ville de Chaux avec les pages qui les commentent.
Ces pages, d'autre part, et selon les m?mes historiens, montre
raient en Ledoux un pr?curseur, voire un visionnaire, en rupture avec
son si?cle, et l'annonciateur du romantisme, ou du surr?alisme, ou de
l'urbanisme moderne. Un trait au moins fait l'unit? de ces interpr?ta tions : c'est dans l'avenir, non dans le pass?, qu'elles cherchent l'expli cation de l' uvre de Ledoux ; soit qu'elles s'engagent, ? grand renfort de conditionnels, dans la proph?tie incertaine
? selon le livre de Raval et Moreux, du reste excellent, Napol?on
? aurait ? reconnu le g?nie de
l'architecte, ? il e?t sans doute en grande partie r?alis? le dessein de
1. C'est le sentiment de G. Levaixet-Haug, C. N. Ledoux, 1934 et de Y. Christ, Projets et divagations de C. N. Ledoux, architecte du roi, 1961.
2. Ainsi, E. Kaufmann, Three Revolutionary Architects, 1952, M. Raval et J. Ch. Moretjx, C. N. Ledoux, 1945.
3. Pour H. Eydoux, Cit?s mortes et lieux maudits de France, le livre de Ledoux
t?moigne de son abandon ? ? des consid?rations amphigouriques, parfois illisibles [...] Mais il reste de ce volume des planches ?blouissantes, traduisant la hardiesse de ses
conceptions ?. 4. ? L'art sans ?loquence ?, ?crit-il, ? est comme l'amour sans virilit?... ?. Et l'?poque,
du reste, est ? l'?loquence !
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A NNALES
Ledoux ? ? ; soit encore que le xxe si?cle leur fournisse un observatoire
pour appr?cier l'architecture de Ledoux. E. Kaufmann, qui voit en lui l'anc?tre de Le Corbusier, tend ? syst?matiser ce type d'interpr?ta tion : ? l'important, ?crit-il, n'est pas d'o? vient cette uvre, mais o?
elle va ?. Tout ce qui, dans la cr?ation de Ledoux, trouve aujourd'hui son r?pondant, ne requiert pas d'explication particuli?re, puisque
Ledoux ? est ? un pr?curseur. Tout ce qui, chez lui, ne peut ?videmment
tenir ? la vision anticip?e de l'urbanisme moderne, doit ?tre une ? con
cession ? ? son ?poque : poids de l'habitude, jamais libre d?cision. Mais rien ne permet de dire comment Ledoux vit cette concession. Par
ailleurs, est-ce bien une concession ? Faut-il tenir pour accidentels les
liens que cette uvre entretient avec son temps ? Pour le savoir, au
moins faut-il lire ce texte r?put? illisible.
Une intimit? sans cl?ture,
La gravure la plus c?l?bre du livre de Ledoux ? le surr?alisme en
a fait le succ?s ? est la repr?sentation symbolique du th??tre de Besan ?on ? travers un il. Elle m?rite sa fortune ; car elle illustre le privil?ge que Ledoux, dans la hi?rarchie des sens, accorde ? la vue x. Le bonheur, c'est de voir ; bien voir, le privil?ge de l'architecte, qui d?ploie devant lui, comme un panorama, sa cr?ation future, et s'approprie d'abord
l'espace. Sens de la simultan?it? et de la coexistence, la vue permet de s'affirmer, d'un coup, le propri?taire du monde ; et ce sens conqu?rant est par surcro?t un sens voluptueux. La vue propose le plaisir d'un par cours sans heurt, d'une ample promenade gliss?e. Lorsque Ledoux
fixe l'emplacement de sa ville naissante, c'est au bonheur de cette
conqu?te qu'il s'abandonne. Cette ville a beau ?tre cern?e par la for?t, rien n'emp?che le regard de d?border ses limites et de la prolonger de toutes parts. La ligne qui coupe le grand diam?tre de la cit? traverse aussi la Loue, la for?t, le Doubs, et, pourquoi pas, le canal de Gen?ve, les p?turages helv?tiques. A gauche, l' il de l'architecte se soumet ? la Meuse, la Moselle, le Rhin, les mers du Nord ?. Au bord du Doubs,
un port offre ? la vue sa joyeuse animation ; et, en suivant l'invitation du fleuve ? la promenade de l' il, on peut voir jusqu'au port d'Anvers ? s'ouvrir ?. Dans le langage de Ledoux, les coteaux ? se d?ploient ? tou
jours, le paysage se ? d?veloppe ?. A cette gigantesque eclosi?n du monde, rien ne s'oppose : les accidents topographiques sont gomm?s,
et la for?t ? imp?n?trable ? elle-m?me se troue de larges routes, que la vue s'enchante ? parcourir.
1. k La nature ayant donn? aux yeux un cr?dit plus ?tendu qu'aux oreilles [...] elle a donn? ? un de nos organes une portion d'?tendue qui se fortifie par l'exer cice [...], elle l'a prolong?e par le secours des oculaires qui franchissent les plus grandes distances... ?.
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CLAUDE-NICOLAS LEDOUX
Cet espace ouvert, a?r?, ordonn? autour de la ville, t?moigne sans
doute d'une n?vrose professionnelle : l'architecte des villes, ?
qui mime en cela l'architecte de l'Univers ?, se place d'embl?e au centre
de sa cr?ation. Arc-et-S?nans, un centre ? Mais pour les r?veurs de
villes, et singuli?rement au xvme si?cle, tout espace en vaut un autre.
Il n'y a de centre que par leur d?cision. A ce relativisme spatial, Ledoux
ajoute toutefois une pr?dilection personnelle ; il ch?rit singuli?rement l'espace vierge o? le regard ne rencontre rien qui puisse contrarier son
bonheur de promenade, lasser sa prise de possession. Lorsqu'avant m?me de conter sa propre ville, il d?crit la ? ferme d'un particulier ? qui
l'a s?duit, il souligne l'absence ? de ces hautes murailles qui concentrent
abusivement les richesses ?. L'heureux propri?taire de cette ferme a su ? se lier aux sites environnants ?. Son domaine est clos d'une
simple haie, que le regard saute all?grement ; il peut jouir ainsi, ? la fois, ? des produits de ses cultures et de tous les terrains que la vue peut parcou rir ?. ? Illimit?, ind?fini ?, ce sont des mots favoris de Ledoux.
Le livre est ponctu? d'appels au lecteur, invit? ? partager ce bonheur
d'expansion ?
et dans un style qui mime lui aussi la conqu?te et
s'enfle ? mesure que l'espace s'ouvre. Cette insistance sugg?re qu'il faut se donner du mal pour bien voir ; l'indicatif de la constatation recouvre en fait l'imp?ratif de l'attention, ou l'optatif de la r?verie.
La vision est aussi une imagination. Mais les commentateurs qui font
de Ledoux un hallucin?, n?gligent souvent de souligner chez lui la parent? profonde de la vision et de l'imagination. En imaginant, l'ar
tiste ne contredit pas la perception ; il la prolonge \ ou la pr?c?de. Il
parvient ? voir entre ? quatre rideaux ?, tandis que le sot ne voit nulle
part. Mais le vrai bonheur reste de fondre ensemble la perception et
l'imagination 2. Visionnaire, l'architecte l'est en effet, car la vue, de
tous les sens, est le plus d?li? ; celui qui, offrant des images, est en
l'homme le moins dissociable de l'imagination. Dans le libre espace de la plaine de Chaux, l' il qui d?couvre la ville naissante ne sait plus s'il
voit ou s'il r?ve : ? un cercle immense s'ouvre, se d?veloppe ? mes yeux ;
c'est un nouvel horizon du monde qui n'est pas ferm? pour toi. Tu n'as
pas besoin de d?chirer la toile qui s?pare une nouvelle aurore ; tu vois les merveilles que tu as cr??es... ?.
1. La libert? de concevoir ? ne peut ?tre born?e ? la vue des terres qui se confondent avec l'horizon : ces champs qui nous paraissent immenses sont trop resserr?s pour elle ?.
2. ? Le peintre voit des batailles sur des murs salis par la poussi?re ; d'autres fixent leurs regards sur des charbons ardents et d?couvrent les foyers de Lemnos, le
palais de Pluton ; l'amant voit sur les feuilles d'une rose les traits enchanteurs de la beaut? qui le s?duit. L'imagination, livr?e ? ses acc?s, ? une tendance qui la dirige vers le grand ; elle sert mieux que les ?crits multipli?s. Si elle trouve des r?alit?s dans le vide, ? quoi ne doit-on pas s'attendre si elle rassemble des situations qui peuvent la diriger ou l'?tendre ? ?
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AN NALES
Plac?e au centre de cet espace a?r? ? dont les
m?taphores lumi
neuses accusent partout la transparence ?, la ville s'offre elle-m?me
sans myst?re ? la vue du voyageur ; elle procure ? l' il la jouissance du parcours le plus satisfaisant, celui de l'ellipse. Le livre de Ledoux propose successivement deux plans de la ville. Le premier, carr?, coup? de portiques en carr? losange, est vite abandonn? ; pour des raisons
pratiques, affirme Ledoux, au demeurant assez confus?ment expos?es ;
mais aussi pour des raisons plus intimes, qui tiennent chez lui ? la
psychologie de l'imagination. L'ellipse permet le glissement sans inter
ruption de la vue ; ce deuxi?me plan ?vite les angles qui imposent une halte au regard, qui ? morc?lent ? : terme toujours p?joratif chez Ledoux. Les seize rues qui, selon un plan radio-concentrique, partagent la ville, sont larges ; le regard peut de bout en bout les parcourir. La lumi?re les baigne ; on est loin de ces rues ?troites, ? incis?es ? dans les villes confuses 1. D'autre part, rien ne limite l'expansion triomphante de la
ville. Autour de la premi?re ellipse, qui rassemble les b?timents indus triels, les dessins de Ledoux sugg?rent les quartiers de la ville : aucune enceinte 2 ne fait obstacle ? leur ?ventuel d?veloppement. C'est l? un des th?mes de l'?poque qu'urbanistes, d?mographes, faiseurs d'uto
pies soulignent inlassablement ; les lois ?diles du Code de la Nature, d?j?, font obligation de disposer les quartiers de la cit? de fa?on qu'on puisse toujours les accro?tre sans d?figurer l'ensemble3. A Chaux, l'?talement de la ville et de ses activit?s ne semble pas devoir conna?tre
de limites. Quand Ledoux d?crit les portiques destin?s aux maisons de commerce de sa ville, il voit d?j? se fixer en ces lieux ? les produits de la ville de Gen?ve, les arts de luxe de Birmingham... ?. ? Les ports du Bengale, l'Arabie heureuse ?, tout l'univers converge vers la Saline
de Chaux.
D'autre part, ? l'int?rieur m?me de la ville, il y a, partout, de la
place. Dans les planches o? Ledoux figure les maisons particuli?res ou
les ?difices publics, le tissu urbain n'est presque jamais figur?. On le comprend lorsqu'il s'agit de maisons de campagne, ou m?me de mai
1. Mais on ne peut voir dans le trac? que dicte ? Ledoux son go?t de la transpa rence une ? prescience ?. Partout au xviii6 si?cle, on corrige les trac?s des rues trop sinueuses, partout on pr?voit des alignements, partout on m?nage des perspectives.
Les exigences de Ledoux consacrent une pratique, mais ne l'annoncent nullement. 2. Pourtant, le programme de la Saline commandait ? Ledoux de construire ses
b?timents ? dans un espace clos d'un mur de 12 pieds, d?fendu par un foss? ? sec dans lequel il sera perc? une ou deux portes coch?res, aux endroits les plus commodes ?.
Cette entorse ? la commande est significative. Mais elle ne saurait non plus passer pour une innovation : c'est ? Louis XIV qu'est due la d?molition des enceintes pari siennes et, tout au long du xvme si?cle, la province ?Angoul?me (d?s 1699), Bor deaux, Libourne, Poitiers, Nantes, Caen, etc.. ? suit l'exemple de Paris et remplace les murs et les foss?s par des cours ou des boulevards plant?s d'arbres.
3. Morelli, Code de la nature ou le v?ritable esprit de ses lois (1755) : ? tous les quar tiers d'une cit? seront dispos?s de fa?on que l'on puisse les augmenter quand il sera n?cessaire, sans en troubler la r?gularit?... ?.
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CLAUDE-NICOLAS LEDOUX
sons priv?es, que peuvent toujours cerner de vastes quartiers r?siden tiels ; mais m?me autour de la Bourse, ou de l'?cole, aucune autre
construction ne se profile. Artifice de pr?sentation, sans doute, car
chaque ?difice est mieux mis en valeur isol? dans un d?cor d'arbres.
Mais pas seulement, car les planches g?n?rales ?
celle du march?, ou de la forge
? montrent elles aussi, autour des maisons, cet ? air
n?cessaire ?. Il y a l? une doctrine d'urbaniste ? la prodigalit? spa
tiale marque tout l'urbanisme des lumi?res ?, mais les imp?ratifs de
l'hygi?ne collective soutiennent, plus qu'ils ne commandent, la r?ve
rie esth?tique : seul l'espace permet de bien voir. Aussi les maisons
de Chaux sont-elles, comme dans cette Rome d'avant Auguste, mod?le
de l'architecte, des ?les s?par?es. Les constructions publiques, les ?coles, et jusqu'? la maison de l'employ?, doivent ?tre isol?es, ? ind?pendantes de toute adh?rence ?. Ledoux balaie les objections classiques qui font grief aux cit?s trop ?tendues de gaspiller un terrain pr?cieux
? qu'on
pourrait cultiver. Ce raisonnement perverti fait de l'espace ?
n?cessit?
premi?re ? un luxe. Or, resserrer, concentrer, c'est ?touffer. Et c'est
faire une ?conomie ruineuse, puisque la destruction des agglom?rats d'hommes et de maisons est in?vitable ; l'?pid?mie s'en chargera ou,
si ce n'est elle, l'incendie.
Faite d'?difices bien distincts, la ville y gagne d'?tre imm?diate ment lisible. Chaque monument annonce sans myst?re sa fonction ;
et, de m?me, le plan de chacun d'eux r?v?le d'embl?e la destination des pi?ces. Pr?occupation constante, et qui
se manifeste avec une force
particuli?re dans le plan de l'?glise de Chaux. La disposition des ?glises traditionnelles r?volte Ledoux : aux m?mes autels on c?l?bre des c?r?
monies disparates ; naissances, mariages, enterrements, tout est
confondu. Il faudrait pouvoir sp?cialiser chaque ?glise ; si on ne le peut, comme c'est le cas dans une ville restreinte, au moins doit-on distin
guer soigneusement les objets : il faut pour les naissances un autre autel
que pour les mariages * ; les cort?ges accompliront des circuits s?par?s.
Le m?me souci pr?side ? la disposition des maisons priv?es 2. Dans la maison pour deux jeunes artistes, chaque pi?ce
? galerie de tableaux,
cabinets d'histoire naturelle, de chimie, de botanique ? a son usage.
De m?me, le m?canicien trouve, au centre de la maison que lui b?tit
l'architecte, une pi?ce ? r?fl?chir, ?clair?e par le haut pour exclure la
1. C'est l? un souci de l'?poque. Dans le village utopien du Paysan Perverti, une
pr?occupation identique pr?side ? la distribution de l'?glise. L'entr?e des ?pousailles est au Midi, celle des enterrements au Nord ; ces deux portes ne s'ouvrent ? que pour les choses dont elles portent le nom ?.
2. La sp?cialisation des lieux, qui appara?t depuis la deuxi?me moiti? du si?cle, r?v?le le go?t croissant des commodit?s dans l'architecture priv?e ; l'usage s'y r?pand d'affecter une pi?ce, le salon, ? la vie mondaine, de r?server aux repas une salle
? ?
manger ?. Cette distinction d?sormais traditionnelle appara?t dans les plans de Ledoux ;
et, de m?me, les chambres cessent de se commander les unes les autres et s'alignent le long d'un corridor.
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ANNALES
distraction, et pourvue d'un arri?re-cabinet o? fuir les importuns, et
l'amour m?me. La possibilit? de s'isoler est pour Ledoux une th?ra
peutique absolue ; ainsi, les discords d'une famille divis?e (un p?re avare, une fille disgraci?e, un fils ?go?ste et l'autre atrabilaire) sont presque dissous par un ? innocent ? stratag?me architectural : quatre
maisons en une, o? chacun soit physiquement isol? des autres. L'espace est pour Ledoux ? la fois une cure physique et morale.
L'isolement toutefois n'est pas la solitude. Il en est m?me anti
nomique ; ?tre isol?, ou pouvoir l'?tre, c'est jouir d'un luxe, que dis
pense l'architecte. Mais ce n'est jamais se cacher, ni m?me se s?parer. Dans ces ?les que sont les maisons, le bonheur n'est pas d'insularit?.
L'isolement, respiration n?cessaire ? la communaut?, n'est jamais la
passion du secret. Partout, Ledoux condamne le compartimentage
superflu des appartements, les boudoirs, les cloisons qui ? servent la
corruption ?. Le mod?le reste, pour lui, ce logement du charpentier dont la disposition est si simple qu'elle exclut, avec la possibilit?
m?me de la faute, le soup?on. L'espace, c'est vraiment l'air ; ce n'est
jamais la prolif?ration inutile des appartements. Car l'isolement est f?cond, mais la division inf?conde. Aussi toute l' uvre ob?it-elle ? un double imp?ratif, qui ?clate dans la C?nobie : il faut rassembler, et des pi?ces communes (salon de rassemblement, salle ? manger) disent l'attrait de la r?union. Mais il faut aussi permettre aux seize familles
qui vivent dans le calme des bois de s'isoler ; chacune d'elles a ses
appartements priv?s qu'une ing?nieuse disposition rend tout ? fait
ind?pendants des autres. De m?me, l'architecte se pr?occupe de relier
les ?difices qu'il a d'abord s?par?s et d?gag?s : l'abondance des por tiques r?pond ? ce souci. La ville id?ale se distingue en effet par ses
promenoirs abrit?s : r?miniscences antiques particuli?rement insis
tantes dans un texte qui en est prodigue. Les portiques entourent la
Bourse et le march? pour permettre ? les sp?culations utiles ? ; mais
aussi le Panar?t?on et la maison d'Union, pour favoriser les m?dita
tions, et m?me les maisons priv?es les plus modestes pour laisser leurs
propri?taires poursuivre les exercices physiques interrompus par l'orage. Dans la maison aux quatre b?timents d?j? ?voqu?e, ce sont les por tiques qui sugg?rent aux parents divis?s de se rassembler. Des portiques,
Ledoux attend d'abord qu'ils soustraient les hommes aux ?
caprices de l'air ? (la peur des intemp?ries et de l'orage court ? travers tout le texte) ; mais il appr?cie aussi que les portiques soient ouverts. Qu'ils soient ? la fois couverts et ouverts
explique sa pr?dilection. Couverts, ils rassemblent, et permettent aux hommes que la double exp?rience
du moraliste et de l'hygi?niste a isol?s de se grouper sans se confondre.
Mais ils restent ? ouverts ? : dans leurs colonnes, le paysage s'inscrit,
toujours offert. L'air y circule, corrige la canicule, pr?vient l'?touffe ment. Ces portiques multipli?s ? l'infini sont des abris, non des prisons.
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Dans cette ville sans interdictions, sinon sans discriminations, les
hommes doivent go?ter le bonheur d'une intimit? sans cl?ture. La f?te de Chaux illustre ce bonheur : les citoyens de la ville se r?cr?ent en plein air ; le regard du voyageur peut faire un inventaire complet des diver tissements. Cette promenade sans myst?re saisit des jeux eux-m?mes innocents : luttes, rondes, courses, dont le prix est une simple ? branche
de myrte ? 1. Au centre de l'espace r?serv? ? la r?cr?ation, s'?l?ve ? le monument de la ga?t? ?. Ledoux, en commentant les plans, les coupes et les ?l?vations de cet ?difice, affirme qu'on y lit ? plein ? l'esprit qui a dict? cet ?tablissement : tout est isol?, tout est aper?u ?. Isol?es, en effet, les pi?ces selon leurs fonctions : une grande salle pour la danse, des cabinets pour les buveurs. Mais tout est aper?u : de partout, on
voit ceux qui dansent. La conscience d'?tre vus fortifie l'innocence, et
une enti?re transparence r?gne entre les danseurs : ? ici, chacun se
conna?t ; on n'est point expos?, comme dans les cit?s nombreuses, ?
cajoler en cadence le fils de l'assassin de son p?re ?. Du reste, c'est cela, la f?te : la communaut? se r?jouit d'elle-m?me en se contemplant.
Ledoux r?v?le ici son admiration pour Rousseau (la f?te de Chaux est bien celle que d?crit la lettre ? D'Alembert 2, un spectacle qui peut se
passer de programme), mais aussi une de ses plus tenaces convictions : dans un texte qui fait une part si belle au spectacle, aucun spectacle n'est tenu pour plaisant s'il est octroy? ; les feux d'artifice que les gou vernements organisent pour les peuples sont de pi?tres r?jouissances, sans lien avec les vrais motifs de la joie 3. Pour Ledoux, ce qui est bon n'est pas ce qui est donn? ? voir par faveur ou exception, mais ce qui,
chaque jour, est sous les yeux de tous. Aussi la f?te publique ne peut elle que prolonger en l'?tendant la f?te priv?e. Pourquoi ne pas faire
1. Le caract?re modeste et champ?tre des r?compenses de la f?te de Chaux est bien accord? ? l'?poque. Couronnes, corbeilles, guirlandes, forment les accessoires de
pr?dilection du rituel r?volutionnaire. Et ? l'essai sur les f?tes nationales ? qu'adresse Boissy-d'Anglas ? la Convention le 12 Messidor An II pourrait servir de commen taire ? la f?te de Chaux : ? les jeunes gens s'exercent ? la lutte, ? la course, ? tous les exercices qui donnent de l'agilit? ou de l'adresse ; ils re?oivent des prix que leur d?cernent les vieillards. Ces prix sont modestes et simples. Des fleurs, un ruban, ou un rameau de verdure suffisent pour consacrer leur victoire et pour honorer leur succ?s... ?.
2. ? Qu'y montrera-ton ? Rien si l'on veut ?. On songe aussi ? Robespierre, d?cri vant la f?te r?volutionnaire id?ale, le 18 flor?al An II : ? le plus magnifique de tous les
spectacles, c'est celui d'un grand peuple assembl?. On ne parle jamais sans enthou siasme des f?tes nationales de la Gr?ce : cependant elles n'avaient gu?re pour objet que des jeux o? brillaient la force des corps, l'adresse, ou tout au plus le talent des po?tes et des orateurs ; mais la Gr?ce ?tait l? ; on voyait un spectacle plus grand que les jeux... ?
3. ? L'?go?sme des gouvernements a d?figur? les origines [...] Assemble-t-on la multitude, ce n'est que pour entretenir ? grands frais la pyrotechnie, cet art frivole dont le brillant ?clat frappe l'oreille, ?blouit les yeux, dispara?t et ne dit rien au c ur. ? C'est aussi la critique de S?bastien Mercier et de J. M. Dufour, Diog?ne ? Paris, 1787.
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des ?v?nements importants de la vie familiale l'occasion de f?tes col lectives * ? Il suffirait de les proposer ? l'assentiment public pour ?tendre ? la ville toute enti?re l'all?gresse priv?e. Celle-ci, du m?me
coup, perdrait son caract?re s?par?, sa tentation de se clore sur elle
m?me. On passerait sans contradiction du bonheur de chacun au
bonheur de tous, comme on parcourt sans interruption l'espace de la
ville.
L'allure ?gale de cette promenade laisse pr?voir la totale ?galit? des lieux de la ville. Pourtant il y a un ? centre ? ? Chaux, et les boule
vards concentriques sugg?rent une initiation progressive, de m?me que la convergence des seize rues principales vers un point central suppose
une hi?rarchie des fonctions, voire une sacralisation de l'espace. Ici, force est de reconna?tre une certaine disjonction entre le texte et les
images : ? lire Ledoux, au centre de la ville, on trouvera la Bourse, ?di
fice qui demande ? ?tre d?gag? de tout embarras ; et, moins explicite ment, l'?glise. Mais le plan, lui, est sans ?quivoque : c'est l'ellipse que dessine l'usine qui fait le centre de la cit? ; atome dont la maison du directeur de la Saline figure le noyau. En fait, Ledoux ne se pr?occupe pas beaucoup d'?tablir une hi?rarchie entre les monuments qu'il pr? voit. Certes il met hors de la ville le cimeti?re et l'hospice, ?carte le
march? du centre proprement dit : mais cette disposition est au xvine si?cle le v u commun des hygi?nistes et des urbanistes. Et
depuis que des ordonnances royales ont donn? une r?alit? ? ce souhait, les auteurs des trait?s d'architecture et d'hygi?ne s'excusent d'avoir
? rappeler des dispositions aussi ?l?mentaires. En revanche, ce n'est
pas en c?dant ? une convention que Ledoux place au centre ?
soit, dans la ville, la maison du directeur, soit m?me les humbles maisons
b?ties aux carrefours de la for?t 2?, les ?difices qui ont une fonction de surveillance. Leur vocation est de regarder et de garder
? maison
du garde supr?me de la ville et maisons des gardes de la for?t ?, de commander l'espace, de
? surveiller des possessions ind?finies ? : nou
veau t?moignage, s'il en fallait un, de la pr??minence du regard pour Ledoux. Le centre n'est pas ici le refuge o? l'on se blottit, l'abri o? l'on
peut ?chapper ? la vue, mais celui d'o? l'on peut tout voir. R?verie du dehors, plus que du dedans, et qui, du m?me coup, ?galise l'espace.
Si donc l'espace est, dans l'ordre de l'horizontalit?, sans secret ?
et
m?me l'espace forestier : rien de plus significatif, ? cet ?gard, que cette
for?t de Chaux, travers?e de routes de part en part ?, il garde, dans
1. C'est encore en fils de son si?cle que r?agit ici Ledoux. Ces f?tes sont celles que la R?volution tente de faire vivre : f?tes des ?poux, de la Maternit?, de la Vieillesse, de l'Adoption, etc.
2. Raval et Moreux (op. cit.) font remarquer que ces petits ?difices, plus que des logements de b?cherons et de scieurs, ?voquent des postes de surveillants, ou de signaux.
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l'ordre de la verticalit?, son myst?re. La ville de Ledoux a une polari sation ; elle conserve l'axiomatique spontan?e du haut et du bas. Il
y a chez Ledoux, comme le signale Y. Christ1, un th?me de l'antre ; en profondeur, vit une cit? secr?te. Mais le sens du mot antre est pour
Ledoux celui que lui donne le xvine si?cle : lieu des ? miasmes ?, de
pestilence et de contagion. Quand il ?voque les antres qui truffent sa
ville, ce n'est pas avec pr?dilection : ce sont les grottes de la Saline
elle-m?me, dont la porte de ville imite les cong?lations ; vou?es au tra
vail industriel, ces grottes sont des ? ab?mes t?n?breux ?, que le voya
geur aspire ? quitter au plus vite. C'est aussi, ?tabli dans des carri?res
dont on aura ?tay? les vo?tes, l'extraordinaire cimeti?re de Chaux, dont les portiques souterrains rayonnent autour d'une sph?re creuse ; dans ces gouffres t?n?breux, ? les soupiraux de l'empire f?tide s'ouvrent
de toutes parts ?. Enfin, il arrive ? Ledoux d'?voquer l'antre lorsqu'il commente d'autres ?difices, les vo?tes de la prison, ou les cellules de
la maison de plaisir. La profondeur, ici, est toute psychologique ? ces
b?timents ne sont pas construits sur des gouffres naturels ?, c'est
celle de l'inconscient 2. Car on ne ? descend ? pas, ? proprement parler, dans ? les cellules destin?es au
myst?re ?. Mais il semble que le mouve
ment qui gagne ces lieux ne puisse ?tre qu'une descente, voire une
chute ; cette circonstance, et aussi l'obscurit? qui r?gne en ces demeures,
les assimile ? des gouffres. Les gouffres sont donc, pour Ledoux, l'asile
du travail le plus p?nible, du vice, du crime, de la mort. La ville sou
terraine est une ville nocturne, une ville d'angoisse. Dans l'univers
transparent de Ledoux, toute clandestinit? est condamn?e.
En revanche, l'air est le lieu de la purification et de la grandeur. Monter des rampes, c'est s'?lever dans la perfection. Les b?timents
? moraux ? de la ville de Chaux ont tous des degr?s, et la maison du
directeur comporte un couronnement qui la fait ? pyramider ? au-dessus
des autres ?difices. Ce couronnement rec?le une chapelle qui
? monte
de fond ? au centre de la maison. Soixante marches m?nent au sanc
tuaire. Dans l'invitation ? les gravir du regard, l'?me du spectateur s'?l?ve elle aussi 3. Le haut et le bas conservent donc, pour Ledoux,
1. ? Le Cor busier, Hector Guimard, Claude-Nicolas Ledoux brodent tous trois, avec des d?lices infinies, sur le th?me de ? l'antre ?, qui exprime un des go?ts les plus constants de l'esprit baroque, ? travers le temps, le style et les modes, pour le trompe l' il, pour le myst?re, pour le d?moniaque... ?
2. ? L'atelier de corruption, sous ses antres obscurs et profonds, lui d?couvre les sources empoisonn?es qui alt?rent la vigueur de la morale, minent les tr?nes, ren versent les empires. ? Tout ceci (antres, sources et jusqu'au verbe miner) ?voque la clandestinit? des profondeurs.
3. M?me les maisons priv?es, quand elles sont destin?es ? des ?tres d'exception (artistes, savants, m?caniciens) sont ?clair?es par le haut. Commentant les plans de la maison de ? l'abb? Delille, homme de lettres ?, Ledoux s'?crie : ? quoi ! des croi s?es ! la maison de l'abb? Delille doit ?tre ?clair?e par le haut ! C'est un temple de gloire ? ? Mais il s'agit ici encore d'un th?me de l'?poque. Dans le rapport sur l'?difice
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Annales (21e ann?e, novembre-d?cembre 1966, n? 6)
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ANNALES
leur signification morale imm?diate. Toutefois le bonheur paisible reste celui qui parcourt sans obstacle l'horizontalit?. M?me les ?difices qui ?voquent la majest?, comme l'?glise, frappent par la calme dominance des horizontales. Et partout, Ledoux dit sa r?pugnance pour les entas
sements de maisons, les hauts immeubles qui ? d?fient la vue ?. Deux
?tages, c'est la norme des constructions de Chaux.
A cette r?verie de l'espace, Ledoux donne un accent tr?s personnel. Si la ville de Chaux est pour lui, et avant tout, l'occasion de s'enchanter
d'un spectacle, son originalit? par rapport ? l'urbanisme th??tral n'en
est pas moins ?clatante. Son esth?tique n'est en rien une esth?tique du
d?cor, encore moins du camouflage, comme celle qu'illustre la place des
Victoires. Ledoux aime trop les ?lots ind?pendants, s?par?s par des
jardins, quoiqu'unis par des portiques. Ces ?les ne sollicitent nullement une perspective privil?gi?e et Ledoux estime absurde l'habitude qui consiste ? soigner une des ?l?vations au d?triment des trois autres.
L' il doit pouvoir faire le tour des maisons. Il y est du reste invit? par l'architecte, qui encourage le spectateur de sa ville ? d?velopper un
regard agile, mobile, celui du cr?ateur sur sa cr?ation : point de vue
de la photographie a?rienne ou du cin?ma, plus que du th??tre. C'est
donc, plus que le bonheur d'habiter, le bonheur du regard qui fait l'unit? de cette uvre ; mais d'un regard affranchi de toute fixit?.
Pourtant, si li?e soit-elie au temp?rament de Ledoux, cette r?verie n'a
rien qui marque une rupture avec l'?poque. Le go?t de l'isolement
s'inscrit dans tout l'urbanisme du si?cle, qui s'attache ? concevoir
rationnellement les demeures priv?es, ? multiplier les commodit?s, ?
pr?voir le bon usage de chaque pi?ce. Le d?ploiement de l'espace est le but poursuivi par tous ces architectes, qui cherchent ? m?nager des
perspectives, ? tailler dans les vieilles cit?s trop avares, ? doubler le
spectacle dans des plans d'eau. La pr?dilection pour les transparentes
r?jouissances d'une collectivit? vertueuse, c'est celle m?me que la R?volution s'ing?nie
? sans y parvenir ? ? faire vivre aux Fran?ais.
Quant au privil?ge accord? ? la vue, trait le plus marquant sans doute du texte de Ledoux, n'est-ce pas aussi celui que lui conf?rent des
uvres toutes contemporaines ? Ainsi, cette Physiognomonie de
Lavater o? aucune connaissance ne se d?robe ? ? un il fin et bien
exerc? ?, et o? ? comme chez Ledoux ? l'observateur sait voir o?
l'autre ne voit rien. Etre ? visionnaire ?, c'est alors, bien loin de jouir d'un privil?ge diabolique, pratiquer un exercice raisonn?.
de Sainte-Genevi?ve (1791), Quatrem?re de Quincy propose d'en murer toutes les fen?tres et de l'?clairer par la coupole seule. Cet ?clairage par le haut para?t alors seul digne des ?difices ? caract?re didactique ou moral.
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Une ville n?o-classique ?
Il faut alors savoir si les moyens par lesquels l'architecte pense donner corps ? sa r?verie font, eux du moins, voir en lui un pr?curseur. Ses historiens l'affirment, mais en deux sens bien diff?rents. Pour les uns, Ledoux invente un rationalisme urbain ; son originalit? est l'atten
tion qu'il porte ? la peine des hommes, et le souci de l'all?ger par d'in
g?nieuses dispositions architecturales. Ledoux, pour les autres, cons
truit une somptueuse ville baroque, o? le luxe des monuments publics n'est nullement proportionnel ? l'utilit?, et dont la destination est plus all?gorique que fonctionnelle. Entre ces deux th?ses, faut-il vraiment
choisir ? Le th?me d'une pathologie urbaine, qui est au centre de la r?flexion
de Rousseau comme de Restif de la Bretonne, habite aussi le texte de Ledoux. Derri?re la description de la ville de Chaux se profile, en
repoussoir, celle d'une ville malade. Cette ville condamn?e, n?gatif de
la ville id?ale, est d'abord une ville surpeupl?e (? les grandes cit?s rec?lent tous les genres de corruption ?), une ville opaque dont les f?tes additionnent, mais jamais ne fondent entre elles, les joies individuelles (? chacun sans se conna?tre se prend, se serre la main et d?lire en
cadence ?) ; une ville d'ombre (on croirait que les ombres qui les noir cissent ? les rues ? ont ?t? pr?par?es dans des urnes fun?raires pour
peindre le deuil qui couvre le genre humain ?) ; une ville dense et ?touf fante : l'air y circule mal (? le mur oppos? est si pr?s qu'il comprime les poumons, restreint les facult?s ?), et les hommes aussi (? la borne pro tectrice de la demeure de l'artisan ?clate sous le poids d'une voiture indiscr?te mal dirig?e ?). En revanche, la maladie et l'incendie y cir culent bien : ? les murs r?percutent les souffles contagieux ?, et les ver
rues qui subsistent au milieu m?me de la ville ?
abattoirs, teintureries, amidonneries ? sont le terrain d'?lection de l'?pid?mie. L'entasse
ment des maisons, la n?gligence avec laquelle on choisit les mat?riaux
de construction livrent la ville ? l'incendie. C'est la ran?on forc?e
d'une architecture monstrueuse. Quand Ledoux d?crit le plan des
pompes destin?es ? garantir du feu la ville de Chaux, une association par contraste le ram?ne ? cette ville, dont la belle apparence dissimule
mal la maladie ; l'abondance des jeux publics, des salles de vente, des rassemblements malsains de population
? maladie physique et perver
sion morale en sont les fruits jumeaux ?
sont autant de sympt?mes
inqui?tants. Et, aussi, la hauteur des maisons : huit ?tages sur lesquels ? s'entasse le vice ?. On sent ici que, coiffant tous les maux d?j? cit?s, l'absence de distinction, la confusion, les obstacles au bonheur de la
vue (symboliquement une ?paisse poussi?re enveloppe la ville) sont les principaux ?l?ments d'un diagnostic d?sesp?r?. Et, de fait, un gigan tesque incendie ne tarde pas ? tout an?antir.
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Mais ? dire vrai la description de la ville condamn?e n'est pas neuve : tout au long du si?cle les trait?s d'hygi?ne et les ? observations sur les maladies ? ne cessent de r?clamer ? et obtiennent ? que soient
expuls?s de la cit? les abattoirs, les cimeti?res, les h?pitaux. Les m?mes
ouvrages demandent l'?largissement des rues et des places, l'organi sation des services de nettoiement, l'agencement des jardins publics. Certains m?me se plaignent d'avoir ? r?p?ter des v?rit?s aussi us?es *.
Ce n'est donc pas par ses ambitions de salubrit? que Ledoux peut faire
figure de pr?curseur. Est-ce par la nouveaut? de ses solutions ? Et
sont-elles si diff?rentes de celles que Ceineray ? Nantes, que Tourny ? Bordeaux ont depuis longtemps pr?conis?es ? Les rem?des que Ledoux
sugg?re ? l'architecte qui devra reconstruire la ville malsaine dont le feu a fait justice sont fort simples : il lui faudra pr?voir une distribu tion d'eau suffisante pour que chaque citoyen ait, ? domicile, une assu
rance contre l'incendie ; choisir des mat?riaux qui ne soient pas p?ris sables (et donc exclure le chaume 2 et le bois) ; isoler les ?difices les uns des autres. Mais il est difficile de voir dans ces trois recommandations
autre chose que la politesse ?l?mentaire de l'urbanisme classique. Certes, Ledoux descend dans des d?tails tr?s pr?cis. Chacune de ses
maisons comporte, outre les pi?ces d'apparat, des pi?ces de service, souvent souterraines, toujours soigneusement agenc?es, et auxquelles la place n'est jamais disput?e : vastes cuisines, lavoirs, s?choirs, caves au vin et au bois. Il s'int?resse ? la ventilation des cuisines, recom
mande de donner ? leurs vo?tes une hauteur suffisante, de les munir
d'un syst?me d'?vaporation. Dans chaque ?difice, on le voit soucieux
de pr?voir des ? airs passans ?, qui assurent le renouvellement de l'air ;
et il fustige au passage les douillettes habitudes des riches, qui cal feutrent si herm?tiquement les joints de leurs demeures qu'ils les rendent insalubres. Il conseille d'?tablir les chambres ? coucher au Midi, les
garde-mangers au Nord ; et m?me les ?curies t?moignent de sa vigi lante minutie 3. Toutefois, toutes ces dispositions et ces pr?cautions
1. Ainsi, Dussausoy, dans le Citoyen D?sint?ress? : ? je croirais faire rougir la Nation, si je pouvais penser qu'elle e?t besoin de nouvelles preuves pour se convaincre des maux que l'exhalaison de la putr?faction doit occasionner, et de l'infection qu'elle r?pand dans l'air ?. Et Daumours, dans son M?moire sur la n?cessit? et les moyens d'?loigner du milieu de Paris les tueries de bestiaux et les fonderies de suifs, rappelle les tentatives infructueuses faites depuis le xive si?cle pour ?loigner les abattoirs de
Paris, et ajoute : ? Ce n'est donc point une nouveaut? que nous proposons. ? 2. Ledoux montre une v?h?mence particuli?re dans la critique des chaumi?res :
? d?truire les chaumi?res, c'est rendre ? l'homme sa dignit? ?. Et, aussi : ? l'Architecte de la nature ne conna?t ni les palais ni les chaumi?res... Je dirais plus, le chaume est un vol ? l'engrais des terres [...] Et si l'airain qui brille sur le palais des rois garantit des ?clats du tonnerre, celui qui le dirige ne veut pas que des toits fragiles, recouverts de la t?te dess?ch?e du chanvre, provoquent son phosphore fougueux et mettent en d?faut l'insuffisance... ?.
3. ? On construit les habitations de la gent animale avec autant de n?gligence que l'on en met ? la plantation de nos parcs [...] Les chevaux occupent un rez-de-chauss?e
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sont depuis longtemps des lieux communs 1. Si elles suffisent sans doute ? montrer en Ledoux un architecte fonctionnel, c'est dans l'exacte
mesure o? son si?cle l'est. Peut-?tre peut-on lui accorder toutefois
d'?tre tr?s complet, de r?unir dans son livre beaucoup des pr?occupa
tions de son temps ? Il le peut d'autant mieux qu'il se propose de faire
surgir de toutes pi?ces une ville nouvelle, et non d'am?nager une ville
ancienne. Reste qu'il s'agit d'un rassemblement beaucoup plus que d'une invention, et que de ce point de vue ce texte ne vient pas tr?s
t?t, mais d?j? tard. Faut-il alors, comme on le sugg?re d'un autre c?t?, oubliant ces
conseils d?j? convenus d'hygi?ne et de salubrit? et pour montrer en Ledoux un architecte inspir?, ne retenir ? Chaux que la ville all?go
rique, philosophique et ma?onnique, o? du Pacif?re au Temple de M?moire se d?roulent tant de cort?ges rituels ? C'est sans doute exag?
rer l'extravagance de Ledoux comme, parall?lement, on en a exag?r? la fonctionnalit?. Ces ?difices r?put?s insolites se m?lent assur?ment ? des ?difices ? utiles ?. Mais n'est-ce pas l? aussi une loi de l'?poque ? Si on examine la liste des sujets donn?s aux concours d'architecture dans la seconde moiti? du xvnie si?cle, on trouve, ? c?t? de construc
tions fonctionnelles (douane, march? couvert, salle de concert) un
Temple de l'Hymen, une chapelle s?pulcrale. Le m?lange des b?ti ments est donc moins
caract?ristique d'un Ledoux visionnaire qu'on ne le dit commun?ment. Point n'est besoin de postuler chez lui un ?
proph?tisme ?perdu ? pour expliquer la coexistence d'une ville sociale
et d'une ville morale : l'humus du xvine si?cle y suffit tout ? fait. En d?finitive, il y a bien chez Ledoux all?gorie et fonctionnalit?, comme le
sugg?re E. Kaufmann qui accorde ? Ledoux de n'?tre ni strictement
utilitaire ni strictement esth?tique. Mais ce ? et ? ne signale nullement
l'union de deux parties disparates : il n'y a pas de cassure entre deux
parties de l' uvre, l'une faisant la part du r?ve, l'autre de la commo
dit?. R?duite ? l'essentiel, la maison du pauvre est pourtant all?gorique ;
elle dit ? autre chose ? que la nudit? du besoin puisqu'elle ?duque le
go?t et ?l?ve l'?me comme la maison du riche. D'un autre c?t?, le b?ti
ment le plus ornemental, le moins directement utile, comme le Temple de M?moire, ou la Maison d'Union, est fonctionnel de plein droit,
puisque toutes les belles formes ?duquent les citoyens. On ne peut donc distinguer entre deux cat?gories de constructions : il n'y a pas ?
Chaux deux villes maladroitement associ?es, mais une seule.
humide ; l'air est concentr? et ses mal?fices se r?percutent sur les parties les plus faibles de l'animal qui exigerait de nous des soins ? mesure des services qu'il rend...
Les jours doivent ?tre oppos?s aux r?teliers, afin que l'air passant n'agisse pas imm? diatement sur ranimai... ?
1. On peut voir, sur ce point, Cadet de Vaux : Avis sur les moyens de diminuer Vinsalubrit? des habitations qui ont ?t? expos?es aux inondations..., et J. J. Mentjret : Essai &ur l'action de l'air dans les maladies contagieuses.
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Mais si ce mariage de pragmatisme et d'id?ologie montre bien en Ledoux l'enfant d'un si?cle qui accorde ? l'all?gorie une valeur fonc tionnelle l, l'univers de formes qu'il cr?e, a, en revanche, une grande
originalit?. Les lourdes colonnes, les cubes aux ar?tes d?cid?es, les
triangles nets des frontons, les vigoureuses croix grecques des plans
composent une g?om?trie sans remords, d'une ?clatante unit? malgr? la diversit? des constructions. On peut sans doute faire l'inventaire
des influences qui s'exercent sur cette uvre, et montrer que Ledoux
emprunte beaucoup : au mod?le de P sestum, alors si go?t?, les colonnes
doriques sans base ; ? Palladio, les lourds socles o? il assied ses maisons de campagne ; et, aussi, leurs baies, leurs fa?ades nues, leur appareil
visible, les frontons qui se d?tachent des entablements ; ? Piran?se
l'amplification dramatique, le go?t des contrastes violents. Ledoux subit bien, comme toute sa g?n?ration, et encore qu'il n'ait pas fait le
voyage de Rome, l'influence des mod?les architecturaux de l'antiquit?, m?me ? travers Palladio et Piran?se. Du reste, au langage antiquisant des formes r?pondent les cadences latines du texte. Mais Virgile, Pline, la mythologie composent surtout ici un code de r?f?rence, imm?diate
ment d?chiffrable par ceux qui ont re?u l'?ducation j?suite. Au xvine si?cle, du reste, comme le rappelle P. Francastel 2, c'est dans
le langage de la tradition classique que s'exprime l'innovation. Ledoux ne fait pas exception. Quant aux formes de ses monuments, il se d?fend de les copier ; partout il condamne la transmission livresque des
mod?les architecturaux3, d'autant plus dangereuse que l'exemple visuel est, pour lui comme pour Diderot, dou? de contagion. C'est l? ? ses yeux une architecture ? d'antiquaire ?, ou
? d'?rudits ? : termes
toujours p?joratifs. La soumission aux mod?les tue l'invention de l'architecte4. Le professeur d'architecture, qui, le nez dans
son rudi
1. Les versificateurs du Calendrier R?publicain c?l?brent ? l'envi la gloire, l'Im
mortalit?, l'Innocence, la Pudeur, la Justice. Toutes ces entit?s symboliques sont
figur?es dans les cort?ges r?volutionnaires. Et Boissy-d'Anglas donne les Grecs en
exemple ? la Convention pour avoir su pr?ter ? leurs c?r?monies un caract?re philo sophique et moral : ? l'all?gorie, cette science aimable, cr??e dans l'Orient et repor t?e chez eux pour y ?tre appliqu?e ? embellir la v?rit?, s'attachoit ? tout et parait de toutes ses richesses tout ce qu'il fallait enseigner... ?.
2. Utopie et institutions au XVIIIe si?cle, Le Pragmatisme des Lumi?res. Textes recueillis par Pierre Francastel et suivis d'un essai sur l'Esth?tique des Lumi?res.
Paris, Mouton & Co, 1963. 3. ? On expose aux yeux fascin?s de la jeunesse la Parthenon, l'Od?on, les temples...,
les vestiges mutil?s de Babylone et de Memphis ; on ne lui donne aucune id?e des
usines, des b?timents d'exploitation, d'habitation de ces peuples. On ne lui indique m?me pas les moyens d'adapter leurs d?corations ? nos usages... ?
4. ? Les architectes ?tudient en Italie les diff?rents monuments qui leur servent de guide ; au lieu de remonter au principe de toutes choses dans l'exercice de leurs connaissances acquises, ils copient les d?fauts des ordres ?lev?s les uns sur les autres ; ils les emploient indistinctement dans toutes les positions ?. Et aussi : ? l'Antiquaire dirige le go?t de son si?cle sur des ruines amoncel?es, sur des calques, souvent infi
d?les, qu'il transmet ? la post?rit? qu'il abuse... ?.
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ment, crie au scandale lorsqu'il estime viol?es les r?gles de sa gram
maire, est pour Ledoux un personnage burlesque. Quand il se r?f?re explicitement ? l'exemple des Grecs et des Romains, ce n'est jamais pour leurs formes architecturales 1, mais toujours pour l'atmosph?re
morale qu'il pr?te ? l'Antiquit? : pour sa simplicit?, sa sobri?t?, son
?pre salubrit?. Si donc Ledoux adopte le langage antiquisant, ce n'est nullement
par go?t de l'exotisme ; c'est parce que ce langage i?pond imm?diate ment ? sa sensibilit?. Et cette rencontre d'un temp?rament et des formes que l'?poque accr?dite fait la grandeur de l' uvre. La sensibilit? de Ledoux est r?solument anti-rococo, dans ses choix comme dans ses
refus. L'architecture, quelque soin que l'on doive apporter ? la distri
bution des pi?ces n'est jamais pour lui un art d'int?rieur ; tout ce qui est blotti, douillet, joli, r?pugne ? Ledoux ; son uvre refuse l'orne
ment. Car la d?coration morcelle le bonheur de l' il. Fixant l'attention sur le d?tail 2, elle d?tourne de l'essentiel (m?me lorsqu'au d?but de sa carri?re, Ledoux, sous l'influence de la commande, ajoute des d?cora tions ? ses ?difices, il les inscrit dans des cadres nets, soucieux d?j? d'opposer une limite ? leur prolif?ration) ; elle attache d'autre part la sensibilit? ? l'?ph?m?re. La r?pulsion ? l'?gard de tout ce qui est p?ris sable explique la v?h?mence avec laquelle Ledoux condamne les por
celaines, les papiers peints, et m?me les frustes volets de bois qui n'?chappent pas
? ? la malveillance du temps ? et qu'il faut sans cesse
r?parer. Seuls les bronzes, qui ? malgr? le fragile caprice du jour ?chappent ? la destruction ?, trouvent, dans la d?coration int?rieure,
gr?ce ? ses yeux. Enfin, la d?coration a la tentation de la joliesse : la complaisance, l'aff?terie, une souplesse suspecte la menacent. Il y a
dans le livre de Ledoux une vigoureuse critique du style rocaille 3. Certes le th?me, cinquante ans apr?s la ? Supplication ? de Cochin aux orf?vres, est loin d'?tre neuf. Il est pourtant renouvel? chez Ledoux
par une hostilit? d?cid?e ? l'?gard du confort lui-m?me. Son int?r?t pour de bonnes dispositions architecturales ne se nuance jamais de ten dresse pour le confort, dans tout ce que ce terme suppose de chaleur
1. On songe ? Diderot, pour lequel l'antique aide ? mieux voir la nature, mais constitue une prop?deutique, non un v?ritable mod?le. Il ne faut pas ? r?former la nature sur l'antique ?.
2. ? Les ornements de d?tail fatiguent les yeux sans profit pour les m urs ; c'est une existence passag?re qui souvent ne survit pas ? celui qui l'a donn?e. Quand ces sera-t-on de les multiplier au-dedans ? ?
3. Men?e sur le mode ironique. Voici, par exemple, la description d'un apparte ment : ? en entrant dans l'antichambre, nous voyons un amas incoh?rent de toutes
les discordances ; dans le salon, des panneaux multipli?s dont la plupart ?taient
losanges, les fonds ?taient bleus, rouges, gros vert. Des thermes peints en porphyre, des marnes ?gyptiens, les bois sombres de l'Afrique encadraient de petites vues de l'escalier du Vatican, de la m?tropole de Paris, de la mosqu?e de Constantinople : le tout ?tait entrelac? avec des rinceaux d'ornements tremp?s dans le cocyte, pour faire valoir des paquets de fruits, de fleurs, des thyrses, des pampres de vigne... ?.
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repli?e sur elle-m?me. Il y a en effet chez lui un go?t de la commodit?, mais d'une commodit? r?duite ? l'essentiel et qui se confond avec la salubrit? et la frugalit? ; commodit? aust?re qui laisse soup?onner que le mod?le est Sparte. Et m?me la gr?ce est objet de suspicion. On le voit
bien dans les commentaires que Ledoux consacre ? la place Louis XV, ? fastueux ?difice o? brille le sentiment in?puisable de l'Architecture
fran?aise ?. La pr?sence de cette expression dans le texte de Ledoux
est pour E. Kaufmann le signe d'une reconnaissance ?clatante du g?nie de J. A. Gabriel. Il faut pourtant replacer cette d?claration dans le texte entier. Comme il arrive souvent, Ledoux y dialogue avec un
interlocuteur imaginaire, adversaire des projets pour la Saline, et qui rappelle l'architecte ? l'imitation des grands mod?les ; ainsi la place
Louis XV. Ledoux r?cuse d'abord cette comparaison, en faisant obser
ver la disparit? des ?difices mis en parall?le : ? l'?difice dont il ?tait
question ne portait pas de caract?re triomphal, le genre est absolu
ment diff?rent... ?. D'autre part, ? Chaux, l'immensit? de la plaine, qui ? d?vore tout ?, impose d'autres mod?les : Psestum, les Propyl?es. Ici
les agr?ments de la place Louis XV seraient noy?s. Or, dit Ledoux, ce sont des agr?ments ? de convention ? 1. Sans doute leur description est-elle flatteuse : ? partout, on voit cette abondance qui la caract?rise :
des m?daillons orn?s de guirlandes attach?es avec des rubans qui vol
tigent au gr? du caprice ; des crois?es splendidement couronn?es par des draperies complaisantes qui ?pousent toutes les formes, des cros
settes recourb?es, des moulures d?coup?es d'ornements, des tables
recreus?es, d'autres saillantes sur des nuds travaill?s de refends ; des
niches, des troph?es, des frontons qui ont abjur? leur antique propor tion pour dominer tout ce qui les entoure... ?. Mais comment ne pas voir dans cette enumeration tout ce que Ledoux d?teste ? Si on en dou
tait, un dernier trait ach?verait d'en convaincre : dans la place Louis XV, ? les balustrades portent au supr?me degr? de l'air des d?tails imper ceptibles pour essayer les facult?s de l' il ?. La profusion, la joliesse, la minutie, m?me mises en uvre par un architecte de g?nie, trouvent
ici leur ch?timent : la lassitude du regard. Mais on ne doit pas, ? Chaux, redouter cette fatigue ; dans ces grands
espaces, il faut faire grand ; ? il faut substituer des forces ? la faiblesse produite par l'?loignement ?. L'Architecture mani?r?e, ?l?gante m?me, est ?videmment proscrite. Il faut r?pudier les ornements de tous genres, dont les d?tails du reste ?chapperaient ? la contemplation. L'Architecte est-il pour autant d?pourvu ? Aux yeux de Ledoux 2, il lui reste l'essen
1. ? J'eus beau repr?senter au voyageur [...] que les agr?ments de convention qui le s?duisaient seraient mal plac?s au centre d'une plaine immense... ?
2. Comme du reste de Rousseau. Les arrangements de Julie ? Clarens atteignent ? la magnificence a s'il est vrai qu'elle consiste moins dans la richesse de certaines choses que dans un bel ordre du tout, qui marque le concert des parties, et l'unit? d'intention de l'ordonnateur ?.
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Maison de campagne (vue perspective).
'*M*# 'jHlfii?r d> Ai'
Maison d'un employ?.
Maison destin?e ? deux n?gociants (vues perspectives).
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tiel : de beaux mat?riaux durables, comme la pierre, dont les surfaces
tranquilles ?chappent pourtant ? la monotonie * ; des formes simples,
le carr?, le cercle, ? toutes les formes que l'on peut d?crire d'un seul trait
de compas ? ; les jeux de l'ombre et de la lumi?re 2. Du reste, cette ?co nomie n'est pas v?cue comme un renoncement : elle s'accorde exacte
ment au temp?rament de Ledoux. En voici une derni?re preuve. L'archi
tecture n?o-classique compense souvent le style s?v?re qu'elle adopte
pour les ?difices par des jardins fantasques, ?rudits, pleins de ? fabriques ? et de surprises. Or, Ledoux, qui pourtant sema de fabriques le parc de Maupertuis, ne pr?voit rien de semblable ? Chaux 3. Les jardins de Chaux sont simples : les parfums et les couleurs de plantes rustiques
? ? un palis de tro?ne, d'?pines blanches, de jasmin jaune ? ?
en font
le charme, et les proportions ? les masses arrondies ou ?lanc?es des
arbres ? la beaut?. Ledoux ne ressent nullement le besoin d'?quilibrer
par la fantaisie de ses jardins l'aust?rit? de son style : elle est la marque d'un temp?rament esth?tique naturellement accord? au conformisme
philosophique de son ?poque. Ce qui pla?t ? Ledoux est aussi ce ? quoi il croit, ce ? quoi croit son temps. Cet ? accord de l' il et des prin cipes ?, o? il voit du reste le bonheur, fait l'unit? de son uvre ; mais
c'est aussi le signe d'une originalit? qui n'est pas de rupture, mais
de rencontre.
La conscience utopique.
Dans les pages qu'il consacre ? l'architecture des villes, Fourier
donne un seul exemple d'architecture r?elle o?, selon lui, s'expriment des tendances raisonnables : il s'agit d'une uvre de Ledoux, l'h?tel
Th?lusson4 ; c'est l? signer une ?clatante filiation utopique. Chaux est-elle en effet une ville d'utopie ? Peut-?tre alors y aurait-il l? un
ultime moyen, en arrachant Ledoux ? la philosophie urbaniste des
lumi?res, de d?couvrir en lui, apr?s tant de commentateurs, ce proph?te
g?nial, qui installe ? Chaux le futur dans le pr?sent, et y fait vivre, avec deux si?cles d'avance, la ville moderne ?
1. ? Que de vari?t?s vous trouverez r?pandues sur la surface inactive d'un mur... de hautes assises profond?ment refendues, des nuds d?grossis ou rustiques, des cail loux apparents, des pierres amoncel?es sans art souvent suffisent pour obtenir des effets prononc?s... ?
2. ? Les assises carr?es et rondes des colonnes... produisent des ombres tranchantes, des effets piquants ; ces combinaisons de l'art changent les contrastes ? mesure que le soleil s'?tend dans sa course m?thodique... ?.
3. Il y ?l?ve m?me une vigoureuse critique contre le ruinisme des jardins : ? quelle contradiction ! Des fabriques moresques, tudesques ; des ruines gothiques, la compli cation de toutes les sc?nes, les quatre parties du monde renferm?es dans l'unit? d'un
arpent et demi de terre environ ?. 4. Fournier, Modifications ? apporter ? l'architecture des villes. Une note des
?diteurs pr?cise que cet ?difice ? frappe par un certain air grandiose ?.
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Sans doute faut-il d'abord tenir compte de l'affinit? naturelle que signale R. Ruyer
1 entre le projet utopique et le projet architectural. Plus que du temps, qu'il t?lescope, et dont les lenteurs l'impatientent, l'utopiste se soucie de l'espace : c'est lui qu'il veut am?nager. Aussi tout
utopiste est-il un architecte ; il visualise la cit? dans laquelle il installe les hommes ; mieux, cette visualisation est souvent toute l'utopie. Et sans doute tout particuli?rement au xvnie si?cle, o? l'utopie se dis
tingue si malais?ment des r?cits de voyage. R?ciproquement, tout architecte tend ? l'utopie quand il se r?ve affranchi, c'est-?-dire pleine
ment architecte. Et c'est ? la place m?me que Ledoux r?serve ? l'archi tecte dans la cit? qu'on peut mesurer chez lui la tentation utopique. Les
utopistes mettent habituellement au centre de leurs r?ves le type d'hommes qu'ils incarnent : ce sont des philosophes qui gouvernent la cit? quand les philosophes ?crivent les utopies. Ledoux n'?chappe pas ? la r?gle ; il s'accorde la revanche de donner ? l'architecte le r?le domi nant dans le gouvernement de sa ville id?ale ; non tant, du reste, parce
qu'il fait de l'architecture cette science synth?tique, qui marie la phi losophie ? l'hygi?ne, le droit ? l'esth?tique : c'est l? un th?me commun ? tous les trait?s th?oriques du si?cle, et singuli?rement cher ? J. F. Blon del, bible des architectes de ce temps, et de surcro?t professeur de Ledoux 2. Mais surtout parce que l'architecte incarne la ma?trise de
l'homme sur la nature. Rien, selon ce texte conqu?rant, ne lui est
impossible. Il sait ass?cher les marais, irriguer les d?serts. Il peut m?me se soumettre le climat, dont les pouvoirs pourtant sont si ?tendus 3, et
qui tient la sant?, l'humeur, les caract?res, la vie m?me des hommes.
Il sollicite pour cela l'aide du naturaliste ; ? eux deux, ? nouveaux tyrans de la terre, ils la forceront imp?rieusement dans ses lenteurs p?rio
diques, ils ordonneront aux saisons, commanderont les souffles favo
rables et progressifs, et faisant dispara?tre les glaces de l'hiver pour faire
?panouir les roses et pr?cipiter les parfums de l'ananas provoqu?s par les feux du Midi, ils appelleront les d?lices du monde pour assister au r?veil du chantre de la nature ?. C'est donc une nouvelle cr?ation que
propose l'architecte, rival en cela du ? Dieu qui cr?a la masse ronde ?.
1. R. Ruyer, L'Utopie et les Utopies. 2. Le titre m?me d'un de ses livres est assez ?clairant : De Vutilit? de joindre ?
V?tude de VArchitecture celle des Sciences et des Arts qui lui sont relatifs. De m?me, dans le Trait? d'Architecture de J. Antoine : ? il faut qu'un architecte sache lire, ?crire, dessiner, la g?om?trie, l'arithm?tique, combiner les dimensions des ordres des colonnes ; qu'il soit savant en perspective, en philosophie, en histoire, en musique, en m?decine ; qu'il soit jurisconsulte, astrologue, connaissant le mouvement des cieux et le cours des eaux?.
3. La domination du climat est ?voqu?e par Ledoux en des termes si dramatiques qu'ils surprendraient si on ne savait combien l'influence de la m?t?orologie sur les caract?res et les maladies pr?occupe les hygi?nistes du si?cle. Beaucoup de ces trait?s (ainsi Cadet de Vaux, Bouffey, Cotte, Lepecq de la Cl?ture) rappellent qu'un change
ment de climat est susceptible d'engendrer des troubles graves, voire la mort. C'est aussi l'avis de Ledoux.
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Ledoux n'h?site pas ? affirmer que ce nouveau Dieu, relayant celui de la cr?ation originelle, ? aura plus fait que lui puisqu'il l'aura d?gros sie... ?. ? Il aura combl? les montagnes qui offraient la timidit? ; il aura creus? les ravins pour faire couler librement les eaux limpides ; il aura embelli les d?serts... ?.
Mais on ne commande ? la nature qu'en lui ob?issant, et cette seconde
cr?ation n'est pas antagoniste de la premi?re. La premi?re nature n'est
pas absente de la ville de Chaux ; du moins Ledoux, en cela fils de son si?cle, place-t-il son uvre sous le signe de cette nature primitive :
celle-ci, il est vrai, dans l'imagination de l'architecte qui ? rebours la reconstruit, est une nature docile ; pr?te ? ?tre domestiqu?e, ? se couler
dans la cr?ation architecturale, d?j? architectur?e elle-m?me : le peu plier est ? pyramidal ?, le noyer a
? des masses arrondies ?. La nature,
pour Ledoux comme pour le paria de la Chaumi?re Indienne, et aussi pour Diderot \ est le r?sultat d'un agencement. C'est donc en elle que l'architecte puisera ses le?ons. Le berger se r?fugie sous le platane, les
amants sous le couvert des bois. Ce sont l? des portiques naturels, qui
proposent le mod?le des portiques artificiels. La fourmi ? vo?te elle m?me sa demeure ?, et l'abeille fait sa maison. L'architecte doit s'ins
truire de ces simples le?ons ; ainsi le r?gne de l'homme ne d?naturera
pas l'Univers.
Mais, partout visible, et d'abord dans la disposition ordonn?e de la cit?, cette royaut? apparente la ville de Chaux aux villes des utopies. Autour du noyau elliptique de la ville, dont la forme est ? pure comme
le soleil dans sa course ?, s'?tendent sym?triquement des rues larges, bien pav?es, bien plant?es, bien ?clair?es la nuit, o?, ? profusion, jail lissent des fontaines. Les monuments publics ont des formes simples et r?guli?res : au carr?, Ledoux emprunte le plan de la Bourse, de l'Hos
pice, du march?, de la maison d'Union ; ? la croix, ceux de la maison
d'?ducation, des Bains publics, du Temple ; au cube les ?l?vations des monuments qui doivent ? offrir le symbole de l'immutabilit? ? : le
Pacif?re, le Panar?t?on. Les habitants de Chaux vivront donc dans une g?om?trie toute semblable ? celle qui r?git le royaume de Dumo
cala, Olbie, et tant de terres australes. Dans toutes ces contr?es, l'ima
gination utopique s'est plue ? dessiner des villes g?om?triques (cer taines utopies ont l'obsession du carr?, d'autres du cercle 2), r?guli?res
1. La nature est art, et l'art est nature ; cette r?ciprocit? est ch?re ? Diderot qui ?crit en 1765. dans l'Essai sur la peinture : ? il semble que nous consid?rons la nature comme le r?sultat d'un art, et, r?ciproquement, s'il arrive que le peintre nous r?p?te le m?me enchantement sur la toile, il semble que nous regardions l'effet de l'art comme celui de la nature ?. Ledoux y voit le t?moignage de la complicit? qui lie l'architecte
Dieu au Dieu-architecte. 2. Ainsi, les Voyages et Aventures de Jacques Mass?, les Aventures de Jacques
Sadeur d?crivent un pays enti?rement quadrill?, o? s'inscrivent des villes carr?es, elles-m?mes divis?es en quartiers carr?s, ponctu?s de maisons carr?es. De nombreuses
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(le m?me ? go?t ? unifie tous les ?difices), et lisibles (en d?pit de l'unifor mit? du style, chaque ?difice se conforme ? sa fonction et r?v?le sa des
tination 1). Rendre claire la lecture de la ville est aussi une des pr?oc cupations de Ledoux, soucieux de soustraire ses b?timents ? l'?qui
voque. Agressif parfois, comme dans cette maison de plaisir dont un
phallus dessine le centre, ce souci est en tout cas toujours pr?sent : de la maison du charbonnier ? l'usine, il est impossible d'adopter les
m?mes formes 2. On retrouve ici l'ambition de transparence : les monu
ments doivent pouvoir ?tre lus par le plus fruste des hommes ; et les pouvoirs exorbitants accord?s au cadre architectural s'y r?v?lent aussi :
les r?veurs d'utopies ?
et Ledoux comme eux ? parlent volontiers un langage qui contredit les propos d'Auguste aux Romains ; pour eux, ce sont les maisons, les portiques, les places publiques, qui, bien plus que les hommes, font les cit?s 3.
Le grand silence des villes utopiennes (o? l'affluence dans les rues, toujours ?voqu?e une fois que le d?cor est mis en place, reste factice) p?se-t-il aussi sur la ville de Chaux ? Marionnettes dont tous les mouve
ments sont pr?visibles, et dont les caprices eux-m?mes s'inscrivent
dans un plan concert?, les P?ruviens, les Iroquois et tous les insulaires
du xvnie si?cle m?nent dans leurs villes id?ales une existence falote.
Ledoux lui-m?me para?t plus ? l'aise pour peupler sa ville de figures all?goriques, ou de r?miniscences mythologiques que d'hommes de
chair et de sang : sans cesse des cort?ges traversent cette cit? ; mais il
s'agit des Muses, ou des ? ris et des jeux ?, ou de ? la troupe s?millante des attraits ?. Foule scolaire, tout droit sortie des humanit?s classiques 4.
Pourtant, il y a aussi des hommes ? Chaux. Le tableau des scieurs, des
?quarisseurs, des charroyeurs, des b?cherons, des bergers qui font retentir de leurs cris la for?t se veut mouvement? et vivant. De m?me celui qui peint, en termes virgiliens, la troupe bruyante qui descend au
autres utopies (la M?tropolit?e, les M?moires de Gaudence de Lucques) pr?nent la figure circulaire comme la plus parfaite. Mais l'utopie ne fait ici que mettre dans une forme syst?matique ce qui a commenc? depuis longtemps d?j? d'?tre entrepris par les urbanistes. La sym?trie ne peut passer pour une innovation proph?tique dans un si?cle o? tous les trait?s de ? police ? et d'hygi?ne la tiennent pour la beaut? et la commodit?
majeures d'une ville. 1. Dans le Royaume de la lune, ? l'h?tel d'une courtisane n'a point la forme et
l'int?rieur d'un hospice de charit? ?. 2. ? Cependant, quand on a pr?sent? aux yeux les dimensions approuv?es par le
besoin, on n'a pas encore tout fait ; il faut encore que le caract?re de l'?difice ne soit pas ?quivoque ; il faut que le spectateur le moins instruit puisse en juger. ?
3. La R?volution accorde, elle aussi, ce privil?ge ?ducatif au d?cor. Ainsi Boissy d'Anglas (op. cit.) donne en exemple l'architecture grecque : ? leurs temples, leurs places publiques, leurs ?difices religieux et civils ?taient des livres o? les citoyens lisaient, d?s leur enfance, tout ce qui peut pr?parer le bonheur par l'instruction et le savoir ?.
4. La rh?torique classique est alors le v?hicule normal des id?es, m?me r?volu tionnaires. Mais de plus, chez Ledoux, fils de petites gens, ?lev? par chance insigne au
coll?ge, le style reste toujours endimanch?.
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march?. Pourtant, et malgr? les exclamations de Ledoux (? Quel mou vement ! ?), ce cort?ge agreste, qui, au son de la cornemuse, apporte ? la ville le lait, le beurre, les oiseaux domestiques et
? les astucieux pro duits de la chasse ?, n'a aucune pr?sence ; la f?te elle-m?me ne convainct
gu?re, o? pourtant les hommes se ? croisent en tous sens ?. C'est que Ledoux, en bon utopiste, proc?de par juxtaposition. Les activit?s s'additionnent, mais n'entrent jamais en conflit. Le hasard, absent des
plans de l'architecte, d?serte aussi la vie des hommes : il n'y a jamais d'accident. Les travaux et les jeux des habitants de Chaux, m?me
minutieusement d?crits, restent des ? figures ? ; dans le d?ploiement ordonn? de ce ballet, les hommes n'ont d'autres r?les que ceux auxquels l'architecte les pr?destine : ce d?cret ne souffre pas de r?bellion.
C'est croire, soit ? l'excellence de la nature, soit aux vertus de la
p?dagogie. Volontiers les utopistes croient d'un m?me mouvement aux
deux : une bonne ?ducation vient d?velopper les ressources d'une bonne
nature. Toutes les villes d'utopie sont studieuses ; c'est l? l'unique concession que l'utopiste fait ? l'histoire ; encore celle-ci n'est-elle
jamais trou?e d'accidents, mais se borne ? r?p?ter la litanie d'his toires individuelles toujours identiques. Il faut du temps, sans doute, pour ?duquer ; mais c'est le temps d'un m?rissement sans surprise,
qu'aucun ?v?nement impr?vu ne vient d?cevoir. Pourvu, comme les
plantes, d'un devenir, l'homme de l'utopie n'a jamais d'avenir. Pour Ledoux, qui a lu Rousseau, rien n'est plus scandaleux que l'?tat d'aban
don, si fr?quent, o? sont laiss?s ? les premiers moments de la vie ?. Un
certain fonds d'id?es, ind?racinable, vient en chaque homme des mod?les de l'enfance, subrepticement impos?s ? un ?tre encore d?sarm?. Il faut donc tourner au bien ce mim?tisme enfantin, et il suffit de pourvoir ? l'?ge printanier ? d'exemples vertueux, dans un cadre sain et tran
quille. En bon p?dagogue intellectualiste, Ledoux ne peut croire ? une s?cession de la volont? par rapport ? l'intelligence : tous les enfants deviendront d'honn?tes citoyens. Ces ? naturels rebelles, volatils ou
engourdis ? que D'Holbach x
objecte au fanatisme p?dagogique d'Hel vetius n'existent pas ? Chaux.
L'?cole de la ville id?ale est donc un imposant ?difice, salubre et moral ? la fois : les ? lignes ininterrompues ? du b?timent permettent une surveillance constante. Du reste, tant d'autres constructions
reprennent et fortifient l'action de l'?cole que le temps des ?tudes n'est
jamais fini : autre trait d'utopie. Le Panar?t?on, temple des vertus, est une ?cole, et une ?cole aussi ce Pacif?re, temple du bonheur. ?cole
encore cette maison d'Union, temple du contrat social. L'?glise elle
m?me, temple rationnel d?di? ? l'Etre supr?me est moins le lieu qu'ha bite une pr?sence sacr?e qu'une ?cole au programme m?thodiquement
1. Morale Universelle, t. II, 1776.
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d?velopp? : l'homme doit parcourir progressivement les autels de ce
temple ; lorsqu'il parvient ? vaincre toutes les difficult?s du parcours, ? monter tous les degr?s, il gagne le prix d'excellence
1 : l'identification ? la divinit? ; le d?isme du si?cle 2 se conjugue ici ? l'utopie. Il n'est pas jusqu'au march? qui ne propose au citoyen de Chaux ses enseignements sous la forme de quatre colonnes, monuments parlants :
? ? l'enfance
abandonn?e ?, ? pour l'?ducation de la jeunesse d?laiss?e ?, ? aux lacunes
oblig?es du travail ?, ? ? l'?ge m?r ?. Ces enseignements sont souvent, comme ceux de l'?cole, ?crits : sur les murs de Chaux fleurissent en foule
des inscriptions ?
pr?ceptes de sagesse orientale ou maximes de mora
listes anciens ? grav?es en lettres d'or. On songe ? ces inscriptions des
f?tes r?volutionnaires, ? consolantes pour les peuples, terribles pour les
despotes ? ; et aux villes imaginaires, bavardes, elles aussi 3. Mais Ledoux
va plus loin encore. Car m?me l'homme non instruit doit pouvoir d?chiffrer cette architecture sentencieuse. Mieux, ?tre ?lev? par elle.
Les formes, hors de tout syst?me verbal, ont leur langage, directement
traduisible ; le cube, le carr?, formes sans d?tours, doivent initier l'es
prit ? la grandeur, affermir le sentiment de la justice. C'est le fanatisme
p?dagogique, joint ? l'obsession de la clart?, qui explique, semble-t-il ?
beaucoup plus que la provocation po?tique ou la pr?occupation
symbolique, souvent ?voqu?es ? la forme des b?timents de la ville de
Chaux : si les piles du pont de la Loue sont des trir?mes o? rament des nautoniers, si l'atelier des cercles a la forme d'un disque ?vid?, c'est
surtout pour mieux instruire. Et c'est que Ledoux, qui, comme Dide
rot 4, donne ? l'exemple valeur de contagion 5, croit que les exemples sont d'abord visuels. En contemplant ces lourds socles cubiques o? il
assied ses b?timents moraux, ces solides colonnes ? tambours cylin
1. Tout le texte sugg?re cette comparaison scolaire : ? mais ? vous entendre, quel est donc le mortel qui pourra franchir tous les obstacles ? C'est celui qui d?posera les brevets de la saine morale sur les tr?pieds que vous voyez ; c'est celui qui resserrera les n uds durables de l'amour et les entretiendra par la confiance ; c'est celui qui
montera au fa?te de l'ordre social, pour br?ler l'encens pur et satisfaisant, r?sultat de la bonne ?ducation ?.
2. Le d?isme, en excluant le Dieu du drame ? celui qui laisse ? Adam le pouvoir de p?cher
? lib?re l'homme de la trag?die de la faute ; et de m?me l'utopie exclut le sentiment des limites humaines.
3. Ainsi, ? Olbie : ? ce n'?tait pas seulement dans l'int?rieur des villes que les monuments parlaient au peuple ; c'?tait aussi dans les autres lieux fr?quent?s, au milieu des promenades, le long des grandes routes. On inscrit partout les pr?ceptes parmi les plus utiles et les plus usuels ?. De m?me, dans l'Heureuse Nation : les fontaines publiques, les monuments portent des maximes ?assez laconiquement ?non c?es pour former des sortes de proverbes ?.
4. Diderot ?crit ? Falconnet en 1766 : ? S'il y avait des statues pour les grands crimes comme pour les grandes vertus, vous verriez bien d'autres sc?l?rats. ?
5. ? Les hommes pompent avec les yeux les vertus et les vices. [...] On peut ?tre vertueux ou vicieux, comme le caillou rude ou poli, par le frottement de ce qui nous entoure ?. Cette croyance ? la contagion du mod?le est un th?me proprement utopien. On songe ? Fourier attendant que l'id?e phalanst?rienne fasse spontan?ment des dis ciples.
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CLAUDE-NICOLAS LEDOUX
driques, ces belv?d?res prismatiques, les promeneurs ignorants trou
veront ? tout ce qui peut les pr?server des ?carts qui les d?gradent ?. Le th?me d'une vertu enseignable, et l'optimisme qui s'en d?duit,
dominent donc la vision de Ledoux comme les r?cits des terres australes.
Et, comme chez eux aussi, il s'enchev?tre ? celui de la pr??minence des
femmes dans la cit? * ; car ce sont elles qui l?guent aux enfants leur
h?ritage intellectuel. Les femmes jouissent d'un grand prestige aupr?s des utopistes ; c'est que ces p?dagogues voient en elles les pr?tresses de la p?dagogie premi?re. Mais c'est aussi qu'ils ont le go?t du monde
renvers? : ?riger les femmes en divinit?s, c'est une mani?re plaisante et
commode de tourner le monde r?el. Ledoux y ajoute sa motivation
personnelle et conjugue ici la r?verie du r?formateur et celle de l'archi tecte : ?difier une ville ou une maison, c'est imiter la fonction nourri
ci?re, abriter, prot?ger, rassurer. Les commentaires pour le Temple de
M?moire, solennel ?difice qui doit c?l?brer le culte des femmes, sug g?rent cette comparaison : les femmes sont l'abri et le refuge 2. Elles
repr?sentent la g?n?ration, la cr?ation, et tout cr?ateur se sent avec
elles une ? douce analogie ? : en t?moignent le plan circulaire de la ville, et jusqu'? ce cimeti?re sph?rique, ultime refuge o? l'homme revient ? la maternit? de la terre.
Si d'aventure, un citoyen de Chaux r?sistait ? la double ?ducation du travail et des femmes, l'intimit? avec la nature ne tarderait pas ? le
moraliser. Car Chaux est une cit?-jardin. Le calme de la nature enve
loppe de toutes parts les travaux 3. Rues plant?es, parcs, et m?me jar dins suspendus effacent en effet de cette ville tout visage urbain. Par
tout des jardins entourent les logements des ouvriers, et ces maisons
d'employ?s, construites par le gouvernement pour ? donner des preuves de sa gratitude ? des commis qui jouissent d'une pension tr?s modique ?. Ouvriers et employ?s cultivent les l?gumes, les plantes m?dicinales, les ? fruits pr?servatifs des alt?rations du sang et des putr?factions ?, et
soignent leurs volailles ? car l'architecte pr?voit jusqu'? l'emplace
ment du poulailler ? : distractions saines, qui ?voquent une vie autar
cique et frugale. Mais m?me dans ces exemples modestes, le plaisir des
1. G. DuvEAu (Sociologie de VUtopie) souligne la promotion sacerdotale des femmes dans l'utopie.
2. Ledoux les oppose aux guerriers, violemment contest?s, ainsi que l'architecture guerri?re : autre th?me Utopien ; ? les conqu?rants sont sur la terre, dans l'ordre du destin, ce que sont les volcans et les temp?tes dans l'ordre physique [...]. On ?l?ve des colonnes pour c?l?brer de nombreux assassinats. Quelle erreur ! Quand appellera-t-on de ces abus ? Pourquoi ne pr?coniserait-on pas la cr?ation ? Pourquoi ne pas la pr? f?rer aux vices destructeurs qui ?teignent le germe des g?n?rations ? Les femmes renouvellent le monde ; le guerrier les d?truit ?.
3. ? C'est l? o? vous trouverez le bonheur m?l? de tendresse et de douceurs domes tiques ; c'est l? enfin o? vous trouverez les principes qui font aimer les m urs s?v?res.
Vous y verrez des f