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agir ››››››››››› LE MAGAZINE DE L‘ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE | Nº 13 | 1 / FÉVRIER 2014 Numéro spécial aide humanitaire

agir n°13 - 1/2014

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Numéro spécial aide humanitaire

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agir›››››››››››LE MAGAZINE DE L‘ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE | Nº 13 | 1 / FÉVRIER 2014

Numéro spécial aide humanitaire

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ÉDITORIAL2 SOMMAIRE

2 Editorial

3 Reconstruction en Haïti

4 L‘invité

Tony Burgener, directeur de

la Chaîne du Bonheur

5 Philippines

L’EPER vient en aide à 2000 familles

6 Pakistan

Métamorphose complète

de villages grâce à l’eau potable

8 Liban

Le double exile des réfugiés

palestiniens de Syrie

13 Permanences volantes

Des Tchèques s’inspirent

de l’expérience genevoise

14 Ethiopie

Des carcasses d‘animaux pour

purifier l‘eau

16 Actuel et agenda

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Couverture Photo : EPER / Pascal MoraMoussef Ahmad Azzam, Syrien de 57 ans, a fui son pays car sa maison a été bombardée. Il vit désormais dans le camps Chatila, près de Beyrouth, où il bénéficie de l’aide d’urgence.

IMPRESSUM AGIR N°13, FÉVRIER 2014ISSN 2235-0772Paraît 4 fois par an Editeur : Entraide Protestante Suisse (EPER)Responsable de la publication : Olivier GrazRédaction : Joëlle Herren LauferTraduction : Sandra Först Impression : Jordi, BelpTirage : 15 700 exemplairesAbonnement : CHF 10, déduits une fois par an de vos donsAdresse : Bd de Grancy 17 bis, case postale 536, 1001 LausanneTéléphone : 021 613 40 70Fax : 021 617 26 26Internet : www.eper.chE-mail : [email protected] pour les dons : 10-1390-5

Un travail humanitaire construit

Des « humanitaires » au secours des victimes de catas-trophes : c’est souvent la première image qui vient à l’esprit des gens lorsqu’on évoque le travail des ONG. Ce numéro d’agir présente l’action humanitaire de l’EPER, domaine particulier où se mêlent en un cocktail parfois explosif urgence, émotion et médias.

L’aide humanitaire est d’abord révélatrice de la géné-rosité de la population suisse : la Suisse se situe en effet parmi les pays du monde où les dons par habitant sont

les plus élevés. Sans eux, aucun des projets présentés dans les pages qui suivent ne pourrait voir le jour.

Cette générosité soulève toutefois aussi quelques questions difficiles. La première vient du rôle essentiel joué par les médias lors de catastrophes : sans images-chocs au journal du soir, pas de catastrophe et, donc, pas de générosité. Les drames moins spectaculaires qu’un tremblement de terre ou un typhon, par exemple le lent empoisonnement de millions de personnes par une eau nocive pour la santé (voir p. 14), ne font pas l’actualité et ne bénéficient que d’une faible couverture mé-diatique. Entre visibilité et besoins sur le terrain, chaque ONG doit faire des choix.

Une deuxième question tient au poids de l’émotion dans la générosité suscitée par les drames humanitaires. Cette émotion pourra être très forte pour des populations dont les Suisses se sentent « proches », par exemple en Haïti, et faible à l’égard de régions associées à des représentations négatives, par exemple la Syrie. La gravité objective du drame ne joue ici hélas qu’un rôle mineur. L’émotion met de plus les ONG sous pression : il faut pouvoir présenter des résultats rapidement, dans l’urgence. Difficile d’inscrire son action dans une perspective de reconstruction à long terme, plus lente à montrer ses effets.

Les exemples présentés dans ce numéro illustrent comment l’EPER s’efforce, dans son engagement humanitaire, d’éviter les écueils de l’opportunisme et du court terme. A l’intervention dictée par l’intérêt momentané des médias pour une région, l’EPER préfère limiter ses interventions aux pays qu’elle connaît bien : longue présence préalable dans le pays ou réseau de partenaires locaux dont la qualité a pu être déjà vérifiée. Malgré la demande impatiente de résultats à court terme, elle conçoit ses projets dans une perspective de durabilité. Les journalistes sont souvent repartis et l’émotion retombée chez les donateurs, mais les résultats sont là. Qui se souvient des terribles inondations de juillet 2010 au Pakistan ? L’EPER y a reconstruit 36 écoles en 2013. Plus de 400 maisons paracycloniques et parasismiques on été inaugurées en Haïti en janvier 2014.

Merci de votre précieux soutien et excellente lecture,

Philippe BoveySecrétaire romand

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Haïti : Remise officielle de la 400e maison à Petit-Goâve

La dernière maison construite pour les victimes du séisme a été remise lors d’une cérémonie officielle le 23 janvier en présence des autorités locales et des représentants de la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC). Au total, 400 familles vulnérables, soit un peu plus de 2800 personnes, disposent à présent d’une habitation sûre. L’EPER clôt ainsi ses projets d’aide humanitaire dans la région de Petit-Goâve.

OLIVIER GRAZ

Le 12 janvier 2010 à 16 h 53, Haïti était secoué par un séisme d’une extrême violence touchant plus de deux millions d’habitants et détrui-

sant une bonne partie de la capitale et des villes alentours. Active dans le pays depuis plus de 40 ans, l’EPER a pu intervenir rapidement et distribuer 3000 repas chauds pendant 100 jours à Port-au-Prince. L’œuvre d’entraide a ensuite poursuivi ses activités à Petit-Goâve, ville fortement touchée par le séisme. Pour ses projets de reconstruction soutenus par la Chaîne du Bonheur, l’EPER a très vite pris le parti de construire des habitations permanentes plutôt que des abris temporaires. Une approche qui est appréciée, comme l’a souligné Jackson’n Saint Lot, le responsable du comité des habitants de Curtis, lors de la cérémonie : « Les maisons de l’EPER ne sont pas n’importe quelles maisons, ce sont des maisons solides et durables ». Pour Valentin Prélaz, responsable du pro-gramme Haïti à l’EPER, l’écoute et la participation des bénéficiaires sont déterminantes pour assurer des résultats à long terme. « Le modèle initial de maison type répondant aux normes parasismiques

et paracycloniques a été modifié à plusieurs re-prises pour correspondre au mieux aux besoins des familles et à leur mode de vie. » Bénéficiaires ou pas, tous les habitants ont été associés au projet : de manière consultative lors de la sélection des familles bénéficiaires ou comme ouvriers sur les chantiers par exemple. Au cours de ces quatre ans, 80 contremaîtres maçons et char-pentiers ont été formés et plus de 1200 locaux ont travaillé sur les chantiers de l’EPER. En parallèle, un deuxième projet visant à augmenter la production de légumes et de fruits a permis d’améliorer les moyens de subsistance de plus de 1000 personnes et d’irriguer 56 parcelles maraîchères de manière optimale tout au long de l’année. Riche en émotions, la cérémonie a mis un point final à quatre années d’engagement intense pour et avec la population de Petit-Goâve. « Ces mo-ments sont importants car au-delà du passage de témoin, c’est aussi l’occasion de remercier tous les acteurs du projet ainsi que nos donateurs en Suisse, sans qui ces maisons n’auraient pas pu voir le jour » conclut Valentin Prélaz de retour d’Haïti.

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4 L’INVITÉ

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Tony Burgener, directeur de la Chaîne du Bonheur « La Suisse est largement en tête en termes de dons par habitant »

JOËLLE HERREN LAUFER

On a le sentiment que le nombre de catastro-phes dans le monde est en hausse, est-ce vrai ?Oui, sans doute. Chaque jour, il y a une voire deux nouvelles crises aiguës quelque part dans le monde. Le changement climatique et la fragilité de beaucoup de pays y contribuent. Souvent, ces catastrophes ne sont pas relatées dans les médias ni portées à l’attention du public.

Quelle crise a-t-elle le plus ému les Suisses ces derniers temps ?Tout récemment, la violence du typhon Haiyan aux Philippines. Les Suisses sont très sensibles aux catastrophes qui touchent des populations déjà démunies et totalement innocentes. Ce genre d’événement leur rappelle également les inonda-tions de 2000 et 2005 en Suisse et ils se montrent très solidaires.

A contrario, quelles sont les causes qui peinent le plus à être financées ?Actuellement la Syrie. La situation dans le pays même et pour les réfugiés dans les pays avoisi-nants est désespérante. Sans une lueur d’espoir, les victimes et les réfugiés subissent les aléas d’une vie gâchée.

Les Suisses sont-ils plus généreux que leurs voisins européens ?Pour la Syrie et les Philippines comme auparavant pour Haïti et lors du tsunami de 2004, la Suisse est largement en tête au niveau des dons par habi-tant. Relevons que la Norvège et la Suisse affichent souvent une similarité au niveau des dons récoltés.

En plus de 50 ans d’activité, l’aide humani-taire a-t-elle beaucoup évolué ?L’humanitaire a surtout changé ces dix dernières années. Ce n’est plus une affaire de l’Occident

qui aide les pays en crise et en développement. Gouvernements, organisations d’entraide nationa-les et bénéficiaires ont aujourd’hui une autre conception de l’aide. Ils veulent que leur point de vue et leurs attentes soient mieux pris en compte.

Pouvez-vous nous parler des grands défis que rencontre l’aide humanitaire aujourd’hui ?Il faut intensifier le dialogue entre tous les acteurs présents sur le terrain et reconnaître que le monde a changé. En même temps, il faut maintenir ou ré-interpréter avec doigté les principes humanitaires de neutralité, d’indépendance et d’impartialité ainsi que les standards de qualité reconnus. Ce dialogue doit également être mené avec les médias qui mettent essentiellement en lumière les problèmes, mais pas les efforts d’adaptation que les ONG ont entrepris.

Quel est le rôle de la Suisse humanitaire dans le contexte actuel ?L’aide suisse est encore considérée comme neutre et sans intérêt politique ni économique caché et est ainsi acceptée partout. On reconnaît à la Suisse aussi un grand savoir-faire. Les organisations parte-naires de la Chaîne du Bonheur sont, par exemple, bien plus expérimentées dans la phase de recons-truction et de réhabilitation après les catastrophes que la plupart des ONG d’autres pays.

Quelle est l’importance de l’EPER en tant que partenaire agréé de la Chaîne du Bonheur ?La stratégie de l’EPER s’inscrit dans celle de la Chaîne du Bonheur qui souhaite que l’aide d’urgence soit liée à la reconstruction et au développement. Grâce à son savoir et à son expérience, l’EPER peut jouer un rôle clef dans l’intensification de ce lien qui est indispensable pour que les projets menés aient un réel impact durable.

Comment garantissez-vous la bonne utilisa-tion des dons récoltés ?Le contrôle de qualité de la Chaîne du Bonheur est basé sur trois piliers. Le choix de bons partenaires est essentiel. Nous réévaluons nos partenaires, actuelle-ment 25 organisations d’entraide suisses, tous les quatre ans. Une fois agréés, les partenaires nous soumettent des projets qui sont analysés dans les moindres détails par des experts reconnus et chaque position budgétaire est vérifiée. Les projets acceptés, soit environ 75% des projets soumis, sont par la suite évalués sur le terrain par des groupes de spécialistes indépendants. Leurs recommandations permettent souvent de corriger le tir si ça s’avère nécessaire, ou de « tirer la prise » si le projet échoue.

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L’EPER vient en aide à 2000 familles aux Philippines

Le 8 novembre 2013, les Philippines ont été touchées par le plus grave typhon de tous les temps. L’EPER s’engage en faveur des victimes en apportant une aide humanitaire d’un montant de CHF 2 millions. Actuellement, l’accent est mis sur la distribution de denrées à des familles particulièrement démunies. Par la suite, l’œuvre d’entraide s’attellera à la construction de nouvelles habitations résistantes aux intempéries.

CHRISTINE SPIRIG

Dans un premier temps, l’EPER a distribué des denrées alimentaires sur l’île de Panay, où le typhon a détruit 90% des habitations sur

son passage et la plupart des bases de subsistance. En collaboration avec Task Force Mapalad (TFM), son organisation partenaire locale de longue date, l’œuvre d’entraide a approvisionné 1000 familles de deux communes du district de Pilar en riz, haricots, poisson séché, sel et conserves. En plus, l’EPER a décidé d’étendre son aide à 1000 familles supplémentaires dans deux nouvelles communes. Pour ce faire, le volume du projet est passé fin novembre de CHF 1 à CHF 2 millions. « Beau-coup de régions de l’île n’ont pas encore accès à l’aide, explique Khalid Grein, responsable projet de l’aide humanitaire à l’EPER, qui était sur le terrain durant trois semaines en novembre. C’est sur ces zones-là que nous voulons désormais nous concen-trer en soutenant 1000 familles supplémentaires. » Outre l’aide alimentaire, l’EPER fournit égale-ment une aide à la reconstruction. Les familles

reçoivent des outils et des matériaux, et bénéficient du soutien de spécialistes pour les travaux de construction. « Aux Philippines, les catastrophes naturelles sont monnaie courante. La population a donc besoin de maisons résistantes », explique Khalid Grein. Un projet « cash for work » est égale-ment prévu. Dans ce cadre, des volontaires aident les personnes particulièrement vulnérables – per-sonnes âgées, malades et handicapées ainsi que femmes – à reconstruire leur maison. En échange, ils reçoivent une indemnisation financière. La durée du projet est, dans un premier temps, fixée à quatre mois, soit jusqu’à fin février. Par la suite, l’EPER prévoit de poursuivre son engage-ment dans la reconstruction. L’œuvre d’entraide est soutenue par la Chaîne du Bonheur.

Des dons peuvent être faits sur le CP 10-1390-5, mention « typhon Asie », ou par SMS en envoyant « TYPHONASIE 25 » (pour un don de CHF 25 par exemple) au 2525 (dons possibles de CHF 1 à CHF 99).

Le 3 décembre a eu lieu la deuxième distribution de denrées alimentaires de l’EPER sur l’île de Panay.

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Pakistan : métamorphose complète de villages grâce à l’eau potable

Des conditions d’hygiène déplorables avant l’intervention de l’EPER

Dans les villages de Naushero Feroz, les conditions d’hygiène sont effarantes. Les sols sont jonchés d’excréments d’animaux. Et les enfants jouent par terre ! Il y a bien quelques caniveaux mais ils débor-dent d’un liquide brunâtre et nauséabond. A force d’inhaler les fientes séchées et véhi-culées par le vent, la population souffre de mala-dies pulmonaires. Un peu partout, les gens font sécher du fumier qu’ils utilisent comme matériau de combustion. La malaria et les maladies diarrhéiques sont également très répandues en raison du contact

En juillet 2010, le Pakistan a subi les pires inondations de l’histoire du pays. Aujourd’hui, dans les districts de Naushero Feroz et Dadu, les villageois vivent toujours dans des conditions très précaires. L’EPER mène un projet d’accès à l’eau potable et à des installations sanitaires. Anna Schelnberger, responsable du département aide humanitaire, s’est rendue sur place et nous explique ce qui a changé depuis que l’EPER intervient.

BETTINA FILACANAVO

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avec une eau contaminée. Quant aux pompes à eau, elles sont souvent situées directement à côté de sources polluées ou d’amas de fumier. Faute de toilettes, les gens font leurs besoins en plein air. Certains disposent de petits réduits que les femmes doivent ensuite vider. En l’absence de telles installations, les femmes, par pudeur, at-tendent qu’il fasse sombre pour aller se soulager dehors. Conséquence directe de cette situation : elles n’osent rien boire de la journée, même lors de grandes chaleurs. Ce comportement nuit grave-ment à leur santé.

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Dadu

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Dans les villages qui ont déjà bénéficié du projet de promotion de l’hygiène, les villageois revivent

Par rapport aux villages de Naushero Feroz, tout est propre ici. Les hommes et les animaux vivent séparés. Il n’y a plus d’immondices par terre ni d’eau stagnante infestée de moustiques. Le nombre de personnes souffrant de maladies diarrhéiques et pulmonaires ou de malaria a nettement chuté. Tous ont désormais accès aux nouvelles installations sani-taires. Celles-ci ont été construites en hauteur – une technique qui permet d’éviter, en cas d’inondations, que l’eau ne pénètre dans les réservoirs et ne fasse remonter les eaux usées. Les toilettes sont séparées des espaces de lavage. A l’extérieur, elles sont pour-vues d’un petit évier et d’un robinet permettant de se laver les mains, ainsi que d’un réservoir d’eau à utiliser pour les toilettes. Une personne est chargée de le remplir chaque jour. Les pompes à eau sont, elles aussi, construites en hauteur et protégées par un mur. L’effet est double : d’une part les animaux ne peuvent plus s’en approcher, d’autre part l’installation ne se remplit plus d’eau contaminée en cas d’inondation. Lorsque l’eau pompée n’est pas de bonne qualité, elle est filtrée au moyen de systèmes adaptés aux différents types de contamination.

Des lavoirs ont été installés pour faire la les-sive. Ils sont situés dans les villages, ce qui évite aux femmes de passer trois heures par jour à cher-cher de l’eau. Elles ont désormais plus de temps et en profitent pour fabriquer des cordes et des ficelles qu’elles vendent ensuite, ce qui leur rap-porte un petit revenu. Des formations en hygiène sont dispensées à la population, et en particulier aux enfants. Par ailleurs, des kits d’hygiène et du matériel de sensibilisation sont distribués. L’organisation partenaire de l’EPER, Research and Development Foundation, a notam-ment produit un dessin animé qu’elle projette dans les villages. Une manière ludique de sensibiliser les petits à l’importance de la propreté.

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Liban : le double exil des réfugiés palestiniens de Syrie

Les Palestiniens qui ont fui le conflit syrien se réfugient dans le camp de Chatila, dans la banlieue ouest de Beyrouth. L’exiguïté des conditions d’accueil et l’arrivée des froids hivernaux ne facilitent pas cet exil forcé. Avec son organisation partenaire locale Najdeh, l’EPER fournit une aide d’urgence à 500 familles.

TEXTE : SARA SAHLI, DE RETOUR DU LIBAN / PHOTOS : PASCAL MORA

Dans le camp de Chatila, près de 20 000 personnes – un nombre en constante augmentation – vivent dans des conditions extrêmement précaires. Situé au centre de Beyrouth, Chatila ne peut s’étendre ; pour gagner de la place, les gens rajoutent des étages. Les ruelles sont étriquées et les conditions de logement chaotiques. La lumière du jour se fait rare.

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Moussef représente l’une des 500 familles bé-néficiaires du projet. Chacune reçoit CHF 100 par mois de l’EPER. « Cela peut paraître dérisoire, mais c’est une aide bienvenue pour ces familles parti-culièrement démunies. Les femmes et les enfants composent les trois quarts de la population de réfugiés ici, explique Wafaa. La somme équivaut au salaire mensuel que reçoivent souvent les Pales-tiniens qui travaillent sur les chantiers au Liban, rappelle Mark Gschwendt, délégué du projet de l’EPER à Chatila. Au Liban, les réfugiés palestiniens n’ont pas le droit de chercher un emploi. Ceux qui travaillent clandestinement se font généralement exploiter ».

L’hiver est froid au Liban

Les besoins sont immenses pour les réfugiés palestiniens de Syrie qui traversent la frontière libanaise, le plus souvent en ne possédant rien d’autre que les vêtements qu’ils portent sur eux. En effet, durant les mois d’hiver, la tempéra-ture peut tomber jusqu’à zéro degré. Depuis novembre 2013, outre les bons d’achats, l’EPER fournit aussi à ses bénéficiaires des couvertures, des poêles et du mazout. « Le plus gros défi sera aussi de trouver le financement pour le printemps, ajoute Mark Gschwendt. Ces réfugiés auront besoin d’une aide d’urgence aussi longtemps que durera le conflit syrien. »

10h15. Cohue dans les bureaux de Najdeh, le partenaire local de l’EPER au cœur du camp de Chatila, dans la banlieue ouest de Bey-

routh. Le camp des Palestiniens qui ont dû quitter leurs terres depuis le début du conflit en Israël voit arriver un nouvel afflux de réfugiés palestiniens : ceux qui fuient la guerre qui fait rage en Syrie. Depuis avril 2013, plus de 3800 d’entre eux se sont ajoutés aux 16 000 habitants qui peuplent déjà Chatila.

Ma maison a été bombardée

« C’est terrible d’être exilé une deuxième fois. J’aimais ma vie en Syrie, c’était devenu mon pays. Ma maison a été bombardée. J’ai dû tout laisser pour venir ici. Je suis arrivé à Chatila il y a bientôt un an parce que c’est le seul endroit au Liban où j’avais des contacts avec d’autres Palestiniens avant la guerre », raconte Moussef Ahmad Azzam, 57 ans. L’homme attend son tour, son petit-fils sur les genoux, pour recevoir le bon qui lui permettra d’acheter de la nourriture dans trois magasins sélectionnés par l’œuvre d’entraide dans le camp. « Il a été averti la veille de la distribution par sms. On procède de la sorte pour éviter qu’il y ait trop de monde ici et que cela devienne ingérable. Nous recevons 50 personnes par heure dans ce petit bu-reau, parfois même 75 » explique Wafaa Ahmad, une volontaire de Najdeh.

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Aujourd’hui, la famille de Bassam Habib dépend de l’aide de l’EPER et de petits boulots. Si Hassam rêve de regagner la Syrie, l’homme a perdu tout espoir de retourner un jour en Pales-tine. « J’étais tout petit quand les Israéliens ont pris notre maison. Je ne pense pas que je la reverrai un jour… Mes enfants n’ont jamais connu la Palestine. Leur pays, c’est la Syrie. Ils n’ont pas d’avenir à Chatila. »

Intégrer une communauté qui n’a jamais vrai-ment pu se relever du traumatisme du massacre de Chatila en 1982 est d’autant plus difficile. Depuis la destruction totale du camp durant l’invasion israélienne de 1982 et les multiples atteintes subies lors de la guerre civile, les immeubles ont poussé de façon chaotique. La majorité des familles vivent dans de mauvaises conditions sanitaires. L’eau est insalubre. « C’est difficile. La vie est déjà dure pour ceux qui vivaient avant à Chatila. Alors c’est encore pire pour les Palestiniens de Syrie. On ne se sent pas les bienvenus au Liban », murmure Moussef, dans le brouhaha incessant du local où a lieu la distribu-tion des bons d’achat.

14 personnes dans un trois pièces

Bassam Habib, 67 ans, éprouve aussi les plus grandes difficultés depuis son arrivée à Chatila, le 1er décembre 2012. L’homme vit avec ses deux sœurs, ses deux fils et leurs enfants. « En tout, 14 personnes vivent ensemble, dans trois pièces, raconte Bassam. Le loyer a explosé depuis notre arrivée. En 2006, nous avions reçu une famille de Chatila, nous avons fait preuve d’une grande hospitalité que nous n’avons pas reçue en arrivant ici. Notre vie est misérable. » L’homme rêve de re-tourner en Syrie. « Ma vie d’avant était belle. J’étais commerçant, ma famille vivait dans une maison ».

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Pendant les mois d’hiver, les réfugiés reçoivent des couvertures en laine ainsi que des chauffages d’appoint et des bombonnes de gaz pour se réchauffer. Ici, c’est un dépôt-vente pour les bombonnes de gaz.

Bureau de Najdeh, organisation partenaire de l’EPER : distribution de bons d’achats permettant aux réfugiés d’acheter des denrées de base dans trois magasins de Chatila.

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« Mon cousin a été tué par une roquette »Mahmoud , 9 ans, nous guide dans le dédale de la banlieue de Chatila. Loin des bombes qui pleuvaient encore récemment sur des membres de sa famille en Syrie. « Mon cousin s’était inscrit à l’université là-bas », confie le garçon. Son regard s’assombrit. « Il a voulu retourner pour suivre les cours, malgré les bombes. Le premier jour, mon cousin a été tué par une roquette. » Mahmoud s’arrête devant un mur tagué. C’est l’appartement qui l’abrite avec les siens. En tout, six personnes vivent dans deux chambres. Elles font partie des 500 familles bénéficiaires de l’aide de l’EPER. « Nous avons quitté la Syrie il y a un an. La situation devenait dangereuse », raconte Rahab Sharkaoui, 44 ans. Son neveu, Esmael, 21 ans, pense y retourner, malgré les bombes. Lui aussi pour reprendre des études à Alep. « Il n’y a aucune opportunité pour moi de trouver un travail au Liban. Je vais devoir retourner en Syrie. J’espère que je survivrai ». Rahab lève les yeux au ciel. « Notre vie en Syrie avant la guerre était comme le paradis comparé à l’enfer que nous vivons ici. Mon mari n’a pas de travail ici. Nous dépendons de l’aide. Nous vivons dans des conditions misérables. »

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13ÉCHANGE DE SAVOIRS

Les projets de l’EPER en Suisse et à l’étranger ont beaucoup à apprendre les uns des autres. La preuve à l’occasion de la visite d’une équipe tchèque aux « Permanences volantes » à Genève.MATTHIAS HERREN

Des Tchèques s’inspirent de l’expérience genevoise

T out commence par un long voyage. Il est cinq heures du matin à Prague lorsqu’Alena, Jan, Jon et Dana s’engouffrent dans la voi-

ture qui doit les mener jusqu’à Genève – un trajet de près de 1000 km ! Après une petite heure de pause à Zurich, c’est finalement à 20 heures que l’équipe arrive dans la ville du bout du lac. Ce long déplacement, les collaboratrices et collaborateurs du projet « Lutte contre le travail forcé » de l’EPER en République tchèque l’ont fait expressément pour visiter les « Permanences volan-tes » de Genève – un projet de l’EPER qui, comme le leur, s’adresse aux personnes migrantes. « Lutte contre le travail forcé » s’adresse aux travailleurs migrants engagés par des agences étrangères en Roumanie, Bulgarie ou Ukraine qui, une fois en République tchèque, subissent des conditions de travail précaires sans contrat de travail – ou sous le couvert de contrats illégaux. Le projet de l’EPER vise à les sensibiliser à leurs droits, à améliorer leurs conditions de travail et à leur fournir une aide d’urgence en situation de crise. Précaire, c’est également l’adjectif qui carac-térise la situation des personnes avec lesquelles Gaëlle Martinez travaille. Gaëlle est responsable des « Permanences volantes » à Genève, un pro-jet qui s’adresse aux migrants latinos et espagnols, avec ou sans papiers. Son travail a pour objectif de sensibiliser les bénéficiaires au droit du travail suisse et de favoriser leur accès à l’éducation et aux soins.

L’échange de savoir incite à la créativité

« Nous avons été impressionnés par l’enthousiasme avec lequel nos collègues allaient vers les per-sonnes étrangères, explique Alena. Ils font preuve

d’une telle créativité dans les activités et jeux de rôle qu’ils organisent ! Cela a été une véritable source d’inspiration pour nous ! » Autre point qui a marqué la Tchèque : le fait que tout le monde rie beaucoup. Selon elle, il en va tout autrement en République tchèque, où l’équipe se concentre presque exclusivement sur les difficultés rencon-trées par les bénéficiaires. Dana et Ion ont pour leur part surtout été impressionnés par le caractère multiculturel de la ville de Calvin : « Ici, les migrants font vraiment partie du quotidien. Tout le contraire de chez nous ! On sent que Genève est ouverte aux cultures étrangères », témoignent-ils. Tous estiment que la visite a été très bénéfique, leur donnant de nombreuses idées et inspirations pour leur travail en République tchèque. Un bilan positif que Gaëlle Martinez partage : « Expliquer le projet de A à Z à des interlocuteurs ne connaissant absolument pas la situation à Genève s’est révélé un sacré défi », explique-t-elle. La res-ponsable du projet a trouvé passionnant de dé-couvrir à quel point les problèmes auxquels les deux équipes sont confrontées sont similaires : exploitation, conditions de vie précaires et diffi-cultés juridiques sont une réalité vécue aussi bien à Genève qu’à Prague. Gaëlle Martinez se réjouit déjà de pouvoir se rendre en République tchèque l’an prochain. Pour elle, ce sera aussi l’occasion d’enrichir ses propres méthodes de travail en voy-ant ses collègues tchèques fonctionner. « Ce type d’échange est précieux », inutile de la convaincre !

L’équipe tchèque du projet « Lutte contre le travail forcé » rend visite à Gaëlle Martinez et Weimar Agudelo (à gauche), travaillant tous deux aux Permanences volantes à Genève.

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DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS RURALES

En Ethiopie, l’eau souterraine contient du fluorure nocif pour la santé. Pour pouvoir être consommée, elle doit être filtrée avec du charbon d’os d’animaux.

TEXTE ET PHOTOS : RAYMOND ROHNER

Des carcasses d’animaux pour purifier l’eau

«Le plus dur, ce n’est pas d’empiler les os dans le four, explique Abush Yabo. Bien sûr, l’odeur est nauséabonde. Mais l’étape sui-

vante est plus pénible encore. » Abush Yabo est l’un des deux collaborateurs éthiopiens du centre de défluorisation de Modjo – un centre qui fabrique un substrat à base de charbon d’os, utilisé pour les filtres à fluor. Hochant la tête, son collègue Edao Keder pointe du doigt un bassin en béton rempli de fins granulés. C’est là que les os carbonisés sont nettoyés après avoir été moulus avec un broyeur à marteaux. Pour ce faire, ils sont trempés dans une solution de soude. A l’aide d’une pelle, les deux collaborateurs doivent ensuite ramasser le charbon et le déposer sur des plaques de tôle pour le sécher au soleil. Un effort physique intense, le charbon étant encore imbibé de liquide et donc très lourd.

ÉRYTHRÉE

Modjo

Djibuti

L’eau potable est purifiée de son surplus de chlore grâce à un filtrage à base de charbon d’os de bœuf.

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Une eau nocive pour la santé

Edao Keder et Abush Yabo ont tous les deux grandi dans la petite ville de Modjo, située dans la vallée du Rift. Longue de plus de 6000 km et s’étendant de la Syrie au Mozambique, celle-ci a commencé à se former il y a 35 millions d’années, à la jonction des plaques tectoniques arabique et africaine. Aujourd’hui, cette zone géologique aride est ponc-tuée de nombreux volcans actifs, qui produisent un minéral aux propriétés à la fois bénéfiques et nocives pour la santé : le fluoride. Présent en petite quantité dans le dentifrice, il permet de renforcer la dentition. Mais en grande quantité, comme dans la vallée du Rift, il a exactement l’effet opposé : il fait apparaître des taches brunes sur les dents. A l’âge adulte, les personnes souffrent ensuite de défor-mations douloureuses du squelette. A 30 ans déjà, un homme marche avec une canne. Et quelques années plus tard, il est incapable de travailler. Selon les autorités éthiopiennes, près de huit millions de personnes souffrent de ce mal dans la vallée du Rift. Et il n’existe aucun remède. La seule solu- tion consiste à prévenir la maladie en filtrant l’eau contaminée afin d’en extraire le fluoride.

Des os de bovins aux vertus purificatrices

Ces trois prochaines semaines, Edao Keder et Abush Yabo se rendront dans le village de Graba Fila. Là-bas, un filtre communautaire a été récem-ment installé. Les deux hommes y verseront le sub-strat qu’ils ont produit. Le filtre communautaire est composé de deux réservoirs en PVC blancs de 1000 litres chacun, situés à côté d’un puits. Depuis des années, la population y puise de l’eau souterraine nocive pour la santé. Mais dans quelques semaines, la vie des 2800 habitants du village changera to-talement : ces personnes auront désormais accès à de l’eau portable et pourront mener une vie saine et digne. En 2013, trois nouveaux filtres com-munautaires ont déjà été inaugurés à Graba Fila, Korke Adi et Meja. Au total, 4800 bénéficiaires en profitent. Et trois filtres supplémentaires doivent encore être installés en 2014.

L’exemple des filtres à fluor l’illustre bien : le développement rural n’est pas forcément incom-patible avec les techniques modernes et la pro-duction industrielle, à condition que les ressources locales soient exploitées durablement. Le projet de filtres à fluor a été lancé par un consortium regrou-pant l’EPER, l’institut de recherche suisse Eawag à Dübendorf et les deux organisations africaines OSHO et CDN. Des années de recherche ont été nécessaires à Eawag pour prouver que le charbon d’os granulé absorbe le fluoride de manière suf-fisamment efficace. En Ethiopie, pays qui compte parmi les plus grands producteurs mondiaux de bétail, ce charbon peut être produit à bon prix. L’EPER a soutenu la construction du centre de dé-fluorisation géré par OSHO à Modjo. Dans une deuxième phase, elle étudie maintenant comment faire en sorte que les filtres profitent au plus grand nombre. Une question que le centre de défluori-sation, les autorités, les organisations d’entraide et les comités villageois de l’eau doivent étudier ensemble pour permettre à la population de la vallée du Rift d’accéder à cette ressource vitale qu’est l’eau potable.

La moitié de la population éthiopienne est sous-alimentée et même dans les « bonnes années », des millions d’Ethiopiens dépendent de l’aide alimentaire.

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Petits moyens, grands effets.

Nouveaux JardinsBénévoles en herbe recherchés

Les Nouveaux Jardins, projet d’inté-gration sociale et durable pour personnes migrantes, recherchent des bénévoles pour la saison 2014 à Villeneuve, Yverdon et Lausanne. Il s’agit d’accompagner les partici-pants dans leurs travaux de jardinage et d’organiser des activités auprès des enfants. Si vous aimez le jardinage au grand air et disposez d’une après-midi libre deux fois par mois de mars à octobre, contactez Sarah Soleymani : 021 613 40 70, [email protected]

www.eper.ch/les-nouveaux-jardins

Elections à l’EPERConseil de fondation

Christoph Sigrist, pasteur au Gross-münster de Zurich et chargé de cours en sciences de la diaconie à la Faculté de théologie de l’Université de Berne a été élu le 11 novembre au sein du Conseil de fondation de l’EPER par l’Assemblée des délégués de la Fé-dération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS). Jacques-André Schneider et Martin Stingelin ont pour leur part été réélus pour la période 2014-2017. L’EPER les félicite et remercie chaleureusement René R. Hürlimann et Walter Schmid, qui se retirent du Conseil de fondation au terme de leur mandat 2010-2013.

Actuel Agenda

6 avril 2014Culte et repas-partage à Bulle pour HaïtiCulte à 10h00 au temple de Bulle. Puis repas (sur inscription) et présentation d’un photo-reportage sur Haïti par Olivier Cosandey. Plus d’infos : Josiane Houriet 079 633 13 86

26 avril 2014Champion solidaire aux 20km de LausanneUne manière de courir autrement, en affichant sa solidarité pour les populations du Sud. Venez rejoindre les rangs des champions solidaires en courant avec un bandana coloré ! Cette année, un des projets soutenus par les trois œuvres d’entraide protes-tantes – l’EPER, le DM-Echange et Mission, Pain pour le Prochain – et l’EERV vient en aide à des enfants malgaches pour accéder à l’éducation. Plus d’infos : www.championsolidaire.ch

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