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22 VSD N° 1686 DU 16 AU 22 DÉCEMBRE 2009 ÉPOQUE REPORTAGE DES ACTIONS CONCRÈTES POUR SAUVER LA PLANÈTE L’AUTRE SOMMET DE CO ACTIVISTES ET SIMPLES CITOYENS ONT FAIT DE LA CAPITALE DANOISE LE LABORATOIRE D’UN MODE DE VIE PLUS VERT. Par Marie-Adélaïde Scigacz. Photos : Laurent Hazgui/Fedephoto pour VSD 1 2 4 5 6 7 1 2 4 5

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Quelques articles publiés dans le magazine VSD.

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22 VSD N° 1686 DU 16 AU 22 DÉCEMBRE 2009

ÉPOQUE REPORTAGE

DES ACTIONS CONCRÈTES POUR SAUVER LA PLANÈTE

L’AUTRE SOMMET DE COPENHAGUEACTIVISTES ET SIMPLES CITOYENS ONT FAIT DE LA CAPITALE DANOISE LE LABORATOIRE D’UN MODE DE VIE PLUS VERT. Par Marie-Adélaïde Scigacz. Photos : Laurent Hazgui/Fedephoto pour VSD

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VSD N° 1686 DU 16 AU 22 DÉCEMBRE 2009 23

D ans d’énormes marmites

de fonte, Lillet touille une soupe de légu-mes à base de « patates, oignons, carottes et chou, bien sûr, c’est la saison ! » Au cœur du quartier hippie de Christiania, fondé dans le sud de la capitale danoise en 1971, cette Néerlandaise travaille à nourrir les quelque 50 000 participants au forum social sur le climat – « tout doit ve-nir du coin, pour éviter le transport inutile et encourager les producteurs locaux ».

Cette réunion, organisée par des ONG venues de l’Europe entière, se veut une alternative sociale au forum « officiel », qui réunit jusqu’à jeudi soir les chefs d’État et leurs représentants. Pendant toute la durée du sommet, les militants ont prévu manifestations et conférences dans le centre-ville. Le 13 décembre, José Bové a notamment fait un tabac. Mais, pour tous les participants, simples sym-pathisants ou militants engagés, Copen-hague est aussi l’occasion de montrer au monde entier, et notamment à ses diri-geants, qu’il est possible de se déplacer, de se nourrir, de vivre différemment.

Tous ces convaincus de la cause ont choisi de rejoindre la capitale danoise sans exploser leur bilan carbone, sa-chant que, par avion, le Paris-Copenha-

gue génère 500 kilos de CO2 par personne pour une heure cinquante de vol. Ainsi, trente membres de l’association Roule ma frite de l’île d’Oléron (17), favorables au recyclage de l’huile de friture usagée en carburant, se sont entassés dans le bus coloré du militant Bruno Strée. Sur le toit du véhicule, 200 litres d’huile récupérée chez des restaurateurs pour faire le plein au cours du trajet. « Pour assister à un sommet sur l’écologie, c’est quand même plus cohérent que de prendre l’avion. Même si, en France, il est illégal de rouler à l’huile, prévient Grégory Gendre, fon-dateur de Roule ma frite 17. Mais 50 % d’huile et 50 % de diesel, ce n’est plus une recette, c’est du bon sens. »

De leur côté, trois Français ont fait le chemin à vélo. Matthieu Monceau, parti de Toulouse, a retrouvé à Paris ses deux

compères, Yann Vasselin et François Billy. Un mois sur la route pour une semaine sur place. « L’important, c’est le voyage en lui-même, explique Yann, conseiller principal d’éducation en région parisienne. À travers le vélo, on parle de politique, de convivialité, d’économie, d’aménagement de l’es-pace urbain. Ce n’est pas qu’un moyen de transport non polluant. » Les mili-tants de l’ONG Les Amis de la Terre ont, eux, rejoint Copenhague en train.

ÉCHANGE UN PEU DE SON TEMPS CONTRE UN VÉLOSur place, débrouille et entraide sont à l’honneur. Ainsi, certains de ces réfugiés du sommet climatique ont déplié leur sac de couchage dans d’anciens entrepôts transformés en squats autogérés. Café, soupe de légumes… tout s’achète à prix libre. Dans un hangar rebaptisé « block

bike », on échan-ge un peu de son temps contre un vélo en état de marche. Bien pra-tique pour se ren-

dre aux manifestations en centre-ville. D’autres ont trouvé le gîte et le couvert au sein de familles danoises. Quelque trois mille foyers ont ainsi ouvert leur porte et déplié leur canapé, comme le veut la pratique du « couch surfing », pour un hébergement gratuit. Dans son pavillon cosy d’Hellerup, une banlieue aisée de Copenhague, Katrin Dalsgard et sa petite famille accueillent deux em-ployés britanniques de l’ONG chré-tienne A Rocha. « Nous serons de plus en plus nombreux sur cette planète, autant réfléchir dès maintenant à d’autres manières de vivre ensemble, déclare-t-elle. En espérant que nos peti-tes actions incitent nos chefs d’État à prendre de grandes décisions. »

Pourtant, les participants au forum social ne se font aucune illusion quant

aux engagements qui seront pris à la fin du sommet. Certains ont même cri-tiqué la décision de l’État danois de fi-nancer un projet environnemental au Bangladesh, afin de compenser les émissions de carbone générées par cette rencontre, estimées à 40 000 tonnes. « Ce n’est pas une solution pour les pays industrialisés de payer ailleurs pour évi-ter de réduire leurs propres émissions », tonne-t-on au sein des Amis de la Terre. Yann, le cycliste, exprime un sentiment largement partagé par les militants : « Pour moi, le succès du forum viendra de la mobilisation des gens de la rue. On n’attend rien des décisions prises. On sait bien que les chefs d’État vont perpé-tuer une logique de marché, incompa-tible avec notre volonté de consommer moins et mieux, de nous déplacer moins, incompatible avec la décrois-sance, tout simplement. »

Si Yann et ses complices reprendront la route comme prévu sur leurs deux-roues, le retour s’annonce plus com-pliqué pour les Roule ma frite. En effet, le 11 décembre, la veille de la grande manifestation qui a réuni de 40 000 à

L’AUTRE SOMMET DE COPENHAGUE80 000 participants, la police danoise a confisqué les 200 litres d’huile végétale recyclée qui leur était nécessaire pour rentrer. Même l’huile d’olive bio desti-née à la cuisine a été saisie ! Motif : une possible utilisation de cette huile pour la fabrication d’explosifs. Les bidons réquisitionnés ne seront rendus que le 22 décembre, soit cinq jours après la date de leur retour en France. Depuis, les Roule ma frite cherchent à récupé-rer de l’huile à filtrer, pour éviter de faire le voyage vers l’île d’Oléron au gas-oil. Ce qui ferait sacrément grim-per le bilan carbone.

DÉMONSTRATION ÉCOLOGIQUE Proche du collectif les Désobéissants, Bruno Strée (1) a mis son bus à dis-position des mem-bres de Roule ma frite, venus de l’île d’Oléron. Un long voyage Paris- Copenhague (2), avec des pauses pour faire le plein d’huile de friture usagée (3). Ce drôle d’équipage n’a pas manqué d’intriguer les poli-ciers allemands (4). Sur place, une bonne soupe de légumes servie au

cœur du quartier hippie de Christia-nia (5). Dans un squat autogéré, diverses actions sont organisées, cartes de Copen-hague en main (6). En ville, ils ont croisé Yann, Mat-thieu et François, venus de France à bicyclette (7). Le soir, l’héberge-ment s’est impro-visé dans des hangars ou chez l’habitant (8).

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36 VSD N° 1690 DU 13 AU 19 JANVIER 2010

ÉPOQUEPOLÉMIQUE

UN APPEL À LA DÉMISSION DU PRÉSIDENT

LE PARI DES ORGANISATEURS ? MOBILISER SUR LE WEB PUIS DÉFILER MASSIVEMENT DANS LA RUE LE 27 MARS. Par Marie-Adélaïde Scigacz

V ous souhaitez la chute du

président de la République ? Selon la formule consacrée, il existera peut-être bientôt « une application pour ça ». Sur le modèle du No Berlusconi Day, qui a rassemblé près de 350 000 Italiens dans les rues de Rome le 5 décembre dernier, les organisateurs du No Sarkozy Day de-mandent la démission du chef de l’État sur Facebook. Leur objectif : mobiliser un maximum de Français dans la rue lors d’une journée de manifestation, le 27 mars, dans plusieurs villes de France.

« Notre initiative est indépendante des partis politiques et des syndicats », souligne Pierre Maréchal, 45 ans, l’un des dix adminis- trateurs du groupe. Sala-riés, chômeurs, militants politiques, associatifs, « nous venons de toute la France et de tous hori-zons », se félicite ce consultant en sécurité informatique de Saint-Étienne (42), « engagé notamment auprès d’Em-maüs et des Restos du cœur, non encarté et délégué du personnel non syndiqué ».

LE VIOLET EN SIGNE DE RECONNAISSANCEMême site Internet, même nom et même couleur – violet – que leurs ho-mologues transalpins, les organisateurs français espèrent convertir le buzz en projet citoyen. En Italie, les membres du No Berlusconi Day ont fondé le mouve-ment Il Popolo Viola : « Nous travail-lons à élaborer notre propre Constitu-tion sur des thèmes tels que les énergies propres, l’immigration, l’éducation, etc. », commente l’un d’eux, Giuseppe Grisorio. Ils se réuniront à Florence à la fin du mois et y rencontreront les mili-tants français, assure Pierre Maréchal.

« La démission est une requête symbo-lique. Il ne s’agit pas de faire un putsch, relativise le Stéphanois, mais de susciter des débats. » Jadis nommée « Un million de personnes pour agir contre Nicolas Sarkozy », la page cartonne depuis qu’elle a été rebaptisée No Sarkozy Day : « Rien que le 6 janvier, par exemple, il y a eu 1 600 inscriptions alors qu’elle tournait auparavant au rythme de 100 adhésions par jour. » Et ce, malgré la polémique grandissante sur la Toile.

Dès le 2 janvier, un groupe de 25 blo-gueurs influents, pour la plupart étique-tés de gauche, ont fait savoir leur désap-probation. « Certes, la France de Nicolas Sarkozy n’est pas une République irré-prochable, mais nous sommes attachés

au principe démocratique », affirme un texte commun publié sur leurs blogs respectifs. Un No No Sarkozy Day fus-tigeant « l’antisarkosysme primaire » qui est monnaie courante sur Internet, souvent sur le ton de la blague.

Si la mobilisation a été massive contre « Il Cavaliere », comment prévoir l’am-pleur du mouvement français ? « C’est

impossible, assure Aziz Haddad, éditeur du blog Mashable France, spécialisé dans l’actualité des réseaux sociaux. Pour 360 000 adhérents au groupe, pas plus de 10 % iront dans la rue. » Web 2.0 oblige, sur Facebook, on adhère autant au No Sarkozy Day qu’au groupe Faire des câ-lins à son poney. En mai, le mouvement anti-Hadopi en a fait l’expérience. Très suivi sur la Toile, il n’a pas su occuper la rue.

LA RÉPLIQUE DE L’UMP : LES CRÉATEURS DE POSSIBLES « Il y aura toujours plus de monde pour effectuer devant la tour Eiffel un moonwalk géant [le fameux pas de danse de Michael Jackson, NDLR] que pour nettoyer une plage après une marée noire », résume Thierry Crouzet. Auteur du Cinquième Pouvoir : comment Inter-net bouleverse la politique*, il estime qu’« il s’agit de perpétuer le militantisme classique avec un nouvel outil. L’influen-ce réelle d’Internet se mesure davantage sur des initiatives plus concrètes et spon-tanées telles que le boycott. Le meilleur exemple, c’est la pétition lancée par Christophe Grébert, conseiller munici-pal MoDem de Puteaux (92), contre la candidature de Jean Sarkozy à la prési-dence de l’Epad, ou encore la mobilisa-tion des jeunes Iraniens pour qui Inter-net n’est pas qu’un outil mais bien une condition à l’action. » Le 6 janvier, l’UMP a fondé son propre réseau social, Les Créateurs de possibles, sur le modèle d’Organizing For America, un réseau qui réunit la communauté des millions de supporteurs de la campagne de Barack Obama. Prêt à riposter. (*) Éd. Bourin, 2007.

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« NO SARKOZY DAY », LE JOUR J QUI BUZZE

‘‘La démission

est une requête symbo-

lique, il ne s’agit pas de faire un

putsch

’’Pierre Maréchal, du No Sarkozy Day

DÉFILÉ DANS LA RUE. Nicolas Sarkozy est régulièrement bro-cardé dans les manifes-tations. Ici, en juin 2009, lors d’une manifestation contre sa politique éco-nomique et sociale.

MANIF SUR LE WEB Sur Facebook, 360 000 internautes réclament déjà la démission du chef de l’État, car « les libertés les plus élémen-taires sont bafouées ».

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ÉPOQUEÉDUCATION

38 VSD N° 1657 DU 27 MAI AU 2 JUIN 2009

LA FAC QUI NE VOU APRÈS QUATRE MOIS DE BLOCAGE, SANS RÉSULTAT, LES ÉTUDIANTS DU MIRAIL ÉVOQUENT DÉJÀ UNE MOBILISATION POUR LA RENTRÉE.

AVEC LES GRÉVISTES DE TOULOUSE-II, EN LUTTE CONTRE LA LOI LRU

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VSD N° 1657 DU 27 MAI AU 2 JUIN 2009 39

LE NID DE LA RÉVOLTE Les étudiants grévistes

les plus mobilisés ont investi l’Arche. Cet im-

mense bâtiment à l’entrée de la faculté du Mirail

comprend des salles de cours et des amphithéâ-

tres reconvertis pour l’occasion en lieux de vie

ou en salles de projection.

LAIT PAS CÉDERIRAIL ÉVOQUENT DÉJÀ UNE MOBILISATION POUR LA RENTRÉE. Par Marie-Adélaïde Scigacz. Photos : Ulrich Lebeuf/Myop pour VSD

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40 VSD N° 1657 DU 27 MAI AU 2 JUIN 2009

B locage, c’est vrai que ça

fait un peu péjoratif. Vaut mieux dire pi-quet de grève », reconnaît Tom, respon-sable de la Fédération syndicale étudiante (FSE). À Toulouse-Le Mirail, comme dans toutes les facs de sciences humaines, les mots… ça compte. Ils sont partout. Ils résonnent dans le hall de l’Arche (le bâti-ment principal de l’université), se mélan-gent et s’affrontent au cours d’intermina-bles débats. Finissent au marqueur sur les banderoles. Mais, à l’issue de seize semai-nes de mobilisation, dont deux mois d’occupation totale de la fac, il n’y a guère plus que les slogans figés aux murs qui espèrent, avant l’été, le « retrait de la loi LRU », ultime condition des étudiants et professeurs mobilisés.

TERRAIN DE JEUX OU TERRAIN DE LUTTES ?Les grévistes, fatigués, veulent encore y croire. « La lutte s’est renforcée. Au début, les assemblées générales rassem-blaient cinq cents personnes. Aujour-d’hui, on se retrouve à deux mille », explique le jeune syndicaliste. Quel- que deux cents étudiants se relaient à l’Arche, la journée, la nuit, parfois, quand les antibloqueurs de l’association LibertaFac ou du Dada (« Déblocage

PORTE-PAROLE Côme (à g.) et Guillaume ont été élus au cours des assemblées générales des étudiants. Tou-tes les décisions, de la reconduite du blocage à la désignation des volontaires pour assurer la surveillance, se prennent au vote à main levée.

REVENDICATIONS Dans la soirée, les étudiants mettent en place des ateliers, afin de préparer les manifestations à venir. Dans la continuité du débat du jour sur la relation homme-femme dans la lutte, les slogans du soir s’inspirent de revendications féministes.

actif des amphithéâtres) rôdent dans les parages. Salon dans le hall, vaisselle dans les lavabos des toilettes, chambres rudi-mentaires au dernier étage…

Le Mirail : un terrain de jeux ? « Un ter-rain de luttes », corrigent les grévistes. Si aucun cours ne s’est tenu depuis plus de trois mois, les jeunes militants ont pris soin de potasser les textes de loi comme une veille de partiel. Votée en août 2007, la loi LRU, ou Pécresse, porte sur l’auto-nomie des universités. Elle réforme la for-mation des enseignants, le recrutement des enseignants-chercheurs et donne de nouvelles compétences aux chefs d’éta-

DORTOIRS IMPROVISÉS Le soir, des groupes d’étudiants occupent les classes au dernier étage de l’Arche et dorment sur des matelas de récup. Pendant ce temps, d’autres assurent la surveillance du campus.

AMBIANCE FESTIVE Des musiciens se sont joints aux grévistes pour la soirée. Ce soir-là, les quelque quarante étudiants sur place ont le choix entre danser et refaire le monde, jusqu’au bout de la nuit.

‘‘Au début, les AG

rassem-blaient cinq

cents personnes.

Aujour-d’hui, on se retrouve à deux mille

’’Tom Chomette

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l’automne. « Il y a une dynamique en place, note Guillaume, sans regret. Des examens au rabais, ce n’est une victoire pour personne. Mais, quoi qu’il arrive, je suis en accord avec mes convictions, je peux me regarder dans une glace. »

À court terme, le défi consiste à sortir la tête haute du conflit inextricable qui les oppose à la direction sur la tenue des exa-mens. Campées sur leurs positions, les deux parties sont dans l’impasse. À tel point que la réunion prévue entre syndi-cats et direction, le 20 mai, à la maison de la recherche, a viré au mélodrame. Pour en limiter l’entrée aux seuls représentants syndicaux, la sécurité avait décidé de verrouiller toutes les portes, enfermant par la même occasion les employés, profs et doctorants présents dans les locaux. Portes fermées et crises de nerfs. « La di-rection a commencé par lire un commu-niqué, dans lequel elle impose ses condi-tions. Comment débattre alors ? » soupire Tom. « Jusqu’où va-t-on aller dans le pourrissement ? s’interroge Karla Grier-son, prof en grève. En Angleterre, les frais d’inscription ont triplé d’une année sur l’autre à la suite d’une mesure semblable. Alors que faire, sinon le blocage ? » dé-plore-t-elle, inquiète. Finalement, seuls les vacances et les jobs d’été parviendront à déloger les bloqueurs du Mirail.

Aucun cours ne s’est tenu depuis plus de trois mois, mais les jeunes militants ont pris soin de potasser les textes de loi comme une veille d’examen

blissement, notamment la possibilité de faire appel à des fonds privés. « Ces réfor-mes ne répondent pas aux besoins de l’université. Au contraire, elle les mettent en concurrence, sous la tutelle des entre-prises, ce qui met en péril les filières “non rentables”, s’inquiète Côme, porte-parole de l’assemblée générale. On se bat pour une université laïque, qui dispense des savoirs et forme des esprits critiques. »

« UNE FAC BLOQUÉE N’EST PAS UNE FAC MORTE »Pour Côme, le succès du mouvement doit aussi beaucoup à sa logistique. « Très vite, nous avons instauré un cadre d’auto-organisation fort. Le comité de lutte compte entre cent et deux cents person-nes. Nous avons créé quatre commis-sions chargées de mettre en place les dé-cisions de l’AG. Une externe, une interne, une commission action et un service d’ordre pour organiser les rondes du soir », explique-t-il. « Je préférerais aller en cours plutôt que de passer soixante-dix heures par semaine, ici, à préparer des manifs et à dormir sur des matelas au mi-lieu des chaises, lance Guillaume, autre porte-parole des étudiants. Tout cela demande une énergie considérable. »

En bloc, ils réfutent « l’image de bran-leurs » traditionnellement accolée aux

mouvements étudiants. Depuis un mois, les activités culturelles ont remplacé les cours. « On passe beaucoup plus de temps ici depuis qu’on bloque », constate Hélène, une petite brune en troisième année de psycho. La chaise plantée dans l’herbe, elle assiste à une conférence en plein air, organisée par des membres du comité de lutte. Au programme, ce jour-là, un débat « Genre de lutte, lutte de genre, la place des sexes dans le militan-tisme ». « Des thèmes de société qui tou-chent les gens », explique Julie, étudiante en socio. « Une fac bloquée n’est pas une fac morte », insiste-t-elle.

Dimanche et jours fériés inclus. Malgré le week-end de l’Ascension, une trentaine d’étudiants sont installés dans une salle de cours. Le débat sur l’avenir de l’uni-versité digresse. C’est l’heure du bilan. Un tour de table s’engage. « Il faudrait davan-tage intégrer les nouveaux étudiants, suggère une jeune fille. C’est pas évident de vaincre sa timidité, les groupes se mé-langent peu. » Sa voisine propose un coup de peinture pour couvrir les tags : « Il faut penser à l’image qu’on renvoie », craignant qu’on ne les accuse de dégrader cette université qu’ils disent défendre. Quant à la loi LRU, conscients « d’avoir perdu une bataille », les grévistes prépa-rent la mobilisation pour la rentrée de

LEADER Tom Chomette, président et porte-parole natio-nal de la FSE, syndicat majoritaire allié avec SUD, étudie au Mirail. Pour lui, « ce n’est pas l’université qui fabrique des chômeurs, mais la société qui impose le chômage aux jeunes diplômés ».

DÉBATS SOCIAUX Pour attirer les étudiants sur le campus malgré l’arrêt des cours, les bloqueurs organisent des conférences-débats, en amphi ou sur les pelouses de l’université. Ce jour-là, c’est le Planning familial qui a été convié à la rencontre.

‘‘Je préférerais

aller en cours

plutôt que de passer soixante-dix heures

par semaine ici

’’ Guillaume

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ÉPOQUE REPORTAGE

40 VSD N° 1665 DU 22 AU 28 JUILLET 2009

LES FRANÇAIS S’EMBALLENT POUR LES FESTIVALSROCK, OPÉRA,

ÉVREUX ET DÉCRYPTAGE D’UN

QUE LA FÊTE COMMENCE ! Avec sa jauge volontairement limitée à dix mille personnes par jour, Le Rock dans tous ses états, à Évreux, se veut un événement fami-lial, à taille humai-ne, pour démarrer la saison estivale.

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VSD N° 1665 DU 22 AU 28 JUILLET 2009 41

LA TENDANCE DE L’ÉTÉ

LES FRANÇAIS S’EMBALLENT POUR LES FESTIVALS

, THÉÂTRE DE RUE… CETTE ANNÉE, TOUTES CES MANIFESTATIONS FONT LE PLEIN. REPORTAGE À D’UN PHÉNOMÈNE CULTUREL. Par Marie-Adélaïde Scigacz. Photos : Alph B. Seny/Fedephoto pour VSD

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42 VSD N° 1665 DU 22 AU 28 JUILLET 2009

L e Rock dans tous ses états,

c’est notre petit rendez-vous du début de l’été », se réjouit Caroline, 32 ans. Sous le soleil d’Évreux (27), sereine, elle sirote un verre avec une amie. À côté de ce petit havre de paix, le groupe ca-nadien Fucked Up, rouleau compres-seur punk, dégueule des amplis. « Pas mon style, reconnaît-elle, mais ça fait partie du jeu. On achète nos places en décembre, sans même savoir qui jouera. Tous les ans, on se les offre pour Noël. » « On sait de toute façon qu’il y aura de bonnes surprises », renchérit Sandrine à l’autre bout de la table de jardin. Sur son téléphone portable, elle a conservé des souvenirs des années pré-cédentes : « Y a rien à faire, c’est affectif. » Originaires de la Nièvre et du Limousin, les copines ont été converties dès leur arrivée dans la ville normande, il y a sept ans, « conseillées par des collègues de boulot, des locaux, des habitués, quoi ».

DE 1 000 À 5 000 MANIFESTATIONSChaque année plusieurs cen-taines de milliers de personnes s’évadent à travers les quelque 1 000, 2 000, voire 5 000 festivals de France, selon diverses estimations. « Le festival est un événement qui colle particulière-ment bien aux nouvelles formes de consommation. C’est une démarche plus spontanée, plus fugace, qui n’induit pas forcément une pratique culturelle marquée le reste de l’année », note Em-manuel Négrier. Chercheur au CNRS, il réalise une étude sur les habitudes des festivaliers dont les résultats seront présentés le 7 novembre à Montpellier,

à l’occasion des 50 ans de la fédération France festivals. Art Rock qui s’est tenu fin juin à Saint-Brieuc (22), a marqué le début d’un été culturellement riche dans l’Hexagone, qui verra se produire entre autres stars et groupes Bruce Springs-teen, Coldplay, Cypress Hill, Thomas Dutronc, Olivia Ruiz, etc. Des affiches alléchantes, mais aussi tout un panel d’ambiances et d’univers, de la grand-messe rock Les Vieilles Charrues de Carhaix (29), du 16 au 19 juillet, au théâtre de rue, célébré à Aurillac du 19 au 22 août. Dans son étude, Emmanuel Négrier s’étonne d’ailleurs de « l’in-croyable diversité des goûts et de l’éclec-

sans cesse s’adapter pour fidéliser le public, constate Nicolas Duquénoy, éditeur du Guide des festivals. En amé-nageant, notamment, des espaces pour que les gamins vivent leur festival à eux pendant que les parents font la fête ou assistent à des représentations un peu pointues. Cette année, par exemple, les actions écologiques sont incontourna-bles. Rien que le fait d’utiliser des gobe-lets recyclables est devenu un atout de communication. C’est le genre de détails sur lesquels le public est devenu

« Le festival est un événement qui colle particulièrement bien aux nouvelles formes

de consommation » Emmanuel Négrier, chercheur au CNRS

tisme des festivaliers, capable de passer du Jazz in Marciac (32) à un festival lyrique ». D’autant plus que « les trans-humances rock de l’été, type Eurockéen-nes de Belfort (90), ne sont qu’un aspect de l’immense diversité des événements proposés tout au long de l’année dans les domaines de la danse, de la musique ou du cinéma ».

Pour survivre dans cette économie de plus en plus concurrentielle, les organisateurs misent sur l’âme de l’évé-nement et ses prestations. « Ils doivent

‘‘On achète nos places sans même savoir qui

jouera. On se les

o!re pour Noël

’’Caroline

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attentif, même si la qualité de la pro-grammation demeure le critère numéro un. »

LE FORFAIT CONCERT PLUS HÉBERGEMENTÀ Aulnoye-Aymeries (59), les organisa-teurs des Nuits secrètes se félicitent de brasser « branchés parisiens et mamies du coin. Nos sondages montrent que, chaque année, un festivalier sur deux vient pour la première fois », se félicite Sébastien Coupez, coordinateur général

du festival. Le secret ? Une formule à petit budget, mais pas low-cost pour un sou. Né il y a huit ans, l’événement se paie le luxe d’inviter Marianne Faithfull et Pete Doherty, gratuitement, en plein cœur de la ville, « tandis que les décou-vertes ou les talents émergents, plus pointus, sont payants ».

Alors que les budgets vacances et culture sont menacés par la crise, les Français font fusionner les deux. À tel point que les plus aguerris organisent parfois leurs semaines de repos en fonc-

tion de l’agenda culturel : « On rencon-tre des jeunes gens qui font la tournée des festivals à travers l’Europe comme un circuit touristique », a constaté Sébastien Coupez. Aux Eurockéennes de Belfort, le staff a mis en place des tipis afin d’allier grand-messe musicale et pratique estivale néobobos. À Dour, une ville belge frontalière, on a misé sur des cabanes « en dur » pour accueillir les festivaliers. Les Festihut, alternative confortable à la tente, se louent 12 euros la nuit et par personne. Quant au tout nouveau festival de chanson française. À tue-tête établi à Castres (81), il com-munique sur ses prix qui défient toute concurrence – 25 euros le concert de Julien Clerc le 24 juillet – et s’auto-proclame « festival anticrise. » Une stratégie dans l’air du temps.

ON SOLDE ÉGALEMENT LES BILLETSAu Main Square Festival d’Arras (62), l’organisation a été contrainte de brader les places quelques jours avant le début des festivités, provoquant la colère des acheteurs de la première heure. Jugées trop chères (175 euros le pass quatre jours), les entrées pour l’événement (et son affiche de poids lourds : Cold-play, Kanye West, Lenny Kravitz…) ont vu leur prix baisser de 40 %. Une opéra-tion réussie puisque 85 000 personnes se sont rendues sur la Grand-Place d’Arras entre le 2 et le 5 juillet, en dépit de la polémique. Avec le Main Square, le géant américain du spectacle Live Nation entend importer en France une formule qui cartonne déjà en Grande-Bretagne ou en Belgique : des festivals de grande ampleur portés par une programmation composée à 100 % de stars. Deuxième entreprise de gestion de salles dans le monde, cotée en Bourse, « patronne » de Madonna, Live Nation fait trembler un paysage culturel français largement associatif, construit sur des cofinance-ments public-privé. Outre la concur-rence, les historiques craignent une atteinte à la diversité, au profit des block-busters. Car campeurs suréquipés ou bobos en goguette, les festivaliers sont avant tout des amoureux de culture.

‘‘Utiliser des gobelets

recyclables est devenu

un atout de

communi-cation

’’Nicolas Duquénoy

1. ABORDABLE À Evreux, le cam-ping du festival a accueilli 4500 personnes, soit 300 de plus que l’an dernier.

2. TRANS-GÉNÉRATIONNEL Pascale et Alain ont pris leurs billets sur les conseils de leurs deux filles.

3. BÊTE DE SCÈNE Après Évreux, Oli-via Ruiz a joué aux Eurockéennes, aux Francofolies de La Rochelle, aux Nuits de Fourvière, à Lyon. Elle finira par les Nuits de Cham-pagne, à Troyes.

4. POSTBAC Pour les ados, les festivals permet-tent de s’évader un week-end sans s’éloigner du domicile familial.

5. LENDEMAIN DE FÊTE Dans la nuit, les bénévoles et inter-mittents démon-tent le site. Tous parlent alors du « blues du festival ».

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32 VSD N° 1667 DU 5 AU 11 AOÛT 2009

ÉPOQUETÉMOIGNAGES

HAUTMONT SE RE LÈVEALORS QUE LES BÂTIMENTS SONT EN COURS DE RECONSTRUCTION, LES HABITANTS DE LA COMMUNE TENTENT DE REPRENDRE UNE VIE NORMALE.

UN AN APRÈS LA TORNADE, DANS LE NORD

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VSD N° 1667 DU 5 AU 11 AOÛT 2009 33

HAUTMONT SE RE LÈVELORS QUE LES BÂTIMENTS SONT EN COURS DE RECONSTRUCTION, LES HABITANTS DE LA COMMUNE TENTENT DE REPRENDRE UNE VIE NORMALE. Par Marie-Adélaïde Scigacz. Photos : Jean-Claude Figenwald pour VSD

EN CHANTIER Le 3 août 2008, une

tornade de force 4 sur une échelle de 5 a dévas-

té la ville (ci-dessous). Les ouvriers rebâtissent

aujourd’hui des maisons. Certaines ont été rasées

et leurs propriétaires sont provisoirement logés

dans des mobil-homes.

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P assant, souviens-toi. »

Sous l’œil de quelques voisins, une petite grue hisse une imposante stèle noire, sobre, au cœur de la zone sinis-trée. Le 3 août 2008, une tornade em-portait tout un quartier d’Hautmont, près de Maubeuge (59), et tuait quatre personnes. À l’occasion du premier anniversaire de la catastrophe, la ville a rendu hommage aux victimes.

Mais comment tourner la page quand le paysage raconte encore le drame ? Mai-sons éventrées, bois saccagés, toits bâchés… Hautmont cicatrise. Lente-ment, mais sûrement. Depuis quelques mois, des chantiers remplacent les ruines. « Voilà ma petite maison rose, sourit Dominique Nicodème, ému. Tous les voisins ont choisi du jaune, alors forcé-ment, j’ai encore voulu faire autrement ! » Si les façades reprennent des couleurs, les habitants peinent à oublier. « Ça revient, la nuit. Et le jour, les dégâts sont encore là, sous nos fenêtres. Tout nous rappelle la tornade. Je doute qu’on puisse repren-dre un jour une vie normale. »

« QUAND IL Y A DE L’ORAGE, C’EST LA PANIQUE »Mais tous s’y essaient du mieux qu’ils peuvent. « Je n’ai pas eu de chance avec mes bégonias », se désole Claudie Duret, 64 ans. Devant son bungalow, elle a installé de larges pots de fleurs, vestiges de son jardin saccagé. Sur les quatre-vingt-dix-sept familles occupant encore un logement provisoire, Claudie fait partie des trente-trois logées dans les mobil-homes mis à leur disposition trois semaines après le passage de la tornade. « On s’habitue à tout, mais là, ça commence à faire long. Cet hiver, on a eu des coups de blues, heureusement on a récupéré un chauffage d’appoint. Au moins, on n’a pas eu froid, note- t-elle. Mais quand il y a de l’orage, c’est la panique. Depuis, on passe une jour-née à la mer de temps en temps pour penser un peu à autre chose. » Tous les

Près de la moitié des cent quatre-vingt-trois familles sinistrées ont été relo gées soit dans du neuf, soit dans leur habitation rénovée

FAIRE FACE Micheline et son

ami Jean-Claude ont perdu leur

maison. Elle écrit un livre pour vain-

cre le traumatisme. Lui s’est muré

dans le silence.

SOUVENIR Claudie Duret a retrouvé cette

photo de famille en la voyant

publiée dans le journal. Elle avait

atterri à 30 km de sa maison.

UNE ENTREPRISE SAUVÉE

Gérald Tondeur et ses ouvriers ont

risqué leur vie dans l’entrepôt qui

menaçait de s’e!ondrer pour

défendre leur outil de travail.

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jours, avec son mari, elle se rend sur le chantier de sa nouvelle maison, à quel-ques mètres de là. « Notre emména- gement est prévu pour Noël. J’ai déjà choisi ma cuisine. » Pas facile, à son âge, de repartir de zéro, malgré l’aide des bénévoles et des associations. « Les militaires ont été géniaux. Ils ont sauvé des décombres notre carton avec les photos des enfants. » Du doigt, elle dési-gne un vieux tirage en noir et blanc aux bords effrités : « Celle-là a été publiée dans le journal. Des gens l’ont retrouvée dans un village, à 30 kilomètres d’ici. »

Au-delà du traumatisme, les sinistrés souffrent d’avoir vu s’envoler leur vie. Meubles, photos, souvenirs…, qui constituent chaque foyer. Ainsi, Andrée et Bernard Fouquet ont reconstruit leur maison « à l’identique, jusqu’à la tapis-serie. J’ai prévu de mettre les meubles à la même place qu’avant. Même si ce ne sont que des nouvelles choses ».

En revanche, pour les Tondeur, hors de question de revivre sur les lieux du drame. Propriétaires d’une maison cossue, ces passionnés de modélis- me avaient transformé leur jardin en parc d’attractions. Un train miniature

Près de la moitié des cent quatre-vingt-trois familles sinistrées ont été relo gées soit dans du neuf, soit dans leur habitation rénovée

LES RISQUES DE TORNADEDE TELLES CATASTROPHES PEUVENT-ELLES SE REPRODUIRE EN FRANCE ?Selon Emmanuel Wesolek, de l’Observatoire français des tornades et des orages violents, les zones propices à la formation de tornades se trouvent sur un axe La Rochelle–Lille, en passant par la région parisienne et la Picardie. « Mais, précise-t-il, cela ne représente qu’une ou deux tornades par an, souvent faibles. En revanche, on recense plusieurs centaines de petits tourbillons chaque année. Et ces amorces de tornades ne représentent aucun danger. » Un phénomène comme celui d’Hautmont est extrêmement rare. « Région par région, nous pouvons évaluer une situation plus ou moins pro-pice la veille ou plusieurs heures avant. Mais, pour être certain qu’une tornade se formera, il faut attendre le quart d’heure qui la précède. »

échoué, une dalle de béton et des sucres d’orge en plastique, en vrac dans les herbes hautes, témoignent de ce passé heureux. Comme toutes les victimes, Mme Tondeur a gardé les coupures de presse dans un classeur : « Tornade à Hautmont, 3 août 2008, 22 h 15. » La fin d’une vie. Le début, difficile, d’une autre. Outre son domicile, son époux a failli perdre son travail. L’entreprise de PVC qu’il dirige a été complètement

ravagée. « Deux jours après, je rappelais mes ouvriers. On a tous travaillé d’arra-che-pied pour sauver nos machines. » Cet hiver, les employés ont même œuvré à l’isolation des bungalows, per-méables au froid.

« UN BUNGALOW RETIRÉ, C’EST UN SYMBOLE »Des problèmes d’assurance, de succes-sion, de divorce et les questions d’amiante freinent les reconstructions. Mais près de la moitié des cent quatre-vingt-trois familles sinistrées ont été relogées ; quatre vingt-six ont emménagé définitivement dans un nouveau logement ou dans leur maison rénovée. À l’époque du désastre, Bruno Balzani et Sandrine Leclerc tra-vaillaient à la mise en place du volet loge-ment du plan de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), à Haut-mont. « Toute l’année, nous nous som-mes occupés en priorité du relogement des sinistrés, jusque tard le soir ou même le week-end pour les cas les plus inextri-cables », se souviennent-ils. « Au len- demain de la tornade, on n’avait ni ligne téléphonique ni fichier informatisé. Alors, quand je vois que, un an après, la moitié des gens sont relogés, je n’en reviens pas », s’étonne Bruno Balzani.

« Quand un bungalow est retiré, c’est tout un symbole », raconte Madani Hanachi. Nommé par le maire responsa-ble de la zone sinistrée, ce grand mon-sieur de 65 ans est entièrement dévoué à sa mission. Ce jour-là, il observe avec attention le convoi exceptionnel qui tra-verse le quartier, un mobil-home sur la remorque. « Je suis là pour répondre à toutes les demandes des sinistrés », résume-t-il simplement, lui qui connaît le quartier et ses habitants depuis tou-jours. Dans une cabane de chantier naguère utilisée par les ingénieurs et les experts, il a installé son bureau des doléances, et, disponible jour et nuit, il réconforte, arrange les petites galères quo-tidiennes, assure la sécurité. « Quand tout le monde sera installé, je n’y pense même pas… Ce sera comme avoir gagné le gros lot, conclut-il. En tout cas, on peut recons-truire tout ce qu’on veut, on ne sortira pas la tornade de la tête des gens. »

À L’ÉCOUTE Joël Wilmotte, le

maire (à g.), veille à ce que la situation

des sinistrés s’amé-liore. Dans l’urgen-ce, la municipalité

s’est mobilisée.

HOMMAGE Le 28 juillet, une

cérémonie s’est te-nue en mémoire

des victimes : trois personnes ont été tuées par la torna-de ; une quatrième

s’est donné la mort, le lendemain.

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ÉPOQUEENQUÊTE

ANTI-HADOPI‘‘LIBÉRONS LA CULTURE !’’

‘‘Échanger, s’inspirer, copier, c’est

essentiel. Prenez

Bach, il a remixé tout

Vivaldi !

’’Valentin Villenave

LES LICENCES LIBRESDes centaines de millions d’œuvres sont déposées sous licence Art libre ou Creative Commons. Ces licences apportent un cadre juridique à ce nouveau type de di!u-sion des œuvres. Elles fonctionnent à l’inverse du copy-right. L’auteur cède tout ou partie des droits que lui confère le droit d’auteur, en laissant la possibilité de modification, de redi!usion et de réutilisation de l’œuvre. Il défend ainsi la libre di!usion et l’appropriation collective des œuvres.

DE NOMBREUX INTERNAUTES PRÔNENT LA DIFFUSION DES ŒUVRES SUR LE WEB GRÂCE AUX LICENCES LIBRES, UNE RÉVOLUTION ÉCONOMIQUE. Par Marie-Adélaïde Scigacz A

hmed, 12 ans, traverse

la médiathèque de Saint-Ouen (93), direction la borne « Automazic ». Inaugu-rée le 20 juin, elle contient près de trente mille morceaux de musique. Le gamin frôle du doigt l’onglet « hip-hop » et em-barque ses morceaux préférés sur sa clé USB. Un pirate en action ? Non. Juste un jeune adepte de la « culture libre ».

Alors que les députés débattront d’Ha-dopi 2 (projet de loi Création et Internet) en septembre, de plus en plus d’internau-tes imaginent un autre modèle économi-que fondé sur le téléchargement : la « communauté du libre » (voir encadré). « Je vais pas mal sur eMule pour téléchar-ger de la musique, confie Ahmed. Mais c’est plutôt pas légal. » Ici, à la médiathè-que, rien à craindre, tous les morceaux contenus dans la machine sont issus d’un site bien connu des accros du Web : Dog-

mazic. Cette association regroupe « deux cents labels et trois mille artistes, tous favorables au téléchargement gratuit de leurs œuvres », se félicite Rico, le cofonda-teur. « Rien ne sert de raisonner l’écono-mie de la culture comme si Internet n’existait pas, plaide-t-il, à l’occasion d’un débat organisé par le collectif Libre Accès lors du festival des Arts libres, le 20 juin, à Paris. Le libre est un modèle viable qui sé-duit aussi des artistes reconnus, aux États-Unis, comme le groupe de rock Nine Inch Nails ou le réalisateur Ridley Scott… »

FINANCER LA CRÉATIONRico et ses amis sont donc passés du statut d’associatif à celui d’entrepreneur. « Sur notre site, Pragmazic, les internautes peu-vent acheter des albums de groupes libres pour 10 euros, ou une version numérique de qualité pour 6 euros, explique-t-il. Les artistes touchent 65 % de la vente, 17,5 % reviennent à un fonds de soutien. Nous prenons les 17,5 % qui restent. »

Préfinancement, souscription, mécé-nat… Cette communauté multiplie les

initiatives tous azimuts pour financer autrement la création. « Échanger, s’ins-pirer, copier : c’est vital. Prenez Bach, il a remixé tout Vivaldi ! », insiste Valentin Villenave. Ce musicien de 24 ans a com-posé à Montpellier, en février dernier, un opéra, Affaire étrangère, sur un livret ori-ginal de l’auteur de BD Lewis Trond-heim. Il contribue également à l’élabora-tion du logiciel de partition LilyPond. Enthousiaste, il a converti tous les acteurs du projet à sa lubie du libre. « Il a fallu expliquer aux artistes que, pour moi, la paternité d’une œuvre n’en est pas la pro-priété. La plupart d’entre eux n’avaient jamais entendu parler de culture libre, s’étonne-t-il. L’ironie, c’est qu’on a “buzzé” grâce aux débats sur Hadopi. »

Autre adversaire d’Hadopi, le député de l’Essonne, Nicolas Dupont-Aignan, a adopté les licences libres. En mai dernier, il sortait son « petit livre mauve » chez In Libro Veritas. Fondée en 2005 par Mat-thieu Pasquini, cette maison d’édition « libre » affiche mille auteurs et quatorze mille œuvres disponibles. « J’imprime en fonction de la demande », précise Pas-quini. Les internautes, après avoir lu une œuvre gratuitement sur Internet, peu-vent décider d’en faire l’acquisition. Le best-seller Simple comme Ubuntu, de Didier Roche, s’est vendu à cinq mille

exemplaires après avoir été téléchargé un million

et demi de fois. Il fait l’apologie… de

la culture libre !

BEST-SELLERS Sur le site de Matthieu Pasquini, un auteur est lu en moyenne quatorze fois dès la mise en ligne.

ILLÉGAL ? ET ALORS ! Des soirées font la promotion du libre. Ici, un

concert organisé à Paris par le Réseau des Pirates.

GÉNÉRATION WEB Les jeunes artistes utilisent le « libre »

comme outil de promotion.

PH

OTO

S : P

ASC

AL

VIL

A/V

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