Bakunin Oeuvres 5

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By Michel Bakounine (Michael Bakunin). Tome 5. 1911. P.-V. Stock, editeur

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  • MICHEL BAKOUNINE

    CE U V R K STOMEV

  • A LA MEMELIBRAIRIE

    UVRES

    MICHEL BAKOUNINE

    Tome l. Fdralisme, socialisme et antithologisme(1868). Lettres sur le patriotisme (i86g). Dieu etlEtat (1871). Un fort volume in-i8 3 5o

    Tome II. Les Ours de Berne et lOurs de Saint-Pters-bourg (1870). Lettres un Franais sur la criseactuelle (1870). LEmpire knouto-germanique et laRvolution sociale (1871). Avec notice biographique,avant-propos et notes par James Guillaume. Unfort volume in-18 3 5o

    Tome III. LEmpire knouto-germanique et la Rvo-lution sociale, 2 livraison (1871). Appendice : Con-sidrations philosophiques sur le Fantme divin, surle Monde rel et sur lHomme (1870). Avec avant-propos, avertissements et notes parimes Guillaume. Un fort volume in-18 3 5o

    Tome IV. Lettres un Franais, suite (1870). Manu-scrit de 114 pages, crit Marseille (1870). Lettre Esquiros (1870). Prambule pour la secondelivraison de lEmpire knouto-germanique (1871). Avertissement pour lEmpire knouto-germanique

    (1871). Lettre la Libert de Bruxelles (18*9^ Fragment formant une suite de lEmpire knouto-germanique (1872). Avec une prface, des avant-propos et des noies par James Guillaume. Un fortvolume in-i8 3 5o

  • BIBLIOTHEQUE SOCIOLOGIQUE N^ 43

    (IVIICHEL BAKOUNINe)

    OEU V R E STome "V

    ARTICLES CRITS POUR LE JOURNALLGALIT (1868-1869)

    LETTRE ADRESSEAUX CITOYENS RDACTEURSDU RVEIL

    (Octobre 1869)

    TROIS CONFRENCESFAITES

    AUX OUVRIERSDU VAL DE SAINT-IMIER(Mai 1871)

    Avec une prface, des avant-propos et des notes,par James Guillaume.

    c 5-. ^d^i

    PARIS P^P.-V. STOCK, DITEUR

    loy, RUE saiat-iionouk, 1;>5

    DEVANT LE THTRE-FRANAIS

    1911

  • 626685Il 1 Sfe

  • PREFACE

    Le prsent volume contient :

    1 La rimpression des articles de Bakounine dans gaill de Genve, en 1868 et 1869. Ces articles,ot si pleins dides, dune verve si entranante, dune

    crnerie si endiable , nont rien perdu ni de leur

    attrait, ni de leur valeur thorique ; les questions qui ysont traites sont plus que jamais lordre du jour, et

    les sarcasmes qui jadis ont mortellement atteint le

    socialiste bourgeois Coullery, les dmocrates de la

    Ligue de la Paix, les politiciens ouvriers ou les ouvriers

    embourgeoiss, tombent pic aujourdhui sur de nou-

    velles catgories de sophistes, dendormeurs, de rh-

    teurs ou darrivistes.

    Quelques-uns de ces articles, Les Eadormeurs, LaMontagne, Politique de nnlernalionale, ont t repro-duits en 1872 dans le Mmoire de la Fdration juras-

  • VI PRFACE

    sienne; ils furent rimprims ensuite diverses reprises

    et traduits en plusieurs langues ; mais les autres navaient

    jamais t rimprims;

    2" Une lettre adresse au journal le Rveil de Paris,en octobre 1869, en rponse une attaque calomnieuse

    du dmocrate socialiste allemand Moritz(Moses) Hess,

    que le journal de Delescluze avait eu le tort daccueillir

    au lendemain du Congrs de lInternationale Ble.

    Cette lettre ayant pris des dimensions trop consid-

    rables, Bakounine rsolut den faire le premier chapitre

    dun crit quil voulait intituler : Profession de foi d^un

    dmocrate socialiste russe, prcde dune lude sur les

    Juifs allemands. Mais il ne donna pas suite son projet,

    et nous publions ici pour la premire fois ce manuscrit,

    rest inachev.

    Cet crit polmique contient beaucoup de dtailsintressants sur les calomnies dont la haine infatigable

    de Marx et de ses amis poursuivit Bakounine partirde 1848; on y trouve en particulier le rcit dun incident

    qui fit quelque bruit en 1869 : laccusation inepte et

    odieuse ramasse par W. Liebknecht dans les colonnesdun journal bourgeois et rpte par lui, le verdict du

    jury dhonneur dclarant lunanimit que Liebknecht

    avait agi avec une lgret coupable, et la gnreuse

    attitude de Bakounine envers un adversaire forc de

    reconnatre publiquement quil stait tromp;

    3 Trois confrences faites en mai 1871, au Val de

    Saint-Imier, au moment o la lutte hroque de la Com-mune de Paris contre les forces coalises de toutes lesractions enflammait desprance le proltariat socia-

    liste. La Socit Nouvelle de Bruxelles avait publi

  • PREFACE VII

    en 1895 ces confrences daprs une copie incomplte

    et fautive ; il tait ncessaire den donner une dition

    complte et correcte.

    J. G.

    Le tome VI contiendra deux manuscrits indits, delt de 1871, relatifs aux conflits intrieurs dans lInter-

    nationale la veille de la Confrence de Londres; et la

    rimpression des crits polmiques contre Mazzini

    (seconde moiti de 1871), o Bakounine prit contre levieux patriote italien la dfense de la Communeet delInternationale.

    Dans le tome VII, nous publierons des lettres in-dites, adresses en 1871 et 1872 par Bakounine diversjeunes rvolutionnaires italiens et espagnols, que sa pro-pagande et celle de ses amis avait amens lInterna-tionale, et un long et intressant crit indit, de fvrier-

    mars 1872, qui tait destin la Fdration jurassienne.

    Nota. Dans ce volume, comme dans les precdents, leschiffres infiieurs placs, dans le texte, ct dune barreverticale, indiquent les feuillets (ou les pages) du manuscritde Bakounine.

  • ERRATAPOUR LE PRSENT VOLUME

    Nous engageons le lecteur corriger sur son exem-plaire les fautes indiques ci-aprs, avant de commencerla lecture du volume.

    Page S, premier mot de la 4^ ligne den bas. Au lieude : est, lire : soit.

    Page 9, ligne 12. A la fin de lalina, ajouter : Toute-fois, ce dernier article est plus vraisemblablement de

    Perron : car, outre quil na pas lallure des crits deBakounine, celui-ci ne le mentionne pas dans lnumra-tion de ses articles quon trouve aux pages 281-282 duprsent volume.

    Page 19, ligne 24. Au lieu de : en un sentiment, lire :ou un sentiment.

    Page 37, ligne 5 de la note. Au lieu de : 1867, lire :1868.

    Page 5i, ligne 19. Aprs : problme social, ajouter :sentir.

    Page 84, ligne 6. Au lieu de : socit, lire : sainte.Page 104, ligne 19. Au lieu de : adhrent, lire :

    adhreront.

    Page 1 16, avant-dernire ligne de la note. Avant :qui ont paru, intercaler : articles.

    Page 14S, 3e ligne den bas. Au lieu du point dinter-rogation, mettre une virgule suivie dun tiret.

    Page i53, ligne 12. Au lieu de : 14 aot, lire :7 aot.

    Page 176, ligne i S. Au lieu de : le juste expos, lire :la juste expression.

    Page 2 33, dernire ligne de la note. Au lieu de :p. 144, lire : p. 244.

    Page 327, ligne 5. Au lieu de : et volont, lire : etde volont.

  • ARTICLESCRITS POUR LE JOURNAL

    LGALIT

  • AVANT-PROPOS

    Il y eut ds 1865 des sections de Tlnternationale dans

    la Suisse romande, la Chaux-de-Fonds, Genve,

    Lausanne. Le mdecin Pierre Coullery, la Chaux-de-

    Fonds, fonda le journal hebdomadaire la Voix de VAve-

    nir, dont le premier numro parut le 31 dcembre 1865.

    Jean-Philippe Becker, Genve, fit paratre en janvier

    1866 le journal mensuel ^erVorf^o/e. Pendant la premire

    moiti de i86, le nombre des sections romandes sac-

    crut : il y en eut douze de reprsentes au premier Congrs

    gnral de lInternationale, tenu Genve en septembre.

    Lanne suivante, au Congrs gnral de Lausanne (sep-

    tembre 1867), les dlgus des sections de la Suisse

    romande se runirent en une confrence particulire; il

    y fut dcid : 1 Que la Voix de lAvenir, mise la dis-position des sections romandes par son propritaire, le

    D Coullery, serait dsormais lorgane officiel de ces

    sections, et que Coullery continuerait en tre le

    rdacteur en chei; 2" Que le comit central des sec-tions de Genve recevait, jusquau Congrs gnral

  • 4 AVANT-PROPOS

    suivant, le mandat de servir de centre de correspondance

    entre les sections de la Suisse romande.

    Lanne 1868 fut une anne critique pour lInterna-

    tionale en Suisse. Au printemps (mars) eut lieu Genvela premire grande grve du btiment, qui eut un

    norme retentissement. Ensuite, les lections lgisla-tives dans lecanton de Neuchtel, et lalliance contracte

    cette occasion par Coullery avec le parti conservateur,

    amenrent une rupture entre les partisans de Coullery

    et les socialistes sincres. Cette rupture saccentua

    lorsque, aprs le Congrs gnral de Bruxelles (sep-tembre 1068), Coullery publia dans la Voix de lAvenir

    des articles attaquant la majorit collectiviste du Con-grs. Au mmemoment, la Ligue de la paix et de lalibert tenait Berne son second Congrs ; la minorit

    rvolutionnaire de cette Ligue se spara de la majorit

    pour se constituer en une Alliance de la dmocratie socia-

    liste, qui dclara adhrer lInternationale, et la fonda-

    tion dune section de cette Alliance Genve, en oc-

    tobre, donna dans cette ville une impulsion nergique

    au dveloppement du parti socialiste rvolutionnaire.

    Un conflit aigu avait clat entre Coullery et le comitcentral de Genve; ce comit convoqua une confrence

    de dlgus, afin de discuter la proposition dunir les

    sections de la Suisse romande par un lien plus troit en

    les groupant en une fdration, et dexaminer sil ny

    avait pas lieu de crer un nouveau journal qui rempla-

    cerait la Voix de VAvenir. Cette confrence, runie

    Neuchtel le 25 octobre 1868, chargea les sections de

    Genve de nommer dans leur sein deux commissions,lune pour prparer la cration dun nouveau journal,

    lautre pour laborer un projet de statuts dune fdra-

  • AVANT-PROPOS 5

    tion des sections suisses de langue franaise, qui pren-

    drait le nom de Fdration romande; il fut dcid enmmetemps que ces deux commissions prsenteraientleur rapport un Congrs de dlgus qui se runirait

    Genve le 3 janvier 1869. Les sections de Genvenommrent aussitt les deux commissions, qui se mirent luvre immdiatement.

    La commission des statuts discuta et adopta un projetdont Bakounine (*) tait lauteur. Ce projet fut imprimet distribu en dcembre.

    La commission du journal, prside par CharlesPerron, ouvrier peintre sur mail, dcida lunanimit

    de proposer au Congrs dappeler le nouveau journalYEgalit. Elle publia un programme, et crivit un cer-

    tain nombre de socialistes pour demander leur collabo-ration. A la date du 19 dcembre 1868, elle fit paratreun numro spcimen contenant son rapport, un projetde rglement labor par elle, et les rponses reues

    des futurs collaborateurs du journal : ctaient, pour la

    Suisse, Michel Bakounine, James Guillaume, JulesGay; pour la France, Benot Malon, Eugne Varlin,Elise Reclus; pour lAngleterre, Hermann Jung,J. Georges Eccarius; pour lAllemagne, Jean-PhilippeBecker; pour lItalie, Carlo Gambuzzi, Alberto Tucci;

    pour la Belgique, Csar De Paepe. Karl Marx avaitt sollicit de collaborer : il avait rpondu la com-mission qu son grand regret ltat de sa sant et ses

    trop nombreuses occupations ne lui permettaient pas de

    promettre sa collaboration .

    (1) Bakounine tait devenu membre de la section centralede Genve en juillet 1868.

  • 6 AVANT-PROPOS

    Trente sections se firent reprsenter au Congrs deGenve des 3 et 4 janvier 1869 : vingt-trois taient dessections genevoises, quatre des sections vaudoises, trois

    seulement des sections jurassiennes. Le Congrs crala Fdration romande, en discuta et en adopta les

    statuts, et en nomma le comit fdral, compos desept membres, qui, pour la premire anne, furent pris

    dans les sections de Genve. En ce qui concerne lejournal hebdomadaire qui devait servir dorgane la

    Fdration, en remplacement de la Voix de VAvenir qui

    disparaissait, le Congrs adopta le titre dEgalit. Leprojet drglement propos par la commission attribuait

    une assemble gnrale des abonns, qui devait se

    runir chaque anne dans la premire quinzaine de

    juillet, et dans laquelle les absents seraient admis

    voter par correspondance, la nomination du conseil de

    rdaction, compos de neuf membres. Cette disposition

    fut reconnue peu pratique, et il fut dcid lunanimit

    que, pour simplifier les choses, le Conseil de rdaction

    serait nommpar le Congrs. Les neuf membres de ceconseil qui, pour la premire anne, devaient tredomicilis Genve furent nommssance tenante;les lus furent : Henri Perret, Pierre Wsehry, Charles

    Perron, Michel Bakounine, Crosset, Mermilliod,

    F. Paillard, Dupleix, Guilmeaux. Dupleix, ayant

    annonc quil ne pouvait accepter sa nomination, fut

    remplac le lendemain par J.-Ph. Becker.

    Le rglement du journal, adopt par le Congrs,disait que le Conseil de rdaction se runirait obliga-

    toirement le mercredi de chaque semaine, et quil

    admettrait ou refuserait les articles : toutefois il ne pour-

    rait refuser linsertion des articles ou crits quelconques

  • AVANT-PROPOS 7

    quune section ou un comit de section aurait dcid

    de faire paratre dans le journal.

    Larticle 24 disait : Le Conseil de rdaction dsigneun des membres de lAssociation pour classer les articlesdu journal, et pour faire le ncessaire limprimerie.Une indemnit peut tre alloue au membre de lAsso-ciation charg de ce soin. Aucun de ceux qui accep-trent ce mandat, pendant toute lanne 1869, ne tou-

    cha un sou dindemnit.

    Ce fut Charles Perron qui le premier fut charg delconfection du journal. Il soccupa de V galit avecle

    plus grand dvouement pendant les six premiers mois de

    1869; mais la fin de juin, sa sant stant trouve alt-

    re la suite de lexcs de travail quil stait impos,

    il dut prendre du repos. Le numro du 3 juillet publialavis suivant :

    Les membres du Conseil de rdaction de VEgalitsont invits se rencontrer sans faute, au cercle, mer-

    credi prochain 7 juillet, 8 heures et demie prcises,

    pour pourvoir aux fonctions que M. Ch. Perron remplitdans la rdaction et quune absence de deux mois le

    force dabandonner provisoirement.

    Le prsident : Ch. Perron.

    Bakounine, qui dans le numro prcdent avaitcommencsa srie darticles les Endormeurs, consentit remplacer Perron pendant les deux mois que devait

    durer labsence de celui-ci ; et il sacquitta consciencieu-

    sement de sa tche : il navait, jusqu ce moment, crit

    pour VEgalit que de faon trs intermittente ; partir

    de la fin de juin jusquau Congrs de Ble (septembre),il remplit presque lui seul les colonnes du journal.

  • 8 AVANT-PROPOS

    Dans la priode qui va de dcembre 1868 juin 1869,on trouve dans YEgalil aprs la lettre dadhsionparue dans le numro spcimen les articles suivantscrits par Bakounine : des observations sur le journal

    la Fraternit de M. La Rigaudire (fvrier 1869), sui-vies dune lettre et dune note dElise Reclus; une

    intervention (27 mars) dans la polmique suscite par la

    collaboration, brusquement interrompue, de M^ Andr

    Lo ; des rflexions (3 avril) sur deux grves Ge-nve; une tude (17 avril) sur la situation rvolution-

    naire de la Russie ; des rflexions (22 mai) sur les

    progrs du mouvement ouvrier dans tous les pays ;dautres rflexions (19 juin) sur le mouvement socia-

    liste en Autriche. Pendant les mois de juillet et aot,

    Bakounine crit les quatre suites darticles : les Endor:

    meurs (contre la Ligue de la paix) ; la Montagne et leJugement de M. Coullery; V Instruction intgrale; etPolitique de lInternationale. Ces quatre suites dar-ticles forment deux sries parallles. La premire srie

    comprend, en juillet, la polmique contre Coullery et

    son nouveau journal la Montagne^ et, en aot, les

    articles Politique de lInternationale. La seconde srie

    comprend les Endormeurs (juin-juillet) et leur continua-tion lInstruction intgrale (juillet-aot). Bien que les

    articles les Endormeurs commencent ds le 26 juin,pour se prolonger jusquau 24 juillet, tandis que le pre-

    mier article contre la Montagne est seulement du10 juillet et que le dernier (le Jugement de M. Coullery)est du 31 juillet, il convient de placer la polmique

    contre Coullery avant celle contre la Ligue de la paix

    et de la libert, parce que le meeting du Crt-du-Locle,

    o Coullery et son journal la Montagne furent condam-

  • AVANT-PROPOS

    ns, est du 30 mai, et que VEgalil publia les rsolu-

    tions de ce meeting ds le 5 juin ; tandis que la circu-

    laire du Comit central de la Ligue de la paix et de lalibert qui fut loccasion des articles que Bakounine

    intitula les Endormeurs est dune date postrieure. Lesarticles rinstruciion intgrale (continuation de les En-dormeurs) \ont du 31 juillet au 21 aot; les articles Po/-

    tique de lInternationale (continuation de la polmique

    contre Coullery), du 7 aot au 28 aot. A ces quatresuites darticles, il faut ajouter le Rapport sur la queS

    tion de Vhritage (28 aot) et un article sur la Coopra-

    tion (4 septembre).

    Perron, une fois revenu du village de Soudine (Haute-

    Savoie), o son mdecin lavait envoy, reprit ses fonc-

    tions, avec la collaboration de Paul Robin, qui, expuls

    de Belgique, tait arriv Genve en aot. Bakouninequitta Genve le 30 octobre pour aller rsider dansle Tessin.

    Quelques mutations avaient eu lieu, au cours de lan-

    ne 1869, dans la composition du Conseil de rdaction.

    En mars, Crosset ayant donn sa dmission, il fallut leremplacer; et, le rglement ne prvoyant rien sur le

    mode de remplacement dun membre de la rdaction, leComit fdral nomma lui-mme un successeur Crosset, en la personne de Jules Monchal. Mais Mon-dial sortit du Conseil de rdaction au bout de peu de

    temps, et Henri Perret et Mermilliod se retirrent

    aussi ; ils furent remplacs successivement, de la mmefaon, par Dutoit, Lindegger et Piriier. Lorsque Bakou-nine donna son tour sa dmission en septembre, cefut Robin qui prit sa place.

    A la suite dincidents que je nai pas raconter

  • 10 AVANT-PROPOS

    ici (*), sept membres du Conseil de rdaction, sur neuf :Perron, Robin, Guilraeaux, Dutoit, Lindegger, Becker

    et Pinier, donnrent brusquement leur dmission le

    3 janvier 1870. Ce dplorable coup de tte livra lejournal aux mains de la coterie anti-socialiste qui com-menait tablir sa domination dans lInternationale

    genevoise, et les colonnes de cette galit o avaient

    crit Varlin, Eccarius, De Paepe, Bakounine, furentdsormais occupes par la prose dgotante de

    M. Nicolas Outine.J. G.

    (i) On en trouvera le rcit dtaill au tome I" de LInter-nationale, Documents et Souvenirs.

  • ARTICLESCRITS POURLE JOURNAL

    LGALIT

    ORGANEDE LA FDRATION ROMANDE

    DE

    VAssociation Internationale des Travailleurs.

    (19 dcembre 1868. 4 septembre 1869.)

    r^ fr

  • ARTICLESCRITS POUR LE JOURNAL

    LGALIT

    Lettre la Commission dn journal lGALIT Genve.

    Mon cher (*),

    Vous me demandez si je veux participer lardaction du journal qui, sous le titre de V galit,

    va devenir lorgane dfinitif des sections romandesde lAssociation internationale des travailleurs de la

    Suisse. Vous ne devez pas en douter, cher ami. Jeconsidre cette Association comme la plus grande etla plus salutaire institution de notre sicle, appele

    constituer bientt la plus grande puissance de

    lEurope et rgnrer Tordre social, en substi-

    tuant , laniique injustice le rgne dune libert

    qui, nexcluant personne de ses droits, deviendra

    relle et bienfaisante pour tout le monde, parce

    (i) Cette lettre est adresse Charles Perron, prsident de laCommission,

  • 14 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lgalit

    quelle sera fondee sur legalit et sur la solidarit

    relles de tous: dans le travail et dans la rpartition

    des fruits du travail ; dans lducation, dans lin-struction, dans tout ce qui sappelle le dveloppement

    corporel, intellectuel et moral, individuel, politique

    et social de lhomme, aussi bien que dans toutes ces

    nobles et humaines jouissances de la vie qui nontt rserves jusquici quaux classes privilgies.

    Cette vaste association de tous les travailleurs de

    lEurope et de lAmrique nexiste que depuis quatre

    ans, et dj elle porte en son sein tous les lments

    de cette justice et de cette paix universelles que les

    Congrs bourgeois se sont mis chercher depuis

    quelque temps, mais quils ne parviendront jamais

    trouver, et cela par une trs simple raison. Labourgeoisie est un corps que lhistoire a us, a fltri,et, commebeaucoup de vieillards qui, force dim-puissance, tombent dans lutopie, elle rve aujour-

    dhui lunion de choses incompatibles, et veut le but

    sans vouloir les moyens. Ainsi les bourgeois ne

    demandent pas mieux que dadorer platoniquement

    la justice, condition toutefois quon leur garan-

    tisse la jouissance ultrieure des avantages hrdi-

    taires de liniquit historique. Ils ont soif de la paix,

    mais ils veulent en mmetemps la conservation desEtats politiques actuels, parce que ces Etats les pro-

    tgent contre les rclamations mille fois lgitimes

    des masses populaires. Trente sicles dhistoire

    nont pas suffi pour leur dmontrer que lEtat poli-

    tique, cest la guerre permanente au dehors, et lop-

  • LETTRE A LA COMMISSIONDU JOURNAL I

    pression et lexploitation permanentes au dedans.

    Mais laissons ces pauvres vieillards leurs rvesimpuissants et leurs ridicules utopies. Aux bour-geois appartient aujourdhui; aux travailleursdemain. Parlons de la grande prparation de

    demain.

    Pour que lheure de la dlivrance dfinitive dutravail sonne, que faut-il? Deux choses, deux con-ditions insparables. La premire, c estla solidaritrelle et pratique des travailleurs de tous les pays.

    A cette puissance formidable, quelle force au mondepourra rsister? Il faut donc la raliser. Il faut que

    tous les travailleurs opprims et exploits dans le

    monde, en se donnant la main travers les fron-tires des Etats politiques et en dtruisant par l

    mmeces frontires, sunissent pour luvre com-mune dans une seule pense de justice et par la soli-darit des intrts : Tous pour chacun et chacun pour

    tous- Il faut que le monde se partage une dernirefois en deux camps, en deux partis diffrents :

    dun ct, le travail des conditions gales pour

    tous, la libert de chacun par lgalit de tous, la

    justice, lhumanit triomphante, la Rvolution ;de lautre, le privilge, le monopole, la domination,

    loppression et lternelle exploitation. Mais du

    moment que tous les travailleurs de lEurope et delAmrique seront unis, la lutte mmedeviendrainutile : le parti ennemi disparatra de lui-mme.

    Lautre condition, insparable de la premire,

    cest la science ; non la science bourgeoise, falsi-

  • l6 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL VgalU

    fie, mtaphysique, juridique, politico-conomique,

    pdantesque et doctrinaire, quon enseigne dans les

    universits; mais la vraie science humaine, fonde

    sur la connaissance positive des faits naturels, his-

    toriques et sociaux, et nacceptant dautre inspira-

    tion que la raison, le bon sens. Savoir, cest pouvoir.

    Il faut donc aux travailleurs la solidarit et la

    science.

    Dvelopper ces deux conditions essentielles de

    leur triomphe, nest-ce pas l, cher ami, lobjet prin-

    cipal de lorgane que les sections romandes de laSuisse vont fonder? Participer cette uvre est ledevoir de chacun, et je serai fier et heureux de pou-

    voir y contribuer par mes faibles efforts.Il est une question surtout quil me paratrait

    important de traiter aujourdhui. Vous savez queces pauvres bourgeois, presss par la force inluc-

    table des choses et faisant de ncessit vertu, se font

    aujourdhui socialistes; cest--dire quils veulent

    falsifier le socialisme, comme ils ont falsifi tantdautres excellentes choses leur profit. Longtempsils ont combattu jusqu ce mot socialisme, etjen sais quelque chose, moi qui, au sein du Comitcentral de la Ligue de la paix et de la libert, ai pass

    un hiver, que dis-je, une anne tout entire, leur

    expliquer la signification de ce mot. Maintenant ils

    disent le comprendre. Jattribue ce miracle non mapauvre loquence, mais lloquence des faits qui

    ont parl plus haut que moi. La grve de Genve,celle de Charleroi, en Belgique, le fiasco essuy par

  • LETTRE A LA COMMISSION DU JOURNAL IJ

    les dmocrates bourgeois dAllemagne dans la

    grande assemble populaire de Vienne, les Congrs

    de Hambourg () et de Nuremberg (^), et surtout celuide Bruxelles, ont forc leur intelligence doctrinaire

    et rebelle. Sourds et aveugles par intrt, par posi-

    tion et par habitude, ils commencent aujourdhui entendre, voir. Ils ont enfin compris que lavne-

    ment du socialisme est dsormais un fait invitable;que cest le Fatum du sicle dans lequel nous vivons.Et voil pourquoi ils sont devenus socialistes.

    Mais comment le sont-ils devenus ? Ils ontinvent un socialisme eux, trs ingnieux, ma foi,et qui a pour but de conserver la classe bourgeoise

    tous les avantages de lorganisation sociale actuelle,

    et aux travailleurs la misre. Ce ne serait pasmmela peine den parler, si ces nouveaux socia-listes bourgeois, profitant de lavantage que leur

    donnent leur position sociale et leurs moyens pcu-niaires, naturellement plus puissants que les ntres,

    aussi bien que lorganisation de leur Ligue et la pro-

    tection des pouvoirs officiels dans beaucoup de pays,

    ne staient pas mis en campagne pour tromper laconscience des socits ouvrires, en Allemagne

    surtout. Nous devons les combattre, et, si la(i) Le Congrs de lAssociation lassallienne [Allgemeiner

    deutscher Arbeiterverein), les 22-26 aot 868.(2 Le cinquime Congrs du Verband deutscher Arbeiter

    vereiiie, dont le Comit central avait pour prsident AugusteBebel, les 5 et 7 septembre 1868. A la suite de ce Congrs seconstitua un parti ouvrier socialiste distinct de celui quavaitfond Lassalle, et qui adopta pour organe le journal de Lieb-knecht, le Demokratisches Wochenblatt.

  • l8 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL VgaUt

    rdaction du Journal veut bien le permettre, je con-

    sacrerai plusieurs articles exposer la diffrence

    norme qui existe entre le socialisme srieux destravailleurs et le socialisme pour rire des bourgeois.

    Michel Bakounine.

    (Numro spcimen de ljE^a/zVe, 19 dcembre 1868.)

    Il

    Le journal la FRATERNIT ().

    Encore un nouvel organe du socialisme bour-geois 1 Ces messieurs ne veulent pas se rsignera

    mourir tranquillement, sans protestation, sans clat,

    comme il convient des gens qui nont plus rien dire ni rien faire dans ce monde. Non : aprsstre vertueusement rsigns ne vouloir, ne

    faire, ntre rien pendant toute leur vie, ils vou-

    draient, au moment de mourir, devenir quelquechose; il leur faut du bruit autour de leur lit de

    douleur, et, moribonds respectables, ils tiennent au

    moins nous laisser leur testament. Mais quenferons-nous, de ce testament ? Qui se chargera delexcuter? A coup sr ce ne seront pas les travail-leurs, ces successeurs lgitimes du monde bourgeoisqui sen va.

    (i) La Fraternit tait un journal que venait de fonder Mannheim un publiciste franais appel M. E. La Rigaudire.

  • LE JOURNAL la Fraternit 19

    M. E. La Rigaudire, fondateur de ce nouveaujournal, qui, sous le nom de la Fraternit, organeinternational de la dmocratie, va paratre hebdo-

    madairement Mannheim, grand-duch de Bade, abien voulu nous adresser une lettre par laquelle il

    nous exprime lespoir que nous saluerons avec sym-

    pathie Vapparition dun journal destin servir la

    cause dmocratique et travailler nergiquement

    au maintien de la paix et la revendication de la

    libert.

    Ennemis de toute discussion inutile, et naimantpas dire des choses dsagrables, nous aurions

    mieux aim ne pas rpondre du tout ; mais la poli-tesse nous commandant une rponse, nous voulonsla faire avec la franchise et la fermet qui doivent

    caractriser dsormais tous les rapports des ouvriers

    avec les bourgeois. La voici :Nous avons parcouru avec une scrupuleuse atten-

    tion le numro spcimen du nouveau journal quona eu lobligeance de nous envoyer, et nous nyavons trouv rien, mais absolument rien, qui puisse

    nous intresser, nous toucher. Pas un mot devivant, aucune ide, rien qui rvle lentente duprsent en un sentiment juste des vnements quiapprochent ; des dsirs aussi pieux que striles, des

    aspirations vertueusement dfaillantes;

    pas de chair,

    pas de sang, nulle ombre de ralit. On dirait unjournal fond dans un monde meilleur par des fan-tmes.

    Nous avons t autant tonns quaffligs de trou-

  • 20 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL VgaUi

    ver sur la liste des collaborateurs de cette nouvelle

    feuille de la bourgeoisie socialiste, parmi beaucoup

    de noms qui sont commeles cooprateurs obligs deces sortes dentreprises littraires, des noms estimset aims, tels que celui de M. Elle Reclus, que nousavions considr jusquici comme un franc socia-liste populaire, aussi bien que ceux de MM. Bebelet Liebknecht, reprsentants intelligents et zls de

    la cause des travailleurs dans le Nord de TAlle-magne, mais qui rendraient le plus mauvais service

    cette cause sils tentaient de la rattacher lentre-

    prise frauduleuse ou strilement vertueuse du socia-lisme bourgeois.

    Dailleurs, il est vident que ce journal ne sera

    rien quune ple copie des Etats-Unis dEurope (i).

    Cest absolument le mmeesprit, le mmebut.Maintenant, quels sont cet esprit et ce but? Ils

    veulent le triomphe de la paix par la libert, cest

    fort bien ; mais cette libert, par quel moyen se pro-posent-ils de la conqurir?

    Quelles sont leurs armes pour combattre ce monstre

    couronn que, dans leur jargon nouveau, ils appel-

    lent le csarisme? L est toute la question. Csa-risme, militarisme et servilisme bureaucratique sont

    assurment des choses dtestables, mais ont-ils une

    force vivante leur opposer? Quelle est la nature

    de cette force? Sera-ce celle de leurs arguments, oucelle de leur bourse, ou celle de leurs bras ?

    (i) Le journal Les Etats-Unis dEurope tait lorgane officielde la Ligue de la paix et de la libert.

  • LE JOURNAL la Fraternit 21

    Leurs bras? Cest presque ridicule den parler.

    Entre la force imposante et si bien organise des

    armes permanentes qui dfendent le pass, et la

    force bien plus formidable encore des travailleurs

    qui sorganisent partout en Europe pour faire triom-pher lavenir, la force musculaire de cette petite

    phalange de bourgeois socialistes est gale zro.

    Leur bourse? On peut en mesurer la puissance parla misre chronique de leurs ligues et de leurs jour-

    naux. La bourgeoisie riche, les heureux spcula-teurs de la Bourse, de lindustrie, du commerce, dela Banque, qui ont leur disposition les millions,

    peuvent bien se permettre, par mauvaise habitude,

    quelquefois des boutades contre des gouvernements

    et un ordre de choses qui font si bien leurs affaires;mais quil arrive un moment de crise, et nous lesverrons tous, soyons-en bien srs, du ct de la

    raction contre la Rvolution, comme aujourdhuien Espagne. La moyenne bourgeoisie les suivra, etla pauvre bourse de cette petite phalange de bour-

    geois socialistes ne se remplira pas. Reste donc la

    seule force de leurs arguments. Mais qui se laissera

    toucher par lloquence de ces arguments?

    Si messieurs les bourgeois socialistes se flattent

    darriver convaincre les puissants et les riches, ils

    sont encore plus fous que nous ne lavions pens;si au contraire ils esprent exercer une influence surles peuples, ils sont galement les victimes dune

    singulire illusion. Les masses populaires, repr-

    sentes aujourdhui dans la plus grande partie de

  • 22 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lgalU

    lEurope par les travailleurs des fabriques et des

    villes, comme elles lavaient t jusquen 1793 parla classe bourgeoise, aspirent unanimement et par-tout une chose que le socialisme bourgeois ne

    pourra ni ne voudra jamais leur donner. Elles veu-

    lent lgalit.

    Non lgalit trompeuse, lgalit seulement juri-dique, politique et civile quon samuse leur offrir :

    elles veulent lgalit conomique et sociale avant

    tout, lgalit relle et complte; lgalit de len-

    fance dans les moyens dentretien, dinstruction etdducation ; lgalit dans le travail, dans la rpar-

    tition des produits du travail collectif, ainsi que dans

    toutes les autres conditions de la vie.

    Fatigu dtre exploit et gouvern par autrui, le

    peuple ne veut plus de classe exploitante et tut-

    laire, quel que soit le nom quelle se donne. Il veut,messieurs les socialistes bourgeois, et dans son

    intrt propre, et dans celui de votre moralisation

    et de votre dignit vous, il veut que vous viviez et

    que vous travailliez dsormais aux mmescondi-tions que lui-mme. Parlez-lui de cette galit, et il

    vous croira, il vous coutera, il vous suivra. Aidez-

    le la conqurir, et il vous donnera en retour la

    libert, la justice et la paix. Sinon, non, et votre

    Fraternit ne sera rien ses yeux quune fraude

    nouvelle.

    {galit au. 20 fvrier 1869.)

  • LE JOURNAL la Fraternit 23

    En annonant, dans notre dernier numro, lap-parition dun nouvel organe de la dmocratie bour-

    geoise, la Fraternit, nous avions tmoign notre

    regret de voir figurer parmi les noms des collabo-rateurs de ce journal celui dun homme que noussavons appartenir notre cause, M. Elie Reclus.

    Si nous avons pu croire que M. Elie Reclus avaitpromis dentrer dans la rdaction de la Fraternit,

    cest quil ne nous tait pas venu la pense que lon

    et pu, sans son consentement, mettre le nom denotre ami sur la liste des collaborateurs de ce

    journal.

    Aussi est-ce avec une vive satisfaction que nous

    avons reu la lettre suivante :Paris, 21 fvrier.

    Jouvre Vgalit et je trouve un article relatif aujournal de La Rigaudire. Le nom de mon frre, outout aussi bien le mien, Reclus, se trouve, eneffet, dans le prospectus de ce journal ; mais celuiqui la employ ny avait aucun droit. M. La Rigau-dire mavait crit pour me demander ma collabora-tion : je lai refuse. Il ma sommalors denvoyersa lettre mon frre, ce que je fis; mais mon frreElie refusa galement dentrer dans la rdaction dece journal. Je vous prie, mon cher ami, de dmentir,dans le prochain numro de Vgalit, lassertionmensongre ou tout au moins errone du prospectusde M. La Rigaudire.

    A vous de cur.Elise Reclus.

    [galit du 27 fvrier 1869,)

  • 24 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lgaUi

    On nous prie de publier la note suivante. Nousle faisons sans difficult, puisquelle ne modifie en

    aucune faon le jugement que nous avons port sur

    le journal de M. La Rigaudire :

    Aprs avoir reu communication dune lettrede M. La Rigaudire me demandant la rtractationdune note envoye au journal Ygalit du

    27 fvrier 1869, je consens volontiers exposer maconduite aux trois personnes dsignes par M. LaRigaudire, et dont lesprit dquit minspire uneparfaite confiance.

    a Dans la circonstance prsente, les papiers quiaccompagnent la lettre de M. La Rigaudire ne mepermettent point dhsiter.

    Je crois toujours que M. La Rigaudire nauraitpas d, sur une lettre qui mesemble vasive et dila-toire, publier le nom dun collaborateur qui ignorele vrai titre du journal et jusqu la langue danslaquelle il est crit. Toutefois, je reconnais quelexpression dont je me suis servi dans ma lettre Vgalit a certainement dpass la limite. Je retire

    donc le mot : assertion mensongre . Cetteparole tait inconsidre; je dois mes amis, je medois moi-mmede la reprendre.

    Paris, le lo mars 1869.

    a Elise Reclus.

    (galit du 20 mars 1869.)

  • MADAMEANDR LO ET Vgaill 25

    III

    Madame Andr Lo et lGALIT.

    Faits divers. Nous enregistrons une nouvellequi fera, nous nen pouvons douter, le plus grandplaisir nos lecteurs. Un des premiers crivainssocialistes de France, M"^* Andr Lo, a bienvoulu nous donner lassurance quelle consentait

    prendre place parmi les collaborateurs de Vga-"

    lit ().

    {galit du 27 fvrier 1869.)

    Nous publions la lettre suivante, adresse lundes membres de notre Association :

    Paris, 2 mars 1869.

    En entrant dans la rdaction du journal VEgalit,pour lequel je vous remercie davoir dsir mon con-cours, jprouve le besoin de faire une courte pro-fession de foi, nette et sincre. En voici la raison :je suis daccord avec vous sur le but ; nous diffre-rons quelquefois sur les moyens.

    Je sens toutes les tristesses et toutes les colres

    que doit exciter le spectacle dun monde o lamisre des travailleurs est la condition ncessaire

    de labondance des oisifs. Un tel systme, inique,meurtrier, dpravant pour tous, doit tre chang.

    (i) Cette note est de Charles Perron.

  • 20 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL Lgalit

    Sil peut tre expliqu au point de vue historique,il ne peut tre justifi du jour o la consciencehumaine a admis les principes suprieurs qui lecondamnent. Non, il ny a point de lois qui puis-sent prvaloir contre la Justice. Un ordre prtendu,qui admet la souffrance comme condition de cequon appelle la paix, nest que le dsordre, et il nya point de science conomique, si profonde quellese dise tre, que ne rduise nant la protestationdu plus humble des travailleurs, rclamant avec lesentiment de son droit le bien-tre, linstruction etle loisir ncessaires toute crature morale et intel-ligente.

    La justice, en un mot, na quune base, une dfi-nition : lgalit.

    Mais nous ne pouvons arriver ce qui doit trequen comptant avec ce qui est, je veux dire avec lesconditions naturelles, et mmeactuelles, de lapense et de laction dans ltre humain. Avantdagir, il faut connatre le terrain sur lequel on doitmarcher; la volont est un grand levier, mais toutlevier doit porter sur quelque chose.

    Dun autre ct, qui revendique au nom de la jus-tice doit lobserver. Les soutiens du droit, causesacre, doivent-ils imiter les actes de ceux qui,nayant en vue que des intrts, y marchent par tousles moyens?

    Si la colre est facile ceux qui souffrent, si leur

    impatience est lgitime, ceux qui acceptent la nobletche de rpandre lide, de communiquer dau-tres leurs penses, ont besoin de juger les choses

    dun point de vue gnral, avec une rflexion

  • MADAMEANDR LO ET VgalU 2J

    impartiale et une connaissance aussi approfondieque possible de ltat des esprits et des possibilitsdaction.

    On arrive alors constater que, mmeparmi lesprivilgis du systme, lignorance lignorancevritable, celle du vrai nest pas moindre gnra-lement que parmi ceux qui ne savent ni lire nicrire. En mettant hors de cause la classe des exploi-teurs de profession, linconscience est gnrale. Elle

    existe dans les foules de toutes les classes, de mmeque dans toutes les classes les intelligences dliteaspirent au bien, reconnaissent Tgalit, et cher-chent les moyens de ltablir.

    Il sagit mes yeux, vous le voyez, de sentendrebien plus que de se har, de sclairer bien plus quede se vaincre.

    Sans doute, il y a des cercles vicieux quil fautrompre, parce quils empchent tout progrs; maisen mmetemps, si lgitime que soit le sentiment dela rvolte, il doit compter avec cette loi plus inexo-rable quon ne pense : cest quil faut avant tout sefaire comprendre, que ntre pas compris cest, aupoint de vue moral, ne pas tre; que rien ne vit ence monde que par concours et consentement, lorga-nisme social comme lindividuel.

    Cest pourquoi rien ne me semble plus funesteaux intrts de la dmocratie que cet esprit dat-taque et de dnigrement qui la fait se combattreelle-mme et qui sert si bien ses ennemis. La dmo-cratie, une minorit, en face du pouvoir arm,en face dune foule ignorante, que son inertie moraleet intellectuelle donne presque tout entire lordre

  • 28 ARTICLES CRITS POURLE JOURNAL lgalit

    tabli, semble prendre tche de se diviser linfini,

    de se rduire aux fractions les plus minimes, par

    lintolrance de ses opinions.

    Chacun de ses groupes, serr autour de sa concep-tion particulire, jette aux groupes voisins des

    regards de dfi, des paroles dinsulte, et les traite en

    ennemis. Quont fait ces criminels? Ils nepensent pas tout fait comme nous.

    Est-ce une raison de souponner leur bonne foi

    et de les traiter avec mpris?

    Nous rvons lunion de tous les hommesdans uneorganisation sociale o sidentifieront la science et

    la justice, mais qui ne saurait non plus se passerdtre libre et fraternelle. Nous fltrissons lesmoyens odieux du despotisme, qui rgne par la vio-lence et la terreur; nous raillons, dune indignation

    encore frmissante, le joug insolent de ces clergs

    qui prtendaient rgler lessor de la pense et gou-verner la conscience. En rpudiant ces vieux et san-glants dogmatismes, devons-nous garder leur esprit?

    Devons-nous parler le langage de ces despotes, sipleins de foi en eux-mmes quils se croyaient rel-lement suprieurs au reste de la terre, et consid-

    raient comme une offense la moindre objection,commeun crime la moindre rsistance? Allons-nousaussi excommunier?

    Nous croyons lgalit? Soyons conformes notre foi en respectant la dignit dautrui comme lantre et en nlevant point, sans preuve, de soup-ons contre la loyaut de ceux qui diffrent de nous.

    Quand on comprend linjustice de tout dogmeimpos, linsuffisance de tout systme non modi-

  • MADAMEANDR LO ET lgalit 2Q

    fiable, le progrs incessant de la pensee, il fautadmettre que tel ou tel puisse honntement, et avecde bonnes raisons, avoir un point de vue qui nestpas le ntre.

    Car tous les yeux ne voient pas de mmemanire.Nous-mmes, nous avons chang. Nous pouvonsnous modifier encore et nous devons mmelesp-rer, moins dtre absolument srs que nous pos-sdons la science complte et la perfection absolue.Auquel cas mme,lindulgence nous serait encorecommande, et plus que jamais, une telle suprioritntant pas donne tout le monde.

    Ce sont des attards, je vous laccorde; eh bien?Mais ils sont en route ; mais ils suivent le cheminque vous avez dj parcouru. Sils se tranent, silsse reposent, sils sont infirmes, les bourrer, est-ce le

    moyen de les faire marcher plus vite? Laissons nos bons gendarmes ces procds.

    Quon manque de tolrance pour les gens qui vouspillent, vous calomnient, vous emprisonnent, vousmitraillent, la bonne heure. Ces gens-l sont biennos ennemis, et le cas de lgitime dfense nousoblige les combattre avec les armes quils emploienteux-mmes. Mais ceux qui adoptent le mmebutque nous, qui cherchent commenous la justice danslgalit des conditions sociales pour tout trehumain, ceux mmequi, nadoptant pas nettementce but, y tendent en dfinitive, en sefforant dlar-

    gir la vie commune, ceux-l, les combattre et lescarter parce que leurs moyens diffrent des ntres,cest frapper sur nous-mmes, combattre notrepropre arme, jouer le jeu de nos ennemis.

    2.

  • 30 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL CgalU

    Il est des esprits sincres, dvous, qui, tout endplorant ardemment des maux quils cherchentdailleurs soulager par tous les moyens possibles,nen estiment pas moins que les changements brus-ques, immdiats, ne sont pas plus dans lhumanit

    que dans la nature. Sans doute, lhomme peut quandil veut. Mais il ne veut quen raison de ce quil est,^de sa situation, de ses lumires. Un jugement aveu-gl par lducation, par les prjugs, nadmet quedes modifications ncessaires. Ils sont rares, ceuxqui peuvent tre subitement clairs par le chocdides contraires.

    Sil tait facile de transformer les esprits, les

    transformations sociales aussi seraient faciles, imm-diates. Il suffirait de montrer lintrt commun, quiest le fond de toute amlioration vraie. 11 nen est pas

    ainsi. Constater cette vrit, est-ce donc sen rjouir?En face des dsordres dune maladie, le mdecin est-il coupable den prvoir les phases et dassigner un terme lointain la gurison?

    Avec moins de passion, on reconnatrait quaupoint de vue du progrs social, si les pionniersaventureux sont utiles lavenir, les combattants delarrire-garde sont les plus utiles dans le prsent.

    Ce sont eux qui rallient et attirent les masses, parcequils sen font mieux comprendre. Les progrsquils obtiennent sont faux, insuffisants ? Non,car ils en provoquent dautres. Lenteur fcheuse! Oui, mais que voulez-vous? lhomme est ainsifait quil doit, pour arriver en un lieu, parcourirsuccessivement tous les points de la distance. Et savolont, de mme,est ainsi faite que, si vous len-

  • MADAMEANDR I.O ET Vgalit 3I

    tranez de vive force o il ne veut point aller, il lut-tera, vous chappera et senfuira plus loin quil

    ntait auparavant. Est-ce un mal? Non, puisquecest par l quil rejette le despotisme ds quil ne le

    consent plus. Lui en imposer un quil ne consent pasest impossible. Heureusement 1 sans cela, il neserait pas n pour la libert.

    Ces manires de voir ne me paraissent pas cellesde la plupart de vos collaborateurs. A mon avis, ilimporte peu, puisque notre but est le mme.Je croisplutt quune discussion de ce genre peut tre utile,

    et quil est bon que tous ne parlent pas de mme.Seulement, aprs lannonce que vous avez bien voulufaire (en termes trop flatteurs) de ma collaboration,jai d signaler ces diffrences et mexpliquer, unefois pour toutes, avant dentrer dans le droit com-mun de lanonyme, que sans cela jeusse accepttout dabord.

    Agrez, etc.Andr Lo.

    Nous avons insr cette lettre dautant plus volon-tiers quelle rsume loquemment les raisons qui

    militent en faveur dun rapprochement des diff-

    rents partis dmocratiques. Nous en prendronsoccasion pour nous expliquer une fois pour toutes

    sur ce sujet.

    l^ous comprenons le sentiment lev qui a dict

    la lettre quon vient de lire, mais nous ne saurions

    nous laisser entraner par ces lans de cur; nous

    savons trop quils ont toujours russi perdre la

    cause du peuple, et nous ne pouvons ni ne devons

  • 32 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lgalit

    oublier quelles tristes consquences lesprit de con-

    ciliation a eues pour la classe ouvrire, pour cette

    classe qui, ayant toujours souffert, sest toujours

    rvolte, et a toujours t trompe par trop de con-

    fiance, par trop de bont, pour cette classe qui a si

    gnreusement vers son sang pour le plus grand

    profit de ceux qui elle avait fait des concessions,

    pour la bourgeoisie, qui maintenant lopprime et

    laffame.

    Ces leons ont profit, les ouvriers ne se laisseront

    plus entraner par leur cur, ils ne concderont

    plus rien.

    Toute concession aurait pour effet de reculer

    lmancipation complte du travail et ne pourrait

    produire quun affranchissement partiel du prolta-

    riat, cest--dire la cration dune nouvelle classe

    qui, son tour, deviendrait oppressive.

    Cette perspective, examine par le Congrs de

    Lausanne (*), a t repousse : Tous ensemble ou

    personne, tel a t lesprit du Congrs sur cette

    (i) Une des questions formant lordre du jour du deuximeCongrs gnral de lInternationale, tenu Lausanne du2 au 8 septembre 1867, disait : Les efforts tents aujour-dhui par les associations pour lmancipation du quatrimetat (classe ouvrire) ne peuvent-ils pas avoir pour rsultat lacration dun cinquime tat dont la situation serait beaucoupplus misrable encore? Le Congrs rpondit affirmativement cette question, et dclara que pour obvier ce danger iltait ncessaire que le proltariat se convainqut bien de cetteide : que la transformation sociale ne pourra soprer dunemanire radicale et dfinitive que par des moyens agissant surlensemble de la socit et conformes la rciprocit et lajustice .

  • MADAMEANDR LO ET VgalU }J

    question. Or, cet affranchissement gnral nest

    possible quavec des moyens radicaux qui excluenttoute possibilit de compromis ou de concession;le Congrs de Bruxelles la compris, et cest pour

    cela quil a invit la Ligue de la paix et de la libert

    se dissoudre, manifestant ainsi la volont des tra-

    vailleurs de rompre avec la dmocratie bourgeoise,

    et dclarant en quelque sorte que lAssociation

    internationale des travailleurs ne veut plus recon-

    natre dautre politique que celle qui aurait pour

    but immdiat et direct laffranchissement radical du

    dernier des misrables (*).

    (i) Au troisime Congrs gnral de lInternationale Bruxelles (septembre i86S), Perron avait t un des trois dl-gus qui avaient wotcontre linvitation adresse la Ligue de lapaix davoir se dissoudre (les deux autres taient De PaepeetCatalan). Bakounine avait crit Gustave Vogt, prsident dela Ligue (dont ce moment il tait encore membre), proposde cette dcision du Congrs de lInternaiionale : La dcisionprise ou plutt quon a fait prendre au Congrs de Bruxellespar rapport nous est une impertinence... [Mais] quelquedsagrable et mesquine que se soit montre la Ligue desouvriers par rapport nous, nous ne pouvons ni ne devonstout de mmemconnatre limmense et utile porte du Con-grs de Bruxelles. Cest un grand, le plus grand vnement denos jours ; et, si nous sommes nous-mmes de sincres dmo-crates, nous devons non seulement dsirer que la Ligue inter-nationale des ouvriers Unisse par embrasser toutes les asso-ciations ouvrires de lEurope et de lAmrique, mais nousdevons y cooprer de tous nos efforts, parce quelle seule con-stitue aujourdhui la vraie puissance rvolutionnaire qui doitchanger la face du monde. > Maintenant, comme on le voit,Perron et Bakounine donnaient pleinement raison la dci-sion du Congrs de Bruxelles : lattitude de la majorit, auCongrs de la Ligue Berne, avait clairement dmontr quela dmocratie bourgeoise ne voulait pas sincrement lmanci-pation des travailleurs.

  • 34 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lgulU

    Nous y reviendrons dans notre prochain nu-mro ().

    {galit du i3 mars 1869.)

    Nous avons reu deux lettres, lune de M* AndrLo, lautre signe collectivement par quatre per-

    sonnes : MM. Elie Reclus, Louis Kneip, A. Da-vaud, et Albert, cordonnier (^). Ces deux lettres sont

    inspires du mmeesprit de conciliation vis--vis decette bonne classe bourgeoise qui nous mange si tran-quillement tous les jours, comme si ctait la chosela plus naturelle et la plus lgitime du monde, et deprotestation contre les tendances de notre journal,

    parce quayant arbor le drapeau de la franche poli-

    tique du proltariat, il ne veut consentir aucunetransaction. Cest vrai, nous avons les transactions

    en horreur. Lexprience historique nous dmontre

    que dans toutes les luttes politiques et sociales elles

    nont jamais servi que les classes possdantes et

    puissantes, au dtriment des travailleurs.

    Le dfaut despace ne nous permet pas dinsrer

    ces deux lettres. En prsence de la coalition des(i) Cette rponse la lettre de Mme Andr Lo a t certai-

    nement rdige de concert avec Bakounine, dont elle exprimetrs nettement les ides. UEgalit annonait quelle revien-drait sur la question dans son prochain numro : mais cefut seulement quinze jours plus tard quelle le tit, cette foispar la plume de Bakounine, pour rpondre une nouvellelettre de Me Andr Lo et une lettre de quatre amis decette citoyenne, lettres qui ne furent pas insres.

    (2) a Albert, cordonnier , est lex-officier russe VladimirOzerof, qui habitait alors Paris et gagnait sa vie faire dessouliers.

  • MADAMEANDR LO ET lEgalit 35

    patrons qui menace de nous affamer (*), nous avons

    autre chose dire et faire qu polmiser contre

    le socialisme bourgeois (*).

    {galit du 27 mars 1869.)

    Faits divers. Nous avons le regret dan-noncer que M^ Andr Lo ne continuera pas decollaborer la rdaction de Egalit {^).

    {galit du 10 avril 1869.)

    (i) Il y avait ce moment Genve deux grves qui absor-baient toute lattention, la grve des ouvriers du btiment etcelle des typographes.

    (2) Cette note est de Bakounine : on peut laffirmer avecautant de certitude que si elle tait signe, certaines tour-nures de phrase qui dclent lhomme coup sr.

    (3) Me Andr Lo avait encore, ce moment, des illu-sions sur certains dmocrates bourgeois qui se disaient socia-listes. Ce quelle vit pendant et aprs la Communelen guritdfinitivement; et en 1871, rfugie en Suisse, elle entra danslInternationale, dont elle dfendit courageusement les prin-cipes fdralistes dans la Rvolution sociale de Genve.

    La lettre suivante, que -M Andr Lo crivait une amie, le3 mai iSyS, au sujet de M. Edmond de Pressens et de M* E,de Pressens, montrera, par un exemple typique, commentprirent fin les relations de lauteur dUn mariage scandaleuxavec ces attards , ces combattants darrire-garde enqui elle avait vu, jusqu la Commune, les ouvriers les plusutiles de la cause de la justice sociale, et pour lamour des-quels elle stait brouille en 1869 avec lEgalit :

    4 Jai beaucoup aim M" de Pressens. Aprs avoir fait,dans le journal de son mari, quelques articles sur mes livres,dont javais remerci par crit, elle est venue me trouverun jour, aprs la publication dAline-Ali (1868). Je nai pasde parti pris, je lai reue avec sympathie comme elle venait moi, parce que sa nature est sincre et sympathique. A cettepoque et avant, je recevais de grandes avances de lorlanismeet du protestantisme, assez troitement unis Paris. M dePressens, une fois accueillie par moi, ma recherche avec

  • :56 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lgalit

    une sorte de passion. Je la voyais, elle si occupe, plusieursfois par semaine; elle mamenait ses enfants, son mari. Ellemcrivait encore frquemment. Il est difficile de ne pas selaisser prendre le cur tant daffection. Je ny vais pas sivite, moi; mais une fois que jy suis, jy reste. Le christianismese taisait; le socialisme le remplaait entre nous, au moinsdans son aspiration gnrale, o nous nous entendions fort bien.Elle voulut connatre mon ami le socialiste, louvrier [Malon];lentrevue fut pieuse, enthousiaste. Ctait en 1868 ou 1869.Cette ferveur dura jusqu la Rpublique. Alors les vnementsnous prirent chacune de notre ct... Sous la Commune, je lavis peine. Malon leur donna des sauf-conduits pour aller enprovince et en revenir, tout ce quils voulurent, ce qui na pasempchce triste bonhomme de Pressens doser dire lAs-semble quil avait couru risque de la libert et de la vie rester parmi les barbares de la Commune. 11 fut parfaite-ment lche et cruel pendant les massacres ; elle, bonne, dvoue,comme toujours ; mais non plus la mmepourtant, je le sen-tais bien et lavais senti depuis longtemps. Elle a fait, malgrson mari, A acte de dvouement pour nous en portant enSuisse une .lettre destine nous procurer des passeports.Elle ne ma point abandonne dans le pril. Mais jai senti, oucru sentir, que le besoin damiti ntait plus le mme,etquand, moi tant Genve, elle y a pass pour retourner enFrance, rapidement sans doute, mais enfin sans me voir, jaicess de lui crire, la voyant trop tiraille entre son milieuet moi. Je ne cessais pas de laimer pour cela. Elle na pasrclam ; le silence sest fait entre nous jusquau moment ojai appris quelle avait ajout foi sur mon compte aux igno-bles calomnies du Fiparo qui mattribuait, vous le savez,davoir conseill les fusillades, sous la Commune. Je nai pucroire que//c et pu se tromper ce point sur moi. Jai priIsaure Prier [Mn^e Aristide Rey] daller lui rapporter ce bruitet de lui demander de ma part une explication. Elle a avouavoir cru la chose, et qui, de la part de tous ceux qui meconnaissent et mont entendue seulement un peu, est unestupidit avant dtre toute autre chose. De ce moment, jelie puis plus la considrer comme amie, et jen ai la plaieau cur, car ce nest pas avec limagination que jaime, quant moi, et lamiti ne mest pas une posie de circonstance.H y a dans ce protestantisme une sensiblerie poseuse quigte les meilleurs. Elle est des meilleures certainement,niais il y a plus de chaleur dans la tte que de constance dansle cur, je le crois du moins.

  • LA DOUBLE GREVE DE GENEVE 3/

    IV

    La double grve de Genve ()

    Les bourgeois nous provoquent. Ils sefforcent

    de nous pousser bout par tous les moyens, pen-

    sant, non sans beaucoup de raison, quil serait trs

    (i) Au milieu de mars avait clat Genve une grve destailleurs de pierres et maons, venant de ce que certainspatrons refusaient dobserver, pour la journe dite dt (partir du i^ mars), les conditions du tarif consenti par eux la suite de la grve de 1867 ; tous les ouvriers du btimentavaient pris fait et cause pour les grvistes. Le 20 mars, lestypographes de Genve staient mis en grve leur tour, cause du refus lait par les patrons daccepter un nouveau tarifqui augmentait de 5o centimes le salaire de la journe detravail. La bourgeoisie genevoise prit dans cette circonstanceune attitude nettement provocatrice. La jeunesse dore sarma, rechercha des collisions avec les ouvriers, et fit arrterdes grvistes ; une grande assemble bourgeoise (3i mars)adressa un appel au gouvernement, en linvitant faire res-pecter la libert du travail , et en dnonant linternationale,qui ruine le canton de Genve par des dcrets envoys deLondres et de Paris . Bakounine, jugeant quune bataille dans

    la rue, dsire par la bourgeoisie, aurait des consquencesfunestes pour lorganisation ouvrire, crivit, en collaborationavec Perron, larticle quon va lire. Quelques jours plus tard,dans une lettre, il me parlait de cet article en ces termes : Jejoue ici le rle de ractionnaire. Les typographes, qui ontfort mal combin et conduit leurs affaires, se voyant dans uneimpasse, auraient voulu entraner lInternationale des mani-festations dans la rue qui, si elles naboutissaient pas lamenace dabord, et plus tard la violence, ne produiraientrien, et, si elles avaient une issue dramatique, finiraient parune dfaite de lInternationale. As-tu lu dans lavant-derniernumro notre article Les deux grves ? Quen dis-tu r (Lettredu i3 avril 1869.) Au moment o Bakounine mcrivait ceslignes, la grve du btiment stait dj termine (10 avril)par la capitulation des patrons, mais la grve des typographescontinuait, sans aucune perspective de russite.

    3

  • ^8 artcles crits pour le journal V^alil

    bon pour leurs intrts de nous forcer leur livrer

    bataille aujourdhui.

    Ils nous calomnient et nous insultent dans leursjournaux; ils dnaturent, travestissent et inventent

    des faits, comptant sur les sympathies de leurpublic, qui leur pardonnera tout, pourvu que lesbourgeois, les patrons soient blanchis et les travail-

    leurs noircis. Assur de cette impunit et de cette

    sympathie, le Journal de Genve surtout, le dvot

    menteur, se surpasse en mensonges.

    Ils ne se contentent pas de nous provoquer et denousinsulterpar leurs crits; impatients de nous faireperdre patience, ils ont recours des voies de fait.

    Leurs tristes enfants, cette jeunesse dore dont loi-

    sivet corrompue et honteuse dserte le travail etles travailleurs ; ces acadmiciens (), savants en

    thologie et ignorants de la science, ces libraux de

    la riche bourgeoisie, descendent dans la rue,

    comme lan pass, et se runissent en foule dans lescafs, arms de revolvers mal dissimuls dans leurs

    poches. On dirait quils redoutent une attaque de lapart des ouvriers et quils se croient forcs de la

    repousser.

    Y croient-ils srieusement? Non, pas du tout, maisils se donnent lair dy croire, pour avoir le prtexte

    de sarmer et un motif plausible pour attaquer. Oui,

    (i) Bakounine appelle ainsi les tudiants, parce que larunion des facults denseignement suprieur, Genve, quiporte aujourdhui le nom duniversit, portait alors celuidacadmie.

  • LA DOUBLE GREVE DE GENEVE 39

    pour ncms attaquer, car mardi dernier 30 mars, ils

    ont ose porter la main sur quelques-uns de nos

    compagnons, qui toutes leurs insultes avaient

    repondu par des verits assez dsagreables, sans

    doute, pour des oreilles aussi dlicates que les leurs,

    mais qui ne les avaient pas mmetouchs du doigt.Ils se sont permis de les arrter et de les maltraiter

    pendant quelques heures, jusqu ce quune com-mission envoye par lAssociation internationale

    lhtel de ville soit alle les rclamer (M-

    (i) Cette phrase est rdige de telle faon quil semble queles grvistes mis en prison auraient t arrts par les mem-bres mmesde la jeunesse dore ; en ralit, larrestationavait t opre par la police, mais sur la dsignation des jeunesgens revolvers. A la seconde page de ce mmenumro,VEgalit raconte en ces termes cet pisode de la grve :

    Que la bourgeoisie dsire une collision pour appeler lesbaonnettes fdrales, cela se conoit, et cest ce que prouventles provocations de la jeunesse dore qui se promne avec desrevolvers dans ses poches et qui dirige les agents de la forcepublique... Mardi dernier, lorsque lesouvriers embauchs parles patrons [ouvriers arrivs le lundi Genve, ignorant quunegrve tait dclare dans leur corps de mtier] sortirent deschantiers la tin de la journe, ils trouvrent dans la ruedautres ouvriers qui les attendaient pour leur exposer la situa-tion et les engager ne pas nuire la cause commune entravaillant pour les trois chantiers en grve. Ce quils ontbien vite compris, car aucun deux nest retourn au travailaccept par eux, nous dirent-ils, dans lignorance de ce qui sepassait.

    Mais la bourgeoisie, cherchant querelle, vint sinterposerentre les ouvriers au nom de la libert, interdisant aux uns deparler aux autres. Voyant les ouvriers sortant des chantierscouter ceux qui taient venus pour leur parler, et dcids amener une collision, ces bourgeois en vinrent bousculerles groupes ouvriers et mme les frapper. Cela produisit uncertain mouvement, une certaine confusion, qui servit de pr-texte la police pour intervenir et pour empoigner les

  • 40 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lEgaill

    Que mditent les bourgeois? Veulent-ils vraimentnous forcer de descendre aussi dans la rue les

    armes la main ? Oui, ils le veulent. Et pourquoi le

    veulent-ils? La raison est toute simple : ils veulent

    tuer lInternationale.

    Il suffit de lire les journaux bourgeois, cest--

    dire presque tous les journaux de tous les pays, pour

    se persuader que sil y a aujourdhui une chose qui,

    plus que toute autre, soit un objet de crainte et dhor-

    reur pour la bourgeoisie en Europe, cest lAssocia-

    tion internationale des travailleurs. Et comme ilfaut tre juste, avant tout, juste mmeenvers sesadversaires les plus acharns, nous devons recon-

    natre que la bourgeoisie a mille fois raison dab-

    horrer et de redouter cette formidable Association.

    Toute la prosprit bourgeoise, on le sait, entant

    que prosprit exclusive dune classe exclusive, est

    agresseurs, dites-vous; non, des ouvriers inofFensifs dsignspar les agresseurs !

    Le calme inbranlable des travailleurs que, quoi quonfasse, on ne parviendra pas faire sortir sitt de la lgalit, napas permis lvnement de prendre une tournure plus grave.

    Les ouvriers arrts ont t conduits au poste de policede lhtel de ville, lequel tait entour de toute la gendar-merie.

    Elle avait t rappele la veille et le jour mmede tousles postes du canton, et on lavait arme ce qui ne se voitpour ainsi dire jamais du fusil et de la baonnette, et vrai-semblablement on lui avait dlivr des cartouches. On mitdonc nos amis en prison ; les agents les menacrent et leurfirent prouver de mauvais traitements, aprs quoi ils eurent subir un interrogatoire.

    Quelques heures aprs, ils furent relchs sous caution etrendus une dputation de lInternationale envoye pourrclamer les prisonniers.

  • LA DOUBLE GREVE DE GENEVE 4I

    fonde sur la misre et sur le travail forc du peuple,forc non par la loi, mais par la faim. Cet escla-vage du travail sappelle, il est vrai, dans les jour-naux libraux tels que le Journal de Genve, lalibert du travail. Mais cette trange libert est com-parable celle dun homme dsarm et tout nu,quon livrerait la merci dun autre qui serait armde pied en cap. Cest la libert de se faire craser,

    assommer. Telle est la libert bourgeoise. Oncomprend que les bourgeois la chrissent et que lestravailleurs ny tiennent pas du tout ; car cettelibert est pour les bourgeois la richesse, et pourles travailleurs la misre.

    Les travailleurs sont las dtre esclaves. Pas moinsque les bourgeois, plus que les bourgeois, ils aiment

    la libert, parce quils savent fort bien, par une dou-

    loureuse exprience, que sans libert il ne peut yavoir pour lhomme ni dignit, ni prosprit. Maisils ne comprennent pas la libert autrement quedans lgalit; parce que la libert dans lingalit,

    cest le privilge, cest--dire la jouissance de quel-

    ques-uns fonde sur la souffrance de tous. Ils veu-

    lent lgalit politique et conomique la fois, parceque lgalit politique sans lgalit conomique est

    une fiction, une tromperie, un mensonge, et ils neveulent plus de mensonges. Les travailleurs tendent

    donc ncessairement une transformation radicale

    de la socit qui doit avoir pour rsultat labolition

    des classes au point de vue conomique aussi bienquau point de vue politique, et une organisation

  • 42 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL Vgalit

    dans laquelle tous les hommes natront, se dvelop-peront, sinstruiront, travailleront et jouiront des

    biens de la vie dans des conditions gales pour tous.

    Tel est le vu de la justice, tel est aussi le but finalde lAssociation internationale des travailleurs.

    Mais comment arriver, de labme dignorance, demisre et desclavage dans lequel les proltaires des

    campagnes et des villes sont plongs, ce paradis,

    cette ralisation de la justice et de lhumanit sur la

    terre? Pour cela, les travailleurs nont quunmoyen : lassociation. Par lassociation ils sinstrui-sent, ils sclairent mutuellement, et mettent fin,

    par leurs propres efforts, cette fatale ignorance qui

    est une des causes principales de leur esclavage. Par

    lassociation, ils apprennent saider, se con-

    natre, sappuyer lun sur lautre, et ils finiront par

    crer une puissance plus formidable que celle de

    tous les capitaux bourgeois et de tous les pouvoirs

    politiques runis.

    ^association est donc devenue le mot dordre destravailleurs de toutes les industries et de tous les

    pays, dans ces derniers vingt ans surtout, et toute

    lEurope sest trouve hrisse, comme par enchan-tement, dune foule de socits ouvrires de toute

    sorte. Cest incontestablement le fait le plus impor-

    tant et en mmetemps le plus consolant de notrepoque, le signe infaillible de lmancipationprochaine et complte du travail et des travailleurs

    en Europe.

    Mais lexprience de ces mmesvingt annes a

  • LA DOUBLE GREVE DE GENEVE . 43

    prouv que les associations isoles taient peu prs

    aussi impuissantes que les travailleurs isols, et

    que mmela fdration de toutes les associationsouvrires dun seul pays ne suffirait pas pour crer

    une puissance capable de lutter contre la coalition

    internationale de tous les capitaux exploiteurs du

    travail en Europe; la science conomique a d-

    montr, dun autre ct, que la question de lman-

    cipation du travail nest point une question natio-

    nale; quaucun pays, si riche, si puissant et si vaste

    ft-il, ne peut, sans se ruiner et sans condamnertous ses habitants la misre, entreprendre aucune

    transformation radicale des rapports du capital et

    du travail, si cette transformation ne se fait gale-

    ment, et en mmetemps, au moins dans une grandepartie des pays les plus industrieux de lEurope, et

    que par consquent la question de la dlivrance des

    travailleurs du joug du capital et de s.es reprsen-

    tants, les bourgeois, est une question minemmentinternationale. Do il rsulte que la solution nest

    possible que sur le terrain de linternationalit.

    Des ouvriers intelligents, allemands, anglais,

    belges, franais et suisses, fondateurs de notre belle

    institution, lont compris. Ils ont compris aussi que,

    pour raliser cette magnifique uvre de lmanci-

    pation internationale du travail, les travailleurs de

    lEurope, exploits par les bourgeois et crass par

    les Etats, ne devaient compter que sur eux-mmes.

    Cest ainsi que fut cre la grande Association inter-

    nationale des travailleurs.

  • 44 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lgalit

    Oui, grande et formidable vraiment! Elle compte

    peine quatre ans et demi dexistence, et dj elle

    embrasse plusieurs centaines de milliers dadhrents

    dissmins et troitement allis, dans presque tous

    les pays de lEurope et de lAmrique. Une penseet une entreprise qui produisent en si peu de temps

    de tels fruits ne peuvent tre quune pense salu-

    taire, une entreprise lgitime.

    Est-ce une pense secrte, une conspiration? Pas

    le moins du monde. Si lInternationale conspire

    elle le fait au grand jour et le dit qui veut len-

    tendre (*). Et que dit-elle, que demande-t-elle? Lajustice, rien que la plus stricte justice et le droit de

    lhumanit, et lobligation du travail pour tout le

    monde. Si la socit bourgeoise actuelle cette

    pense parat subversive et honteuse, tant pis pour

    cette socit.

    Est-ce une entreprise rvolutionnaire? Oui et non.

    Elle est rvolutionnaire en ce sens quelle tend

    (i) Un an plus tard, les membres des sections de lInterna-tionale de Paris faisaient une dclaration analogue. Au momento, quelques jours avant le plbiscite, Emile Ollivier ordonnalarrestation, sous linculpation de complot et de socitsecrte, de touslesindividus qui dirigeaient lInternationale ,le Conseil fdral parisien de lInternationale publia (2 mai 1870)une protestation o il disait : Il est faux que lInternatio-nale soit pour quelque chose dans le nouveau complot, quina sans doute pas plus de ralit que les inventions prc-dentes du mmegenre... LAssociation internationale des tra-vailleurs, conspiration permanente de tous les opprims et detous les exploits, existera malgr dimpuissantes perscu-tions contre les prtendus chefs, tant que nauront pas disparutous les exploiteurs, capitalistes, prtres et aventuriers poli-

    tiques.

  • LA. DOUBLE GRVE DE GENVE 45

    remplacer une socit fonde sur Tiniquit, sur

    lexploitation de limmense majorit des hommespar une minorit oppressive, sur le privilge, sur

    loisivet, et sur une autorit protectrice de toutes

    ces jolies choses, par une socit fonde sur une

    justice gale pour tous et sur la libert de tout le

    monde. Elle veut, en un mot, une organisation co-

    nomique, politique et sociale dans laquelle tout tre

    humain, sans prjudice pour ses particularits natu-

    relles et individuelles, trouve une gale possibilit

    de se dvelopper, de sinstruire, de penser, de tra-

    vailler, dagir et de jouir de la vie comme unhomme. Oui, elle veut cela; et, encore une fois,si ce quelle veut est incompatible avec lorganisa-

    tion actuelle de la socit, tant pis pour cette socit.

    LAssociation internationale est-elle rvolution-

    naire dans le sens des barricades et dun renverse-

    ment violent de lordre politique actuellement exi-

    stant en Europe? Non : elle soccupe fort peu de cettepolitique, et mmeelle ne sen occupe pas du tout.Aussi les rvolutionnaires bourgeois lui en veulent-

    ils beaucoup pour lindiffrence quelle tmoigne

    envers leurs aspirations et tous leurs projets. Si lIn-

    ternationale navait pas compris depuis longtemps

    que toute politique bourgeoise, quelque rouge et

    rvolutionnaire quelle paraisse, tend non lman-

    cipation des travailleurs, mais la consolidation de

    leur esclavage, le jeu pitoyable que jouent en ce mo-ment les rpublicains et mmeles socialistes bour-geois en Espagne suffirait pour lui ouvrir les yeux.

    3.

  • 46 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lgalit

    LAssociation internationale des travailleurs, fai-

    sant donc compltement abstraction de toutes les

    intrigues politiques du jour, ne connat cette heure

    quune seule politique, celle de sa propagande, de

    son extension et de son organisation. Le jour o lagrande majorit des travailleurs de lAmrique et de

    lEurope sera entre et se sera bien organise dans

    son sein, il ny aura plus besoin de rvolution : sans

    violence, la Justice se fera. El sil y a alors des ttes

    casses, cest que les bourgeois lauront bien voulu.

    Encore quelques annes de dveloppement paci-

    fique, et lAssociation internationale deviendra unepuissance contre laquelle il sera ridicule de vouloir

    lutter. Voil ce que les bourgeois ne comprennentque trop bien, et voil pourquoi ils nous provoquent

    aujourdhui la lutte. Aujourdhui, ils esprent en-

    core pouvoir nous craser, mais ils savent que

    demain ce sera trop tard. Ils veulent donc nousforcer leur livrer bataille aujourdhui.

    Tomberons-nous dans ce pige grossier, ouvriers?Non. Nous ferions trop de plaisir aux bourgeois, etnous ruinerions notre cause pour longtemps. Nousavons pour nous la justice, le droit, mais notre force

    nest pas encore suffisante pour lutter. Comprimonsdonc notre indignation dans nos curs, restonsfermes, inbranlables, mais calmes, quelles que

    soient les provocations des blancs-becs impertinents

    de la bourgeoisie. Souffrons encore, ne sommes-nous pas habitus souffrir? Souffrons, mais nou-

    blions rien.

  • LA DOUBLE GRVE DE GENVE 47

    Et, en attendant, continuons, redoublons, ten-

    dons toujours davantage le travail de notre propa-

    gande. Il faut que les travailleurs de tous les pays,

    les paysans des campagnes aussi bien que les

    ouvriers des fabriques et des villes, sachent ce que

    veut lAssociation internationale, et comprennent

    quen dehors de son triomphe il ny a pour eux

    aucun autre moyen dmancipation srieux ; quelAssociation internationale est la patrie de tous les

    travailleurs opprims, le seul refuge contre lexploi-

    tation des bourgeois, la seule puissance capable de

    renverser le pouvoir insolent des bourgeois.

    Organisons-nous, largissons notre Association,

    mais en mmetemps noublions pas de la conso-lider, afin que notre solidarit, qui est toute notre

    puissance, devienne de jour en jour plus relle.

    Devenons de plus en plus solidaires dans ltude,

    dans le travail, dans laction publique, dans la vie.

    Associons-nous dans des entreprises communespour nous rendre lexistence un peu plus supportable

    et moins difficile; formons partout et autant quil

    nous sera possible ces socits de consommations,

    de crdit mutuel et de production, qui, tout inca-

    pables quelles sont de nous manciper dune ma-nire suffisante et srieuse dans les conditions co-

    nomiques actuelles, habituent les ouvriers la pra-

    tique des affaires et prparent des germes prcieux

    pour lorganisation de lavenir.

    Cet avenir est proche. Que lunit desclavage etde misre qui embrasse aujourdhui les travailleurs

  • 48 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL lgalit

    du monde entier se transforme pour nous tous enunit de pense et de volont, de but et daction, et lheure de la dlivrance et de la justice pour tous,

    lheure de la revendication et de la pleine satisfac-

    tion sonnera.

    [galit an 3 avril 1869.)

    Org-anisation et grve gnrale (*).

    Ouvriers, conservez le plus grand calme. Si vos

    souffrances s^nt grandes, soyez hroques et sachez

    les supporter encore; lisez avec attention ce que le

    journal VInternationale dit aux ouvriers du bassin

    de Charleroi (^), tout cela est bon apprendre pour

    nous.

    (i) Dans le numro de VEgalit qui contient larticle Ladouble grve de Genve se trouvent encore deux courts articlesqui compltent celui-l : lun parle de Vore;anisation ouvrire,lautre de la grve gnrale. Quoiquils semblent avoir tcrits par Perron plutt que par Bakounine, nous les repro-duisons ici, parce que les penses quils expriment appartien-nent bien lordre des ides dont se composait la propagandefaite par Bakounine dans lInternationale.

    (2) Il sagit dun article publi dans V Internationale, deBruxelles, du 27 mars, et que lEgalit a reproduit dans cemmenumro. En voici les principaux passages :

    Cest aujourdhui, 26 mars, lanniversaire des massacresde la fosse de lEpine...

    a Cet anniversaire est la fois pour nous un deuil et untriomphe...

    Jamais linutilit de la rpression na t mieux dmon-tre. Avant la sanglante tragdie de lEpine, jamais la ques-tion sociale navait t pose dans le bassin de Charleroi-Depuis, lAssociation internationale des travailleurs y comptequarante-deux sections renfermant des milliers dadhrents...

  • ORGANISATION ET GRVE GNRALE 49

    Ecoutez, enfin, le sage conseil que nos frres

    belges nous donnent :

    Que nos frres de Suisse patientent encore quel-

    Aujourdhui les ouvriers ont en main le levier qui doitrenverser leurs oppresseurs ; lassociation; forts de leurnombre, confiants dans leur droit, ils ddaignent les violencesinutiles et se garderont bien de courir au-devant dun nouveaumassacre, dont se rjouiraient leurs oppresseurs. Ils ont appris patienter, et ils sorganisent pour prparer lavnement deljustice.

    c Prenez patience, ouvriers, prenez patience. Si vous levoulez, un jour viendra o les esclaves daujourdhui serontles matres; mais pour cela il faut que vous sachiez con-tenir votre colre lgitime jusqu ce que tous les travailleursse soient entendus pour travailler en commun leur dli-vrance.

    Quand vous vous tiendrez par la main, que pourront faireles quelques milliers dindividus qui se sont cr une belleexistence au prix des larmes et du sang du peuple.

    i Ne vous laissez pas dcourager par ceux qui vous disentquun tel jour ne viendra jamais : il viendra, si vous le voulez;il viendra, et lon stonnera alors quon ait jamais pu endouter.

    (I II viendra, le jour de la justice, et sa venue tous le salue-ront et diront : Comment avons-nous pu demeurer si long-temps dans la nuit?

    Dj parat laurore; dj ses premiers rayons commencent percer les tnbres : courage, amis, le grand jour estproche.

    Mais de nouveaux massacres allaient avoir lieu en Belgique,quelques jours aprs. Les g, 10 et 11 avril, ce fut le mas-sacre de Seraing (tablissements Cockerillj ; la semaine sui-vante, le massacre du Borinage, Frameries. Eugne Hins,que le Conseil gnral belge avait envoy Seraing dabord,puis dans le Borinage, pour tcher de calmer leffervescencedes ouvriers et leur faire comprendre linutilit de lmeute (Correspondance de De Paepe dans VEgalit), fut arrt;* desperquisitions furent pratiques chez les membres du Conseilgnral belge. Pour les incidents qui suivirent (en particulierla mort et les funrailles de Jeanne Brisme, 17-19 mai), voirLInternationale, Documents et Souvenirs, tome I", pages 149i58-i6i.

  • 5o ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL VEg-alit

    que temps ! Commenous, ils sont obligs dattendreque le signal de la dbcle sociale arrive dun grand

    pays, que ce soit lAngleterre, la France ou lAlle-

    magne. En attendant, continuons grouper en fais-ceaux toutes les forces du proltariat, aidons-nous

    le mieux possible dans les maux que ltat actuelnous fait subir, et surtout tudions la solution des

    grands problmes conomiques qui se poserontdevant nous au lendemain de la victoire, cherchons

    comment nous pourrons le mieux procder laliquidation de lancienne socit et la constitution

    de la nouvelle.

    Patientez, patientez, il viendra, le jour de la jus-

    tice ; en attendant, serrez vos rangs et fortifiez

    votre organisation.

    Les nouvelles concernant le mouvement ouvriereuropen peuvent se rsumer en un mot : grves. EnBelgique, grve des typographes dans plusieurs

    villes, grve des fileurs Gand, grve des tapissiers

    Bruges; en Angleterre, grve imminente dans lesdistricts manufacturiers; en Prusse, grve des

    mineurs de zinc; Paris, grve des pltriers-peintres; en Suisse, grves Ble et Genve.

    A mesure que nous avanons, les grves se multi-plient. Quest-ce dire? Que la lutte contre le tra-vail et le capital saccentue de plus en plus, quelanarchie conomique devient chaque jour plus pro-fonde, et que nous marchons grands pas vers le

  • ORGANISATION ET GREVEGENERALE 5 I

    terme fatal qui est au bout de cette anarchie : la

    Rvolution sociale. Certes, lemancipation du pro-

    ltariat pourrait seffectuer sans secousses, si \fi.

    bourgeoisie voulait faire sa nuit du 4 aot, renon-

    cer ses privilges, aux droits daubaine du capital

    sur le travail; mais Tgolsme et laveuglement bour-

    geois sont tellement invtrs, quil faut tre opti-

    miste quand mmepour esprer voir la solution duproblme social dune commune entente entre lesprivilgis et les dshrits; cest donc bien plutt

    des excs mmede lanarchie actuelle que sortira lenouvel ordre social.

    Lorsque les grves stendent, se communiquentde proche en proche, cest quelles sont bien prs de

    devenir une grve gnrale; et une grve gnrale,

    avec les ides daffranchissement qui rgnent aujour-

    dhui dans le proltariat, ne peut aboutir qu ungrand cataclysme qui ferait faire peau neuve la

    socit. Nous nen sommes pas encore l, sansdoute, mais tout nous y conduit. Seulement, il faut

    que le peuple soit prt, quil ne se laisse plus esca-

    moter par les parleurs et les rveurs, comme en 48,et pour cela il faut quil soit organis fortement et

    srieusement.

    Mais les grves ne se suivent-elles pas si rapide-

    ment, quil est craindre que le cataclysme narrive

    avant lorganisation suffisante du proltariat? Nousne le croyons pas, car dabord les grves indiquent

    dj une certaine force collective, une certaine

    entente chez les ouvriers; ensuite, chaque grve

  • 5 2 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL VgaUl

    devient le point de dpart de nouveaux groupe-ments. Les ncessits de la lutte poussent les tra-vailleurs se soutenir dun pays lautre et dune

    profession lautre; donc, plus la lutte devient

    active, plus cette fdration des proltaires doit

    stendre et se renforcer. Et alors des conomistes .la vue troite viennent accuser cette fdration des

    travailleurs, reprsente par lAssociation interna-

    tionale, de pousser la grve et de crer lanar-

    chie! Cest tout simplement prendre leffet pour lacause : ce nest pas lInternationale qui cre la

    guerre entre lexploiteur et lexploit, mais ce sont

    les ncessits de la guerre qui ont cr lInternatio-

    nale (i).

    [galit du 3 avril 1869.)

    (1) Lassemble bourgeoise du3i mars provoqua une contre-manifestation de la part de la classe ouvrire. Une assemblede protestation fut convoque pour le vendredi 2 avril, auStand de la Coulouvrenire, assemble compose exclusive-ment douvriers de nationalit suisse, afin que les adversairesne pussent pas continuer prtendre que ctait llmenttranger qui fomentait les grves et qui dominait le mouve-ment ouvrier Genve. Plus de cinq mille ouvriers suissesrpondirent lappel; ils votrent lunanimit une adresseprotestant nergiquement contre les assertions contenuesdansladresse bourgeoise du 3i mars; elle disait : Nous repous-sons avec indignation la calomnie qui prsente les grvesactuelles comme ayant t dcrtes linstigation de ltran-ger, dans le but de compromettre notre indpendance natio-nale; nous dclarons en outre, nous membres des diversessocits ouvrires adhrentes lAssociation internationale destravailleurs, que nous navons jamais reu, ni directement, niindirectement, dordres de ltranger; que, si le canton deGenve voit son industrie pricliter, ce nest pas par le fait dedcrets imaginaires venantde Londres ou de Paris, et quenfince nest pas nous qui songeons supprimer le travail, ni mme

  • EN RUSSIE . 53

    VEn Russie ().

    Ce qui se passe actuellement en Russie est dignede laitention de tous les dmocrates socialistes de

    lEurope.

    lentraver ; en outre ladresse revendiquait la libert desentendre avec des camarades pour les engager ne pas tra-vailler dans des ateliers ou chantiers dclars en grve , etterminait en disant : Nous concentrerons tous nos tfortsettoute notre nergie pour apporter de profonds changementsdans les rapports entre le capital et le travail . Cette impo-sante manifestation ouvrire causa une profonde impressionsur les esprits; les dlgus de lAssociation des patrons dubtiment signrent le lo avril une convention faisant droitaux rclamations des ouvriers et accordant en outre une aug-mentation de salaire. Quant la grve des typographes, ellese prolongea jusquen juin ; mais commeun tiers des ouvrierstypographes staient refuss cesser le travail, les patronsgardrent lavantage, et les grvistes rentrrent, vaincus, dansles ateliers, lexception de quelques-uns qui, avec lappui delInternationale, fondrent une imprimerie cooprative.

    (i) Le jeune rvolutionnaire Netchaief, venant de Russie,tait arriv en Belgique en mars i86q; avant la fin de mars iltait Genve, o il se mit immdiatement en rapports avecBakounine. Celui-ci mcrivit (lettre du i3 avril) : A cetteheure, je suis excessivement proccup de ce qui se passe enRussie. Notre jeunesse, la plus rvolutionnaire peut-tre, tanten thorie quen pratique, qui existe au monde, sagite au pointque le gouvernement a t forc de fermer les universits,acadmies, et plusieurs coles, Saint-Ptersbourg, Moscouet Kazan. Jai maintenant ici un spcimen de ces jeunesfanatiques qui ne doutent de rien et qui ne craignent rien, etqui ont pos pour principe quil en doit prir sous la main dugouvernement beaucoup, beaucoup, mais quon ne >e reroserapas un instant jusqu ce que le peuple se soit soulev. Ils sontadmirables, ces jeunes fanatiques, des croyants sans Dieu etdes hros sans phrases! Papa Meuron aurait plaisir voircelui qui loge chez moi, et toi aussi.

  • 54 ARTICLES CRITS POUR LE JOURNAL rgaUl

    Il faut avouer quon a eu jusquici des idees par-

    faitement errones sur le caractre et sur les ten-

    dances, aussi bien que sur la situation conomique,

    des peuples qui habitent ces vastes contres. Ainsi,

    ntait-ce pas, nest-ce pas encore une opinion assezgnrale en Europe que le tsar actuel (), bienfaiteuret librateur de ces peuples, tait lobjet de toutes

    les adorations populaires? quil a rellement man-cip les paysans russes et tabli sur des bases solides

    le bien-tre de ces communauts rurales qui consti-tuent toute la force et toute la richesse de lEmpire

    de toutes les Russies? Na-t-on pas cru et dit que,

    puissant de tout le bonheur quil a cr et de toutela reconnaissance quil a mrite, il navait quun

    signe faire pour lancer ces millions de barbares

    fanatiques contre lEurope.

    On la dit et on la rpt sur mille tons diffrents :les uns sans se douter, les autres sachant fort bien,

    quils rendaient par l mmeun immense service la puissance tant dteste des tsars, puissance fonde

    beaucoup plus sur limagination, sur cette terreur

    panique quelle rpand si habilement autour delle,

    et sur le parti que ses diplomates savent en tirer,

    que sur des faits rels.

    Ainsi navaii-on pas cru, en 1861, sur la foi des

    dpches du prince Gortchakof et de la presse russet non russe stipendie par le gouvernement deSaint-Ptersbourg, que tout le peuple russe, de

    (i) Alexandre II.

  • EN RUSSIE 55

    toutes les classes : noblesse, prtres, marchands,

    jeunesse des universits, et les paysans surtout,

    taient unanimes pour craser, pour anantir la

    Pologne; que le gouvernement, qui aurait peut-tre

    voulu agir avec plus de modration, stait vu forc

    de devenir le bourreau de cette nation malheureuse,

    et quil lavait noye dans son sang rien que pour

    obir cette volont unanime et cette immensepassion populaire?

    A trs peu dexceptions prs, tout le monde lavaitcru en Europe, et cette croyance gnrale avait

    beaucoup contribu, sinon comprimer lindigna-tion du public europen, du moins en paralyser

    les effets. La