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ACTION CONCERTEE INCITATIVE

Action concerte incitative"La notion de fonction dans les sciences humaines, biologiques et mdicales"Journe d'tude interne

Neuroanatomie fonctionnelle, Physiologie, Psychologie et Neurophysiologie

Organise par Olivier Houd l'Universit Paris 5le 11 fvrier 2005

Textes des ateliers

Table des matiresPrsentation gnrale, par J. Gayonp. 2Atelier "Une nophrnologie? Perspective historique"-J.F. Braunstein, "Antipsychologisme et philosophie du cerveau"p. 4

-L. Clauzade, " La neuroimagerie cognitive: une actualit de Gall?"p. 17

-J.C. Dupont, " Note sur louvrage de William R. Uttal, The New Phrenology.The Limits of Localizing Cognitive Processes in the Brain (2001)" p. 25-D.Forest, "Remarques sur l'ide d'une no-phrnologie, sur la neuropsychologie et la neurophysiologie d'aujourd'huip. 30

Atelier "L'explication fonctionnelle: perspective pistmologique"-F. Longy, "Concilier les deux aspects marquants du discours fonctionnels"p. 37

P. Huneman, "Questions sur lusage du concept de fonction en neuroimagerie fonctionnellep. 44

-A. Plagnol, "Les bases psychiques du systme nerveux"p. 50

-J. Gayon, "Questions aux neuropsychologues"p. 55

Prsentation gnrale

Les textes ici runis ont t exposs lors d'une journe d'tude organise dans le cadre de l'ACI "La notion de fonction dans les sciences humaines, biologiques et mdicales", qui associe quatre quipes de recherche. Organise l'initiative d'Olivier Houd, professeur l'Universit Paris 5 et responsable de l'une des quipes impliques dans cette ACI, cette journe avait pour objet d'tablir un dialogue entre des spcialistes de neuroanatomie fonctionnelle, d'une part, des historiens des sciences et pistmologues d'autre part. La journe tait divise en deux parties. La premire a consist en expos de synthse par des scientifiques: Alain Berthoz (Collge de France, membre de l'ACI), Olivier Houd (Universit Paris 5) et Laurent Cohen (Paris 6, Salptrire). Ces exposs ont permis de cerner les contours de la neuroanatomie fonctionnelles des points de vue de la physiologie, de la psychologie, et de la neuropsychologie clinique. Ils s'appuyaient sur un ensemble de documents pralablement distribus aux participants, que l'on peut trouver sur le site web http://christophe.malaterre.free.fr/Fonction/. La seconde partie de la runion a consist en deux ateliers de nature historique et pistmologique: (1) "Une nophrnologie? Perspective historique", avec la participation de Jean-Franois Braunstein, Laurent Clauzade, Jean-Claude Dupont, Denis Forest; (2) "L'explication fonctionnelle. Perspective pistmologique", avec l participation de Jean Gayon, Philippe Huneman, Franoise Longy, Marie-Claude Lorne, Arnaud Plagnol. Le prsent document reproduit la plupart des rflexions exposes dans ces ateliers. Il s'agit de document de travail, dont toute diffusion ou citation est soumise l'approbation des auteurs.

Je remercie trs vivement Olivier Houd, ainsi que tous ceux qui ont expos ou particip aux discussions de cette journe passionnante. Je la considre comme exemplaire d'un collaboration change fcond entre des scientifiques et des historiens ou philosophes des sciences.Paris, le 2 septembre 2005

Jean GayonCoordonnateur de l'ACI "Fonction"

Atelier de discussion 1Une nophrnologie? Perspective historiqueACI "La notion de fonction dans les sciences biologiques et mdicales"

Journe d'tude "neuroanatomie fonctionnelle: physiologie, psychologie et neuropsychologie",

Organise par Olivier Houd, Professeur l'Universit Paris 5 le 12 fvrier 2005

Atelier "Une nophrnologie? Perspective historique"

Commentaires de Jean-Franois Braunstein

ANTIPSYCHOLOGISME ET PHILOSOPHIE DU CERVEAUDeux des thses les plus provocatrices d'Auguste Comte, sa critique radicale de la psychologie et sa dfense corrlative de la phrnologie, sont aussi parmi celles qui ont t les plus mal comprises : elles ont mme quelquefois t tenues, par exemple par Alfred Binet, pour la marque de l'"aberration" mentale de leur auteur. Elles peuvent galement servir de pierre de touche pour distinguer les disciples "dissidents" et "orthodoxes". Les dissidents les refusent totalement : Mill parle de "sophisme" propos de la critique de la psychologie et avoue sa "honte" devant l'adhsion de Comte la phrnologie . Littr affirme qu'une psychologie scientifique est possible et voit dans la phrnologie comtienne une "hypothse ente sur une hypothse" . En revanche, les orthodoxes, comme les mdecins Robinet ou Audiffrent, y voient une partie essentielle de l'oeuvre de Comte, qu'ils s'efforcent de continuer .

Les commentateurs tendent aussi attnuer la porte de ces dclarations de guerre la psychologie : Levy-Bruhl estime qu'"il est inexact de dire qu'il n'y a point de psychologie chez Comte". Aujourd'hui certains des interprtes les plus autoriss avancent que la psychologie, par une sorte de "retour du refoul", est "omniprsente dans les interrogations comtiennes" .

Pourtant, la volont de "tuer" le "psychologisme" est trs explicite, et rpte du dbut la fin de l'oeuvre de Comte, comme l'est son admiration pour Gall et la phrnologie. Il conviendrait donc de s'interroger sur la signification de ces thses paradoxales, en particulier "dans leur contexte". Une telle tude en accentuerait encore le caractre iconoclaste : Comte critique la psychologie en pleine vogue de la "psychologie" franaise, il vante la phrnologie alors qu'elle est en complet dclin. En outre, il peut sembler utile aujourd'hui de ne pas attnuer la radicalit de ces thses, alors mme que les questions de l'antipsychologisme et de la philosophie du cerveau sont parmi les plus discutes de la "philosophie de l'esprit" contemporaine . L'antipsychologismeLes positions de Comte sont claires. Refuser la psychologie, c'est indiquer que l'esprit ne peut en aucun cas se connatre lui-mme : pour connatre les "lois de la pense", il faut tudier soit ses "conditions organiques", c'est--dire le cerveau, et donc continuer le travail commenc par Gall, soit ses produits, et donc observer "la marche gnrale de l'esprit humain en exercice", en particulier la connaissance scientifique , ce qui constitue "l'objet gnral de la philosophie positive", et de la discipline qu'elle institue, la sociologie . Dans une terminologie emprunte Blainville, Comte explique que, dans le premier cas, les fonctions intellectuelles sont tudies sous le point de vue "statique", c'est--dire comme "apte agir", dans le second cas, sous le point de vue "dynamique", c'est--dire comme agissant effectivement" . Comte s'efforcera, dans la dernire partie de son oeuvre de runir ces deux approches, mais il le fera toujours sous une certaine conception du cerveau.

L'absence de la psychologie dans la classification comtienne des sciences n'est pas un simple oubli, mais une exclusion dlibre et argumente. C'est mme un point essentiel de la doctrine, dvelopp ds la premire leon du Cours de philosophie positive . Le premier des "quatre principaux avantages" procurs par la philosophie positive est la connaissance des "lois logiques de l'esprit humain" et la dmonstration qu'il n'y a pas de place pour cette "psychologie illusoire, dernire transformation de la thologie, qu'on tente si vainement de ranimer aujourd'hui" .

Comte fait ici bien sr allusion la "dplorable manie psychologique" que tente d'introduire en France le "fameux sophiste", Victor Cousin . Dans l'"Examen du trait de Broussais sur l'irritation", en 1826, il s'en prenait dj aux "quelques hommes" qui "ont essay de transplanter parmi nous la mtaphysique allemande, et de constituer sous le nom de psychologie une prtendue science entirement indpendante de la physiologie, suprieure elle" .

Ces prises de position datent des annes 1820-1830, au plus fort de la vogue de la "psychologie" introspective, principalement celle de Jouffroy et de Cousin . L'un tentait de fonder une "science des faits de conscience" sur une "observation intrieure", retournant le modle de la "mthode exprimentale de l'cole de la sensation" contre cette cole elle-mme, l'autre proposait, travers sa thorie de la "raison impersonnelle", une psychologie permettant de passer du subjectif l'objectif, car "la psychologie en nous clairant sur la nature de la raison nous conduit elle-mme l'ontologie" .

Il est certain que ces "psychologues" sont les premiers adversaires de Comte, des "mtaphysiciens" qui tentent de "ralentir la dcadence de leur prtendue science" en prsentant "leurs doctrines comme tant aussi fondes sur l'observation des faits" . Pourtant sa critique de la psychologie a des racines plus anciennes , puisque dans une lettre de 1819 son ami Valat, antrieure cette vogue "psychologique", il dnonce dj "tout ce qu'on appelle logique, mtaphysique, idologie" : ces diffrentes approches reposent sur la mme erreur qui consiste croire que l'on peut connatre notre esprit "a priori, dans sa nature", alors que cela n'est possible "qu'a posteriori, c'est dire d'aprs ses rsultats" . De mme, dans la 45me leon du Cours, ne tenant aucun compte de leurs conflits violents, il critique indiffremment les "vices fondamentaux" communs aux diffrentes "coles psychologiques", l'cole "franaise", c'est--dire les Idologues, "allemande", c'est--dire Cousin et les siens, et enfin "la moins consistante, mais la moins absurde de toutes, l'cole cossaise". L'hostilit la psychologie ne vise pas seulement l'cole de Cousin, mais toute philosophie qui pense que l'esprit peut se connatre lui-mme. Contradiction de l'introspectionEn effet, s'il est possible que l'esprit, c'est--dire l'intelligence, connaisse les passions, qui lui sont extrieures, en revanche il ne peut, selon Comte, se connatre lui-mme, l'organe observ ne pouvant tre le mme que l'organe observant . Durant toute son oeuvre, il rpte cet argument dont il dplore au passage que Broussais, qui l'a prcd dans la critique de la psychologie, n'ait pas davantage us. Il remplace simplement quelquefois esprit par "cerveau", quelquefois par "individu" : dans la lettre Valat, il note qu'"on observe les phnomnes avec son esprit : mais avec quoi observerait-on l'esprit lui-mme, ses observations, sa marche ? On ne peut pas partager son esprit, c'est dire son cerveau, en deux parties, dont l'une agit tandis que l'autre la regarde faire, pour voir de quelle manire elle s'y prend" . Dans l'"Examen" ou dans le Cours, il rpte qu'il faudrait "que l'individu pt se partager en deux, dont l'un penserait et l'autre dans ce temps se regarderait penser" .

Comte compare alors la pense l'oeil, qui voit les objets hors de lui, mais ne peut se voir lui-mme, moins d'user d'un objet extrieur, d'un miroir, ou de faire appel "un autre oeil" pour regarder les images qui se forment sur la rtine . Cet argument ancien remonte au moins Cicron, qui note, dans les Tusculanes, que "la force de l'me ne va pas jusqu' se voir directement ; mais c'est la mme chose pour l'oeil : l'me, qui ne se voit pas, distingue les autres objets" . Il a t repris contre Descartes par Gassendi dans ses Objections aux Mditations.Comte ironise en outre sur les exigences contradictoires de cette observation intrieure, qui demande que l'esprit soit au repos pour qu'on puisse l'observer, et qui n'a alors plus observer que "les oprations qui s'excuteront dans (notre) esprit lorsqu'il ne s'y passera plus rien". Il y a l des prtentions qui mriteraient "d'tre un jour portes sur la scne" . Au reste, l'incapacit o se trouvent ces psychologues de se mettre d'accord sur un seul rsultat "depuis deux mille ans" qu'existe la psychologie, leur sparation "en une multitude d'coles qui disputent sans cesse sur les premiers lments de leur doctrine" est bien la marque du caractre non scientifique de cette prtendue discipline. Dans la 45me leon, Comte moque l'"inintelligible logomachie, o des entits purement nominales se substituent sans cesse aux phnomnes rels" La source la plus directe de ces critiques comtiennes, ds 1819, est sans doute Bonald, qui avait publi en 1818 ses Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances humaines , o il moquait la prtention des Idologues se penser eux-mmes : ils se mettent "dans la position d'un homme qui voudrait se peser lui-mme sans balance et sans contrepoids". Selon une autre comparaison humoristique, chercher connatre son esprit, c'est faire "comme ces insenss du mont Athos, qui, les journe entires, les yeux fixs sur leur nombril, prenaient pour la lumire incre des blouissement de vue que leur causait cette situation" . Bonald reprend l'antique argument de l'oeil pour avancer que l'"homme ne peut pas plus se penser sans un moyen qui le rende sensible et en quelque sorte extrieur que l'oeil ne peut se voir" . L'esprit n'existe rellement, et ne peut tre tudi, que dans ce en quoi il se matrialise, c'est--dire pour Bonald le langage . L'homme est un tre social, l'homme abstrait, l'individu n'a aucune existence relle. Chez Comte comme chez Bonald, critique de l'introspection et de la psychologie vont de pair avec une critique radicale de l'individualisme . Critique de la conscience et du moi

Un autre argument n'apparatra que dans l'Examen et le Cours, qui consiste critiquer l'usage que la psychologie fait des notions de conscience et de moi. La notion de conscience est trop restreinte : si mme l'observation intrieure tait possible, elle conduirait "rtrcir extrmement l'tude de l'intelligence" , puisqu'elle la limiterait l'tude de "l'homme adulte et sain", excluant de fait le fou, l'enfant ou l'animal . Cet argument est pour l'essentiel emprunt Broussais, qui avait soulign, dans De l'irritation et de la folie, cette limitation de la psychologie fonde sur la conscience la connaissance de "l'homme adulte, veill bien portant, ayant longtemps exerc ses sens" et encore, condition qu'il ne soit pas "dans le premier sommeil, dans l'apoplexie, dans l'asphyxie". Elle ne pourrait s'appliquer "l'embryon, le foetus, l'enfant, l'homme dpourvu des sens de la vue et de l'oue (...) l'homme idiot de naissance" .

De mme le "sentiment du moi", qui est cens tre une donne immdiate de la conscience, n'est qu'une illusion. Le moi n'est en fait que le dernier quivalent de la notion mtaphysique d'me. Comme l'avait dj soulign Broussais, "le moi se trouve substitu l'me des vieilles coles" . Pour Comte le moi est mme sans doute la dernire survivance des entits de l'tat mtaphysique l'tat positif. En fait, selon Comte, les dcouvertes de Gall dmontrent que la "fameuse thorie du moi est essentiellement sans objet scientifique, puisqu'elle n'est destine qu' reprsenter qu'un tat purement fictif" . Le sentiment du moi n'est qu'un rsultat, trs abstrait et trs "indirect" du "consensus universel de l'ensemble de l'organisme" , rsultat, toujours instable, de sollicitations multiples et contradictoires, et dont l'harmonie est d'ailleurs "frquemment trouble dans les maladies" . De mme qu'il peut tre absent chez l'homme, lorsqu'il est enfant ou malade, le sentiment du moi peut l'inverse tre aussi bien prsent chez l'animal : "sans doute un chat ou tout autre vertbr, sans savoir dire je ne se prend pas habituellement pour un autre que lui-mme" .

L'unit qui est cense caractriser ce moi est en fait trs discutable : Comte parle de la "tnbreuse unit" des psychologues et des idologues" , qui conservent "un principe unique ou du moins souverain, ce qu'ils ont appel l'unit du moi afin de correspondre la rigoureuse unit de l'me" . Ces doutes sur l'unit du moi sont renforcs par les thses pluralistes des phrnologistes, qui vont conduire Flourens rpliquer, en prsentant "l'unit du moi" comme un "fait du sens intime", "plus fort que toutes les philosophies" et en ddiant son Examen de la phrnologie " la mmoire de Descartes" . Le dbat se poursuit jusqu' la fin du XIX sicle, par exemple chez Taine ou Ribot, voire mme chez des crivains comme P. Bourget .Les erreurs de DescartesAu del des divers "psychologistes" de son temps, la cible de la critique de Comte est Descartes, Descartes dont Cousin va d'ailleurs de plus en plus se rclamer . Broussais en faisait galement l'anctre des clectiques, le fondateur de la "psychologie moderne fonde sur le moi, la conscience" . Il proposait de rfuter le cogito d'une manire empirique, en s'appuyant sur les observations physiologiques et pathologiques qui relativisent la notion de moi : "l'erreur de Descartes est dmontre par la rflexion, qui nous apprend que l'homme existe avant le dveloppement du moi ou du je, pendant son absence et souvent aprs sa disparition" .

Selon Comte, Descartes est le premier de ceux qui pensent qu'on peut fonder la connaissance du monde sur la connaissance de l'esprit. Entre le monde et le sujet, Descartes a choisi le monde. Comte refuse cette tentative de "constituer l'unit intellectuelle par la voie subjective", qui inaugure certes la "mtaphysique moderne" , mais au sens trs ngatif que Comte donne ce terme. Il est impossible de fonder quelque synthse que ce soit sur une "intuition personnelle" . Le cogito n'est qu'individuel, et ce titre aussi abstrait que la notion mme d'individu. Comte rejette l'ensemble de la "mtaphysique ancienne, scolastique, ou moderne," qui "n'a jamais os s'lever au-dessus du simple point de vue individuel, dont elle s'est efforce, surtout depuis Descartes, de "consacrer dogmatiquement la prsence absolue", comme le montre un vocabulaire "rappelant toujours des penses d'isolement et de concentration personnelle"

L'autre grave erreur de Descartes, selon Comte, c'est de n'avoir su malgr son "audacieuse nergie (...) s'lever assez au-dessus de son sicle" pour "oser" aussi assujettir les "phnomnes intellectuels ou moraux" sa "vaste hypothse mcanique" et d'en avoir explicitement rserv l'tude la "philosophie mtaphysico-thologique" . C'est l que l'on voit le mieux la "pnible situation fondamentale" de l'esprit de Descartes, partag par "la lutte continue entre la tendance positive" et les "entraves thologico-mtaphysiques imposes par son poque" . L'approche "physiologique" des phnomnes mentaux, celle de Gall en particulier, permettra de dpasser cette sparation de la pense et de l'tendue, de l'me et du corps.

Enfin, au del de la simple question de la psychologie, la critique de Comte s'largit en une critique de la mthode cartsienne. Le positivisme permet d'tudier les "lois logiques de l'esprit humain", travers phrnologie et sociologie, mais aussi dmontre "l'inanit de l'art logique" tel qu'il a t pratiqu jusqu' prsent", c'est dire de la "mthode mtaphysique" de Descartes ou de Bacon. Comte refuse l'ide qu'il existe une seule mthode de recherche, fonde sur une nature de l'esprit humain, indpendante des objets auxquels il s'applique. "La mthode n'est pas susceptible d'tre tudie sparment des recherches o elle est employe" . Il convient donc d'tudier l'histoire des sciences pour comprendre le fonctionnement de l'esprit humain. En une sorte de "rgionalisme pistmologique" avant la lettre, Comte soutient que l'esprit n'existe qu'engag dans tel ou tel type de recherches effectif, et que les mthodes utilises ne sont pas les mmes suivant qu'on pratique telle ou telle science. La philosophie du cerveauPour Comte la psychologie doit tre remplace par une tude "physiologique" de l'organe de la pense, c'est--dire du cerveau. A l'instar de Broussais, il combat ceux qui tentent de faire de la psychologie une science indpendante et suprieure la physiologie. Au contraire, la physiologie est une science modle et les philosophes doivent s'instruire auprs des mdecins .

La pense est une fonction biologique comme les autres, cela semble pour Comte une vrit tablie : "Depuis Cabanis et Gall, on peut se dispenser de prouver que la pense ne constitue point une fonction isole, soustraite au consensus universel des phnomnes vitaux" . Cependant Cabanis avait eu le tort d'accorder trop d'importance aux viscres digestifs, et pas assez au cerveau. Pour Comte comme pour Gall, la pense est une fonction du cerveau , ainsi que l'indique le titre de la 45 leon du Cours : "considrations gnrales sur l'tude positive des fonctions intellectuelles et morales, ou crbrales".

Comte est plus radical mme que Gall, qui ne faisait du cerveau que l'"instrument de la pense". Il emploie souvent "cerveau" comme synonyme de "pense" : ainsi lorsqu'il explique que l'objectif de notre perfectionnement intellectuel est de "transformer notre cerveau en un miroir fidle du monde qui nous domine" . Gall savant et philosopheDu dbut la fin de sa vie, des lettres Valat aux lettres Audiffrent , Comte reconnat en Gall un "vrai gnie scientifique" . Il estime mme lui devoir plus qu' aucun autre penseur, except Condorcet, et ce titre le nomme son "second prcurseur ncessaire" . Dans le "Calendrier positiviste", il lui consacre l'important dernier jour du dernier mois, le mois de Bichat, celui de la "science moderne", le mettant ainsi sur le mme plan que Galile, Newton et Lavoisier. Ce jugement est relativement courant dans les annes 1820, lorsqu' il explique son ami Valat qu' "il n'est pas aujourd'hui un physiologiste clair et vraiment au courant qui n'admette les ides fondamentales" de Gall, qui a "complt la rvolution qui a rendu positive la physiologie, en soumettant l'ordre de phnomnes vulgairement appels "moraux" la mthode positive" . Mais un tel loge est totalement provocateur dans les annes 1850, alors que la phrnologie n'est absolument plus prise au srieux . Pourtant dans le Systme de politique positive, Comte rend un "juste hommage" son "principal guide" qui l'a "le mieux dispos construire une philosophie aussi purifie de toute ontologie que de toute thologie" et qui a enfin instaur "la thorie positive de la nature humaine" .

Pour Comte, Gall est tout autant un philosophe qu'un savant. Il rsume la "porte philosophique" de l'oeuvre de Gall en deux thses essentielles : "deux principes philosophiques, qui n'ont plus besoin d'aucune discussion, servent de base inbranlable l'ensemble de la doctrine de Gall, savoir : l"innit des diverses dispositions fondamentales, soit affectives soit intellectuelles ; la pluralit des facults essentiellement distinctes et radicalement indpendantes les unes des autres " . Ces deux principes anantissent les deux coles philosophiques alors dominantes. L'innisme permet d'en finir avec l'Idologie, la pluralit des facults avec la psychologie.

Le XIX sicle philosophique commence avec Gall, la phrnologie est l'"un des principaux lments par lesquels la philosophie du dix-neuvime sicle se distinguera dfinitivement de celle du sicle prcdent" . En dmontrant que les facults affectives et intellectuelles sont innes, et que leur sige est dans le cerveau, Gall permet une "raction salutaire" contre le sensualisme du XVIII sicle. Gall avait d'ailleurs le sentiment trs net de cette rupture : dans son Anatomie et physiologie du systme nerveux en gnral, il critique le sensualisme d'un Helvtius, "pangyriste le plus invtr des effets de l'ducation" . L'innisme de style matrialiste de Gall permet d'en finir avec les "rveries puriles de Condillac et de ses successeurs sur la sensation transforme" . Pour autant, cet innisme n'est en aucun cas un retour l'innisme cartsien.

Le second apport de Gall rside dans l'affirmation qu'il existe une pluralit de facults crbrales, et partant une pluralit d'organes crbraux. Le cerveau n'est pas proprement parler un organe mais un "vritable appareil plus ou moins complexe suivant le degr d'animalit" . La pluralit, les tensions et les combinaisons permettent de donner du dynamisme cet organe d'organes . La dcouverte de la pluralit des organes crbraux tait pourtant peu vidente la simple inspection du cerveau, car les organes y sont "plus contigus et plus semblables qu'en aucun autre systme". L'avantage "philosophique" de cette affirmation de la pluralit est de dtruire l'ide de l'unit du moi et en particulier de rfuter Descartes.

Ces thses philosophiques sont fondes sur le "vrai gnie scientifique" de Gall. Il est d'abord un minent anatomiste, qui a mis au point de nouvelles mthodes de dissection du cerveau. Mais il est galement un grand "physiologiste" : "quand tous les naturalistes s'accordaient n'tudier rellement que les animaux morts Gall fondait la principale analyse des penchants et des facults sur une admirable observation des actes vitaux" . Ainsi, l'innit des facults est prouve par l'existence, dans l'espce humaine, de "tous les cas de talents ou de caractres prononcs" , la pluralit par "la diversit de ces cas bien tranchs" et "la plupart des tats pathologiques" . "Perfectionnements" la phrnologie

En revanche Comte parat plus rserv quant la troisime thse principale de la phrnologie, l'ide de crniologie, selon laquelle les bosses du crne indiquent le dveloppement des diverses parties du cortex crbral et permettent ainsi, par palpation, de reprer les facults de tel ou tel sujet. Une telle localisation n'est pas fausse en principe, mais "prmature" : il n'est pas possible pour l'instant de se prononcer sur les localisations effectives, sur "la forme ni mme la grandeur de ces organes" crbraux . Contre "le vulgaire des phrnologistes", il prcise que par phrnologie "on n'entendra point dsigner ainsi une science faite, mais une science entirement faire, dont les principes philosophiques ont t jusqu'ici seuls convenablement tablis par Gall" .

Lorsque Comte, surtout dans le Cours, critique la phrnologie, il ne s'en prend pas Gall, mais la "frivole irrationalit" des ses imitateurs, qui multiplient les facults d'une manire "exorbitante" , voire, plus tard, aux "misrables intelligences" qui ont fait "dgnrer" la phrnologie "en un vulgaire charlatanisme" en s'en servant des fins de prdiction . La marque de sa dfiance l'gard de toutes les tentatives de localisation prmature est son refus explicite de produire une "tte phrnologique", localisant les diverses facults, comme le faisaient les continuateurs de Gall, alors mme qu'il serait possible de le faire en suivant ses indications . Il ragit ainsi contre toutes les tentatives de "popularisation de la phrnologie" et en raffirme le caractre scientifique. "L'exclusion des figures" lui semble "propre mieux carter le charlatanisme et la mdiocrit, en concentrant davantage une telle tude chez les seuls penseurs capables de la suivre aisment sans ce secours fallacieux" .

Mais, mme si la ralisation en est prmature, l'ide de localiser les facults est tout fait lgitime. Elle est un des exemples de ce "droit gnral des naturalistes l'institution des hypothses scientifiques" , permettant d'tablir la discussion sur des bases positives, sur lequel Comte insiste plusieurs reprises. Il relve sur ce point une difficult anatomique particulire au cerveau : sa forme, la diffrence de celle d'autres organes, n'explique pas ses fonctions, et "si la structure d'un appareil quelconque indique rarement ses fonctions, cela est surtout vrai du cerveau"

Comte propose en revanche "divers perfectionnements" apporter la doctrine de Gall : deux amliorations qui ne la remettent pas en cause, et un changement beaucoup plus considrable, qu'il prsente comme son oeuvre propre.

Le premier "perfectionnement" consiste "ne point cultiver cette tude isolment du reste de la physiologie animale". Pour marquer cet inflchissement, Comte propose de prfrer le terme de "physiologie phrnologique" celui de "phrnologie" . L"'tude des animaux" permettra de mieux dfinir l'inn et l'acquis et de rejeter la distinction entre instinct et intelligence, qui n'est pas une diffrence de nature. Toutes les facults, y compris les plus leves, commencent par l'instinct. L'intelligence est une facult pratique commune toute vie animale. Il faut ds lors complter Gall par J.F. Leroy, dont les Lettres sur les animaux de 1781 prcdent, dans la Bibliothque positiviste, le Trait sur les fonctions du cerveau de Gall, avec lequel elles doivent tre relies .

Une seconde amlioration consiste faire une plus grande part la "synthse", dont l'importance a t "oublie" par le "gnie trop analytique" de Gall. Il convient en particulier de ne plus tudier le cerveau isolment du reste de l'organisme : ce titre le Systme opre un certain retour l'"esprit plus synthtique" de Cabanis . A l'intrieur mme du cerveau, pour viter que le nombre des facults ne soit "indfiniment augment" , Comte propose de mieux tudier l'"association, soit synergique, soit sympathique, des diverses facults phrnologiques" . Sinon, " moins qu'une saine philosophie n'y mette ordre, tout phrnologue crera bientt une facult, en mme temps qu'un organe" . "Le cerveau social"Mais le principal bouleversement que Comte propose d'apporter la thorie de Gall consiste la complter par la sociologie et rendre ainsi dfinitivement positive l'tude de la nature humaine. Gall a toujours "confondu l'tude de l'homme individuel et celle de l'espce humaine" . Si la phrnologie n'a pu construire une "vritable physiologie du cerveau", c'est "faute de connatre les lois de l'volution collective" .

La construction scientifique dfinitive de la physiologie crbrale est "rserve au principe sociologique", et donc la philosophie positive : la "thorie crbrale" sera dsormais dfinie comme "l'inspiration sociologique, contrle par l'apprciation zoologique" . Les facults vont d'abord tre dfinies "subjectivement", par une tude sociologique, avant d'tre localises "objectivement", par des vrifications anatomiques.

A l'inverse la sociologie trouve d'une certaine manire son aboutissement dans la thorie crbrale. Elle doit dvelopper ces instincts sympathiques, que l'tude scientifique du cerveau a dcouvert, et ds lors, "conue dans toute sa vritable tendue, la science de l'esprit compose ncessairement la trs majeure partie de la sociologie" . Le cerveau ne relve plus seulement de l'anatomie, mais aussi de la sociologie et de la philosophie. Il peut mme avoir une vocation utilitaire, puisque dans le Catchisme positiviste, "le prtre" explique qu'il permet, en particulier aux femmes, de pntrer l'me humaine. "Le cerveau peut ainsi devenir un livre inaltrable, que vous lirez malgr tous les artifices de la dissimulation" .

Le cerveau est, selon Comte, un organe trs particulier, qui met en relation l'homme et la socit, ou plutt l'Humanit c'est--dire "l'ensemble des tres passs, futurs et prsents qui concourent librement perfectionner l'ordre universel" . Il est, par sa nature, particulirement sensible toutes les variations sociales. Le "cerveau subjectif" est dfini "sociologiquement" comme "appareil de l'action des morts sur les vivants" ou, en termes "subjectifs", comme "double placenta permanent entre l'homme et l'Humanit" . "Double" permet donc, selon le commentaire de Comte, de "distinguer toujours les deux ordres simultans de relations subjectives, d'une part avec le pass, de l'autre envers l'avenir" .

Le tableau "du cerveau ou de l'me"

Cette rflexion sur les liens entre thorie du cerveau et sociologie a une grande importance dans l'oeuvre de Comte : elle marque le passage ce qu'il appelle sa "seconde carrire", "subjective". Dat du 2 novembre 1846, le "tableau crbral" ou "classification positive des dix-huit fonctions intrieures du cerveau ou tableau systmatique de l'me", en une double page, est "le premier rsultat philosophique de (sa) rnovation finale" et le pralable ncessaire la construction du Systme de politique positive . Comte ne cessera de revenir sur ce tableau, dont il donnera dix rdactions successives jusqu'en 1850. Dans le Catchisme positiviste, il en souligne galement l'importance, puisqu' "il rsume tout ce qu'il y a de vraiment dmontr maintenant dans la thorie positive de la nature humaine"

Ce "tableau du cerveau ou de l'me" runit les dix-huit facults irrductibles en trois grands groupes : facults affectives, intellectuelles et actives : dix "moteurs affectifs" relevant du coeur, cinq "fonctions intellectuelles", et trois "qualits pratiques". Les facults intellectuelles ne reprsentent qu' peine "le quart ou le sixime de la masse encphalique" et ont donc un rle subordonn . Les facults affectives sont en revanche dterminantes. La pense est un moyen pour l'action, et l'action est motive par l'affection, suivant la formule "agir par affection et penser pour agir" qui est reproduite en marge du tableau crbral et runit ainsi les diverses facults .

La localisation "subjective", hypothtique, de ces facults reposera sur leur complexit , et sur leurs relations rciproques : elle est "relative" et non "absolue". Alors qu'elle communique avec les viscres vgtatifs, la rgion affective occupe une position centrale, car elle n'est relie au monde extrieur qu'indirectement, travers les facults actives et intellectuelles. La rgion active communique directement avec les nerfs moteurs, la rgion spculative avec les nerfs sensitifs. Leur loignement par rapport la moelle pinire, qui est considre suivant la thorie vertbrale de Goethe et d'Oken comme l'origine du cerveau, indique leur complexit croissante.

La "prpondrance du coeur sur l'esprit" est qualifie de "dogme positif de la science moderne" , que Comte reconnat n'avoir peru dans toute son ampleur qu'aprs la rencontre dcisive avec Clotilde. De ce point de vue, Gall, et plus encore Spurzheim, ainsi qu'Adam Smith et les Ecossais, ont su noter l'importance des "instincts sympathiques" et altruistes et ont ainsi rfut l'intellectualisme de la philosophie du XVIII sicle, qui postulait un "tre essentiellement raisonneur" .

Cette prpondrance des facults affectives implique que l'homme est m par des sentiments essentiellement "altruistes" et fonde scientifiquement la critique de l'gosme et des morales de l'intrt. Comte ne cesse d'insister sur l'importance d'une dcouverte qui "dmontre" que l'homme est par nature un tre social, dot de facults affectives prpondrantes . Il fait mme l'honneur Gall d'avoir pressenti cette "relation directe" entre les conditions crbrales de la "vie affective" et les possibilits de "dveloppement collectif. Cerveau et "thorie de la maladie"

La liste des facults est dtermine par la sociologie, appuye sur l'histoire et l'observation des hommes, et en particulier de leurs maladies . Ds le Cours, Comte propose de s'aider de l'analyse pathologique, inspire du "principe de Broussais", pour amliorer la phrnologie, "dvoiler ou confirmer les vritables facults fondamentales de la nature humaine" partir de "l'tude judicieuse de l'tat de folie" . Le caractre social du cerveau se manifeste surtout lors de ses dysfonctionnements : "l'tude des maladies crbrales, soit mentales, soit surtout morales, indique directement l'irrationalit ncessaire des conceptions relatives l'homme individuel" . On connat les enseignements que Comte tire de ses propres crises crbrales", qui lui permettent de vrifier la loi des trois tats, puisqu'il la parcourt "d'abord en sens inverse , puis en sens direct" . De mme il estime que les "pidmies" sont pour la plupart dues des "commotions politiques" et sociales, "comme les affections cholriques survenues dans ce sicle, aprs la secousse antibourbonienne de 1830, la crise rpublicaine de 1848, et finalement la crise dictatoriale (1851)". La "maladie occidentale", qui selon Comte affecte tout l'Occident, doit tre "habituellement attribue au centre crbral" . Cette "insurrection continue des vivants contre les morts", ce refus de la tradition et de l'avenir, est particulirement grave car elle tend " rompre le placenta dans les deux sens" .

A l'inverse, Comte ne doute pas que le cerveau, lorsqu'il dveloppe ses fonctions altruistes, puisse avoir un rle bnfique et accrotre la longvit du corps. Le cerveau est dot d'une "constitution plus stable" que le corps et "pourrait (..) user deux corps, et peut-tre trois" . Pour accrotre la longvit humaine, pour atteindre les deux sicles dont parlait Hufeland, Comte estime qu'il faudrait instaurer "une meilleure harmonie entre le corps et le cerveau, par le dveloppement des ractions peine bauch jusqu'ici du moral sur le physique".

De mme le retour l'ordre dans la socit devrait liminer toutes les causes de maladie : le positivisme devient de plus en plus, dans les derniers textes de Comte, un remde, et son avnement la promesse d'une sant parfaite. De manire trs prcise, le "tableau crbral" est la base de la "thorie de la maladie" que Comte expose dans ses lettres de 1854 1856 son disciple mdecin Audiffrent. Toutes les maladies ont une "source essentiellement crbrale (...) au moins dans l'homme, surtout civilis" et leur classification rsulte du tableau crbral . D'o la ncessit de l'introduction systmatique d'un point de vue social dans toutes les conceptions mdicales, en particulier dans ce que Comte appelle la "partie transcendante de l'art mdical", c'est--dire la psychiatrie. C'est cette condition seulement que les mdecins pourront viter de dgnrer en "vtrinaires", qui n'tudient en nous "que l'animal et non l'homme", en oubliant notre caractre d'tre social . *

Comte ne renonce jamais la critique de la psychologie au profit de la phrnologie, qui intervient au contraire des moments privilgis de son oeuvre. Il serait certes facile de noter que ces prises de parti interviennent des dates cruciales dans la vie et dans l'oeuvre de Comte. La dnonciation de la psychologie dans l'"Examen du trait de Broussais" marque le retour de Comte la vie intellectuelle aprs la crise de dmence de 1826, l'laboration du tableau crbral a lieu quelques mois aprs la mort de Clotilde de Vaux en 1846. L'impossibilit de fonder la pense sur elle-mme est particulirement flagrante dans ces priodes de trouble.

Au-del de cet aspect biographique, il apparat que le recours insistant au terme de cerveau permet Comte de refuser tout caractre supraorganique la pense : dans l'"Examen", dans un style quasi matrialiste, il reprend son compte l'affirmation de Broussais que l'me est "un cerveau agissant et rien de plus" . Dans le Systme, donc dans la phase la plus explicitement antimatrialiste de toute son oeuvre, il se rsume en toute clart : "en un mot, on voit souvent des corps sans me, mais on ne voit aucune me sans corps" .

Mais, l'inverse, l'introduction du point de vue sociologique, permet de rcuprer la plupart des fonctions traditionnelles de l'me, son immatrialit tant remplace par la rfrence au "Grand Etre" qu'est l'Humanit. La thorie du cerveau propose mme un quivalent lac de la thorie de l'immortalit de l'me : plusieurs mes peuvent venir "spontanment siger dans un mme cerveau, quand son pouvoir sympathique est assez assist par l'esprit synthtique" et "chaque cerveau s'assimile les conceptions et les sentiments de tous ses semblables", en particulier de ses prdcesseurs . Le cerveau non seulement vit plus longtemps que le corps, mais il dure ternellement, ou en tout cas tant qu'il restera un dernier homme, un dernier cerveau pour recueillir la mmoire de l'Humanit.

Cette "thorie simultane du cerveau et de l'me" est prsente par Comte comme un fait, qui ne peut en un certain sens tre justifi. Il y a l un "mystre", qui runit un organe en apparence grossier et l'Humanit, le nouveau "Grand Etre" de la religion positive : c'est sans doute une marque de l'"inflexible connexit" vitale qui "fait toujours dpendre les plus nobles attributs des plus grossires fonctions" . Mais, chez Comte, nul tremblement devant de tels mystres, un simple constat, qu'ils sont "heureusement aussi oiseux qu'impntrables" .ACI "La notion de fonction dans les sciences biologiques et mdicales"

Journe d'tude "neuroanatomie fonctionnelle: physiologie, psychologie et neuropsychologie",

Organise par Olivier Houd, Professeur l'Universit Paris 5 le 12 fvrier 2005

Atelier "Une nophrnologie? Perspective historique"

Commentaires de Laurent ClauzadeLa neuroimagerie cognitive: une actualit de Gall?

Si l'on parle, en bien ou en mal, de no-phrnologie pour qualifier les recherches en neuroimagerie cognitive, c'est que l'on suppose qu'il y a une actualit de la phrnologie, et la possibilit d'une filiation.

Nous allons essayer de voir, malgr le foss historique qui nous spare de Franz Joseph Gall (1758-1828), et en faisant fi des rclamations souvent justes du relativisme historique, ce qui, dans son oeuvre, peut lgitimer une telle filiation. Si Gall n'a pour sa part jamais utilis le terme de phrnologie (le terme est de Spurzheim), c'est en effet lui que l'on se rfre lorsqu'on voque cette science de la pense dont il a t incontestablement le fondateur.

Nous nous proposons d'axer cette tude autour de la notion de fonction crbrale, et de l'tager en trois niveaux. Nous verrons d'abord comment la notion physiologique de fonction crbrale permet de runir l'approche psychologique et anatomique au sein dune mme thorie; nous nous intresserons ensuite la faon dont Gall conoit les fonctions, comme des sortes systmes intgrs, des modules, qui s'articulent autour de la distinction force fondamentale/attributs; enfin nous traiterons du fonctionnement crbral global, rsultat de l'activit de l'ensemble des fonctions.

1er niveau: facults de l'me et fonctions crbrales.

Gall a pos une stricte quivalence entre l'ide psychologique de facults de l'me et celle de fonctions crbrales. Les facults de l'me, que Gall dsigne aussi du terme gnrique de forces fondamentales (les aptitudes industrielles, les qualits ou les dispositions morales et intellectuelles) sont toutes des fonctions crbrales, rattaches une partie dtermine du cortex, isole en organe indpendant. Cette quivalence, ajoute au fait que Gall a dlibrment tourn le dos l'exprimentation physiologique (la mthode des ablations de Flourens, par exemple) ainsi qu' toute approche sensori-motrice, fait que sa physiologie se confond en grande partie avec une psychologie des facults.

Mais le mrite de Gall rside surtout dans le fait d'avoir appuy cette quivalence sur une doctrine liant de faon intime analyse psycho-physiologique et anatomie, c'est--dire liant une thorie des fonctions une thorie de la structure crbrale.

C'est cette liaison qui est au centre de la contestation entre Gall et Cuvier. Alors que Cuvier refusait de reconnatre un lien entre les travaux anatomiques de Gall et sa thorie des fonctions, Gall raffirmait de son ct la lgitimit de cette liaison. Selon ce dernier, toute doctrine sur les fonctions du cerveau seraient fausse, si elle se trouvait en contradiction avec sa structure. (...) il est hors de doute que l'anatomie du cerveau ne se trouve dans une concordance parfaite avec ma physiologie du cerveau [Gall, 1822, 23-25].

En outre, la thorie de Gall rattache au cerveau, de manire dfinitive, l'ensemble des fonctions morales, les motions et les passions aussi bien que les penses. Ce faisant, il focalise l'attention des contemporains sur le cortex proprement dit, qui tait jusque l nglig. Sur ce point, l'hommage de Flourens est sans ambigut: En rsum, Gall a ramen le moral l'intellectuel; il a ramen les qualits morales au mme sige, au mme organe que les facults intellectuelles; il a rendu au cerveau tout ce qu'on lui tait tort; en un mot, il a restitu au cerveau tout son domaine [Flourens, 2000, 192].

C'est incontestablement le titre de gloire de Gall que davoir insist sur la correspondance entre physiologie et anatomie, et davoir bti sa doctrine autour de cette ide. C'est lui qui initie vritablement la recherche des localisations crbrales. De ce point de vue, la phrnologie nest pas une fausse science, comme on se plat souvent le rpter, et cest une erreur de la rapprocher de la physiognomonie, cause de la palpation des crnes et de la prognostication des caractres partir de cette palpation. En effet, la surface du crne renvoie ici une intriorit organique: l'organe crbral dont il s'agit de dterminer biologiquement la structure, en liaison avec une thorie des fonctions. Il y a l lhypothse de corrlations scientifiquement testables.

Ce premier niveau danalyse nous rvle donc un Gall largement consensuel, et toute recherche actuelle en neuropsychologie et en neuroimagerie peut incontestablement se rclamer de lui.

2e niveau: forces fondamentales et attributs.

La psycho-physiologie expose par Gall est construite partir de la distinction cardinale entre force fondamentale et attributs.Les forces fondamentales.Ce sont les vritables fonctions crbrales, et elles se voient attribuer un organe prcis, en l'occurrence une partie dtermine du cortex. Encore une fois, les termes fonctions crbrales et forces fondamentales sont strictement quivalents, cette nuance prs que le second terme rend explicite le dynamisme inhrent toute manifestation organique. Par ailleurs, ces forces ou fonctions sont innes, et se retrouvent toutes au sein d'une mme esppce. L'numration, la description et la localisation des 27 forces fondamentales constitue l'objet de ce que Gall appelle l'organologie. Parmi ces forces on trouve des dispositions morales ou intellectuelles, des talents, des sens particuliers, etc. (voir annexe)

La caractristique de cette psychologie est de prendre le contre-pied des psychologies intellectualistes traditionnelles, qui n'isolent que des facults abstraites et universelles, comme la sensation, la mmoire, le jugement, etc. L'objectif de Gall est de rendre compte des tres rels et des diffrences que l'on rencontre soit entre les espces (les diffrences seront alors expliques par la prsence ou l'absence de telle ou telle force), soit entre les individus d'une mme espce (l'explication rside alors dans le plus ou moins grand dveloppement des forces). Cette psychologie diffrentielle permettra par exemple de comprendre pourquoi les enfants d'une mme famille sont tous diffrents. Le succs populaire et politique de la phrnologie vient en grande partie de cette ambition d'expliquer scientifiquement les diffrences individuelles.Les attributs.A ct de la catgorie des forces fondamentales, on trouve celle des attributs. Ces derniers n'existent pas par eux-mmes, mais sont relatifs aux facults fondamentales. C'est pourquoi ils ne sont pas localiss en tant que tels. Ainsi chaque facult possde son attention propre, sa mmoire, sa perception, etc. Certains attributs peuvent tre plus complexe, comme la volont ou la raison, qui sont le rsultat de l'action simultane des forces intellectuelles suprieures.

Dans le contexte d'une critique du sensationnisme, c'est--dire d'une doctrine qui faisait driver nos ides des sensations, cette thorie des attributs est videmment polmique. Du point de vue psycho-physiologique la sensation est secondarise au rang d'attribut, et du point de vue anatomique, les nerfs des sens (c'est--dire, dans le langage de Gall, les systmes nerveux ayant pour fonction de transmettre les informations de l'extrieur) sont soigneusement spars des organes corticaux qui seuls possdent la perception. Enfin, que les forces fondamentales, qui dterminent l'usage que l'animal fera de ses sens, soient innes, indique aussi que Gall s'inscrit radicalement en faux contre toute gense de lesprit partir des sensations.

Cette articulation entre forces fondamentales et attributs a retenu l'attention des psychologues, et on ne peut voquer ce systme de coordonnes rectangulaires [Spoerl, 1935, 223] sans rappeler la lecture modulariste qui en a t faite par Fodor. La distinction gallienne est interprte en termes de facults horizontales et de facults verticales. Aux forces fondamentales de Gall correspondent des modules priphriques, informationnellement cloisonns, destins traiter de manire rapide des types de stimuli bien dfinis, relatifs un domaine prcis. Ces modules sont ensuite coiffs par des systmes centraux, qui prennent en compte les reprsentations fournies par les systmes priphriques [Fodor, 1986, 134] et qui sont responsables notamment de la fixation de la croyance.

Si l'on fait dominer l'interprtation de Fodor, qui, indpendamment de sa pertinence dans le domaine de la philosophie cognitive, est une des grandes lectures de Gall, alors on dcouvre un aspect de la doctrine phrnologique beaucoup moins fdrateur que le point de vue prcdent. Notamment, la neuroimagerie qui privilgie les rseaux cognitifs grande chelle [Houd et al., 2002, 374] ne devrait pas se reconnatre dans ce Gall-l, fortement fodoris.

3e niveau d'analyse: le fonctionnement crbral global.

La thorie de Gall est cependant plus fdratrice que la lecture de Fodor ne le laisse penser. Pour le vrifier, il faut envisager le fonctionnement global de l'appareil crbral.

L'interprtation de Fodor est sujette deux objections:

1. La catgorie du gnral, chez Gall, est subordonne celle du particulier. Les attributs gnraux, sont subordonns aux facults fondamentales, qui ont des fonctions particulires et bien diffrencies. Au contraire, chez Fodor, les systmes centraux, qui sont moins propres un domaine (c'est--dire plus gnraux) que les modules, ont pour fonction d'exploiter les informations fournies par les modules [Fodor, 1986, 134]. Il y a donc inversion dans la hirarchisation des deux catgories.

2. On ne trouve chez Gall aucun systme central qui runirait et coordonnerait les diffrentes forces fondamentales. Le systme de Gall est a-centr.

La spcificit de la thorie anatomo-physiologique de Gall, c'est effectivement la postulation d'une pluralit radicale. Du point de vue de la localisation, l'affirmation qu'il n'y a pas de centre crbral, reste d'ailleurs le seul rsultat encore valide, bien que ngatif.

La question de l'unit n'est pas rsolue par la surimposition d'un systme supplmentaire, mais par la convergence/divergence dynamique des forces fondamentales. Chacune de ces forces est doue en effet d'une tendance dtermine, d'une nergie propre qui peut tre mesure par la grosseur de l'organe auquel elle correspond (d'o les protubrance, qui, en modifiant la surface du crne, permettent la localisation). L'unit, ou l'unification, est ainsi produite par le conflit de ces dynamismes, et consiste dans la prdominance de certaines forces sur d'autres. Mme la volont ou la raison, attributs humains qualifiant un comportement gnral, ne sont que la rsultante des forces fondamentales caractristiques de l'homme.

Conclusion

Si l'on fait abstraction des modles dynamiques et vitalistes qui taient ceux du dbut du XIXe sicle, la pluralit radicale du fonctionnement crbral est certainement une des thses les plus originales et les plus modernes de Gall.

Elle est philosophiquement riche: c'est ce que montre la philosophie comtienne qui est btie en grande partie sur la question de l'unification crbrale.

Elle ouvre surtout un champ de problmatique dans lequel nous sommes encore: ce qu'il faut penser c'est l'unit ou l'unification du fonctionnement crbral partir d'une pluralit fondamentale de systmes. Cette approche ne semble pas incompatible avec l'ide de rseau, d'organisation non linaire des rseaux, ou encore avec les questions d'activation/inhibition qui se posent ds que l'on cherche comprendre le fonctionnement global du cerveau.

Bibliographie.

Flourens, Pierre, L'intelligence, le gnie et la folie, [textes choisis par Jacques Chazaud], Paris, L'harmattan, 2000.

Fodor Jerry A., La modularit de l'esprit, Paris, Les ditions de minuit, 1986.

Gall, F. J., Sur les fonctions du cerveau et sur celles de chacune de ses parties, avec des observations sur la possibilit de reconnatre les instincts, les penchants, les talents, ou les dispositions morales et intellectuelles des hommes et des animaux, par la configuration de leur cerveau et de leur tte, Paris, A. Boucher, 1822-1825, 6 vol.

Houd Olivier, Mazoyer Bernard, Tzourio-Mazoyer Nathalie, Cerveau et psychologie, Paris, PUF, 2002.

Spoerl, H. D., Faculties versus traits: Gall's solution dans Character and personality, vol. 4, 1935-1936, pp. 216-231

ANNEXE

GALL SUR LES FONCTIONS DU CERVEAU, 1825.Tome VI, p. 391. De la diffrence qui existe entre les forces fondamentales et leurs attributs gnraux.La dnomination, qualit ou facult fondamentale, exprime ce que les forces ont de propre, de particulier; ce qui constitue leur essence, leur nature. La dnomination, attribut gnral, au contraire, exprime ce qu'il y a de commun dans les qualits et les facults fondamentales.Liste des forces fondamentales daprs GallIInstinct de la gnration, de la reproduction, instinct de la propagation, instinct vnrien .IIAmour de la progniture.IIIAttachement, amiti.IVInstinct de la dfense de soi-mme et de sa proprit; penchant aux rixes; courage. VInstinct carnassier; penchant au meurtre.VIRuse, finesse, savoir-faire.VIISentiment de la proprit, instinct de faire des provisions, convoitise, penchant au vol.VIIIOrgueil, hauteur, fiert, amour de l'autorit, lvation.IXVanit, ambition, amour de la gloire.XCirconspection, prvoyance.

__________XIMmoire des choses, mmoire des faits, sens des choses, ducabilit, perfectibilit.XIISens des localits, sens des rapports de l'espace.XIIIMmoire des personnes, sens des personnes.XIVSens des mots, sens des noms, mmoire des mots, mmoire verbale.XVSens du langage de parole, talent de la philologie.XVISens des rapports de couleur, talent de la peinture.XVIISens des rapports des tons, talent de la musique.XVIIISens des rapports des nombres.XIXSens de mcanique, sens de construction, talent de l'architecture.

__________XXSagacit comparative.XXEsprit mtaphysique, profondeur d'esprit.XXIIEsprit caustique, esprit de saillie; causalit, esprit d'induction, tte philosophique.XXIIITalent potique.XXIVBont, bienveillance, douceur, compassion, sensibilit, sens moral, conscience.XXVFacult d'imiter, mimique.XXVIDieu et la religion.XXVIIFermet, constance, persvrance, opinitret.

Distribution des attributs gnraux daprs GallIIIIIIIVV

PerceptionDsirInstinctVolontAffection

AttentionPenchantIntelligenceRaison

SouvenirPassion

Mmoire

Jugement

Raisonnement

Imagination

Commentaire:

I, II et III: Attributs communs chaque facult fondamentale.

II: Attributs dsignant le degr d'activit d'une facult.

III: Les deux attributs se distinguent entre eux par l'absence ou la prsence de la conscience.

IV: Ces deux attributs sont le produit de l'action simultane des forces intellectuelles suprieures.

V: Une affection est une modification passive d'un ou plusieurs organes. ACI "La notion de fonction dans les sciences biologiques et mdicales"

Journe d'tude "neuroanatomie fonctionnelle: physiologie, psychologie et neuropsychologie",

Organise par Olivier Houd, Professeur l'Universit Paris 5 le 12 fvrier 2005

Atelier "Une nophrnologie? Perspective historique"

Commentaires de Jean-Claude DupontNote sur louvrage de William R.Uttal, The New Phrenology. The Limits of Localizing Cognitive Processes in the Brain, MIT Press, 2001.

Dans cet ouvrage, lauteur analyse un certain nombre de difficults gnrales la localisation des fonctions, qui le mneront une critique radicale de la modularit. La question de savoir quelles sont les difficults prendre au srieux, et quelles sont les objections qui sont vraiment pertinentes, intresse videmment qui sintresse au problme de lassignation des fonctions. On se contentera ici de les mentionner. Uttal part du constat dune double volution historique: celle des neurosciences vers la localisation des fonctions crbrales, et celle de la psychologie vers la dissociation des fonctions mentales. Les deux volutions sont historiquement parallles. Celle des fonctions crbrales possde une longue histoire, marque entre autres par Bell (1811) et Magendie (1822), Fritsch et Hitzig (1870), Ferrier (1875), Caton (1877), Munk (1881), Broca (1861), Wernicke (1874), Woolsey (1952). Mais si l'attribution de fonctions sensori-motrices des rgions crbrales particulires a t relativement facile, il nen a pas t de mme en ce qui concerne les fonctions suprieures, que lon supposait devoir se situer entre linput et loutput, au niveau des aires associatives.

La difficult est quil ny a pas convergence historique vers une taxinomie fixe des fonctions mentales, mais une succession de systmes, rsultats dapproches philosophiques, cliniques, exprimentales varies. Uttal cite lappui, Locke, Wolff, Gall, Kleist, Welkers, Fodor, et jusquaux imageurs modernes, qui, selon lui, nutilisent des techniques nouvelles que pour valider lhypothse ancienne dune taxinomie possible des fonctions mentales. Dans quelle mesure des processus psychologiques aussi mal dfinis peuvent-ils tre localiss, ou associs des rgions crbrales particulires?

On peut reprer plusieurs grands types de difficults lies la modularit et la localisation crbrale des processus cognitifs.

1) Problmes de dfinition et de taxinomie des fonctions mentales (voir supra):

La dfinition des tats mentaux est difficile et souvent circulaire (dfinition dtats mentaux partir dautres tats mentaux ou fonctions partir de tches et rciproquement).

La multiplication inconsidre de ces fonctions et labsence de taxinomie fixe font quil devient difficile de leur attribuer une structure crbrale donne.

2) Problmes de la dfinition neuroanatomique et neurophysiologiqueau sein de lorgane crbral:

- Les rgions crbrales ne sont pas anatomiquement toujours bien dlimites.

- Les fonctions cognitives activent des rgions crbrales largement distribues.

- Les effets des lsions ne sont pas simples: une rgion peut tre implique dans laccomplissement de plusieurs fonctions. De plus, les expriences de lsions ne peuvent confirmer la ncessit dune rgion pour laccomplissement dune fonction mais jamais son caractre suffisant.

3) Problmes logiques et conceptuels:

Les critiques holistiques, anciennes (Flourens, Freud, Lashley), se sont renouveles et quelque peu sophistiques, contre lanalyse fonctionnelle. Ainsi par exemple:

- Gregory (1961): Il est impossible que le dmontage des parties dune machine nous apprenne quoi que ce soit sur leur rle si on na pas dide pralable du comportement global de la machine. Diffrents arrangements de parties sont possibles qui pourraient donner les mmes rsultats. Dans un systme aussi puissamment interconnect quest le cerveau, il est impossible de dfinir des relations causales linaires. La probabilit derreur lors de la localisation est trs haute.

- Wood (1978): Travaille laide de modles mathmatiques dapprentissage (Anderson 1977) sur des rseaux de neurones, et cherche dterminer le degr de certitude avec lequel les principes de lorganisation neurales peuvent tre infrs partir des expriences de lsions. Il trouve que le modle peut supporter indiffremment lquipotentialit ou un modle modulaire dorganisation, et que les expriences de lsion ne sont pas probantes dans un sens ou dans un autre.

- Shallice (1988): Il est impossible de choisir entre diffrents types dorganisation sur la base des expriences de dissociations. La proposition les doubles dissociations existent dont les modules existentest fallacieuse.

- Wimsatt (1974): Dans les systmes complexes, il y a de nombreuses dissociations possibles et souvent pas de moyens de choisir entre elles. Les expriences de dissociation ne produisent pas la preuve de la ncessite de localiser des fonctions parce que le systme est complexe et possde un haut degr de connectivit. Elles ne mnent pas la modularit.

Des systmes dynamiques non linaires et interconnects peuvent avoir le mme comportement que les systmes modulaires.

- Von Orden (1997): Laccent est mis sur le caractre artificiel de la localisation et le problme de circularit: Notre but est dinduire des composantes cognitives engages dans des taches spcifiques du comportement observ, mais la mthode par laquelle nous induisons les composants suppose une connaissance a priori des composants cognitifs eux mmes. Les composantes seraient artificielles, donc fortiori les modules seraient une sorte dartifice.

On pourrait localiser peu prs tout ce que lon parvient nommer (nominalisme appuy sur des donnes empiriquescumulables linfini). La rfutation de la thorie modulaire est dailleurs impossible puisqu on peut toujours ajouter un module ad hoc.

4) Problme des limites de limagerie.

Tout le long de louvrage, ce nest pas tant limagerie que lide de la modularit stricte qui est critique. Cependant Uttal relve pour ces techniques des limites spcifiques diffrents niveaux, ainsi:

- Le regard de limageur, quoi quil dise, nest pas pur, et exempt de prsupposs thoriques lourds (Von Orden 1997), parmi lesquels la justesse de sa thorie des composantes cognitives, et le postulat que des modules correspondants existent bien. Ce regard lui ferait oublier que la mthode soustractive ne conduit pas plus la ncessit dune localisation stricte des fonctions que les mthodes lsionnelles. Les contradictions conceptuelles abondent dailleurs dans la littrature de limagerie (Cf. Shallice, Posner), et les points de vue exprims sont plus ou moins localisationnistes.

- La technique de soustraction des images: Les mthodes soustractives drivent des procdures de dissociation en neuropsychologie et en psychologie cognitive. Les images sont soustraites les unes des autres. Il y a toujours un pic de rponse dans une image scanne. De mme, Les soustractions illuminent toujours des rgions crbrales, ou au contraire les teindraient (?)

- Lorigine et la signification du signal: quest ce qui est dtect? Les mthodes hmodynamiques et mtaboliques dimagerie (TEP et IMRf) supposent la squence linairesuivante: modification de ltat informationnel du rseau de neurone -- >augmentation de lactivit mtabolique -- >augmentation de la consommation dO2 -- >augmentation du flux sanguin -- >image ponctuelle -- >reprsentation de lactivit cognitive.

Chaque tape pourrait tre discute. Si ce qui est mesur est finalement une activit vasculaire et mtabolique, quoi correspond-t-elleexactement:

- au niveau cognitif: quelle fonction cognitive?

Mme sil ny a pas de diffrences mesurables entre deux rgions, cela nimplique pas une activit cognitive identique. De plus on ne sait pas dduire ce qui correspond cette activation. Il pourrait y avoir dautres variables (ex: attention) qui se surajoutent.

- au niveau microscopique: quel niveau biologique dintgration?

Lactivit apparente peut ne pas changer alors que le rseau de cette rgion pourrait avoir t profondment altr. La PET et lIMRf travaillent au niveau molculaire et non cellulaire (synapses, rseaux de neurones). Ce qui est enregistr sont des signes de lactivit crbrale qui ne nous renseignent pas sur ce qui se passe au niveau microscopique, notamment au niveau synaptique. Plus fondamentalement, limagerie ne renseigne pas plus sur le codage de ce qui se passe que dautres corrlats physiologiques comme la rponse lectrodermale ou llectromyogramme.

- Les procduresexprimentales:

- Problmes du choix du seuil de dtection et de la persistance dartefacts varis.

- Une attention suffisante nest pas accorde aux zones ngatives: cause derreur car il peut exister des processus dinteraction au niveau crbral entre processus dexcitation et dinhibition.

- Problmes de lactivit des sujets de contrle et des tmoins (Pulvermller 1999)

- Les mesures statistiques parfois masquent les diffrentes individuelles et crent de fausses localisations. Limage subit correction, rduction de bruit, standardisation, moyennage, et limage finale peut masquer les diffrences individuelles.

5) Problme de la discordance des donnes obtenues.

Les rsultats eux-mmes sont fragiles et contradictoires. En particulier, les rsultats neuropsychologiques et de limagerie peuvent tre discordants.ACI "La notion de fonction dans les sciences biologiques et mdicales"

Journe d'tude "neuroanatomie fonctionnelle: physiologie, psychologie et neuropsychologie",

Organise par Olivier Houd, Professeur l'Universit Paris 5 le 12 fvrier 2005

Atelier "Une nophrnologie? Perspective historique"

Commentaires de Denis Forest

Remarques sur lide dune no-phrnologie, sur la neuropsychologie et la neurophysiologie aujourdhuiI

Si lexpression no-phrnologie dsigne lhypothse dune filiation entre luvre de Gall et les recherches actuelles en neuropsychologie cognitive, on peut rester rserv quant sa pertinence. Une premire raison de ltre, immdiatement perceptible, drive de la distinction entre tudier les capacits de lesprit et expliquer comment la possession et le dveloppement de telle capacit dtermine lindividu tre ce quil est. Tout leffort de Gall tendait vers lexplication de la diffrence individuelle (et cest lune des raisons de son rejet dune thorie classique des facults o celles-ci pourraient en droit tre celles dindividus tous semblables). Lide de dcouvrir des stratgies individuelles identifiables dans lexcution de tches cognitives est sans doute aujourdhui une piste de recherche, mais il y a loin de celle-ci la connaissance de lindividuel (via les penchants et les talents) telle que Gall lappelait de ses vux, comme le but (et non la consquence ventuelle) de son entreprise.

Lun des motifs fondamentaux de lintrt de Comte pour Gall tait le fait que le premier voyait dans luvre du second une tentative audacieuse pour replacer ltude des forces fondamentales de lesprit, comme capacits du cerveau, dans une perspective rsolument biologique et physiologique (cest--dire, dans le lexique contemporain, naturaliste). Les textes de Comte relatifs non pas aux mrites, mais aux limites dune approche de lesprit se dployant dans le seul cadre des sciences de la nature mriteraient dailleurs, dans le contexte contemporain dune extension du champ cognitif ce quon nomme dsormais cognition sociale, un intrt plus marqu. Or en ce qui concerne Gall lui-mme, on ne peut que constater la distance qui spare le programme naturaliste avou et la dfinition des forces fondamentales particulires, cest--dire le cadre dune physiologie gnrale et le contenu dune physiologie spciale du cerveau. Le penchant pour la mtaphysique ou le talent pour les langues ne sont des capacits du cerveau qu condition de faire de celui-ci (ou de continuer voir en lui) un organe extra-ordinaire. Aussi bien la dfinition par Broca dune facult du langage articul (capacit mentale qui survient sur une capacit physique contrler des muscles et produire des sons) que la conception des associationnistes de langue allemande qui sert de cadre thorique une grande part de linvestigation exprimentale au XIXe sicle sont penses, comme moment fondateur dune pratique scientifique, en raction vis--vis de Gall, et non simplement dans son prolongement. Pour reprendre la distinction de Norwood Hanson, Gall a donn (et ce rle demeure videmment essentiel) des raisons dmettre des conjectures sur les capacits mentales particulires que le cerveau rend possibles, mais il na donn aucune raison dadmettre telle ou telle capacit, ni telle ou telle ralisation biologique localise et spcifique de celles-ci. On peut laffirmer sans mconnatre les tentatives de justifications de Gall, ni le succs social de la phrnologie.

Parmi les lments significatifs des recherches contemporaines figure certainement lambition de dfinir un rle en psychologie ou en psychopathologie pour des notions qui ont fait leurs preuves dans le domaine strictement physiologique. La notion de copie deffrence introduite par von Holst sintgrait une dmarche de critique du modle rflexe: ncessit de prendre en compte les raffrences (stimuli sensoriels drivant de lactivit de lorganisme) et des les distinguer des exaffrences en particulier pour rendre possible un comportement spatialement ordonn comme le comportement de capture. La notion de copie deffrence, comme instrument utilis par lorganisme dans lvaluation pertinente des transformations du champ perceptif, devient ensuite essentielle la rflexion sur une maladie mentale comme la schizophrnie si on comprend celle-ci en termes de trouble de la conscience dagir, le sentiment de contrainte ou lhallucination verbale drivant de lincapacit du sujet sattribuer vridiquement linitiative de laction ou la production de la parole. Il en va de mme avec les neurones miroirs: au dpart simple correctif apport la division gnrale entre capacits sensorielles et motrices, la dcouverte de neurones qui dchargent la fois pendant lexcution et pendant lobservation dactions similaires a donn lieu un vaste dbat qui touche leur fonction et leur implication possible dans lapprentissage, la communication et dans la simulation des intentions dautrui. A lincommensurabilit du physiologique et du psychologique, que des essais htifs dassimilation ne pouvaient que souligner dans leur chec, se substitue aujourdhui un nouveau partage, ncessitant le dialogue entre disciplines.

II

On se souvient de ce qucrivait Charles Bonnet dans lAnalyse abrge de son Essai analytique sur les facults de lme:

"une intelligence qui connatrait fond la mcanique du Cerveau, qui verrait dans le plus grand dtail tout ce qui sy passe y lirait comme dans un livre. Ce nombre prodigieux dorganes infiniment petits appropris au sentiment et la pense serait pour cette Intelligence ce que sont pour nous les caractres dimprimerie. Nous feuilletons les livres, nous les tudions; cette intelligence se bornerait contempler les cerveaux".

Mme si limagerie fonctionnelle peut paratre exaucer ce vu dune contemplation du cerveau en train de penser, la neuropsychologie cognitive utilisant les donnes de limagerie demeure une discipline thorique, et non une discipline fonde sur lobservation (ou high-tech phrenology). Tout dabord, les activations sont interprtes en fonction dun savoir pralable des fonctions des rgions du cerveau acquis pour une part importante dans des contextes et avec des moyens diffrents (la mthode anatomo-clinique, puis llectrophysiologie): limagerie permet de prciser une carte fonctionnelle quelle ne cre pas, et na pas crer ex nihilo. Quand on trouve la rgion de Broca implique dans des tches de calcul, et quon en dduit quelque chose au sujet dun possible mcanisme commun la cognition mathmatique et la production du langage, dune part ce qui est rvl par limagerie est interprt au moyen de telles connaissances pralables et dautre part la question demeure de toute manire pose de dterminer quelle dimension du langage peut tre sous-tendue par une telle rgion (ou lune de ses parties) et de dfinir ce qui est commun aux activits linguistique et mathmatique. Au chapitre des fonctions mentales, il faut dire que limagerie fonctionnelle ne peut bien entendu, les rvler: elle ne peut que rvler une activation qui correspond immdiatement des tches et indirectement seulement, aux capacits qui sous-tendent ces tches. Le problme de la dfinition des tches capables de prendre sur le fait lexercice de telle capacit et celui de la dfinition de leur interprtation pertinente sont donc des problmes pour le psychologue qui engagent ses choix mthodologiques et thoriques, et rien ne peut le dlivrer de lobligation de les poser et de motiver (par des arguments, non par des images) la manire dont il entend les rsoudre.

Le 14 mars 1874, un change devait opposer devant la Socit berlinoise danthropologie le neurophysiologiste Hitzig, qui prsentait ltat des recherches sur les localisations crbrales, et le linguistique Heymann Steinthal. Ce dernier navait pas pour but de nier lintrt des dcouvertes de la neurologie naissante; il entendait seulement rappeler quune connaissance des fonctions crbrales ne pouvait ignorer la description de larchitecture fonctionnelle quen donnait par exemple les sciences du langage. La clinique des aphasies permet de dterminer une aire de Wernicke, limagerie fonctionnelle permet den spcifier mieux les contours et les vocations multiples, mais selon des hypothses psycho-linguistiques. Dclarer aujourdhui que cest lanalyse psychologique qui conditionne la nature de la correspondance entre la psychologie et la biologie, cest se situer objectivement dans la filiation de Steinthal. Ce faisant, on ne nie pas que le linguiste peut par exemple sur-estimer a priori le caractre spcial de lobjet de sa science, et quil peut apprendre des neurosciences ce quil ignore au sujet des conditions de la performance de parole, conditions partages pour une part avec celles dautres capacits. On rappelle simplement, comme Steinthal, quune conception pr-thorique de ce dont on tudie scientifiquement le substrat (localis ou distribu) ne peut suffire.

III

La neurophysiologie ne recherche pas simplement des moyens contribuant laccomplissement de fonctions, les fonctions tant supposes connues et tant attribues des entits sinsrant dans des systmes aux contours bien dfinis. Le processus de la recherche amne redfinir, non seulement les moyens cest--dire limplmentation des fonctions, mais aussi les fonctions elles-mmes cest--dire les capacits intermdiaires permettant laccomplissement de capacits dordre suprieur, les capacits dordre suprieur elles-mmes, et mme les limites des systmes o elles sont exerces. Ainsi la question du sens du mouvement mne la dcouverte dinstruments sensoriels spcifiques sensibles laction de la gravitation (propriocepteurs de loreille interne) et lactivit musculaire et articulatoire (fuseau musculaire et organe de Golgi). Mais ces propriocepteurs ne se voient pas seulement attribuer une fonction de dtection, mais aussi reconnatre des fonctions prdictive (simuler ce qui va tre) excutive (dans le cas des neurones gamma des fuseaux, moduler lexcution du mouvement lui-mme) et perceptive (conscience de la position et relation entre carte du corps et carte du monde). La vision elle-mme se voit reconnatre un rle dans le dclenchement des rflexes posturaux, obligeant reconsidrer la frontire des domaines extroceptif et proprioceptif. Ds lors le visage de la proprioception change, comme capacit partage, tourne pour une part vers le succs de lintention dagir, et non plus seulement comme fonction spciale limite la conservation de lquilibre postural. Si Gall reste fidle une conception de la physiologie dont Milne-Edwards, avec lide de division physiologique du travail, devait emblmatiser lesprit, la connaissance neurophysiologique contemporaine nous loigne de lui. Elle impose galement de nouveaux dfis une analyse philosophique rigoureuse des systmes fonctionnels.

Bibliographie

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Matthews (P. B. C.), 1981, Evolving views on the internal operation and functional role of the muscle spindle, Journal of Physiology, 320, p. 1-30.

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Steinthal (Heymann), 1874, Verhandlungen der Berliner Gesellschaft fr Anthropologie, Ethnologie und Urgeschichte, supplment du Zeitschrift fr Ethnologie, VI, p. 47-50.Atelier de discussion 2

L'explication fonctionnelle. Perspective pistmologique

ACI "La notion de fonction dans les sciences biologiques et mdicales"

Journe d'tude "neuroanatomie fonctionnelle: physiologie, psychologie et neuropsychologie",

Organise par Olivier Houd, Professeur l'Universit Paris 5 le 12 fvrier 2005

Atelier "L'explication fonctionnelle: perspective pistmologique"

Commentaires de Franoise LongyConcilier les deux aspects marquants du discours fonctionnel

Les questions traites

1. Pour rendre compte pleinement des attributions fonctionnelles en neurophysiologie ne faut-il pas articuler les deux interprtations majeures des attributions fonctionnelles au lieu de les opposer ?

2. La difficult qu'il y a envisager une telle articulation ne vient-elle pas, en premier lieu, d'une mauvaise thorie de la fonction comme "rle causal" ?

Prsentation gnrale

quoi servent les attributions fonctionnelles ?

Deux rponses ont t apportes cette question.

1re rponse : elles expliquent pourquoi l'entit fonctionnelle est l.

"X a la fonction de faire F" indique que X n'est pas l par hasard, qu'X est l cause de la capacit des X faire F.

2e rponse : elles expliquent la part prise dans le fonctionnement d'un systme.

"X a la fonction de faire F" indique en quoi X contribue au fonctionnement du systme sous examen : en faisant F. Faire F est le "rle causal" de X dans le fonctionnement du systme.

En gros, il y a 2 thories de la fonction, chacune rendant compte de l'un de ces deux traits.

La premire est dite tiologique. Elle fait intervenir l'histoire et donne, dans le cas des fonctions biologiques, une place centrale la slection naturelle.

La seconde, due Cummins, est dite systmique. Elle n'a rien d'historique, elle explique la production par un systme d'un certain type d'effets en dcrivant un enchanement de causes et d'effets impliquant ses parties.

Classiquement, les deux thories sont considres soit comme concurrentes, soit comme complmentaires. Concurrentes si l'on suppose qu'elles cherchent rendre compte des mmes attributions fonctionnelles. En effet, appliques aux mmes attributions fonctionnelles, elles en offrent des interprtations compltement diffrentes. Selon la premire thorie, une phrase comme "la fonction du coeur est de faire circuler le sang", signifiera en gros, c'est parce que les coeurs ont eu dans le temps la capacit de faire circuler le sang qu'il y a actuellement des coeurs (les coeurs ont t slectionns cause de cela), alors que selon la seconde thorie cela signifiera : relativement la circulation sanguine, le rle (causal) jou par le coeur est celui d'un moteur.Complmentaires, si l'on suppose que certaines attributions relvent de la premire thorie et d'autres de la seconde. Par exemple, que la fonction du coeur relve de la thorie tiologique alors que la fonction des valves cardiaques relve de la thorie systmique.

Je trouve que ni l'hypothse de la concurrence ni celle de la complmentarit ne sont satisfaisantes.

Fonctions physiologiques et thorie systmique

Dans le cas de la physiologie, on interprte couramment les attributions fonctionnelles comme indiquant un rle causal. En effet, dans de nombreux cas, l'interprtation tiologique semble exclue tant donn que la fonction attribue n'est certainement pas ce pourquoi l'organe ou la partie d'organe a t slectionne. (Exemple tir de Laurent Cohen : la fonction attribue une petite rgion du cerveau de dterminer la forme visuelle d'un mot. Certainement, le cerveau n'a pas volu depuis les derniers trois mille ans au cours desquels l'criture est apparue).

Mais, la thorie cumminsienne du "rle causal" apparat insuffisante. Les analyses fonctionnelles qu'on cherche produire sont, en gnral, bien plus contraintes que ce que suppose la thorie de Cummins. Et ces analyses fonctionnelles exigeantes semblent avoir une ralit et une valeur explicative plus fortes que le simple rle heuristique que Cummins accorde indistinctement l'ensemble des analyses fonctionnelles.

Analyse fonctionnelle et niveaux

Qu'est-ce qu'"une bonne analyse fonctionnelle" ?

En gros, une analyse dont on pourra conserver le dcoupage, la structure, quand on passe(ra) une connaissance plus fine et plus dtaille.

Une bonne analyse fonctionnelle est une analyse qui identifie une structure un niveau pertinent.

Souvent, on obtient une hirarchie descendante d'analyses fonctionnelles, dont le grain est de plus en plus fin. Par exemple, un certain niveau d'analyse du corps humain, on peut distinguer le systme respiratoire, le systme circulatoire (qui assure la diffusion et la collecte de diffrents lments dans l'ensemble du corps) le systme digestif (ingestion solides et liquides), etc. un niveau plus fin le systme circulatoire pourra tre dcompos en un moteur, le coeur, et plusieurs rseaux de canaux ayant chacun leur fonction, un niveau plus fin encore le coeur lui-mme pourra tre dcompos en diffrentes parties, les ventricules, les valves, etc. chacune ayant leur fonction et on pourrait continuer encore. Les analyses fonctionnelles s'embotent les uns dans les autres partir de la plus gnrale.

Quelques remarques sur les niveaux et sur les critres permettant de les identifier et d'oprer un bon dcoupage fonctionnel

1 Pas de rponse simple. Une rponse brutale la question de comment asseoir une bonne analyse fonctionnelle pourrait tre : il faut voir ce qui se passe au niveau matriel. C'est l'implmentation matrielle qui nous donnera la rponse. Mais ce n'est pas vrai. Regarder ce qui se passe au niveau molculaire, ou mme au niveau d'un neurone ne nous aidera pas. Avoir des instruments qui nous offrent une vision plus fine est sans aucun doute essentiel, d'o l'importance des "microscopes pour le cerveau" que sont les diverses techniques d'imagerie crbrales, mais il s'agit de les rgler sur le bon degr de prcision. Descendre trop vite en dessous n'apporte rien.

2 L'identification des fonctions est une dmarche largement top-downLe problme de l'analyse fonctionnelle est celui de trouver la bonne focale partir du haut, celle qui nous conduit au bon niveau du dessous, celui o les effets fonctionnels des parties identifies expliquent effectivement causalement la fonction globale qui s'exprime plus haut. Les fonctions ne peuvent pas tre identifies en partant du bas : en regardant fonctionner un certain complexe matriel.

3 Des niveaux dont la nature reste dfinirIl ne s'agit pas d'une chelle de niveaux ontologiques o chaque niveau correspond un type d'individu bien dtermin : les particules lmentaires, les atomes, les molcules, les cellules, .... Les niveaux dont il s'agit ici sont bien moins facilement identifiables : des constituants ou units fonctionnels peuvent tre des petites zones du cerveau ou des morceaux du muscle cardiaque. Et ils peuvent comporter des lments htrognes, certains assez simple du point de vue de leurs composition physico-chimiques, et d'autres au contraire assez complexes.

Traits gnraux de la thorie cumminsienne des rles causaux

Une extrme libralitLe systme peut tre dfini comme on veut ainsi que ses parties. L'analyse fonctionnelle consiste obtenir ce que fait le tout comme rsultat de ce que font les parties. Les parties n'ont nullement besoin d'tre identifis par des critres prcis et d'tre associes un niveau prcis d'analyse. Une analyse fonctionnelle du vlo comme moyen de locomotion pourrait, par exemple, avoir la forme suivante. Elle dcomposerait celui-ci en 4 parties - la boite de changement de vitesse, le pdalier, la roue avant et tout le reste et les relierait de la faon suivante : chaque position du curseur de la boite de changement de vitesse possde la disposition de produire par un tour complet de pdale un mouvement donn de la roue avant, et ces trois parties sont maintenues ensemble grce la quatrime.

On expliquera alors comment le vlo permet de parcourir une certaine distance en faisant intervenir la position du curseur, le nombre de tours du pdalier et la circonfrence de la roue (et bien sr la cohsion du tout). Cummins parle de "rle causal", mais les conditions d'application qu'il associe l'emploi de cette expression et par l mme celui de "fonction sont trs librales. Une analyse fonctionnelle, ainsi comprise, n'a aucune raison de correspondre une bonne explication causale.

Cette grande libralit s'explique par le fait qu'en ralit pour Cummins, les analyses fonctionnelles n'ont qu'une valeur heuristique. Une vraie explication causale, une explication causale relle, dfinitive, ne contient en fait ni fonctions ni rles causaux. Une vraie explication causale repose sur d'autres principes. Ce qui nous amne au mcanicisme ou physicalisme de Cummins.

un mcanicisme rducteur

Pour Cummins, les fonctions ne sont que des proprits dispositionnelles (des proprits qui se manifestent seulement dans certaines circonstances). Et les proprits dispositionnelles d'une entit pour Cummins doivent termes tre expliques en termes mcanistes, c'est--dire en faisant appel aux seules proprits des entits plus simples qui la constitue et leur agencement. (Expliquer veut dire ici liminer car cela revient ramener le dispositionnel quelque chose de plus lmentaire). Le paradigme, c'est la solubilit Dans le cas de la solubilit, effectivement, le rductionnisme mcaniciste est justifi. La proprit d'tre soluble correspond sans aucun doute une certaine proprit physico-chimique, par exemple avoir un ion isol ou ... Et certainement quand notre connaissance sera suffisante, on pourra dduire cette disposition de lois physico-chimiques gnrales s'appliquant aux structures molculaires des substances impliques. Dans le cas qui nous intresse, adopter ce point de vue sur les fonctions ou les dispositions mentales revient dire qu'une bonne explication causale du fonctionnement du cerveau devra se fonder sur les proprits physico-chimiques des neurones et sur la faon dont ils sont agencs, sans faire intervenir rien d'autre. Aucune explication en termes de rle causal d'entits plus complexes se trouvant quelque niveau suprieur n'est rellement une explication causale, c'est seulement une tape vers la vraie explication causale.

Insuffisance de la thorie de Cummins une autre thorie du rle causal ?

Cette position soulve la question suivante : Est-ce que les dispositions attribues par les physiologistes des organes ou des parties d'organes sont vritablement du mme type que la solubilit ? Sont-elles, comme la solubilit, rductibles aux proprits physico-chimiques sous-jacentes ?

Il me semble qu'une telle rductibilit est une hypothse peu plausible. Les fonctions biologiques (capacits mentales inclues) se dfinissent relativement un contexte qui comprend des donnes historiques et environnementales. C'est clairement le cas quand on considre des fonctions ou capacits suffisamment gnrales ou abstraites. La reproduction, la capacit de se reprer dans l'espace, celle d'identifier des congnres ou des prdateurs ou encore la capacit d'apprendre faire ceci ou cela etc. apparaissent indfinissables en termes purement mcanistes ( l'inverse de la solubilit qui n'est en rien une proprit contextuelle). Et l'aspect top-down de l'analyse fonctionnelle implique une persistance de l'lment contextuel quand on descend dans l'analyse fonctionnelle un niveau plus fin.

Deux sens de l'expression "rle causal"

Un sens fort quand les "rle causaux" sont associs un dcoupage structurel fond objectivement (ce qui correspond une "bonne analyse fonctionnelle", telle que caractrise ci-dessus) et un sens faible quand le dcoupage structurel auquel ils sont associs n'a pas un fondement objectif mais semble dpendre simplement de la perspective adopte par le chercheur (relative ses intrts, l'tat de ses connaissances, etc. ).

Articulation du "rle causal" au sens fort avec thorie tiologique

Piste de recherche prsente relativement au cas de reconnaissance de la forme visuelle des mots.

A un certain niveau de gnralit, on a une fonction comme tablir des classes d'quivalence entre des signes visuels d'un certain type. La fonction tiologique spcifique attache cette fonction ou capacit gnrale a pu tre : distinguer diffrents types d'empreintes sur le sol (celles de certains types de proie ou de prdateur par exemple). La plasticit de la capacit slectionne qui est ce qui autorise la caractrisation abstraite - en fait un mcanisme d'apprentissage relativement gnral dont le contenu dpend en large partie de l'environnement actuel. Par ce biais, la fonction de reconnaissance de la forme visuelle des mots peut se relier aux contextes pass et prsent et prendre un sens tiologique : c'est le rle causal que cette partie est cense jouer tant do