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Langue et littératures pour l’enseignement du français en Suisse romande : problèmes et perspectives recueil édité par Marcel BURGER Cahiers de l'ILSL, n° 27, 2010

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Langue et littraturespour lenseignement du franais en Suisse romande : problmes et perspectives recueil dit parMarcel BURGER Cahiers de l'ILSL, n 27, 2010

Les Cahiers de l'ILSLpeuvent s'obtenir auprs du CLSL Le Centre de Linguistique et des Sciences du LangageFacult des Lettres Btiment Anthropole Universit de Lausanne CH-1015 Lausanne, Suisse au prix de CHF 20.- le numro ISBN 978-2-9700468-4-4 EAN 9782970046844 Langue et littratures pour lenseignement du franais : problmes et perspectives Cahiers de l'ILSL No 27, 2010 Ont dj paru dans cette srie : Cahiers de l'ILSL L'Ecole de Prague : l'apport pistmologique (1994, n 5) Fondements de la recherche linguistique :perspectives pistmologiques (1996, n 6) Formes linguistiques et dynamiques interactionnelles (1995, n 7) Langues et nations en Europe centrale et orientale (1996, n 8)Jakobson entre l'Est et l'Ouest, 1915-1939 (1997, n 9) Le travail du chercheur sur le terrain (1998, n 10) Mlanges en hommage M.Mahmoudian (1999, n 11) Le paradoxe du sujet : les propositions impersonnelles dans les langues slaves et romanes (2000, n 12) Descriptions grammaticales et enseignement de la grammaireen franais langue trangre (2002, n 13) Le discours sur la langue en URSS l'poque stalinienne(2003, n 14) Pratiques et reprsentations linguistiques au Niger (2004, n 15) Langue de lhpital, pratiques communicatives et pratiques de soins (2004, n16) Le discours sur la langue sous les pouvoirs autoritaires (2004, n 17) Le slipping dans les langues mdivales (2005, n 18) Travaux de linguistique. Claude Sandoz (2005, n 19) Un paradigme perdu : la linguistique marriste (2005, n 20) La belle et la bte : jugements esthtiques en Suisse romande et almanique sur les langues (2006, n 21) Etudes linguistiques kabyles (2007, n 22) Langues en contexte et en contact (2007, n 23) Langage et pense : Union Sovitique, annes 1920-30 (2008, n 24) Structure de la proposition (histoire d'un mtalangage) (2008, n 25) Discours sur les langues et rves identitaires (2009, n 26) Les cahiers de lILSL peuvent tre commands l'adresse suivanteCLSL, Facult des Lettres, Anthropole CH-1015 LAUSANNE renseignements :http://www.unil.ch/clsl

Langue et littratures pour lenseignement du franais en Suisse romande :problmes et perspectives numro dit parMarcel BURGER Cahiers de l'ILSL, n 27, 2010 Les Cahiers de l'ILSL(ISSN 1019-9446) sont une publication du Centre de Linguistique et des Sciences du Langage de l'Universit de Lausanne (Suisse) Centre de Linguistique et des Sciences du Langage Quartier UNIL-Dorigny, Btiment Anthropole CH-1015 Lausanne Cahiers de lILSL, N 27, 2010, pp. 1-12 Crise du franais ?Marcel BURGER Universit de Lausanne,Unit de linguistique franaise, Section de franais1 On na jamais arrt lvolution dune langue, sauf en cessant de la parler. MarinaYaguello,Cataloguedesidesreues sur la langue. UN SPECTRE HANTE NOUVEAU les coles de Suisse romande, parat-il. Il sape lenseignement du franais : le spectre du constructivisme en pda-gogie.Mais,plusredoutableencorecarabsolumentindlogeabledeson repaire, un autre spectre hante lefranais: cest la Langue franaise elle-mme,pardi !Ellesetransmueparleffetdeschangementsaffectantla socit,sejouantainsidelle-mme,ouplutttantlchementjouepar ceux-lmmesquiengarantissaientencoreilyapeulescontrefortset donclesfondements :essentiellementlestcheronsmritesgrammai-riensetlinguistesetlesnoblesgensleslittrateursetlesexgtes avertis.AinsidonclaLanguedgnrelimagedunesocitpervertie, dit-on. Voil par consquent de vritables acolytes du dsordre social. Ils uvrent maindanslamain,entend-on,carlesassautsrptsdelunentranent immanquablementdautresdgtsparlautre.Etlemondeestalorsen passedescrouler.Ainsi,lespdagoguesconsciencieux,toutcommeles mdias qui les relaient, puis leur suite les politiques bref ! les dci-deursdetousbordssesontuniscommeunseul,dcidstraquerbrave-ment ces monstres pour leur rgler leur compte. De cette situation, il rsulte un double enseignement. 1Marcel Burger est directeur du Centre de linguistique et des sciences du langage (CLSL) de lUniversitdeLausanne(Suisse).Ilsestspcialisdansledomainedel'analysedesdis-cours de communication publique (mdias et politique) ainsi que dans celui de la linguistique pour lenseignement du franais. Actuellement, il collabore aux relations entre la HEP Vaud (Haute Ecole Pdagogique) et les universits de Lausanne et de Genve. 2Cahiers de lILSL, N 27, 2010 Djque,nonobstantlvidencemanifestemaisaussiquelquessicles dobservations expertes, le franais continue dtre pensprincipalement commeunethomogne.Unrocextraordinaireensomme,cest--dire inentam par la gravit, les courants, et leffet du ressac social qui lui don-nent naturellement du mouvement. Ainsi conu le franais est une langue fantme, parce que dsincarne. Comme si langue il pouvait y avoir sans sujetsacteurssociaux quiselapproprientchaquefoisquilspen-sent et sexpriment pour interagir en socit. Et ceux-l le font mme avec plus ou moins de bonheur dans des situations des plus varies en se faisant fortbiencomprendre.Mconnaissancedelaralitdelalangue,aveugle-ment ou dngation, donc. Ensuite,lammeremarquelapidairesappliquelenseignementdufran-aisdanslescolesdeSuisseromande.Toussaccordentsursonrlees-sentiel decontribuer la formation de la conscience citoyenne des lves. On sapplique ainsi, lcole, par le biais de la langue, nourrir de jeunes espritsjusqulesrendrecapablesdesorienterdemanirerflchieet critique dans un espace public forg sur lide de respect mutuel. Souvrir aumondesocialparlemoyendufranaislcole,cestlunenjeuque les plans dtudes cantonaux soulignent unanimement. Et les pdagogies si dcriesdanslesmdiasparcertainscerclesnaffichentquantellespas non plus dautres ambitions. Cependant Cependantutopiecitoyennecontreprincipederalitlanoblemis-siondelcoleestaujourdhui,dit-on,endcalagedaveclematrialisme individualiste ambiant. Cela signifie pour lEcole de sadapter au monde de maintenant.Autrementdit,ilfautcontrecarrer,etvite,carilestunfait que les coles de Suisse romande reprsentent un lieu o diversit et plura-litsemanifestenttrslargementparlamdiationdelalangue.Unetelle mixitpeuttredangereuse,entend-on.Danslespraux,puisdansles classessyrencontrent,symlentetsyentrelacentdeslangues ;etpar lebiaisdecelles-cidesvaleursetdescultures.OdoncestlUndela Langue ? Attention ne pas lasphyxier sous le lourd tapis natt du mtis-sagelinguistique.Maisilyaplusdangereuxencore.L,lcole,des hritagesculturelsvaris,doncdesmassessuccessoralesingalementco-tes sur le march social, se transmettent et se ngocient. Par consquent, il faut mettre de lordre et surveiller, proclame-t-on, car larnaque se profile, menaant terme jusqu la cohsion sociale. Si donc la lutte contre le mal est de mise, et si une nime bataille est m-medjrecommence,cestquelEcole,etplusspcifiquement lenseignementdufranais(parcequenoussommesenSuisseromande), sont lobjet dimportants enjeux de croyances : la lutte contre la pdagogie est toujours une lutte pour une idologie.M. Burger : Crise du franais ?3 Peut-treest-ilgrandtempsoudumoinsraisonnablementlgitime quelinguistes,littrairesetdidacticiensdufranaisexposentunenouvelle fois,nonpaslafacedumondemaisplusmodestementsurlaplacedu villagesuisseromand,lesquelquesremarquesquisuivent,publiesen franais, Lausanne. 1.LA CRISE DU FRANAIS ? QUELLE CRISE ? Quon me passe le clin dil manifestaire qui ouvre ce recueil. Par lironie dupropos,ilnapourbutquededdramatiserlateneurdescontributions quivontsuivre,ancresdanscequedaucunsseplaisentqualifierde contexte de crise de lenseignement du franais en Suisse romande. Le fait est que, en Suisse romande, les conditions dun enseignement appropri de la langue et de la littrature franaises dans les tablissements primaires et secondairesfontlobjetdediscussionsanimes,demanirercurrente, depuisdesdcennies.Celles-cidonnentrgulirementlieudespolmi-quesvirulentestantdanslescerclespdagogiquesqueplusgnralement dans lespace public2. ce titre, il nest pas rare que les argumentaires des unsetdesautresreposentsurdesappelslmotion(lalangueseperd, les jeunes daujourdhui ne savent plus crire) ou des ptitions de princi-pe (il faut plus de grammaire, il ne sert rien de placer llve au centre de la pdagogie) qui rendent bien souvent difficile une rflexion de fond3. 2Onrelirabiensravec profitletextedesconfrencesprononcesGenveen 1930parle linguiste Charles Bally ; texte recueilli dans le volume justement intitul : La crise du fran-ais.Notrelanguematernellelcole. (Genve,Droz,2004)linstigationduDparte-mentdelInstructionpubliquedeGenve,CharlesBallyavaittappelparticiperun large dbat public o, en matire de crise de la langue, il avait rappel quil sagit d un tat endmiquequiaexist,avecplusoumoinsdacuit,detouttempsetsurtouteltenduedu territoire linguistique du fait de tenir lexistence mme des grandes langues de civilisa-tion (Bally, 2004 : 15). 3Defait,onobserveunetoiledefondparaissantimmuable,quillustrebiencettelongue citationdelalinguisteMarinaYaguello,professeurmriteluniversitdeParisVII : la langue vieillit, en apparence, avec celui qui la parle et qui sidentifie elle. Mais lhomme ne veutpasvieillir ;illitdanslvolutiondelalanguesapropredcadence.Aussisouhaite-t-il conserver la langue dans la puret, lintgrit de sa jeunesse. De mme quon souhaite trans-mettresesenfantslesvaleursetlaculturedupass,demmeonespreleurtransmettre lhritagedelalangue.Mais,demanireinsoutenablepourlepuriste,cesontlesjeunes gnrationsqui,ensappropriantlalangue,lachangent.Lalanguesetrouveainsiperptuel-lement rajeunie et non vieillie, tandis que les locuteurs, inexorablement, vieillissent. Accepter lechangement,cestsesentirdunecertainefaondpossd,cestperdreunpouvoirsuret par la langue, mme si la condamnation est formule le plus souvent sous forme de jugements esthtiques : la langue si belle et si pure dautrefois est devenue vulgaire, laide, triviale, pau-vre et sans nuances. Et cest pourquoi la langue est un tel enjeu dans le conflit des gnrations comme des classes sociales (Yaguello, 1988, p. 94-95). 4Cahiers de lILSL, N 27, 2010 On connat quelques lments dclencheurs de tels contextesdecrise du franais :parexemple,lesinterprtationsdeltudePISA.Onconnat aussiquelquesmesurespolitiquesetpdagogiques,prisesleplussouvent dans lurgence (et qui ne se limitent pas lenseignement du franais) : par exemple,unchangementdemodedvaluationdutravaildeslves4,la modification de la constitution des filires5, ou encore un changement dans lattributiondesresponsabilitsinstitutionnellesdelaformationdesma-tres-ses6.Onconnatgalement,quoiquepeut-tremoinsbien,letravail incessantdescommissionsadhocchargesrgulirementderedfinirles besoins, les enjeux et en fin de compte les ressources pdagogiques propres lenseignementdelalangueetdelalittraturefranaises :parexemple, lechoixrcent(etdjcontroversavantmmeleurdistributiondansles conomats)denouveauxmanuelsscolairesetleurharmonisationdansun avenir proche au plan intercantonal. Cenumroderevueconsacr Langueetlittraturespour lenseignementdufranaisenSuisseromande:problmesetperspecti-ves na pas, bien sr, pour ambition de rgler la question, ni mme den faire le tour raisonn, au plan intellectuel, pdagogique ou encore politique. Lenjeu consiste plus modestement amnager un lieu de parole qui ne soit pas dtermin directement par une institution, ni par une conjoncture, mais qui offre une tribune lexpression libre de voix plurielles. Le parti a cependant t pris de convoquer quatre sortes de voix. Dabord, celledeslinguistesetcelledeslittraires,universitaires,ayantunesolide expriencedelenseignementdufranaisetdelaformationcontinuedes matres-ses.cesvoixacadmiqueslgitimessenajouteensuiteune troisime dont la pertinence semble galement tablie : celle des spcialis-tes du franais langue trangre. Elle est essentielle ds lors quon consid-re limportance, en nombre et en varit, des lves allophones frquentant lescolesdeSuisseromande.Enfin,lapolyphonieestcomplteparla prise en compte de voix qui manifestent plus directement leur relation un savoir pratique. Ainsi, des didacticiens du franais luvre dans des Hau-tescolespdagogiquesdeSuisseromande,toussous-domainesconfon-dus, sont appels se faire entendre ici de concert. Cesvoixpluriellesacadmiquesetpdagogiques,maisaussirelayant lespratiquesdenseignementproposentavanttoutunerflexionde 4 Voir le retour aux notes dans lenseignement primaire Genve. 5Genve,encore,les sections oufiliresdites htrognes danslenseignement secondaire se trouvent rgulirement sur la sellette.6 Quelle haute cole se voit-elle attribuer le mandat : Haute cole pdagogique et/ou Universi-t ? M. Burger : Crise du franais ?5 naturepistmologiqueetmthodologiquesurlenseignementdufranais enSuisseromande.Ellescontribuentcependanttoutesaussibien,peuou prou,undbatdideolefranaislcoleestabordsousunangle plus politique. 2.AU PROGRAMME DU NUMERO ce titre, le numro dbute par un entretien avec Jean-Michel Adam, pro-fesseurdelinguistiquefranaiseluniversitdeLausanne.Chercheur reconnuetpdagogueapprciparsestudiants,Jean-MichelAdam connat bien les enjeux thoriques aussi bien quinstitutionnels et politiques lis la transposition des savoirs disciplinaires en savoirs enseigner, puis ensavoirseffectivementenseigns7.Danscetentretien,illivreavec clairvoyance comment la problmatique de lenseignement de la langue et delalittratureestintimementliedesdemandessocialessouventmal perues et parfois contradictoires. En racontant ses propres expriences de chercheurancrplusoumoinsindirectementdansleschampsdela didactique,iltablitunecontextualisationpertinentedudbatactuelet cadre ainsi le propos du recueil.Quelles sont les conditions dun enseignement appropri ou non de la lan-gueetdelalittraturefranaisesdanslestablissementsprimairesetse-condaires de Suisse romande ? Pourquoi font-elles si rgulirement lobjet de discussions animes dans les cercles pdagogiques, mdiatiques et poli-tiques?Lescontributionsquisuiventproposentchacuneunlmentde rponsecesquestions.Toutesabordentenfiligraneouidentifientde front,ententantunesaisieraisonne,quelquesproblmesactuelspour envisager des perspectives futures propos de lenseignement du franais. Le recueil est organis en deux parties en vertu dun dcoupage thmatique dont le lecteur jugera seul la pertinence. 7Outresesouvragesdansledomainedelalinguistiquetextuelleetdesarticlesparus notammentdansLefranaisdaujourdhuiquisontbienconnusdesformateurs,Jean-Michel Adam travaille plus directement en ancrage dans divers champs didactiques. Au plan international,ilcollaboredepuislesannes70aveclarevuePratiques.Linguistique, littrature, didactique (Metz, France) dont il est aussi membre du comit scientifique. Au plan rgional,Jean-MichelAdamacollaborltablissementderessourcespdagogiquesdela Comissionromandedesmoyensd'enseignementetd'apprentissage(COROME),dontilest parailleursmembre.Actuellement,iluvreaurapprochementdeluniversitdeLausanne, celle de Genve et la Haute cole pdagogique du canton de Vaud dans le cadre de la mise sur pied dune matrise dans le domaine de la formation des futurs enseignants. 6Cahiers de lILSL, N 27, 2010 2.1.OBJETS DIDACTISES Lapremirepartiecentrelarflexionsurlanaturedesobjetslangagiers didactiser.Ainsi,pluttquedemthodes,elletraiteavanttout dpistmologie en convoquant qui la perspective du littraire, qui celle de lhistoriendesides,quicelledepdagoguesformateurs.IlrevientJean Kaempferdinaugurerleproposparunerflexionsurlaspcificitde lapport pdagogique du texte littraire dans un contexte scolaire8. En de ouau-deldelexerciceclassiquequeconstituelexplicationdetexte, JeanKaempfervoquelarencontreentreletextelittraireetsonlecteur lvepourendiscuterlestatutcomplexe.lencontredupointdevue attendudplorantladsacralisationdutextelittrairedanslecontexte cultureletscolaireactuel,lauteursoulignelachancequereprsenteune telledonne.Eneffet,descendudesonpidestalsocialetdpossddes oripeauxdeladistinction,cestuntextelittrairenouvellementconsid-r sansaprioriculturelsquiapparatncessairement.Etplusfonda-mentalement,danssarencontrepremireaveclelecteur,letexte surgit brut,dbranchencoredetoutelacontextualisationre-familiarisante , pour reprendre les termes de Jean Kaempfer. Cest alors toute la potentiali-tducativedelalittraturequisemanifestepourlebiendetous,sans distinctionjustement :commeletextelittraireestrsistantausens,par lejeudusignifiant,ilseprsentecommeunelanguetrangreetoblige un dcentrement synonyme denrichissement cognitif. Nol Cordonier prolonge cette discussion en empruntant une voie origina-le9.proposdelanatureparticuliredelarelationsinstaurantentreun textelittraireetllve-lecteur,lattentionestportesurlerleessentiel des instituts de formation didactique, instances de mdiation au sens fort. NolCordoniercirconscritainsiunmomentetunlieuparticulier dela rencontre : tout la fois en aval des tudes acadmiques et du savoir savant transmisauxtudiants(sedestinantlenseignement),etenamontdela classe de franais et du savoir enseign aux lves par le matre cet ex-tudiant.Lauteurdiscuteavecpertinencelaspcificitdelaposturedes hautes coles pdagogiques, mais aussi les enjeux de celles-ci. Dune part, lesHEPsontdnigresautantparlemilieuacadmique(soutenantque 8 Jean Kaempfer est professeur luniversit de Lausanne. Ses domaines de recherche sont les thories et les pratiques du roman, principalement au XIXe sicle ; la littrature et les imagi-nairessociaux ;lescriturescontemporaines(Michon,leno-polar,etc.).JeanKaempfer collabore rgulirement aux Enjeux contemporains de la littrature organiss par la Mai-son des crivains et de la littrature, Paris.9 Nol Cordonier est conjointement responsable de l'UER Didactique du franais la HEP LausanneetenseignantlaSectiondefranaisdel'UniversitdeLausanne.Sesdomaines denseignement et de recherche sont la didactique de la littrature. Il sintresse plus particu-lirementauxreprsentationsdelalangueetdelalittraturefranaiseschezlescrivains franais et francophones du 19e sicle aujourd'hui. M. Burger : Crise du franais ?7 ltudedusavoirdisciplinairesuffit)queparlemilieuprofessionnel(sou-tenant que le savoir empirique prime sur les autres savoirs10). Dautre part, etdanslemmetemps,onadmetcommunmentquilexisteunhiatus marquentrelesbnficesdelapprentissagedessavoirsdisciplinaireset leurfaiblecommunicabilitensalledeclasse :letravaildesdidacticiens ces instances mdiatrices nen apparat ds lors que plus essentiel. Cedplacementoprquivadelaconsidrationdelaspcificitdu texte littraire comme savoir savant vers la prise en compte du didacticien qui fait du texte un savoir enseigner il est normal de sattarder sur les modalitsetlesenjeuxdesdidactiquesdutexte.IlrevientFrancineFal-lenbacher de sinterroger sur la manire de concevoir le lecteur-type par le biais des corpus de textes11. lvidence, la position consistant cibler un lecteur idal par la littrature patrimoniale et ly faire accder par la lecture scolaireafindegarantiruneformedhritageculturelestcritiquable.Le lecteurrelesttoutautre :dterminlargementpardeshabitudesde consommation commerciales , il est peu exigeant, et accde aux ouvra-gesdanslesrseauxdegrandedistribution.Laquestionseposedslors non seulement datteindre ce lecteur, mais surtout de lintresser diversi-fier ses habitudes de lecture. Pour Francine Fallenbacher, le dfi didactique est en effet, selon ses termes, de former un lecteur conscient de son acti-vitdinterprtant .Lauteuresouligneainsiunemodalitparticuliredu travaildidactique :nepasselimiterunsavoirnorm,permettant didentifieretder-identifierdespropritsformellesdestextes,mais dvelopper un ensemble de procdures exprimenter les textes par la lecture pour le plaisir. Si en lui-mme le travail du didacticien est essen-tiel, Francine Fallenbacher relve cependant que lavnement de ce lecteur nouveausetrouvecompliqupardeschoixpolitiquesetinstitutionnels critiquables. Enconclusiondelapremirepartiedecerecueil,JrmeDavidprolonge luiaussiladiscussionsurlestatutparticulierdutextelittrairelorsquil devient un objet didactiser12. En opposant deux postures didactiques la promotiondusavoirsurlalittratureetcelledusavoirparlalittratu-re JrmeDavidapprhendeletextelittrairedelintrieurmmedu 10 Cest--dire que le systme D singulier de lenseignant prvaut. 11 Francine Fallenbacher est charge denseignement lInstitut universitaire de formation des enseignantsdeGenve.Elleatravaillpendantunedizainedannesdansledomainedela politiqueducationnelle,auprsdelaConfrenceintercantonaledelinstructionpublique, puisentantqueresponsabledeladidactiquedufranaislaDirectiondelenseignement obligatoire du canton de Vaud. 12JrmeDavidestmatre-assistantlUniversitdeLausanne.Sesrecherchesportentsur lhistoire compare de la littrature et des sciences sociales, lhistoire globale de la littrature etladidactiquedelalittrature.ChargdecourslUniversitdeGenvedanscedernier domaine,ilvientdeterminerlemanuscritdunouvrageintitul"Limplicationdetexte. Essais de didactique de la littrature". 8Cahiers de lILSL, N 27, 2010 discoursdidactique.Entantquetel,lediscoursdidactiquevhiculedes croyancesetdesvaleurspropreslaformationsocio-discursivedontil mane. ce titre, le savoir sur la littrature implique la lecture experte des textes littraire, laquelle requiert le dveloppement dune comptence apprhender la pluralit et la complexit du sens. la lecture experte du texte, le savoir par la littrature oppose une lecture pour le plaisir. Elle faitdutextelittraireunmoyendeconnaissancedesoi,maissurtoutelle rend possible, selon lauteur, le dfi vritable de lenseignement de la litt-rature actuellement : convaincre les lves de lui mnager une place dans leur univers culturel , ct des jeux vidos, des sries tlvises, ou de la chansonpopulaire.RestelaquestioncentralequeJrmeDavidposeet problmatise :peut-ondidactiserleplaisir ?Ya-t-ilunsavoir-fairedela jouissance des textes que lon pourrait protocolariser ? 2.2. PROCEDURES DE DIDACTISATION Lescontributionsdelapremirepartiedurecueilontproposune discussion de fond sur les objets langagiers didactiser. ce titre, menes pardesspcialistesdelalittratureetdesdidacticiensdutexte,toutesont portsurlesenjeuxactuelsdelenseignementdelalittrature(plus justementdeslittratures).Lescontributeursdeladeuximepartiedu recueilportentquanteuxlattentionsurlesprocduresdidactiqueset leursenjeux.Linguistesetdidacticiensdelalangueserelaientpour thmatiserlenseignementdelalangueaussibiendansledomainede lobservation rflchie de la langue (la grammaire) que par le biais de la textualit. Rappelant que le dveloppement des comptences en lecture reprsente un enjeu prioritaire de lcole obligatoire en Suisse romande, Sonia Guillemin etAlineRoucheproposent,dansleurcontribution,deslmentsde rponsepertinentsunequestiondlicate :questcequelire efficacement ?13Lancessitdedvelopperdesactivitsdecompr-hensionquidoublentlesactivitsdedcodagedestextesadjtsouli-gne. Les deux auteures focalisent sur ce dernier point en dtaillant la res-sourcedidactiquequereprsententlescerclesdelecture.Ceux-ci permettentauxlves,rassemblsenpetitsgroupeshtrognes dapprendreensembleinterprteretconstruiredesconnaissances 13 Sonia Guillemin et Aline Rouche sont toutes deux professeures formatrices en didactique dufranaislaHEPLausanne.SoniaGuilleminancresesactivitsdenseignementetde recherchedansledomainedeladidactiquedelalecture-criture(cerclesdelecture),de lorthographe,etduvocabulaire.QuantAlineRouche,elleenseignedansledomainedes premiersapprentissagesdelalectureetdelcritureenlienaveclalittraturedejeunesse plurilingue.M. Burger : Crise du franais ?9 partir de textes de littrature ou dides . Ainsi conu, le cercle de lectu-reestundispositifdidactiquequialliedeuxdimensionsessentielles :le caractre interactif et collectif de la relation au texte, permettant, selon les deuxauteures,deconjurerlcueilquereprsentesouventlemanquede motivation de llve. Enintroductionicimme,jvoquaisnonsansironielasituationactuelle decriseavreet/ouexagredelenseignementdufranaisenSuisse romande. Ce contexte inspire la rflexion critique laquelle se livrent Do-miniqueBtrixKhleretMartinePanchout-Dubois14.Danslesfaits,le Plan dEtudes Romand (PER) prvoit incessamment la mise en application denouveauxMoyensdEnseignement(ME)djcontroverss.Cycliques tout comme les crises de lenseignement, ces remaniements questionnent la cohrence didactique des instances comptentes, et montrent que les dcisions politiques ne saccordent pas ncessairement celles didactiques. Pourlesdeuxauteures,envertudesrsultatsdesrapportsduGroupede RfrenceduFranais(GREF),onpouvaitraisonnablementimagineru-vrer dans la continuit dun travail spcifique accompli en Suisse romande, travailquonpeutrsumercommetablissantlepassagedeltudedune langue artificielle trop littraire et exclusivement crite une langue incluantloral,exprimedansdestextesancrsdansdessituationsde communicationvaries15.Untelprogrammemneunedidactiqueint-gre, cest--dire qui inclut lensemble des activits rflexives conduites propos du franais en tant que langue, propos du texte, de la phrase, du mot, voire des oprations et stratgies mises en uvre en lecture et en cri-ture ,selonlesmotsdesauteures.Or,lechoixpolitiquedesmanuelsdu cycle primaire 2 et du cycle de transition va lencontre des objectifs pour-tant dclars pertinents des didacticiens. Le dbat se poursuit justement avec lquipe de didactiques de luniversit deGenve,autourdeBernardSchneuwly16.Commentdanslescolesen 14 Dominique Btrix Khler et Martine Panchout-Dubois sont toutes deux professeures forma-tricesendidactiquedufranaislaHautecolepdagogiqueducantondeVaudenSuisse. Aprsuneformationdelogopdiste,puisunepratiquedanscedomaine,DominiqueBtrix Khler a obtenu une licence en psychologie et a travaill en tant que chercheure, en particulier dansledomainedeladidactiquedufranais.QuantMartinePanchout-Dubois,aprsavoir enseign quelques annes en tant quinstitutrice, elle a obtenu une licence de lettres modernes et une maitrise de linguistique franaise. Martine Panchout-Dubois a particip en France la formationinitialeetcontinuedesenseignantsdansledomainedeladidactiquedufranais. Lesdeuxchercheuresfontactuellementpartiedunequipederecherchetravaillantsurles apports mtalinguistiques des approches dveil aux langues.15LutilisationdesmanuelsMatrisedufranaispuisSexprimerenfranaistmoignent dune telle politique didactique. 16BernardSchneuwlyestprofesseurordinaireendidactiquesdeslanguesluniversitde Genve. Ses travaux portent sur l'enseignement de l'expression orale et crite, sur les contenus enseignsdanslesclassesdefranais,surlerapportentreenseignement,apprentissageet dveloppement et sur l'histoire de la didactique et des sciences de l'ducation. Quant Chris-10Cahiers de lILSL, N 27, 2010 Suisseromandepasse-t-ondesobjectifsfixsdansdesdirectivesetdes plans dtudes des actes pdagogiques effectivement accomplis dans des classes ?Telestlequestionnementdesauteursquimnentunerecherche deterrainexemplaire :17squencesdenseignementtestespar17ensei-gnantsdeSuisseromandesontconsignesdansdesdocumentsaudio-visuels fins danalyse. Plus prcisment, lquipe de recherche centre son attention sur la manire dont la problmatique de largumentation est abor-de en classe selon le modle denseignement par des textes prconis par le GREF17. Lanalyse des transpositions didactiques se fait ainsi dune part parlebiaisduchoixdestextesintroduitsdanslessquences denseignement,ceux-citantpriscommedes analyseursdespratiques denseignement ; et dautre part, par la considration des types dactivit parlesquelslestextessontexploitsdanslecadredessquences denseignement.Ilressortquediversmodlesdenseignementcohabitent danslamaniredontlestextes sontrendusprsentsauxlves :du texteafonctiondoutilletexte mimeur danslestermesdesau-teurs quipermetdecadreruneproblmatiqueenlienavec largumentation,autexteafonctiondemodleou propice lexercisation descomposantesdelargumentation.Cesmodlestmoi-gnentdela sdimentationdespratiquesdenseignement ,manifestant des phases historiques distinctes. Enfin, il revient la contribution de Thrse Jeanneret de clore ce recueil18. LauteurerappellequeprvautencoreenSuisseromandeunevision monolinguedelcolealorsmmequilsagitdintroduiregnralement langlais aprs lallemand lcole primaire. Plus fondamentalement, un tel contexteoccultelarichessedesressourcesqueconstituentlesexpriences dapprentissagelangagierdeslvesallophones,toutcommecellesdes enseignants plurilingues. Ce faisant, lcole favorise une coupure entre le vcu des enfants et les expriences scolaires des lves . Thrse Jeanne-ret prconise ainsi de donner aux expriences vcues, et donc aux identits des sujets langagiers un statut lcole. Prnant le dveloppement dun savoirrflexifsurleslanguesenplusdesapprentissagesdespratiques topheRonveaux,ilestchargdenseignementlaFacultdessciencesdelducation lUniversit de Genve. Il y enseigne la didactique du franais et des littratures. Il sintresse aux transformations des objets denseignement. Avec le GRAFE, il participe des recherches sur les pratiques enseignantes de la discipline.17Largumentationconstitueuneproblmatiqueessentiellethmatisedsla5meanne primaire et ce jusquau terme de la scolarit obligatoire en Suisse romande. 18ThrseJeanneretestprofesseureassociededidactiquedufranaislanguetrangre luniversit de Lausanne. Elle coanime, avec Raphal Baroni, un groupe de recherche sur les biographieslangagiresdontlundesobjectifsestdtudierlesliensentrereprsentations socialesetinvestissementdanslapprentissagedelalanguetrangre.Linguisteetdidacti-cienne, sestravauxtraitentdaspectsdescriptifsetdidactiquesdufranaisoralen interaction et du franais crit. M. Burger : Crise du franais ?11 langagires,lauteurethmatiseunearticulationoriginaleentrelalangue de scolarisation et les langues trangres : les activits de biographies lan-gagires menes en classe. Comme celles-ci obligent expliciter et recen-ser des pratiques langagires vcues (notamment familiales), elles sont susceptiblesdefavoriserlcoleunrapportauxlanguespermettantnon seulement aux apprenants de tirer parti de leurs expriences bi ou plurilin-gues, mais aussi den faire profiter dautres, enseignants y compris. Marcel Burger (2010) REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES BALLY,Ch.(2004).Lacrisedufranais.Notrelanguematernelle lcole, Genve : Droz. DHERS,M.,DORANGEPh.,GARCIA-DEBANC,C.,PIERSONC.& SEGUY,A.(2006).Concoursdeprofesseurdescoles.Franais,to-mes 1 et 2, Paris : Hatier. PEYTARD,J.,GENOUVRIER,E.(1970).Linguistiqueetenseignement du franais, Paris : Larousse. YAGUELLO, M. (1988). Catalogue des ides reues sur la langue, Paris : Seuil. CIIP, Enseignement / apprentissage du franais en Suisse romande (2006). Documentlintentiondesenseignantsdelcoleobligatoiredela Suisse romande. CIIP,Lenseignement/apprentissagedufranaislcoleobligatoire (2002). Rapport du groupe de rfrence du franais. PS : Je tiens remercier tout particulirement Marie Molina pour sa relec-ture attentive des textes et plus gnralement son aide dans ldition de ce recueil. 12Cahiers de lILSL, N 27, 2010 Cahiers de lILSL, N 27, 2010, pp. 13-28 Linguistique et enseignement du franais Entretien de Marcel BURGER avec Jean-Michel ADAM Universit de Lausanne,Unit de linguistique franaise, Section de franais Jean-MichelAdamvousteslinguistedeformationetvostravauxtmoi-gnentlargementdunsoucididactique.Ainsi,onexploitevosrecherches dansdesdirectivesdenseignementenSuisse,maisailleursenEurope aussi en France et en Espagne notamment et mme bien au-del : au Brsil,enAfriqueduNordetauQubec.Parlez-nousdesrelationsentre linguistique et didactique. Defait,plusquentrelinguistiqueetdidactique,lesrapportsquejevois stablissent entre la linguistique et lenseignement du franais. En effet, la didactique est un domaine disciplinaire qui relve des Sciences de la pda-gogieetdelanalysedelcole,lesquellesnesontpasdirectementmes objetsderecherche.Enrevanche,larelationentrelalinguistiqueet lenseignement du franais reprsente une vieille histoire qui nous dpasse absolumenttouspuisquelagrammaireatoujourseupartielieavec lenseignement.Considrezparexemplecommentlagrammaireatau servicedelenseignementreligieux :laGrammairegnraleetraisonne de Port Royal1 est bel et bien invente pour traduire les textes latins, pour pouvoirlescomprendreetlesenseigner.Dunemaniregnrale,lesrap-portsentrelalinguistiqueetlesdomainesdelenseignementdelalangue maternelleetdeslanguestrangressontdesrapportsnaturels.Avecla multiplicationdesdomainesdespcialisation,onaeulimpressionque, petitpetit,leschampsdisciplinairesdevaientsedistinguer.Lesdidacti-cienssontdevenusdesdidacticiensprofessionnelsetducouponamoins demandaulinguiste,alorsquedanslesannessoixante-dixonattendait beaucoup de la linguistique dans les transformations de lenseignement du franais, de lanalyse de la grammaire et de la langue. On peut mme dire quil y a eu une erreur de demande, cest--dire quon a trop demand la linguistique de lpoque, et la dception qui a suivi a t la mesure de ce 1 Antoine Arnauld et Claude Lancelot, Grammaire gnrale et raisonne de Port Royal, Paris, Bossange et Masson, 1810. 14Cahiers de lILSL, N 27, 2010 malentendu.Enfait,onademandlalinguistiquederationaliser lenseignementdufranais ;or,ctaituneerreurprofonde,unedemande qui allait au-del de nos comptences. Maispourrevenirsurlesrelationsentrelalinguistiqueetlenseignement dufranais,jemeplaispenserquelalinguistiqueaunrapportnaturel lenseignementdelalanguematernelleetdeslanguestrangres,mais aussi lanalyse des textes. Mes travaux ont t utiliss dans le domaine du franais langue trangre et langue seconde, aussi bien que dans le domai-nedelalanguematernelle.Onnousdemandait,traversnosdescriptions desnoncsetdeladiversitdesdiscours,desmodlessurlesquelsles pdagogues ont rflchi et qui leur ont permis dintgrer leur manire les recherchesquisefaisaientenlinguistiquedutexteenparticulier,enlin-guistique nonciative galement. ce moment-l les choses sont devenues plus saines : ce nest pas le linguiste qui sest occup de pdagogie, mais ce sontlespdagoguesetlesdidacticiens,spcialissdanslesdiffrentes languesetdiffrentsdomainesdeladidactique,quisesontintresss certainstravauxdeslinguistesetyonttrouvdesrponsescertainesde leurs interrogations. Il est vrai que, ct de mes recherches, ds 1975 jai participaucollectifquianimaitlarevuePratiques2,quitaitungroupe militant.Dansnotreesprit,ilsagissaitentransformantlenseignementde lalanguematernelledetransformeraussilcolequontrouvaittrsrac-tionnaire. On esprait des transformations, qui sont dailleurs venues puis-queonttchangs,aumoinsenpartielesprogrammesetlaconception mme de lapproche scolaire de la langue. Changements devenus ncessai-res en raison des changements des lves et de la socit. Ma participation au groupe de Pratiques a fait que mes recherches ont t en partie dtermi-nesparundialogueaveclenseignement,cest--direquejaiconsidr quejenepouvaispastravaillerdansunebulle,maisquemontravailde linguiste devait avoir des implications dans le champ de lanalyse des dis-cours sociaux et de la thorie de la langue. Cest pourquoi je me suis int-resstrsttaudiscourspublicitaire,audiscoursjournalistique,audis-cours politique ct du discours littraire dont on reparlera tout lheure. Parailleurs,jaiorientcertainesdemesrecherchesendirectiondela lecture, non pas pour rpondre directement lchec en lecture des lves, mais pour minterroger sur les modles linguistiques qui pouvaient permet-tre de penser les rapports la lecture, la comprhension des textes, la pro-duction et la comprhension des noncs. ce moment-l, cette interroga-tion tait porte par une demande sociale, car il y a eu un moment une trs forte demande sociale : voyez aux Etats-Unis les travaux de William Labov parexempleolademandesurlchecscolairedesjeunesdesghettosva 2Pratiques,revuepublieparleCentred'tudesLinguistiquesdesTextesetdesDiscours, UniversitdeMetz.Fondeen1974autourdAndrPetitjeanetJean-FranoisHaltetdun collectif qui sest progressivement largi. J.-M. Adam : Linguistique et enseignement du franais15 amenerlesociolinguisteinventeruneautrelinguistique.Notreide noustaitlamme,cest--direquefacelademandesocialequiexistait le linguiste devait avoir des rponses non pas directes, mais devait orienter ses recherches dune manire qui permette de rpondre aux proccupations sociales.Etcemoment-l,monsens,lalinguistiquesetrouvaitancre sur des bases dimplication et dutilit sociales. Dailleurs, ma nomination Lausanne en 1984 a t faite sur un poste cr avecunedoubledemande.LasectiondefranaisdelaFacultdeslettres recherchaitunlinguistequisoccupaitdelittratureet,parailleurs,led-partement de linstruction publique de lpoque tait engag dans des gran-des rformes de lenseignement du Franais auxquelles tout simplement la Suisse ne pouvait pas plus chapper que la Belgique, la France et les autres pays.Ainsi,ledpartementdelinstructionpubliquevaudoisdemandait laFacultdetrouverunlinguistequisintressaitauxquestions denseignementdufranais.Sijaitnomm,cestbienparcequeje prsentaiscedoubleprofil,etnonpaspouruneautreraison.Doncjai toujours considr que mon engagement Lausanne tait li cette double demande.Jaitentdyrpondreductdurattachementlasectionde franais, dune part en continuant mes travaux sur le discours littraire que jtaisenfaitsurlepointdabandonneraudbutdesanneshuitanteau profitdelanalysedesdiscours ;etdautrepart,enquestionnantlechamp deladidactique,cequimaamencollaborerentantquexpertaux moyensdenseignementdelpoque,notammentavecJean-BlaiseGrize. Noustionssimplementconsultssurlespropositionsdesdidacticiens, maisnousnavionspaslamoindreinfluencesurlesorientationsdidacti-ques ; ni mme par rapport aux dcisions jai envie de dire tatiques surlarformedelenseignementduFranais.Defait,nousntionspas daccord sur tous les choix. Personnellement, je ntais pas daccord sur les optionsgrammaticaleschoisies,nisurdestasdepoints,maisctaitles didacticiens qui, en dernire instance, dcidaient et nous utilisaient comme rservoirdecomptencesthoriques.Ctaitassezintressant.Deplus, nousparticipionsactivementlaformationdesenseignantscestaussi une chose laquelle jai toujours beaucoup cru et, pendant prs de quin-ze ans, je me suis occup, avec les collaborateurs de lunit de linguistique franaise,delaformationdesenseignantsdefaontrsrgulire,nonpas pourfairedelapdagogie,maispourfairevraimentdelalinguistique : cest--dire en pensant que la linguistique aidait les professeurs rflchir surlalangue,et(re)penserleurapprochedestextes.Etlesrponsesdi-dactiques,ctaiteuxbiensrdelesinventer.Celasesttoujoursbien pass,aveclesoutiendudpartementdelinstructionpubliquedefaon ponctuelle,maisrgulire,etsurtoutaveclOFIAMTpendantplusieurs annes. 16Cahiers de lILSL, N 27, 2010 Jetermineraicecommentaireparuneanecdotemonsensrvlatrice. Lorsque je suis all la fin de lanne 2008 au Brsil, je me suis retrouv dansunamphithtreavecmilledeuxcentspersonnesvenuesentendre parler de linguistique. Cela ne mtait pas arriv depuis une ternit. Or, au Brsil, la linguistique intresse le corps social et elle intresse les pouvoirs publics pour une raison trs simple : cest une linguistique qui est au servi-ce de lenseignement et au service de la socit. Lanalyse de discours et la linguistiquetextuellesonttrsdveloppesetimplantesauBrsil.La linguistiquedudiscoursestdirectementenpriseaveclademandesociale danscepaysde190millionsdhabitants.Ainsi,destravauxcommeceux mens en Europe en analyse de discours intressent massivement les cher-cheurs brsiliens ; et a a t pour moi une exprience trs forte justement devoirquelpointcepaysenmutationpenselaculturedansunrapport aux questions de la langue. Et la linguistique a l-bas la fonction qui tait la sienne dans les annes septante et huitante. Jean-MichelAdam,vousavezsouligndansvotreinterventionquelalin-guistique avait du certaines attentes dans les annes huitante. Est-ce que finalement la demande sociale a chang ? Est-ce que ce rle de consultant que vous voquiez rle dvolu au linguiste a chang lui aussi ? Est-ce lelinguistelui-mmequiamodifisesapproches,samaniredentreren contact avec la demande sociale ou est-ce linverse ? Il y a deux choses. Dabord, il faut bien voir que la linguistique est devenue deplusenplustechnique,etltudedesphnomnesmicro-linguistiques sest dveloppe de faon magistrale. Pour moi la linguistique est toujours trsvivanteentermesderecherchesetdavancesdanslesdomaines dhyperspcialisation,maiscettelinguistique-lestdevenuetellement technique quelle est devenue quasiment illisible hors du champ des spcia-listes.Doncilyaeuundivorceprogressiflilatechnicit ;cestdu moinsunepremireexplication.Maisilyaunedeuximeexplication,les deuxphnomnessecroisant,deschampsdespcialisationssesontdve-loppsenFrancecesttrsclairaveclesinstitutsuniversitairesdefor-mation des matres et des didacticiens sont devenus de plus en plus des professionnelsuniversitaires.CtaitlecasluniversitdeGenvede faon trs pertinente avec tout ce qui sest fait autour de Jean-Paul Bronc-kartetdeBernardSchneuwly.Ainsi,ledomainedeladidactiquesest spcialis et du coup les didacticiens ont pris le relais : il y a des spcialis-tesdedidactiquedelalangue,dedidactiquedelalittrature,etc.Onaeu limpression que cela arrangeait en quelque sorte tout le monde. La drive descontinentstaittrsclaire :leslinguistespartaientdeleurct,etau moins ils ne se salissaient plus les mains dans les problmes didactiques et politiques ; et puis de lautre ct, les didacticiens avaient les mains libres. J.-M. Adam : Linguistique et enseignement du franais17 Doncjepensequecestcemoment-lqueledialoguesestaffaibli.Et cheznous,enSuisse,lesymptmecestlacrationdesHEP :leshautes coles pdagogiques se sont cres en dehors de luniversit. Cest quelque chosecontrequoijaicherchluttersansyparvenir.monsens,cest uneerreurquederompreledialogueavecdunctunespcialisation denseignantsdeHEPetdunautrectdesuniversitaires.Ilfautabsolu-ment quon maintienne les ponts cest ce que nous avons essay de faire et quon arrive faire, vous tes bien plac pour le savoir. Je pense que le dialogueentrelarechercheetleshautescolespdagogiquesestabsolu-ment ncessaire, il est maintenant rinventer, il ny a aucun doute cela. Parailleurs,sijecontinuetreinvitcriredansdesrevues denseignants a marrive assez rgulirement ou si je suis invit un peu partout dans le monde intervenir auprs denseignants, cest par rap-portcertainsmodlesthoriquesquejaidveloppssurlanalysedes textes et en particulier des types de textes. Donc, on me demande de parler dunapportthoriqueparticulier.Jemaintiensainsiledialoguesurces points thoriques, mais je dois gnralement les pdagogues parce que je leurdisjustementquelafaondontilsontlumestravauxesterroneet que je pense le contraire de ce que les instructions et manuels font de mes travaux.Detelsmoments,unpeudlicats,refltentbienlaralitdela didactisationdesrecherches.UnedeschosesquinousintressentLau-sanne,enlinguistiquefranaise,cestjustementcetterflexionsurlcart entrelathorieetsadidactisation.Cepointestimportantcarcestleseul moyen dchapper au malentendu des annes 1970-80 dont je parlais tout lheure.Iltaitabsolumentfauxdepensersimplementappliquerlinaire-mentlesmodleslinguistiquesdanslapdagogie.Onaboutissaitbiensr auxpiresrsultats,puisquonnepouvaitpastransformerleslvesen petits linguistes. Dans un texte des annes huitante, je cite lune des colla-boratricesduhonnimanuel Matrisedufranais ,Marie-JospheBes-son, dans le bulletin de lassociation franaise de linguistique applique de juin 1983, disait : puisque nous sommes avant tout des pdagogues et non pasdeslinguistes,ilnapastquestionpournousdintroduireenclasse luneoulautredesthorieslinguistiques,defairedelalinguistique lcoleetdechoisirdanschacunedellesdesinstrumentsdanalysepou-vant servir le mieux nos objectifs pdagogiques . Je trouve que cela rsu-me bien ce que doit tre le type de relation entre les linguistes et les pda-gogues. Parmivosobjetsdtudeprivilgisontrouvelestexteslittraires.Jean-MichelAdam,quvoquepourvousletitredecevolume : Langueet littratures littratures au pluriel pour lenseignement du franais en Suisse romande, problmes et perspectives ? 18Cahiers de lILSL, N 27, 2010 Jevaissurtoutcommenterlestroispremiersmots,cest--dire langueet littratures ,etplusprcismentle et quilesrelie,parcequejecrois quecelamriteuncommentaire.Dabord,envoyant littratures avec un s , jai immdiatement pens une ouverture des littratures au-del delalanguefranaise.Quandjelis littratures avecun s pour lenseignementdufranaisjenepeuxpasmempcherdepenserquel pointleslittraturesnesontpasdesphnomnesnationaux.Lalittrature franaise est une construction idologique qui sest particulirement durcie dj au XIXme sicle, et puis laube des grandes guerres, la premire et ladeuximeguerresmondiales,quandonessaydefaireunelittrature mdivale typiquement franaise dans un contexte de monte des nationa-lismes. Ainsi, la littrature franaise en soi a une existence trs relative. Leslittraturesnesarrtentpasauxfrontires,quisontdevritablespas-soires. La littrature franaise sest nourrie de tout ce qui lentourait, com-melalittraturerussesestnourriedeslittraturesdelEurope,parexem-ple, et on ne peut absolument pas penser des auteurs nationaux, sauf faire delidologieettromperlemonde.Penserlegrandsiclefranaisle XVIIme commeunelittraturefranaisepureestuneaberrationtotale, puisque la littrature de Molire, de Corneille, de Perrault, de tous les cri-vainssestnourriedItalie,dEspagne,etceladefaonmassive.On narrivepaspenserunXVIImesiclelimitauxfrontires.Cestaussi ridiculequelenuagedeTchernobylsarrtantauxfrontires.Voilune premire remarque concernant le s de littratures . Maisonpeutenformuleruneseconde.Selonmoi,lechamplittrairena pasbesoinde s parcequejustementilestvaste.Ilesttransnational dune part, mais dautre part il dpasse aussi les littratures canoniques. Et jecomprendsbienquece s atintroduitjustementpourmettreen questionlacanonisationdelalittratureavecunemajusculeetunsingu-lier :lagrandeLittrature.Laconceptionquejaidelalittratureestbien plusouverte,etjecroisquecestcelledescrivainsdetoutefaon :le champlittrairecomprendlalittratureenfantine,ettoutcequonrange danslessous-littratures.Ilnyapasdesous-domainelittraire.Laussi, cestuneentrepriseidologiqueetculturelledestinemaintenirunecer-taine forme dhgmonie relative aux canons qui forment les idologies des nations. En effet, on choisit les canons en fonction dune idologie nationa-liste. Or, la littrature est dune autre complexit et autrement intressante. Lesplusgrandscrivainssesontnourrisdes sous-littratures etmme des discours non littraires. Les plus grandes inventions de genres discur-sifs onttoujourstcherchesau-deldesfrontireslittraires,au-del des frontires nationales, mais aussi au-del des grands genres canoniques. Donc la vie de la littrature est un pluriel des littratures. J.-M. Adam : Linguistique et enseignement du franais19 Celamamneunetroisimeremarque.Lalittraturepour lenseignementdufranaisnesarrtepasunelittraturefranaisede France. Elle est aussi une littrature francophone. Ainsi, la littrature fran-aisecomprendleslittraturesdelafrancophonie :lescrivainsduMag-hreb,lescrivainsqubcois,lescrivainsbelgesetsuissesromandssont des crivains de langue franaise. De ce fait, classer Cendrars ou Jaccottet danslalittratureromandeestuneaberration :cesontdescrivainsde languefranaise,unpointcesttout.Maiscestlammechosepourceux qui auteurs mineurs nont plus droit qu une existence de littra-ture romande quienquelquesortelesmarginalise.Onvoitbiencom-ment limmense succs de Ramuz dans la collection de la Pliade rintgre cet auteur dans la littrature en gnral. travers la Pliade, on dsectoria-lise et dprovincialise Ramuz dune faon absolument magistrale. Donc le s de littratures est intressant dans ces trois dimensions. Pour le terme de langue cest un peu la mme chose. Jai du mal envi-sager le singulier ou le s sous-jacent. La langue franaise nest pas une languehomogneIlyadesfranaisdanslefranais,quisontleslangues de spcialit, les langues lies aux classes dges les adolescents ont une langueeux :ilsparlentmmeplusieurslanguesdanslalangueet nous-mmes,sinousneparvenonspasparlerplusieurslanguesdansla langue franaise, nous sommes handicaps dans la circulation sociale. Si je continue parler comme un professeur duniversit quand jai telle ou telle activitsociale,jesuisunsummumderidicule,uneaberrationvivante : heureusementquonestplurilinguedanssalangue.Lexprimentationdu plurilinguisme dans sa langue nest pas une question de linguiste dmago-gueoudgnr.Eneffet,lesplusgrandscrivainslontdveloppejus-tementendisantsefabriquerunelanguequiestcommeunelanguetran-gre chez Proust on trouve a de faon trs claire. La langue de chaque crivain, si elle est une vraie invention littraire, est aussi une invention de langue,avecdesspcificitsquisontlirecommedeslanguesdansla langue.Etlalittraturemintressejustemententantquelanguedansla langue. Ainsi,lapluralisationdelalangueestdjdanscettelanguepour lenseignement du franais. Le franais est pluralis. Il ne sarrte pas aux frontiresinterneslafrancophonie.Ilnyapasunsous-franaisdeRo-mandie.Quandmesenfantstaientlcole,jentendaissansarrtparler du fait que les petits Suisses parlaient mal, et que mes enfants taient sup-poss parler mieux. Cest absolument aberrant : ils parlaient aussi mal que lesautres,ouaussibienquelesautres.Cetteconceptiondelalanguedu type centralitparisienne reprsenteunedespiresmarquesidologi-quesdecentralismelinguistique.Laquestiondelapluralitlinguistique, cest--dire louverture sur les autres langues, est fondamentale. Dailleurs, 20Cahiers de lILSL, N 27, 2010 vivre dans un pays plurilingue a t pour moi lune des raisons de venir en Suisse : les monolingues sont les exceptions et les plurilingues sont les cas lesplusfrquentsdanslemonde,engnral.Onestplurilingueparsa famille et le corps social o lon vit. En Suisse, cest une vidence : voyez le nombre de couples mixtes linguistiques ! Cette ralit est saillante mme sionobserveparfoisdesrenoncementsunedesdeuxlanguessousla pression de lintgration. Ainsi, on voit des enfants de deuxime gnration neplusparlerlespagnolouleportugaisdeleursparentsetlegarderau fonddeux-mmesaulieudeleractiveretdenfaireunerichesse,eton pourraitdireadetoutesleslangues.Nileslittraturesnationales,niles languesnesarrtentauxfrontires.Etleplurilinguisme,cest--dire louvertureauxautreslangues,constitueundesmeilleursmoyensdepen-ser le langage. Ce qui est plus profond que la diversit des langues, cest le langage. Voil ce qui nous intresse, ce qui constitue notre objet de linguis-te :lafacultdulangagehumaindanssadiversitderalisationlinguisti-que. Jetermineraiparuneremarquesurle et articulantdansvotretitre langue et littratures . A la fin des annes soixante et septante, on a beaucoup utilis ce et pour tenter de runir les disciplines de la littra-ture,duchamplittraireetlesdisciplineslinguistiques.Jaimoi-mme critdeslivresquisintitulent Linguistiqueetdiscourslittraire ou Langue et littrature . De tels titres paraissaient naturels dans les annes deuphoriedustructuralismeetdelalinguistiquedominantlemodledes sciences de lhomme et de la socit. Or, comme le lien entre les linguistes etleslittrairessestdfait,onacessdanslemmetempsdepenserle lien entre langue et littrature. Du temps de la philologie, une telle articula-tion tait une vidence. Il suffit de voir comment nos collgues italiens ici Lausanne ne peuvent pas penser la langue en dehors de la littrature, puis-quecestlalittraturequiaforglalanguedelunititalienne.Lescoll-gues romanistes taient des spcialistes des langues romanes ET des littra-tures.Ilspouvaientaussibienparlerdelittraturequedelinguistique,et cela dans plusieurs langues et plusieurs littratures. Aujourdhui, lhyperspcialisation a entran une autonomisation du champ delalangueetduchampdelalittrature :leslinguistessoccupantdela langueetleslittrairessoccupantdelalittrature,avecmmedesdivi-sionsinternesauxsectionsdesuniversits.Defait,onneprendpastou-jours trs au srieux certains linguistes qui soccupent de littrature ou des littrairesquisoccupentdelinguistique.Lestudesculturellesparexem-ple ont balay la question de la langue dune faon absolument hallucinante eterrone,maisnanmoinscestunedesralits.Unedenosproccupa-tions nous, cest de maintenir le continuum, et cest pour cela que je salue la publication de ce volume. Il faut affirmer quil y a un continu du langage J.-M. Adam : Linguistique et enseignement du franais21 quifaitquelangueetlittraturesontractiveslesunesparlesautres,et totalementinsparables,mmesidestudespurementlittrairesoudes tudesdelinguistiquetrstechniquespeuventexisterparailleurs.Cepen-dant, perdre de vue le continuum entre la langue et la littrature est un des problmesdenotretemps.Ilpeutamenerlelinguisteneplusavoirde fond culturel et ne plus tre capable de comprendre limportance du lien, et du coup loublier dans la pdagogie. Je crois que la littrature est ncessai-relenseignementdufranaispourdesraisonsquonpourrapeut-tre dvelopper plus tard si vous le souhaitez, mais la littrature est aussi nces-saireaulinguisteencequelleestunespacedexprimentationdelalan-gue je prenais tout lheure lexemple de Proust, mais je pourrais pren-dre bien dautres exemples : la faon dont Proust tudie la langue de Raci-ne ou la langue de Flaubert est totalement grammaticale et dune prcision absolumentinimaginable.OntrouveencorechezleSartrede Situations I , des analyses de LEtranger et du Parti pris de choses de Francis Pongequisontdesanalysesstylistico-grammaticales3.Lescrivains,des annesvingtauxannescinquante,taientdesgensaucourantdelalin-guistique. Lausanne vient dtre soutenu un mmoire sur des confrences donnes parBlaiseCendrarsauBrsil.CemmoiremontrecommentCendrars sinspire de sa lecture dun livre de linguistique de Vendryes, qui venait de paratre.Cendrarsdonnedesconfrencesquisontdevritablescoursde linguistique et danalyse littraire. On a totalement oubli que jusqu la fin deladeuximeguerremondiale,pourlescrivains,lagrammairentait pas trangre la littrature. Gilles Philippe a bien dcrit cette ralit dans unlivrequiportepoursous-titre : Lemomentgrammaticaldeslettres franaises 4 :ondbattaitdustyledeFlaubertdanslesmdias,on stripaitcausedecertainsdesesusagesdesconjonctionsoudestemps verbaux.Heureuxtempsolonpouvaitavoircesdiscussionstrsgram-maticalisesdanslechamplittrairemme !Onnecherchedoncpas fairedunouveau,maisrtablirlacontinuit ;laractiverencherchant les moyens de penser ce continuum indispensable entre langue et littratu-re,etplusfondamentalemententreleslangues,leslittraturesetlesprati-quesdiscursives,carlenseignementdufranaisvaau-deldesquestions simplementgrammaticalesdelalangueoudesquestionslittraires,mais ouvre sur lensemble des discours. 3 Jean-Paul Sartre, Critiques littraires (Situations I), Paris, Gallimard, 1993. 4 Gilles Philippe, Sujet, verbe, complment. Le moment grammatical de la littrature franaise 1890-1940, Paris, Gallimard, 2002. 22Cahiers de lILSL, N 27, 2010 Justementvousvenezdvoqueruncontinuum indispensable pour reprendrevostermesentrelangue,littratures(aupluriel)etdiscours sociaux.Pouvez-vousprcisercepoint ?Commentetenquoidautres discours, comme par exemple le discours politique, le discours mdiatique, le discours publicitaire se situent-ils sur un mme continuum ? Oui,ilestncessairedeprciserunpoint.Lestexteslittrairesnousint-ressent en raison de leur complexit. Lanalyse de ces objets extrmement complexesetproducteursdesensestformatricepourlesprit.Onpourrait direlammechosedeslanguestrangres,celaexpliquaitdailleursla fonction du latin et du grec en leur temps : former des esprits en analyse de la complexit. On nest pas oblig de passer par le latin et le grec, mais par lacomplexit,oui.Lestexteslittrairesprsententlavantagedtredes universassezclosetproducteurdunsensconstruit,etcestpourcette raison quils forment une langue spcifique pour chaque texte, ou presque. LalanguedeCamusnestpaslammelanguedansLEtranger,dansLa Peste ou dans La Chute et Le Premier homme : il y a vraiment une langue propre chacun de ces textes. Cesunivers-lextrmementdensesnousplongentdansdessystmesde complexit et sont formateurs pour lesprit. Apprendre la complexit est un moyen de rsister la propagande publicitaire ou politique. De cette puis-sancemanipulatricedespeuplesparlapropagandeamerglancessit mme de lesprit critique et de la formation lesprit critique. mon avis, laformationlespritcritiqueparlescapacitsanalytiquesdvelopper chezlestudiantsetleslvesestdevenueuneurgencesociale :pour luniversit, pour lcole et pour les mdias. Ltude de la publicit ma t trs utile pour rflchir sur les langages de manipulation ;etcestpourcelacertainementqueplusieursthsesontt soutenues Lausanne dans ce domaine. Le discours politique nous intres-segalement,commeilpassionnenostudiantsetdoctorantsqui sengagentdansdesrecherchesextrmementintressantes.Laformation critiquelalecturedesdiscourspolitiquesestunaspectessentieldela formation citoyenne des lves et des tudiants. Quant la presse, elle doit aussitretudiecommeundeslieuxdexercicede genresdiscursifs particuliers : il faut apprendre lire la presse. Cela constitue aussi une des raisons douvrir la rflexion et lanalyse des domaines de ce type : la littrature est un univers de sens, mais une page de journallestgalement,commeunplacardpublicitaire,ouundiscours politique.Cequifaitsens,toutcommecequinousapparatcommeun non-senslogiqueouidologique,doittreanalysjustemententantque tel.Notrerle,eneffet,nestpasdeformerdesidologuesenformatant J.-M. Adam : Linguistique et enseignement du franais23 politiquementdestudiants,maisdeformerdestudiantscapablesde contre-argumenterauxdiscoursdelamanipulation.Onpeutesprerdve-lopper une telle capacit au contact de lanalyse des discours mdiatiques, politiquesetpublicitaires.Personnellement,jaitfascindevoircom-ment, aprs la deuxime guerre mondiale, lAllemagne a su se relever dun terriblerouleaucompresseuridologique,paruneformationscolaireex-trmement vigilante et active. Les lves de lpoque faisaient des analyses dediscoursdeGoebbelspourcomprendrecommentlepeupleallemand avaitputremanipul.Jetrouvequenoussommesquantnoustrsen retraits, alors que nous avons t manipuls, et nous sommes encore mani-pulsparuncertainnombredediscourspolitiquesetsociaux.Ainsi,la linguistiquedudiscourscest--direlouverturedelarflexionversle champ des discours en gnral forme les fondements du franais, et nos travaux doivent porter sur lensemble de ces domaines. Latchedelalinguistiquedudiscoursestpassionnante.cetitre,est-il justededirequelediscourscestlancragedulangagedanslesralits sociales ?Etquelesensdundiscoursnatdecetancrage-l ?Dansle mmeesprit,est-cedirequedanslecontextescolairecequifaitsens pour un lve cest ce qui va susciter chez lui de lintrt ? Prcisment, le rledulinguistecommeconsultantseraitalorsdepromouvoirla rflexion sur les discours, ou, mieux encore, la rflexion sur la langue dans les discours ? Oui je crois que cest la cl. Cest sans doute la raison du flottement dans le dialogue entre les linguistes et les pdagogues que jai voqu. En particu-lier, lorsque les linguistes ont avanc la ncessit de travailler sur des uni-ts globales les textes et les discours on a cru quils laissaient tomber la grammaire et la langue ; et cela a pu donner limpression que nous pro-posionsdeneplusenseignerlalangueetlagrammairelcole.Mais lurgencequilyavaitdepenserletoutdestextesetdesdiscoursaeuun effetpositif.Leslinguistessesontconcentrssurcequifaitsensdansla globalit :untexteconstitueuneunitdesens,alorsquunephraseperd gnralementdesasignificationlorsquelledevientunexempledegram-maire. Il ny a qu repenser aux manuels de lecture des jeunes enfants. On pouvaityliredesphrasesdpourvuesdesens,maiscependantutiles lapprentissage de la lecture du fait de jouer sur les syllabes. De telles acti-vitsfonctionnaientaveccertainslves,maispasavecuntypedlve : ceuxquiprcismentavaientbesoinqueleursactivitsscolairesfassent sens .Or, une grande partie des difficults de lenseignement est lie cette ques-tion des activits qui ont un sens et vont permettre llve de mobili-ser ses capacits dmerveillement et de passion et celles qui nen ont pas. 24Cahiers de lILSL, N 27, 2010 Bien sr, certains ceux dont lesprit est plus mathmatique arrivent sepassionnerpourdesrsolutionsdeproblmesquinontpasdesens, maisquisontdesjeuxpurementlogiques.Certainsespritssontforms commecelaetpeuventfortbienfairedelagrammaireabstraite,maisla plupart des lves ne ragissent pas de la sorte. Dune manire gnrale, on observe que plus la diversit sociale introduite lcole est marque et plus onaffairedeslvesayantbesoinqueleursactivitsfassentsens ;ce sonteuxquiontsouventlimpressiondtreembarqusdansdesactivits gratuites.Cestlundesgrandschocsdesenfantsdesmilieuxdisons populaires , au sens trs large. Par consquent, le fait que lactivit fasse sens est pour nous fondamental, cest un moteur pdagogique et cela reste vraiavecnostudiantsuniversitaires.Onlesvoitbiendcrocherquand toutcouplobjetcessedefairesensoudtreunproblmedesens.Un non-sens dans un texte est passionnant parce quil constitue un obstacle la comprhension,commedailleurslefontlesmotsdeslanguestrangres. Jaivudestudiantsmdiocressepassionnerpourrsoudreunproblme denon-sensparcequejustementletextersistaitetquilfallaitfranchir cette rsistance. Le dfi de la difficult stimulait leur esprit. Ilestncessairederedonnerauxactivitsdegrammaireunefonctions-mantique.Parexemple,onpeuttrsbienarriver(faire)quesi lorthographeestncessaire,cestparcequelorthographefaitsens.Mon-trer ce quon gagne en place, mais ce que lon perd en information sman-tique en crivant les mots-sms est une rflexion de base. Bien sr, il y a des apprentissagesquidoiventtreengrandepartiemcaniques(paradigmes desverbes,rglesduplurieldesaccords,exceptionsorthographiques mmoriser),maisilsdoiventnanmoinstermefinirparfairesens.La finalitpeuttrelointaine.Ilyauntemps,ctaitlarussitescolaireet sociale qui suffisait faire sens. Maintenant que lcole ne mne pas obli-gatoirement un premier mtier, la finalit doit tre perceptible plus direc-tement, et il sagit ainsi de rinventer des activits qui font sens. Ainsi,lalinguistiquedudiscoursconsistepenserlesphnomnesde languedansdesuniversdesens.Etcestlaraisonpourlaquellejepense quonpeutfairedelagrammaireavecdestexteslittrairesouavecdes textes publicitaires, qui sont tous deux des lieux de mise en mouvement de lalangue.Toutcommeuntextelittraire,untextepublicitairepeutrin-venterlalangue :cesinventionspeuventtremdiocresoufranchement nulles,maisellessontdanstouslescasintressantesentantquemisesen mouvementdelalangue ;etcetteexprimentationdeetdanslalangue vivante est dynamise par la volont de produire du sens. J.-M. Adam : Linguistique et enseignement du franais25 lirelesmdiasetconsidrerdercentsvnementspolitiquespar exemplelavotationproposduneinitiativeconcernantdesrformes scolairesdansdiffrentscantonsdeSuisse onalimpressionque lenseignementdufranaisetplusgnralementlalangueviventunecri-se ?Oudumoinstraversentunezonedefortesturbulences :quelleest votre opinion ? Onalimpressionquelacriseestunconceptpermanentdesquestions denseignementdufranais.Onretrouveunetellecriseengrostousles vingtans.Lundestempsfortdelacriseestlielarrivedustructura-lisme,lafindesannesseptante,ouautoutdbutdesanneshuitante. QuandjesuisarrivenSuisse,en1984,lacriseestterribleautourdes transformations en cours de lenseignement du franais. Cela se manifestait pardesarticlesdansla GazettedeLausanne ,dansla Nation ou encoredanslecourrierdeslecteursde 24heures .Jaigarddesexem-plesdinterventionsabsolumenthallucinantes,duneviolencetonnante. Maistoutcelamatoujoursfaitsourireparcequecelamerappelaitles grandescrisesdesannestrente,Genve.Cestunepriodedegrande polmiqueenSuisseromande.En1930,lelinguisteCharlesBally,la demande du dpartement de linstruction publique de lpoque, donne une srie de cinq confrences recueillies dans un petit livre intitul La crise du franais5. Il est intressant dobserver que cest aussi cette poque quon dbat en mme temps de lcriture de Ramuz : la presse franaise sindigne delindigencedelcritureramuzienne ;onlacondamneparcequelle dnature la littrature, comme on condamne lauteur. Ainsi, la crise touche la littrature dans le mme temps que lenseignement de la langue. lpoque, on pense vritablement que la socit est en train deseffondrer.Ilsuffitdelirelestextesquiparaissentavantlapremire guerre mondiale et entre les deux guerres pour voir quel point la question delacrisedelalangueatpuissante.Maisdjen1863,alorsquese dessine ce qui sera la premire grande crise du franais , Littr dfinit ce quilappelle lacrisedelangue comme : undsaccordqueletemps amneentrelalanguefixeparlusageetparlcritureenuncertainmo-ment et lesprit des hommes qui la parlent et dont les modes de comprendre etdesentirchangentincessamment 6.Danslemmeordredides,au moment du dbat suscit par labandon du latin comme langue de rdaction deladissertation,onpensaitquectaitlafindumondeetdelaconnais-sance et que tout allait seffondrer. Sitouteslesgrandesrformesontproduitunmmedsarroi,cestquece quitouchelalanguetouchelhistoiredusujet.Defait,chaquefois 5 Charles Bally, La crise du franais, Genve, Droz, 2004. 6 Emile Littr, Histoire de la langue franaise. Introduction, Paris, Didier, 1863, p. LII. 26Cahiers de lILSL, N 27, 2010 quune proposition de rforme a lieu, elle touche lidentit des parents qui ne peuvent pas penser autrement que de faon nostalgique leur rapport la langue. Ils ont limpression que si les modles qui les ont forms changent, cest lensemble de leur univers qui seffondre. Or, on a toujours chang la grammaire :lesgrammairiensduXVIImeestimaientqueRacinefaisait desfautesetqueCorneilletaitincapabledutilisercorrectementlepass compos et le pass simple (rgle des 24 heures) ; Port-Royal rinvente la grammaire ;NicolasBeauzeestunrformateurdelagrammaire,dans lEncyclopdie. Ainsi, le dbat autour de la norme, cest--dire le conserva-tismedelalangue,atoujourseulieu.Onpeutdirequilsagitduneten-dancenaturellevisantconserverlalangueparcequelessujetsparlants craignent,facelvolutiondunelanguequiesttoujoursvivante, leffondrement de ce qui est la source de leur identit de sujet parlant. Celaexplique,jecrois,la dramatisation descrises.Celles-cisemani-festentdabordendestermestrsindividuels,etpuisparlasuiteendes termes sociaux, reprsentant un lieu de conflit entre le conservatisme et les forcesdechangementdessocits.Toutncessairementpasseparlalan-gue ; et par consquent touche lenseignement de la langue un moment ou un autre. Je voudrais terminer par deux citations clairantes : lune, de CharlesBally,datede1911,danslaRevuePdagogique : ledbatnest pasclos,lespamphltairesquiassaillentlanouvellegrammairedune plumealerteetfougueusereviennentlattaque,lidedirectricedesd-tracteurssemblenetteetsimple,voiresimpliste,lavoici :lacrisedela cultureclassique,lacrisedufranais,ontpourcauseprimordiale,pour cause quasi-unique, lesprit de la nouvelle mthode. Cest sous linfluence nfasteetdespotiquedequelquesmatres,blouisdundoublemirage,le mirage de la linguistique et le mirage dun idal dmocratique malentendu, quelacriseaclat .Cestduneextraordinaireactualit.Oncroittou-joursquelespdagoguesquelsquilssoient vousvoyez,ilsnontpas besoindtre structuralistes ou constructivistes ,carilsneltaient pas encore dans ces annes-l sont responsables dune crise : ds quune nouvellegrammaire,cest--direunenouvelleidedelalangue,surgit, alorsunecrisedelacultureapparat.Cestlammechoseaveclescri-vains.Lorsquilsrinvententlalangue,ilscriventpardfinition mal . En fait, comme disait Proust, ils crivent une langue trangre dans la lan-gue. Lasecondecitation,dAntoineMeillet,datede1917 : Lacrisedufran-ais, dont on sest plaint dans les dernires annes, nest pas nouvelle. Il a toujours t difficile dcrire le franais littraire, qui, dans sa forme fixe, na jamais t la langue que de trs peu de gens et qui nest aujourdhui la langueparledepersonne.Ladifficultgranditdejourenjourmesure quegranditladiffrenceentreleparlerdetouslesjoursetcettelangue J.-M. Adam : Linguistique et enseignement du franais27 fixe,aufuretmesurequonsloigneetdutempsetdesconditions sociales o la langue littraire a t constitue. Ceux des lves des lyces quisontissusdemilieuxouvriersoupetitsbourgeoisontsouvent grandpeinepourarrivercriredunemaniremmedemicorrectele franaislittraire,quidiffreprofondmentduparlerenusagedansleur famille. Beaucoup ny parviennent jamais 7. Le fait que presque un sicle plus tard, on puisse reconduire cette analyse en changeant peu de mots tient aufaitparfaitementrsumparCharlesBally : Laviedulangageest rgie,commecelledeshumains,pardeuxtendancescontradictoires :il changeetilrsisteauchangement ;ilsetransformeparlusagequonen fait,etcetusagemmecreunetraditionquilimmobilise. 8Ilfautd-dramatiser et relativiser. 7 Antoine Meillet, Les langues de lEurope nouvelle, Paris, Payot, 1917, p. 174-175. 8 La crise du franais, p. 17. 28Cahiers de lILSL, N 27, 2010 Cahiers de lILSL, N 27, 2010, pp. 29-46 Brve halte avant lexplication de texte Jean KAEMPFERUniversit de Lausanne, Section de franais DEPUISGUSTAVELANSON,quilaimposelensembledelcole rpublicaine, cest--dire depuis cent ans bien sonns, lexplication de texte estetrestelexercicemajeurdu gradusadParnassum littraire1. Prenonsunmanueldelittrature :lessicles(ouunseul)dfilent,dbits enchapitresgnrations,dcenniescommeautantdedevantureso lonexposecommodmentcrivainsetcoleslittraires.Maisdeloinen loin, le train de lhistoire sarrte. Lors de ces stations, llve-voyageur est invitconsidrerdesblocsdetexteunsonnet,unescnederoman prlevssurlefluxtemporeletexemplairementisolsparlatypographie ouquelquecadre :cesontlestextesquildevraapprendreexpliquer. Progressivement,unmusedelalittratureseconstitueainsi,quirunit selonleprincipeconomiquedelasynecdoqueunecollectiondefleurons emblmatiques. 1. INTRODUCTION : QUEST-CE QUUN TEXTE LITTERAIRE ? Aveccesblocsprlevsouhabilementdcoupsdanslamasseimmense descritsosillustreunelanguenaturelle,jetiensleparangon(laforme idal-typique)decequedsignelexpression textelittraire .Mais avantdejustifiercetteaffirmation,ilfautpeut-trequejesachecequest untexte,etuntextelittraireparticulirement.Vastequestion,nous sommes bien daccord ! (Et pourquoi pas : Quest-ce que la littrature ? tant quon y est ) Sartre, oui, qui semploie dabord dfinir lessence (double : posie et prose) de son objet, honorant ainsi le titre de louvrage : 1CepointdhistoireestbiendocumentdansCompagnon(1983,75-89).Lexercice dexplicationdetexte,telquilestdfiniparLanson, comprenddeuxtapes :une explication, surtout grammaticale, du sens littral, puis, surtout historique, du sens littraire (p. 81). Mais sa finalit est lappropriation actualisante des uvres du pass, cest--dire la recherchedelusageetdesapplicationsactuellesdeluvretudie (Lanson,citpar Compagnon, ibid. p. 83). 30Cahiers de lILSL, N 27, 2010 Quest-cequelalittrature ?Maisbientt,larflexionprendunvirage historique via lanalyse des publics de lcrivain depuis le Grand sicle avantdedboucheravecledernierchapitredeQuest-cequela littrature ? : Situationdelcrivainen1947 (lannedeparutiondu livre),surlinflexionactuellequelestempsprsentsimprimentla question. Etbien,sijemetourneversquelquesdfinitionsrcentesdelanotionde texte , telles que je peux les trouver dans des ouvrages spcialiss par exempledansleDictionnairedeslittraturesdelanguefranaiseoudans leNouveaudictionnaireencyclopdiquedessciencesdulangageje constate un mouvement comparable, qui mne chaque fois de la structure linguistique du texte vers les fonctions socio-culturelles qui sy ralisent.AinsiVanDijkpartdela notion (letexte commeformeverbale identifiableetdlimitable -VanDijk1985,2282b)pouraboutirla situation lensembledes contextes,pragmatique,cognitif, socioculturelethistorique,quidterminentlespratiquestextuellesetsont dterminesparelles (VanDijk1985,2281b) ;quantSchaeffer,il montrecommentlanotiondetexte,dabordcantonneparsesthoriciens danslaclturestructuraledesgrammairestextuelles,sestouverte,par lapport de la pragmatique, lide que la textualisation ne rsulte pas de lamiseenuvredunalgorithmegrammatical,maisestuneactivit processuelleobissantdescontraintesquisontessentiellementdordre cognitif et communicationnel (Schaeffer 1995, 603). Lapagedetitredunlivrercentsurlesujet,Lalinguistiquetextuellede Jean-Michel Adam, rsume bien ce mouvement ; il pourrait sembler quon esticiductde lalgorithmegrammatical letextecommeobjet abstraitrelvedelagrammairetransphrastique (Adam2005,28),note dailleursAdam.Maisvoiciquunsous-titre(quiestaussiletitredu premier chapitre) Introduction lanalyse textuelle des discours corrige le tir, intgre la linguistique textuelle dans un horizon plus vaste, o elle se voitattribueruneplacesimplementpropdeutique :danslecadre englobant de lanalyse des discours, le texte comme objet transphrastique devientactionetprendplacesurlethtredesformationssocio-discursives o sordonne la parole humaine. 2. STRUCTURE ET SITUATION Letextesedploiedansunedoubledimensionstructuraleet pragmatique :voilleconsensus,aujourdhui.Jereprendscesdeux aspects,encommenantparlastructure.Letexte,quiseprsente J. Kaempfer : Brve halte avant lexplication de texte31 matriellementcommeunecollectiondnoncsdampleurvariable(cest une squencedephrases ,ditVanDijk1985,2282b),nestpasune ralitamorphe :ilexiste,etconsiste,dansune tensionentre discontinuit (segmentation des units) et continuit (liage) (Adam 2005, 62) ; obit une sorte de rythme vital dtermin par un double principe de cohsionetdeprogression ;etcestcebattementduMmeetdelAutre quiraliseprogressivementlacohrencesmantiquedensembleque le texte,commeformeverbaleidentifiableetdlimitable,demande (Van Dijk1985,2282b).Demande :jesoulignecedernierterme.Dosourd, dansletexte,cetteobscurevolontdtrecomprisdans untout significatif (VanDijk1985,2282b) ?Unepremirerponseserait :du texte lui-mme. Si je me dcide pour cette conception raliste du texte, jevaismattacher,dansuneperspectivelimiteetmodestement oprationnelle, dtailler lesrelations dinterdpendance qui font dun texteunrseaudedterminations (Adam2005,29).Cestlobjectif dAdam dans sa Linguistique textuelle. Uneautrerponse, subjectiviste ,seraitdedirequelacohsion structuraledutexteestlefaitdeceluiquienprendconnaissance :ainsi, pourTeunA.VanDijk, lunitsmantiqueetpragmatiquedudiscours, quisersumeparlanotiondecohrence,nestpas,proprementparler, dans le texte, mais plutt assigne au discours par le locuteur/auditeur (VanDijk1985,2282b).MichelCharles,danssonIntroductionltude destextesradicaliselathseenpostulantquuntextesonunit,sa cohrence naccde lexistence que grce au commentaire quun lecteur (badaud ou professionnel) en propose : Mon intervention sur le texte [] lefaitexister[] ;ilnyapasdetexte,maistoujoursuneinteractiondu texteetducommentaire(Charles1995,47).Maislaquerellequeje construis ainsi (entre ralistes et relativistes ) nest peut-tre pas trs pertinente, car il faut tenir compte de la nature particulire de la pomme de discordeletextequiesticienjeu.Letexteestunobjetdelangage, voillepoint ;ilconstitue, parexcellence,lunitdelinteraction humaine (Adam 2005, 29). Or, comme nous sommes tous un peu Grecs, nous admettrons sans trop de peinejimaginequelestextes,parcequecesontdeshommesquilesont penssetconstruits,sortenttousdummemouleprimordialceluidela rationalitlogique(avecsesprincipes :didentit,denon-contradictionet detiersexclu).Siuntexteestcohrent,sedonnereconnatredansla clture dune structure (qui peut tre trs complexe), cest sans doute parce quilmanifestelescatgoriesdelentendementoilatrouvsa configuration principielle. Ds lors, la question nest plus celle de la poule oudelufcest--dire :lacohrencetextuellevient-elledutextelui-mmeoudelastimulationhermneutiquequecelui-cisuscitechezson 32Cahiers de lILSL, N 27, 2010 commentateur ? mais se ramne un phnomne de congruence : ceux, linguistesoucommentateurs,quienexplicitentlastructure,lestextes renvoientenmiroirleurpropretravaildestructuration.(Certes,ilyades textestrsincohrentscommentloublierais-je :certainessemaines,il marrive mme davoir en lire plus que de raison mais on ne peut pas dire,decescollectionsinformesdephrases,quellesconstituent, proprement parler, des textes. Ce sont des conglomrats verbaux de hasard quiprocdentdunusagedistraitdelentendementcarsilentendement est donn tous, son usage se cultive). 3. AUTORITE Quoiquilensoitdecesconsidrationsunbrinspculatives,nullepartla notiondetextecomme toutsignificatif enclosdanssacohrence ne sincarne plus impeccablement que dans les blocs chus du Panthon que jvoquaistoutlheure.Cesblocsprdestinspourlexplicationscolaire sontcourts,toutdabord ;letextesydonnevoirphysiquement :surla page du manuel ou sur la photocopie distribue aux lves, le texte abstrait de la thorie vient ma rencontre ; je pourrais mme dire quil tient l tout entierdansmamain.Enoutre,dupointdevueidel,cetterduction portativedutexte,jepourraisdireencorequellesetientconfortablement souslildemonesprit,parcequetoutatfaitpouryconjurerle disparatesoitquelemorceauchoisiaitlamabilitdeseprterdelui-mmeaujeudelacohrence(telsonnetdeRonsard),ouparcequun prparateur prvenant la isol en respectant quelque frontire naturelle (exemplefacile :tellepagedeZolaquisedcoupedelle-mme,entrele moment o le personnage saccoude sa fentre et celui o il la quitte). Maisjeparledephotocopies,declassesdcole :jemesuisdoncdplac verslasecondedimensiondterminantedutexte,celledesonintgration dansuncontextepragmatique.Etpourtretoutfaitprcis,jemesuis donnainsilasituationquivamoccuperprincipalementdanslecadrede cet article : celle de la leon dexplication de texte. Cette focalisation sur le contextescolaireapoureffet,jeviensdeledire,dematrialiserlanotion detexteenrendantcelle-ciclairementidentifiabledansdesmodles rduits.Aquoiilfautajouterunautretraitsingularisant,voqu galement :savoir,quecesprlvementstextuelssontloindtre quelconques.Unerputationflatteuselesprcdeetjustifieapriorile tempsquonsapprteleurconsacrer :cesontdestexteslittraires.Les textestelsquilsmintressentici,isolsdeleurcontexteimmdiatle roman, le volume de posie do ils ont t tirs , soustraits au tuf culturel quilesrendaitsolidairesdunepoque,puisrepragmatissdanslemuse J. Kaempfer : Brve halte avant lexplication de texte33 idal o ils brillent lun ct de lautre comme autant de belles monades verbales :cestextessonttransfigurs ;ilssontdevenusdesobjetsdart des monuments (ou des bibelots) indubitables ; et les classes de franais de serendreencesmuses,hebdomadairement,poursylivrerau commentaire guidOr le principal trait pragmatique qui spcifie cette situation textuelle, cest son caractre dautorit : le texte fait lobjet dune forme de respect, due elle-mme une forme dautorit quil est suppos avoir (Charles 1995, 33).JerejoinsvolontierssurcepointMichelCharles,quiajoutece corollaire :letextelittraire,ainsidfini,sinstalledanslaproximitde deux autres familles de textes qui partagent les mmes qualits illocutoires le texte sacr et le texte de loi. 4. DON Voil des rapprochements intressants surtout celui avec les textes sacrs. Car si je minterroge maintenant sur les causes historiques qui ont pu valoir autextelittrairesonauradautorit,cestsurdesphnomnesdetype religieuxquejetombeassezvite.CelacommenceauXVIIImesicle, aveclavnementprogressifdu cultedesgrandshommes (Bonnet 1998) (Voltaire, Rousseau, Diderot en sont les idoles), qui entrane dans sa fouleleplaisirgnreuxdadmirerlesuvresdart(pluttquedeles juger en fonction de leur respect de telle ou telle rgle )2. Car mettez un hommedevantunchef-duvre(expriencephnomnologiquequoi nousinviteVictorHugo) :celui-ciregarde,coute,et peupeu,ilfait plusqueregarder,ilvoit ;ilfaitplusqu'couter,ilentend.Lemystrede l'artcommenceoprer ;touteuvred'artestunebouchedechaleur vitale ; l'homme se sent dilat (Hugo 1985, 579). PourMadamedeStal,comparablement,laposieest unepossession momentane de tout ce que notre me souhaite ; le talent fait disparatre les bornesdelexprienceetchangeenimagesbrillanteslevagueespoirdes mortels (DeStal1968,209).Maissilechef-duvre,quitransforme lobscuritvaguedusortenimagesbrillantesetsublimes,impressionne profondmentsoncontemplateur,cestdabordparcequilimposece dernier laconstatationravissantedutriomphedel'hommedansl'art,le magnifiquespectacle,enfacedelacrationdivine,d'unecration humaine (Hugo1985,579). EdelseiderMensch :laconfiance humaniste qui anime le clbre pome de Goethe (Das Gttliche, dont cest 2 Sur ce virage, vers 1800, voir le chapitre La crise romantique dans Todorov (1977). 34Cahiers de lILSL, N 27, 2010 icilepremiervers)trouveunargumentsrieuxdansledpassement dmiurgique de la nature cre dont les grands hommes sont capables.Aquoisajoutequela perturbationfconde (Hugo1985,580)qui rsultedelexpositionauxchefs-duvreaaussisafaceobjective :si lhommealors palpite ,cestparcequenfacedelui,dans l'audace qu'acettechosed'treunchef-d'uvrectdusoleil sedonne explorer(continueHugo) l'ineffablefusiondetousleslmentsdel'art, laligne,leson,lacouleur,l'ide,enunesortederythmesacr,d'accord avec le mystre musical du ciel (Hugo 1985, 579) ; cest--dire un rseau serr,complexeetdynamiquede relationsdinterdpendance (Adam 2005, 33), autant dire, un texte 5. CONTRE-DON La dynamique interne des chefs-duvre reproduit les qualits structurales (cohrence et organicit) que nous reconnaissions tout lheure au texte ( lanotiondetexte)engnral.Celanedoitpasnoustonnerbiensr,car aprstoutlepoteetlelinguisteserencontrenticiloccasion,trs gnrale,dunmmeobjetanthropologique.Maislorsqueletextedu linguistespuisedanssadescription,celuidupotelaissedsirer :il donnedudsir,etlenourrit.Voilladiffrence,pragmatique.Letexte littraire rsiste , comme on dit ; ou encore, il est (plus) profond ; et comme dit Hugo, les doubles-fonds du Beau sont innombrables (Hugo 1985, 579). Derrire le sens obvie (ce que je comprends du texte), le texte littrairelaisseentendreunautresens,indirectetseulementsuggr :le texteestundonn,maisletextelittraireestundonomagratitude ferventeestappelecomposerletmoignageprobantdelagrandeur humaine.Ainsinatlacritiquedinterprtation,quisinstalle dans luvrepourpouserlesmouvementsduneimaginationetlesdessins dunecomposition (Rousset1962,XIV),sansautrecritreque lexprience intime dune rsistance. Dans une chambre vide, sur une table,unlivreattendsonlecteur (Poulet1971,275).Voilledcor minimal cest Georges Poulet qui limagine o sordonne le contre-don hermneutique quappellent les chefs-duvre. Le lecteur qui entre dans la chambre est vacant comme elle, et donc prt aux mtamorphoses : les mots du livre quil tient maintenant entre ses mains semparent peu peu de lui, oprentunevritable insufflationdevie (Poulet1971,285).Toutesa conscience soffre au texte qui lenvahit : ce moment, ce qui mimporte, cestdevivredelintrieurunecertainerelationdidentitquejaiavec luvre, et rien quavec luvre (Poulet 1971, 284). Cette humble extase constitue le premier moment le moment, essentiel, delacquiescement J. Kaempfer : Brve halte avant lexplication de texte35 dun trajetcritique 3quivaconduirelelecteurversladescription objective de luvre (dans le jaillissement ordonn de ses structures), puis vers la prise en compte de ses dehors (psychologiques et sociaux) avant de souvriretdesactualiserdanslelibredploiementdunerflexion autonome.La perturbationfconde qui,aucontactduchef-duvre,a branl le lecteur et la mis en mouvement sest maintenant inverse en une activitenpropre :lelecteur,depassif,estdevenupasseur ;ensefaisant linterprtedes grandshommes ,ilredonneunevienouvelleaux univers que ceux-ci ont ajout au monde ; et il en assume ainsi lhritage. 6. LONGUE HALTE AU SOMMET DU PARNASSE Voil donc bross grands traits le mode dinterlocution culturelle dont lexplicationdetextedevraitfavoriserlapprentissageetsusciterledsir. Lirelestextes,lesinterprter,etsapproprierainsilhritagedontilssont lesstles :tellessontlesstationsdunedynamiqueintgrativequelcole delaTroisimeRpublique,layanttrouveetapprciechezlesgrands magesromantiques (Bnichou1988)duXIXmesicle,apropage avec succs au dbut du XXme dans toutes les bourgades de France, o elle survit aujourdhui, partiellement dlgitime, et non sans beaucoup de couacs.Ensoi,ilnyarienredireouplusprcisment :jenairien redireceproslytisme(jemyadonnetouslesjoursoupresque,par mtieretpargotprofond).Maislemouvementgnralquiemporte lexplicationdetextehorsdelle-mmeverssonbutassignformerles citoyens responsables de la Rpublique des lettres mrite dtre interrog. CettemonteauParnasseveutdutempsetdelavigueur.Lcolea-t-elle les moyens de lentranement intensif quexige lescalade ? Je ne peux pas enjuger(laconnaissancedesfaitsprobantsmemanque) ;maispour prendrelamesuredelaquestion,jevaisrefaireensensinverselechemin parcouru : avec Lanson, Hugo, jai gravi le Parnasse. Et bien, redescendons delhritageverslinterprtation,puisverslalecture.Onous retrouveronslaclassedefranaiset,oublieuxuntempsduMontsacr, nousadonneronsauxbonheursmodestesdelamarcheenplaine :brve halte avant lexplication de texte, et avant la reprise de lescalade Maispourlheure,nousvoiciausommet,dolavue,ilfautbienledire, est extraordinaire. Les chefs-duvre qui se dcoupent tous les points de lhorizonapparaissentcommeautantdemondesinditsmisnotre disposition : aulieudevoirunseulmonde,lentre,nouslevoyonsse multiplier,etautantquilyadartistesoriginaux,autantnousavonsde 3 Il nest pas de notion laquelle je tienne davantage que celle de trajet critique (Starobinski 2001, 34). Je rsume trs cavalirement ce trajet dans les lignes qui suivent. 36Cahiers de lILSL, N 27, 2010 mondes notre disposition, plus diffrents les uns des autres que ceux qui roulentdanslinfiniet,biendessiclesaprsquestteintlefoyerdontil manait, quil sappelt Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayonspcial (Proust1989,474).DanileSallenave,quivientdenous rejoindre, cette vue sexclame : cest la vie avec la pense (Sallenave 1991,16) !etplaintceuxquunsortcontraireretientenbas,dansla brume.Pourelle,unevieoleslivresmanquentelleappellecelalavie ordinaire est une vie mutile (Sallenave 1991, 41). La pauvre Louise parexemple estpassemillefoisdevantladmirableportaildelglise desJacobins ;or LouisenesaitpascequesontdesJacobins (Sallenave1991,66) ;conclusion :cestrienmoinsque lafinde lEmpireromainquirecommence (Sallenave1991,67)ainsietse gnralise(Louiseestunemblme)unpeupletoutentiercherchant soncheminauhasarddansdesruinesincomprhensibles.Quelle vhmence dans la mlancolie ! Ilmestdifficiledemyassocier,mmesijepartagepleinement lenthousiasme de Danile Sallenave pour les livres. Mais voici pire (pour Sallenave,etpourmoi,lisantSallenave) :cestla petite shampouineuse (Sallenave1991,75)(ainsiest-elledsigne,une fonctionminuscule,etmmepasunprnom,contrairementLouise), quiparcequellenarienlu(sinondesmagazinesdefemmes),nepeut poserdequestionssurrien ;aumieuxest-ellecapabledeserjouirla perspectived bondneravecdesaspergesetdesfraisesausucre (Sallenave 1991, 80), tandis que la tlvision et le frigo plein ronronnent en arrire-fond.Cettecommisration,medis-je,esttrsdplacemais pourquoi ? Et bien cest je crois cause de lemportement optimiste qui est son fondement : si la petite shampouineuse suscite une telle piti, cest en effet que, pour Danile Sallenave, cette disgrce ntait pas fatale. Il y avait duremde :lcole !Lcole,quiauraitdenfaireuneliseuse,etquia manqu sa tche ! Telle est la nouvelle trahison des clercs. Car quest-cequunclercquitrahit ?Cestunhommedeslivresqui[] saccommodedeleuringalerpartitionparmileshommes (Sallenave 1991,87).Orjesuispourmapartdeceux-l,jemenaccommode :bien forc !Carpourchapperauconstatdecetteingalerpartition,ety dnonceruneforfaiture,ilfaudraitquejemaccorde,commeDanile Sallenave,cettefacilitderverlcoledaujourdhuisurlemodlede cellequejeconnus,enfant.Ecole-Nostalgie.L,oui,ilyacinquanteans, ltude des grands auteurs tait place au centre (et au pinacle). Des pages chaleureuses,chezMichon,Bergounioux(etSallenave)ressuscitent cettenergiemilitante ;onydcouvrecomment,danslengourdissement des patois et des particularismes, lcole rpublicaine suscitait le dsir et le gotdeluniverselensoumettantlesespritsauchocdela langueaux plus riches mots (Michon 1996, 15).J. Kaempfer : Brve halte avant lexplication de texte37 Jajoute que llve de cette cole-l, au moment de vouloir se comprendre, navait pas mille chemins devant lui et la littrature simposait lui assez vite :ctaitspontanment(avecunevidencemerveille)quilenusait deRacine,duRougeetleNoir,pourycomposersesespoirsetses dsarrois.Orcetlvesestrarfidepuis,jenecourspasgrandrisque laffirmer.Maisaussicestquelcole,aujourdhui,napluspourseuls concurrentslafamille(oulglise).Blogs,sriesTV,chatssurInternet : loffredelieuxdecompositionidentitaireestdevenueplthorique,etla petiteshampouineuse,siellenelittoujourspas,sestfaitpeut-tresur Facebook, avec quelques pseudos, une infinit damis. 7. LA RELIGION DE LART Maisunehypothsecourtentreceslignesdepuisquelquesparagraphes, quilestpeut-tretempsdexpliciter.Encestermes :limpratif duniversalisationdelalittratureavcu.Une fentre souvritvoici deuxsicles4,quipermitlalittraturededevenirdmocratique,etcette fentre se referme aujourdhui. La littrature, nolens volens, est en train de regagnerleretraitoellesetrouvalongtemps,celuiduneactivit spcialise,quicombleetrjouitdesamateursconvaincus,mais socialementrcessifs.Quoi,jeveuxdoncfairedelasociologie !(Cest DanileSallenavequiminterpelleainsinoussommestoujourssurles sommetsduParnasseetstonnequelasublimitalentourneme dtournepasillicodunteldessein.)Sansdoutemonhypothselimitele pointdevuemaisducoup,lepointdevuegagneenacuit :dansson ordre,laconsidrationsociologiqueesteneffetimpeccable,quitablitla cristallisation, au XIXme sicle, dune vritable religion de lart . Cela estaujourdhuiassezbiendocument5 :lechamplittraire,ds1850, sautonomise,instituedescritresdvaluationinternes,spcifiquement esthtiques,quisimposentprogressivementetvalentbienttcommela naturalitmmedelart ;aussileprocureurPinardseridiculisevouloir juger Flaubert ou Baudelaire au nom de la moralit publique La religion de lart, qui exalte la beaut dans ses ralisations artistiques, peut compter dsormais sur un large consensus chez les esprits cultivs ( et chez bien dautres, qui prtendent cette distinction). Puis Gustave Lanson est venu, 4Jetrouveunebellepreuvedecetenthousiasmemotstalienparexcellencedansces quelqueslignesdeDelalittrature : Lloquence,lamourdeslettresetdesbeaux-arts,la philosophie, peuvent seuls faire dun territoire une patrie, en donnant la nation qui lhabite les mmes gots, les mmes habitudes et les mmes sentiments (de Stal 1991, 82). 5VoirenparticulierBourdieu1992(dontlAvant-proposcite,pourle