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Claude Gueux Victor Hugo Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 38 établi par Bertrand Louët, professeur certifié de Lettres modernes

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Claude Gueux

Victor Hugo

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n° 38

établi par Bertrand Louët,

professeur certifié de Lettres modernes

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Sommaire – 2

S O M M A I R E

A V A N T - P R O P O S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

T A B L E D E S C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

RÉ P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Bilan de première lecture (p. 92) ....................................................................................................................................................................5

Extrait 1 (pp. 9 à 11) ........................................................................................................................................................................................6 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 12-13) ................................................................................................................................6 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 14 à 23) .................................................................................................................7

Extrait 2 (pp. 33 à 35) ....................................................................................................................................................................................11 ◆ Lecture analytique de la scène (pp. 36-37) ..............................................................................................................................11 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 38 à 46) ...............................................................................................................13

Extrait 3 (pp. 54 à 57) ....................................................................................................................................................................................16 ◆ Lecture analytique de la scène (pp. 58-59) ..............................................................................................................................16 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 60 à 70) ...............................................................................................................16

Extrait 4 (pp. 74 à 77) ....................................................................................................................................................................................20 ◆ Lecture analytique de la scène (pp. 78-79) ..............................................................................................................................20 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 80 à 91) ...............................................................................................................21

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2006. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

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Claude Gueux – 3

A V A N T - P R O P O S

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Un roman comme Claude Gueux permettra d’étudier l’esthétique romantique à travers l’analyse de portraits et l’argumentation à partir du thème de la peine de mort. S’agissant d’un roman politique et social, il permettra aussi de s’interroger sur ces questions à travers quatre groupements de textes. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

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Table des corpus – 4

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau

Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques

Du portrait au modèle (p. 14)

Texte A : Extrait de Claude Gueux de Victor Hugo (p. 9, l. 22, à p. 11, l. 70). Texte B : Extrait des Mémoires d’outre-tombe de François-René de Chateaubriand (pp. 14-16). Texte C : Extrait du Colonel Chabert d’Honoré de Balzac (pp. 16-18). Texte D : Extrait des Misérables de Victor Hugo (pp. 18-19). Texte E : Second extrait des Misérables de Victor Hugo (pp. 19-20). Document : Claude Gueux par Théophile Alexandre Steinlen (p. 21).

Le récit, le roman et la nouvelle (Seconde)

Question préliminaire Quels jugements les différents auteurs formulent-ils sur leurs personnages à travers ces portraits ? Commentaire En analysant l’évolution des points de vue et la composition du portrait, vous essayerez de dévoiler la double fonction de cette description.

Sacrifice, révolte et vérité (p. 38)

Texte A : Extrait de Claude Gueux de Victor Hugo (p. 33, l. 356, à p. 35, l. 427). Texte B : Extrait de l’Évangile selon Matthieu (pp. 38-40). Texte C : Extrait du Criton de Platon (pp. 40-41). Texte D : Extrait des Misérables de Victor Hugo (pp. 41-43). Document : La Mort de Socrate par Jacques Louis David (p. 44).

L’argumentation : convaincre, persuader et délibérer (Première)

Question préliminaire En quoi les différents textes permettent-ils de dire que le sacrifice est un élément qui permet de convaincre ? Commentaire Après avoir montré comment Hugo dramatise ce moment, vous analyserez en quoi le sacrifice de Jean Valjean est une argumentation contre l’injustice.

Récits et réflexions sur la peine de mort (p. 60)

Texte A : Extrait de Claude Gueux de Victor Hugo (p. 54, l. 636, à p. 57, l. 706). Texte B : Extrait du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo (pp. 60-62). Texte C : Extrait du discours à l’Assemblée nationale de Pascal Clément (pp. 62-64). Texte D : Extrait du discours à l’Assemblée nationale de Robert Badinter (pp. 64-66). Texte E : Extrait de L’Étranger d’Albert Camus (pp. 66-68). Document : Exécution publique d’Eugène Weidmann (pp. 68-69).

L’argumentation : démontrer, convaincre et persuader (Seconde)

Question préliminaire Vous ferez un relevé précis des arguments pour et contre le maintien de la peine de mort, tels qu’ils apparaissent dans les différents textes. Commentaire Après avoir étudié les hésitations du personnage, entre résignation et révolte, vous montrerez quelle image de la peine de mort nous est proposée.

Le peuple et la question sociale (p. 80)

Texte A : Extrait de Claude Gueux de Victor Hugo (p. 74, l. 775, à p. 77, l. 864). Texte B : Extrait du Livre du peuple de Robert Félicité de Lamennais (pp. 80-82). Texte C : Extrait du « Discours sur la misère » de Victor Hugo (pp. 82-85). Texte D : Extrait de « Melancholia » dans Les Contemplations de Victor Hugo (pp. 85-86). Texte E : Extrait du Manifeste du Parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels (pp. 86-88). Document : Ouvriers du XIXe siècle (p. 89).

L’argumentation : démontrer, convaincre et persuader (Seconde)

Question préliminaire Dans quelle mesure les différents extraits présentent-ils les miséreux davantage comme des victimes, à qui leur situation est imposée de l’extérieur, que comme des coupables, qui ont créé leur propre situation ? Commentaire Après avoir analysé la stratégie argumentative, vous exposerez les solutions proposées par Lamennais.

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Claude Gueux – 5

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 9 2 )

u Claude Gueux est un « ouvrier » (l. 2). Sa spécialité n’est pas indiquée, mais il est précisé qu’il est « capable, habile, intelligent » (l. 6). v Claude Gueux est condamné pour avoir volé. Le narrateur prétend ne pas savoir ce qu’il a volé mais explique que ce vol est motivé par la nécessité de nourrir et chauffer son enfant et sa compagne en hiver (l. 11-12 : « de ce vol il résulta trois jours de pain et de feu pour la femme et pour l’enfant »). w Claude Gueux exerce un « ascendant singulier sur tous ses compagnons » (l. 86). Les autres le consultent, l’écoutent et l’admirent (l. 90-91). Il devient « l’âme, la loi et l’ordre de l’atelier » (l. 101-102). x L’ami de Claude Gueux se prénomme Albin et partage sa ration avec lui (pp. 25-26). y Le gardien-chef ne motive pas cette décision autrement qu’en répondant « Parce que » (l. 233). Mais il semble que cette décision s’explique par la simple jalousie de M. D. à l’encontre de Claude, en raison de l’influence qu’il exerce sur les autres prisonniers. U Claude Gueux devient silencieux et taciturne ; il est « songeur » (p. 31). V Claude Gueux condamne le directeur de l’atelier à mort (l. 375). Il tente d’abord de fléchir le directeur (l. 214-234), puis il lui adresse un ultimatum (l. 281-283), sollicite l’avis de ses compagnons (pp. 33-35) et enfin le tue (l. 465-499), non sans avoir au préalable tenté de le faire revenir sur sa décision (l. 502-510). W Claude Gueux profite du moment où ils sont seuls dans l’atelier pour exposer son cas de manière très précise. Comme l’indique le narrateur, il recrée les conditions d’un tribunal, une « étrange Cour de cassation » (l. 400). X Claude Gueux justifie sa décision à deux reprises : à ses codétenus (pp. 33-35) et lorsqu’il prend la parole lors de son procès (pp. 52-53) Dans le premier cas, il explique qu’Albin était nécessaire à sa survie et que M. D. les a séparés car « c’est un méchant homme qui jouit de tourmenter » (l. 370-371) ; il estime qu’il s’agit d’une cause juste et qu’il n’agit pas par « ressentiment ». Son argument est donc la méchanceté gratuite de M. D. Dans le second cas, il souligne clairement que M. D. l’a provoqué en rappelant son comportement pendant quatre ans (l. 598-617) : le gardien l’a taquiné avec sa femme devenue fille publique, avec son enfant dont on ignore ce qu’il est devenu, et finalement lui ôte l’ami qui lui donnait du pain et développe ce que le narrateur appelle une « théorie de la provocation morale » (l. 617). Son argument est donc que M. D. l’a continuellement provoqué, de différentes manières. at Claude Gueux est condamné à mort, après « un quart d’heure de délibération » (l. 630). La brièveté de la délibération n’est pas expliquée, mais elle souligne implicitement le caractère expéditif de cette décision. ak Claude Gueux garde la pièce de cinq francs envoyée pas sa sœur, pour « les pauvres » (l. 695). al Victor Hugo s’adresse explicitement à la représentation nationale, aux députés, que l’on reconnaît sous l’expression « Messieurs des centres, messieurs des extrémités » (l. 775) qui désigne la droite et la gauche de l’hémicycle où siègent les députés. am Victor Hugo demande que l’on supprime les bourreaux pour les remplacer par des instituteurs (l. 808-809). an Claude Gueux ne traite pas que de la seule question de l’abolition de la peine de mort : en effet, le discours final replace cette sanction dans l’ensemble de l’échelle des sanctions. « Démontez-moi cette vieille échelle boiteuse des crimes et des peines, et refaites-la » (l. 801-802), demande en effet Victor Hugo pour exiger ensuite : « Remettez les lois au pas des mœurs. » Au total, à partir de l’analyse du rôle de la peine capitale, c’est toute la question sociale que Hugo propose de réexaminer, à travers le thème de l’éducation et du travail : « Des écoles pour les enfants, des ateliers pour les hommes » (l. 810-811).

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Réponses aux questions – 6

E x t r a i t 1 ( p p . 9 à 1 1 )

◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 12-13) u Cet extrait est organisé en deux parties principales : premièrement, le portrait de Claude Gueux ; deuxièmement, celui du directeur de l’atelier. Il s’agit de portraits croisés. Victor Hugo met face à face ces deux portraits au début du récit, d’une part parce qu’il s’agit des deux principaux protagonistes de son récit, d’autre part dans une intention argumentative : le contraste entre les deux personnages accentue la valeur morale de Claude, que ne lui retire en rien sa déchéance sociale. v Le portrait de Claude est construit sur plusieurs antithèses : – « honnête ouvrier naguère », il est « voleur désormais », l’antithèse soulignant le fait que le passage d’une transition à l’autre s’est produit brusquement et sans transition, plus par l’effet d’un accident que dans une démarche volontaire de Claude. Il est ainsi posé comme victime et non comme coupable ; – on peut ensuite relever l’antithèse jeune/vieux sensible dans les expressions « déjà ridé », « quoique jeune encore », « quelques cheveux gris perdus dans les touffes noires », qui indiquent que, bien que jeune, Claude est déjà dépositaire d’une certaine sagesse. Ces antithèses émeuvent le lecteur et le font réfléchir au destin de Claude et à son devenir. Elles font de lui un personnage problématique. w On peut remarquer que Victor Hugo fait de Claude un portrait physique, presque sculptural, tandis qu’il fait du directeur un portrait moral et psychologique. Claude a une « belle tête », alors que le directeur est « tenace », c’est-à-dire buté et têtu. On peut ajouter que Hugo multiplie le lexique dévalorisant à propos du directeur, les notations qui le diminuent : il confond « une chandelle » et « une étoile », il est un « briquet ». x Hugo établit le portrait du directeur par touches successives, en corrigeant, reprenant, modifiant chaque expression pour la rendre plus dévalorisante. Cette première désignation : « il y avait un directeur des ateliers, espèce de fonctionnaire propre aux prisons », avec l’emploi de la locution « espèce de », donne le ton : le personnage est le représentant d’un genre peu enviable. Ensuite, Hugo introduit une nouvelle nuance : le directeur « était lui-même une variété dans l’espèce, un homme bref, tyrannique », pour ajouter un nouveau défaut, la tyrannie. À l’aide des concessions « dur plutôt que ferme » et « bon père, bon mari, sans doute, ce qui est devoir et non vertu ; en un mot, pas méchant, mauvais », Hugo transforme chacune de ses qualités en un défaut. On peut ajouter que ce portrait est marqué constamment par la négation – ce qui ajoute à l’impression générale qui en ressort : le directeur est un homme médiocre, qui occupe des fonctions trop importantes pour lui. Il va donc provoquer un « incendie » en raison de son incompétence. y Le champ lexical du visage domine dans ce portrait : « figure », « front haut », « ridé », « cheveux gris », « l’œil », « une arcade sourcilière », « les narines », « le menton avancé », « la lèvre dédaigneuse », teinté par celui de la sculpture : « puissamment enfoncé », « bien modelée », « belle tête ». U Hugo souligne la « ténacité » du directeur mais il entend par là une forme dégradée de la « volonté », le fait d’être buté et têtu. Par ailleurs, le directeur est « autoritaire », « tyrannique ». Il est « médiocre et obstiné ». V Le champ lexical du portrait fait apparaître que le visage de Claude est décrit à la manière d’une statue. On peut souligner que tous les adjectifs sont valorisants et que son visage exprime un mélange de sagesse et de courage, de vigueur et de réflexion qui invitent le lecteur à reconnaître en lui un héros exemplaire et épique. W Hugo met bien en présence un voleur vertueux et un directeur vicieux. Claude est un « honnête ouvrier » déchu, tandis que le directeur est un personnage « médiocre » et « tyrannique » élevé à une position sociale honorable. La composition de ce portrait pourrait être une illustration du principe de base de l’esthétique romantique, l’association « du sublime et du grotesque », défini par Hugo dans la préface de son drame Cromwell. Ici, cette alliance de contraires n’a pas pour objet de contester l’esthétique classique mais de faire apparaître l’injustice des positions sociales occupées par chacun. En d’autres termes, à travers ces portraits, Hugo conteste l’ordre social et le dénonce comme étant injuste. Il s’agit donc bien d’un texte subversif. X Les interventions du narrateur sont très fréquentes dans ce portrait. Elles prennent plusieurs formes : – jugement de valeur : « C’était une belle tête » ;

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– apostrophe au lecteur : « On va voir ce que la société en a fait » ; – fait d’apporter une précision : « Il avait pourtant bien souffert » ; – maxime de vérité générale : « Ceci n’est qu’une illusion d’optique. Il y a nombre de gens qui en sont dupes et qui, à certaine distance, prennent la ténacité pour de la volonté, et une chandelle pour une étoile » ; « L’entêtement sans l’intelligence, c’est la sottise soudée au bout de la bêtise et lui servant de rallonge. Cela va loin. En général, quand une catastrophe privée ou publique s’est écroulée sur nous, si nous examinons, d’après les décombres qui en gisent à terre, de quelle façon elle s’est échafaudée, nous trouvons presque toujours qu’elle a été aveuglément construite par un homme médiocre et obstiné qui avait foi en lui et qui s’admirait. Il y a par le monde beaucoup de ces petites fatalités têtues qui se croient des providences » ; « L’étincelle que de pareils briquets arrachent à de pareils cailloux allume souvent des incendies ». Outre le jugement de valeur, on voit aussi que les indications du narrateur apportent des explications et guident le lecteur dans l’interprétation des personnages et du récit. at Les maximes de vérité générale et le recours à de nombreuses généralisations présentes dans le lexique (« espèce », « variété »), certaines tournures (emploi de l’article indéfini dans « une figure », « une belle tête » et de formules comme « un de ces hommes qui ») font des personnages les représentants d’un groupe, des types opposés. D’un côté, on a l’ouvrier honnête, héroïque et poussé à voler ; de l’autre, le chien de garde médiocre et imbu de sa personne. ak En s’appuyant sur les réponses aux questions 8 et 9, on remarque que les positions de chacun devraient être inversées. Hugo le suggère : il est injuste que Claude, compte tenu de son mérite, soit en prison, tandis que le directeur est indigne de l’autorité qu’il exerce. La société est donc doublement injuste : en emprisonnant Claude et, à l’intérieur de sa prison, en lui infligeant l’autorité d’un personnage qui va le rendre fou, le transformer en « incendie ». C’est donc la société qui, en provoquant Claude par la misère, puis par l’autorité illégitime du directeur, le pousse au crime. al Victor Hugo cherche à convaincre son lecteur de l’injustice de la société. Il le persuade de cela en lui faisant éprouver de l’indignation face à la situation, du mépris pour le directeur et de l’admiration pour Claude.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 14 à 23)

Examen des textes u Ces deux extraits sont composés de la même manière : ils brossent un parallèle entre deux personnages dont ils font le portrait. Dans les deux cas, l’un des personnages ainsi représentés est mis en valeur, cité en exemple (Claude Gueux et Washington), et l’autre est critiqué, présenté comme un repoussoir (le directeur, Napoléon). Le registre choisi est le même, oscillant entre l’épique (présence d’antithèses opposant le Bien et le Mal, de symboles, d’hyperboles valorisantes) et le polémique (apostrophe, interrogation, critique de l’un des deux personnages et de la société à travers lui). Le choix des personnages marque une variante entre les deux textes : Hugo a choisi ici de faire le portrait de deux anonymes, tandis que Chateaubriand dresse un parallèle entre deux grands hommes, deux personnages historiques. Ces choix ont des conséquences sur la visée des textes. Hugo tient un discours révolutionnaire qui va s’affirmer tout au long de son texte : il s’agit pour lui de montrer les dévoiements du système politique et pénal français en donnant l’exemple d’une injustice produite par ce système. Le discours de Chateaubriand est didactique : il s’agit de comprendre, d’une part, l’Histoire et, d’autre part, la différence entre deux pays, chacun représenté par un « héros ». On peut ajouter que Chateaubriand, à travers ces portraits, se construit en « grand témoin », en juge de l’Histoire, et se place ainsi dans une position magistrale. v Chateaubriand adresse plusieurs reproches à Napoléon : – il est désordonné et mène des actions sans suite, périssables, comme le suggèrent les formules suivantes : « il combat avec fracas » ; « il se hâte de jouir et d’abuser de sa gloire, comme d’une jeunesse fugitive » ; « Il paraît sur tous les rivages ; il inscrit précipitamment son nom dans les fastes de tous les peuples » ;

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Réponses aux questions – 8

– il n’est préoccupé que de sa propre gloire et de sa propre personne (« il ne veut créer que sa renommée ; il ne se charge que de son propre sort ») et il écrase la liberté (« en écrasant l’anarchie, il étouffe la liberté, et finit par perdre la sienne sur son dernier champ de bataille ») ; – il a échoué là où Washington a réussi : « l’Empire de Bonaparte est détruit », tandis que la « République de Washington subsiste » et que ce dernier « élève une nation à l’indépendance ». w Le portrait est fait avec un point de vue externe à la 3e personne, par un narrateur omniscient mais qui semble, à chaque occasion, appeler à son aide des « autorités » pour « lire » – c’est-à-dire « donner une signification morale » – les divers aspects de la physionomie du vieux colonel. C’est ainsi que se succèdent un « vous » énigmatique, « un homme d’imagination », qui fait du portrait un « Rembrandt », puis un « observateur, un avoué », qui lisent la douleur inscrite sur cette figure, enfin « un médecin, un auteur, un magistrat », qui pourraient comprendre le « drame » écrit sur ce visage. Tous ces regards renvoient au narrateur, qui se pare de l’autorité de tous ceux qu’il cite, et au lecteur (le « vous » du début), invité à accepter ces notations car cautionnées par des hommes dont l’autorité n’est pas contestable. La technique est astucieuse : Balzac donne une série d’indications sur son personnage en laissant croire à son lecteur qu’il est en train de les déchiffrer sur le visage de celui que le narrateur décrit. L’effet de réel est très fort. x Le portrait est composé de telle manière qu’on l’aperçoit d’abord dans une demi-pénombre (le « Rembrandt »), puis en pleine lumière lorsqu’il ôte son chapeau, permettant ainsi de découvrir « son crâne horriblement mutilé par une cicatrice transversale qui prenait à l’occiput et venait mourir à l’œil droit, en formant partout une grosse couture saillante ». Cette mise en scène, cet effet d’attente dramatisent le personnage, le rendent plus énigmatique. y Victor Hugo souligne plusieurs choses : – tout d’abord, la valeur morale de son personnage, prêt à sacrifier son confort personnel, en abandonnant son palais aux pauvres, pour rétablir la justice (« Il y a erreur ») ; – ensuite, l’absurdité de certaines situations sociales (« Nous sommes trois ici, et nous avons place pour soixante »). Cette anecdote, qui est une sorte d’apologue, donne bien sûr des indications sur la psychologie du personnage qui apparaît comme un « juste », c’est-à-dire un homme qui privilégie la justice, le fait de mettre ses actes en conformité avec ses idées, fût-ce au prix de son confort. U La description du personnage comporte plusieurs champs lexicaux qui accentuent son aspect énigmatique. Il est d’abord désigné par plusieurs termes vagues qui montrent qu’on ne sait pas qui il est (voyageur, homme, passant). On trouve ensuite le champ lexical de l’inquiétude et de l’interrogation (« regardaient », « inquiétude », « d’où venait-il », « le suivaient »). Le champ lexical des vêtements (« casquette », « chemise de grosse toile », « cravate », « pantalon de coutil », « vieille blouse grise en haillons », mais aussi « sac de soldat […] neuf »), enfin, est inquiétant : on ne sait si l’on a affaire à un ouvrier, un voleur, un soldat en fuite… La focalisation fait apparaître le personnage à travers les regards des villageois (« Les rares habitants qui », puis « Personne ne le connaissait », « Des femmes de l’ancien bourg » et « des enfants qui le suivaient »). Ces regards qui suivent son chemin jusqu’à la mairie (on se demande ce qu’il va y faire) multiplient les interrogations et les énigmes sur le personnage. Quelques indices (les cheveux courts du bagnard tondu, le sac de soldat remis à sa sortie, la visite à la mairie pour faire viser son livret) préparent cependant la révélation de son identité qui expliquera l’étrangeté de sa mise. V Le cadre représente la lunette de la guillotine. Le portrait paraît une illustration de la citation : le personnage nous regarde à travers la lunette de la guillotine et semble nous adresser un reproche muet, celui de ne pas l’avoir cultivé.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Le portrait marque généralement une pause dans le récit car il est une description. Comme la description, il peut jouer quatre rôles :

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– réaliste ou référentiel, il augmente l’effet de réel ; – narratif, il fait progresser le récit ; – décoratif, il est un élément esthétique ; – didactique, il instruit, apporte des informations. • Dans Claude Gueux, le portrait a un rôle narratif (il prépare l’opposition et le conflit entre les personnages) et un rôle didactique (il nous informe sur l’injustice à laquelle nous allons assister). • Dans les Mémoires d’outre-tombe, les deux portraits jouent un rôle réaliste et un didactique : à travers ces personnages historiques, l’auteur accentue le réalisme de ses Mémoires et donne une leçon sur la politique et l’Histoire, chacun des personnages incarnant une manière opposée de gouverner. • Dans Le Colonel Chabert, le portrait joue un rôle narratif très net par son côté inquiétant et dramatique. Il permet de faire progresser le récit en dévoilant par la description un peu de l’histoire du colonel et en faisant monter le suspense. • Dans le premier extrait des Misérables, le portrait de Mgr Myriel joue un rôle didactique (il montre où est le « Bien ») ; dans le second extrait, le portrait joue un rôle narratif (le personnage est énigmatique et son arrivée lance les événements, le récit). • Quant au tableau, il joue lui aussi un rôle didactique, souligné par la composition, le visage saisi à travers la guillotine et la présence de la citation.

Commentaire

Introduction L’extrait est situé au tout début du récit de Balzac qui veut insister sur le caractère presque tragique de son personnage. Le « vieux soldat » est décrit comme une énigme, presque comme un manuscrit qu’il faut déchiffrer. En analysant l’évolution des points de vue et la composition du portrait, on tâchera de dévoiler la double fonction de cette description, qui fait progresser la narration et joue un rôle ornemental.

1. Chabert : une énigme à déchiffrer A. Les points de vue Chabert est décrit par un narrateur externe omniscient qui s’appuie sur différents relais pour évaluer son personnage : le lecteur est convoqué (« vous eussiez dit »), puis « un homme d’imagination », le narrateur lui-même (« je ne sais quoi »), un « observateur, et surtout un avoué » ou « un médecin, un auteur, un magistrat », enfin les « deux gens de loi », les clercs de l’avoué Derville, qui traitent le vieux colonel avec mépris et de manière narquoise en raison du caractère extravagant et misérable de sa mise, mais dont le point de vue se renverse. B. De la déchéance au drame • On a d’abord affaire à un personnage misérable, déchu : « nacre sale », « mauvaise cravate de soie noire », « haillon », mais les regards successifs percent cette apparence trompeuse et, sous le chapeau, se révèle une « cicatrice » épouvantable. Il faut toute la sagacité d’analystes comme un « médecin, un auteur, un magistrat » pour sentir ce que cette apparence cache de « drame ». Chabert est comparé à de grands modèles pris dans la peinture (Rembrandt), les pierres lithographiques. • À la fin de la description, le personnage est bien devenu une énigme à déchiffrer – ce qui lance le récit.

2. Le rôle narratif du portrait A. Faire progresser la narration en invitant le lecteur à se poser des questions qui conduisent à dramatiser de différentes manières • Questions : que signifie la cicatrice ? que veut cet étrange personnage à un avoué ? est-il fou ? etc. • Le personnage, grâce aux jeux de lumières, aux « contrastes », se révèle petit à petit, par approximations successives. Tout se passe comme si le dévoilement de son visage correspondait au déroulement futur de son histoire. Cela éveille d’autant plus la curiosité que s’y ajoute un aspect inquiétant et étrange, à travers le thème de la folie, de la démence et de la dégradation : le personnage est usé, fatigué.

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Réponses aux questions – 10

B. Un effet de réalisme Cet effet est présent par le jeu des comparaisons et l’emploi d’un vocabulaire scientifique (« une cicatrice transversale qui prenait à l’occiput et venait mourir à l’œil droit »), comme si le personnage nous apparaissait tout à coup. On notera que la description est uniquement physique : à charge pour le lecteur de déduire l’état d’esprit, la psychologie du personnage. On peut le supposer « dément », lui prêter de nombreuses aventures, mais cela reste des suppositions, des possibilités.

Conclusion Ce portrait est éminemment balzacien : il paraît neutre, réaliste et scientifique ; en réalité, il est suggestif et savamment construit, de manière à préfigurer le récit qui va suivre et à en être, plus que l’introduction, l’exposition, au sens théâtral du terme. En quelques lignes, tout le drame est présent ; la « sublime horreur » du personnage est une énigme que le récit va percer. On pourrait ajouter que Chabert, personnage « défiguré », « marbre » (c’est-à-dire statue), est un symbole de la préoccupation de Balzac, pour qui la société de la Restauration est une société dégradée qui tente d’imiter en vain les grandeurs de l’Ancien Régime, sans même parvenir au sombre héroïsme de l’épopée napoléonienne, dont Chabert est un rescapé.

Dissertation

Analyse du sujet et problématique Le personnage de roman est défini par Mauriac comme une « créature », construite pour représenter des idées, des « causes », mais pas une image du réel. Mauriac remet en question le réalisme et le naturalisme. On devra donc se demander si cette description du personnage correspond à ce qu’on sait de Claude Gueux et du personnage de roman en général. On pourra opposer les personnages « réalistes » ou « naturalistes », que leurs auteurs tentent de représenter tels qu’ils leur apparaissent, aux personnages « romantiques » ou à ceux de la « littérature engagée », que leurs auteurs tentent de construire dans le but de servir une idée.

Introduction Peut-on dire que le personnage de La Bête humaine est le porte-parole de Zola ? Non. Pourtant, François Mauriac affirme que le romancier « lâche ses personnages sur le monde [avec] une mission », comme s’ils étaient construits pour défendre des idées, se « donner en exemple ». En posant que tout personnage, donc tout roman, est un point de vue sur le monde et non une image du monde, il remet en question le réalisme et le naturalisme qui prétendaient représenter le monde sans le juger. Bien évidemment, certains personnages de romans correspondent à l’analyse de Mauriac et semblent avoir été créés pour défendre et illustrer des idées – ce que nous montrerons dans une première partie. Toutefois, l’affirmation de Mauriac ne rend pas compte du projet des écrivains réalistes et naturalistes, qui voulaient montrer le monde – ce que nous montrerons dans une deuxième partie. Cependant, les uns et les autres montrent leur époque et la jugent, même sans le vouloir. Dans ces conditions, il faut nuancer le propos : les personnages, une fois lâchés sur le monde, échappent à leurs créateurs car les lecteurs s’en emparent – ce que nous montrerons dans une troisième partie.

1. Nombre de romanciers chargent leurs personnages d’une mission A. Hugo, Claude Gueux La misère, l’abolition de la peine de mort. B. Vercors, Le Silence de la mer La résistance à l’ennemi, la dignité. C. Camus, La Peste La peste est l’occupant, les personnages les différentes options qui s’offrent à l’occupé.

2. Toutefois, certains poursuivent le but de montrer le réel ou divertir, sans défendre des idées A. Zola et le naturalisme Le personnage est le fruit de l’analyse et de l’expérience ; il faut le montrer tel qu’il est, non comme un exemple mais comme un fait.

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Claude Gueux – 11

B. Flaubert et le réalisme Avec Madame Bovary, il veut montrer la province telle qu’elle est, sans apparemment porter de jugement. C. La Clélie et le divertissement Il s’agit simplement pour Mme de Scudéry de distraire et de captiver son lectorat, non de le prêcher.

3. Pourtant, on mesure que ces découpages sont artificiels En effet, même si les trois auteurs cités dans la première partie font à l’évidence porter un message à leurs personnages, ils se veulent aussi représentatifs du réel ; inversement, les auteurs présentés dans la deuxième partie, dont la priorité est de représenter le réel, font aussi porter un message à leurs personnages. Dans ces conditions, il faut moduler l’affirmation de Mauriac car les personnages, par l’effet de la création littéraire, échappent – voire dépassent – souvent aux intentions de leurs auteurs. A. La Clélie et les romans pastoraux Ils sont devenus le support de la pensée précieuse au XVIIe siècle, une sorte de bréviaire du savoir-vivre et non plus un simple divertissement. B. Madame Bovary Ce roman est considéré par les naturalistes comme le point de départ de leur école, malgré les dénégations de Flaubert. C. Claude Gueux Ce texte marque aussi le début d’une littérature fondée sur l’examen du réel, par le fait même de s’intéresser à un homme du peuple en tentant de le montrer tel qu’il est (cf. les détails triviaux de la fin).

Conclusion On s’est interrogé avec Claude Mauriac sur les différents rôles du personnage de roman : porte-parole de l’auteur, image fidèle du réel ou support de divertissement. Après avoir étudié successivement des personnages « porte-parole », puis des personnages « images », nous avons montré que les uns et les autres intervenaient sur les deux plans, car ils échappent à leur créateur et sont constamment recréés par les lecteurs, pour qui ils sont à la fois des images du réel et les porte-parole d’idées et de causes. L’affirmation de Mauriac doit donc être nuancée et complétée : les personnages sont en effet les porte-parole des auteurs mais qui leur échappent et expriment aussi leur époque, soit en la représentant (c’est le réalisme), soit en en reprenant les thèmes (c’est le divertissement et le roman à thèse). Au total, les grandes œuvres échappent à leurs auteurs car elles les dépassent. C’est sans doute pourquoi on les lit. Il aurait été intéressant d’étudier, pour appuyer cette hypothèse, les lectures de quelques grands romans par différents cinéastes, pour montrer à quel point les personnages, même les plus classiques, peuvent être porteurs d’un message ou réalistes, suivant la manière dont on les lit.

Écriture d’invention Conformément aux modèles, il y a plusieurs manières de rédiger des portraits opposés : – en opposant un portrait physique à un portrait moral (ou psychologique) ; – en choisissant de faire reposer le portrait sur une anecdote caractérisante attachée au personnage ; – en travaillant sur des jeux de points de vue ; – en choisissant, comme le fait Chateaubriand, deux personnages dont les caractéristiques morales sont inverses. Sur le plan de l’organisation, on pourra soit rédiger les portraits à la suite, soit les entrelacer à l’aide de formules de comparaisons.

E x t r a i t 2 ( p p . 3 3 à 3 5 )

◆ Lecture analytique de la scène (pp. 36-37) u Les deux moments du discours de Claude sont : – la présentation des faits et de sa décision (l. 365-377) ; – la justification, l’argumentation en faveur de cette décision (l. 379-393).

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Réponses aux questions – 12

v Claude cite plusieurs arguments : – les faits reprochés au directeur (l. 365-374) ; – la personnalité du directeur : « c’est un méchant homme qui jouit de tourmenter » (l. 370-371) ; – le délai qui lui a été accordé (l. 372-373) ; – se sacrifier pour une « chose juste » (l. 387). w Dans la deuxième partie, Claude feint de mettre en débat la décision en énumérant les arguments opposés (« se faire justice soi-même [est] un cul-de-sac », la crainte du « ressentiment »). Cela lui permet d’annoncer avec beaucoup de force son argument principal : il défend une cause juste. x Ces deux termes s’opposent en réalité et ne se complètent pas. Ils construisent bien sûr la scène sur une opposition, une antithèse. La brutalité du crime projeté, la personnalité de l’auditoire (des voleurs, des forçats), le lieu où la scène se déroule (un atelier de prison) renvoient à la terreur. La grandeur morale du discours de Claude, sa rationalité rhétorique, l’écoute attentive que ses compagnons lui accordent et qui s’apparente à un silence religieux renvoient à la majesté. On dirait presque un tableau de David, une scène essentielle, comme le serment du Jeu de Paume. On a là une scène qui correspond à l’esthétique du drame romantique. y L’auditoire est d’abord « silencieux », c’est-à-dire attentif et respectueux, puis un homme fait une remarque ; à la fin, certains « pleurent ». Il se dégage de cette scène un sentiment de respect, de crainte et d’émotion. U La sérénité de Claude est marquée par l’emploi du mot lui-même (l. 402) et par l’indication qu’il « causa avec tranquillité », puis par la mise en scène de son humour avec l’anecdote de la chandelle (l. 412-416). Sa générosité est abondamment soulignée par la distribution qu’il fait de ses dernières richesses après avoir décidé de se sacrifier (l. 400-406). V Le martyr est celui qui accepte de se sacrifier, c’est-à-dire de donner sa vie au profit d’une cause qu’il estime juste. La décision de Claude, telle qu’il la formule ici, correspond très exactement à cette définition : « il trouvait bon de donner sa vie pour une chose juste » (l. 387). On peut ajouter que la mise en scène contribue à cette transformation du personnage en héros martyr car chaque détail concourt à montrer qu’il s’oublie lui-même au profit de l’enseignement qu’il veut délivrer et au profit des autres : en effet, une fois sa décision annoncée, il n’a de cesse que de soutenir ses compagnons émus par sa décision et de partager entre eux ses maigres richesses. W Le champ lexical du droit est très présent dans cet extrait, comme si Hugo avait voulu nous signifier qu’ici la « justice », au sens moral du terme, se trouve du côté des proscrits, obligés de s’approprier le langage de la justice (l’institution) pour rétablir leur droit. Relevé du champ lexical : « l’instruction judiciaire », « cachot », « jugé », « condamné », « éloquence », « action violente », « attesta la conscience », « voleur », « faire justice », « homme juste », « objection », « Cour de cassation », « ratifié la sentence », « condamné ». Le paradoxe de ce texte est que c’est ici le condamné qui juge : « je l’ai jugé et je l’ai condamné à mort », dit en effet Claude (l. 374-375). X Le directeur est qualifié de « méchant homme » (par Claude), tandis que les détenus sont qualifiés d’« hommes justes » (par le narrateur). L’opposition est patente et on a là une inversion des valeurs. at Les « quatre-vingt-deux voleurs » sont silencieux, immobiles et respectueux. Pourtant ils se trouvent seuls dans l’atelier, sans surveillance. Cette scène est en réalité peu vraisemblable et la mise en scène permet de dramatiser et de souligner la valeur de ces hommes, cachée par leur déchéance sociale. ak Dans la mesure où tous les voleurs se comportent comme des honnêtes hommes, c’est-à-dire sont capables de mesurer et d’évaluer avec circonspection une situation, sans se laisser emporter par la haine ou l’esprit de revanche (rappelons qu’un des détenus demande à Claude d’accorder une dernière chance au directeur), il devient injuste qu’ils aient été condamnés. Par conséquent, une société dont les tribunaux enferment des hommes justes, uniquement parce que la pauvreté les a contraints à voler, est une société injuste et qui doit être réformée. Avec cette scène, c’est bien la société qui est mise en accusation, à travers son représentant, le directeur de l’atelier.

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◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 38 à 46)

Examen des textes u Ces quatre personnages sont seuls face à une foule et se sacrifient pour une idée juste et qui les dépasse. Dans les quatre cas, leur acte prend une signification fondatrice. Dans la mesure où l’on retrouve dans chaque texte un même registre, pathétique et épique, et une même mise en scène, on peut considérer que Hugo s’est inspiré des Évangiles et de Socrate pour créer ses personnages. v Le narrateur hugolien intervient constamment pour commenter, donner son avis (texte D : « Rien ne pourrait rendre ce qu’il y avait de mélancolie bienveillante et sombre dans l’accent qui accompagnait ces paroles »). Cela ajoute souvent un élément pathétique, un effet de dramatisation. Dans l’extrait des Évangiles et de Criton, le narrateur est peu présent et cède presque entièrement la parole à ses personnages : le Christ, d’une part ; la loi qui s’adresse à Socrate, d’autre part. On peut en tirer des indications sur l’effet recherché : Hugo cherche à persuader son lecteur ; les Évangiles et Platon cherchent à le convaincre. w Socrate est au centre de la composition. Toute la lumière du tableau semble venir de lui : les personnages qui le regardent ont ainsi le visage éclairé et le dos sombre. Ce jeu de lumière accentue la position magistrale de Socrate qui lève le doigt dans un geste professoral, comme s’il était en train de délivrer une idée importante. Son autre main va prendre une coupe que lui tend Criton : c’est la ciguë. Il est calme, alors que tout le monde manifeste sa souffrance par des gestes et des poses expressives autour de lui. x Socrate a une attitude calme et majestueuse qui s’oppose à l’agitation et à l’émotion visible dans les postures de son entourage. y Dans les textes comme dans le tableau de David, le calme et la sérénité de celui qui se sacrifie s’opposent à l’agitation, à l’anxiété de ceux qui l’entourent. On peut en conclure que cette opposition est l’un des éléments essentiels de la représentation du sacrifice et qu’elle traduit sa signification : celui qui se sacrifie indique par son calme que son choix est raisonné et qu’il ne se laisse pas guider par sa passion ou son intérêt immédiat mais par ses convictions. U Les deux personnages ont en commun de s’adresser à l’assistance présente à un tribunal. La différence réside dans le fait que Jean Valjean parle dans le cadre d’un jugement « réel », tandis que Claude Gueux parle dans le cadre d’un jugement « figuré ». La réaction des auditeurs est dans les deux cas la même : un silence médusé, respectueux et admiratif (Les Misérables : « Il n’y avait que des yeux fixes et des cœurs émus » ; Claude Gueux : « Tous gardèrent le silence »). Hugo expose avec plus de détails les sentiments de la foule dans l’extrait des Misérables que dans celui de Claude Gueux, mais on voit bien que l’intention est la même : le registre est pathétique et chaque personnage cherche à persuader son auditoire de la justesse de sa cause (Claude et Jean sont des victimes et doivent être pardonnés) en nous faisant partager l’émotion de ceux qui les écoutent. V On trouve, dans les trois cas, un personnage qui se sacrifie pour une juste cause et s’adresse à une assistance inquiète et anxieuse. Les ressemblances s’arrêtent là car le tableau de David correspond à l’esthétique néoclassique qui consistait à représenter des scènes antiques dans une architecture de la renaissance et en costumes romains de convention (toges, tuniques). Ce cadre ne convient évidemment pas aux scènes des deux romans de Victor Hugo.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Dans chacun des extraits, le personnage qui se sacrifie est présenté seul face à un groupe, une multitude. Dans chacun des cas, cette multitude représente la société : c’est particulièrement visible dans l’extrait des Misérables où Jean Valjean doit faire face à un tribunal et à la foule présente au tribunal, a priori hostile au coupable. Dans les autres extraits, ceux qui entourent celui qui se sacrifie tentent de le détourner de son projet et, en quelque sorte, de le ramener dans le « droit chemin », c’est-

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à-dire accepter l’ordre social existant en sauvant sa vie. Le sacrifice apparaît comme un refus de l’ordre social tel qu’il est et s’apparente donc bien à une révolte. On le voit dans le tableau de David, où celui qui va mourir se tient dans une posture magistrale, par opposition à ceux qui vont lui survivre, qui pleurent et se lamentent.

Commentaire

Situation de l’extrait Jean Valjean, dans cet extrait, s’est racheté : il est devenu un notable ; il a rencontré Fantine, la mère de Cosette, et lui a procuré un travail. Peu avant (livre V), il a sauvé le père Fauchelevent en soulevant un chariot qui l’écrasait. Une telle force l’a fait reconnaître du policier Javert qui est ensuite venu s’excuser et lui apprendre que Jean Valjean avait été arrêté. Après une nuit de doute (chap. 3, livre VII : « Une tempête sous un crâne »), il décide de se livrer pour innocenter ce faux coupable. On montrera d’abord comment Victor Hugo dramatise ce moment pour en faire une révélation extrêmement pathétique et émouvante. On analysera ensuite en quoi le sacrifice de Jean Valjean, par son sens et sa mise en scène, est une argumentation contre l’injustice.

1. Un passage dramatique A. Une construction dramatique en trois temps • L’aveu, les preuves, l’émotion du public. • La construction ternaire des témoignages des bagnards. B. Un vocabulaire hyperbolique « Dieu qui est là-haut », « une grande lumière », « éblouis ». C. Des coups de théâtre Le tatouage sur le bras, le silence de la salle. D. Des oppositions et des antithèses • La description liminaire, qui mêle la méchanceté et l’impossible rédemption, puis le passage final (sourire de triomphe et de désespoir, clarté et obscurité, etc.). • Cette mise en scène a une fonction argumentative : démontrer la situation injuste de Jean Valjean, la présence du Bien dans le Mal.

2. Un sacrifice à vocation argumentative A. Le discours de Jean Valjean est très rhétorique • Il use de prétéritions (« je ne vais pas vous raconter »), d’images (détaillées plus haut), d’antithèses, d’apostrophes. • Il cherche d’abord à convaincre de son rachat puis de son identité, en donnant des preuves (son dialogue avec les bagnards). C’est bien une démonstration. B. Dans la première partie de son discours, Jean Valjean rappelle son passé • Il a fauté, a récidivé par deux fois, puis s’est racheté, mais il « paraît que cela ne se peut pas ». Si l’on a été flétri une fois, on ne peut y échapper (ce que rappellent de manière métaphorique la brûlure de Chenildieu et le tatouage de Cochepaille, indélébiles). • Il démontre que sa « méchanceté » vient du bagne, des galères : « Les galères font le galérien. » C. La fin (commentaire du narrateur) explicite le double sens de son acte Sauver le faux coupable et démontrer qu’il s’est racheté. Par son sacrifice, Valjean fait mentir la vox populi selon laquelle un criminel ne peut pas se racheter : d’où l’émotion et le silence respectueux de la foule.

Conclusion Ce sacrifice est bien une démonstration que le Bien peut se trouver dans le Mal et que la justice peut se manifester ainsi.

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Claude Gueux – 15

Dissertation

Plan On commencera par rappeler que la notion de sacrifice, qui est au cœur de la pensée chrétienne et de toute pensée religieuse, a inspiré des multitudes d’œuvres picturales, littéraires et cinématographiques. Mais cette notion d’abord religieuse, organisée autour des idées de la Passion et du Martyr, a évolué vers une représentation plus laïque et générale. On est ainsi passé de l’idée d’un cadeau fait à Dieu pour calmer Sa colère à celle plus générale, et laïque, de la nécessité de défendre une cause dont la valeur est supérieure à celle de la vie de celui qui se sacrifie. Ainsi revisitée, cette notion reste une source d’inspiration et de réflexion pour les écrivains et les artistes. On pourra ainsi parler d’abord de la représentation du sacrifice, de ses circonstances, puis, dans une seconde partie, des types de littératures qui le mettent en scène : littérature religieuse, littérature morale et littérature engagée.

1. Représentation du sacrifice A. Un moment • Le sacrifice est un moment, celui de la mise à mort qui concentre le sens de cet acte. • On peut penser à la fin de La Grande Illusion de Jean Renoir. L’officier français se sacrifie pour respecter en même temps deux idées inconciliables : laisser ses camarades s’évader et ne pas mentir à l’officier allemand à qui il a prêté serment. B. Un drame et une révélation • Le sacrifice est toujours frappant : la vie et la mort sont en jeu. • C’est aussi un moment de révélation de la vérité : de soi et du monde.

2. À quoi sert le sacrifice ? A. Valeur religieuse On pourra, par exemple, citer Le Soulier de satin de Paul Claudel, grande pièce dans laquelle Rodrigue et Prouhèze, qui s’aiment, sacrifient leur amour au profit de leur foi en Dieu et pour lui donner une dimension spirituelle. B. Valeur politique, d’engagement On pourra, par exemple, s’appuyer sur le personnage de Hugo dans Les Mains sales de Jean-Paul Sartre, qui n’hésite pas à poser une bombe, c’est-à-dire à sacrifier son innocence, pour une cause qu’il estime juste. C. Valeur morale Dans La Peste, Albert Camus imagine une ville envahie par la maladie. Certains habitants, en particulier le docteur Rieux, se sacrifient en faisant passer le bien commun avant leur intérêt personnel. Le livre est une métaphore de l’Occupation et évoque en réalité le rôle joué par les résistants pendant la Seconde Guerre mondiale.

Conclusion Le sacrifice reste un sujet d’inspiration mais dans un sens très général de dépassement de soi au profit d’une idée collective et non, comme par le passé, dans un sens traditionnel et religieux.

Écriture d’invention Les sujets peuvent être multiples, depuis le simple potache qui préfère une lourde punition à la dénonciation de ses camarades qui ont fait une mauvaise action (selon ses biographes, Baudelaire aurait ainsi été exclu du lycée Louis-le-Grand en 1839, pour avoir refusé de dénoncer un camarade après un chahut…), jusqu’à celui qui refuse de parler sous la torture : dans les deux cas, on abandonne son intérêt personnel au nom d’une cause jugée juste et supérieure. On veillera à indiquer aux élèves qu’il convient de choisir un registre adapté (pathétique, grave, y compris dans le passage au discours direct) et de soigner la mise en scène (auditoire, lieux, etc.).

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Réponses aux questions – 16

E x t r a i t 3 ( p p . 5 4 à 5 7 )

◆ Lecture analytique de la scène (pp. 58-59) u Claude Gueux revient dans sa prison « gaiement » ; il déclare avec humour ne pas avoir « peur du choléra », pense à faire porter ses ciseaux à Albin puis, sur l’échafaud, à donner sa pièce pour « les pauvres ». Il s’intéresse donc aux autres et non à lui et son calme face à l’épreuve ultime est constamment souligné. v Claude regarde le « gibet du Christ », c’est-à-dire le crucifix, qui n’est pas un gibet mais une croix. Par ce mélange volontaire de termes, Hugo fait monter Claude à l’échafaud comme s’il s’agissait d’un nouveau martyr chrétien, donnant son sang, tel le Christ, pour sauver les hommes. w Le texte comporte deux formules de vérité générale : « il paraît qu’il y a encore en France des bourgades à demi sauvages où, quand la société tue un homme, elle s’en vante » et « Le doux peuple que vous font ces lois-là ! ». Dans les deux cas, on insiste sur la sauvagerie du public qui, par contraste, fait ressortir la grandeur de Claude, son calme et sa sérénité. x Le réalisme du passage repose sur la citation de petits détails précis pour décrire l’exécution et ce qui la précède. Hugo insiste sur des objets (les ciseaux, le pain, la pièce de cinq francs), puis décrit minutieusement le déroulement de l’exécution (le jour de marché au cours duquel elle a lieu, la préparation, etc.). Tous ces petits faits vrais, anodins et réalistes, font apparaître, par contraste, Claude encore plus héroïque et exemplaire. y L’imitation du journalisme réside dans l’utilisation d’italiques qui signalent que la scène est comme racontée par un témoin neutre. On trouve aussi la formule « selon une relation ». Claude est ainsi vu de l’extérieur et sa sérénité n’en est que plus convaincante car elle est ainsi attestée par des témoins. U Victor Hugo utilise deux procédés : le changement de point de vue et la généralisation. Cela lui permet de porter un jugement sur l’attitude de la foule et donc sur l’effet des exécutions capitales, très néfaste, puisqu’elles incitent les gens à s’entretuer au lieu de les dissuader de commettre des crimes. L’objectif de ce récit est donc d’argumenter contre la peine de mort. V Hugo ne veut sans doute pas donner au lecteur le spectacle de l’exécution – d’où l’ellipse. On trouve plusieurs ellipses dans ce texte : – la vie de Claude avant son emprisonnement ; – le séjour de Claude avant son procès. Ce procédé de l’ellipse permet de centrer le récit sur les épisodes qui militent contre la peine de mort.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 60 à 70)

Examen des textes u Victor Hugo met en avant deux arguments essentiels contre la peine de mort dans ces deux récits : 1. Elle est injuste et barbare, fait mis en avant par la réaction du narrateur du Dernier Jour d’un condamné qui dit : « Cela est si horrible, à mon âge, de mourir ainsi ! » 2. Elle incite ceux qui y assistent à la brutalité, à la violence – ce qui est souligné par la réaction de la foule après l’exécution de Claude qui a failli « massacrer un employé de l’octroi » ou par les termes employés pour la désigner dans Le Dernier Jour d’un condamné (« populace », « hyènes » qui poussent des cris de joie et de haine). v Dans les deux cas, il s’agit de textes à la 1re personne, où l’auteur a voulu mettre le lecteur face aux ultimes pensées d’un condamné pour faire ressentir toute l’horreur de sa situation et, à travers lui, toute l’horreur qu’il y a à infliger la peine de mort à une personne. Dans L’Étranger, Camus met en scène deux réflexions du personnage : le souvenir de son père horrifié par le spectacle d’une exécution et sa propre représentation de l’exécution. Il ressort de ces deux exemples que, quoi que l’on fasse, l’horreur de la peine de mort est impossible à penser : « J’écoutais mon cœur. Je ne pouvais m’imaginer que ce bruit qui m’accompagnait depuis si longtemps pût jamais cesser. » On ne se fait pas à l’idée de sa propre disparition.

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Claude Gueux – 17

Dans Le Dernier Jour d’un condamné, Hugo met en scène la révolte finale du personnage qui ne peut se résigner à mourir et supplie en menaçant : « une minute pour attendre ma grâce ! ou je me défends ! je mords ! » w Pascal Clément commence par citer les arguments (l’humanité, la générosité) des partisans de l’abolition pour les réfuter au nom de la réalité et du droit de la société à se défendre contre les criminels. Il invoque ensuite les arguments suivants : – la légitime défense, c’est-à-dire le droit qu’a la société de se défendre contre les criminels, en comparant la peine de mort avec l’armée et le soldat qui, en temps de guerre, a le droit de tuer l’ennemi ; – l’exemplarité, c’est-à-dire l’idée que la crainte de la peine de mort peut arrêter le bras de futurs criminels (il cite comme exemples le meurtre de policiers ou l’enlèvement d’enfants) ; – la récidive que la peine de mort rend, en effet, impossible ; – enfin, la question de la peine de substitution, la réclusion à perpétuité n’étant pas, selon lui, une alternative satisfaisante. x Robert Badinter pose d’abord la peine de mort comme un problème non pas technique ou de dissuasion mais éthique, politique et moral : – il affirme que la peine de mort ne limite en rien les crimes sanglants, citant des études scientifiques à l’appui de ses dires et l’exemple de grands criminels, conduits plus par une sorte de passion meurtrière que par la raison et l’examen de l’échelle des sanctions ; – il démontre ensuite que la peur de la mort n’empêche pas d’agir, citant les aventuriers ou les soldats, qui n’hésitent pas à mettre leur vie en danger pour une cause juste ; – il cite enfin l’exemple de Patrick Henry, meurtrier d’un enfant, qui hurlait avec la foule pour réclamer que soient condamnés à mort deux criminels. y Victor Hugo cite comme principaux arguments contre la peine de mort : – le caractère injuste et sauvage de la peine ; – le fait que cette peine soit un mauvais exemple et incite à la violence plutôt qu’elle n’en détourne. Les arguments de Robert Badinter sont donc bien présents chez Victor Hugo.

Travaux d’écriture

Question préliminaire La mise en scène ou le récit d’exécutions capitales sont ici des arguments en faveur de l’abolition de la peine de mort dans la mesure où, dans chacun des textes, ce spectacle apparaît comme un élément qui convertit ceux qui y assistent en adversaires résolus de la peine de mort (le père du narrateur dans l’extrait de L’Étranger) ou qui, au contraire, les métamorphose en bêtes sauvages et sanguinaires (les deux textes de Victor Hugo, le discours de Robert Badinter), au lieu de les inciter à ne pas commettre eux-mêmes de crime. L’exemple cité par Robert Badinter est éclairant et contredit la théorie du caractère dissuasif de la peine de mort. En effet, là comme dans les autres textes, l’exécution capitale est présentée comme une incitation au crime, à la violence et à la barbarie. On peut ajouter que, dans les trois extraits romanesques, le fait de centrer la focalisation sur le condamné lui rend son humanité et aboutit à ce qu’au lieu de voir en lui un coupable on voit un homme qui, comme tout un chacun, a droit au pardon et à notre mansuétude. Le document photographique, sinistre, révèle lui aussi toute l’horreur d’une exécution capitale et combien son caractère public flatte la curiosité malsaine de la foule venue assister à l’exécution.

Commentaire

Introduction Cet extrait de L’Étranger est situé dans la dernière partie du roman. Le héros, Meursault, qui a tué un Algérien sur la plage, après une rixe mais sans véritable raison, a été condamné à mort. Ici, seul dans sa cellule, il médite sur la peine de mort, sur sa situation et sur les moyens d’y échapper. Cette méditation dévie progressivement vers une réflexion sur la signification et les conséquences humaines de la peine de mort.

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Réponses aux questions – 18

De paragraphe en paragraphe, oscillant entre résignation et révolte, le personnage, au fil de ses réflexions et de ses comparaisons, dévoile progressivement et dans une sorte de mouvement crescendo le caractère impensable, absurde et révoltant de la peine capitale. On étudiera d’abord les hésitations du personnage entre résignation et révolte, puis la vision de la peine de mort proposée par le texte.

1. Un personnage entre résignation et révolte A. Meursault se révolte et tente de vivre, mais ses révoltes paraissent illusoires • Par la pensée, il tente d’échapper à sa situation de condamné à mort (le récit du père : assister à la mort des autres, c’est ne pas croire à sa propre mort ; réécrire les lois pour donner « une chance au condamné », pour nier le caractère inéluctable de la peine capitale ; penser à sa grâce, son pourvoi). • Puis il se résigne, devient « raisonnable » car, au bout de chacune de ses révoltes, de chacun de ses refus, il y a une sorte d’amertume, le « froid ». Il « vomit », comme son père en quelque sorte, mais sur lui-même. B. Penser « le moment » pour oublier • L’analyse du déroulement de l’exécution (« le bon fonctionnement de la machine ») est un autre dérivatif, comme si la technique employée permettait d’oublier le fait qu’on va mourir. • Mais même cette dramaturgie (« monter sur un échafaud, gravir des marches ») se révèle décevante et débouche sur le néant : « on était tué discrètement ». Révolte et résignation conduisent toutes deux à l’échec : ni l’une ni l’autre ne permettent finalement de lutter contre la souffrance, la peur, car il est impossible de penser « une certaine seconde où le battement de ce cœur ne se prolongerait plus dans [la] tête ». Le personnage se trouve face à une sorte de néant, absurde et choquant.

2. La vision de la peine de mort : une absurdité révoltante A. Un mouvement crescendo De paragraphe en paragraphe, on va de l’idée en général à la mort du personnage, d’une vision abstraite à une vision de plus en plus concrète, personnelle. B. Simultanément, la peine de mort s’évide Toutes les représentations (le père, la guillotine, la foule) auxquelles Meursault tente de se raccrocher s’effacent et disparaissent pour laisser place à une sorte de vide, au néant. On peut commenter la manière dont la dramaturgie de l’échafaud se défait dans la pensée de Meursault, qui symbolise ce néant. C. La mort : une « certitude » impossible à penser • Au total, la mort, la peine de mort, cette « certitude » de mourir apparaît comme une réalité impossible à penser, contre nature (la « nature », c’est le fait d’avoir une « chance », donc de continuer à lutter et à vivre ; là, Meursault est mort sans être mort). • Autre scandale, il est obligé de « collaborer » à sa propre destruction. Cet homme qui lutte au bord du néant donne ainsi une image révoltante et absurde de la peine de mort.

Conclusion En plaçant son personnage entre révolte et résignation face à la sentence de mort, Camus se donne les moyens de penser la peine de mort : Meursault tente de regarder sa propre mort comme un objet extérieur, mais n’y parvient pas. Camus construit alors un mouvement crescendo pour, à travers la pensée de Meursault, démonter la mécanique de la peine de mort : elle inverse le cours des choses et transforme un être vivant en un objet, un mort pourtant encore vivant. Elle abolit les « chances » qui sont consubstantielles à la vie. Elle est donc un scandale qu’il faut dénoncer.

Dissertation

Introduction La question de l’engagement et du rôle que doivent jouer les écrivains et les artistes est relativement moderne et commence à se poser à partir de l’époque de Voltaire et des Lumières, pour plusieurs raisons.

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Claude Gueux – 19

D’abord, les écrivains ne sont alors plus totalement dépendants du mécénat mais commencent à vivre du revenu de leur plume ; ensuite, les écrivains, souvent issus de la bourgeoisie commerçante, critiquent la noblesse qui les tient à l’écart de l’exercice effectif du pouvoir. Ce mouvement aboutira à la disparition de la société d’états au profit d’une société égalitaire, avec la Révolution française. Dans ce nouveau cadre, les écrivains, et avec eux les artistes, sont appelés à se prononcer et à choisir de prendre part au mouvement de la société : Hugo, Lamartine et Chateaubriand exerceront ainsi des fonctions importantes, au contraire de Baudelaire et Gautier qui s’abstrairont des affaires publiques. Ces derniers reprochent aux écrivains « engagés » de subordonner la littérature à quelque chose qui lui est étranger et qui la dénature : à trop s’engager la littérature court le risque de devenir de la propagande ou de l’art pompier. Pour répondre à la question, on commencera par confronter quelques grandes figures de l’engagement, puis celles du refus de l’engagement. À partir de ces analyses, on montrera que l’engagement, pour l’art, consiste d’abord à résister aux injonctions extérieures et à militer pour la liberté de l’art.

1. Les figures de l’engagement A. Voltaire et les Lumières On peut citer Voltaire, qui s’engagea contre l’obscurantisme religieux en défendant Calas, un protestant injustement condamné, ou le chevalier de La Barre, accusé d’avoir blasphémé le Christ. Au Siècle des lumières, c’est par leur pensée et la défense d’idées nouvelles, défavorables à la monarchie, que les écrivains s’engagent. B. Zola accuse Zola, avec « J’accuse », lettre ouverte dans laquelle il prend parti en faveur de Dreyfus, fonde en 1898 le rôle moderne des intellectuels engagés. Cette prise de position s’inscrit dans le courant naturaliste qui, en décrivant avec réalisme et objectivité le monde, voulait en dénoncer les injustices. C’est aussi assez exemplaire du XIXe siècle, au cours duquel les écrivains participent activement aux affaires de la cité. C. L’écrivain en situation • Au milieu du XXe siècle, Jean-Paul Sartre a proposé une théorie de l’engagement dans « Qu’est-ce que la littérature ? » (Situations II), selon laquelle l’écrivain est toujours engagé dans son temps, volontairement ou involontairement. Même son abstention vaut prise de position, selon lui, en faveur du pouvoir en place. • Mais cette revendication du rôle social, de l’engagement de l’artiste ne va pas de soi : auparavant, on fixait un autre rôle aux écrivains, et les parnassiens et les symbolistes ont développé la théorie du refus de l’engagement.

2. Les figures du refus de l’engagement A. « L’art pour l’art » parnassien • Des écrivains comme Théophile Gautier et les parnassiens ont refusé toute forme d’asservissement de l’art à une cause, quelle qu’elle soit. Selon eux, le rôle de l’art, de la littérature, est de poursuivre ses propres fins et non de se soumettre à des impératifs qui lui sont extérieurs. • Il s’agit là, en fait, d’une réaction à l’éclosion de la littérature, de la peinture et de la sculpture officielles au début de la IIIe République, où chacun était appelé à chanter les triomphes de la nouvelle république, après la défaite contre l’armée prussienne en 1870. • Le discours de ces écrivains, au premier rang desquels se retrouve le Rimbaud des derniers poèmes, a donc pour objet d’affranchir l’art, de refuser son embrigadement et de le libérer de la dimension officielle à laquelle on l’avait cantonné. B. La critique de l’art-propagande Ces écrivains préfigurent la critique de l’art « réaliste socialiste », de l’art fasciste et de toutes les formes d’arts qui, au cours du XXe siècle, se sont fourvoyés dans la propagande pure, en oubliant les règles de l’art.

3. L’engagement et les règles de l’art On pourrait reprendre la formule d’André Gide – selon laquelle, avec des bons sentiments on fait de la mauvaise littérature – pour répondre à la question de l’engagement.

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Réponses aux questions – 20

A. Le premier engagement de Voltaire, de Zola, ou encore de Hugo est un engagement d’ordre artistique • La première des causes qu’ils ont défendues fut celle de leur art, de ses exigences propres, de son esthétique. La première préoccupation de Zola est de dire la vérité : tel est l’objectif affiché de l’art naturaliste ; ainsi, même en défendant de grandes causes, Zola n’a pas versé dans la propagande, ne se résolvant jamais à mentir pour de bonnes raisons. Tout en étant favorable à l’amélioration de la condition ouvrière, il n’a pas craint de décrire les travers des ouvriers. • De même, Hugo n’a pas craint de montrer un assassin condamné pour dénoncer la peine de mort. • Au total, les idées qu’ils exposent prennent plus de poids et sont rendues plus convaincantes que s’ils les avaient présentées de manière artificielle, univoque, à la façon des allégories de la peinture des peintres dits « pompiers ». B. À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, la dichotomie entre engagement et détachement n’est plus, en effet, posée de la même manière Après Baudelaire et son refus des valeurs bourgeoises, l’engagement de l’artiste et de l’écrivain est devenu plus subtil. Il ne s’agit pas pour lui de revendiquer telle ou telle position politique, mais de défendre les valeurs propres de son art, contre toutes formes de contraintes sociales.

Conclusion Après avoir parlé des formes d’engagement et de refus d’engagement, on en a tiré l’idée que l’engagement ne valait qu’à condition qu’il ne laisse pas en chemin les règles propres de l’art, faute de quoi ce dernier se dégrade en propagande. On peut donc dire que l’art doit s’engager, mais d’abord vis-à-vis de lui-même.

Écriture d’invention • Le sujet demande la rédaction d’un discours, c’est-à-dire un texte prononcé devant un auditoire, auquel on s’adresse. Ce texte devra donc être écrit à la 1re personne et utiliser les ressources de la rhétorique (questions oratoires, apostrophes, prétéritions…) pour convaincre. • On invitera les élèves à : – identifier les arguments employés par Pascal Clément et Robert Badinter ; – rédiger ces arguments sous forme de phrases simples, pour pouvoir les réinjecter dans leurs textes ; – choisir une composition pour leur discours avant de rédiger (par exemple, portrait de celui qu’ils défendent, arguments liés à sa situation particulière, arguments généraux…).

E x t r a i t 4 ( p p . 7 4 à 7 7 )

◆ Lecture analytique de la scène (pp. 78-79) u Victor Hugo prend personnellement la parole. Sa présence est constamment marquée : – par des apostrophes à son auditoire ; – par l’emploi constant de pronoms de 2e personne (« vous ») et aussi de 1re personne (« Démontez-moi ») ; – par l’emploi de l’impératif (« occupez-vous de la maladie ») ; – par de nombreux jugements de valeur (« et la France ne sait pas lire ? C’est une honte »). v Les interlocuteurs sont désignés par leur place sur l’échiquier politique (« Messieurs des centres, messieurs des extrémités »), puis par l’appellation générale « Messieurs » et par des pronoms (« vous »). Cela montre qu’il s’agit d’un discours qui pourrait être prononcé à la tribune de l’Assemblée. L’effet oratoire est évident : Victor Hugo cherche à persuader son auditoire et ses lecteurs qu’il faut réformer le Code pénal. w La métaphore de la « maladie du peuple », qui « a un vice dans le sang » se manifestant par deux « ulcères » (le lupanar pour les filles, le bagne pour les garçons), commence à la ligne 778 et prend fin à la ligne 794. Les peines sont ensuite comparées à des médicaments ou des traitements (la « flétrissure était une cautérisation », le « bagne est un vésicatoire », la peine de mort « une amputation absurde »). Mais ces médicaments enveniment le mal qu’ils sont censés guérir. Donc il faut les changer et revoir le traitement. Plus loin, Hugo propose un meilleur remède : l’enseignement et la morale (c’est-à-dire, ici, la lecture de la Bible).

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x Victor Hugo use ici du discours injonctif car il cherche à obtenir une action de son auditoire : le changement de la politique pénale de la France et la mise en œuvre d’une nouvelle politique en direction du peuple et des miséreux : « Refaites votre pénalité, refaites vos codes », demande-t-il ainsi à la ligne 802 ; puis : « Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, […] vous n’aurez pas besoin de la couper » (l. 861-864). y Victor Hugo est en effet l’homme de l’antithèse et des oppositions : entre le bourreau et les maîtres d’école, la République et la monarchie, la maladie et la santé, la nature et l’éducation, le crime et l’honnêteté, Jésus et Voltaire… Mais, ici, il construit ces oppositions selon un système de parallèles et d’images. On a analysé plus haut (question 3) le long parallèle entre la maladie et le corps social, construit à l’aide d’une métaphore filée. La seconde partie du texte est marquée par un parallèle entre l’enseignement et l’agriculture, image dont la charge symbolique est forte : il y a d’un côté la fertilité (l’enseignement, l’agriculture), de l’autre la stérilité (le bagne, le peuple souffrant et abandonné). L’ensemble débouche sur l’injonction finale des lignes 861-864. U L’opposition des deux verbes à l’impératif (« cultivez »/« coupez ») clôt l’œuvre. Ces verbes portent sur la « tête » de l’homme du peuple. Il s’agit en effet d’un jeu de mots dans la mesure où les verbes sont pris dans leur double sens propre (cultiver : « faire pousser », couper : « récolter ») et figuré (cultiver : « instruire », couper : « tuer »). On voit bien qu’il ne s’agit pas de faire pousser des têtes dans les champs… mais de faire fructifier la richesse humaine grâce à l’éducation. V On peut relever d’abord la formule « supprimez le bourreau. Avec la solde de vos quatre-vingts bourreaux, vous paierez six cents maîtres d’école » (l. 808-809), puis sa demande « Allez dans les bagnes » (l. 816), juste après avoir demandé des « écoles pour les enfants, des ateliers pour les hommes » (l. 810-811). Il s’agit bien de dire que le bagne est un mauvais traitement pour ce dont souffre le peuple, mais que l’école pourrait régler le problème définitivement. W Le champ lexical de la maladie et de la médecine domine et permet de construire une comparaison entre une maladie et l’état social du pays. X Le « peuple » est malade, c’est-à-dire qu’il est posé comme naturellement en état d’infériorité, dont témoigne, plus loin, la formule « le premier tort est à la nature sans doute, le second à l’éducation ». L’éducation doit remédier au défaut naturel des « pauvres têtes mal conformées » des gens du peuple. at L’éducation, contrairement à l’échelle des peines, doit être cultivée car elle permet de remédier aux défauts naturels du peuple ; d’autre part, elle est plus juste et humaine. Tels sont les arguments de Hugo en faveur de l’éducation. ak Selon Victor Hugo, l’éducation des masses a un rôle de maintien de l’ordre social : il ne s’agit nullement ici, par l’éducation, de permettre aux pauvres de s’élever au-dessus de leur condition mais de faire en sorte que la « part du pauvre [soit] aussi riche que la part du riche », en lui faisant entrevoir, grâce à l’apprentissage des Écritures saintes, que viendra, après une longue vie de misères, la « certitude d’un avenir céleste ». En 1832, Hugo n’est pas encore l’auteur des Misérables et demeure à la droite de l’échiquier politique. Il vise l’ordre public plus que l’égalité ou la justice : ce qui le révolte dans le cas de Claude Gueux, si l’on se réfère à son argumentation, c’est le gâchis et le désordre qu’il crée plus que l’injustice de la sanction.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 80 à 91)

Examen des textes u Dans chaque texte, Victor Hugo propose le spectacle d’une famille réduite à une misère telle que les parents ne peuvent garantir à leurs enfants des conditions décentes d’existence. Il invite à réfléchir sur le sort d’enfants broyés par cette misère. Dans Claude Gueux, le héros vole pour faire manger son enfant et sa compagne ; lorsqu’il est mis en prison, son enfant est à la rue et sa compagne se prostitue. Dans son « Discours sur la misère », il évoque « une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels de Montfaucon ». Dans « Melancholia », il décrit des enfants broyés par le travail (« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? »). Au-delà de la misère, de la pauvreté et de la souffrance, ces personnages ont en commun d’être désignés comme les victimes d’une injustice.

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Réponses aux questions – 22

v On voit que la pensée de Victor Hugo est cohérente, qu’elle s’exprime dans le cadre de l’action politique (discours) ou dans celui de la création littéraire (roman, poésie), mais aussi qu’elle est marquée par la permanence des idées. On peut le démontrer en commençant par s’appuyer sur les explications de la question précédente, qui montrent que, dans les différentes formes d’interventions, Hugo met en scène les mêmes personnages. Mais on peut aussi souligner que, dans son discours, Hugo met à profit tout son talent de littérateur pour convaincre : l’antithèse entre les enfants et leur mère et le crime (que symbolise le gibet de Montfaucon) est volontaire et frappante ; « Melancholia » et Claude Gueux témoignent aussi de la capacité d’observation de la réalité sociale par Hugo, même si elle est plus manifeste dans ses discours. Les deux dimensions se complètent et s’ensemencent mutuellement. w Hugo, comme nombre de ses contemporains, est un lecteur de Lamennais. Cet abbé lui a en effet servi de modèle lors de la création de Mgr Myriel, l’évêque des Misérables, et son analyse de la situation des miséreux ressemble à celle de Lamennais. En effet, Lamennais écrit que « l’égalité chrétienne des droits » dans l’organisation politique est voulue par Dieu et que « le mal dans l’ordre matériel [provient] du dénuement extrême ». Cette analyse, qui fait de l’ouvrier devenu voleur pour nourrir ses enfants une victime d’un ordre social injuste et non un criminel, est bien celle que propose Hugo. On retrouve cette même idée chez de nombreux penseurs sociaux du XIXe siècle, et en particulier dans l’extrait proposé de Lamennais. x On doit apporter une restriction à la question précédente. Autant Lamennais demande la justice et une répartition équitable des profits entre le travail et « celui qui possède déjà », autant Victor Hugo, dans son « Discours sur la misère », fait appel au sentiment de charité de l’auditoire et s’inquiète du maintien de l’ordre public : « l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme malheureux » ; « je ne m’adresse pas seulement à votre générosité, je m’adresse à ce qu’il y a de plus sérieux dans le sentiment politique ». y Les analyses de Lamennais et de Hugo sont inscrites dans le cadre général d’un projet divin : tous deux fondent leur réflexion sur l’autorité de Dieu, argument suprême pour justifier leur propos. Il n’en va pas du tout de même dans les propos de Marx et Engels : tous deux s’attachent à décrire un processus historique qui, depuis le Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle, a progressivement transformé l’ouvrier en un esclave de la machine et du capital. La situation et les rapports de force dans la société ne sont pas présentés comme un dévoiement du « projet divin », mais comme la conséquence logique d’une société dominée par « le bourgeois fabricant lui-même ». Selon Marx, l’abolition de la misère ne peut donc venir d’un élan de générosité des « bourgeois », c’est-à-dire, dans l’esprit et la logique de Marx, de la classe dominante (les lecteurs et les auditeurs de Lamennais et Hugo), mais de la révolte des « ouvriers » dépossédés de leur savoir-faire et de leur force de travail, idée qui est résumée dans la sombre formule du début de l’extrait : « Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes – les ouvriers modernes, les prolétaires. » Il s’agit donc d’une analyse révolutionnaire, en terme de « lutte des classes », et non d’une analyse seulement sociale, comme celles de Hugo et Lamennais. U Oui, dans une certaine mesure, ce texte permet de mieux comprendre les causes de la misère car il décrit la société comme un système de vases communicants où l’enrichissement des uns correspond de manière symétrique à l’appauvrissement des autres. La cause de la situation des personnages décrits par Hugo est donc bien à chercher dans un ordre social et économique inégal, fondé sur l’exploitation des uns par les autres.

Travaux d’écriture

Question préliminaire D’une manière générale, avant le XIXe siècle, le peuple et les couches populaires de la société ne sont pas considérés comme un sujet acceptable et valorisant pour la littérature, si ce n’est sous la forme de la satire (par exemple, Le Roman bourgeois de Furetière) ou dans les genres comiques (la farce et la comédie notamment). Les romantiques vont, au contraire, considérer que la question sociale est un sujet digne de la littérature dite « noble ». C’est ainsi que des personnages populaires comme ceux des Misérables vont être les héros d’œuvres de genres nobles, telle l’épopée.

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Claude Gueux – 23

Les différents textes du corpus témoignent en effet de cette nouveauté en littérature, que ce soit dans les genres littéraires (témoins les extraits de Claude Gueux et des Contemplations) ou dans le genre de l’essai (témoins les extraits de Lamennais, Marx et du discours de Hugo). Ces différents textes témoignent du fait que la misère et le peuple ne sont plus traités comme un spectacle bas et dégoûtant, comme la résultante de la dépravation des mœurs de ceux qui y vivent et la manifestation de l’infériorité de leur condition, mais au contraire comme une donnée politique, une question qui se pose à la société et qui relève de la responsabilité collective. Ce point de vue est tout à fait novateur à l’époque.

Commentaire

Introduction Cet extrait du Livre du peuple est écrit sous la monarchie de Juillet et peu avant la révolution de 1848. Lamennais s’intéresse essentiellement à la question du travail et de ce qui revient au travail et à ceux qui travaillent. Ce passage est un texte didactique dans lequel l’auteur cherche à convaincre son lecteur, à le faire changer d’avis, au nom de deux idées essentielles : « l’égalité des droits » et la nécessité de lutter contre « le dénuement des autres », de ceux qui n’ont rien, de ceux qui travaillent. Ces deux idées, qui semblent évidentes à Lamennais comme à nous aujourd’hui, sont pourtant à l’époque tout à fait subversives et ont valu à leur auteur sa mise au ban de la société et son expulsion de l’Église. Lamennais en est bien conscient et, pour se faire néanmoins entendre, il use d’une stratégie argumentative qui minimise la portée révolutionnaire de son propos. Nous analyserons d’abord cette stratégie argumentative, avant d’exposer les solutions proposées par Lamennais.

1. La stratégie argumentative A. Texte écrit comme une démonstration, c’est-à-dire sans parti pris apparent Connecteurs logiques, restrictions, interrogations et réponses. B. Lamennais s’appuie sur deux des fondements de la société des « riches » : le respect de « l’inégalité des fortunes » et la morale chrétienne (« voulue de vous et voulue de Dieu ») Lamennais donne ainsi à son lecteur l’impression d’un point de vue mesuré, d’un raisonnement prenant en compte l’avis de ceux qu’il veut convaincre, d’autant plus qu’il propose d’appliquer des solutions qu’il déduit de la morale des « riches » (la religion chrétienne).

2. Un projet cependant révolutionnaire A. « Sans le peuple, nulle prospérité » La phrase du début a un accent et une tonalité presque communistes : ce sont les travailleurs qui créent la richesse et pourtant rien ne leur revient. Bien au contraire, ils sont plus mal traités que les animaux du « laboureur ». À partir de ce postulat, Lamennais examine les différentes possibilités de transformation de cette situation. B. Le partage de la richesse Différentes possibilités sont envisagées : – « l’égalité parfaite des positions » (possibilité vite écartée) ; – Lamennais en arrive alors à la conclusion qu’il faut « créer une propriété à celui qui maintenant est privé de toute propriété », c’est-à-dire à celui qui travaille ; – pour cela, il demande de remettre en question les lois « faites par le riche pour l’exclusivité du riche », autrement dit que la richesse soit partagée entre le capital et le travail. Une telle proposition est, à l’époque, tout à fait révolutionnaire et subversive.

Conclusion Lamennais examine la source du « mal dans l’ordre matériel » qui est, selon lui, la pauvreté du peuple et de ceux qui travaillent. Il en situe la cause dans une répartition inégale, fondée sur des lois à l’avantage exclusif du « riche », qui s’approprie tous les bienfaits du travail du « pauvre ». Cette vision simple, mais très révolutionnaire à son époque, lui permet de demander une meilleure répartition pour remédier au mal « intellectuel » et « moral », dont la cause n’est pas à chercher ailleurs, selon lui, que dans cette injustice sur laquelle est fondée la société du XIXe siècle.

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Réponses aux questions – 24

Dissertation

Introduction Les textes du groupement prennent, chacun à leur manière, le parti de s’inscrire dans le débat social de leur temps et d’éclairer leur lecteur sur la question de la misère et des inégalités sociales. Les textes narratifs et poétiques (Claude Gueux et « Melancholia ») décrivent des situations poignantes qui incitent le lecteur à s’en indigner, tandis que les autres tentent de comprendre les situations, d’en évaluer les causes et les moyens d’y remédier (essais de Hugo, Lamennais et Marx). Mais on peut légitimement s’interroger sur l’efficacité de ces textes : quels ont été leurs résultats, leurs effets sur les lecteurs et la situation ? Pour répondre à cette question, on commencera par revenir sur le débat concernant la littérature dite « engagée », puis on tentera de préciser son rôle et sa fonction.

1. La littérature doit-elle être « engagée » ? A. Définition de la « littérature engagée » Une littérature qui porte sur les questions de son temps et prend parti pour faire évoluer la situation : on peut ranger dans ce cadre les textes politiques (discours de Hugo, livres de Lamennais) mais aussi bon nombre de romans et d’œuvres relevant de la satire sociale, etc. B. Le point de vue de Sartre • Selon Sartre, toute littérature est par définition engagée, d’une façon ou d’une autre, volontairement ou non. L’écrivain n’est pas un anachorète mais un être social, qui doit intervenir dans les affaires de la société, y jouer un rôle. • Sa participation à la société est une fatalité et même son abstention est une forme de participation, qui revient, selon Sartre, à cautionner l’ordre établi. C. Inversement, l’engagement a ses limites • Déguiser la vérité pour servir une cause et surtout abandonner les exigences propres de l’art au profit d’une cause. C’est le risque de la propagande, de la littérature officielle, asservies à une cause, à un pouvoir… • Le premier engagement de la littérature, c’est donc sa liberté propre et la recherche d’une certaine « vérité littéraire », pour reprendre l’expression de la critique Marthe Robert.

2. À quoi sert la « littérature engagée » ? Il va de soi que la littérature ne transforme pas le monde (comme peut le faire un choix politique, par exemple) ; mais en quoi peut-elle y contribuer ? A. La manifestation de la vérité • Les romantiques, les naturalistes, les réalistes veulent décrire le monde et le montrer tel qu’il est, sans souci de la « bienséance » et encore moins de la convention artistique. • Montrer, c’est, à l’époque, déjà dénoncer. En ce sens, Claude Gueux dévoile la vérité des rapports humains dans les prisons ; plus tard, Zola expose les conditions d’existence des ouvriers. Ces spectacles sont révoltants et incitent les lecteurs à réfléchir. B. La compréhension Un essayiste comme Lamennais et un théoricien comme Marx donnent des outils pour comprendre, pour analyser et donc pour se donner les moyens de transformer et modifier le monde, de ne plus accepter la misère comme inéluctable. C. Le poids de la notoriété Enfin, le littérateur peut peser d’un grand poids dans tel ou tel débat, grâce à sa notoriété. Ce fut le cas de Voltaire intervenant dans l’affaire Calas ou de Zola dans l’affaire Dreyfus.

Conclusion La littérature intervient dans le débat public et prend parti, volontairement ou par défaut. Elle peut, dans ce cadre, être considérée comme une arme efficace contre la misère et les inégalités sociales en les montrant, en aidant à en comprendre les causes pour y remédier et en étant une force de persuasion : par exemple, grâce à la notoriété des auteurs qui interviennent dans ce débat. Toutefois, cela ne peut se faire qu’à la condition de ne pas s’abandonner soi-même, en tombant dans l’ornière de la littérature officielle ou de propagande, qui n’a rapidement plus aucune portée.

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Écriture d’invention • S’agissant d’un discours, on reprendra les conseils donnés plus haut sur la situation d’énonciation et l’emploi de figures de rhétorique de la persuasion (apostrophes, questions oratoires, prétéritions…). • On précisera la notion de « décideurs » en faisant s’interroger sur les conditions dans lesquelles Hugo a prononcé son « Discours sur la misère ». • On s’interrogera sur la nécessité de choisir ou non le registre polémique pour parvenir à convaincre son auditoire ou le bousculer dans ses habitudes.

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C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

◆ Portrait de Victor Hugo (p. 4) L’auteur Jacques Jean Marie Achille Devéria, né à Paris en 1800, meurt en 1857. Graveur et auteur de lithographies, il est l’élève de Girodet. Au Salon de 1822, il expose des vignettes destinées à la gravure et au burin. Dans les années 1830, Achille Devéria devient un illustrateur à succès, donnant aux éditeurs une forte production. En 1855, il est nommé conservateur des estampes de la Bibliothèque nationale.

L’œuvre Ce portrait de Victor Hugo présente la particularité de montrer l’auteur à l’époque de la parution de Claude Gueux. On insistera sur le fait que cette représentation n’a rien à voir avec l’image habituelle de Hugo en patriarche barbu : on a ici un jeune homme au regard clair et méditatif, en costume de « Jeune-France », c’est-à-dire de romantique qui manifeste sa révolte par la bigarrure de sa mise. Regarder cette image sera une occasion d’introduire la diversité de l’œuvre hugolienne car elle témoigne de la diversité des personnages qu’il a été au cours de son existence.

Travail proposé Trouvez des portraits d’écrivains similaires (Baudelaire, Gautier, Lamartine…) datant approximativement de la même époque et tentez d’en établir les points communs (pose, costume, expressions du visage, coiffure).

◆ Forçats au XIXe siècle (p. 5) Travail proposé Cette image réaliste pourra être comparée avec les portraits de Claude Gueux (images et textes) et l’extrait des Misérables de la page 19, en insistant sur le costume porté par les forçats.

◆ Claude Gueux par Théophile Alexandre Steinlen (p. 21) L’auteur Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923), Français d’origine suisse, s’est rendu célèbre en réalisant l’affiche pour la tournée du cabaret du Chat noir, à Montmartre, cénacle où se retrouvaient de nombreux artistes (Toulouse-Lautrec, Léandre, Rivière, Bruant), des marginaux et des agitateurs fin de siècle. Mais cela ne doit pas occulter le fait qu’il est aussi un illustrateur qui, dans les revues Le Chambard socialiste, L’Assiette au beurre et le journal anarchiste La Feuille, s’en prend à l’Église, la justice, l’armée, le colonialisme, la misère, la bêtise… Témoin du mouvement social du tournant du siècle, il y prend toujours le parti du peuple avec tendresse. Peintre de la rue, des misères et des souffrances du peuple, il porte sur lui un regard de reporter engagé, libertaire et contestataire. On comprend ainsi ce qui le touche dans le personnage de Claude Gueux, injustement foudroyé, comme le montre son dessin où la tête disparaît presque derrière un regard lui-même s’effaçant dans la brume.

L’œuvre Se reporter à la réponse à la question 7, p. 8.

Travail proposé Faites une recherche sur les œuvres de Steinlen : – Comment s’est-il rendu célèbre ? – Quelles relations peut-on faire entre son compagnonnage avec les poètes du Chat noir et son intérêt pour Claude Gueux ?

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◆ La Mort de Socrate par Jacques Louis David (p. 44) L’auteur Jacques Louis David (1748-1825) est l’élève de Boucher, puis il entre en 1766 dans l’atelier de Joseph Marie Vien, peintre célèbre à l’époque pour son retour à l’antique. Il remporte le Prix de Rome en 1774 avec Érasistrate découvrant la cause de la maladie d’Antiochus et se passionne pour l’art antique. De retour à Paris, en 1784, il peint Le Serment des Horaces, qui marque un retour à la peinture classique dans le style de Poussin, avec en plus l’idée selon laquelle la peinture doit illustrer, avec des exemples tirés des récits romains et grecs, des valeurs morales comme l’amour de la patrie, l’héroïsme individuel, la foi en la vérité (dans le cas de la mort de Socrate). Il devient de la sorte le peintre officiel de la Révolution et de ses idéaux romains ; il s’engage même en politique, puisqu’il est député de la Convention et ami de Robespierre. Le portrait de Marat (vers 1790), dans sa baignoire, en Christ laïque, est une dénonciation du crime contre-révolutionnaire. Emprisonné après la chute de Robespierre, David devient le peintre officiel de l’Empire et est chargé de peindre le sacre de Napoléon. Il sera le maître de toute une génération d’artistes, de Gros à Ingres en passant par Girodet. Au moment de la Restauration, il s’exile à Bruxelles, où il continue dans la peinture inspirée de l’Antiquité, mais de manière moins didactique.

L’œuvre David peint La Mort de Socrate trois ans après la mort de Diderot. Pour lui, les vertus civiques grecques et romaines, représentées par le suicide de Socrate qui préfère mourir plutôt que de renier ses convictions, sont une arme philosophique contre la monarchie absolue. Ce tableau doit être interprété comme une œuvre morale, un manifeste néoclassique. Se reporter également aux réponses aux questions 3, 4, 5 et 7 et à la question préliminaire (p. 13).

Travail proposé Cherchez dans l’histoire de la peinture des représentations des philosophes grecs (Socrate, Platon, Aristote) : – Quelles images dominent ? – Les symboliques sont-elles identiques à celle choisie par David ?

◆ « La Cour », lithographie de Daumier (p. 54) L’auteur Honoré Victorien Daumier (1808-1879), connu pour ses caricatures, ses satires politiques et ses satires du monde judiciaire, est aussi un peintre, un dessinateur et un sculpteur. Daumier est né à Marseille le 26 février 1808, mais sa famille monte à Paris en 1816. D’abord coursier, puis commis de librairie, Daumier prend des cours dans une académie de dessin. Il réalise ses premières lithographies en 1828 pour le journal La Silhouette, puis ses premières caricatures en 1830 pour La Caricature. C’est en 1832 qu’il entame sa collaboration avec Le Charivari, journal opposé à Louis-Philippe. Ses caricatures le rendent célèbre mais lui valent aussi d’être condamné, cette année-là, à six mois de prison à Sainte-Pélagie pour une caricature représentant Louis-Philippe en Gargantua, d’autant qu’il ne fait pas mystère de ses sympathies républicaines. Il poursuit malgré tout par la réalisation de statuettes caricaturales, aujourd’hui exposées au musée d’Orsay. En 1835, contraint d’abandonner la satire politique du fait des lois sur la censure, il se tourne vers la satire de mœurs (Robert Macaire, Les Gens de justice, Les Bons Bourgeois…), tout en continuant à croquer l’actualité (« Rue Transnonain », 15 avril 1834, Le Ventre législatif). Avec la révolution de 1848, il retrouve sa veine politique (Ratapoil, Le Dernier Conseil des ministres) et, à partir de 1860, il s’ouvre aux autres arts : dessin, peinture (La République, Don Quichotte) et sculpture. En 1865, des difficultés financières le contraignent à quitter Paris. Devenu presque aveugle, il s’installe à Valmondois, dans une maison que lui prête son ami le peintre Corot, où il demeure jusqu’à sa mort en 1879. L’année suivante, ses cendres sont transférées au cimetière du Père-Lachaise à Paris.

L’œuvre Cette lithographie date vraisemblablement de la période où Daumier s’adonnait à la caricature des mœurs (1835-1848). On remarquera la composition : trois personnages dans un rectangle, écrasés par le cadre et en même temps vus comme en légère contre-plongée. Ils sont sur une estrade. Deux d’entre

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eux ont enlevé leur bonnet. Deux personnages échangent des confidences. Un troisième dort. Les costumes, la posture et la situation évoquent la pompe judiciaire, la dignité et l’autorité des magistrats ; en même temps, le décor est dépouillé, presque misérable, comme pour mieux centrer l’attention sur le caractère humain, fragile et pitoyable des personnages : leurs traits sont usés, leurs visages chargés de rides, et le personnage de gauche dort en faisant usage de ses manches comme d’un manchon pour se protéger du froid. On a le sentiment que dans ces trois personnages cohabitent la puissance et la faiblesse.

Travaux proposés – Quels procédés typiques de la caricature reconnaît-on dans cette gravure ? – Recherchez parmi les caricaturistes actuels des représentations de juges (dessins de presse). Quels sont les points communs et les différences avec cette illustration de Daumier ?

◆ Exécution publique d’Eugène Weidmann (p. 68) L’œuvre Ce cliché est un document historique, une archive journalistique. On n’y trouve donc aucune recherche esthétique particulière. Au contraire, l’image est prise de haut, comme dérobée à partir d’une fenêtre. C’est un témoignage documentaire sur un moment lugubre et particulièrement sinistre. La foule se tient à distance de l’exécution, de manière spontanée (il n’y a pas de barrières, mais quelques policiers au premier rang). Le lieu est important : on est devant la porte de la prison. Les outils et les échelles nécessaires à l’installation de l’échafaud sont encore posés contre le mur. Il y a quelque chose d’improvisé, de furtif et de honteux dans ce moment. Il se passe en public, certes, mais tout montre que l’on se tient prêt à retourner se terrer derrière les murs de la prison. Après cette scène, il n’y aura plus, en France, d’exécution publique.

Travail proposé Recherchez d’autres illustrations (photographies, dessins ou peintures) représentant des exécutions capitales puis demandez-vous sur quel registre elles jouent et quel objectif elles visent.

◆ Ouvriers du XIXe siècle (p. 89) L’œuvre Cette image est extraite de l’ouvrage encyclopédique Les Grandes Usines en France de Julien Turgan (1824-1887), médecin, rédacteur scientifique, puis chargé de mission auprès du ministère de la Guerre. L’image présentée ici est descriptive et didactique : comme les planches de l’Encyclopédie, elle poursuit l’objectif de montrer et de faire connaître l’organisation du travail, dans le cadre d’un ouvrage à la gloire de la diversité industrielle et artisanale française, paru chez l’éditeur Michel Lévy en 1868. On peut d’abord dire de cette scène qu’elle montre une famille : la mère, le père qui actionne la machine et deux enfants. Scène courante au XIXe siècle, le travail des enfants n’étant alors nullement interdit. Il commencera à l’être en 1919, avec une convention de l’Organisation internationale du travail, qui interdit le travail des enfants de moins de 14 ans dans l’industrie. D’autres conventions suivront, jusqu’en 1973, date à laquelle le travail continu des enfants de moins de 18 ans devient totalement interdit dans tous les secteurs d’activité. Autre élément, l’organisation du poste de travail : ces ouvriers sont dans une sorte de hangar avec une machine et un petit stock de carreaux produits. On est plus près de l’artisanat que de l’industrie ; peut-être même s’agit-il d’un travail à domicile, payé à la pièce, comme cela était fréquent à l’époque (on peut en voir des descriptions dans des œuvres comme Les Mystères de Paris d’Eugène Sue) ? Au total, cette image donne des indications précieuses sur la condition ouvrière et l’organisation du travail au XIXe siècle.

Travail proposé Comparez une photo d’usine actuelle avec l’illustration proposée ici. Quelles conclusions pouvez-vous en retirer sur l’évolution de l’organisation du travail ?

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◆ Claude Gueux par Louis Édouard Rioult (p. 120) L’auteur Louis Édouard Rioult (1790-1855) étudie sous la direction de David et de Regnault. Second Prix de Rome en 1814, il peint surtout des scènes mythologiques, des portraits et des scènes historiques. Il est plutôt un peintre d’Histoire, ayant laissé des peintures de scènes historiques pour le musée de Versailles.

L’œuvre Ce tableau saisit évidemment une scène de la vie de Claude Gueux antérieure au début du roman de Hugo, celle où Claude revient chez lui avec un pain volé. De cet acte, il va résulter « trois jours de pain et de feu pour la femme et pour l’enfant, et cinq ans de prison pour l’homme ». Le tableau emploie tous les procédés de la peinture officielle et du style pompier. L’expression des visages et des mouvements est transparente. Claude a le regard tourné vers la porte, il craint de voir surgir les policiers ; sa femme, assise, le regarde avec un mélange de soulagement et d’inquiétude. Les enfants tendent les bras vers leur mère et la nourriture (le peintre en rajoute : Claude n’a, chez Hugo, qu’un seul enfant). La composition pyramidale rappelle l’image classique de la Sainte Famille, d’autant que la frugalité du décor évoque la modestie de la crèche biblique. Au total, ce tableau sans grand intérêt pictural est cependant un document éclairant sur les mœurs et la pensée sociale à l’époque de la parution de Claude Gueux.

Relations avec le texte et les autres œuvres présentées On mettra ce tableau en relation avec le début du roman (cité plus haut) et l’épisode de l’étrange Cour de cassation : on voit bien ici que Claude se sacrifie, en bon père de famille, pour le bien de sa progéniture et de sa compagne. C’est ce que semble dire le tableau. On pourra rapprocher cette œuvre de La Mort de Socrate (vision magistrale de la notion de sacrifice) et du dessin de Steinlen (représentation moins bien-pensante et plus brutale du sacrifice).

Travail proposé Dans quelle mesure ce tableau pourrait-il se rapprocher de la représentation, par les peintres de la Renaissance, de la Sainte Famille ? En quoi ces explications permettent-elles d’éclairer les intentions du peintre et de Victor Hugo ?

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Bibliographie complémentaire – 30

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

◆ Œuvres de Hugo – Œuvres complètes de Victor Hugo, sous la direction de Jacques Seebacher, Robert Laffont, 2002.

◆ Sur Victor Hugo et son temps – Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo (2 tomes), Fayard, 2001 et 2002. – Jean-François Kahn, Victor Hugo : un révolutionnaire, suivi de L’Extraordinaire Métamorphose, Fayard, 2001. – Michel Winock, Les Voix de la liberté, Le Seuil, 2001.

◆ Sur Claude Gueux et la peine de mort – Paul Savey-Casard, Le Crime et la Peine dans l’œuvre de Victor Hugo, PUF, 1956. – Laurence Thibault, La Peine de mort en France et à l’étranger, Gallimard, 1977.

◆ Site Internet On consultera utilement la bibliographie informatisée du groupe Hugo : http://groupugo.div.jussieu.fr/biblihugo/default.htm