56
UKRAINE POUTINE JOUE AVEC LE FEU Les points de vue des journaux ukrainiens et russes Avortement Le retour des réacs NIGER — ILS DISENT NON À AREVA PORTFOLIO — FRAGMENTS DE FUKUSHIMA ÉCONOMIE — AU BOULOT, LES ROBOTS ! (!4BD64F-eabacj!:L;k N° 1218 du 6 au 12 mars 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE

Courrier 20140306 courrier full

  • Upload
    sa-ipm

  • View
    248

  • Download
    7

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Courrier International du 6 mars 2014

Citation preview

Page 1: Courrier 20140306 courrier full

UKRAINE POUTINE JOUE AVEC LE FEU

Les points de vue des journaux ukrainiens et russes

Avortement Le retour

des réacs

NIGER — ILS DISENT NON À AREVA PORTFOLIO — FRAGMENTS DE FUKUSHIMA ÉCONOMIE — AU BOULOT, LES ROBOTS !

��������������������

N° 1218 du 6 au 12 mars 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

EDITION BELGIQUE�

UKRAINEJOUE AVEC LE FEU

Les points de vue des journaux ukrainiens et russes

Page 2: Courrier 20140306 courrier full

Fleur de Lyst vous propose une liste de cadeaux sur-mesure,sans contrainte de temps ni de boutiques. Composez vous-même votre liste en ligne avec tous les objets, voyages, services que vous souhaitez, ajoutez-y les détails de votre événement, personnalisez votre espace mariés/naissance, et recevez l’intégralité de vos dons quand vous le souhaitez ! La liberté totale de profiter de votre liste quand vous voulez et où vous voulez, en toute simplicité.

Notre missioN : vous offrir le meilleur service, à chaque évènement important de votre vie et de celle de vos proches

www.fleurdelyst.comFleur de Lyst est une marquede la SA IPM GROUP NV,rue des Francs 79 à 1040 Bruxelles

Une liste de mariage – de naissance,sur mesure et sans contrainte, à lahauteur de votre événement.Vous vous mariez ? Vous attendez un heureux événement ? Félicitations !Vous et vos proches méritez le meilleur service de listes de cadeaux, en toute liberté !

Page 3: Courrier 20140306 courrier full

Fragments de Fukushima

Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 3

Que cherche le président russe en Crimée ? Les analyses de la presse ukrainienne et russe.

p.18

Turquie A la recherche d’un père infaillibleDe Mustapha Kemal à Recep Tayyip Erdogan, le culte de la personnalité a toujours empêché le fonctionnement de la démocratie, explique Al-Monitor, en plein scandale politique.

p.10

Ukraine Poutine joue avec le feu

Retrouvez Eric Chol chaque matin à 7 h 50,

dans la chronique “Où va le monde”

sur 101.1 FM

radio classique - edito_Radio classique 26/12/13 16:47 Page1

éditorialériC Chol

L’arrangement d’Angela Merkel

de Stettin dans la Baltique jusqu’à Trieste dans l’Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers

le continent.” C’est ainsi que Winston Churchill schématisait la carte de l’Europe le 5 mars 1946, dans un discours annonciateur de la guerre froide. Cette carte allait se figer pendant plus de quarante ans, jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique. Pendant toute cette période, le monde se divise entre l’Est et l’Ouest. Alors qu’importe si, en 1954, Nikita Khrouchtchev décide de céder la Crimée à l’Ukraine ? De toute façon, de l’autre côté du rideau de fer, le monde continue à tourner autour de l’étoile rouge de Moscou. Ukrainienne ou russe, la Crimée reste soviétique. Jusqu’en 1991, date de la réapparition d’une Ukraine indépendante. Et la Crimée, dans tout ça ? Oubliée ! Jusqu’à ce que, vingt-trois ans plus tard, un ancien espion du KGB, fâché de voir Kiev s’échapper du giron russe, décide de remettre la main sur le “paradis” de la mer Noire. Vladimir Poutine, qui prétend défendre les intérêts du peuple russe, nous refait le coup de la Géorgie. Panique chez les Occidentaux, désemparés par le sans-gêne du nouveau tsar de Russie. La réponse doit-elle passer par l’intimidation ? “Ce qu’il faut, c’est un arrangement. Plus nous tardons à le conclure, plus il sera difficile à trouver et plus les dangers qui nous menacent deviendront importants”, affirmait Churchill en 1946, à propos de la Russie soviétique. Un arrangement, c’est ce que propose aujourd’hui la chancelière Angela Merkel à Vladimir Poutine. Décidément, ceux qui considèrent encore l’Allemagne comme un nain politique se trompent.

En couverture : des manifestantes venues d’Arizona participent à la marche annuelle contre l’avortement à Washington en janvier 2013.Photo Jonathan Ernst/Reuters—Ukraine : dessin de Kap, Barcelone

p.28 à la une

sur notre site

WEBDOC My Beloved Enemy. Depuis 2003, date de la seconde guerre du Golfe, 100 000 Irakiens se sont installés aux Etats-Unis. Un webdocumentaire qui explore les blessures partagées des anciens ennemis et révèle leurs espoirs pour l’avenir.VIDÉO One Dollar, épisode 3. Lady Stone, réalisé dans le cadre du projet du cinéaste cambodgien Rithy Pahn sur l’extrême pauvreté.

Retrouvez-nous aussi sur Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest

sommaire

avortementle retour des réacsQuarante ans après sa reconnaissance dans les principaux pays occidentaux, le droit à l’avortement est attaqué de toutes parts. Aux Etats-Unis les lobbys réactionnaires mènent une guerre sournoise, comme le montre l’enquête du magazine américain Rolling Stone.

p.42 PortFolio 360°

FoCus

p.34

Emploi. Plus de robots, moins de boulotAprès l’industrie, les services : dans vingt ans, les machines pourront exercer la moitié des métiers de ce secteur, estiment certains économistes cités par le quotidien suisse Le Temps.

www.courrierinternational.comko

suk

e o

ka

ha

ra

/ p

ro

spek

t

saad hajo

Page 4: Courrier 20140306 courrier full

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Marie-France Ravet [email protected] + 32 497 31 39 78Services abonnements [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression IPM PrintingDirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

4. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Sommaire

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici la rubrique “Nos sources”).

Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Février 2014. Commission paritaire n° 0712c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27), Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard, Isabelle Lauze (hors-séries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Directeur de la communication et du développement Alexandre Scher (16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34)Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie cen-trale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 1687), Patricia Fernández Perez (marketing) Agence Cour rier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97) Traduction Raymond Clarinard (rédac-teur en chef adjoint), Hélène Rousselot (russe), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie Talaga (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Alice Andersen, Aurélie Boissière, Jean-Baptiste Bor, Isabelle Bryskier, Nicolas Burtin, Roxanne D’Arco, Nicolas Gallet, Marion Gronier, Alexandros Kottis, Carole Lembezat, François Mazet, Valentine Morizot, Corentin Pennarguear, Polina Petrouchina, Pierangélique Schouler, Judith Sinnige, Viktor Smeyukha, Isabelle Taudière, Sébastien Walkowiak

Secrétaire général Paul Chaine (17 46) Assistantes Claude Tamma (16 52), Diana Prak (partenariats, 16 99), Sophie Jan Gestion Bénédicte�Menault-Lenne�(res-ponsable,�16�13) Comptabilité 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numéro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Ger-baud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Lucie Torres (17 39), Romaïssa Cherbal (16 89)

7 jours dans le monde5. Hong Kong. Un avertissement pour la presse libre

D’un continent à l’autre— EUROPE10. Ukraine-Crimée. Poutine joue avec le feu14. Union européenne. Le populisme se nourrit du chômage

— FRANCE16. Société. Les Chinois dégrisés dans le Bordelais

— MOYEN-ORIENT18. Turquie. A la recherche d’un père infaillible

19. Egypte. Les combats des grévistes de Mahalla

19. Jordanie. Israël, ce mot tabou

Transversales34. Economie. Plus de robots, moins de boulot

38. Sciences. Ravageurs, gare à vos gènes !

40. Médias. Le blogueur iconoclaste

41. Signaux. Les voyages dans la Lune

360° 42. Portfolio. Fragments de Fukushima

46. Plein écran. Un joli conte kirchnériste

48. Tendances. Les corbeaux numériques

50. Histoire. Le prix de l’indépendance

— AFRIQUE 20. Niger. Uranium : le bras de fer avec Areva21. Maroc. Brouille inévitable avec Paris

— ASIE 22. Chine. Xinjiang : Pékin doit se remettre en question24. Philippines. Après le cyclone, une reconstruction précaire

— AMÉRIQUES 25. Mexique. El Chapo, narco et... trafi quant de migrants26. Etats-Unis. Erik Prince, mercenaire tout-terrain

— BELGIQUE I. Partis. La guéguerre des services d’études

A la une28. Avortement, le retour des réacs

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrierinternational.com. Les titres et les sous-titres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine : African Arguments (africanarguments.org) Londres, en ligne. Boston Globe Boston, quotidien. The Daily Telegraph Londres, quotidien. Den Kiev, quotidien. El Faro (elfaro.net) San Salvador, en ligne. Feng Chuanmei (stormmediagroup.com), Taipei, en ligne. Gazeta.ru (gazeta.ru) Moscou, en ligne. The Guardian Londres, quotidien. Al-Monitor (al-monitor.com) Washington, en ligne. La Nación Buenos Aires, quotidien. Nanfang Renwu Zhoukan Canton, hebdomadaire. New Scientist Londres, hebdomadaire. The New York Times New York, quotidien. La Nouvelle Tribune Casablanca, hebdomadaire.

Oukraïnska Pravda (pravda.com.ua) Kiev, en ligne. Oukraïnsky Tyjden Kiev, hebdomadaire. El País Madrid, quotidien. Philippine Daily Inquirer Manille, quotidien. Raseef22 (raseef22.com) Beyrouth, en ligne. Rolling Stone New York, bimensuel. Rzeczpospolita Varsovie, quotidien. Al-Shourouk Le Caire, quotidien. Die Tageszeitung Berlin, quotidien. Le Temps Genève, quotidien. Vzgliad (vzglyad.ru) Moscou, en ligne. The Wall Street Journal New York, quotidien. The Washington Post Washington, quotidien.

Abonnez-vous Le meilleur de la presse mondiale chaque jeudi chez vous !

TARIF ABONNEMENT + l’accès au site et à ses archives depuis 1997

Option 16 mois € au lieu de 101,40 €

Option 312 mois + 4 hors-série

€ au lieu de 223,10 €*Option 2

12 mois € au lieu de 191,10 €

Je désire m’abonner : adresse mail: [email protected] ou par courrier à Courrier Internationnal - Service Abonnements - Rue des Francs 79 -1040 Bruxelles ou par fax au 02/744.45.55. Je ne paie rien maintenant et j’attends votre bulletin de virement.Nom .................................................................................................... Prénom ........................................................................................................Adresse........................................................................................................................................... N° ........................ Bte .......................................CP ................................ Localité ........................................................ Tél .................................................................................................................Gsm ..................................................................................................... E-mail ..........................................................................................................*prix de vente au numéro. Offre valable en Belgique jusqu’au 3 Les données fournies sont reprises dans la base de données du Courrier International dans le but de vous informer sur les produits et services. Elles peuvent être transmises à nos partenaires à des fins de prospection.

85 145 165

1 décembre 2013.

Page 5: Courrier 20140306 courrier full

5

7 jours dansle monde.HONG KONG

Un avertissement pour la presse libreAprès la violente agression de l’ancien rédacteur en chef du quotidien Ming Pao, un universitaire de Hong Kong appelle à la mobilisation pour que les journalistes d’investigation puissent continuer à travailler.

SOURCE

SOUTH CHINA MORNING POSTHong Kong, ChineQuotidien (anglais), 110 000 ex.www.scmp.comLe plus grand quotidien en anglais de l’ancienne colonie britannique, aujourd’hui plus que centenaire. Il a considérablement atténué ses critiques vis-à-vis de la Chine depuis la rétrocession, en 1997.

—South China Morning Post Hong Kong

On fait plus de mal à son ennemi en blessant un de ses soldats qu’en le tuant, dit-on dans les

cercles militaires. Parce qu’un soldat blessé appelle ses camarades à la res-cousse, lesquels veulent instinctivement lui porter secours, souvent au péril de leur propre vie.

Tel est le contexte au lendemain de l’agression [à l’arme blanche] aussi lâche que sauvage dont a été victime [le 26 février] l’ancien rédacteur en chef du quotidien hongkongais Ming Pao, Kevin Lau Chun-to. Plusieurs éléments se dégagent de cette aff aire. L’objectif des

agresseurs était clairement de blesser et non de tuer, ce qu’ils auraient facilement pu faire. Ils ont été recrutés dans le but d’attaquer une personne spécifi que. Ce n’était pas un exercice au hasard, mais une attaque minutieusement préparée visant à faire passer un message.

Il n’est pas diffi cile, sur la base d’un tel scé-nario, de reconstituer les pièces du puzzle. Quelqu’un de très riche et de très puissant – et particulièrement malfaisant – n’était pas content de Lau.

Lau est journaliste et son activité récente la plus notable a été de rallier son journal aux eff orts menés au plan international pour lever le voile sur les richesses qu’ont acca-parées de hauts responsables de la Chine continentale et leurs proches [et qui ont

été placées aux îles Vierges britanniques, selon l’enquête du Consortium internatio-nal des journalistes d’investigation (ICIJ) rendue publique en janvier].

Il y a évidemment d’autres explications possibles, mais la plus probable reste que des personnes concernées ont voulu faire cesser la parution de ces articles gênants.

Le message est clair : si vous continuez à écrire sur notre richesse et notre cor-ruption, il pourrait vous arriver la même chose. Nous ne voulons pas tuer Lau et faire de lui un héros bientôt oublié. Nous le voulons vivant et mutilé pour qu’il vous rappelle à tous que nous sommes puis-sants et que vous ne devriez pas essayer de lutter.

Dans le même temps, il revient à la police de tout faire pour identifi er et traquer les coupables. Le plus dur sera encore de trou-ver des preuves tangibles contre les com-manditaires de cette agression.

Hong Kong aura peut-être besoin de l’aide de services extérieurs [qui pourraient venir de Chine]. Il sera alors intéressant de voir à quel point ceux-ci se montreront coopératifs.

La direction du journal Ming Pao pour-rait également apporter son aide. Après seulement deux ans au poste de rédacteur en chef, Lau venait en eff et d’être remplacé par un journaliste malaisien réputé proche de Pékin et devait changer de place dans l’organigramme. Cette mutation aurait-elle été suggérée par quelqu’un ?

A terme, ce sont tous les médias de Hong Kong – propriétaires, rédacteurs en chef, journalistes – qui doivent clairement dire qu’ils ne se laisseront pas intimider et qu’ils continueront à faire leur travail. Leur devoir est de continuer à révéler au grand jour

tous les errements des méchants, quels que soient leur rang ou leur infl uence. Il faudra du courage pour cela.

L’opinion publique a également un rôle à jouer. Nous sommes les clients des médias. Par nos choix, nous pouvons faire com-prendre que nous voulons un journalisme d’investigation et la possibilité d’un débat rationnel sur les sujets importants, et pas seulement des journaux à sensation et les derniers ragots sur une quelconque vedette du show-business.

Nous devons toutefois être prudents. Tous les mouvements de personnel au sein d’un média ne sont pas de mauvais augure. Tous les animateurs radio, tous les chro-niqueurs, tous les journalistes ne sont pas parfaits et une direction a le droit de pro-céder à des changements sans être systé-matiquement accusée de vouloir entraver la liberté de la presse.

Ceux qui porteront ces accusations devront pouvoir les étayer avec des preuves, et non de simples allégations.

Dans le cas de Kevin Lau, il n’y a toute-fois pas d’ambiguïté. Il s’agit d’une attaque contre la liberté de la presse et toute la com-munauté doit réagir.

—Mike Rowse*Publié le 4 mars

* Enseignant à l’Université chinoise de Hong Kong.

1 000milliards de dollars : c’est le montant que doivent rembourser les jeunes Américains pour payer leurs études, selon des données publiées fi n février par la Federal Reserve Bank de New York. En dix ans, les dettes des étudiants et des diplômés ont augmenté de 300 % (de 253 milliards fi n 2003 à 1 000 milliards fi n 2013), s’étonne Time Magazine. Une hausse colossale qui s’explique par plusieurs facteurs : l’augmentation des coûts de la scolarité, celle du nombre d’étudiants et les intérêts de la dette. “Ces emprunts qui ruinent la vie de nos étudiants sont en passe de ruiner notre économie”, s’inquiète le journal, qui cite l’économiste de la banque fédérale : “Les étudiants fortement endettés dépenseront moins pour d’autres biens et services. Or la consommation est le moteur de l’économie américaine.”

↙ Manifestation le 2 mars en soutien au journaliste agressé. Photo Philippe Lopez/AFP

Elections, violence et corruptionCOLOMBIE — Les Colombiens élisent dimanche 9 mars leurs représentants au Parlement andin. “L’exacerbation de la violence en période électorale semble être une tradition colombienne”, regrette le site Razón Pública, qui rappelle les menaces de mort dont Aída Abella, candidate de gauche à l’élection présidentielle du 25 mai, a été récem-ment la cible. Pour la

Mission d’observation électorale (MOE), qui dénombre 260  municipalités “en situation de risque électoral”, le principal danger “n’est pas lié seulement aux groupes armés illégaux, mais surtout aux pratiques de corruption des politiciens”, rapporte

de son côté Semana.com. Le nou-veau Congrès aura pour tâche

la gestion “postconflit”, soulignent de multiples observateurs. Le gou-vernement et la gué-rilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) sont en pourparlers de paix depuis novembre 2010.D

ESSI

N D

E FA

BER

, LU

XEM

BOU

RG

Page 6: Courrier 20140306 courrier full

7 JOURS6. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

ILS PARLENTDE NOUS

MICHAELA WIEGEL, correspondante du quotidien allemand conservateur et libéral Frankfurter Allgemeine Zeitung

Le nombrilisme français

Que pensez-vous des bruits qui courent sur l’imminence d’un remaniement

du gouvernement français ?

Il est surprenant de voir se multiplier les rumeurs sur un tel remaniement alors que l’Europe fait face à l’une des plus graves crises politiques mondiales depuis des décennies. On serait tenté de parler de nombrilisme français. Il me semble que les spéculations quant à un futur gouvernement sont très en deçà des véritables enjeux auxquels la France fait face.

On parle d’un gouvernement resserré, l’exemple du gouvernement allemand qui compte seulement 17 membres (contre 38 en France) est notamment cité. Ce projet vous semble-t-il pertinent ?ll m’a toujours semblé curieux que le gouvernement français compte beaucoup plus de ministres que le gouvernement allemand. Cela crée d’ailleurs des situations cocasses lors des conseils de ministres franco-allemands car il arrive qu’un ministre allemand doive s’entretenir trois ou quatre fois avec ses homologues français. Cela dit, je pense qu’au fond l’effi cacité d’un gouvernement ne dépend pas du nombre de ses ministres mais de sa volonté politique.

Un remaniement suffi ra-t-il au gouvernement Hollande pour concrétiser son “virage libéral” ?Le défi de la France ne se limite pas à ceux et celles qui la gouvernent. Même avec le gouvernement actuel, le président peut mener une politique de réforme telle qu’il l’a annoncée le 14 janvier. Sauf qu’il donne aujourd’hui l’impression d’un enlisement… les actes se font attendre. Schröder à l’époque était allé très vite et avait présenté le projet de loi sur les réformes de l’agenda 2010 dès le printemps au Bundestag.

S. R

EIN

HEI

M/D

R

ESPAGNE

Les heureux élus de la grotte d’AltamiraCet été, un petit nombre de personnes pourra accéder à ce site paléolithique de Cantabrie. L’expérience permettra de mesurer l’impact des visiteurs sur la conservation du lieu.

—El País Madrid

Le premier tirage au sort pour accé-der à la grotte d’Altamira [située en Cantabrie, dans le nord de l’Espagne],

fermée aux visiteurs depuis douze ans, a eu lieu fi n février. Cinq personnes ont été sélec-tionnées parmi celles qui avaient un billet pour voir la réplique au musée. Accompagnés d’un guide, les heureux élus ont pu admirer les peintures rupestres, sommet du patri-moine archéologique mondial. Ils n’ont pu le faire que pendant huit petites minutes. Le temps d’accéder à la grotte [longue de 270 mètres, découverte en 1868 et habitée il y a environ dix-huit mille ans], la visite dure au total une demi-heure.

Cette simulation de réouverture, approu-vée en janvier par la direction du musée d’Altamira [créé en 1979, lors de la pre-mière fermeture de la grotte], est une “expérience” qui sera prolongée chaque semaine jusqu’au mois d’août. Elle a pour but de mesurer l’impact des visiteurs sur le site. Le résultat permettra de décider ou non de l’ouverture défi nitive au public de la grotte originale, qui fait actuelle-ment l’objet d’un vif débat [d’après les scientifi ques, la respiration et la suda-tion humaines, ainsi que la lumière, sont les pires ennemis de ce site dénommé la “chapelle Sixtine de l’art paléolithique” par les médias espagnols].

Durant cette période, 192 personnes pourront accéder au site, vêtues comme

du personnel de recherche. Elles por-teront des combinaisons jetables, un bonnet, des masques et des chaussures spéciales, le tout fourni par le musée. Il est interdit de toucher la roche et de prendre des photos.

Cette initiative fait partie du Programme de recherche pour la conservation préven-tive et le régime d’accès à la grotte d’Al-tamira, lancé en 2012 sous la direction scientifi que du spécialiste Gaël de Guichen.

Diff érentes variables seront mesurées avec les visiteurs à l’intérieur : la tempé-rature de l’air et de la roche, l’humidité

relative de l’air, la contamination micro-bienne, les infi ltrations d’eau, la présence de radon et de CO2, notamment. A l’ex-térieur, on contrôlera également la tem-pérature de l’air, celle du sol, l’humidité relative, la microbiologie, l’humidité spéci-fi que, la pression atmosphérique et le CO2.

Depuis 2002, l’accès au site était stric-tement réservé au personnel du musée. La fermeture avait depuis donné lieu à un débat très vif entre scientifi ques et poli-tiques quant à l’avenir d’Altamira.

—Elsa Fernández-SantosPublié le 24 février

Maduro “victime des fachos”VENEZUELA — Delcy Rodríguez, ministre vénézuélienne de la Communication et de l’Information, a dénoncé le lobbying effectué à Hollywood par les “extré-mistes de droite” qui ont poussé plusieurs célébrités récompensées aux Oscars, comme l’acteur Jared Leto, à saluer le courage des manifestants vénézuéliens. Sur son compte Twitter, la ministre a dénoncé une “opération” menée contre le

Venezuela et orchestrée par les médias internationaux, qui,

dénonce-t-elle, “publient de s photomontages de s

manifestations”, rapporte El Universal. Selon les autorités, 18 per-sonnes sont mortes et 250 ont été bles-sées au cours de rassemblements a n t i - M a d u r o depuis le début de février.

“The Guardian” dénonce l’esclavageINDE — Tata Global Beverages, qui possède Tetley, la marque de thé bon marché très populaire au Royaume-Uni, a porté plainte pour diff amation contre The Guardian. Le quotidien britannique a publié début mars une enquête qui explique que les personnes qui travaillent dans les planta-tions du géant indien, dans l’Assam, dans le nord-est de l’Inde, sont si mal payées (pas même le salaire minimum local, envi-ron 2 euros par jour), qu’elles confi ent, en échange d’argent, leurs enfants (des jeunes fi lles) à des personnes qui prétendent leur assurer un avenir meilleur à Delhi. Selon The Guardian, ces enfants deviennent en réalité des esclaves domestiques.

Venezuela et orchestrée par les

Bouteflika, la preuve de vie

ALGÉRIE — Quasi invi-sible depuis son acci-dent vasculaire cérébral du 27 avril 2013, suivi de quatre-vingts  jours d’hospitalisation à Paris, le président de l’Algérie, Abdelaziz  Bouteflika, 77  ans, est apparu en

public le 3 mars. Le lendemain, ce titre bar-rait la une du quotidien Liberté : “Boutefl ika dépose son dossier de candidature”. Le reporter raconte l’attente et le coup médiatique. Dès la fi n de matinée, “une dizaine de journalistes, photographes et caméramans prennent place devant le siège du Conseil constitutionnel”. Un opposant perturbateur est aussitôt embar-qué par la police. Des pancartes de soutien sont brandies : “Le président Boutefl ika va bien, l’Algérie va mille fois mieux !” Puis, à 17 heures, le président arrive et se déclare candidat à un quatrième mandat. Le scrutin, que le chef du FLN est sûr de remporter, aura lieu le 17 avril.

DR

DR

DES

SIN

DE

MAY

K, S

UÈD

E

Page 7: Courrier 20140306 courrier full

LE DESSIN DE LA SEMAINE

7 JOURS.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 7

1 an1 an1 an (52 numéros) pour 99 €

au lieu de 185 € (prix de vente au numéro)

Je choisis de régler par : chèque bancaire à l’ordre de Courrier international

carte bancaire n° :

Expire fin : Cryptogramme :

* Prix de vente au numéro. Offre valable pour un premier abonnement, en Francemétropolitaine jusqu’au 31/12/2014. En application de la loi Informatique etlibertés, vous disposez d’un droit d’accès et de modification des informationsvous concernant. Celles-ci sont indispensables à l’enregistrement de votrecommande et peuvent être cédées aux partenaires de Courrier international. Sivous ne le souhaitez pas, merci de contacter notre service abonnement.

Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme :Expire fin : Cryptogramme : Date et signature obligatoires :

Mes coordonnées RCO1400PBA218

Monsieur Madame

NOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

PRÉNOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

ADRESSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

TÉL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

E-MAIL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je m’abonne à Courrier internationalpendant 1 an pour 99 € au lieu de 185 €*.au lieu de 185 €*.

Bulletin d’abonnementA retourner à : Courrier international - Service abonnements - A2100 - 62066 Arras Cedex 9Abonnez-vous

+++

L’Afrique pas gay !

KENYA, NIGERIA, OUGANDA. Les pays africains durcissent l’arsenal répressif contre les homosexuels. Dernier exemple : la loi ougandaise promulguée le 24 février. Le lendemain, le tabloïd Red Pepper balance à sa une, en guise d’appel au meurtre : “Les 200 principaux homos d’Ouganda identifi és”. La Banque mondiale suspend le jeudi 27 février le versement d’un prêt de 66 millions d’euros à l’Ouganda. Les Pays-Bas, premier pays au monde à avoir légalisé le mariage homosexuel, gèlent le versement d’une aide annuelle de 7 millions d’euros. Mais le président Yoweri Museveni reste impassible. “Ce n’est pas aux étrangers de nous dicter nos lois”, déclare-t-il au Daily Monitor, quotidien de Kampala.

DES

SIN

DE

DA

MIE

N G

LEZ,

BU

RKIN

A-FA

SO

Obama entre dans le jeu ISR AËL-PALESTINE — Après avoir reçu lundi 3 mars le Premier ministre israélien Benyamin  Nétanyahou à la Maison-Blanche, Barack Obama rencon-trera le 17 mars le président palestinien Mahmoud Abbas. Le président américain espère convaincre les deux parties d’accep-ter d’ici à la fi n avril un accord-cadre pour une série décisive de négociations. Pour le New York Times, le choix de s’engager à nouveau dans les tractations après l’échec auquel ont abouti les pourparlers organisés à la Maison-Blanche en septembre 2010 est “très périlleux” pour Obama.

DES

SIN

DE

AGU

ILAT

, ESP

AGN

E

SEULEMENT !

COLLECTIONNEZ LES 2 SÉRIES MYTHIQUES !

La collection pour apprendre en s’amusant !

Un nouveau numéro en ventechaque MERCREDI en librairie !

• N° 1 à 26 • • N° 27 à 52 •

· La collection complèteau prix de 315�€. J’économise 30%

· Par lot de 26 numérosau prix de 179�€ chacun. J’économise 20%

· Versez le montant correspondant à votre achat sur le compteBE 95 310-1802523-58avec la communication«�il était une fois�»*.

· Faites un virement sécurisé en ligne via :

COMMANDEZ DÈS À PRÉSENT !

* Si vous avez optépour une commandede 26 numéros,merci de préciser, dans la communication, «�Homme�» ou «�Vie�».

TM

&�©

�Pro

cid

is, 2

013

www.hellomaestro.com

Je recevrai le

lot commandé parcolis de 5 numéros

au rythme de sortie des DVD et livres

en librairie.

www.lalibre.be/page/iletaitunefois

Chaque numérocontient

1 LIVRE+ 1 DVD GRATUIT

La collection pour apprendre en s’

Chaque numérocontient

Chaque numérocontient

Chaque numéro

1 LIVRE+ 1 DVD GRATUIT

La collection pour apprendre en s’

Chaque numérocontient

Chaque numérocontient

Chaque numéro

1 LIVRE+ 1 DVD GRATUIT

8 .99 €N°25

LIVRE + DVD GRATUIT

N° 1 à 26

Chaque numéro

Page 8: Courrier 20140306 courrier full
Page 9: Courrier 20140306 courrier full

CITROËN DS5À partir de

399€/MOIS*SANS APPORTEN LOCATION LONGUE DURÉESUR 48 MOIS / 40000 KMSOUS CONDITION DE REPRISE

d’acceptation du dossier par CREDIPAR/Citroën Financement, locataire-gérant de CLV, SA au capital de 107 300 016 €, RCS Nanterre no 317 425 981, 12 avenue André-Malraux, 92300 Levallois-Perret.

CONSOMMATIONS MIXTES ET ÉMISSIONS DE CO2 DE CITROËN DS5 : DE 3,3 À 7,3 L/100 KM ET DE 85 À 169 G/KM.

Page 10: Courrier 20140306 courrier full

Je pense que les auteurs de ce scénario sont prêts à tout. Ils n’ont ni conscience, ni noblesse, ni respect pour les accords inter-nationaux, pour le mémoran-dum de Budapest [traité signé le 5 décembre 1994 par la Fédération de Russie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et confi rmé ensuite par la Chine et la France, par lequel les signataires s’engageaient à garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine, de la Biélorussie et du Kazakhstan. En conséquence, l’Ukraine a renoncé à son arse-nal nucléaire hérité de l’URSS.] Ils iront jusqu’au bout. Il faudrait donc pouvoir infl uencer ceux qui sont derrière ces agissements. Une seule personne en est capable : Vladimir Poutine.

AÏDER KHALILOV, POLITOLOGUE ET SOCIOLOGUENous sommes témoins d’une occupation du territoire sou-verain de l’Ukraine par l’armée russe. Dans la population russo-phone, les esprits sont échauf-fés : enfi n, se disent les gens, la Russie est là pour nous sauver des “bandéristes” [référence aux partisans nationalistes ukrai-niens de Stepan Bandera, qui se sont battus contre les nazis puis contre l’Armée rouge de 1942 à 1950, présentés par l’historio-graphie soviétique, puis russe, comme des collaborateurs et des fascistes]. Les chaînes de télévi-sion locales ne cessent de mon-trer comment “les bandéristes nous menacent” et comment “la Russie va nous sauver”.

Les Tatars de Crimée sont contre cette intervention. Les russophones ont créé des unités d’autodéfense, ils sont bien armés, ce qui n’est pas le cas des Tatars.

Pour l’heure, cette hystérie se répercute surtout dans les médias et sur Internet. La rue reste calme. Mais on court le risque que cela se transforme en pogroms interethniques. Depuis des années, les Tatars de Crimée ont tout fait pour garan-tir la paix sociale. Et tout cela

— Oukraïnska Pravda Kiev

La Crimée se trouve dans une situation extrême-ment complexe. Après

l’occupation du bâtiment du Parlement et du cabinet des ministres, le gouvernement de la République autonome a démissionné et le poste de Premier ministre a été occupé par le leader du parti Unité russe, Sergueï Axionov. Des hommes en armes occupent les aéroports de Simferopol et de Sébastopol. Face à ces événements, nous avons demandé à des spécialistes ukrai-niens de nous confi er leur analyse et de se livrer à une réfl exion sur l’évolution future de la situation.

ANDREÏ KLIMENKO, JOURNALISTEET ANALYSTE POLITIQUELa Crimée est aujourd’hui le théâtre d’un scénario d’annexion. Personne ne peut dire exacte-ment ce qui va advenir. Tout dépend de la réaction du nou-veau pouvoir à Kiev, des Etats-Unis, de l’Union européenne, de l’Otan, etc. La Rada [le Parlement ukrainien], à l’annonce des événe-ments en Crimée, s’est contentée d’un exercice de rhétorique. Or chaque heure, chaque minute de retard risque plus tard de coûter très cher, car les événements sur place se déroulent très rapide-ment et appellent une réaction immédiate. Des offi ciers ukrai-niens bloqués dans l’enceinte d’une base militaire russe m’ont appelé et m’ont dit : “Nous n’avons que dix pistolets pour toute l’unité. On tire ou non ? Nous n’avons pas d’ordre du haut commande-ment.” Toutes les quinze minutes, des amis de Sébastopol me font part de l’arrivée de nouveaux avions tandis que des colonnes de camions immatriculés en Russie partent pour Simferopol. J’espère qu’à Kiev ils comprendront que ce n’est plus une question de coali-tion, de constitution du gouver-nement, mais qu’il faut mettre un frein à ce qui est en train de se passer.

↙ Vladimir Poutine.Dessin de Joep Bertrams, Pays-Bas.

10. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Ukraine-Crimée.Poutine joue avec le feu

France ........... 16Moyen-Orient ..... 18Afrique .......... 20Asie ............. 22Amériques ........ 25

d’uncontinentà l’autre.europe

00

1 C

RÉD

IT

A peine les JO de Sotchi terminés, le président russe tente un coup de poker en choisissant la solution militaire pour imposer sa volonté au nouveau gouvernement ukrainien.FOCUS

La Crimée occupéeA l’issue d’un déploiement éclair des forces russes, la presqu’île semble sur le point d’être annexée par Moscou. Première étape vers le dépeçage d’une Ukraine menacée par la guerre civile ? Réponses de trois analystes.

Page 11: Courrier 20140306 courrier full

INTERVIEW

EUROPE.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 11

Vu d’ailleursVendredi à 23 h 10, samedi à 11 h 10 et dimanche à 14 h 10, 17 h 10 et 21 h 10.

L’actualité française vue de l’étranger chaque semaine avec

présenté par Christophe Moulin avec Eric Chol

Ibo

Ogr

etm

en /

LCI

U K R A I N E

RÉPUBLIQUEAUTONOMEDE CRIMÉE

RUSSIE

MERD’AZOV

MERNOIRE Simferopol

100 kmYalta

Kerch

SébastopolBase navale russe

Voiesferrées

SOU

RCES

: TS

N, U

NIA

N

Les deux seuls accès terrestres entre la Crimée et le reste du pays

Déploiement des troupes russesSoldats ukrainiens encerclés

Situation au 4 mars 2014

Une presqu’île stratégique

en vigueur en Ukraine. Mais, si sa mise en œuvre est inévitable, pour pouvoir être représentatif il doit se dérouler en trois étapes. Un référendum pour les Russes, un autre pour les Ukrainiens et un troisième pour les Tatars. Si la réponse est la même à chaque fois, alors cela abou-tira à une décision. Sinon, le résultat de ce référendum ne pourra être pris en compte pour des développe-ments politiques ultérieurs. Cela ne saurait se décider à une simple majorité des voix, comme le pré-tend le pouvoir actuel en Crimée.Les Tatars de Crimée se trou-vent aujourd’hui pris entre deux feux. Etes-vous sûrs qu’ils soient suffi samment protégés ?Aujourd’hui, la situation en

Crimée a atteint un tel stade que les organes d’Etat devraient garantir la sécurité non d’un seul groupe national, qu’il s’agisse des Russes ou des Tatars, mais

de toute la popu-lation de Crimée. Or, le drame, c’est que les gens qui ont proclamé haut et fort qu’ils prenaient en charge la sécurité en Crimée ne sont pas

en mesure de le faire, ce qui a été exploité de façon cynique par des forces qui au début se sont déployées sans marques d’appar-tenance distinctive, mais dont il est désormais évident qu’il s’agit de militaires professionnels de la Fédération de Russie.

—Propos recueillis par Mykola SemenaPublié le 1er mars

↓ La chèvre russe broute le trident ukrainien. Allusion au mot katsap, qui vient de tsap (chèvre), terme péjoratif utilisé en Ukraine pour désigner les Russes. Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

a été bouleversé en une nuit. Toutefois, il ne faut pas négliger la partie de la population russo-phone qui est contre la guerre et contre la Russie, qui tend la main aux Tatars, même si c’est une minorité.

Il est essentiel pour le moment de partager les informations, de les faire circuler dans toutes les langues, de les transmettre à nos amis de l’Ouest. Demander à la Rada de Kiev de prendre une décision pour stabiliser la situa-tion en Crimée et ne pas céder aux provocations, ne pas venir ici avec des armes. Car le confl it de Crimée peut hélas se transformer en une guerre civile dans toute l’Ukraine, ce que nous voulons éviter à tout prix.

SERHIY KOSTYNSKIY, POLITOLOGUELa Crimée a toujours été une région où la majorité de la popu-lation était nostalgique de l’Union soviétique et favorable à une entrée dans la Fédération de Russie. Durant toutes ces années d’indépendance, les Criméens russophones, même avec une Ukraine stable, ont réclamé un élargissement de leur autono-mie. Ils sont présents à tous les niveaux du pouvoir local. La Russie peut donc compter sur plusieurs piliers : sa fl otte de la mer Noire, le Parlement régional et la classe politique. Pourquoi la Russie souhaiterait-elle

déstabiliser l’Ukraine ? Tout d’abord, pour que le pays revienne dans sa sphère d’infl uence. Le Kremlin a d’autres objectifs, dont la réalisation dépendra de la conjoncture internationale, et que l’on peut classer comme suit par ordre d’importance aux yeux de Moscou : premièrement, récu-pérer défi nitivement Sébastopol ; deuxièmement, obtenir une auto-nomie plus large pour la Crimée, au sein d’une Ukraine qui serait alors fédéralisée.

En revanche, si Moscou compte annexer défi nitivement la Crimée ou d’autres régions, cela risque de provoquer un confl it interna-tional. La stratégie russe à long terme va consister à renforcer son infl uence sur les régions pro-russes, ce qui lui permettra d’exer-cer plus facilement des pressions sur le pouvoir central ukrainien. La Russie profi te d’ailleurs en ce moment du fait que Maïdan a brisé la verticale du pouvoir éla-borée sous l’ex-président.

Le plus gros problème, pour les Criméens, est de garantir la sécurité de leurs familles face à la menace du recours à la force. Si Kiev n’intervient pas, les Tatars choisiront de se défendre par eux-mêmes. Et la République pour-rait alors devenir le théâtre d’un confl it ethnique.

—Propos recueillis parEkaterina Serhatskova

Publié le 1er mars

—Den Kiev

REFAT TCHOUBAROV, président de l’Assemblée des Tatars de Crimée et député au Parlement de Crimée, répond à nos questions.DEN Le Parlement russe a auto-risé Vladimir Poutine à avoir recours aux forces armées en Ukraine, ce qui revient à une déclaration de guerre. Comment sortir de cette situation ?REFAT TCHOUBAROV Aujourd’hui, seules deux forces peuvent freiner l’agression de Poutine en Ukraine. Tout d’abord les Russes eux-mêmes, qui peuvent manifester contre la décision de leur gouvernement, ce qui est peu probable. Et la communauté inter-nationale. Si l’ONU est capable de prendre une décision effi cace, cette guerre pourra encore être évitée. De l’avis général, la situa-tion a atteint un tel stade que les moyens à mettre en œuvre pour sortir de cette crise dépassent les compétences du gouverne-ment de Crimée. C’est pour cela que nos concitoyens devraient garder leur calme afi n de ne pas encore compliquer les choses. Ils devraient être conscients du fait qu’en Crimée nous vivons au sein de l’Etat ukrainien indépendant et que nous devons agir confor-mément à la Constitution et aux lois du pays.Quelles sont les perspectives du référendum prévu en Crimée [pour le 30 mars prochain] ?Pour commencer, il faut souligner que l’organisation de ce référen-dum ne respecte pas la législation

“Qui garantit notre sécurité ?” Le représentant de la minorité tatare de Crimée lance un appel au calme à tous les groupes nationaux de la région.

Les forces en présence●●● Dans le face-à-face qui oppose Kiev à Moscou, l’armée russe dispose d’un avantage écrasant, avec plus de 760 000 hommes sous les drapeaux, 2 500 chars, 7 000 pièces d’artillerie et 1 500 avions. A elle seule, la fl otte russe de la mer Noire aligne 11 000 hommes, 40 bâtiments de combat, une trentaine d’avions et autant d’hélicoptères. De quoi tenir la dragée haute à des forces armées ukrainiennes qui comptent aujourd’hui 150 000 hommes et 40 000 gardes-frontières et gardes-côtes, 700 chars, 716 pièces d’artillerie et 170 avions de combat, ainsi qu’une quinzaine de navires. Mais la plus grande faiblesse de l’armée ukrainienne tient à ses divisions internes. Le 2 mars, l’amiral Denis Berezovsky, à peine nommé à la tête de la marine par le nouveau pouvoir, a aussitôt fait défection et rallié le “peuple de Crimée”.

Page 12: Courrier 20140306 courrier full

EUROPE12. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014FOCUS POUTINE JOUE AVEC LE FEU.

—Vzgliad (extraits) Moscou

Le 1er mars est désormais une date historique. Le pro-cessus qui était en marche

depuis déjà quelques années a offi-ciellement pris fin : l’ère postsovié-tique est terminée, l’organisation unipolaire du monde n’est plus, la Russie a retrouvé son statut de pôle global de la force, en fai-sant preuve d’une souveraineté absolue pour prendre les déci-sions nécessaires à la défense de ses intérêts. Pour la première fois depuis la chute de l’Union sovié-tique, elle a décidé de recourir à l’armée pour rétablir l’ordre chez un de ses voisins. En août 2008, elle avait apporté son soutien militaire à une nation alliée (quoique non reconnue officiellement) [l’Ossétie du Sud, région sécessionniste de Géorgie], tandis qu’aujourd’hui elle est contrainte d’intervenir direc-tement en Ukraine, parce que la situation présente une menace réelle pour ses intérêts et pour la vie des ressortissants russes.

Le 1er mars, Vladimir Poutine a qualifié la situation ukrainienne d’extraordinaire et demandé au Conseil de la Fédération d’approuver le recours aux forces armées sur le territoire de l’Ukraine “jusqu’à ce que la situation politique et sociale soit normalisée”. Pour l’instant, ces forces sont déployées en Crimée, base de la flotte russe de la mer Noire, et assurent la sécurité de la péninsule. Il est clair cependant que l’armée russe peut à tout moment entrer en action dans d’autres régions d’Ukraine, en particulier dans l’est du pays. Kiev s’est empressé de dénoncer une agression russe, tandis que le président déchu Viktor Ianoukovitch, toujours en exercice d’un point de vue légal, a approuvé l’action russe en Crimée. Les suites possibles de cette opération dépendent désormais de l’évolution de la situation en Ukraine, où les régions de l’Est ont été le théâtre d’importantes manifestations

contre le nouveau pouvoir. Lors de son échange téléphonique avec Barack Obama, Poutine a souligné que la Russie se réservait le droit de défendre ses intérêts et de protéger la population russophone si les régions orientales de l’Ukraine et la Crimée étaient touchées par la violence.

Dérussification. Evidemment, il n’est absolument pas question d’une partition du pays. La Russie veut seulement que l’Ukraine ne demeure pas aux mains d’un pouvoir antirusse qui souhaite procéder à la dérussification de son propre peuple et le pousser au séparatisme. En d’autres termes, Moscou ne veut pas de ce gouvernement révolutionnaire. Le Kremlin exige que soit appliqué l’accord signé le 21 février entre le pouvoir et l’opposition sur la nomination d’un gouvernement d’union nationale, la conduite d’une réforme constitutionnelle et la tenue d’une élection présidentielle fin 2014. Nous ne reconnaissons pas le nouveau pouvoir de Kiev, il nous est bien égal que les pays occidentaux se soient empressés de le reconnaître (alors même qu’ils s’étaient portés garants auprès de Viktor Ianoukovitch). Et soudain l’indépendance affichée par Moscou sur la question ukrainienne provoque la stupeur et l’indignation de l’Occident : comment osez-vous mener votre propre politique sans nous consulter, comment pouvez-vous agir contre nos intérêts ?

Ce à quoi la Russie répond simplement  : cela fait trop longtemps que nous regardons l’Occident mener sa politique en Ukraine. Ces derniers mois, nous vous avons vus souffler sur les braises de l’Euromaïdan, soutenir

le mouvement juste parce que vous étiez fermement opposés à ce que Kiev fasse demi-tour sur le chemin de l’Europe pour s’engager sérieusement sur la voie de la réintégration à l’espace économique russe. L’Occident a totalement fait abstraction des intérêts russes en Ukraine, qui sont pourtant colossaux comparé aux intérêts allemands ou américains. Ce n’est que lorsque nous avons vu que vos manœuvres en Ukraine avaient permis à des forces ouvertement antirusses de prendre le pouvoir et de plonger le pays dans le chaos, ce n’est qu’à ce moment-là que nous avons décidé d’intervenir.

Crise de nerfs. Parce que l’Ukraine est le berceau de l’histoire russe et que nous n’accepterons pas que soient persécutés les porteurs de la langue russe ou les défenseurs d’une union avec la Russie plutôt qu’avec l’Europe. Nous savons très bien que les Anglo-Saxons ne voient dans le jeu ukrainien qu’un moyen d’attaquer Moscou. Pour ces puissances occidentales qui tentent désespérément de freiner leur chute, l’Ukraine dévastée n’est qu’un pion de plus sur l’échiquier géopolitique, tout comme la Syrie et la Libye. Mais pour la Russie l’Ukraine représente la sécurité de la patrie et du peuple russe.

Non, il n’y aura pas de guerre. Les élites occidentales croyaient avoir remporté la partie et ne s’attendaient visiblement pas à ce que la Russie riposte de toutes ses forces pour défendre ses intérêts. Ajoutons à cela que

l’Occident a largement surestimé le crédit que pouvait lui porter Vladimir Poutine. Même après cette cuisante défaite, les Etats-Unis n’iront pas jusqu’à appliquer à la Russie des sanctions militaires, car personne n’est prêt à combattre pour l’Ukraine. Quant à agiter le spectre de la guerre en espérant faire ainsi pression sur nous, c’est absolument inutile, car cela ne ferait que montrer une fois de plus que Washington a perdu tout sens des réalités.

Cela dit, nous nous apprêtons à vivre une période de fortes tensions, entre boycott, possibles sanctions et campagne de critique massive dans la presse occidentale. Mais, après avoir fait sa traditionnelle crise de nerfs, l’Occident devra se calmer et discuter afin de mettre en place un gouvernement de transition en Ukraine, tirant un trait sur l’intégration européenne de Kiev. Si les Etats-Unis refusent de se plier à cet état de fait et décident de durcir le ton, la Russie ne se contentera certainement pas de rappeler son ambassadeur à Washington. Vladimir Poutine construit depuis longtemps une stratégie politique subtile qui lui a permis de s’entourer de multiples alliés et d’acquérir une grande marge de manœuvre. La Syrie, la position des Etats-Unis en Afghanistan et le jeu iranien, voilà autant de sujets brûlants qui pèseront sans aucun doute dans la balance en cas de conflit entre l’Ouest et nous à propos de la question ukrainienne.

—Piotr AkopovPublié le 2 mars

Moscou affirme sa souveraineté absolueEn prenant la décision d’envoyer son armée en Crimée, Vladimir Poutine a définitivement mis fin au monde unipolaire de l’ère postsoviétique, se réjouit un journal russe pro-Kremlin.

Tout céder au nom de la paix ?●●● L’entrée d’un “contingent limité” de troupes en Ukraine signe le début de la guerre. Nous ne savons pas quelles proportions elle peut prendre ni quel prix les belligérants auront à payer. Nous ne savons pas quelles “mesures de rétorsion” préparent nos “partenaires” occidentaux. Si des troupes entrent en Ukraine, il faudra oublier les appels à l’humanisme et les réflexions concernant la valeur supérieure de la vie humaine par rapport aux ambitions étatiques et à la géopolitique. En effet, la question est posée dans toute sa brutalité : jusqu’à quel point peut-on reculer au nom de la paix et de la tranquillité quotidienne lorsque des concepts qui paraissent abstraits au béotien, comme la dignité nationale et les intérêts nationaux, sont en jeu ? Aucun intérêt national ne vaut-il la peine d’être défendu par la force ? On s’est sans doute posé cette question à Moscou. Céder, mais jusqu’à quel point ? La Russie a déjà trahi les Russes – privés de leur logement et de leurs biens, voire égorgés – en Asie centrale et au Caucase du Sud [au moment de l’éclatement de l’URSS]. Alors faut-il regarder tranquillement la dérussification agressive (dont parlent ouvertement les leaders de Maïdan) prendre la forme d’une croisade dans les steppes ukrainiennes ?

Gazeta.ru (extraits) Moscou

L’Occident a largement surestimé le crédit que pouvait lui porter Poutine

↓ Vladimir Poutine et la guerre froide. Dessin de Danziger, Etats-Unis.

Page 13: Courrier 20140306 courrier full

EUROPECourrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 13

21-24 21-24 21-24 21-24 MARS 2014MARS 2014

Liste complète sur www.salondulivreparis.com

Oxmo Puccino

© S

weet

Mom

ents

- Lyd

ie Ph

otog

raph

ie

Alaa El Aswany Franck Thilliez Elsa Osorio

Pierre Lemaître Zoe Valdes

© M

arc M

elki

© D

idier

Cohe

Didi

er Co

hen

© P

hilipp

e Mat

sas

© Th

ierry

Raji

Thier

ry R

ajic

© Je

an-M

arc G

ourd

on

★Bronx

(Par

is) -

ww

w.b

ron

x.fr

PARIS,PARIS,PARIS,PARIS,PARIS,PARIS,PARIS,PORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESPORTE DE VERSAILLESAVEC LE SOUTIEN DE

PARTENAIRES OFFICIELS

ILS SERONT AU SALON !

—Die Tageszeitung Berlin

Les sbires de Vladimir Poutine y vont fort quand ils crient à la menace fas-

ciste en Ukraine. Nul ne conteste qu’il existe une extrême droite inf luente dans ce pays, mais elle n’est pas plus importante que dans les autres démocra-ties européennes.

En revanche, ce qui diff érencie la Russie de Kiev et des Etats européens, c’est le fait que les extrémistes de droite de Moscou n’ont pas à manifester

dans la rue puisqu’on peut les trouver à proximité immédiate du pouvoir. L’Etat de non-droit russe, qu’on peut au moins qualifi er de protofa sc is te , se caractérise par le racisme, l’exclusion, le nihilisme de droite, l’arbitraire et la violence – sauf que les vainqueurs de l’Allemagne nazie parlent aujourd’hui de “patriotisme conservateur qui défend des valeurs”. Nul n’a jamais contesté leur maîtrise du détournement idéologique des faits.

Pendant ce temps, Angela Merkel tente d’inf luencer Poutine. Le patron du Kremlin aurait même donné son accord à la constitution d’un groupe de contact et à l’envoi d’une mission d’enquête. Est-ce une victoire de Merkel ou est-ce exactement ce qu’il attendait ? Poutine connaît les diplomates bisounours de Berlin qui se laissent mener par le bout du nez. Bien entendu, il ne faut pas rompre le contact avec

Moscou, mais qu’est-ce qu’une conversation sans dialogue ? Pendant qu’on est en train de constituer ce groupe de contact, Moscou en profi te pour faire en sorte que l’on se trouve devant des faits accomplis.

G8 à Sotchi. La Crimée n’est qu’un prétexte pour Poutine. Ce qu’il veut vraiment, c’est renverser le gouvernement provisoire ukrainien et installer durablement ses larbins à Kiev. Chaque jour de contact avec le groupe sert ses troupes. Il s’arrangera en outre pour que la mission d’enquête fasse les “bonnes” constatations.

Il se trouve que la région que les enquêteurs vont étudier est le lieu de naissance des

villages Potemkine, ces beaux trompe-l’œil apparus peu avant la conquête de la Crimée par la Russie, à la fi n

du xviiie siècle.D’accord, il n’est pas vraiment

possible d’infl uencer la Russie mais l’Occident ne doit pas pour autant se laisser manipuler par Poutine. L’annulation de la réunion du G8 à Sotchi est un acte qui va de soi. Exclure Moscou ne changera certes rien à la situation, mais fera quand même mal à cet homme qui a des ambitions mondiales. Car Poutine tient à faire partie des grands.

Les propos sans équivoque du ministre des Aff aires étrangères américain John Kerry ont envoyé le bon signal. Obama doit agir et Poutine le sait. Le gel des visas et des comptes serait un moyen de tester qui de l’élite restera fi dèle. Le problème, c’est qu’on risque une surréaction. Il faut protéger la Russie d’elle-même.—

Publié le 3 mars

La diplomatie bisounours de MerkelLa chancelière tente de calmer Poutine, mais celui-ci ne cherche qu’à gagner du temps.

L’impuissance de l’Occident●●● “L’Union européenne et les Etats-Unis ne peuvent arrêter l’agression russe en Crimée”, estime Die Zeit. Dans un éditorial intitulé “L’impuissance de l’Europe face à la Russie”, le quotidien allemand observe que, “clairement, l’Europe et les Etats-Unis n’avaient pas vu venir ce développement [en Crimée]. Une nouvelle fois, tout comme après le non de Ianoukovitch, l’automne dernier, à l’Accord d’association avec l’UE, ils se trouvent sans défense face au despotisme géostratégique sans scrupule de Poutine.” Etant donné que “sous Obama les Etats-Unis se retirent de partout” et que “les Européens ne disposent ni des moyens militaires, ni des moyens politiques, ni d’une stratégie commune vis-à-vis de la Russie”, l’occasion qui se présente actuellement “semble favorable” à Poutine, fait observer Die Zeit.

↙ Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

Page 14: Courrier 20140306 courrier full

EUROPE14. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

—El País Madrid

M ario Monti, l’ancien pré-sident du Conseil ita-lien, n’a pas hésité une

seconde. “L’avancée du populisme dans divers pays d’Europe est notre principale préoccupation”, a-t-il déclaré. C’est ainsi qu’il a pré-senté à Madrid [le 27 février] le débat du Conseil pour l’avenir de l’Europe, qui se réunissait pour la troisième fois depuis sa créa-tion, en 2011, et deux précédents rendez-vous à Berlin et Paris. Monti préside ce forum lancé par l’Institut Berggruen pour la gouvernance, dont l’objectif est de réfléchir aux moyens de par-venir à une Europe plus forte et plus résistante.

Le Conseil, qui réunit 26 émi-nents politiques, universitaires et patrons, européens et amé-ricains, met en garde contre le populisme à la veille des élections européennes de mai. A l’en croire, les messages politiques qui sim-plifient les choses dans un monde complexe représentent une réelle menace. Le discours qui impute le chômage à l’immigration ou attribue le recul de l’Etat pro-vidence à l’Union européenne séduit facilement des citoyens désenchantés par les ajustements économiques. Mais par ailleurs le Conseil n’exclut pas que le popu-lisme finisse par être rejeté, ce qui ferait de l’Union un espace plus uni et démocratique.

“Nous autres europhiles, nous n’avons pas de rêves”, a lancé Enrico Letta, lui aussi ancien président du Conseil, lors de son intervention. “Les autres en ont un. Ils veulent sortir de l’euro, faire éclater l’Union… Nous, nous avons perdu nos rêves. Avant, nous en avions. En 1984, les quatre liber-tés [de circulation des marchan-dises, des capitaux, des services et des personnes] ; en 1994, l’euro ;

en 2004, l’élargissement à l’Est. Et maintenant ? Maintenant, nous n’avons plus aucune perspective de ce genre. Le rêve doit être l’union politique.” Letta a appelé les euro-philes à insuffler une grandeur, une dimension épique, à leurs messages ; des sentiments sur lesquels jouent avec une grande habileté les mouvements nationa-listes, pour leur plus grand profit électoral. “La dimension épique”, comme l’a bien dit l’ancien chef du gouvernement espagnol Felipe González quelques minutes avant le début du forum, “est le princi-pal outil des nationalistes.” C’est la raison pour laquelle il faut préve-nir les gens que derrière ce mes-sage “il n’y a rien”, a-t-il souligné.

González s’en est pris avec véhémence aux populistes. “Tout ce qu’ils veulent, a-t-il dit, c’est brûler la maison où nous vivons tous pour rester avec un terrain vague qu’ils croient à eux.” Il estime que toutes les tentatives de récupé-ration du message nationaliste, même dans des cas aussi diffé-rents que ceux de la Catalogne ou de l’Ecosse, sont en définitive

un retour au postulat démenti par l’Histoire selon lequel “on est mieux seuls”.

Dans son discours, Letta lui non plus n’a pas mâché ses mots. “Qu’est-ce que le populisme en Europe ?” a-t-il lancé. Le popu-lisme est profondément anti. Il n’est jamais en faveur de quelque chose. Il est toujours anti. Il est hétérogène. Mais nous savons qu’il est antiautorité, antieuro.” Et de poursuivre : “Certains facteurs ont stimulé la dynamique popu-liste. L’immigration, qui dans de

nombreux pays a provoqué de pro-fonds changements sociaux ; l’aug-mentation du chômage des jeunes ; et Internet, qui lance un défi non seulement à l’autorité, mais aussi à l’idée même d’autorité. Autrefois, les pouvoirs publics avaient le monopole de l’information. Aujourd’hui, per-sonne n’en détient plus le monopole.”

“Pour la première fois, assure-t-il, nous allons vers des élections européennes où le clivage le plus important ne sera plus entre la gauche et la droite, mais entre les pro- et les anti-Europe. Jusqu’ici, ces élections ont toujours été des élections nationales camouflées. Aujourd’hui, elles sont véritablement européennes, et elles constituent un grand risque pour l’avenir de l’Eu-rope. Quel peut être leur impact sur les institutions européennes et sur la croissance ? Tout d’abord, pour ce qui est du Parlement européen, il faut savoir que 20 à 25 députés seront antieuropéens. Un autre

risque concerne les attaques contre le marché intérieur, la concurrence. L’une des conséquences serait la hausse du protectionnisme. C’est la réaction la plus facile.”

“Nous traversons peut-être la période la plus difficile de la construction européenne”, a déjà reconnu Pascal Lamy, président de Notre Europe et membre du Conseil pour l’avenir de l’Eu-rope. “L’engagement citoyen est en berne. L’opinion publique considère que l’Europe ne répond pas à ses attentes. Que pouvons-nous faire pour éviter cette érosion ? Le pro-blème principal, c’est le chômage des jeunes. Quelques avancées ont été faites. Il faut aller bien plus loin. Que faire d’autre ensemble ? D’abord, il s’agissait de vivre en paix. Maintenant, c’est moins clair. Nous n’avons pas de grand récit qui nous soit propre. Voici à quoi il pourrait ressembler : la mission de l’UE est de civiliser la

mondialisation, comme me l’a dit un jour un diplomate asiatique.”

Le Conseil propose de poser trois jalons pour une Europe plus unie. Premièrement, il faudra éloigner les citoyens des griffes du populisme, à travers une meil-leure communication et une effi-cacité accrue des institutions européennes. Deuxièmement, en finir avec le malentendu psycho-logique entre le Nord et le Sud de l’Europe. Les pays du Sud euro-péen ont démontré qu’ils étaient capables de mettre en œuvre des politiques permettant de réta-blir la confiance des marchés. Et troisièmement, il faudra jeter un pont entre le Royaume-Uni et le reste de l’Europe, en tentant de rallier les Européens continen-taux à l’esprit compétitif anglo-saxon et de faciliter la coexistence avec Londres.

—Fernando GualdoniPublié le 27 février

UNION EUROPÉENNE

Le populisme se nourrit du chômageA la veille des élections européennes de mai, les membres du Conseil pour l’avenir de l’Europe se sont réunis à Madrid. Leur but : combattre la montée du populisme afin de créer une Union “plus forte et plus résistante”.

“La mission de l’UE est de civiliser la mondialisation”

Page 15: Courrier 20140306 courrier full

EUROPE.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 15

Vivons bien informés.

Je l’ai appris sur Un Monde d’Infodu lundi au vendredi à 16h15 et 21h45avec

La mobilité contre la xénophobieL’ouverture des frontières peut combattre le chômage des jeunes et contrer la montée des partis populistes.

—El País Madrid

L’espoir d’une solution au fort chômage des jeunes qui frappe des pays comme

l’Espagne et l’Italie passe notam-ment par la recherche d’emploi dans toute l’Europe, dans les pays où il y en a. Dans la balance : la montée de la xénophobie et des partis antieuropéens et la mise en place de restrictions à la mobilité des personnes dans l’Union, qui sont autant d’embûches à éviter. Un diagnostic que partagent, au-delà de leurs divergences (et elles sont nombreuses), le social-démo-crate Jörg Asmussen, secrétaire d’Etat allemand à l’Emploi, qui a siégé au conseil des gouverneurs de la BCE jusqu’en décembre der-nier, et Ignacio Fernández Toxo, secrétaire général du syndicat espagnol Comisiones Obreras et président de la Confédération euro-péenne des syndicats. “Le chômage des jeunes se résoudra quand le chô-mage en général commencera à se résoudre”, nuance tout de même l’Espagnol, qui ajoute aussi que “la réponse consiste à redéfinir les bases de l’Etat providence, qui n’est pas un fardeau”.

A ce débat sur la mobilité pro-fessionnelle et le chômage des jeunes, organisé dans le cadre de la conférence Proyecto Europa, par-ticipaient aussi, aux côtés de Toxo et d’Asmussen, Peter Sutherland, représentant spécial du secré-taire général des Nations unies, et Marina del Corral, secrétaire générale à l’Immigration et l’Emi-gration du gouvernement espagnol.

“Nous ne pouvons pas tolérer qu’une génération soit sacrifiée. La mobilité professionnelle est indispen-sable. L’augmentation des migrations est une bonne chose pour notre écono-mie”, a insisté Jörg Asmussen. C’est la même position qu’a défendue Peter Sutherland, assurant que les grandes disparités des taux de chô-mage en Europe “étaient la preuve de l’échec de certaines politiques natio-nales”. L’homme politique irlan-dais, qui a défendu les réformes réalisées ces dernières années en

Espagne, au Portugal et en Irlande notamment, met lui aussi l’accent sur la “mobilité professionnelle” mais appelle également certains pays comme l’Allemagne à investir chez leurs voisins européens.

Peter Sutherland ne néglige pas les risques de ce pari : “Nous devons changer d’attitude face à l’immigra-tion et à la mobilité : au travers de quelques partis xénophobes, nous don-nons l’image d’une société assiégée.”

“L’immigration est indispensable au soutien de l’activité en Europe. Indispensable aussi au soutien des systèmes de solidarité”, a renchéri Ignacio Fernández Toxo.

Marina del Corral met en garde contre des évolutions comme celle de la Suisse, où un référendum vient de déboucher sur l’appli-cation de quotas d’immigration européenne. Asmussen a, lui, dénoncé l’injustice de l’image faite aux Roumains et aux Bulgares, tandis que Sutherland a insisté sur “la vision positive qu’on a en Espagne de l’intégration des immi-grés de première génération”.

—Manuel V. GómezPublié le 27 février

En Grèce, Aube dorée ressort de l’ombreSi la justice interdit sa participation aux élections locales et européennes, l’extrême droite envisage de créer un nouveau parti.

—The Guardian Londres

Après plusieurs mois de retenue, le parti néofas-ciste Aube dorée est à nou-

veau descendu dans la rue, afin de faire connaître sa détermination à participer aux élections locales et européennes sous un nouveau nom, contournant ainsi une éven-tuelle interdiction.

Le mouvement politique le plus violent d’Europe a annoncé que ses membres allaient créer une nouvelle entité baptisée Aube nationale en cas d’exclusion du processus démocratique liée à l’ouverture d’une enquête sur les dérives criminelles du parti.

“Ceux qui aiment leur pays auront un parti pour qui voter aux prochaines élections si [les autorités] persistent à vouloir interdire Aube dorée”, a déclaré Ilias Kasidiaris, député et tête pensante du parti, devant des milliers de militants vêtus de noir réunis dans le centre d’Athènes.

“Nous participerons aux élec-tions quoi qu’il arrive. Les nationa-listes grecs qui ne sont pas impliqués dans des organisations criminelles, qui n’ont pas de casier judiciaire, ont fondé un nouveau parti patrio-tique, Aube nationale.”

Le gouvernement grec, formé d’une coalition fragile de deux partis, a récemment annoncé que le scrutin européen coïnciderait avec les municipales en mai, et dans ce pays miné par la dette ces élections auront valeur de baromètre. Alexis Tsipras, leader du principal parti d’opposition, Syriza (Alliance de gauche), consi-dère ce double scrutin comme un référendum qui permettra aux Grecs de plébisciter ou non le très décrié plan d’austérité, consenti en échange des prêts d’urgence octroyés par l’UE et le FMI.

A la tête du plus grand mouve-ment de gauche européen, Tsipras se présente également à la pré-sidence de la Commission euro-péenne. Mais c’est surtout le parti Aube dorée, violemment hos-tile à l’immigration, qui inquiète les vingt-huit pays européens. Kasidiaris, le nouveau visage du parti, dont six députés sont en détention provisoire pour le meurtre en septembre d’un musicien et militant antifasciste, a révélé les intentions de son mouvement lors d’un rassem-blement organisé à l’occasion du 18e anniversaire d’une confronta-tion entre la Grèce et la Turquie au sujet de deux îles inhabitées dans la mer Egée.

Depu is leu r a r r ivée au Parlement, en juin 2012, les ultra-nationalistes célèbrent bruyam-ment cet événement, l’un des plus graves pour les relations entre la Grèce et la Turquie depuis l’inva-sion de Chypre, en 1974. L’année dernière, plus de 50 000 per-sonnes ont participé à cette mani-festation. Cette année, ils étaient à peine 3 000 en dépit des tenta-tives du parti d’exploiter l’assas-sinat de deux membres d’Aube dorée en décembre et l’incarcéra-tion de ses députés, notamment le fondateur, Nikos Michaloliakos.

Sondages. Nikos Michaloliakos, qui ne cache pas son admira-tion pour la junte militaire au pouvoir jusqu’en 1974, a fondé Aube dorée au début des années 1980. Il est aujourd’hui accusé d’avoir créé une organisation paramilitaire qui s’en prend sys-tématiquement aux immigrés, aux militants de gauche et aux homosexuels.

Malgré l’apparente incapa-cité du mouvement à mobiliser ses militants, les sondages sont plutôt bons. Selon les dernières études, Aube dorée demeure la troisième force politique du pays, et pourrait remporter au moins 10 % des suffrages en surfant sur la grogne anti-austérité et la lassitude des Grecs à l’égard de la classe politique. Kasidiaris, qui, malgré sa mise en examen, a également annoncé sa candi-dature à la mairie d’Athènes, est crédité de 15 % d’intentions de vote. “Ils nous jettent en prison. Sommes-nous pour autant affai-blis ? a-t-il lancé à la foule lors d’un rassemblement. Non. Nous sommes encore plus forts et encore plus puissants. Et bientôt nous serons au pouvoir.”

—Helena SmithPublié le 2 février

A voir●●● Du 7 au 16 mars, le Festival du film et Forum international sur les droits humains propose à Genève débats, témoignages et films inédits sur des sujets brûlants. La précarité et les politiques d’austérité sont-elles les moteurs de l’émergence d’un fascisme agressif en Europe ? Le 11 mars, Courrier international s’associe au FIFDH pour explorer cette question.

←↓ Dessins d’Ajubel, Espagne.

Page 16: Courrier 20140306 courrier full

16. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Société Les Chinois dégrisés dans le BordelaisUne soixantaine de domaines viticoles sont devenus la propriété de riches Chinois au cours des cinq dernières années. Mais rares sont les vrais connaisseurs et certains ont déjà renoncé.

—Nanfang Renwu Zhoukan (extraits) Canton

Le 20 décembre 2013, tous les g rands journau x chinois publiaient dans

leurs colonnes la nouvelle de la mort d’un riche homme d’aff aires chinois et de son fi ls dans un acci-dent d’hélicoptère alors qu’ils sur-volaient leur domaine viticole. En plein cœur de l’hiver, les eaux gla-cées d’une rivière bordelaise [la Dordogne] engloutissaient Lam Kok et son fi ls de 12 ans.

Avec ce drame, une aff aire ne concernant au départ qu’une toute petite poignée de personnes – l’achat d’un vignoble – a une nouvelle fois focalisé l’attention du plus grand nombre.

D’après les données disponibles à la fi n de l’année 2013, soixante vignobles auraient été achetés par des Chinois en cinq ans, et ce n’est pas fi ni ! Les riches chinois forment désormais le groupe le plus important de propriétaires étrangers de vignobles bordelais, devant les Belges. Ils se portent également acquéreurs de parcelles en Bourgogne et en Provence.

L es doma i nes v it icoles b ordela is se d is t i n g uent par leur prédilection à se qualifi er de “château”. Pour les néophytes, l’alliance des deux termes “bordeaux + château” est forcément synonyme de vin rouge de grande qualité, alors qu’il ne s’agit que d’un eff et linguistique. En eff et, “le

france

vocable ‘château’ renvoie en fait uniquement à un domaine viticole élaborant son propre vin, qui peut ou non comprendre la présence sur ses terres d’un château”, explique Maxime Lu, pékinois et formateur accrédité par l’Ecole du vin de Bordeaux. “C’est risible de voir ces riches balourds chinois venir acheter un vignoble en se préoccupant d’abord de la beauté de la demeure construite sur le terrain, sans attacher d’importance à cet élément crucial que sont les vignes !” s’exclame-t-il.

Cérémonial. Avant 2008, on trouvait dans la région bordelaise jusqu’à 10 000 domaines portant l’appellation de “château”. Le raz-de-marée de la crise a laissé sur le carreau plus de 2 000 d’entre eux. Les Chinois en ont profi té pour venir faire de bonnes aff aires.

“A quelques exceptions près, les vignobles qu’ils rachètent ne sont pas des crus recherchés parmi les très hiérarchisés vins de Bordeaux. Dans la plupart des cas, il s’agit de domaines mal gérés produisant un vin de qualité plutôt médiocre”, explique sans détour M.Lu, qui conseille régulièrement les riches chinois qui souhaitent acquérir un vignoble.

Même le Château Monlot, sept hectares de saint-émilion, généreusement acheté 4 millions d’euros fin 2011 par [l’actrice chinoise] Zhao Wei, n’est qu’un grand cru à peine meilleur qu’un AOC ordinaire, et incapable de

soutenir la comparaison avec un grand cru classé. Ce modeste vignoble a pourtant atteint des sommets de popularité en Chine, ajoutant une connotation française romantique à l’image de la star.

Avant de monter à bord de l’hélicoptère, Lam Kok venait de fi naliser le rachat du Château de La Rivière par son groupe [le groupe Brillant, spécialisé dans le négoce de thés prestigieux et dans l’immobilier de luxe], et la promenade en hélicoptère devait prendre l’allure d’un voyage tr iomphal. Le prix d’acquisition (30 millions d’euros) avait battu tous les records pour un investissement chinois en France dans un domaine viticole. Mais cet achat portait sur plus de 60 hectares, soit un prix ramené à 500 000 euros l’hectare de vigne, plusieurs dizaines de milliers d’euros inférieur à celui déboursé pour le Château Monlot.

Nombreux sont ceux qui continuent à se jeter dans le vaste océan de la viticulture, mais certains en sortent également sur la pointe des pieds.

“Quelques Chinois se sont déjà dessaisis de leur vignoble. Les reventes se font de plus en plus vite, mais les nouveaux acquéreurs sont également chinois”, écrit dans un article Jane Anson, une journaliste britannique spécialiste des vins de Bordeaux. En dehors d ’ent repr ises t rès solides comme le géant du négoce alimentaire c h i noi s C ofc o , le s promoteurs immobiliers constituent l’essentiel de

la clientèle ; leurs acquisit ions por tent su r

Page 17: Courrier 20140306 courrier full

Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 17

des domaines dont l’étendue est en général comprise entre 10 et 30 hectares.

“A partir de 2010, on a constaté un envol des achats chinois concernant des exploitations familiales. Les Chinois ne s’intéressaient au départ qu’à des biens valant moins de 20 millions d’euros, et à leurs yeux la demeure et ses aménagements extérieurs comptaient plus que le vin lui-même”, explique une conseillère spécialisée dans les achats de domaines viticoles français pour une banque d’investissement internationale.

“L’acquisition d’un vignoble correspond à une démarche commerciale, avec comme postulat de base de ne pas perdre d’argent”, affirme Xu Wei, conseiller principal du site chinois de vente de vins Yesmywine.com, “quant aux motifs d’achat, ils peuvent correspondre à la recherche d’un placement, au besoin de disposer de vin pour le boire au sein de sa société ou l’offrir en cadeau, ou encore à une envie d’améliorer son image en acquérant un bien d’exception”.

E n f a i t , r a re s s ont le s connaisseurs  ; la plupart des acheteurs chinois n’entendent rien à la viticulture.

Les Chinois qui “mettent sur le même plan la consommation de vin et celles de Coca-Cola ou de Sprite” ont du mal à comprendre le caractère viscéralement sacré du vin pour les Français, tout le cérémonial qui entoure sa consommation et l’importance de la culture œnologique en France.

Pourtant, les Chinois savent jouer la carte de la culture à leur

manière. Dans leur présentation des vins de Bordeaux importés de leur château français, ils aiment s’étendre longuement sur l’histoire de leur vieille demeure.

Aux yeux de Maxime Lu, les grands crus sont fermés aux Chinois en raison de leur prix élevé, de l’écart culturel entre l’Orient et l’Occident et de conceptions du management très opposées.

De juillet 2012 à juillet 2013, 314  millions de bouteilles de bordeaux ont été écoulées à l’étranger. Plus d’un quart ont fini dans l’estomac de Chinois. Si le bordeaux ne constitue qu’un des dix grands terroirs français, c’est celui qui jouit de la plus grande renommée et qui a la production [AOC] la plus importante.

De plus, si le vignoble bordelais a tapé dans l’œil des hommes d’affaires chinois, c’est qu’ici les transactions sont faciles alors que, dans d’autres régions, les étrangers ont beaucoup plus de mal à prendre pied à cause des mentalités plus fermées.

L’année 2012 a marqué un tournant pour ce qui est des acquisitions de vignobles par des Chinois. Fin août de cette année-là, Louis Ng Chi Sing, un magnat des salles de jeu de Macao, rachetait le célèbre domaine bourguignon de Gevrey-Chambertin [2,3 hectares] et son château vieux de plus de huit cents ans pour la somme de 8 millions d’euros.

Sauveurs. Trois mois plus tard, on apprenait qu’un cru classé de Saint-Emilion – le château-bellefont-belcier – était passé aux mains d’un certain M. Wang, directeur de l’entreprise sidérurgique HBIS (Hebei Iron and Steel). C’est à ce jour le plus grand cru jamais acheté par un Chinois en France.

Le représentant en Asie du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, Thomas Jullien, ne manque pas une occasion de souligner que la région bordelaise se montre toujours plus ouverte aux investisseurs étrangers, ceux-ci étant disposés

à dépenser pour rénover les chais et les installations vinicoles. Il faut bien reconnaître qu’une part non négligeable des châteaux bordelais accueillent à bras ouverts les grosses fortunes chinoises, considérées par eux comme des sauveurs. Mais personne n’est dupe dans le milieu : les Chinois comme les Français savent pertinemment que les crus les plus renommés ne seront jamais cédés.

Selon Maxime Lu et Xu Wei, les Français considèrent que ceux qui ne leur ressemblent pas sont forcément animés d’intentions étranges, ce qui dresse une barrière psychologique culturelle difficile à franchir pour des Chinois.

Torture infinie. Le célèbre œnologue français Stéphane Derenoncourt accuse les Chinois d’être aveuglés par l’argent. “Je suis aujourd’hui sollicité une fois tous les quinze jours par des Chinois qui ont investi en France, mais aussi pour aller faire du vin en Chine. J’ai toujours refusé. Pourquoi ? Parce que tous les projets que l’on m’a soumis sont animés par la volonté de faire de l’argent, pas par l’envie de produire des vins de qualité. Je n’ai personnellement pas envie de voir certaines appellations bordelaises se transformer en Chinatown, ce qui ne manquerait pas de provoquer la rupture de certains équilibres.”

On en est loin : 60 sur 7 000 domaines. Que ce soit par leur nombre ou leur surface totale, ces “châteaux” représentent moins de 1 % du terroir bordelais. Mais la présence chinoise est sciemment amplifiée par les journalistes. Les vins de Bordeaux ont eu de tout temps une coloration internationale. Les Chinois ne sont pas les premiers ni les derniers étrangers à venir acheter des biens ici. “Certains crus classés sont aux mains de propriétaires étrangers depuis cinq générations. Les Chinois ne font qu’arriver un peu plus tard que les autres”, observe Xu Wei.

Maxime Lu dissuade souvent les milliardaires chinois qui viennent lui demander conseil. “Je leur pose

les enjeux internationauxTHIERRY GARCIN ET ÉRIC LAURENT DU LUNDI AU VENDREDI / 6H46 - 7H

DANS LES MATINS DE FRANCE CULTUREfranceculture.fr

en partenariat avec

FC LEI courrier inter 234x33vok.indd 1 24/09/13 17:10

toujours les questions suivantes : à quoi va vous servir ce château ? Quel est votre but premier : entrer dans un club fermé ou réaliser un placement dans le secteur viticole ? Il faut bien voir que sur les plus de 7 000 châteaux producteurs de bordeaux, les crus de qualité ne sont qu’une infime minorité ; la plupart sont des vins sans notoriété, bon marché et peu rentables.”

Le lent et patient processus d’élaboration du vin à la française est une source d’infinie torture pour les Chinois, qui aiment “faire rapidement les choses en grand” et “développer leur notoriété”.

Malgré tout, les Français restent optimistes et considèrent que l’engouement des Chinois pour les châteaux bordelais vient juste de commencer.

Les spécialistes ont constaté ces derniers temps un changement : les acquéreurs chinois jettent désormais leur dévolu sur des domaines viticoles valant de 25 à 50 millions d’euros, et attachent plus d’importance à la vinification en prenant en compte la qualité du vin et ses capacités potentielles de montée dans les classements.

“La plupart des acheteurs souhaitent conserver longtemps leur château, et les plus avisés d’entre eux projettent leurs regards au-delà du seul marché intérieur chinois”, souligne Xu Wei.

—You TianParu le 21 janvier

Dans le vignoble bordelais les transactions sont faciles

Les journalistes amplifient sciemment la présence chinoise

SourCe

NaNfaNg ReNwu ZhoukaNCanton, ChineHebdomadaire, 200 000 ex.www.nfpeople.comEmanation de l’hebdomadaire phare Nanfang Zhoumo, l’hebdomadaire “Personnalités du Sud” a été créé en 2004. C’est l’un des magazines les plus en phase avec son temps. Il frise parfois l’impertinence, qualité rare dans le paysage médiatique chinois

↓ Dessins de Lichuan, Pékin.

Page 18: Courrier 20140306 courrier full

D’UN CONTINENT À L’AUTRE18. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

—Al-Monitor (extraits)Washington

Le 26 février, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a fêté ses

60 ans. Mais sur Twitter certains de ses partisans les plus dévoués ont voulu donner une significa-tion plus large à cet anniversaire. Leur hashtag est devenu viral en quelques heures : #milletindogu-mgunu, ce qui signifie littérale-ment “l’anniversaire de la nation”. En d’autres termes, selon ces per-sonnes, Erdogan est l’incarnation de la nation tout entière.

Cela m’a inévitablement rappelé un autre courant politique turc, qui considère lui aussi son leader

Turquie. A la recherche d’un père infaillibleDe Mustafa Kemal à Recep Tayyip Erdogan, le culte de la personnalité a toujours empêché le fonctionnement de la démocratie.

certains de ses fans l’ont accueilli voilés de blanc, voulant lui signifier par là qu’ils étaient prêts à mourir pour lui. Cette démonstration aussi rappelait irrésistiblement le mantra kémaliste bien connu “Père, levez-vous et laissez-moi descendre dans la tombe”, citation d’un célèbre poème que tout écolier turc doit apprendre par cœur.

Autorité absolue. Il faut dire que ces deux cultes de la personnalité édif iés autour d’Atatürk et d’Erdogan ne sont pas les seuls du genre en Turquie. Il existe un troisième personnage qui, aux yeux de ses partisans, jouit aussi de l’image d’un demi-dieu : Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Lorsqu’il déclencha une guerre de guérilla contre l’Etat turc, en 1984, Öcalan devint rapidement le “dirigeant du peuple”, terme impliquant qu’il était le chef de toute la nation kurde. Il fait l’objet d’une dévotion totale. Lorsqu’il fut arrêté par les services de

↙ “Ils n’aiment pas votre projet d’aménagement urbain”. Dessin de Chappatte paru dans l’International New York Times, Paris.moyen-

orient

renseignement, en 1999, plusieurs partisans du PKK s’immolèrent dans le seul but de protester contre son incarcération.

Ce n’est probablement pas un hasard si l’on a attribué des épithètes similaires à ces trois dirigeants vénérés : Atatürk est le “père” (ata), Erdogan est le “maître” (usta), tandis qu’Öcalan est la “direction” (onderlik). Bien souvent les responsables de communautés religieuses jouissent eux aussi d’une autorité absolue sur leurs fidèles. L’érudit islamique Fethullah Gülen, dont les partisans sont actuellement engagés dans une âpre lutte politique contre Erdogan et son parti, est connu pour être une voix d’autorité, ses sermons et déclarations s’imposant comme définitifs pour l’ensemble de son mouvement. Bien entendu, tous les citoyens turcs ne suivent pas ce genre de leaders charismatiques, mais c’est le cas pour une partie considérable de la société, ce qui explique que la scène politique soit dominée par l’interaction de ces

vénéré comme personnifiant l’ensemble de la nation turque. Le kémalisme voit en effet dans le premier président du pays, Mustafa Kemal Atatürk, le “père” de tous les Turcs. (En fait, le surnom d’Atatürk, qui lui a été attribué par l’Assemblée nationale turque, signifie littéralement “père des Turcs”.) Il n’est donc pas étonnant que les kémalistes aient fait exactement la même chose à l’occasion de la date anniversaire présumée d’Atatürk, le 19 mai. Cette date est célébrée en Turquie depuis des décennies comme marquant la naissance à la fois d’Atatürk et de la nation turque.

D’autres similitudes entre le kémalisme et l’erdoganisme

naissant sont apparues à l’occasion de ce qui a été perçu récemment comme des attaques politiques contre Erdogan. En décembre 2013, au cours d’une réunion politique à Istanbul, certains jeunes partisans d’Erdogan l’ont accueilli vêtus de tee-shirts ornés du slogan “Adam izindeyiz”, qui veut dire : “Homme, nous te suivons”. Il s’agissait manifestement d’un détournement du célèbre slogan kémaliste “Atam izindeyiz”, qui peut se traduire par : “Père, nous te suivons”. (Le terme “adam”, dans ce contexte, désigne un homme vertueux.)

Ce même mois de décembre, lors d’une autre réunion d’Erdogan qui s’est tenue dans la ville septentrionale de Trébizonde,

Revue de presseErdogan : la fuite en avant●●● L’image du Premier ministre turc est bien ternie après la diffusion des conversations téléphoniques où il ordonne à son fils de faire disparaître 30 millions d’euros. Alors que le gouvernement AKP [le parti islamique du Premier ministre] vient de décider d’interdire les écoles formant à l’examen d’entrée à l’université liées au réseau islamique de Fethullah Gülen [devenu l’ennemi d’Erdogan], Can Dündar fait remarquer dans le quotidien nationaliste Cumhuriyet que “c’est peut-être la première fois en dix ans que le Premier ministre se retrouve sur la défensive”. “D’habitude, c’est toujours lui qui attaque le premier, les autres se retrouvant dans l’obligation de répliquer. De nouvelles révélations peuvent arriver n’importe quand. Plus elles se font incisives et plus il hurle. Pourtant ses cris ne parviennent pas à étouffer le sentiment de culpabilité que trahit sa petite voix dans les enregistrements qui ont été diffusés. Erdogan ne détermine donc plus l’ordre du jour, il le fuit.” Dans le quotidien pro-AKP

Yeni Safak, Ali Bayramoglu s’inquiète : “Que l’on soit en train de façonner une opinion publique en se fondant sur des enregistrements illégaux d’hommes politiques et de journalistes pose un vrai problème. Les moyens utilisés sont au moins aussi équivoques pour l’exercice de la démocratie que les réactions qu’ils suscitent.” Dans le quotidien libéral Hürriyet, Mehmet Yilmaz démonte la défense d’Erdogan : “Les affirmations selon lesquelles le Premier ministre était en direct à la télévision au moment des conversations téléphoniques se sont révélées fausses.” “Pourquoi tant de mensonges ?” conclut-il.Özgür Mumcu, quant à lui, dans le quotidien libéral Radikal, imagine non sans humour que dans un avenir proche la corruption se sera complètement banalisée et imagine ces questions de citoyens lambda : “Tu as écouté l’enregistrement de celui-là ? Il était plus calme cette fois. Ils parlaient d’un appel d’offres. Notre député l’a-t-il obtenu, finalement ?”

Page 19: Courrier 20140306 courrier full

reportage

MoYeN-orIeNt.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 19

Hors-série Mars-avril-mai 2014 8,50 €

Afrique CFA : 6 000 CFA - Allemagne : 9 € - Antilles-Réunion : 9,50 € - Autriche : 9 € Canada : 12,90 $CAN - Espagne : 9 € - Etats-Unis : 13,50 $US - Grèce : 9 € Italie : 9 € - Japon : 1 400 ¥ - Liban : 1 8 000 LBP - Maroc : 85 MAD - Pays-Bas : 9 € Portugal cont. : 9 € - Suisse : 12 CHF - TOM avion : 1 800 XPF - Tunisie : 15 DT

Hors-série Courrier international Mars-avril-mai 2014

OÙ VA LA TURQUIE ?

Jeunesse, croissance, élections,

question kurde… Portrait d’un pays

en ébullition

3’:HIKOMC=YU]ZUZ:?a@a@o@i@p";M 04224 - 48H - F: 8,50 E - RD

une HS turquie Final F.indd 1 26/02/14 13:31

↙ Dessin de Langer paru dans Clarín, Buenos Aires.

différents cultes de la personnalité. Et dans chaque camp un grand nombre de fanatiques considèrent leur dirigeant comme infaillible. Cela ne laisse aucune place pour l’autocritique au sein du groupe, toute l’énergie étant consacrée à condamner ceux d’en face. Les autres groupes deviennent des traîtres à la nation que l’on doit écraser.

Polarisation. On trouvera bien entendu dans d’autres sociétés, y compr is da ns cer ta ines démocraties libérales, des opinions tout aussi radicalement opposées. Mais ces démocraties libérales sont dotées de traditions et d’institutions qui atténuent la polarisation et amortissent les excès du fanatisme politique. Le problème, en Turquie, est que, même si dans le pays toutes les institutions semblent celles d’une démocratie, il manque à la société un trait essentiel qui est très marqué dans les sociétés occidentales : l’individualité. Ainsi la démocratie en Turquie ne fonctionne-t-elle pas comme un processus permettant à des millions d’individus de se confronter les uns aux autres à partir d’opinions différentes, mais comme un jeu à somme nulle dans lequel des camps politiques bien définis ne cessent de se combattre les uns les autres. Il en résulte une série sans fin de coups d’Etat et de chasses aux sorcières – ainsi que d’incroyables combats politiques.

—Mustafa AkyolPublié le 28 février

musulmans. Nous avions donc décidé de la repousser et de donner une nouvelle chance à la direction. Celle-ci avait alors promis de verser l’argent en février.” Ce qu’elle n’a pas fait non plus.

Au contraire, des déclarations provocatrices de la direction ont provoqué la colère des travailleurs, qui ont élargi leurs revendications : instauration d’un salaire minimum et démission du chef de l’entreprise. Bien que la grève relève de la lutte salariale, elle est peut-être plus

politique qu’il n’y paraît à première vue. Car depuis dix ans les mouvements sociaux successifs qui ont eu lieu à Mahalla Al-Koubra

ont toujours été liés à l’histoire politique. [En 2006], c’étaient les premiers signaux d’alerte de la colère grandissante contre le régime de l’ancien président Hosni Moubarak. Le 6 avril 2008, une grève retentissante y éclatait. En toute logique, toute la ville a ensuite été un bastion de la révolution du 25 janvier 2011.

Aujourd’hui, les travailleurs en grève brandissent la photo du ministre de la Défense, Abdelfattah Al-Sissi, et scandent : “Sissi, ô Sissi, rejoins-nous, la direction de l’usine nous vole.” Le maréchal est très présent dans les conversations et la plupart comptent sur son élection à la présidence.

—Al-Shourouk (extraits) Le Caire

Le travailleur tient son cama-rade par le bras en franchis-sant la porte d’entrée de

la société de tissage Al-Ghazl de Mahalla Al-Koubra. Il lui dit : “Il faut donc bloquer l’usine chaque fois que nous voulons faire respecter nos droits ?” Cette scène résume bien les enjeux de la grève des travail-leurs du textile qui a commencé le 10 février à Mahalla Al-Koubra [et continuait sporadi-quement début mars], la capitale de l’indus-trie textile égyptienne, à l’usine d’Al-Ghazl, qui s’étend sur environ 27 kilomètres carrés et compte plus de 20 000 ouvriers.

Les vigies de l’entreprise essaient de repérer les journalistes afin de les empêcher de pénétrer sur le site. Mais ce sont des grévistes qui sortent et les font entrer au nez des vigies. Un des ouvriers nous explique que les participations au bénéfice auraient dû être versées en septembre. La direction avait invoqué des retards de comptabilité pour retarder ce versement à début 2014. Or les participations n’ont toujours pas été payées.

“Dès janvier nous avions prévu de faire grève, mais la campagne pour le référendum constitutionnel nous a fait craindre qu’on exploite la grève à des fins politiques et qu’on nous accuse de faire le jeu des Frères

ÉgYpte

Les combats des grévistes de MahallaDans la capitale de l’industrie textile du pays, les ouvriers se battent pour des hausses de salaires et contre la corruption.

—Raseef22 Beyrouth

La Jordanie vient de signer un accord d’approvisionne-ment du pays en gaz natu-

rel. “La Jordanie recevra environ 1,87 milliard de mètres cubes de gaz naturel en provenance du champ de Tamar sur une durée de quinze ans”, indique la compagnie américaine Nobel Energy [qui détient un peu plus d’un tiers de ce champ]. Les deux autres tiers du champ sont détenus par des entreprises israé-liennes, car Tamar se situe au large des côtes de l’Etat hébreu. L’agence de presse Reuters indique ainsi qu’Israël y voit “l’opportunité d’améliorer ses relations avec ses voisins, dont la Jordanie”.

Côté jordanien, les médias offi-ciels préfèrent taire ce que leur public ne saurait entendre. L’agence de presse officielle Petra ainsi que les quotidiens tels qu’Ad-Dustour ou Al-Raï ont évoqué l’accord sans citer une seule fois le nom d’Israël.

Par contre, Ad-Dustour, à la fin de son article consacré au sujet, a souligné qu’en début d’année la compagnie américaine avait signé un accord gazier avec la société palestinienne de fourniture éner-gétique. Quant aux autres quoti-diens officiels, ils se sont contentés de reproduire les informations de l’agence de presse Petra. C’est-à-dire sans citer le nom d’Israël.

Certains médias privés en revanche ont essayé de satisfaire aux exigences de la déontologie. Notamment le quotidien jorda-nien privé Al-Ghad, qui a “osé” aller au-delà des informations données par Petra, précisant que le champ gazier de Tamar était situé au large d’Israël. Il a même rappelé que ce champ, depuis sa découverte en 2009, faisait l’objet d’une dispute entre Israël et le Liban.—

Publié le 24 février

JorDaNIe

Israël, ce mot tabouLes médias officiels jordaniens évitent souvent de mentionner le nom d’Israël, même lorsqu’il s’agit de relater un accord signé entre la Jordanie et l’Etat hébreu.

Au milieu des ouvriers, un salarié administratif explique que les revendications ne concernent pas seulement les salaires, mais également la corruption et le manque de moyens pour moderniser l’appareil de production. “Jusqu’en 1975 notre usine fabriquait des produits de qualité qui rapportaient à l’Egypte des devises étrangères, mais désormais les exportations sur les marchés internationaux ne sont plus qu’un souvenir”, soupire-t-il.

Un ouvrier employé dans les entrepôts affirme que l’entreprise détient d’immenses quantités de tissu que la direction refuse de vendre alors même que certains commencent à se dégrader. A ces tissus s’ajoutent d’autres biens qui constituent un trésor de guerre de l’entreprise. Or, chaque fois qu’un client se montre intéressé par un achat, l’administration freine des quatre fers afin d’empêcher la transaction. Il accuse également la direction d’entretenir des rapports suspects avec des hommes d’affaires influents, à qui elle vend des tissus à perte.

Pour finir, l’usine a du mal à renouveler sa gamme. La plupart des coupes de vêtements remontent aux années 1960 et, bien qu’il existe des compétences parmi les salariés, l’entreprise n’a pas été capable d’y apporter le moindre changement.

—Mohamed Nabil HilmiPublié le 17 février

A lire

HORS-SéRie La Turquie est le sujet du nouveau hors-série de Courrier international, en kiosque depuis le 5 mars. Le système Erdogan, la génération Gezi, la métamorphose d’Istanbul, les questions kurde et arménienne… Cent pages de reportages, d’analyses et d’interviews pour mieux comprendre un pays en ébullition.

Un gouvernement sans réformateurs●●● Le nouveau Premier ministre, Ibrahim Mahlab, a prêté serment le 1er mars en promettant de “réaliser les objectifs de la révolution”. Mahlab est pourtant un cacique de l’ancien régime de Hosni Moubarak et ses ministres sont en majorité des sortants, qui n’incluent aucun réformateur. “La révolution était dirigée contre la corruption et la mainmise des réseaux d’influence”, rappelle le site égyptien Al-Dostor Al-Asly comme pour mieux lui rappeler son passé. “Il fera face à des mouvements sociaux persistants pour la mise en place d’un salaire minimum et la renationalisation d’entreprises qui ont été privatisées sous Moubarak, le tout sous le mot d’ordre révolutionnaire de la justice sociale.” C’est déjà la grogne sociale qui a poussé les autorités égyptiennes à sacrifier l’ancien Premier ministre, Hazem Al-Beblaoui, le 24 février.

Page 20: Courrier 20140306 courrier full

D’UN CONTINENT À L’AUTRE20. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

↙ “Pas maintenant ! Nous traversons une grave crise financière…” Dessin d’Arend, Pays-Bas.

Depuis quarante ans, le géant nucléaire français exploite l’uranium nigérien dans des conditions opaques. Le pays refuse le renouvellement d’un accord jugé injuste.

—African Arguments Londres

N ous sommes en train d’as-sister à une véritable prise de conscience de la popu-

lation sur ce sujet ; quelque chose est en train de se passer”, se féli-cite Boubacar Soumane, directeur de la communication au bureau nigérien de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie). A l’heure où un nouvel accord doit être signé entre Areva et l’Etat nigérien sur le contrat régissant l’extraction d’uranium par le géant nucléaire français à Arlit, le sujet rencontre visiblement un écho important auprès de l’opinion publique.

Il ne se passe guère de semaine sans que des manifestations aient lieu dans les principales villes du pays – notamment à Niamey [la capitale] et à Agadez [grande ville du Nord]. Les manifestants, même s’ils sont généralement peu nombreux, réclament la conclusion d’un accord plus favorable au Niger en brandissant l’argument désormais bien connu selon lequel le chiffre d’affaires annuel d’Areva équivaut à quatre fois le budget annuel du Niger – quelque 9 milliards d’euros contre 2  milliards (selon le rapport d’Oxfam).

En janvier, un certain nombre de rassemblements organisés par le Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (Rotab) ont été interdits à Niamey et à Agadez par le pouvoir, qui a invoqué des risques pour la

sécurité publique. Cela n’a pas empêché la presse et les radios locales de multiplier les éditoriaux sur les modalités du code minier nigérien de 2006, qui prévoit des royalties d’au moins 12 % sur les produits de l’extraction minière. Bien qu’Areva n’ait jamais rendu publics les contrats signés lors du lancement de la production, au début des années 1970, le groupe n’en paierait que 5,5 % environ, selon des sources du ministère nigérien des Mines, sans compter un certain nombre d’allégements fiscaux. Areva a soutenu par le passé que l’extraction des ressources naturelles du Niger ne serait plus rentable en cas de relèvement du montant des royalties.

Réveil. Comme l’attestent les panneaux publicitaires du Rotab, le pays produit de l’uranium depuis plus de quarante ans et le groupe Areva, largement tributaire du Niger (son deuxième fournisseur en volume), a tranquillement poursuivi ses activités en dépit des nombreux troubles qui ont frappé le pays, dont quatre coups d’Etat et l’enlèvement de sept de ses collaborateurs par des groupes liés à Al-Qaida au Maghreb islamique en 2010.

“Les Nigériens regardent autour d’eux et se demandent pourquoi il y a tant de pauvreté”, confie Solli Ramatou, coordinatrice du Groupe de réflexion et d’action sur les industries extractives au Niger (Gren). “Ils commencent à remettre en question le fait que le Niger fournisse de l’électricité à un autre pays, alors que la plupart

des Nigériens n’ont même pas l’électricité.” Il semblerait que la campagne de sensibilisation sur la transparence ait touché une corde sensible de l’opinion, alors que de nouvelles sociétés étrangères arrivent au Niger depuis quelques années pour en exploiter les ressources naturelles ; les gens font le lien entre les promesses d’enrichissement liées à la production de pétrole, de charbon, d’or, d’étain et d’uranium, et l’absence manifeste de toute amélioration dans leur vie quotidienne.

La modeste industrie pétrolière du Niger en est une bonne illustration. Fin 2012, la China National Petroleum Corporation (CNPC) a démarré l’exploitation de

la concession pétrolière d’Agadem, dans l’est du pays, une région désertique et reculée. Le groupe produit à l’heure actuelle près de 20 000 barils/jour, envoyés en totalité à la raffinerie de la Société de raffinage nigérienne de Zinder (Soraz), où ils sont transformés en produits pétroliers destinés au marché local. Mais le seul avantage qu’en espéraient les Zindérois – une baisse des prix à la pompe – ne s’est pas matérialisé. “La souveraineté sur nos ressources est la condition de notre sécurité d’approvisionnement en carburant”, déclare Sadat Ilya, de l’ONG Mouvement pour la promotion de la citoyenneté responsable, à Zinder.

Transparence. Les querelles sur les prix du carburant sont complexes et gagnent en férocité, mais elles tournent pour l’essentiel autour du crédit souscrit auprès de la banque chinoise Exim pour la construction de la raffinerie de la Soraz, dont le remboursement se répercute sur les prix à la pompe. Avant l’arrivée du Niger dans le club des producteurs de pétrole, l’Etat prenait en charge une partie du prix des carburants. Beaucoup de Zindérois s’y étaient accoutumés et estiment que

cette politique d e v r a i t c o n t i n u e r .

Pour ajouter à la complexité du dossier,

la contrebande est endémique : le pétrole raffiné de la Soraz est acheté “pour l’exportation”, envoyé en franchise d’impôts au Nigeria voisin, puis réimporté et revendu par des vendeurs à la sauvette à environ 150 francs CFA [0,22 euro] de moins le litre que le carburant officiel vendu en station-service. “A quoi sert-il de se lancer dans la production de pétrole si c’est pour voir grimper les prix à la pompe ?” demande Sadat Ilya, illustrant un sentiment de frustration répandu chez les Zindérois depuis l’implantation du site de production devant leur porte.

La réalité est pourtant que, malgré la frustration suscitée par des accords jugés injustes, les industries extractives ne peuvent pas faire grand-chose pour sortir le Niger d’une pauvreté et d’un sous-développement généralisés. Selon le rapport 2011 de l’Itie, la production totale de ressources naturelles – pétrole et uranium compris – ne représente que 5 % environ du budget annuel du pays, alors que l’aide étrangère et l’agriculture réunies en représentent près de 95 %.

Cer ta ins veu lent rester optimistes et croire que l’accord d’A reva sera favorable au gouvernement. Les négociations

Niger. Uranium : le bras de fer avec Areva

afrique

Litige1968 : la belle époque de la Françafrique. Le géant du nucléaire français, Areva, négocie “un traitement spécial sur la base d’un accord de partenariat entre la France et le Niger”. Un partenariat qui a toujours dicté la gestion du secteur de l’uranium au Niger. “Pendant près d’un demi-siècle, ce pays a pratiquement donné son uranium”, écrit l’expert Ibrahima Aïdara dans un article très documenté sur African Arguments.1993 : le Niger se dote de son premier code minier. “L’Etat a mis en place un régime fiscal

déséquilibré, mais avec des avantages substantiels aux privés, exemptés de taxes pendant la période d’exploration initiale et le processus d’extraction réelle”, explique l’expert. Conséquence : plus de 160 licences d’exploration et d’exploitation ont depuis été accordées. Et aujourd’hui, la ruée croissante sur l’uranium nigérien constitue une menace grave pour les activités agropastorales du pays – un secteur dont dépendent la plupart des Nigériens.2006 : le Niger révise son code minier et met en œuvre une

nouvelle série d’obligations fiscales et environnementales pour l’ensemble de ses activités minières. Désormais, il exige qu’Areva les respecte. Fin de l’exception. L’entreprise française déclare que cela signifie la faillite pour elle. “Il est clair que le taux actuel de redevance de 5,5 % est bien inférieur aux normes habituelles. Il devrait tourner autour de 15 à 20 %. Par exemple, au Canada et au Kazakhstan, où Areva produit l’uranium, les taux de redevance sont respectivement de 13 % et 18,5 %”, indique l’auteur de l’article.

Page 21: Courrier 20140306 courrier full

OPINION

AFRIQUE.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 21

CHRISTINE OCKRENT ET LES MEILLEURS EXPERTS NOUS RACONTENT LE MONDE

CHAQUE SAMEDI, 12H45-13H30 franceculture.fr

en partenariat avec

alors que le patron de la DGST se trouvait à Paris pour une réunion au plus haut niveau des responsables de l’Intérieur marocain, espagnol, portugais et français. Certes, l’in-dépendance du pouvoir judiciaire français ne saurait être mise en cause, mais la procédure suivie dans cette aff aire, motivée par le dépôt d’une plainte pour “torture” émanant d’une sombre ONG, l’Acat [Action des chrétiens pour l’aboli-tion de la torture], proche du Front Polisario [Mouvement indépendantiste opérant dans le sud du Maroc] et des services algériens, a incontestablement scan-dalisé tous les Marocains.L’annonce du gel des conventions bilatérales est, au-delà de son aspect spectaculaire, logique et nécessaire parce que Rabat n’a d’autre moyen de sen-sibiliser les responsables hexago-naux, qu’ils soient politiques ou du troisième pouvoir, au respect des conventions signées entre deux Etats souverains.

Manifestement, la justice fran-çaise, sans doute par le biais d’un “petit juge” proche de l’Acat, n’a pas jugé utile de se conformer à l’esprit et à la lettre de textes régis-sant les procédures judiciaires entre le royaume du Maroc et la République française.

Mustapha Ramid a donc été logique en procédant à la suspen-sion de ces conventions. Si elles ne sont ni appliquées ni respec-tées, à quoi serviraient-elles donc ? Cette procédure, au demeurant, pourrait s’avérer préjudiciable tant aux Marocains résidant en France qu’aux Français installés au Maroc, ainsi qu’aux dizaines de couples dont les régimes matrimo-niaux s’inspirent du droit maro-cain ou français.

De même, le rappel du magistrat de liaison marocain à Paris, qui devrait entraîner la réciproque pour son homologue français à Rabat, aura d’importantes conséquences pour la coordination des aff aires de justice pendantes concernant des ressortissants de l’un et l’autre pays. Voilà où mènent la manipulation et

SOURCE

AFRICAN ARGUMENTSLondres, Grande-Bretagneafricanarguments.orgAfrican Arguments est aujourd’hui l’une des plus riches plateformes d’analyse et de débat consacrée à l’Afrique. Installée à Londres, cette revue en ligne est éditée par la Royal African Society, fondation britannique qui promeut le continent africain dans les cercles politiques, économiques et culturels. Le site a été lancé en 2007 pour répondre, selon ses fondateurs, à la baisse de qualité de la couverture médiatique de l’Afrique. Il publie quotidiennement de longs articles sur des sujets ou des pays souvent ignorés ou mal compris de la presse occidentale.

—La Nouvelle Tribune Casablanca

Pacta sunt servanda”, cet adage latin signifi e que les traités doivent être res-

pectés, c’est-à-dire appliqués ! La suspension des conventions bilaté-rales en matière judiciaire entre la France et le Maroc, annoncée par le département de Mustapha Ramid [ministère de la Justice], sera sans doute perçue comme une aggrava-tion de la crise qui s’est installée entre Rabat et Paris. On sait que

les autorités du royaume, mais aussi l’opinion publique nationale, ont été fortement choquées par la procédure particulièrement cava-lière et irrespectueuse des règles et usages diplomatiques qu’a consti-tuée la présentation par des poli-ciers français d’une convocation adressée par un juge français à M. Abdellatif Hammouchi, direc-teur de la Direction générale de la surveillance du territoire [DGST].

Cette démarche insultante a eu lieu dans la résidence même de l’am-bassadeur du royaume en France,

MAROC

Brouille inévitableavec ParisA la suite d’une sombre histoire de procédure judiciaire, Rabat a suspendu les accords de coopération judiciaire avec Paris, et pris le risque d’une rupture aux conséquences désastreuses pour les deux alliés.

SOURCE

LA NOUVELLE TRIBUNECasablanca, MarocHebdomadaire, 20 000 ex.www.lnt.ma/Fondé en novembre 1995 par Fahd Yata, le titre affi rme son indépendance à l’égard de tout mouvement politique, bien que son fondateur soit le fi ls de feu Ali Yata, secrétaire général du Parti communiste marocain et du Parti du progrès et du socialisme. Le site reprend le contenu du journal. Il est clair et la navigation est facile.

les basses manœuvres d’offi cines françaises au service de l’Algérie, et dont les démarches et initiatives aussi scandaleuses que déplacées sont relayées par des magistrats peu soucieux des intérêts supé-rieurs de la France !

On espère que la décision du ministre de la Justice marocain sera comprise dans toute sa dimension par Mme Taubira et ses services.Aux diplomates, juristes et experts des deux pays de se mettre donc

rapidement au travail pour corriger des textes lacunaires afin que de tels “incidents”, attenta-toires à la dignité de l’Etat marocain et en violation des conventions bilaté-

rales, ne se reproduisent plus. Nul doute que le gouvernement fran-çais, l’Elysée et toutes les parties prenantes de cette aff aire auront parfaitement perçu le sens de la démarche du royaume. Quand un préjudice est commis, les paroles d’apaisement et les serments d’ami-tié ne suffi sent pas. Seuls les actes comptent.

—Fahd YataPublié le 27 février

ont commencé il y a maintenant plus de quatre mois et le Niger est resté inflexible, malgré la fermeture des sites de production d’Areva (officiellement pour entretien). Il est peu probable qu’Areva quitte le Niger après avoir investi pendant des années dans la création de ce qui deviendra l’une des plus grandes mines d’uranium au monde, celle d’Imouraren, dont l’exploitation devrait débuter en 2015. Cette mine fera du Niger le deuxième producteur mondial d’uranium.

Pour Mahaman Laouan Gaya, secrétaire général du ministère nigérien des Mines, il n’y aura plus de retour en arrière possible : “Ce qui se passe aujourd’hui autour de ces négociations sur l’uranium va permettre de renforcer la transparence de tous les accords à venir avec les entreprises de l’industr ie extract ive. Nous avons joué la transparence dans l’élaboration des contrats pétroliers et, aujourd’hui, tout le monde attend de voir si nous pouvons décrocher un meilleur accord sur l’uranium.”

—Celeste HicksPublié le 27 février

↙ Dessin d’Eva Vázquez paru dans El País, Madrid.

Page 22: Courrier 20140306 courrier full

OPINION

22. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Chine.Xinjiang : Pékin doit se remettre en questionL’attaque à l’arme blanche qui a fait29 morts dans la gare de Kunming, imputée aux Ouïgours, est un crime impardonnable. Il n’empêche : les autorités doivent revoir leur politique.

Feng Chuanmei Taipei

Sur les dossiers du Xinjiang et du Tibet, l’ancienne ré publique de Chine avait

une politique beaucoup plus intel-ligente que la République popu-laire d’aujourd’hui. Par la rigidité de leurs positions dans cette der-nière région et au Tibet, les auto-rités communistes ont essuyé un échec sur toute la ligne. Leur pire fi asco concerne leur tentative d’étouff er tout ce qui touche au Tibet ou au Xinjiang, en refusant le moindre débat ou critique à ce sujet. Il leur faut revoir de fond en comble leur politique afi n de l’ajuster. Il convient de demander des comptes aux responsables chargés de ces dossiers. Cela ne doit pas être un problème.

Cependant, il apparaît bien dif-fi cile d’affi cher de la sympathie pour les auteurs de la tragédie sanglante de Kunming sous pré-texte que celle-ci serait l’expres-sion directe d’une résistance à la répression. Nous ne savons pas ce qui s’est réellement passé. Prendre position sans connaître la vérité ne serait-il pas préma-turé ou trop idéolo-gique ? Les problèmes du Xinjiang ne sont pas ceux de la Chine centrale ni ceux du Tibet ; ils sont assurément à replacer dans un contexte international com-plexe. La région est soumise à une oppression de longue date et tous azimuts [contre l’expres-sion d’une spécifi cité ethnique et religieuse], mais, même compte tenu de cela, il n’existe qu’un lien probable et non certain de cause à eff et entre cette oppression et l’attentat de Kunming.

Complexité. Transformer des probabilités en certitudes avant même de connaître la vérité ne peut qu’amplifi er les erreurs. Cela fait penser à la question syrienne. Il ne fait aucun doute que la lutte contre la répression et contre la dictature est à l’origine de la rébel-lion dans ce pays, et c’est ce qui a poussé la communauté internatio-nale à apporter au départ son sou-tien inconditionnel aux troupes rebelles. Cependant, par la suite, la situation au sein de l’opposi-tion armée est devenue compli-quée, l’ombre du djihad s’est mise à planer sur elle et l’attitude de la communauté internationale a changé, c’en a été fi ni du sou-tien inconditionnel. Aujourd’hui,

asiela situation au Xinjiang n’est pas sans similitude avec celle de la Syrie, mais la lutte contre l’op-pression n’explique pas tout.

Quelles que soient les causes du drame, les autorités peuvent diffi cilement se soustraire à leurs responsabilités au Xinjiang. Avant que la situation n’y prenne une tournure très compliquée [avec l’apparition d’affrontements violents ces dernières années], la région avait connu plus de soixante années de paix rela-tive. On peut se demander si cette période n’a pas été gaspillée par le gouvernement. La violence et la répression sans considé-ration pour le sentiment et les croyances populaires [la reli-gion musulmane] sont à l’origine de cet échec. Tout cela doit être regardé en face et être critiqué.

Responsabilités. Cependant, les attaques terroristes n’en sont pas pour autant recevables. On ne peut pas se contenter de dénon-cer le mal produit par un régime

en considérant tout autre mal comme légi-time, digne de compas-sion, même dans le cas de massacre organisé d’innocents comme celui de Kunming. Le meurtre organisé d’innocents

constitue toujours une attaque terroriste, un crime impardon-nable. Les motifs ne sont pas des raisons ! Aucun motif ne peut excuser une attaque terroriste. Quelle que soit la réalité des faits, le massacre de Kunming sera le 11 septembre de la Chine, et ma réaction face à ces événements est la même que lors des atten-tats du 11 septembre aux Etats-Unis : je condamne sans aucune circonstance atténuante cette attaque terroriste et je rends hom-mage aux défunts.

Mais cela n’est pas suffi sant. Si les motifs ne sont pas des raisons, il est quand même indispensable de les tirer au clair et de faire toute la vérité sur cette aff aire pour éviter de nouvelles tragédies. Si une sympathie aveugle pour les attentats terroristes peut favo-riser le développement du terro-risme en instillant ce poison dans le cœur des gens, museler tous les débats et les critiques, refu-ser de se remettre en question et d’ajuster sa politique sous pré-texte de condamner fermement de tels actes est le mal par excel-lence d’un régime. Cela fait le lit de l’intégrisme et du terrorisme,

et on peut même dire que cela constitue en soi un acte terro-riste. Il s’agit dans les deux cas de forces extrémistes, miroir l’une de l’autre.

En d’autres termes, il n’y a pas d’incompatibilité entre une condamnation totale de ces évé-nements et la remise en question qu’ils doivent déclencher. L’une ne doit même pas prendre le pas sur l’autre. Non seulement le gou-vernement doit se livrer à une introspection, mais toute la popu-lation également, en particulier le monde intellectuel, dont moi-même. Quand tant de drames se produisent dans des régions peu-plées de minorités nationales, quand les voix posées du dalaï-lama et d’Ilham Tohti [intellec-tuel ouïgour récemment arrêté et accusé fi n février de séparatisme] sont étouff ées sans pitié, que fai-sons-nous et que disons-nous ? Moi personnellement, qu’ai-je fait et qu’ai-je dit ? N’aurions-nous pas par hasard notre part de responsabilité dans le drame d’aujourd’hui ?

Tout en condamnant les atta-ques terroristes, il nous faut persister à réclamer la vérité, la transparence, la possibilité de discuter librement, il nous faut persister à critiquer et à deman-der des comptes. Ce doit être le premier pas vers une remise en question de l’ensemble de la popu-lation et notamment des milieux intellectuels.

—Xiao ShuPublié le 2 mars

L’auteur

XIAO SHUest l’un des journalistes et commentateurs chinoisles plus réputés. Longtemps éditorialiste de l’hebdomadaire libéral Nanfang Zhoumo, il a été limogé de ce poste en 2011. Résidant toujoursen Chine, il a été contraint de quitter Pékin en 2013 à cause de son soutien public au militant du Mouvement des citoyens Xu Zhiyong, condamné récemment à quatre ans de prison. Xiao Shu contribue depuis à de nombreux médias en chinois publiés hors de Chine, comme l’article ci-contre, publié dans le nouveau webzine taïwanais Feng Chuanmei.

↙ Dessin de Magee, Royaume-Uni.

Page 23: Courrier 20140306 courrier full

www.rivagesdumonde.fr29, rue des Pyramides • 75001 PARIS • E-mail : [email protected]

tél.: 01 58 36 08 36

Créd

itph

oto

:Vee

r •IM

0751

0009

9-G

aran

tieA

PS

Mes coordonnées Mme❒ M.❒

Nom :

Prénom :

Adresse :

Code postal :

Ville :

Pays :

Téléphone :

Courriel :

CR

DA

N06

0314

Coupon à retourner à Rivages du Monde : 29, rue des Pyramides - 75001 Paris

✁❒ OUI, Je souhaite recevoir le programme complet :« Au fil du Danube »

DÉPARTS MAI, JUIN, SEPTEMBRE 2014

CroisièresDANUBE

Munich, Vienne, Bratislava, Budapest,Belgrade, Les Portes de Fer, Bucarest

CROISIÈRES | 12 jours - 11 nuits

La traversée de 8 pays sur le Fleuve Capital.

Le M/S AROSA, le bateau du bien-êtreDécouvrez une nouvelle façon de voyager et alliez détente et décou-verte à bord d’un bateau exceptionnel qui dispose d’un véritable espacede bien-être : Spa, saunas, salle de gymnastique, fitness, massages…Avec ses larges baies vitrées, cet élégant bateau vous transporte au plusprès du fleuve. Un très riche programme d’escales ainsi que de nom-breuses excursions optionnelles vous permettront d’appréhender etd’admirer cet incroyable chassé-croisé de cultures qui allait inventer lamodernité à l’aube du XXesiècle.

Page 24: Courrier 20140306 courrier full

ASIE24. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Manille

Route suivie par le typhon Haiyan (Yolanda) le 8 novembre 2013

Luzon

V I Z A Y A S

Leyte

Samar

CebuNegros

Panay

Palawan

Mindanao

300 km

SOU

RCE

: OC

HA

Tacloban

Mer de Sulu

PHILIPPINES

MA.

ont jonché la ville pendant des semaines. Mme Magdusa évoque avec un frisson d’horreur la puan-teur des chairs en décomposition qui, avec les vapeurs de pétrole, imprégnait l’air à l’intérieur de la drague, la chaleur étouff ante et les moustiques qui les dévoraient chaque nuit.

C’est ainsi qu’elle a vécu, jusqu’au jour où des travailleurs huma-nitaires, craignant que les deux réchauds à gaz utilisés dans l’abri ne provoquent un incendie, ont fait évacuer les occupants pour les reloger sous des tentes.

Par une journée suffocante de décembre, ils ont donc quitté l’épave rouillée, traînant derrière eux leurs maigres possessions : deux chiens, deux guitares cas-sées rafi stolées au ruban adhé-sif et deux bouteilles de bourbon à moitié pleines. Après avoir été balayée par Yolanda, la ville de 220 000 habitants a essuyé trois autres tempêtes. Faute d’un refuge digne de ce nom, Mme Magdusa et ses compagnons d’infortune ont à chaque fois été réduits à retourner s’abriter dans la coque du navire. L’association caritative britannique

—Philippine Daily Inquirer (extraits) Manille

De Tacloban City (Philippines)

Gina Amador-Magdusa a cru vivre le pire épisode de L’Enfer de Dante lorsque,

il y a trois mois jour pour jour [le 8 novembre dernier], le superty-phon Yolanda [également appelé Haiyan] a soulevé une drague ancrée dans le port de Tacloban et l’a projetée sur le bidonville où elle habitait avec sa famille.

Pendant trente-deux jours, la rescapée de 34 ans a trouvé refuge dans la coque rouillée avec son mari et ses 4 enfants, ainsi que 190 autres membres de 35 familles dont les maisons avaient été écra-sées dans le sillage du navire qui s’était abattu sur le barangay [quartier] 75.

Une trentaine d’habitants du quartier ont perdu la vie, ce qui ne représente qu’une petite frac-tion des quelque 6 200 victimes du plus violent cyclone qui ait jamais frappé le centre de l’archi-pel, soulevant des ondes de tempête aussi puissantes que des tsuna-mis. Des cadavres en putréfaction

PHILIPPINES

Après le cyclone, une reconstruction précairePlus de trois mois après le passage de Haiyan, Tacloban, la ville détruite par le violent cyclone, peine à se reconstruire. L’incurie du gouvernement est pointée du doigt.

Oxfam décrit cette situation tra-gique comme “un désastre qui n’a fait qu’ajouter à des conditions déjà catastrophiques”.

Vents de 315 km/h. “Nous avions peur que de nouvelles vagues déferlent et que des vents puissants se lèvent”, confie une femme qui lave des vêtements devant la cabane que son mari a construite à un jet de pierre de la drague de fabrication japonaise. C’est une crainte récur-rente dans les quartiers de squat-ters qui bordent les eaux d’un bleu éclatant du golfe de Leyte, et plus encore dans les barangays 88, 89 et 50, les plus sévèrement touchés et peuplés essentiellement d’ouvriers et de pêcheurs. La zone, qui était autrefois une plage paradisiaque de bars karaoké, de buvettes où la bière coulait à fl ots et d’aires de barbecue, a été entièrement rasée par le typhon.Mais, depuis que, début dé cem-bre, le Haut-Commissariat des

Nations unies pour les réfugiés (HCR) a distribué des milliers de tentes, l’endroit ressemble à un camp de réfugiés tel que l’on peut en voir aux fron-tières des pays ravagés par

les guerres civiles. Près des tentes se dressent des cabanes faites de matériaux récupérés dans les décombres. Quelques-unes sont recouvertes d’un toit étin-celant de tôle ondulée fl ambant neuve, qui a soit été fourni par des ONG, soit été achetée grâce aux programmes “travail contre rému-nération”, gérés par une fondation taïwanaise et d’autres agences pri-vées. Les enfants, traumatisés par des vents féroces qui atteignaient parfois les 315 km/h, et des vagues aussi hautes que des cocotiers, ont depuis recommencé à jouer sur les plages.

Hormis ces initiatives, on ne constate encore que très peu de signes de reprise dans cette région qui, il y a peu encore, était le cœur économique des Visayas occiden-tales [îles du centre de l’archi-pel philippin]. Dans l’ensemble, Tacloban reste une cité lugubre et désolée, où la plupart des quar-tiers ne sont toujours pas éclai-rés la nuit.

La phase d’urgence de l’aide aux victimes du typhon Yolanda, qui a déraciné 16 millions de gens et fait 4 millions de sans-abri, s’achève. C’est désormais la phase de réha-bilitation et de reprise engagée par le gouvernement qui alimente les commentaires et les polémiques. Le programme de reconstruction des infrastructures et de construction de logements en dur devrait être coordonné par l’ex-sénateur Panfi lo Lacson, nommé le 10 décembre der-nier conseiller du président pour la supervision des opérations. Or, trois mois plus tard, le seul signe ou presque attestant l’intervention des pouvoirs publics sur le front du logement se limite à des bara-quements, présentés comme des centres d’hébergement provisoires. Ce qui revient à dire qu’avant d’être défi nitivement relogés les sinistrés devront attendre que soient démê-lées toutes les questions de fond, comme la loi d’urbanisme établis-sant sur le littoral une zone tampon non constructible, le choix de ter-rains de substitution et les titres de propriété des terres.

Baraquements défaillants. Au moins deux cent vingt baraque-ments devaient être prêts avant Noël 2013. La plupart sont restés vides après que des associations affiliées à l’ONU ont fait valoir qu’ils n’étaient pas aux normes – défaillances confi rmées par le gouvernement. Le sénateur Lacson a en revanche démenti les allé-gations de corruption et averti qu’il prendrait des mesures draco-niennes contre quiconque détour-nerait à son profi t les milliards de pesos alloués au programme de reconstruction.

L’un des sites de réinstallation a commencé à sortir de terre sur un terrain de 70 hectares à 25 kilo-mètres des villages de pêcheurs, auquel on ne peut accéder qu’en changeant trois fois d’autobus. Les chefs de barangay ont annoncé la nouvelle aux éventuels béné-ficiaires, qui, pour la plupart, vivent de la pêche. Beaucoup ont compris que, s’ils devaient aller habiter dans ce quartier, cela les obligerait à dépenser 50 pesos [0,80 euro] par jour en trans-ports, avant même de pouvoir jeter leurs fi lets.

Mme Magdusa, la rescapée de Yolanda et de L’Enfer de Dante, se verrait bien dans une maison assez éloignée de la mer, mais pour l’heure rien n’est encore fait. Son mari a trouvé un petit boulot pro-visoire dans l’usine Coca-Cola des

environs, et il ramène 250 pesos [4 euros] par jour, une fortune dans cette région où il n’y a que très peu de travail, où l’infl ation a atteint 40 % et où la population survit grâce à des rations alimen-taires fournies essentiellement par des associations caritatives.

“Si nous sommes en sécurité là-bas, pourquoi ne pas y aller ? concède-t-elle. Mais pour l’instant tout est en suspens. De tout ce qu’on nous a promis, il n’y a toujours rien de certain.”

—Fernando del MundoPublié le 8 février

SOURCE

PHILIPPINE DAILY INQUIRERManille, PhilippinesQuotidien, 250 000 ex.www.inquirer.netCréé en décembre 1985, dans les derniers jours du régime Marcos, le PDI, très attaché à son indépendance rédactionnelle, est le premier quotidien du pays. Son site est très riche ; il comprend de nombreux liens, des archives complètes sur les six derniers mois, ainsi que des articles exclusivement rédigés pour le web. Il est mis à jour aussi souvent que l’actualité l’exige.

Contexte

↙ La solution pansement ? Victimes du typhon et du temblement de terre.Dessin de Miel paru dans The Straits Times, Singapour.

Des logements de pêcheurs reconstruits à 25 km de la côte

Page 25: Courrier 20140306 courrier full

ENQUÊTE

Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 25

amériques— El Faro (extraits) San Salvador

En février 2007, environ 300 personnes ont disparu d’Altar. Tous des migrants

– mexicains et centraméricains – rassemblés dans ce village de l’Etat de Sonora, limitrophe de l’Arizona, dans le but de trouver une petite brèche par laquelle se glisser vers les Etats-Unis. Altar se trouve à 100 kilomètres de la fron-tière. Les migrants y acquièrent de quoi aff ronter le désert, qui peut aussi bien être brûlant que glacé. Après s’être fourni en bon-nets, vestes, gants et chapeaux, ceux qui vont aff ronter le désert parcourent les 100 kilomètres de chemins de terre entre Altar et le hameau d’El Sásabe, pour ensuite se déplacer le long de la frontière et trouver où la franchir.

J ’é t a i s à A lt a r lor sque l’enlèvement a eu lieu. Lorsque j’ai demandé aux chauffeurs de taxi et aux conducteurs de camionnettes pourquoi tant d’acharnement, p o u r q u o i u n e n lè v e me nt s a n s demander de rançon, leur réponse a été simple et unanime : les narcos avaient l’intention d’envoyer des burreros [passeurs de drogue] vers la frontière et ne voulaient pas que des migrants risquent de donner l’éveil en rôdant dans les parages.

Les burreros, des adolescents pour la plupart, portent sur leur dos 20 kilos de marijuana et se lancent dans le désert, guidés par un passeur et un homme de confi ance du chef mafi eux local. Ils marchent deux nuits durant dans le désert d’Arizona jusqu’au premier relais américain, dans la réserve des Indiens Tohonos, un territoire autonome à l’intérieur des Etats-Unis. Quand un narcotrafi quant a l’intention de passer un bon chargement de marijuana, il ne veut pas croiser de migrants. Ceux-ci attirent l’attention de la police des frontières américaine et les trafiquants essuient des pertes. Les narcos n’aiment pas les pertes.

A Altar, cette “entreprise” que nous désignons sous ces cinq lettres omniprésentes, N-A-R-C-O, s’appelle le cartel de Sinaloa. L’un de ses principaux dirigeants a pour nom Joaquín Guzmán Loera, surnommé El Chapo [le Petit]. Il vient d’être capturé au Mexique [le 22 février, voir CI

n° 1217, du 27 février 2014]. En février 2007, son entreprise a enlevé 300 migrants et on a su que seulement 180 d’entre eux avaient été libérés – le curé du village, Prisciliano Peraza, ayant eu le courage d’aller demander leur libération. Le cartel a très probablement massacré les 120 personnes restantes.

Depuis, je suis retourné cinq fois à Altar, et j’ai appris davantage de choses. Le cartel de Sinaloa, dirigé dans cette région par un homme surnommé le Faucon ou l’Epervier, facturait aux migrants 700 pesos (50 dollars) pour les laisser monter à bord de la camionnette qui les emmenait à El Sásabe. A Altar, une trentaine de camionnettes effectuaient quotidiennement deux voyages jusque-là. Dans chaque camionnette, on entassait 20 migrants. Ce qui veut dire que, pour chaque voyage, l’entreprise d’El Chapo Guzmán facturait environ 1 000 dollars, soit 2 000 dollars quotidiens par camionnette.

Les mig ra nts qu i transitaient par Altar –  et qui continuent cer ta inement à y transiter –, rapportaient donc en une seule j o u r n é e q u e l q u e 60  000  dol lars à

l’entreprise d’El Chapo. Ou, pour les sceptiques, et en comptant un seul voyage quotidien par camionnette, l’entreprise du chef mafi eux gagnait au moins 30 000 dollars par jour ne serait-ce que sur ce village frontalier de près de 8 000 habitants.

Cette ponction était eff ectuée par des hommes en passe-montagne qui s’approchaient en plein jour de chaque camionnette pour lui donner le feu vert avant le départ. Face à l’église, sur la place du village, les passe-montagnes vérifi aient que chaque camionnette comptait 20 migrants, prélevaient leur dîme et donnaient au conducteur un petit papier avec un mot-clé, au cas où il serait arrêté sur le chemin de terre par l’un des hommes de la mafi a.

Grâce à u n système de corruption bien rodé, le cartel de Sinaloa a pu se livrer au trafi c de drogue dans une relative discrétion sur les zones frontalières qu’il contrôlait. Mais quand il s’agissait de migrants, le délit était commis en public, sans stratégie ni pudeur.

On pourrait croire que ces milliers de dollars touchés à Altar représentaient une misère pour une entreprise ayant à sa tête un homme dont la fortune est estimée à plus de 1 milliard de dollars [classé 701e

↓ Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.

fortune mondiale en 2009 selon la revue Forbes]. Mais cette source de revenus relativement modeste ne concernait pas qu’Altar. Le cartel de Sinaloa rançonnait aussi les migrants à Mexicali, Algodones, Nogales, Sonoíta, Naco, Agua Prieta, comme j’ai pu le constater en me rendant sur place. Et la liste des localités ne s’arrête sans doute pas là. Quand on évoque les migrants centraméricains qui traversent le Mexique, quand on parle d’enlèvements, d’assassinats, de fosses clandestines, du massacre de 72 personnes au Tamaulipas, de prostitution dans des bordels puants de Reynosa, le premier nom qui vient à l’esprit est celui des Zetas [cartel créé à la fi n des années 1990 par d’ex-militaires, réputé le plus sanguinaire du Mexique]. Cette mafi a barbare qui dépèce et enlève massivement sous le soleil de midi, en plein centre des villages, éclipse les autres mafi as par sa cruauté.

Quant à El Chapo, le narco-trafi quant qu’on vient d’arrêter au Mexique, il était à la tête d’une mafi a qui tous les jours pourrit la vie de milliers de sans-papiers. Une mafi a qui, en février 2007, a fait disparaître quelque 120 migrants mexicains et centraméricains, une mafi a qui prélève 50 dollars par voyage à celui qui s’exile pour tenter de gagner sa vie. Une mafi a qui, pour se livrer à cette activité, a besoin que les autorités municipales et de l’Etat ferment les yeux. El Chapo devra répondre de tels actes, même si pour le moment il semble que personne n’ait l’intention de l’interroger sur ce sujet. Car trop souvent, les migrants ne pèsent pas lourd dans la balance.

—Oscar Martínez*Publié le 26 février

* Auteur du livre Los migrantes que no importan [Les migrants qui ne comptent pas], Icaria, Mexico, 2013.

SOURCE

EL FAROSan Salvador, Salvadorwww.elfaro.net“Le Phare” est un site d’information pluraliste fondé en 1998. L’excellence de ses enquêtes de terrain constitue une référence. Les principales signatures de la presse d’Amérique centrale et d’Amérique latine y collaborent.

Mexique.El Chapo, narco et… trafiquant de migrantsJoaquín Guzmán Loera, dit “El Chapo”, arrêté récemment, ne trafi quait pas que de la drogue. Son entreprise rançonnait aussi des clandestins pour leur passage vers les Etats-Unis.

Page 26: Courrier 20140306 courrier full

rencontre

AMÉrIQUeS26. courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Son but est de fournir des services “com-plets” aux entreprises spécialisées dans “les infrastructures massives, l’extraction massive et l’énergie”. Sa société va d’abord former une flotte aérienne panafricaine, puis s’étendre au transport fluvial, routier et maritime et s’attaquer à “des chantiers dans des zones isolées” pour assurer un trans-port fiable. Une entreprise chinoise, russe, américaine ou autre peut bien détenir “un gisement d’hydrocarbures ou de minerai très riche, ce qu’elle en tire ne vaut rien si elle ne peut pas l’acheminer là où il y a des gens prêts à payer”. Dans une note destinée à ses inves-tisseurs, il explique qu’avec les infrastruc-tures de transport actuelles “il revient plus cher d’envoyer une tonne de blé de Mombasa, au Kenya, à Kampala, en Ouganda, que de Chicago à Mombasa”.

Hommes armés. Ces coûts élevés s’ex-pliquent également par les dangers que représentent les pirates et les conflits locaux, mais Prince minimise le rôle de sa société dans le domaine de la sécurité : “Nous ne sommes pas là pour fournir un entraînement militaire. Nous ne sommes pas là pour offrir des services de sécurité à proprement parler. Cette sécurité [par exemple, si un oléoduc ou une mine doivent être protégés] sera principa-lement assurée par les acteurs locaux”, dont la police et des sociétés privées. “Nous n’envi-sageons pas d’implanter des services de sécu-rité privés sur tout le continent.”

L’ancien patron de Blackwater n’em-ploiera donc pas d’hommes armés ? “Ce sera l’exception, pas la règle”, affirme-t-il. A

l’en croire, toute son attention portera sur “la logistique du fret” et “la gestion d’actifs”. Par exemple, admettons qu’une entreprise veuille construire un barrage : “Comment faites-vous pour livrer une turbine de plusieurs centaines de milliers

de dollars dans un coin isolé de la planète ? En la suspendant à un hélicoptère ? Il y a une multitude de défis passionnants de ce type, et notre but sera de les relever.”

Prince refuse de partager ses prévisions de recettes, mais la plaquette de sa société souligne que “la Chine est le principal par-tenaire commercial de l’Afrique”, avec des échanges représentant 125 milliards de dollars par an. La plupart des estimations portent plutôt ce chiffre aux alentours de 200 milliards de dollars, une hausse fulgu-rante si on compare ce chiffre avec celui de 10 milliards de dollars enregistré en 2000 ou encore avec celui de 1 milliard en 1980. Les Etats-Unis, qui étaient le principal par-tenaire commercial de l’Afrique jusqu’en 2009, enregistrent désormais 100 milliards de dollars par an en échanges avec le conti-nent africain. Selon la Standard Chartered Bank, les transactions entre la Chine et l’Afrique pourraient se chiffrer à 385 mil-liards de dollars d’ici à 2015.

“Depuis une quinzaine d’années, les Etats-Unis font une fixation sur le terrorisme,

dollars à dépenser en routes, en voies ferrées et en aéroports d’ici 2025 – et Erik Prince entend être au cœur de l’action.

Avec une cotation en Bourse à Hong Kong, Citic comme deuxième actionnaire prin-cipal (15 % des parts) et des pointures du conglomérat chinois siégeant à son conseil d’administration, Frontier Services Group est à des années-lumière des liens entre Blackwater et la CIA et des 2 milliards de dollars de contrats versés à la société de sécurité privée par le gouvernement améri-cain. Un vrai soulagement pour Prince. “Je préfère me colleter avec les aléas des affaires en Afrique que de me demander ce que Washington va encore faire aux entrepreneurs”, affirme ce quadragénaire à la brosse toute militaire.

Après avoir créé en 1997 en Caroline du Nord un centre d’entraînement pour l’ar-mée et la police américaines, il n’a cessé de “dire oui pour répondre à la croissance de la demande [en matière de sécurité] – après la tuerie du lycée de Columbine en 1999, l’at-tentat contre le destroyer USS Cole en 2000, puis les attentats du 11 septembre 2001”. Après avoir mené 100 000 missions en Irak et en Afghanistan, poursuit-il, les agents de Blackwater n’ont eu à déplorer la perte d’au-cun officiel américain placé sous leur pro-tection. Mais l’entreprise s’est taillé une réputation de “gâchette facile”, surtout après la fusillade de 2007 sur la place Nisour, à Bagdad, où 17 civils ont trouvé la mort.

A partir de là, poursuit Prince, la société Blackwater a été “prise comme bouc émis-saire par un client lunatique”, à savoir le gouvernement américain et plus parti-culièrement le département d’Etat. Washington a décidé de “retourner toute la bureau-cratie fédérale” et de la lâcher sur Blackwater “comme une meute de chiens enragés”. Des inspecteurs du fisc ont confié à ses collègues qu’ils n’avaient “jamais subi autant de pressions pour coin-cer quelqu’un”. “On sera sur ton dos jusqu’à ce que tu mettes la clé sous la porte”, ont même promis des employés du Congrès.

A la suite de plusieurs poursuites judi-ciaires contre des employés de Blackwater, dont la plupart ont été abandonnées, Prince démissionne de son poste de PDG en 2009 et regrette “de tout cœur d’avoir un jour dit oui à un contrat avec le département d’Etat”.

Ce qui le conduit à Hong Kong et à sa nou-velle société. “Ce n’est pas un geste patriotique : on est là pour monter un business et gagner de l’argent en même temps”, précise-t-il. L’Asie – et surtout la Chine – “a aujourd’hui l’es-prit de frontière, cet esprit de conquête qui s’accompagne de risques inévitables lorsqu’on s’aventure sur des marchés moins sûrs, moins normaux, et qu’il faut trouver un moyen pour que cela fonctionne”. “Les critiques peuvent me jeter toutes les pierres qu’ils veulent”, assure-t-il, avant d’ajouter qu’il a “beaucoup d’ex-périence dans la gestion des aléas en terrain difficile. Tout a été décidé de façon très ration-nelle, il n’y a pas de place pour les sentiments.”

un mercenaire et un profiteur de guerre. Pour ses admirateurs, c’est un patriote qui a répondu plusieurs fois à l’appel de l’Amé-rique avec bravoure et créativité.

Aujourd’hui, assis dans une salle de confé-rences surplombant le port Victoria à Hong Kong, il explique le nouveau titre qui est le sien depuis le mois de janvier : président de Frontier Services Group, une société de sécurité et de logistique opérant en Afrique et étroitement liée au plus grand conglo-mérat chinois, Citic Group, qui appartient à l’Etat. Pékin est prêt à mettre le paquet pour exploiter les ressources de l’Afrique – dont une enveloppe de 1 000 milliards de

—The Wall Street Journal New York

De Hong Kong

erik Prince, ancien des Navy Seals [les forces spéciales de la marine américaine], ancien espion de la

CIA et ancien PDG de la société de sécu-rité privée Blackwater, se définit comme “un touriste malgré lui” dont la modeste entreprise a décollé après les attentats du 11 septembre 2001, s’est étendue à l’Irak et à l’Afghanistan puis a été “torpillée par la politique”. Pour ses contempteurs et les amateurs des théories du complot, c’est

ÉtAtS-UnIS

Erik Prince, mercenaire tout terrainL’ancien PDG de la société de sécurité privée américaine Blackwater travaille désormais pour le compte de Pékin en Afrique.

↙ Dessin de Falco, Cuba.

Page 27: Courrier 20140306 courrier full

AMÉRIQUES.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 27

LeMédecinde FaMiLLe

un film de LUCÍA PUENZO

ALEX BRENDEMÜHL NATALIA OREIRO DIEGO PERETTI

FILMREPRÉSENTANTL’ARGENTINE

OSCARS 2014

MEILLEUR FILMARGENTIN 2013

DISPONIBLE EN DVD ET VOD

Ils vivaientavec l’un des plusgrands criminels

de tous les temps.Ils n’en savaient rien.

un désavantage compétitif à cause de leur gou-vernement. Il est étonnant de voir la quantité de pays qui utilisent leurs ambassades comme des avant-postes commerciaux pour introduire leurs hommes d’affaires sur place. Je pense que les Etats-Unis ont oublié cet aspect-là.”

A ce moment de l’entretien, Prince laisse poindre son amertume, comme un homme qui a été trahi. Ce qu’il a été en 2009, lorsque ses liens avec la CIA ont été étalés au grand jour. Car pendant plusieurs années, alors qu’il dirigeait Blackwater, Prince a utilisé sa fortune personnelle et son expérience pour mettre en place un réseau mondial d’espions qui pistaient les responsables d’Al-Qaida dans des zones difficiles à pénétrer. Des zones où même la CIA ne pouvait pas opérer correctement. Cette activité est restée secrète jusqu’en juin 2009, où le directeur de la CIA de l’époque, Leon Panetta, en a parlé dans une réunion à huis clos avec les membres du Congrès. Quelques semaines plus tard, Prince faisait la une des jour-naux. “J’ai été privé de l’emploi que j’aimais plus que tout autre à cause de fautes graves de la part de la CIA”, écrit-il dans son auto-biographie, Civilian Warriors [Guerriers civils], publiée en novembre 2013. “Il n’y a plus beaucoup d’avantages à être un citoyen américain, ajoute-il, où que vous soyez dans le monde, vous êtes taxés, régulés et on ne vous apporte absolument aucune aide.”

Son conseil à Washington : “Arrêtez de vous suicider.” Les élus du Congrès devraient “se sortir de la tête l’idée qu’ils peuvent impu-nément dépenser l’argent qu’ils n’ont pas. Le gouvernement des Etats-Unis est trop pré-sent dans tous les secteurs. L’heure est venue de réduire son emprise.” Par exemple, en permettant aux Américains d’acheter des ampoules à incandescence ou en limitant la surveillance domestique de la NSA.

A aucun moment il ne relève le paradoxe qu’il y a à tenir ces propos tout en faisant affaire avec une entreprise publique liée au ministère de la sécurité d’Etat de la Chine communiste. “Mais vous savez, l’Amérique peut réagir à tout instant”, dit-il, cherchant à terminer l’entretien sur une note optimiste. “Cela se passe dans les urnes. Les urnes ont encore du poids en Amérique. Mais les élec-teurs doivent prêter attention à ce qui se passe, ils doivent éteindre leur [console de jeux vidéo] Xbox suffisamment longtemps pour le faire. Sinon, ils vont continuer à élire le gouverne-ment qu’ils méritent.”

—David FeithPublié le 24 janvier

continue Prince, et les entreprises améri-caines n’ont dans l’ensemble pas eu d’appétit pour l’Afrique.” Selon la Banque africaine pour le développement, pour chaque contrat signé par les Américains en Afrique en 2010, les Chinois en ont signé vingt. Mais la dis-traction causée par le 11 septembre 2001 suffit-elle à justifier cet écart ?

Une meilleure explication commencerait par la stratégie d’investissement de l’Etat chinois, qui finance d’obscures entreprises publiques pour qu’elles opèrent sur tout le continent africain sans se soucier de détails tels que la transparence financière, la des-truction de l’environnement ou les droits de l’homme. Lorsqu’un tyran comme le Soudanais Omar El-Béchir voit l’Occi-dent lui refuser des fonds pour un barrage gigantesque sur le Nil, la Chine débarque avec un prêt avantageux, quelques entre-prises publiques pour construire le bar-rage et une poignée d’autres demandant des concessions minières ou pétrolières ailleurs dans le pays. La tactique de Pékin a contribué à accélérer la croissance écono-mique de l’Afrique – selon les prévisions du Fonds monétaire international, elle devrait atteindre les 6 % cette année – mais aussi à consolider certains des gouvernements les plus oppressifs du monde.

Prince préfère voir le bon côté des choses : “Valoriser de bons investissements en Afrique est le plus souvent le mieux à faire pour les habitants : cela leur donne un emploi, l’élec-tricité, de l’eau potable, toutes ces choses que nous, Occidentaux, considérons comme nor-males.” Pour lui, c’est le “b.a.-ba du capita-lisme” : “Quand quelqu’un a besoin de cuivre, de bois ou d’autre chose, qu’il investit de l’argent quelque part pour en avoir, que cela crée des emplois, que ce bien est transporté et échangé sur la scène mondiale, c’est le monde entier qui y gagne.”

Le “suicide de Washington”. Au sujet du soutien apporté par la Chine à des pré-sidents à vie comme El-Béchir au Soudan, Gregg Smith, le directeur général de Frontier Services Group, ex-marine et ex-cadre supé-rieur chez Deloitte, explique : “Il y a chaque décennie en Afrique des milliers de conflits eth-niques qui n’ont rien à voir avec des facteurs extérieurs. Ils durent depuis des siècles et sont également alimentés par une situation écono-mique qui fait que les gens n’ont pas de travail. Cela n’a rien à voir avec qui soutient El-Béchir.”

Il ne faut pas croire non plus, ajoute Prince, que l’extension de l’empire commercial chinois se fasse au détriment des intérêts américains : “Les Etats-Unis et la Chine sont l’un pour l’autre des partenaires commerciaux majeurs et les pays qui échangent des biens n’échangent généralement pas de plomb.” Autrement dit, ils ne se tirent pas dessus.

Prince n’a aucune complaisance pour la stratégie mondiale des Etats-Unis. Selon lui, la politique américaine en Afrique “est tout simplement inexistante. Elle est aussi incohé-rente que celle qui est menée au Moyen-Orient.” “Les Américains, poursuit-il, se retrouvent avec

SUR notRE SItE courrierinternational.com

A lire dans nos archives : “Assassinats, bavures et espionnage : Erik Prince, âme damnée de la CIA”, un article de Vanity Fair publié dans CI no 1010, du 11 mars 2010.

Bio express6 juin 1969 — Naissance d’Erik Prince à Holland (Michigan).1990 — Stage à la Maison-Blanche sous George Bush père.1992-1996 — Entrée dans les Navy Seals (les forces spéciales de la marine américaine).1997 — A la faveur d’un héritage, il fonde la société de sécurité privée Blackwater.2002 — Contrats avec le gouvernement américain pour assurer la sécurité des délégations américaines en Irak et en Afghanistan.16 septembre 2007 — Fusillade de la place Nisour, à Bagdad. Les gardes armés de Blackwater ouvrent le feu et font 17 victimes civiles.Octobre 2007 —Erik Prince est entendu sur la fusillade de Bagdad et le rôle de Blackwater par le Congrès de Washington.

Février 2009 — Blackwater est rebaptisé Xe Services.Mars 2009 —Erik Prince démissionne du poste de président-directeur

général de Xe Services, mais conserve le titre de président

du conseil d’administration.Juin 2009 — Ses liens avec la CIA sont rendus publics par une indiscrétion de Leon

Panetta, alors directeur de la CIA.

2010-2012 — Erik Prince déménage à Abou Dhabi et travaille pour le compte des Emirats arabes unis. Il participe également à la création de la force de police maritime privée en Somalie pour lutter contre la piraterie.Janvier 2014 — Il est nommé président de Frontier Services Group, société de sécurité et de logistique basée à Hong Kong et opérant en Afrique.

DR

Page 28: Courrier 20140306 courrier full

Belgique.La guéguerredes servicesd’étudesC’est la guerre des chiffres entre leCD&V et la N-VA. Avec deux acteursessentiels : leurs services d’études.

—De Morgen Bruxelles

Ces jours-ci, le CD&V va lancer levolet économique de son pro-gramme électoral. Alors que toute

l’attention se tournera probablement versle ministre-Président flamand, Kris Pee-ters, le personnage principal de cette his-toire se tiendra sans doute, lui, quelque

part au fond de la salle. En qualité de di-recteur du Ceder, le service d’études duCD&V, Niko Gobbin, 38 ans, a effectué lescalculs qui sous-tendent chacune des pro-positions. Quasi tous les chiffres qui figu-rent dans ce programme d’une centainede pages sont sortis de sa calculatrice.

Journée de travail typique au cours deces dernières semaines : quitter De Pinte

à sept heures tapantes pour ne pas reve-nir se coucher avant deux heures du ma-tin. “Et la plupart du temps, je travaille en-core un peu à la maison”, explique-t-il. Sonlivre de chevet du moment n’est autreque le rapport annuel de la Banque natio-nale. “On y apprend toujours quelque chosede plus.”

La politique, ce n’est déjà pas unemince affaire. Ecrire une centaine de pa-ges pour améliorer la vie dans notre paysencore moins. Les chrétiens-démocrates,qui entendent récupérer les électeurs quisont partis à la N-VA, ont intérêt à faireleurs devoirs. Et toute aide pour y parve-nir est la bienvenue.

Le Ceder dispose d’une demi-douzained’experts qui connaissent leurs dossierspolitiques sur le bout des doigts. “Nouspréparons tout ensemble pour les ministres,les parlementaires, les collaborateurs des ca-binets et nos experts”, poursuit Niko Gob-bin. C’est indispensable. “Vous savez per-tinemment que les autres partis vont toutéplucher, comme nous le faisons nous-mê-mes. C’est devenu une partie de notre tra-vail : traquer les points faibles dans le pro-gramme des concurrents. Souvent ce sont lesporte-paroles qui nous lancent là-dessus. Ilsnous appellent pour nous dire : Dis, il y aMachin qui vient d’affirmer ceci. Tu pour-rais vérifier ?”

Son téléphone mobile reste rarementau repos. Cet ancien économiste del’Université de Gand est réputé avoir ré-ponse à tout. Il est l’un des rares à osersermonner le président Wouter Beke detemps à autre. Mais, en cette veille deprésentation, c’est le CD&V lui-mêmequi est sur la sellette. Les autres servicesd’études attendent tous 15h30, le mo-ment où les propositions orange serontrendues publiques. Celles-ci seront ins-tantanément introduites dans tous lessystèmes d’évaluation de la concur-rence.

Attendus au tournant. Ce même après-midi, au cinquième étage du siège de laN-VA, rue Royale, une douzaine de colla-borateurs sont en train de trépignerd’impatience sur leur chaise de bureau.Prêt à bondir sur toutes les erreurs et lesambiguïtés et à les donner en pâture auxélecteurs. La moindre gaffe peut coûtercher. “Oui, on tient le calendrier bien àl’œil”. Sander Loones, 34 ans, s’en amuse.C’est lui qui dirige le service d’études desnationalistes, conjointement avec GuyClémer, 61 ans. Sander Loones est le filsde l’ancien sénateur Jan Loones. Quant àGuy Clémer, c’est un vétéran de plu-sieurs réformes de l’Etat. Il s’est penchésur les flux d’argent générés par celles-cipour le compte de la Volksunie et pourcelui de Guy Verhofstadt.

Sander Loones : “Nous ne cherchons pasles petites fautes de calcul. Ce qui est vrai-ment important, c’est que chacun puisse voirquels choix politiques se cachent derrièretelle ou telle proposition. Qui va en bénéfi-cier et qui non.”

Au fil du temps, les services d’étudesont cessé d’être des clubs de coupeurs de

cheveux en quatre pour devenir unearme de plus en plus importante dans lescampagnes électorales. Ils rebondissentde plus en plus vite sur l’actualité. En jan-vier, les experts de la N-VA ont démoli lejour-même – un samedi encore bien –l’idée du CD&V de relever la quotité derevenus exemptée d’impôt. Du côté fla-mand, ce sont d’ailleurs apparemmentles nationalistes qui poussent cette pro-fessionnalisation le plus loin. Ils dispo-sent même d’un archiviste au cinquièmeétage.

La job description de celui-ci tient uneligne : passer ses journées à rechercherdes chiffres remarquables, des graphi-ques et des citations qui pourraient êtreutiles un jour. A Bart De Wever lors d’undébat, par exemple. Bien que celui-ci soitun orateur chevronné, chacune de ses in-terventions est soigneusement préparéepar le service d’études. Il y veille lui-même. “Bart se prépare toujours minutieu-sement. Il nous explique ce qu’il veut expri-mer au cours du débat. Et nous lui fournis-sons des chiffres et des citations qu’il pourrautiliser.”

La plupart du temps, il emmène tousces tuyaux dans un classeur auquel iljette encore un coup d’œil rapide justeavant le début du débat. “Ses phrases pourles grands débats électoraux à venir sontdéjà prêtes.”

La N-VA compte également présenterun grand plan économique dans les se-maines qui viennent. Guy Clémer et lenouveau venu Johan Van Overtveldt, an-cien rédacteur en chef du magazine éco-nomique Trends en sont les deux princi-pales chevilles ouvrières. “Nous prenonsce travail très au sérieux, affirme SanderLoones. Aucun chiffre ni aucune donnée nefigureront dans ce plan sans avoir été con-trôlés cinq fois par nous.” A la N-VA toutcomme au CD&V, on se dit prêt à fairecontrôler le programme économique duparti par des instances indépendantes. “Acondition que cela se fasse correctement ethonnêtement”, précise-t-on des deux cô-tés.

Niko Gobbin : “Je sors moi-même d’uneuniversité. Et, désolé de le dire, il n’y a per-sonne là-bas qui connaît le budget commenos experts. En pratique, c’est très différentde ce que l’on enseigne dans les manuels.Prétendre que quelques professeurs vontfaire en quelques semaines du meilleur tra-vail que toute une équipe qui fait ça tous lesjours, c’est un non-sens. Il n’y a que la Courdes comptes qui en soit capable, à mon avis.Et même eux auraient besoin de plus detemps.”

Le directeur du Ceder envoie encoreune autre pique en direction des nationa-listes. “Quelqu’un comme Johan Van Over-tveldt a certainement plein d’idées formida-bles mais on ne part pas comme cela d’unepage blanche. La réalité n’est pas un billetd’opinion. Il faut tenir compte de l’Histoireet de ce qui est politiquement faisable. C’esttrès important avant de se lancer dans descalculs.”

—Jeroen Van HorenbeekPublié le 28 février

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1218 du 6 au 12 mars 2014I

Page 29: Courrier 20140306 courrier full

—De Standaard Bruxelles

Voilà, c’est fait : Jean-Pas-cal Labille a officielle-ment annoncé qu’il ne

serait pas candidat lors des pro-chaines élections et qu’il s’en re-tournera à sa mutualité. Sera-t-ilministre après le 25 mai ? Celasemble exclu : il serait difficiled’imaginer que quelqu’unexerce deux mandats successifssans être légitimé par les urnes.Mais il ne prendra pas pourautant ses distances avec la poli-tique ni avec le parti socialiste.

La politique, c’est son bio-tope, son adrénaline, son mo-teur. La politique des idées etdes valeurs, qu’il mettra en ap-plication à Solidaris, la mutua-lité socialiste. Si l’on en croitl’intéressé, c’est avec enthou-siasme qu’il opère son retour là-bas, parce que dans le cadre dutransfert de compétences auxRégions, de nouveaux défis seposent au niveau des soins desanté et de leur gestion.

Il fera également de la politi-que au sein de sa fondation,baptisée “Ceci n’est pas unecrise”. En tant qu’admirateurd’Amin Maalouf, l’auteur des

Identités meurtrières, Jean-Pas-cal Labille a fondé un think-tankqui entend porter des messagesautour de notre projet de so-ciété, du vivre ensemble et del’Europe. Et cela n’a rien d’unclub socialiste : on y trouve despersonnalités aussi diverses quele libéral Guy Verhofstadt, l’an-cien commissaire européen etprésident du PS Philippe Bus-quin, le dessinateur Pierre Kroll,Eric Domb (le patron de PairiDaiza) et Philippe Maystadt(CDH), ancien président de laBanque européenne d’investis-sement et ancien ministre belgedes Finances.

Reste cette question : com-ment le PS a-t-il pu laisser s’enaller une des rares personnalitéscapable d’incarner de manièrecrédible l’essence du messagesocialiste – un message mis àmal par la participation du PS augouvernement et attaqué detoutes parts par le PTB, l’ex-trême gauche et un certainnombre de syndicalistes ?

Labille jure haut et fort qu’il aagi sous le coup d’une décisionstrictement personnelle. “Je neserai candidat sur aucune des listesrégionale , fédérale ou européenne.

Quand il y a 16 mois, on m’a confiécette fonction ministérielle, j’avaisété clair… Je fais ce que je dis, je disce que je fais.” C’est tout à sonhonneur dans un monde où lesgens renoncent rarement à unpouvoir ou à un mandat.

Liège. Mais si le PS l’avait placéà une place de combat à Liège,cela aurait de toute façon con-duit à un conflit au sein de la fé-dération locale du parti qui estdésormais contrôlée par WillyDemeyer, le bourgmestre deLiège. A la fin de l’ère Daerden,c’est lui qui a recollé les mor-ceaux et Demeyer est doncmaintenant au centre d’ungroupe composé d’Alain Mathot(bourgmestre de Seraing), Sté-phane Moreau (patron de Tec-teo et bourgmestre d’Ans) etJean-Claude Marcourt [ministrewallon de l’Economie] – Frédé-ric Daerden n’y est pas encoretoléré.

Le ministre des Entreprisespubliques n’a pas non plus ca-ché son opinion sur Tecteo. Il areproché à l’intercommunaleson manque de transparence etémis des critiques sur la ma-nière avec laquelle la fédération

liégeoise du PS gère ses instan-ces dirigeantes et les nomina-tions en son sein.

Willy Demeyer et Jean-PascalLabille ne s’adressent pratique-ment pas la parole et c’est tantmieux parce qu’ils n’auraientpas beaucoup d’amabilités à sedire. Maintenant que la “Pors-che Labille” se retrouve au ga-rage, Willy Demeyer peut consi-dérer qu’il a gagné la bataille.

Il se dit aussi que les rumeursqui circulent sur le salaire de La-bille auprès de la mutualité, le-quel n’aurait rien à envier à ceuxdes top managers de la vieilleécole, proviendraient de son pro-pre camp socialiste. Jean-PascalLabille explique maintenant qu’ilgagnera moins que les 290000euros de Jo Cornu [le nouveaupatron des chemins de fer].

Il promet qu’il mènera cam-pagne de manière très active. Auservice de “l’action commune”.Il sera le centre névralgiqued’un groupe virtuel d’organisa-tions du pilier socialiste, commela mutuelle ou le syndicat. Dansles prochains mois, il tentera deconvaincre les militants que leparti n’est pas en train de gal-vauder leurs valeurs et qu’il faut

voter pour le PS. Mais il ne mar-chera sur les pieds de personne,ni avant ni pendant les élec-tions. Il ne mettra pas non plusde bâtons dans les roues à PaulMagnette – au cours de ces der-niers mois, nous avons plusd’une fois entendu dire que La-bille avait engrangé des résul-tats aussi bien à la Coopérationau développement qu’au niveaudes Entreprises publiques, là oùson prédécesseur s’en était tenuà de beaux slogans.

C’est donc un homme connupour son efficacité, sa ténacitéet ses valeurs de gauche qui s’enretourne à son milieu d’origine,la mutualité socialiste. S’agit-ild’un tour de passe-passe ? D’unemanœuvre ? Si le PS perd lesélections, tout sera à nouveaupossible. Des comptes serontréglés et le parti aura besoin denouveaux visages. Impossible deprévoir quand ni commentJean-Pascal le Rouge sortiraitalors de sa boîte. Mais le vraimystère restera entier : pour-quoi diable le PS a-t-il été lemettre dans la boîte en ques-tion ?

—Béatrice DelvauxPublié le 27 février

↗ Dessin de duBus paru dans La Libre Belgique

POLITIQUE

Le mystère LabilleComment le PS peut-il laisser quelqu’un qui incarne le socialisme de manièreaussi crédible que Jean-Pascal Labille quitter la politique, se demande, dans sachronique pour le Standaard, l’éditorialiste en chef du Soir, Béatrice Delvaux.

II

Édito

Ils ont sali un uniformequi mérite mieuxlll Le métier de policier est difficile à bien des égards. Ilpeut se révéler dangereux et des hommes comme des femmesont payé de leur vie leur engagement à protéger la société etles citoyens de la violence des criminels. On peut comprendresinon excuser le fait que certains “flics” perdent leur sang-froid dans certaines circonstances ponctuelles.Certes, ils sont censés avoir été formés pour résister à lapression, aux provocations, aux manifestations hostiles voirehaineuses dont ils sont parfois l’objet. Mais qui est descendusur le terrain, qui a approché le quotidien des policiers nepourra ressentir qu’un sentiment de mansuétude à l’égard decelui ou de celle d’entre eux qui, un jour, aurait pu,éventuellement, abuser de sa position. Autre chose estd’admettre le comportement du groupe de policierscondamnés mercredi par la justice bruxelloise.Chassant en meute, ils se sont encouragés les uns les autres àmaltraiter des hommes et des femmes fragiles, des cabossésde la vie, dont ils savaient pertinemment qu’ils n’avaient aucunmoyen de se défendre de leurs exactions. Avoir profité de leuruniforme, de leur autorité, de la force publique dont ils étaientles dépositaires pour humilier, frapper, martyriser de pauvreshères complètement livrés à leur plaisir sadique, s’être, desurcroît, cachés derrière le groupe pour assouvir ces vilsinstincts est indigne.Cette indignité ne doit pas rejaillir sur l’ensemble d’un corpsqui, s’agissant de la majorité de ses composantes, s’évertue àdéfendre la loi et le peuple mais il fallait qu’elle fûtsanctionnée comme elle le méritait.

—Jean-Claude MatgenLa Libre BelgiquePublié le 27 février

BELGIQUECourrier international – n° 1218 du 6 au 12 mars 2014

Page 30: Courrier 20140306 courrier full

tribune

D’un COntinent À L’Autre Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Royaume-Uni. “Nous sommes les meilleurs des Européens”L’heure est venue pour la Grande-Bretagne, pays qui observe le mieux les règles de l’UE, d’exiger de ses partenaires qu’ils mettent un terme à leurs abus, tempête le maire conservateur de Londres.

—The Daily Telegraph (extraits) Londres

Je rentre tout juste des Alpes fran-çaises, et elles sont tout aussi belles qu’à l’époque de mon premier séjour,

il y a trente ans : un air léger comme du champagne, un ciel bleu, une neige pou-dreuse comme un océan de sucre glace venant lécher vos skis, et la beauté hallu-cinante de ces hauts paysages blancs plon-gés dans un silence que seul vient rompre le claquement métallique discret du remonte-pente. Non, décidément, rien n’a changé sur les pistes de ski françaises – jusqu’au grand scandale des écoles de ski : un exemple bien français de violation patente, abso-lue et impudente des principes du marché unique européen.

Si vous cherchez quelqu’un pour enseigner les rudiments du ski à vos enfants, vous tomberez invariablement sur un moniteur présentant la plupart ou toutes les caractéristiques suivantes : il aura une belle gueule tannée par le soleil et creusée de coquettes ridules ; il couvera sa clientèle féminine d’un œil pétillant de malice ; il dira “Hop !” en plantant son bâton pour tourner. Une chose est certaine : il portera une combinaison de ski rouge ornée de l’écusson de l’Ecole du ski français. Et il sera français, mes amis. Forcément français.

Car, au mépris de tous les principes fondateurs du marché commun – liberté d’établissement, libre circulation des services, et j’en passe –, les Français s’obstinent à tout faire pour empêcher un ressortissant britannique de monter une

unioneuropéenne

école de ski afin de répondre à la demande des nombreux anglophones qui se pressent chaque hiver dans les Alpes françaises.

Voici maintenant plus de quarante ans que nous avons rejoint la CEE. Et dix ans que les protectionnistes ont torpillé l’excellente directive Bolkestein sur la libéralisation du marché des services – et pourtant nous sommes encore soumis à des restrictions des échanges aussi illégales que scandaleuses qui ont probablement coûté à notre pays des millions de livres pour plâtrer des jambes qui n’auraient jamais dû se casser et ont freiné notre progression dans le classement des médailles aux Jeux olympiques d’hiver.

Pourquoi diable ne pourrions-nous pas entendre des moniteurs de ski britanniques alpaguer librement le client dans les stations alpines et offrir des leçons en anglais ? Connaissez-vous un autre secteur du commerce ou de l’industrie britanniques qui impose de telles restrictions ? Y a-t-il d’ailleurs chez nous le moindre équivalent du “système des guildes” qui permet aux Allemands de limiter le nombre de plombiers polonais ? Bien sûr que non.

Que personne ne vienne me raconter que nous sommes toujours l’“équipe perdante”, le “bon dernier” ou le “mauvais Européen”. Rien de plus facile que de démonter ce genre d’assertion idiote. Moralement, nous sommes très bien placés pour appeler à une amélioration de l’UE, pour exiger une meilleure UE, et même pour taper du poing sur la table jusqu’à tous les faire taire et les obliger à nous écouter – pour la simple

pour réjouir les entreprises britanniques, mais un peu moins les bas salaires qui se trouvaient déjà dans nos frontières. L’Allemagne ne l’a pas fait. La France ne l’a pas fait. Quels que soient les mérites et les failles de cette politique d’ouverture, force est de reconnaître que cette initiative a placé notre pays à l’avant-garde absolue de l’“intégration européenne”. Même les Belges viennent de renvoyer 2 700 ressortissants européens au prétexte qu’ils n’avaient pas trouvé de travail. Vous voyez nos tribunaux faire la même chose ?

Puisque nous sommes les meilleurs Européens et les plus appliqués, nous pouvons aujourd’hui exiger des réformes : abandonnez l’insensée politique agricole commune (PAC), renoncez au consternant volet social, retirez à la Cour européenne ses compétences sur les frontières, la police, les affaires intérieures et les droits de l’homme – et, surtout, demandez à la Commission européenne de se réveiller et de faire enfin son boulot, à savoir faciliter la tâche aux individus qui souhaitent s’installer, travailler et profiter de la vie dans d’autres pays de l’UE.

Quel est ce système qui autorise des bus français dans les rues de Londres mais interdit les moniteurs de ski anglais sur les pentes des Alpes françaises ? Je vais vous le dire : c’est un système qui est en faillite morale. Nous voulons une réforme. Et si nous ne l’obtenons pas, alors nous devrons partir – mais ce ne sera pas faute d’avoir observé les règles du club. Au contraire, nous nous y sommes scrupuleusement pliés. Pas eux.

—Boris JohnsonPublié le 23 février

et bonne raison que nous sommes le bon Européen par excellence. En fait, nous sommes sans doute les Européens les plus polis, les plus enthousiastes et les plus respectueux des lois qui soient – et il est grand temps de le rappeler haut et fort.

Ce n’est pas uniquement parce que nous avons mis la main à la poche pour financer toute cette ineptie – et que nous sommes depuis notre adhésion l’un des deux seuls contributeurs nets de l’UE. Aucun autre pays ne s’est plus sincèrement efforcé de s’inscrire

dans la logique du marché commun et de respecter les principes auxquels nous nous sommes engagés en 1972. Nous

avons ouvert nos marchés de l’énergie, de l’eau et des transports avec une rigueur hayékienne qui n’a été imitée nulle part ailleurs.

Regardez les affiches placardées sur les bus londoniens : vous verrez des publicités pour la société de transport hollandaise Abellio et pour un autre machin nommé RATP. Savez-vous ce qui se cache derrière cet acronyme ? La Régie autonome des transports parisiens. Et maintenant fermez les yeux et imaginez que les Français acceptent quelque chose de similaire – des bus britanniques dans les rues de Paris ! Vous les voyez ? Non ? C’est bien ce que je pensais…

Parlons aussi de la façon extraordinaire et irrévocable dont nous avons démontré notre légitimité européenne : en 2005, au moment où la plupart des pays membres réclamaient des quotas et des reports, le gouvernement travailliste ouvrait nos frontières à des millions d’Européens de l’Est. Ce qui était

→ Dessin d’Oliver paru dans Der Standard, Vienne.

III

Page 31: Courrier 20140306 courrier full

Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

profils de députés européens agrémentés de tweets, de vidéos et de mises à jour (meet). Ils peuvent poster des commentaires ou poser des questions sur le mur en libre accès ou par message privé (connect). Enfin, chaque utilisateur peut aussi donner son avis sur les activités des parlementaires en leur attribuant une note de 1 à 5 (evaluate). Enfin, l’importance et la priorité des questions publiées sont soumises au jugement de la communauté, grâce à un système de préférences qui détermine l’ordre des sujets à aborder.

La plateforme vient pallier le manque d’interaction politique sur les réseaux sociaux. Ou plutôt d’interaction de qualité : les enquêtes menées par GovFaces soulignent qu’à peine 7 % des contenus publiés par des hommes politiques sur leurs pages Facebook, Twitter, LinkedIn et YouTube

—Il Sole-24 Ore (extraits) Milan

Cl iquez, commentez, “ l ikez”. GovFaces est un réseau social comme les autres, à un détail près :

de l’autre côté de l’écran, votre interlocu-teur est un député européen. GovFaces (www.govfaces.com) est la plateforme qui “met en contact les citoyens et leurs repré-sentants” élus sur les bancs de Bruxelles. Son lancement était prévu le 3 mars, soit moins de trois mois avant les élections européennes de mai 2014. Et d’ici à octobre prochain le réseau social devrait être étendu à chaque pays de l’Union euro-péenne, à l’Amérique latine, à l’Asie, etc.

La devise “meet, connect, evaluate” résume bien le principe : rencontrez, contactez, évaluez. Les utilisateurs se connectent via Facebook et accèdent à une mosaïque de

Un “Facebook” pour les eurodéputésPeu connus et réputés éloignés des préoccupations des citoyens, les députés européens pourront désormais dialoguer directement avec leurs électeurs via un nouveau réseau social : GovFaces.

respectives répondent aux critères d’une “véritable interaction” avec leurs followers, de l’autre côté de l’écran. Au point qu’à peine plus d’un utilisateur sur dix (13 %) s’attend à trouver une proportion suffisante d’informations sur ces pages débordant d’insultes, de spams et de commentaires hors sujet. Ce n’est pas une question d’assiduité, du moins en principe : plus de 90 % des députés européens fréquentent les réseaux sociaux, presque trois fois plus qu’en 2009 selon les estimations de Bruxelles.

Mais pourquoi les députés européens, rompus à Twitter et Facebook, devraient-ils s’aventurer sur une plateforme de plus ? “Notre objectif, c’est de rester neutre par rapport à la politique en soi. Même le mot ‘note’ nous fait peur, explique Jon Mark Walls, président de la startup. “C’est vrai, nous ne pouvons pas garantir aux hommes politiques que personne ne viendra les insulter. Mais nous avons deux options. Un : laisser les malentendus et les jugements à l’emporte-pièce se propager sur la Toile. Deux : intervenir et se montrer crédible, pour clarifier les problèmes et la manière de les affronter.” Les canaux de financement passent tous par Internet : des contenus sponsorisés (Lobby Green a par exemple acquis des bandeaux pour promouvoir ses campagnes), du “freemium” (une formule hybride entre des contenus gratuits et payants : élaboration de statistiques, enquêtes, sondages, etc.) et du crowdfunding (ou finance participative), des campagnes de financement en ligne dont un pourcentage “minimum” est encaissé par GovFaces.

—Alberto MagnaniPublié le 3 mars

Nous, les Néerlandais, nous sommes devenus les victimes d’eux, les euro-crates. Nous avons été dépossédés de

notre florin, dépouillés de notre souveraineté et notre identité nous a été dérobée”, entend-on souvent chez nos voisins bataves. Selon le dernier Eurobaromètre, seulement 62 % des Néerlandais considèrent que l’adhésion à l’UE est une bonne chose. Face à cette vague eurosceptique aux Pays-Bas, Marc Peeperkorn met les pendules à l’heure : il estime que les Néerlandais ont tort de se

Les Pays-Bas et l’UE : ils l’ont voulue, ils l’ont eueLe correspondant du Volkskrant à Bruxelles dénonce l’euroscepticisme des Néerlandais.

victimiser car ils ont sciemment donné leur feu vert à toutes les étapes de l’inté-gration européenne.

Car qui sont précisément ces “nous” qui se considèrent victimes de l’intégration européenne ? se demande le correspon-dant du Volkskrant à Bruxelles. “D’abord, ce sont les citoyens néerlandais. […] Ils auraient pu, pour faire acte de résistance, voter en masse pour un parti politique eurocritique (Parti socialiste, Union chrétienne, Parti politique réformé) ou un parti antieuro (le Parti pour la liberté de Geert Wilders). Ces derniers temps surtout, ils ont amplement eu l’occasion de le faire. En douze ans, il y a eu cinq élections nationales et deux scrutins européens. Or ils ne l’ont pas fait.”

Ensuite, ce sont les hommes et femmes politiques qui se présentent à tort comme victimes de l’UE, constate le correspon-dant : “Nous, ce sont aussi nos députés, qui, chaque fois, ont donné leur accord en majorité aux directives bruxelloises, aux règlements et aux traités qui, auparavant, avaient été vali-dés par leurs confrères au Parlement euro-péen ainsi que par les ministres et les Premiers ministres. Les députés jouent le rôle de vic-times de l’Europe avec verve. Pourtant, ils ont chaque semaine la possibilité de confier à leurs ministres la tâche de dire non à Bruxelles. Or ils ne le font pas. Pis encore : ils n’assistent que peu aux débats parlementaires qui pré-cèdent les conseils européens à Bruxelles.”

Du “big bang de l’UE” – la Ceca, Com-mu nauté européenne du charbon et de l’acier – à la monnaie unique, “la liste des accords (auxquels les Néerlandais ont donné leur feu vert] est longue, constate Peeperkorn. On ne peut donc prétendre que les Néerlandais se sont fait avoir. Ils étaient bien là, décennie après décennie.”—

↓ Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.

Téléchargez gratuitementl’application Courrier internationalet suivez toute l’actualité internationaleoù et quand vous le souhaitez.

Disponible sur AppStore, Google Play et Windows Phone Store

VersionPetit55x101_Mise en page 1 04/03/14 14:4

IV

Page 32: Courrier 20140306 courrier full

28. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

avortementle retour des réacsQuarante ans après sa reconnaissance dans les principaux pays occidentaux, le droit à l’avortement pourrait sembler aller de soi. Le projet du gouvernement espagnol de le restreindre drastiquement, contre l’avis de la population (voir ci-contre), a rappelé qu’il n’en était rien. Non seulement l’IVG, malgré de récents progrès, reste interdite dans bien des pays, mais un peu partout ses opposants poursuivent une guerre sans relâche. Aux Etats-Unis (p. 30) et au Royaume-Uni (p. 32) notamment, les lobbys réactionnaires usent de nouvelles tactiques plus insidieuses – et d’autant plus redoutables – pour empêcher les femmes d’avorter.

à la uneEn 2012, des manifestants anti-avortement à Belfast lors de l’ouverture de la première clinique privée qui pratique des IVG en Irlande du Nord. Photo Sean Harkin/Demotrix/Corbis

Page 33: Courrier 20140306 courrier full

Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 AVORTEMENT, LE RETOUR DES RÉACS. 29

SOU

RCE

: CEN

TER

FOR

REPR

OD

UCT

IVE

RIG

HTS

(HTT

P://

WO

RLD

ABO

RTIO

NLA

WS.

CO

M)

Totalement interdit Autorisé en cas de danger pour la vie de la mère Autorisé dans certains de ces cas : danger pour la vie ou la santé de la mère, viol, inceste, malformation du fœtus

Autorisé sur critères socioéconomiques(âge, ressources) et cas précédentsAutorisé sans restriction quant au motifNon disponible

Pays où la loi a été : assouplie ces vingt dernières années durcie

Pays où l’avortement est :

Le Salvador est un des seuls pays au monde (avec le Nicaragua, le Chili et Malte) où l’avortement n’est pas toléré quand la vie de la mère est en danger.

Au Nicaragua, le président et ancien guérillero Daniel Ortega a fait voter en 2006 une loi supprimant l'autorisation d’avorter en cas de “danger physique grave pour la mère” ou de viol.

Au Portugal, les anti-avortement remettent en cause la gratuité de l’acte, invoquant l’“égalité devant les mesures d’austérité”.

L’Albanie a récemment interdit de pratiquer les avortements hors d’une structure hospitalière, afin de limiter le nombre d’avortements sélectifs dans un pays qui compte 112 hommes pour 100 femmes.

L’imam le plus écouté du Sénégal, Alioune Sall, a pris position contre l’avortement médicalisé fin février : “Nous devons le combattre sinon d’ici cent ans, nous n’aurons plus de population.”

L’avortement a été dépénalisé en Uruguay en 2012. Mais de nombreux médecins refusent de le pratiquer, se prévalant de l’objection de conscience.

La Chine est numéro un mondial avec 10 millions d’avortements médica-menteux par an et 13 millions à l’hôpital (non compris les privés). La moitié de ces avortements est due à une absence totale de contraception.

L’avortement dans le monde : progrès et reculs

AVORTEMENT—El País Madrid

P armi les montages humoristiques qui cir-culent en ce moment, il y en a un où l’on voit la vice-présidente et le ministre de la Justice [Alberto Ruiz-Gallardón, dont le projet de loi propose de restreindre l’IVG] en train de régler leurs montres sur la même heure

au sortir d’un conseil des ministres. Dans le dia-logue associé à l’image, l’un dit à l’autre : “On syn-chronise ?” L’autre demande : “xve siècle ?” “Allez !” répond l’interpellé avec enthousiasme.

Ce dialogue n’a jamais eu lieu, mais ce qui risque bel et bien d’arriver, c’est que la politique nous fasse changer d’époque et retourner dans le passé. Le gouvernement a cru comprendre que

des foules entières lui demandaient de tenir l’une des promesses qu’il avait faites avant les élections [en novembre 2011]. Fort de son bon jugement, comme un char d’assaut insensible aux obstacles, le ministre a décidé qu’on était en 1985 ou même avant, et élaboré une législation alambiquée qui a plongé le monde dans la stupéfaction. Non que ce qu’il a fait soit incompréhensible. On ne le com-prend que trop bien : il veut faire marche arrière pour satisfaire, apparemment, les opposants à la loi des socialistes de Zapatero [dont le gouver-nement a fait de l’avortement un droit pour les Espagnoles en 2010], qui réinterprétait la loi de 1985 adoptée par les socialistes de Felipe González [qui dépénalisait l’IVG en cas de viol, de danger pour la vie de la femme et de malformation du

fœtus]. S’il avait continué à rembobiner le fi lm, il serait arrivé là où veulent arriver les partisans du point mort : l’Espagne de Franco, dont on connaît bien la couleur.

Dans Au-dessous du volcan, Malcolm Lowry écrit cette phrase sur laquelle j’aimerais attirer l’atten-tion du ministre, si avide lecteur : “Par-dessus le trou Hugh sauta sur l’herbe ; se dépêtrant du sac il connut un instant de trouble paralysant, de répu-gnance à rejoindre le passé.”

Eh bien, c’est ce qu’ont dû éprouver beaucoup d’Espagnols nés à la liberté politique pendant la transition [vers la démocratie], lorsque les liber-tés supprimées par Franco ont commencé à être exigées comme des réparations à apporter

En arrière toute !Espagne. Rien ne justifi e l’interdiction de l’avortement proposée par le ministre de la Justice, qui s’est trompé d’époque.

78,4    %DES ESPAGNOLS sont contre le projet de réforme de la loi sur l’avortement et 59 % estiment que le gouvernement doit l’abandonner, selon un récent sondage publié par le quotidien catalan El Periódico.

→ 30

Page 34: Courrier 20140306 courrier full

30. À LA UNE Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

La guerre sournoise des lobbys pro-lifeEtats-Unis. Les Américains soutiennent plus que jamais le droit à l’IVG, mais les Etats conservateurs font adopter des centaines de lois rendant de plus en plus diffi ciles les interruptions de grossesse.

—Rolling Stone (extraits) New York

L e 11 décembre 2013, Gretchen Whitmer, cha-rismatique leader de la minorité démocrate du Sénat du Michigan, faisait face à ses col-lègues du Parlement de l’Etat. Elle leur a dit une chose qu’elle n’avait presque jamais dite avant : “Il y a plus de vingt ans, j’ai été victime

d’un viol. Dieu merci, je ne suis pas tombée enceinte. Après ce que j’avais vécu, avoir à me demander que faire d’une grossesse, c’est quelque chose que je ne peux pas imaginer.”

Dans la salle, personne n’a soufflé mot. Et à quelques heures des congés de fi n d’année, le Parlement du Michigan, masculin dans son écrasante majorité et dominé par les républicains, sans avoir mené d’auditions ni même de véritable débat, a voté un des textes les plus durs contre l’avortement dans tout le pays : une loi interdisant la prise en charge des frais d’avortement, même en cas de viol ou d’inceste, dans la quasi-totalité des polices d’assurance-maladie. Les femmes et les employeurs qui souhaitent bénéfi cier d’une telle couverture devront souscrire une clause additionnelle – souvent qualifi ée d’“assurance-viol”.

Et il n’y a pas que le Michigan. Huit autres Etats américains interdisent désormais la prise en charge des frais d’avortement dans les polices d’assurance privées multirisques – un seul, l’Utah, fait une exception pour le viol. Vingt-quatre Etats excluent certaines formes de couverture de l’avortement des polices souscrites dans le cadre de la nouvelle loi d’Obama

sur la santé.

Supprimer la prise en charge de l’avortement dans des Etats des quatre

coins du pays n’est qu’un aspect d’une campagne nationale savamment coordonnée

et terriblement efficace, souvent soutenue par les mêmes personnes qui financent le mouvement ultraconservateur Tea Party. Il

s’agit de mettre de plus en plus de bâtons dans les roues aux femmes qui veulent interrompre une grossesse non désirée, mais aussi de limiter l’accès à de nombreuses formes de contraception.

Toute cette activité sur le front législatif arrive à un moment où l’opinion publique n’a jamais autant soutenu le droit à l’avortement. En 2013,

au pays pour qu’il retourne à la modernité après ses quarante ans au Moyen Age. La sensa-tion d’un sac à dos trop pesant.

La loi de 1985 que brandit aujourd’hui le ministre, comme s’il voulait voyager vers des temps meil-leurs, est certainement ce qui pouvait se faire de mieux à l’époque, puisque l’histoire se fait, comme dirait Miguel Hernández, “à coups de dents secs et brûlants”. Depuis, d’autres choses se sont passées. Mais on dirait que le gouvernement, ou du moins le ministre, a prêté plus attention à ce que dit l’Eglise depuis toujours qu’à ce que dit la société, y compris la sienne. A notre époque – avant que Gallardón ne mette toutes les montres à la même heure –, aucune controverse sociale, aucune donnée statistique n’était venue justifi er ce virage réactionnaire. Si l’oracle est l’Eglise, il va falloir que le ministre et ceux qui battent le tam-bour autour de lui se remémorent toutes les fois où l’Eglise s’est trompée – et avec quels résultats ! – et toutes les fois où elle a été en retard. L’Eglise, mais aussi les Etats. On connaît la malheureuse histoire de Giordano Bruno et de Galilée.

Les montres se mettent à l’heure en gouver-nant dans le sens du temps et non contre lui, car le risque est grand, comme l’écrit Lowry, de ressentir cette répugnance à aller à la rencontre du passé.

Gallardón, j’en ai bien peur, s’est trop hâté de retourner au point mort. Son sac à dos pèse très lourd. Et, comme on dit aux Canaries, à quoi bon ?

—Juan CruzPublié le 29 décembre 2013

ContextePrésenté fi n 2013, le projet de loi du ministre espagnol de la Justice, Alberto Ruiz-Gallardón, supprime le droit à l’IVG dans les quatorze premières semaines – un droit acquis par les Espagnoles depuis la réforme votée en 2010 par le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero. L’avortement ne serait dépénalisé qu’en cas de viol ou de grave danger pour la vie ou la santé physique ou psychique de la femme. Deux médecins devront décider au cas par cas si ce danger existe, précise le quotidien El País, en suivant des démarches plus longues et avec des conditions plus strictes qu’auparavant. En outre, les mineures de 16 et 17 ans auront à nouveau besoin d’une autorisation de leurs parents pour avorter, comme c’était le cas avant la réforme. Tous les professionnels qui participent au processus d’avortement pourront faire valoir l’objection de conscience, alors qu’avec la loi actuelle seuls les médecins qui pratiquent l’avortement sont concernés. Dans l’ensemble, ce projet – qui doit encore être débattu au Parlement – instaure un cadre juridique encore plus restrictif que celui de 1985, qui dépénalisait aussi l’avortement en cas de malformation du fœtus.

29 ←

↓ Dessin de Saad Hajo, Liban.

Page 35: Courrier 20140306 courrier full

Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 AVORTEMENT, LE RETOUR DES RÉACS. 31

sept Américains sur dix se déclaraient favorables à l’arrêt Roe v. Wade, la décision historique de la Cour suprême qui a légalisé l’avortement en 1973. Mais les sondages montrent aussi que plus de la moitié du pays est favorable à des restrictions. Au lieu de tenter de faire annuler l’arrêt, ce que les deux camps jugent politiquement impossible, ses adversaires s’appliquent à rogner petit à petit les droits des Américaines.

Depuis 2010, l’année où les républicains, surfant sur le succès du Tea Party, ont pris le contrôle de la législature de onze Etats – portant à vingt-six le nombre d’Etats sous leur contrôle –, les législateurs conservateurs de trente Etats ont adopté 205 textes antiavortement, soit plus que pendant toute la décennie précédente. “C’est une stratégie sournoise qui vise à faire passer par la petite porte ce que l’on ne peut faire entrer par la grande”, s’insurge Nancy Northup, présidente du Center for Reproductive Rights.

Les insidieuses attaques de la droite contre le droit à l’avortement ont fait les gros titres en juin dernier, quand, pour bloquer un vote sur un projet de loi fourre-tout comprenant vingt pages de texte anti-IVG, la sénatrice démocrate de l’Etat du Texas Wendy Davis [également can-didate au poste de gouverneur de l’Etat] a fait plus de onze heures d’obstruction au Parlement du Texas. Baskets rouges aux pieds et rangée de perles autour du cou, cette blonde aux yeux bleus, ancienne mère célibataire, est devenue le symbole d’un mouvement de résistance grandis-sant face aux desseins des conservateurs. Mais elle n’a pu empêcher les législateurs texans de convoquer une session spéciale en juillet pour voter le projet, malgré une opposition très large dans la population.

Piège. C’est la dernière bataille en date perdue dans un Etat qui, ces dernières années, a adopté certains des textes les plus durs de tout le pays contre l’IVG. Les centres médicaux pour femmes de tout l’Etat ferment les uns après les autres depuis 2011, année où les législateurs du Texas ont réduit de deux tiers le financement des cliniques de plan-ning familial. Si de nouvelles mesures entrent en application au mois de septembre, il risque de ne plus rester que six cliniques réalisant des IVG dans cet Etat de 26 millions de personnes, toutes en zone urbaine et aucune dans toute la moitié ouest de l’Etat.

La vraie réussite du mouvement antiavortement, c’est d’avoir fait voter les réglementations en apparence inoffensives que sont les lois Trap (Targeted Regulations of Abortion Providers) [réglementations ciblées sur la pratique de l’avortement ; trap signifiant par ailleurs “piège” en anglais], conçues pour accabler les professionnels et les cliniques qui effectuent des IVG, en les faisant crouler sous des montagnes de paperasserie, et les pousser à jeter l’éponge.

Vingt-six Etats, dont le Texas, ont des lois qui imposent aux cliniques pratiquant l’avortement de se transformer en mini-centres chirurgicaux, ce qui contraint les établissements à élargir leurs couloirs, agrandir leur aire de stationnement ou encore installer des lavabos chirurgicaux – des réglementations inutiles selon la plupart des praticiens. Seize Etats restreignent les avortements médicamenteux [“pilules du lendemain”]. Dans trente-neuf Etats, seul un médecin habilité – et non un assistant ou une infirmière – est autorisé à délivrer les médicaments.

“Ils présentent ces lois comme des textes visant à assurer la sécurité des avortements. Et, dans de nombreux Etats, ils sont parvenus à les vendre ainsi”, dénonce Eric Ferrero, vice-président de la communication de la Fédération américaine du planning familial. Or l’IVG est déjà sûre. Le taux de mortalité est inférieur à 0,67 pour 100 000 interventions. Le taux de mortalité d’une coloscopie, un acte lui aussi couramment pratiqué en ambulatoire, mais qui n’est pas soumis à de telles restrictions, est d’environ 20 pour 100 000.

Cette méthode de sape progressive du droit à l’avortement est née du constat, dans les plus hautes sphères du mouvement pro-life [antiavortement], que l’ancien message – assimiler l’avortement à un meurtre – et les tactiques extrémistes qui l’accompagnaient ne fonctionnaient pas. “Il y a vingt ans, on prenait d’assaut une clinique et on la fermait pendant une journée”, se souvient Troy Newman, président d’Operation Rescue, l’organisation antiavortement basée au Kansas qui s’est fait un nom dans les années 1980 et au début des années 1990 en bloquant les entrées de cliniques et en organisant de bruyants sit-in – pratique rendue illégale en 1994 par le Congrès des Etats-Unis. D’autres méthodes, allant de la distribution de pamphlets illustrés d’images de fœtus avortés jusqu’à la tactique consistant à “nommer et couvrir de honte” les amis et les associés

des médecins pratiquant l’avortement, se sont avérées tout aussi infructueuses. Changeant son fusil d’épaule, Troy Newman a forgé un nouveau plan visant à faire passer les lois Trap, ainsi qu’à identifier les abus supposés des cliniques et à les signaler aux autorités. Aujourd’hui, il n’existe que quatre cliniques pratiquant l’IVG dans tout le Kansas, un Etat qui a également imposé une myriade de lois restrictives, avec notamment la criminalisation de l’avortement après le cinquième mois de grossesse. Cette “limite de la 20e semaine” viole une disposition centrale de l’arrêt Roe v. Wade selon laquelle une femme a le droit d’avorter tant que le fœtus n’est pas capable de vivre en dehors de son utérus – soit jusqu’à la 24e semaine environ dans l’état actuel de la médecine. Néanmoins, neuf Etats imposent cette limite en se fondant sur une théorie très controversée selon laquelle un fœtus est sensible à la douleur à partir de cinq mois.

Manuel pro-life. Les enquêtes d’opinion montrent que le soutien de la population à l’IVG chute vertigineusement à la fin du premier tri-mestre – 64 % des Américains sont opposés à l’avortement durant le deuxième trimestre. C’est ce qui a permis aux groupes pro-life de tenir un discours pouvant, en surface, paraître sensé. Et comme le souligne Newman, “une fois que l’on a interdit l’avortement au deuxième trimestre, on a déjà un pied dans la porte”. L’Arkansas proscrit l’avortement après la 12e semaine. Le Dakota du Nord a récemment adopté une loi criminalisant l’avortement après la 6e semaine, un stade où de nombreuses femmes ne savent même pas encore qu’elles sont enceintes.

Deux organisations basées à Washington sont à l’origine de nombreux modèles de textes législatifs contre l’avortement : le National Right to Life Committee [Comité national pour le droit à la vie] et Americans United for Life [AUL, Américains pour la vie]. Cette dernière est le principal responsable de l’actuelle stratégie. Chaque année, AUL envoie aux législateurs régionaux et fédéraux de tout le pays un exemplaire de Defending Life, son manuel pro-life de plus de 700 pages. Parmi ses publications annuelles, un “relevé de notes” des cinquante Etats en matière de législation antiavortement, ainsi qu’un guide pratique conçu pour aider les législateurs à “comprendre que l’arrêt Roe v. Wade ne les empêche pas d’adopter des législations qui découlent du bon sens”, comme l’explique Charmaine Yoest, présidente d’AUL.

Ces dernières années, AUL a élaboré de nombreux projets de loi censés protéger les femmes, récemment regroupés sous le nom de Projet de protection des femmes. En s’appuyant sur des informations médicales douteuses, AUL propose une foule de lois modèles comme la loi de promotion de l’engagement parental (qui impose aux mineures d’informer leurs parents ou d’obtenir leur accord pour avorter), la loi d’amélioration de la sûreté des patientes qui subissent un avortement (qui impose des règles draconiennes aux cliniques) ou la loi sur la défense de la santé des femmes (censée protéger les femmes des risques supposés en cas d’avortement au deuxième trimestre).

Tout cela témoigne des tactiques ingénieuses des organisations anti avortement, mais aussi de la nouvelle culture du Parti républicain. Celle-ci n’est nulle part aussi manifeste qu’au Michigan, → 32

Avortements sélectifs● En Inde, avoir une fille n’est géné-ralement pas bien vu, tandis que les naissances de garçons sont une source de joie et font souvent l’objet de grandes célébrations. La loi permet aux femmes d’avorter depuis 1971 (elle est entrée en application l’an-née suivante) jusqu’à vingt semaines de grossesse. Mais ce droit et le recours aux échographies, technique peu onéreuse et popularisée dans les années 1970, ont permis à de très nombreuses femmes, souvent contraintes par leur belle-famille, de connaître le sexe de l’enfant à naître et de s’en débarrasser si c’est une fille. De nombreuses campagnes d’ONG et du gou vernement essaient de

combattre cette pratique, fréquente parmi les catégories les plus aisées de la population. On estime entre 30 et 70 millions le nombre de “femmes manquantes”. Le problème de ces

campagnes est que, en défendant le droit à vivre des filles, elles assimilent souvent fœtus et enfant et four-nissent ainsi un argument contre le droit à l’avorte-ment. Un droit déjà fragile puisque les Indiennes, rappelait le site Fountain Ink en octobre dernier, sont en réalité souvent à la merci des médecins, qui déci-dent, en l’absence de termes clairs dans la loi, du bien-fondé de chaque avortement.

Vu d’Inde

A la une

tabouUne couverture blanche, avec un titre des plus brefs : “Mon avortement”. En novembre dernier, le New York Magazine consacrait sa une à l’interruption volontaire de grossesse, sujet toujours brûlant aux Etats-Unis, évoquant en sous-titre le durcissement des lois partout dans le pays et “une guerre culturelle sans fin”. Le magazine a choisi de donner la parole à 26 femmes ayant avorté, une façon de briser un tabou toujours puissant quarante ans après la légalisation de l’IVG.

Page 36: Courrier 20140306 courrier full

reportage

32. À La UNe Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

femme, avant d’expliquer la raison de sa pré-sence : elle est enceinte et envisage d’avorter.

Tout en énumérant les réactions émotion-nelles les plus courantes telles que la culpabilité, la conseillère, qui se présente sous le prénom d’Annabel, fournit une série d’informations inexactes et trompeuses. “Il y a un risque statis-tique accru de sévices à enfants”, dit-elle. “J’aurai davantage tendance à maltraiter mes enfants ?” s’en-quiert la femme. “Il y a une augmentation statis-tique. Je ne dis pas que beaucoup de femmes le font – le pourcentage reste très faible –, mais il semble y avoir une corrélation entre les deux”, répond la conseillère. “Ah d’accord. De quel genre de sévices s’agit-il, des sévices sexuels ?” reprend la femme. “Euh… pas chez beaucoup de femmes, mais il y a une corrélation”, insiste Annabel.

Pendant l’heure qui suit, la conseillère pré-sente les “risques” d’une IVG. Ces informations ont pour but d’aider la jeune femme à “s’interro-ger” sur l’opportunité de mettre un terme à sa grossesse. En fait, la femme à qui elle s’adresse n’est pas enceinte et n’envisage pas d’avorter. C’est une journaliste du Daily Telegraph qui enquête sous une fausse identité sur les conseils donnés aux femmes dans la centaine de CPC que compte le pays. Ces centres ne font pas partie du système de santé britannique et ne sont pas réglementés. Ils ne sont pas tenus de fournir des informations rigoureuses sur le plan médi-cal. Il est souvent difficile de savoir qui finance et dirige ces établissements : beaucoup ne sont pas inscrits au registre du commerce ou sont enregistrés comme associations caritatives. La plupart sont soupçonnés d’avoir des liens avec des groupes religieux et d’être calqués sur les centres antiavortement américains. Dans l’un des CPC visités par le Daily Telegraph, le Central

London Women’s Centre (CLWC), une journaliste s’est vu remettre des brochures américaines. L’une d’elles, intitulée “Les neuf premiers mois”, était publiée par Focus on the Family, une association américaine

A Londres, les anti-IVG avancent masquésRoyaume-Uni. Des cliniques non réglementées fournissent des informations trompeuses aux patientes envisageant d’avorter.

—The Daily Telegraph (extraits) Londres

A vec son faible éclairage et ses sièges en mousse bleu marine, la salle d’attente pourrait passer pour un cabinet médical délabré. Des membres du personnel font le tour des chambres d’un pas rapide, les bras chargés de blocs-notes et de dossiers.

L’immeuble, un Crisis Pregnancy Centre (CPC, centre d’accueil pour grossesses non désirées) situé au centre de Londres, est plongé dans un silence que seuls viennent troubler le bourdon-nement de la circulation dans le lointain et, de temps à autre, le passage d’un bus.

Trois jeunes femmes sont assises, attendant patiemment leur tour. L’une d’elles, à la grossesse bien avancée, se masse délicatement le ventre d’une main en lisant un courrier. Une jeune conseillère entre et demande à une patiente de la suivre dans une petite salle de consultation au bout du couloir. Après avoir noté ses coordonnées, elle lui pose quelques questions médicales élémentaires. A-t-elle des étourdissements ou des nausées ? Se sent-elle plus fatiguée que de coutume ? “Oui”, répond la

où le redécoupage des circonscriptions électorales et la limitation des mandats ont permis aux conservateurs d’avoir la haute main sur le Parlement de l’Etat, dont un tiers des membres sont de nouveaux élus. Aujourd’hui, les opposants à l’avortement comme la section régionale du National Right to Life Committee y jouissent d’une influence politique dont ils n’osaient pas rêver il y a quelques années.

La plupart des Etats qui votent des mesures contre l’avortement sont aussi des Etats antisyndicats, où l’alliance de puissants donateurs avec les milieux d’affaires a contribué à changer progressivement le jeu politique. Grâce à l’arrêt Citizens United rendu en 2010 par la Cour suprême [autorisant le financement illimité des campagnes par les entreprises, associations et syndicats], des groupes conservateurs ont dépensé des millions de dollars (dont l’origine est souvent obscure) dans des campagnes politiques.

“Moto-vagin”. En Caroline du Nord, le mil-lionnaire Art Pope a ainsi transformé le jeu politique en injectant depuis 2010 des millions de dollars dans les campagnes électorales des républicains, leur permettant de prendre le contrôle de la législature et du fauteuil de gou-verneur. Depuis, la Caroline du Nord a adopté un ensemble de lois Trap qui a attiré l’atten-tion de tout le pays l’année dernière, lorsque les législateurs ont tenté de le faire passer ni vu ni connu en le rattachant à un projet de loi sur la sécurité des motos. Malgré plusieurs semaines de protestations, le projet de loi “moto-vagin”, comme le surnomment les défenseurs du droit à l’avortement, a été voté et est devenu loi en juillet, avec pour effet de menacer les seize cli-niques de l’Etat qui pratiquent l’IVG.

Pope, qui se considère comme libertarien, a été directeur national du lobby [ultraconservateur] des frères Koch, Americans for Prosperity. L’argent des Koch, à travers les différentes organisations d’“aide sociale” qu’il soutient, a largement financé le programme pro-life. Pourtant, les deux frères milliardaires, tout comme Pope, ne se sont jamais personnellement intéressés aux droits reproductifs. “Ils savent que les politiques qu’ils appellent de leurs vœux ne séduiront suffisamment de monde que s’ils les associent à des politiques sociales. Ils ont donc fusionné les programmes social et économique en un seul produit”, explique Rachel Tabachnick, chercheuse pour le think tank progressiste Political Research Associates.

La bonne nouvelle, c’est que dans les Etats qui ont proposé certaines des lois antiavortement les plus extrêmes, les gens contre-attaquent. Lundi 6 janvier, une cour d’appel a commencé les auditions des organisations pro-choice qui estiment que certaines lois texanes sont anticonstitutionnelles. A Albuquerque, au Nouveau-Mexique, la population a voté contre un texte interdisant l’avortement après la vingtième semaine, qui aurait constitué la première législation restrictive municipale du pays sur l’IVG. Mais cette victoire, à 55 % des voix, n’a pu être remportée que parce que les groupes de défense du droit à l’avortement avaient injecté près de 700 000 dollars dans la campagne – plus de trois fois la mise des organisations antiavortement.

—Janet ReitmanPublié le 15 janvier

31 ←

→ Dessin de Belle Mellor paru dans The Economist, Londres.

Page 37: Courrier 20140306 courrier full

Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 AVORTEMENT, LE RETOUR DES RÉACS. 33

qui se présente comme “un ministère chrétien mondial ayant pour vocation d’aider les familles à prospérer” et “à répandre les vérités bibliques dans le monde entier”. Le CLWC et l’Alma Pregnancy Advisory Service (APAS) de Luton, où se sont rendues nos journalistes, montrent à leurs patientes une vidéo où intervient le Dr Noreen Johnson, un médecin antiavortement américain. Un autre groupe antiavortement américain, 40 Days for Life, qui explique sur son site que “[son] projet et [sa] mission sont une campagne pro-life bien ciblée, qui, par la prière, le jeûne et les mani-festations silencieuses et pacifi ques, fait appel à la puissance de Dieu pour mettre un terme aux avor-tements”, a distribué des brochures faisant de la publicité pour le CLWC.

Début février, une journaliste du Daily Telegraph se faisant passer pour une femme hésitant à mener sa grossesse à terme a assisté à une séance d’information donnée au centre de Luton. Alors qu’elles évoquaient les risques de l’avortement, l’une des deux conseillères pré-sentes a signalé un lien avec le cancer du sein. “Il s’agit d’un type particulier de cancer du sein ; les recherches ont commencé parce que beaucoup de jeunes femmes développaient ce type de cancer et elles ont montré que les premiers symptômes se manifestaient huit à dix ans après l’avortement”, a-t-elle expliqué. Puis elle a souligné qu’un avor-tement lors d’une première grossesse augmen-tait les risques de cancer : “Une grossesse protège la femme du cancer de l’utérus. […] Quand on y pense, la nature suit son cours. Dans un avorte-ment, ce processus est stoppé net. Toutes les cellules de votre poitrine qui, jusque-là, allaient bien et se préparaient à fabriquer du lait sont chamboulées et commencent à muter.” Ses affi rmations ont été démenties par Kate Guthrie, porte-parole du Collège royal des obstétriciens et des gyné-cologues, pour qui “il n’y a absolument aucune preuve que les avortements provoquent un risque accru de cancer du sein”.

—Emma Barnett, Claire Newell, Holly Watt et Ben Bryant

Publié le 11 février

“L’avortement ? Un assassinat”Pologne. Dans ce pays ultracatholique, l’accès à l’IVG est strictement réglementé. Du coup, 100 000 avortements clandestins auraient lieu tous les ans.

—Rzeczpospolita (extraits) Varsovie

E n 2013, il y a eu 752 IVG légales en Pologne, selon le récent rapport du gouvernement envoyé à la Diète. Depuis des années, le nombre d’avor-tements ne cesse de croître mais, pour la pre-mière fois depuis 1994, l’augmentation est particulièrement élevée. “C’est parce que ici le

droit à la vie est méprisé”, explique Jan Dziedziczak, député de Droit et justice [droite cléricale et natio-naliste, parti de Jaroslaw Kaczynski].

Les partisans d’une libéralisation de l’IVG affi rment pourtant que le nombre d’avortements en Pologne est beaucoup moins élevé que dans d’autres pays européens. Ils mettent en cause une législation trop restrictive.

En Pologne, depuis 1994, l’IVG est autorisée dans les cas suivants : une grossesse résultant d’un acte criminel (comme le viol ou l’inceste), présentant un danger pour la santé de la mère, ou lorsqu’une maladie incurable menaçant la vie du fœtus est diagnostiquée. Pendant quelques mois, en 1997, les femmes ont pu invoquer comme raison pour avorter une situation matérielle dif-fi cile. Mais le tribunal constitutionnel a remis ce point en question.

Le professeur Stanislaw Radowicki, consul-tant national en gynécologie et en obs-tétrique, explique l’augmentation du nombre d’IVG par l’accès de plus en plus facile aux tests prénataux. “Cela est lié à une amélioration des soins qui accompagnent la grossesse,

ce qui permet de découvrir tôt diff é-rentes pathologiques chez l’embryon”,

explique-t-il.Les chiff res contenus dans le rapport

gouvernemental peuvent en apporter la preuve. En 2012, 701 IVG sur 752 ont été eff ectuées pour malformation du fœtus – seule une grossesse résul-tait d’un acte criminel et 50 mena-çaient la santé de la mère. Un tiers

des IVG ont été eff ectuées dans la région de Varsovie. “C’est dans

cette région qu’il y a des équipements modernes”, explique le professeur Radowicki.

Les personnes engagées dans la controverse autour de l’IVG, qui éclate régulièrement, sou-tiennent diff érentes interprétations des chiff res cités dans le rapport gouvernemental.

En septembre 2013, la Diète a rejeté un projet de loi émanant de la société civile qui proposait d’interdire complètement l’IVG, présenté par Kaja Godek, de la fondation Pro-Prawo do Zycia [Pour le droit à la vie]. Selon elle, l’accès aux tests prénataux n’est pas la seule cause de l’augmenta-tion des IVG. “J’ai bien peur que dans les hôpitaux on ne donne une interprétation de plus en plus large à la formulation ‘handicap de l’embryon ou maladie incurable menaçant la vie de l’embryon’, que, d’ail-leurs, personne n’a jamais défi nie ; tout cela échappe au contrôle. Beaucoup d’indices laissent croire que le syndrome de Down est la principale cause d’as-sassinat des enfants non nés, pendant qu’une partie des enfants avortés pourraient être tout à fait sains, car il suffi t de soupçonner un défaut pour pratiquer l’IVG”, explique Kaja Godek.

“Ce rapport indique combien la loi en Pologne est restrictive et montre que l’avortement légal y est pratiquement impossible”, rétorque Marek Balicki, ex-ministre de la Santé dans le gouvernement de l’Alliance de la gauche démocratique (postcom-muniste), partisan d’une libéralisation de la loi. Selon lui, s’il y a plus d’avortements, c’est peut-être lié à un ou deux hôpitaux, plus favorables à l’avortement. “En réalité, jusqu’à 100 000 avorte-ments par an sont eff ectués dans la clandestinité”, explique Balicki. Il y a d’autres chiff res inquié-tants : en 2012, les mères ont abandonné à l’hô-pital 1 021 nouveau-nés, pour des raisons autres que médicales, soit 263 de plus qu’en 2011. Il y a aussi plus d’avortements provoqués par la femme et plus de nouveau-nés avec des dommages corpo-rels. “L’Etat est responsable de ce type de situations. Si les femmes se décident à le faire, c’est parce que l’accès à la contraception et à l’IVG est diffi cile”, explique la vice-présidente de la Diète, Wanda Nowicka.

—Wiktor FerfeckiPublié le 4 février

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

“Interdire à nouveau l’IVG en Espagne ?”, une controverse avec deux articles de Infolibre et du quotidien ABC (paru dans CI n° 1212 du 23 janvier).“Tu avorteras dans la douleur, ma fi lle” : enquête de La Repubblica sur l’augmentation du nombre des IVG clandestines ou faites maison en Italie (dans CI n° 1179 du 6 juin).

↓ Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis.

A la une

OBSCURANTISME“A droite toute”, titrait l’hebdomadaire italien Left dans son édition du 18 janvier en réaction au projet de loi espagnol. “L’Espagne interdit l’avortement. Sous le diktat de l’Eglise, les conservateurs renvoient l’Europe un demi-siècle en arrière”, écrit le titre orienté à gauche. Le projet de loi précipiterait l’Espagne “dans l’obscurantisme”, écrit encore le journaliste et éditorialiste italien Aldo Garzia dans les colonnes du magazine.

Page 38: Courrier 20140306 courrier full

34. Courrier international — n° 1218 du 6 au 12 mars 2014

FOCUS

–  on vous donne la réponse, vous formulez la question. Une machine construite par IBM a battu, début 2011, les plus grands champions américains. Pendant toute la durée du jeu, “Watson” a écouté les questions, cherché la réponse, actionné le buzzer et répondu grâce à un logiciel de synthèse vocale. Il a ensuite choisi le thème et le montant de la prochaine question, comme l’exigent les règles.

Google Car. Les petits-enfants de Watson pourront occuper une large palette d’emplois. Pas seulement ceux de la classe ouvrière, déjà remplacés sur les chantiers et les chaînes de montage par des robots. Ils s’orien teront vers le secteur des services, pourvoyeur de deux tiers des places de travail dans les pays industrialisés. Selon une étude publiée en 2013 par deux chercheurs de l’université d’Oxford, Carl Benedikt Frey et

Michael Osborne, 47 % des professions du secteur

des services pourront être exercées par des robots dans les vingt prochaines années

[voir le graphique p. 36 ]. Les plus touchés seront l e s t é l é d é m a r -

cheurs, mais aussi les comptables, les ju ristes, les agents i m m o b i l i e r s o u les journalistes. A partir des résultats d’une entreprise ou des statistiques d’un

match, des programmes produisent déjà des

articles plus que lisibles. Quant aux chauffeurs routiers et aux taxis, comment pourront-ils résister à la concurrence de la Google Car, dont les premiers prototypes sillonnent déjà les routes de Californie ?

Fabio Gramazio, architecte et professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, a créé avec un collègue le premier laboratoire de robotique appliquée à l’ar-chi tecture. Il utilise des robots industriels relativement basiques pour usiner des pièces uniques et assembler des éléments. “Il est important d’explorer la complémentarité entre l’homme et les machines”, a-t-il déclaré lors sa conférence donnée au Lift [un événement consacré à

de montage. Les économistes, cependant, étaient restés con-fiants. Après une douloureuse phase d’adaptation, le bien-être global allait croître. C’est ce qui s’est produit. Grâce à l’augmentation de la productivité, les revenus ont pris l’ascenseur et ont entraîné une demande pour de nouveaux biens de con-sommation, créant ainsi de nouvelles places de travail. La vision de [l’économiste John Maynard] Keynes, qui supposait que chacun serait plus riche en 2030 qu’en 1930, s’est largement réalisée [il prévoyait aussi qu’il nous suff irait de travailler quinze heures par semaine]. Mais, aujourd’hui, de nombreux économistes regardent d’un œil plus craintif l’accélération du progrès technologique et la stagnation du niveau de vie.

↙ Dessins de notre dossier : Otto, Londres.

Sciences ......... 38Médias ........... 40Signaux .......... 41

Plus de robots, moins de boulot

Automatisation. Après l’industrie, les services : dans vingt ans, les machines pourront “exercer” la moitié des métiers de ce secteur, estiment certains économistes. D’après eux, il faudra alors

remplacer l’allocation chômage par un revenu universel.

trans-versales.

économie

Le Temps (extraits) Genève

Dans ce monde que nous créons si rapidement, nous verrons de plus en plus

de choses qui ressemblent à de la science-fi ction, et de moins en moins de choses qui ressemblent à des postes de travail.” Cette phrase de l’éco-nomiste et expert de l’ère digitale

Andrew McAfee [lire l’interview p. 35] est provocante, mais refl ète une inquiétude partagée par un nombre croissant de chercheurs. Les robots construisent déjà des murs et des voitures, mais demain ils conduiront des camions et feront de la comptabilité ou du droit. Même du journalisme. La seule question sur laquelle les

chercheurs se disputent encore est : que deviendront les humains ? Occuperont-ils de nouveaux emplois, seront-ils en vacances perpétuelles ou sombreront-ils dans la précarité ?

Le progrès technologique a déjà déstabilisé le monde du travail lors de l’industrialisation et de l’avènement des chaînes

Depuis qu’un ordinateur a battu les maîtres des échecs [en 1997], on se doutait que leur intel-ligence était capable d’une sub-tilité nouvelle. Les logiciels sont plus complexes et plus puissants, mais surtout ils ont accès à un nombre hallucinant de données, ce qui leur permet de rivaliser avec l’homme dans un nombre croissant de domaines. Prenons la culture générale, illustrée par un jeu toujours très popu-laire aux Etats-Unis, Jeopardy !

Page 39: Courrier 20140306 courrier full

TRANSVERSALES.Courrier international — n° 1218 du 6 au 12 mars 2014 35

PARTOUT

AILLEURS Eric Valmir

lE VEndrEdi à 19h20

LA VOIXEST

LIBREen partenariat avec

de constater que le chômage, tel qu’il existe aujourd’hui, crée une multitude de problèmes, que ce soit au niveau personnel ou au niveau sociétal. Pour cette émi-nence grise américaine, qu’on peut difficilement comparer à un hippie ou à un communiste, la solution est d’adopter le revenu universel.

C’est le concept qu’est venu présenter à Lift Che Wagner, jeune universitaire militant qui tente de faire adopter le principe du revenu universel en Suisse. Selon lui, la productivité du travail rend déjà son adoption possible. Chaque citoyen toucherait mensuellement une certaine somme d’argent sans aucune condition. Le montant ne serait pas très élevé, mais suffi rait à vivre décemment. En Suisse, par exemple, il se monterait au jour -d’hui à 2  500  francs suisses [2 060 euros]. “Si les gens n’ont plus besoin de gagner leur vie, ils pourront se consacrer aux projets qui leur tiennent à cœur, analyse Che Wagner. Ils auront le temps de songer à la contribution qu’ils pourraient apporter à la société et qui correspond à leurs capacités. Ils deviendraient ainsi plus productifs et créatifs.”

Ce ne sera sans doute pas un problème si certaines personnes décident de ne plus travailler. Il n’y aura pas assez à faire pour tout le monde. Mais si plus personne ne veut mettre la main à la pâte ? “Beaucoup de gens voudront travailler, parce que ça les intéresse et qu’ils voudront augmenter leur revenu, rétorque Che Wagner. Quand nous avons récolté les signatures pour notre initiative, nous avons élaboré un petit sondage. A la question de savoir si la personne souhaiterait continuer à travailler, 80 % des interrogés ont dit oui. Mais si on leur demande s’ils pensent que les autres vont continuer à travailler, 80 % répondent non. Notre société n’a pas un problème de force de travail, elle a un problème de confi ance.”

—Julie ContiPublié le 7 février

Je les ai rencontrés pour com-prendre les eff ets que ces change-ments produiront sur l’économie, et ce que cela signifi e de disposer de machines qui effectuent un travail naguère considéré comme exclusivement humain.

Qu’est-ce que le “second âge de la machine” ? En quoi est-il diff érent de ce que nous avons connu par le passé ?ERIK BRYNJOLFSSON Nous avons choisi ce titre en référence au “pre-mier âge de la machine” que fut la révolution industrielle. Elle a mis l’humanité sur une nouvelle voie faite de progrès, de prospé-

la technologie et à l’innovation, et organisé chaque année à Genève]. “C’est l’être humain qui dicte les règles, mais le robot peut faire des choses dont l’homme n’est pas capable, comme empiler des éléments avec une précision extrême.”

Fabio Gramazio estime que le tournant technologique va laisser sur le carreau les travailleurs les moins qualifi és, mais qu’après une transition douloureuse, de nou-velles opportunités émer geront. “Je ne vois pas comment un ordi-nateur pourrait gérer la complexité d’un chantier, dit-il. Les machines ne vont pas remplacer les humains, elles vont les aider, devenir complé-mentaires.”

José Achache est du même avis. Le directeur d’AP-Swiss [struc ture soutenue par l’Agence spatiale européenne] et spé cia-liste des drones montre com-ment la technologie spatiale peut remplacer le travail d’un paysan. “Les satellites et les drones permettent d’observer les champs et de déterminer avec précision quelle zone a besoin d’eau, d’engrais ou de pesticide, dit-il. Les images sont envoyées à des logiciels d’analyse, qui les transmettent à l’agriculteur. Comme tous les tracteurs sont aujourd’hui équipés d’un GPS, la machine peut très bien être envoyée dans les champs pour répandre toute seule les substances là où elles sont nécessaires. Aujourd’hui, il est déjà possible pour un paysan de gérer ses récoltes depuis son bureau, mais demain la communication pourrait s’effectuer directement de machine à machine, et on n’aura plus besoin de paysans.” Selon José Achache, cependant, la formation et la maîtrise des nouvelles technologies off riront d’autres emplois.

Développer des compétences complémentaires de celles des machines sera nécessaire. Mais il faudra aussi s’adapter à un monde du travail plus mouvant et plus fl exible. “La plupart des gens ne gardent déjà plus toute leur vie un même emploi dans une même entreprise”, assène Narkis Alon, jeune Israélienne spécialisée dans l’encadrement des start-up. “Et cette tendance à un marché du travail toujours plus fl exible va se poursuivre.” Les indépendants et le travail à la demande, pour de courtes missions, de -vraient se développer, selon elle, de même que les micro-entreprises comptant moins de dix personnes.

Cette évolution implique que les travailleurs apprennent à se vendre en recensant leurs compétences et en développant leur image, notamment sur Internet. “Un écosystème propice à la naissance des start-up est aussi nécessaire, poursuit Narkis Alon. Il faut former les gens pour qu’ils puissent développer leurs idées, et les mettre en contact avec des fonds d’investissement.”

Dentistes. Et si une part crois sante de travailleurs ne trouvait pas sa place dans la nouvelle économie  ? Bien sûr, nous aurons sans doute besoin encore longtemps de dentistes, de physiothérapeutes ou de puéricultrices, mais entre la concurrence des ordinateurs et celle des pays en voie de déve lop-pement, qui continueront encore quelques années à offrir une main-d’œuvre bon marché, une part croissante de la population n’aura sans doute plus rien à faire. C’est la thèse d’Andrew McAfee.

Selon lui, les robots vont prendre notre travail. Cela pren-dra peut-être vingt ou trente ans, mais c’est inévitable. “Fantastique, a d’abord pensé le chercheur. Nous aurons enfi n le temps de nous adonner à nos loisirs et de réfl échir aux multiples façons de rendre le monde meilleur.” Mais force est

—Boston Globe Boston

S’il y a une chose qu’une machine ne peut pas faire, c’est bien conduire une voi-

ture, auraient dit Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee voilà dix ans à peine. Aujourd’hui, lorsqu’ils empruntent la Route  101 [qui longe la côte Pacifi que] à toute allure, dans un véhicule sans conducteur [conçu par Google et testé en Californie], les deux professeurs au Massachusetts Institute of Technology s’émer-veillent de la banalité de l’aff aire.

Voilà un nouvel exemple de la vitesse à laquelle les technologies progressent, des smartphones qui exécutent fi dèlement nos instruc-tions jusqu’aux imprimantes 3D capables de fabriquer n’importe quoi ou presque. Le tout nou-veau livre des deux chercheurs, The Second Machine Age [“Le second âge de la machine”, éd. W. W. Norton & Company, non traduit en français], traite du progrès technologique et de la façon dont la société devrait faire face aux déf is, perturbations et opportunités qui l’accompagnent.

La machine peut créer des emploisInterview. Il n’y a pas de fatalité : si les politiques publiques sont à la hauteur du défi , les nouvelles technologies n’augmenteront pas forcémentle chômage.

Avec les drones et la technologie spatiale, plus besoin de paysans

→ 36

Page 40: Courrier 20140306 courrier full

TRANSVERSALES36. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014FOCUS EMPLOI.

Orthoprothésistes

Dentistes

Ecclésiastiques

Architectes

Pompiers

Acteurs

Juges

Economistes

Bibliothécaires

Dactylographes

Boulangers

Télévendeurs

Pilotescommerciaux

Rédacteursen chef

Entraîneurssportifs

Comptableset auditeurs

Vendeursen magasin

Agentsimmobiliers

0,003

0,004

0,007

0,008

0,02

0,06

0,17

0,37

0,40

0,43

0,99

0,94

0,92

0,89

0,86

0,81

0,65

0,55

MenacesProbabilité que l’automatisation mène à des pertes d’emplois dans les vingt ans à venir (1 = certain)

SOURCE : “THE FUTURE OF EMPLOYMENT : HOW SUSCEPTIBLE ARE JOBS TO COMPUTERISATION ?”, DE CARL BENEDIKT FREY ET MICHAEL A. OSBORNE (SEPTEMBRE 2013)

de la technologie sur l’emploi. La technologie tue-t-elle ou crée-t-elle des emplois ?E.B. Prenons un peu de recul. Il y a deux cents ans, plus de 90 % des Américains travaillaient dans des fermes. Puis ce travail a été largement automatisé et aujourd’hui il représente moins de 2 % des emplois. Mais tous ces gens ne se sont pas retrouvés au chômage –  la technologie a permis l’émergence de nouvelles industries créatrices d’emplois, de l’automobile à l’informatique. La question est maintenant de savoir si nous serons capables de créer de nouveaux secteurs en suivant le rythme auquel la technologie automatise les tâches.

Vous écrivez qu’“il n’y a jamais eu de pire époque pour les travailleurs qui possèdent des compétences ‘ordinaires’“. La classe ouvrière sera-t-elle inévitablement laissée sur le bord du chemin ?ANDREW MCAFEE Erik et moi faisons très attention de ne pas utiliser le mot “inévitable”. Il existe tout un tas de fatalistes qui disent : “Nous ne pouvons rien faire, le travailleur moyen sera balayé par cette vague technologique.” Il est bien trop tôt pour l’affi rmer. Et c’est du reste une vision trop déterministe. Dans notre livre, nous formulons des propositions pour créer un environnement économique qui off re le plus de débouchés possible précisément à ce travailleur moyen dont vous parlez. Par exemple, nous pensons que si nous investissons dans les infrastructures, si nous mettons en place les bonnes politiques migratoires, si nous menons des

réformes éducatives et si nous créons un environnement plus favorable à l’esprit d’entreprise, la croissance du nombre d’emplois s’accélérera fortement et la situa-tion du travailleur moyen sera bien meilleure.

Certaines de vos recommandations sont plutôt excentriques, comme celles d’un impôt négatif sur le revenu et d’un revenu de base. Est-ce possible ?E.B. Nous pensons que ce sera possible si nous changeons de discours et si nous amenons les gens à réfl échir à ces questions. Par exemple, nous tenons particu-lièrement à l’idée du crédit d’impôt sur le revenu, qui récompense les gens qui travaillent. Parce que nous estimons que le travail a bien plus de valeur que le simple revenu qu’il génère. Alors, au lieu de le taxer, de décourager le tra-

vail comme le font nos systèmes actuels, nous pensons qu’il faut l’encourager.A.McA. Vous dites que ces idées sont excentriques. C’est vrai aujour d’hui. Il est également vrai qu’elles ressemblent à des idées socialistes un peu folles. Mais nous devons nous souvenir que de telles propositions ont été fermement défendues par des économistes comme [le très libéral] Milton Friedman dans les années 1960 et 1970 – et per-sonne ne prétendrait qu’il était de gauche. Ces idées ont une longue histoire, une histoire qui échappe au clivage entre la droite et la gauche. C’est dans le contexte actuel qu’elles semblent folles.

Dans le “second âge de la machine”, la technologie se charge de tâches que nous faisions nous-mêmes, comme conduire ou faire

des recherches. Sila technologie rend le monde plus intéressant sous certains aspects, rend-elle aussi notre vie plus ennuyeuse ?E.B. Jusqu’à présent, ce n’est pas le cas, car ce sont les parties les plus insignifiantes de notre vie qui sont automatisées – mon trajet pour aller travailler n’est géné-ralement pas le point d’orgue de ma journée –, et je pense que la technologie nous laisse plus de temps pour faire des choses intéressantes. Parmi les aspects positifs du futur, il y a ce que nous appelons les actifs numériques. Tout comme les Athéniens dans l’Antiquité, qui avaient hélas des esclaves humains, nous pourrons peut-être confi er nos corvées à des robots. Et je crois que ce sera un monde beaucoup plus intéressant.

—Propos recueillis parAlyssa Edes

Publié le 21 février

rité et de haut niveau de vie, mais elle a aussi considéra-blement perturbé notre façon de travailler. Lors de ce premier âge, nous avons automatisé la force physique. Nous avons dépassé certaines limites de nos muscles. Dans le second âge, la techno-logie fait la même chose avec le travail cognitif – le travail de nos cerveaux, de notre esprit.Une grande partie de votre livre est consacrée à l’impact

35 ←

Page 41: Courrier 20140306 courrier full

VOTRE PROGRAMME GRÈCE > Richesse historique des escales : Olympie, légendaire pour ses jeux olym-piques. Nauplie, située sur une presqu’île rocheuse. Visite de Mycènes et Epidaure.Athènes, sa ville antique et son Acropole. Le site de Dodone dédié à Zeus et lesbeautés de Parga. Passage du Canal de Corinthe. MONTENEGRO > Les bouches de KotorCROATIE > Dubrovnik, perle de l’Adriatique.AVEC LA PARTICIPATION EXCEPTIONNELLE de Claude Rappé, conférencier qui apportera un complément historique.

FORMULE LIBREFAMILLE TOUT COMPRIS Vol + croisière + toutes les excursions + boissons à table et au bar+ animations incluses signées Librefamille. Tarif spécial enfant.

VOTRE BATEAU PRIVATISÉ La Belle de l’Adriatique est un navire de mer 4 pontsde 99 cabines. Toutes les cabines bénéficient d’une vue sur l’extérieur et sont clima-tisées. Commodités à bord: grand salon-bar avec piste de danse – pianoramabar avectélé-vidéo grand écran, bibliothèque et terrasse – grand pont soleil avec bar et petiterestauration, 2 jacuzzis et transats – piscine – boutique – infirmerie – ascenseur.

Lic

: A 5

500

DU 7 AU 14 AOÛT 2014

UN AVANT-GOÛT DU VOYAGE…Le mercredi 26 mars à 15h, présentation du programme spécial Librefamille sur un bateau à quai de Croisieurope.

Entrée libre pour les grands et les petits avec visite du bateau ! Adresse du jour (sans réservation préalable) : Bateau de Croisieurope – Chaussée de Vilvorde n°13 - Quai de Heembeek à 1020 Bruxelles

POUR LES ENFANTSMini Club et Junior Club de 4 à 12 ans. Animations et sorties à la plage organiséespar La Libre. Encadrement par des éducateurs agréés. Nombre limité à 35 enfants !Une cabine à côté de celle de papa et maman ou grands-parents (à partir de 5 ans).

NOTRE PRIX 1779 € / Prix par enfant 1 159 €Supplément pont principal 245 € / Supplément pont des embarcations 345 €Supplément pont supérieur 399 € / Supplément cabine individuelle 624 €Ce prix comprend les vols spéciaux Bruxelles/Catane – Dubrovnik/Bruxelles / tousles transferts / la croisière en pension complète / les boissons incluses lors des repaspris à bord du bateau ainsi que les boissons au bar / le logement en cabine doubleclimatisée avec douche et WC / l’animation / toutes les excursions mentionnées auprogramme pour les adultes / le cocktail de bienvenue / la soirée de gala / l’assuranceassistance/rapatriement / les taxes portuaires / l’accompagnement spécial Libre Bel-gique avec conférencier, animateur pour les enfants et médecin. Ce prix ne com-prend pas les boissons figurant sur la carte des vins, les boissons prises lors desexcursions ou des transferts ainsi que le champagne au bar / l’assurance annulation/bagages / les taxes d’aéroport obligatoires / les dépenses personnelles.

INFORMATIONS ET RÉSERVATIONS CROISIEUROPE Tél 02 514 11 54

[email protected] le programme complet

VOYAGE LA LIBRE BELGIQUELA CROISIÈRE DE L’ÉTÉ – PARTEZ EN LIBREFAMILLE

500€

DE RÉDUCTION

POUR LES FAMILLES

À PARTIR DE

6 PERSONNES

LA GRÈCE ET SES TRÉSORSCROISIÈRE ENTRE L’ITALIE, LA GRÈCE, LE MONTÉNÉGRO ET LA CROATIE

Page 42: Courrier 20140306 courrier full

transversales38. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

—The New York Times New York

Des scientifiques et des sociétés de bio­technologie éla­

borent aujourd’hui ce qui pourrait devenir la pro­chaine arme de destruc­tion massive contre les insectes nuisibles. Pour ce faire, ils se sont fondés sur une découverte [pour laquelle les chercheurs amé­ricains Craig C. Mello et Andrew Fire ont obtenu le prix Nobel de physiologie et de médecine en 2006], l’inter­férence ARN, dont le méca­nisme permet l ’él iminat ion d’insectes et de pathogènes par l’inhibition de leurs gènes.

En ciblant une sé quence génétique propre à une espèce, la technologie de l’interférence ARN, ou iARN, pourrait tuer des insectes nuisibles sans affecter les insectes bénéfiques, ce qui constituerait une grande avancée par rapport aux pesticides chimiques. “Un neurotoxique tue sans discernement, alors que l’iARN est très sélective”, indique Subba Reddy Palli, entomologiste de l’Université du Kentucky qui travaille sur cette technique.

Sauvons les abeilles. Mais certains spécialistes redoutent que la dispersion en pleins champs d’agents inhibiteurs de gènes risque de nuire aux insectes bénéfiques –  en particulier ceux dont le patrimoine génétique a beaucoup en commun avec celui des nuisibles –, voire à la santé

humaine. Le 28 janvier, l’Agence américaine de protection de l’environnement [Envi­ron mental Protection Agency, EPA], qui réglemente l’emploi des pesticides, a donc organisé une réunion de conseillers scientifiques à Arlington (Virginie), pour discuter des risques potentiels de l’iARN. “Tenter d’utiliser cette technologie au stade

actuel de nos connaissances serait encore plus naïf que l’utilisation

du DDT dans les années 1950”, a souligné le Comité

consultatif national sur les abeilles dans les commentaires soumis à l’EPA avant la réunion.L’interférence ARN présente pourtant un grand intérêt pour les apiculteurs, puisque

l’une de ses possibles ap plications, sur laquelle

travaille Monsanto, viserait le varroa (Varroa destructor).

Cet acarien est considéré comme l’un des responsables du fort déclin de la population des abeilles ces dernières années [il leur transmet un virus mortel]. Par ailleurs, l’entreprise américaine a déjà

demandé l’homologation d’un maïs génétiquement modifié qui utilise l’iARN pour tuer la chrysomèle du maïs, l’un des ravageurs les plus dévastateurs pour

l’agriculture.Pour une partie des spécialistes

des abeilles, toutes les pistes sont à explorer pour sauver l’espèce, y compris

l’iARN. Quant aux groupes représentant les producteurs de maïs, de soja et de coton, certains soutiennent l’utilisation de cette technologie. “L’iARN va faire entrer l’agriculture américaine dans une nouvelle génération d’outils très prometteurs”, affirme la Fédération nationale des producteurs de maïs. Ces derniers ont besoin de cette nouvelle arme : depuis une dizaine d’années, ils se battent contre la chrysomèle en cultivant du maïs BT, génétiquement modifié pour produire une toxine qui tue l’insecte lorsqu’il l’ingère. Mais la chrysomèle a fini par développer une résistance à la toxine.

L’interférence ARN est un phénomène naturel déclenché par un acide ribo nu­cléique (ARN) double brin. L’ADN, matière constitutive des gènes, est généralement composé de deux brins qui forment une double hélice. L’ARN, qui joue [notamment] un rôle de messager dans les cellules, ne comporte normalement qu’un seul brin. Quand une cellule détecte un ARN double brin, elle réagit comme si elle se trouvait en présence d’un virus : elle déclenche un mécanisme qui inhibe l’expression des gènes porteurs de la séquence correspondant à celle de l’ARN double brin.

sCienCes

Ravageurs, gare à vos gènes !OGM. Les laboratoires phytosanitaires ont un nouveau dada : l’iARN, une arme génétique contre les insectes nuisibles. Mais on manque de recul pour évaluer ses effets sur les autres espèces – y compris l’homme.

Intelligence originelle

Comment robots et humains vont-ils cohabiter ? C’est la question posée par un groupe de chrétiens évangéliques.

—New Scientist (extraits) Londres

Un invité de marque assistera cette année à la conférence création­niste organisée en Caroline du

Nord. Il n’est pas chrétien. Il n’est même pas humain. C’est le robot humanoïde appelé NAO, que le Séminaire évangé­lique du Sud a acheté 16 000 dollars [11 600 euros] à la société [française] Aldebaran Robotics.

Pour Kevin Staley, qui dirige ce projet, “d’un point de vue chrétien, le fait que Jésus ait choisi une forme humaine est d’une extrême importance, cela souligne le caractère holistique des êtres humains, à la fois corps et esprits”. Mais il craint que les rapides avancées de la robotique n’al­tèrent la valeur accordée à l’être humain. L’étude de NAO doit permettre de répondre à plusieurs questions : “Quelles charges ou pressions sociétales ces robots sont-ils censés alléger ? Quels problèmes leur existence va-t-elle générer ? En quoi leur présence à nos côtés est-elle bénéfique ?”

Kate Darling, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), souligne le statut particulier dont jouissent les robots par rapport aux autres objets : nous avons tendance à les anthropo­morphiser. Cela est dû selon elle à leurs actions apparemment imprévisibles, à leurs capacités d’interaction sociale de plus en plus poussées et à la place physique qu’ils occupent dans nos vies.

Mais ce qui intéresse Kevin Staley, c’est de comprendre comment ils pour­raient finir par nous remplacer. “On se rapproche du moment où l’on acceptera qu’un robot se substitue à un humain de multiples façons, affirme­t­il. La question du mariage entre humain et robot se posera alors, de même que l’on assistera à l’essor d’un marché du sexe robotique.”

Il est important que les communau­tés religieuses aient voix au chapitre sur ce sujet, estime­t­il. Le Séminaire évangélique du Sud a d’ailleurs lancé un concours afin de trouver un nom à son robot. “Ils sont déjà en train de l’anthro-pomorphiser”, commente Kate Darling.

—Hal HodsonPublié le 12 février

planète robot

↓ Dessin de Caro, Suisse.

Page 43: Courrier 20140306 courrier full

biotechnologies

transversales.courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 39

Les scientifiques ont vite compris qu’ils pourraient réduire au silence pratiquement chaque gène en synthétisant un fragment d’ARN double brin portant la séquence correspondante. Les premiers à avoir saisi ce mécanisme ont remporté le prix Nobel de physiologie et de médecine en 2006. Au départ, on pensait que leur découverte au r a i t s u r tout de s ap plications médicales, p o u r i n h i b e r p a r exemple des gènes essentiels pour les organismes pa thogènes ou les cellules cancéreuses, ou pour agir sur le gène responsable d’un taux de cholestérol élevé. Cette belle euphorie est assez vite retombée. En effet, il est difficile de transporter les brins d’ARN dans les cellules que l’on vise. Mais ces obstacles ont été progressivement surmontés, et l’enthousiasme est en train de renaître.

En effet, l’iARN devrait être plus facile à appliquer aux insectes – en tout cas aux coléoptères, parmi lesquels la chrysomèle du maïs : il suffit qu’ils ingèrent un ARN double brin ! Il s’agit donc de modifier l’ADN des plantes pour qu’elles produisent un ARN double brin correspondant à un gène vital pour l’insecte.

L’iARN était déjà utilisée pour inhiber des gènes spécifiques chez les végétaux ; c’est ainsi qu’on a obtenu, par modification génétique, une huile de soja plus saine et une pomme qui ne brunit pas (les deux sont

en cours d’homologation). La technique est également employée pour rendre des denrées comme la papaye résistantes aux virus. Dans ces deux cas, on constatait que ça fonctionnait, mais sans comprendre le rôle joué par l’iARN. Le nouveau maïs de Monsanto, qui tue la chrysomèle, est l’une des premières plantes dans lesquelles

l a m o d i f ic a t ion g é n é t i q u e v i s e spécif iquement à produire un ARN

double brin pour désactiver un gène, le SNF7, indispensable au transport des protéines dans l’organisme du coléoptère. Le groupe espère commercialiser ce maïs, baptisé SmartStax Pro, d’ici à la fin de la décennie.

Pulvérisation d’ARN. Monsanto planche par ailleurs sur la mise au point d’un aérosol destiné à renforcer l’une de ses principales gammes de produits : le Roundup. Cet herbicide [utilisé en épandage] agit en inhibant une protéine dont les plantes ont besoin pour survivre. Mais beaucoup de mauvaises herbes y sont devenues résistantes : elles produisent tellement de protéine que le Roundup n’est plus efficace. Le nouvel aérosol de Monsanto utilisera l’iARN pour inhiber le gène codant pour cette protéine, ce qui redonnera au Roundup la capacité de tuer les plantes indésirables.

Quant à la lutte contre le varroa, l’acarien qui décime les abeilles, elle passerait par l’introduction de l’iARN dans une solution sucrée dont les abeilles sont friandes. Pour l’instant, le seul moyen de combattre ce parasite est de pulvériser des pesticides qui peuvent s’avérer nocifs pour les butineuses. Le ciblage par iARN d’une séquence génétique propre à cet acarien permettrait donc d’éradiquer les parasites sans toucher aux abeilles. “On essaie de tuer une petite bestiole sur une grosse”, résume Jerry Hayes, responsable de la santé des abeilles chez Monsanto. Un essai sur le terrain a montré que cette technique pourrait effectivement

contribuer à protéger les abeilles du virus transmis par le varroa.

Monsanto a donc racheté Beeologics, une entreprise qui développe cette technique, ainsi que deux autres sociétés qui cherchent à développer des applications agricoles de l’iARN. Et il a déboursé plusieurs dizaines de millions de dollars en acquisitions de brevets et transferts de technologies auprès de sociétés spécialisées.

Mais Monsanto n’est pas seul. En 2012, [le groupe suisse] Syngenta a signé un accord avec Devgen, une société de biotechnologie belge, pour travailler sur des aérosols iARN, avant d’annoncer le rachat de cette entreprise pour environ 500 millions de dollars.

Prudence, tout de même. Dans la mesure où certains organismes ont des gènes communs, des pesticides iARN pourraient nuire à des insectes non ciblés, rappellent deux entomologistes du département de l’Agriculture dans un article publié en 2013. Une étude de laboratoire menée par des

scientifiques de l’université du Kentucky et de celle du Nebraska a ainsi révélé qu’un ARN double brin censé inhiber un gène de la chrysomèle affectait également un gène de la coccinelle et tuait cet insecte bénéfique.

En 2011, des chercheurs de l’Université de Nankin, en Chine, ont quant à eux évoqué des risques potentiels pour la santé humaine. Ils révélaient que certains fragments d’ARN produits naturellement par le riz pouvaient être détectés dans le sang des humains et des souris qui en consommaient. Pire, ils pouvaient même affecter un gène régulateur du cholestérol. Un ARN susceptible d’agir dans deux règnes différents (animal et végétal)… Le phénomène est assez extraordinaire pour que l’article ait été accueilli avec scepticisme et ses conclusions ultérieurement démenties par au moins trois études.

Dans un article rédigé pour la réunion du 28 janvier, des scientifiques de l’EPA sou lignaient également que l’iARN sou­levait “de nouveaux défis pour évaluer des risques écologiques qu’on n’avait pas encore rencontrés avec les pesticides chimiques traditionnels”.

—Andrew PollackPublié le 28 janvier

ARN et ADN, qui fait quoi ?●●● La double hélice d’ADN présente dans le noyau des cellules animales et végétales porte le code génétique. Mais c’est l’ARN qui sert de moyen d’expression aux gènes. Il reproduit, sur un seul brin, ce code spécifique, et le convertit en protéines.

“On essaie de tuer une petite bestiole sur une grosse”

↓  Agriculture moderne. “Lui, il fait un épouvantail à moineaux. Moi, je fais un épouvantail à Monsanto.” Dessin de Danziger, Etats-Unis.

Page 44: Courrier 20140306 courrier full

transversales40. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Un des derniers billets postés par Sharro, “Une brève histoire pré-ventive du ‘printemps arabe’”, l’a aidé à attirer son millionième visi-teur. Son compte Twitter compte 20 000 abonnés et nombre de ses posts font le buzz, comme “Dieu interviewe un kamikaze” – écrit peu après une nouvelle explosion à Beyrouth –, où Dieu décide de rencontrer l’auteur d’un attentat suicide pour mieux comprendre ses créatures. Lorsque le terroriste l’interroge sur les rivières de lait et de miel qu’on lui a promises, Dieu répond : “Vous croyez que je travaille dans la restauration ? Quelle insolence ! C’est suffisam-ment dur de vous surveiller quand vous êtes vivants. Vous voulez que je passe l’éternité à vous nourrir à l’œil ? Comme si je n’avais rien de

—Raseef22 (extraits) Beyrouth

Karl Sharro ne connaît pas de limite. N’importe quelle personnalité ou

formation politique, n’importe quelle milice, n’importe quel événement social ou politique peut devenir la prochaine cible de son blog, Karlremarks.com. Il y fait la satire de tous et de tout : les auteurs d’attentats suicides, les djihadistes, le Hezbollah, la droite et la gauche arabes, l’Occi-dent, les Arabes, Dieu, les Frères musulmans, Abdelfattah Al-Sissi [probable prochain président de la République égyptienne], le sectarisme et même les mises en garde de l’ambassade améri-caine à Beyrouth.

médias

Le blogueur iconoclasteInternet. Installé à Londres, le Libanais Karl Sharro commente l’actualité moyen-orientale d’une plume acérée.

la sourCe de la semaine

“Raseef22”Un journal en ligne post-“printemps arabe”.

en arabe, raseef signi-fie “trottoir”, comme celui de cette rue qui

gronde depuis le déclenche-ment des révoltes, en 2011. Et 22, c’est le nombre de pays membres de la Ligue arabe, qui comptent 360  millions d’habitants. Fondé au Liban en août 2013, Raseef22 s’inscrit dans la mouvance des nom-breux sites d’information et blogs politiques qui ont vu le jour ces dernières années dans ces pays en plein bouillonne-ment. Les nouvelles généra-tions ne voulaient plus subir la loi des grands médias, avec leurs lignes jaunes infranchis-sables, leurs sujets tabous et leur affiliation à tel ou tel Etat arabe. Raseef22 est certaine-ment l’un des meilleurs de ces nouveaux médias. Bilingue arabe-anglais et jaloux de son indépendance politique, il se présente comme un observateur des mouvements sociaux, politiques et culturels qui tra versent le monde arabe. Toutefois, sa volonté de cou-vrir l’actualité de 22 pays est loin d’être concrétisée et la majorité des articles, repor-tages et enquêtes, souvent de très bonne qualité, est consa-crée au Moyen-Orient.

Lire ci-contre l’article de Raseef22

RASEEF22Beyrouth, LibanSite Internet (en arabe et en anglais)raseef22.com

mieux à faire. Savez-vous combien d’univers je dois gérer ? Imbéciles !”

Le jour, Sharro est architecte. Il dit que sa formation l’a considéra-blement aidé à appréhender la poli-tique et la société d’une manière différente. “Je dois beaucoup à ma formation à l’Université américaine de Beyrouth. On ne se bornait pas à apprendre l’architecture, on essayait aussi de comprendre le contexte dans lequel elle est produite, explique-t-il. L’architecture a une dimension sociologique, politique, économique, et nous essayions de saisir toutes ces dynamiques.”

Il n’a le temps d’écrire que pendant les pauses déjeuner et dans la soirée. “Un billet ne peut pas me prendre plus de trois quarts d’heure, parce que c’est tout le temps dont je dispose”, confie-t-il. Mais il y a des exceptions. Il lui a fallu plusieurs heures pour

achever “Robert Fisk : reportage de Syrie ‘avec une citation choc dans le titre’”. Le texte débute ainsi : “Lorsque je montai dans la voiture, une Mercedes construite en 1962 dans l’usine où mon père avait com-battu l’armée allemande en 1917, le chauffeur sourit et hocha la tête d’un air entendu, comme le font tous les chauffeurs de taxi du Moyen-Orient quand ils transportent un journaliste étranger.” L’article a été partagé par de nombreux journalistes qui couvrent le Moyen-Orient. Ils ont apprécié cette critique de la presse et de son icône, Robert Fisk [célèbre grand reporter britannique]. C’était facile pour Sharro d’imi-ter le style de Fisk, parce qu’il en est imprégné. “J’ai lu ses livres, ses articles, tout était dans un coin de ma tête, prêt à être rendu d’une manière très humoristique. C’est un de mes textes préférés.”

Personne n’a envie de devenir la cible de Sharro sur Twitter. Une de ses dernières victimes est l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth, qui avait demandé aux citoyens américains – notamment via son compte Twitter – d’“évi-ter les hôtels, les centres commer-ciaux à l’occidentale, y compris les chaînes d’épiceries à l’occidentale, et les événements publics/sociaux qui réunissent des ressortissants amé-ricains”. Sharro a aussitôt créé

sur notre site courrierinternational.com

A relire, deux articles de Karl Sharro publiés sur son blog, Karlremarks.com : “Malheur aux Arabes lorsque leurs dictateurs se mettent à rêver” (18 décembre 2013) et “Votre horoscope à la sauce syrienne” (2 octobre 2013).

le hashtag #USactLebanese et twitté en retour : “@usembassy-beirut vous devriez publier un guide pour apprendre aux Américains à se mêler aux locaux, je vous aiderai. Suivez #USactLebanese.” Et il pro-digue des conseils du type : “Portez un turban pour ne pas avoir l’air suspect en public. Surtout si vous êtes une femme. #USactLebanese”. Des internautes ont apporté leur pierre à l’édifice : “@KarlreMarks Conduisez un taxi dans Beyrouth à la recherche de Thomas Friedman [journaliste au New York Times]. Si vous le trouvez, dites quelque chose de profond, l’air de rien.”

Bande dessinée. Pour Sharro, pamphlétaire est un métier comme un autre, qui exige de lire avec discipline et de suivre tout ce qui se passe. Petit, il a développé un goût pour le genre satirique avec les bandes dessinées et les dessins animés diffusés en arabe. Il se dit influencé par des auteurs comme Woody Allen ou Robert Benchley et par des humo-ristes arabes comme [l’acteur et réalisateur syrien] Doreid Laham. “Je suis mordu. Je lis beaucoup, j’écoute beaucoup de spectacles comiques. D’ailleurs, j’en ferai peut-être cette année, ici, à Londres.”

Difficile de saisir qui est vrai-ment Sharro, car il semble mêler plusieurs identités. Il a grandi au Liban, mais il a également des liens avec l’Irak, le pays d’origine de sa mère. Il connaît aussi très bien la Syrie, car sa famille a sillonné le pays quand elle a fui la guerre civile libanaise. Et même s’il s’est installé à Londres il y a douze ans, ses écrits sonnent étonnamment juste pour de nombreux lecteurs au Liban. “C’est étrange, en vivant loin du Liban, en suivant constam-ment les infos, je suis devenu plus critique. La distance permet d’échap-per à la pression affective qui nous pousse à simplement réagir aux événements et à prendre parti pour certaines formations politiques.”

—Rima MarrouchPublié le 19 février

↙ Abdeshmun et Hanno.Dessin de Karl Sharro paru sur Karlremarks.com.

Son pastiche du reporter britannique Robert Fisk a été très apprécié

Page 45: Courrier 20140306 courrier full

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 41

’17’16’152014 ’18 ’19 ’20 ’21 ’22 ’23 ’24

Sour

ces 

: US

Nat

iona

l Spa

ce S

cien

ce D

ata

Cen

ter ;

Nas

a ; R

FSA

, Isa

s/Ja

xa, I

sro,

ASE

, ISA

, the

Pla

neta

ry S

ocie

ty, “

Nat

ure”

, inf

orm

atio

ns p

arue

s da

ns la

pre

sse.

PATTERSON CLARK/THE WASHINGTON POST

INDESHACKLETON ENERGY CO. JAPON GOLDEN SPIKE

AGENCE SPATIALEEUROPÉENNE (ASE)

CHINE

Apollo 16

Apollo 17Luna 24

Luna 20

Luna 21

Lunar X Prize de Google : 17 équipes d’au moins 14 pays sont en concurrence pour faire alunir un véhicule d’exploration ; la première équipe devrait réaliser le lancement en 2015.

Apollo 11Surveyor 5

Surveyor 7

Luna 16

Surveyor 6

Ranger 8

Apollo 15

Luna 2

Luna 17

Luna 13

Luna 9

Apollo 12

Surveyor 3

Surveyor 1

Apollo 14

Ranger 7

Ranger 9

2018 : Luna-Glob 2, RUSSIE ; Resource Prospector, ÉTATS-UNIS et CANADA ; International Lunar Network, ÉTATS-UNIS et autres pays ; Selene-2, JAPON ; Lunar Lander (atterrisseur lunaire), EUROPE.

Chandrayaan-2Chang’e 4

Luna-Glob 1 Chang’e 5 Luna-Grunt Atterrisseur lunaire

Première époque de l’exploration lunaire. Elle débute en 1959, quand l’engin spatial soviétique Luna 2 s’écrase sur la Lune, puis s’achève quand Luna 24 rentre sur Terre en 1976. Entre-temps, le programme Apollo de la Nasa a effectué six missions habitées sur le sol lunaire.

Pas de missions de surface. Certains vaisseaux sont malgré tout mis sur orbite lunaire et d’autres terminent leur mission en s’écrasant sur la Lune.

Missions robotiques en cours et à l’étude

CHINE RUSSIE CORÉE DU SUD

INDE

RUSSIE

Milieu des années 2020 : RUSSIE, CHINE, IRAN

CHINE

Chang’e 3 Atterrisseur et véhicule

d’exploration(Lapin de jade)

Le premier vaisseau spatial depuis 1976 spécifiquement conçu pour atteindre la surface de la Lune ou s’y poser est une sonde d’impact larguée par le vaisseau indien Chandrayaan-1. Le lancement a lieu en 2008.

ÉTATS-UNIS

LCROSS

INDE

Chandrayaan-1Sonde d’impact lunaire

2015 ET AU-DELÀ

Impacteurs envoyés vers le pôle sud

à la recherche d’eau.

2008

2009

2013

Certaines missions doivent prospecter pour trouver, notamment, de l’eau et des terres rares.

1960

1959

1976

1970

MISSIONS RÉUSSIES

Luna (impacteur)

Luna (atterrisseur)

Ranger

Surveyor

Apollo(vols habités)

ÉTATS-UNIS URSS

Vols habités en projet

1959-1976 1977-2007 2008-2014

signaux Chaque semaine, une page

visuelle pour présenter l’information autrement

Les voyages dans la LuneCyrano peut reposer en paix, les hommes reprennent le chemin de la Lune.

DR

PATTERSON CLARK. Cet artiste, également diplômé de biologie, est depuis dix-sept ans l’auteur de la chronique hebdomadaire “Urban Jungle”, dans The Washington Post. Il collabore aussi aux pages sciences du journal. Cette infographie est parue le 27 janvier, à l’occasion de la

mission chinoise Chang’e 3. Dans les années 1950, 60 et 70, les missions se sont multipliées – puis ont cessé pendant trente ans. Récemment, la prospection a repris : une dizaine de missions sont déjà prévues pour la prochaine décennie, fi nancées par des Etats ou des sociétés privées.

L’auteur

Page 46: Courrier 20140306 courrier full

portfolio

42. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Trois ans après la catastrophe, le photographe japonais Kosuke Okahara a observé la façon dont le temps a figé et banalisé l’état d’urgence autour de la centrale de Fukushima Daiichi. “J’ai voulu saisir cette stase”, explique-t-il.

00

1 c

réd

it

Magazine

l’argentine selon Kirchner • plein Écran .......46 a l’ère des corbeaux numériques • tendances ...48 la première révolution ukrainienne • Histoire ..50360

de FukushimaFragments

→ Au point de contrôle de Tsushima, trois officiers de police surveillent la route. Nous sommes à 27 kilomètres de la centrale, hors de la zone d’exclusion. Leurs organismes absorbent pourtant des doses élevées de radioactivité, de l’ordre de 4 à 9 microsieverts par heure. Et ces policiers ont tout juste la vingtaine.

→ → Une plage à Iwaki City. Ici, les pêcheurs ont décidé de ne plus tendre leurs filets et dissuadent la population de manger les poissons. Tout est contaminé par les rejets.

Page 47: Courrier 20140306 courrier full

360°.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 43

36 ←

Kosuke Okahara est né en 1980. Il a grandi à Tokyo. En 2007, il a rejoint l’agence VU, à Paris, pour redevenir indépendant en avril 2010. Il est lauréat

de plusieurs prix internationaux :

le prix W. Eugene Smith Fellowship, les Sony World Photography Awards, le prix Kodak, la bourse Getty Images… Ses travaux sont aussi exposés dans les musées et les galeries du monde entier.

lE photographE

pho

tos

kosu

ke

ok

ah

ar

a /

pr

osp

ekt

Page 48: Courrier 20140306 courrier full

J’ai entamé ce travail juste après l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Mais les effets des radiations ont beau perdurer et dépas-ser la durée d’une vie humaine, quelques mois après la catastrophe cette histoire ne faisait plus l’actualité. Je suis revenu à Fukushima plusieurs

fois après l’accident ; mais je n’ai observé ni développement ni régénération. Tout semblait en stase, inchangé.

Lors de ma première visite, j’avais été témoin de la mort soudaine de la région. Et, au fil du temps, j’ai vu le paysage perdre ses couleurs, s’émousser, puis devenir de plomb. Lors de mon dernier voyage, à l’été 2013, je me suis rendu compte que je m’étais habitué à la situation telle qu’elle était : d’une façon ou d’une autre, cet état était devenu normal.

Le 11 mars marquera le troisième anniversaire de l’accident. Je crois qu’il est temps de reconnaître qu’une situation d’urgence inchangée n’est pas une situation normale.

Aujourd’hui, la question la plus prégnante est celle de la fuite d’eau contaminée dans l’océan Pacifique. Lors de la cérémonie de vote pour l’attribution des Jeux olympiques de 2020 [attribués à Tokyo en septembre dernier], le Premier ministre Shinzo Abe a fièrement déclaré : ‘Les eaux contaminées ont été bloquées à l’intérieur du port de Fukushima Daiichi.’ Une affirmation démentie quelques jours plus tard par le secrétaire général du gouvernement, Suga Yoshihide.”

—Propos recueillis par Courrier international

↑ Une maison abandonnée dans le district de Tamura, à 17 kilomètres de la centrale. Les habitants ont nettoyé avant d’être évacués. Ils seront peut-être parmi les 300 réfugiés de retour chez eux : le 24 février, les autorités ont levé l’ordre d’exclusion sur le district de Tamura.

→ A l’intérieur de la zone d’exclusion, sur les parkings des supermarchés désertés, la nature reprend lentement ses droits.

Page 49: Courrier 20140306 courrier full

360°.360°.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 45

2. Elargissement

1. Zoned’exclusiondes 20 km

PRÉFECTUREDE FUKUSHIMA

SomaSoma

Tamura

Iwaki

Tsushima

Centrale de Fukushima

Daiichi

Centralede Fukushima

Daini

CO

URR

IER

INTE

RNAT

ION

AL

PRÉFECTUREDE FUKUSHIMA

20 km

1. Zoned’exclusiondes 20 km

2. Elargissement

Zone d’exclusion Technique

Pour ce projet, Kosuke Okahara a utilisé une chambre photographique. Ce dispositif l’a obligé à choisir soigneusement les clichés qu’il voulait prendre. “Je voulais être très sélectif dans le cadrage des fragments que je photographiais, raconte-t-il. J’ai dû préparer attentivement chaque prise de vue. Cela m’a forcé à photographier des choses ou des situations lentes. Mais, comme les radiations vont rester pendant des décennies, c’était un bon moyen de retranscrire l’impact de cette catastrophe.”

← Les arbres absorbent et stockent la radioactivité. Cette forêt située à l’intérieur de la zone d’exclusion présente un niveau de radioactivité de 5 millisieverts par heure.

↓ Au lycée agricole de Soma, l’équipe de base-ball, réduite à deux joueurs, a repris l’entraînement. Sur le terrain décontaminé, on mesure 0,2 microsievert par heure. La terre contaminée, elle, est entreposée dans un coin.

pho

tos

kosu

ke

ok

ah

ar

a /

pr

osp

ekt

Page 50: Courrier 20140306 courrier full

360°46. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

—La Nación (extraits) Buenos Aires

Ses origines modestes n’ont pas empê-ché Zamba de connaître le succès. Le dessin animé est né en 2010, au

moment du bicentenaire [de la révolution de mai 1810], alors que le ministère de l’Education demandait des contenus pour la chaîne publique Encuentro [financée par l’Etat argentin]. La société de production El Perro en la luna a proposé d’inventer un enfant – et de le faire vivre dans la pro-vince de Formosa, l’une des régions les plus pauvres d’Argentine. Zamba s’ennuie tou-jours très vite lorsqu’il part en excursion avec son école. D’une façon ou d’une autre, il finit donc par voyager dans le temps et participe à des moments-clés de l’histoire de l’Argentine. Le premier volet, intitulé La Asombrosa Excursión de Zamba [La stu-péfiante excursion de Zamba], l’a emmené en pleine révolution de mai. Puis ont suivi La Vuelta de Obligado [bataille qui opposa en 1845 l’Argentine dirigée par Juan Manuel de Rosas à une escadre franco-anglaise], La Casa de Tucumán [où a eu lieu la déclaration d’indépendance de l’Argentine le 9 juillet 1816], Yapeyú [où naquit José de San Martín, un héros des indépendances latino-amé-ricaines], La Casa de Sarmiento [considéré comme l’un des pères du système éducatif argentin] et les épisodes sur les invasions britanniques, la guerre des Malouines et la dernière dictature [1976-1983].

Petit à petit, d’autres personnages ont rejoint Zamba : Niña, une fillette afro-américaine, le “Garçon qui sait tout”, qui intervient sur l’éducation civique, quelques grands hommes qui oscillent entre génie et maladresse – le principal est le général San Martín, gratifié pour l’occasion d’une cape et d’une attitude de super-héros – et divers “méchants”, comme le capitaine royaliste, des militaires anglais et un capitaine franco-anglais, forcément bipolaire. Mais c’est mi-2013 que Zamba est devenu une vedette : il a débarqué à la télévision publique avec sa propre émission – El Asombroso Mundo de Zamba [Le monde

stupéfiant de Zamba] – et étendu le champ de ses excursions au corps humain, à la musique, à l’art et à la paléontologie. Des enfants ont été invités sur le plateau et une page web a été créée ainsi qu’une comédie musicale et un parc d’attractions. Surtout, le programme a commencé à être diffusé dans les écoles, ce qui, affirment les producteurs, n’était pas le but initial.

Caricatural. Avec la popularité sont venues les critiques : Zamba est anachronique et simplifie l’histoire, il disqualifie le rôle de l’école, il ridiculise les grands hommes et les décortique trop, il déforme l’histoire pour l’adapter au discours officiel… Quant à [la représentation de] la guerre des Malouines et de la dictature, elle a déclenché des discussions qui ont poussé certains conseillers à cla-quer des portes. Une preuve que tous les membres du parti au pou-voir ne portent pas le même regard sur l’histoire.

“Zamba ne prétend pas enseigner l’histoire”, explique Sebastián Mignogna, directeur de la société productrice de l’émission. “Sa mission est plus modeste. Zamba veut montrer aux enfants que l’histoire est une aventure. Mais c’est à eux de poser des questions aux personnes adéquates, dans les lieux adéquats. C’est à la fois du divertissement et de la connaissance, ce qui engendre toujours des tensions. Mais je crois que cette polémique est disproportionnée.”

Mignogna admet que travailler pour l’Etat présente des inconvénients. “Il est clair que nous travaillons pour le ministère de l’Education et que nous ne portons pas un regard d’auteurs. Mais ce regard est aussi le nôtre : nous nous identifions tous un peu à cet enfant”, déclare-t-il.

Contactés à plusieurs reprises, ni les responsables de la chaîne PakaPaka [consacrée aux programmes pour enfants, c’est elle qui diffuse Zamba] ni le ministère de l’Education n’ont souhaité donner leur opinion sur le programme.

Les historiens les moins radicaux trouvent des côtés positifs à Zamba. “Les histoires nuancent beaucoup de points soulevés par le néorévisionnisme. Un épisode montre par exemple Sarmiento utilisant la force pour imposer son programme, mais porteur en même temps d’un projet démocratique d’éducation libre et pour tous. Les scénarios ref lètent très bien le consensus historiographique actuel, notamment sur la révolution de mai”, explique Ariel Yablon, docteur en histoire et membre de la Faculté latino-américaine de sciences sociales (Flacso). Avant de tempérer : “L’émission veut pousser les enfants à se poser des questions, mais elle perd parfois de vue cet objectif. On voit alors apparaître la

nécessité de livrer un discours nationaliste et populiste qui finit par amoindrir la richesse de l’histoire. Pour moi, le plus grand défaut est la manière dont les méchants sont décrits.” Que ce soit Sobremonte, Cisneros [vice-rois du Río de la Plata, administrateurs coloniaux espagnols], le capitaine royaliste, le capitaine franco-anglais, Beresford, Whitelock [commandants

britanniques pendant les invasions anglaises de 1806-1807], les Anglais

aux Malouines ou l’obscure junte militaire (présentée

comme une assemblée de vampires dans une Casa Rosada transformée en château de Dracula, métaphore que les adultes comprendront peut-être plus facilement que les enfants), tous les méchants agissent par intérêt économique et sous les ordres d’une puissance étrangère qui veut dominer le monde.

Pour les créateurs du programme, la seule réponse à ces critiques est : c’est le genre qui veut ça. Ainsi, plaide Gabriel Di Meglio, historien au Conseil national de la recherche scientifique et technique (Conicet) et conseiller pour les épisodes historique  : “Nous utilisons beaucoup d’ingrédients propres aux dessins animés, comme l’humour, qui permet de désacraliser les choses, et nous caricaturons des grands hommes. Cela nous oblige à des simplifications

et engendre un certain anachronisme. Faire en sorte que les enfants regardent le programme oblige à trouver des compromis.”

“En comparaison de ce que le kirchnérisme a fait avec le récit historique, Zamba est un bon produit”, estime Gabriel Palumbo, sociologue et professeur au département de Sciences politiques de l’université de Buenos Aires (UBA). “Mais il tombe dans le même travers que les mauvais produits : la tendance à raconter les archétypes de l’histoire argentine. J’emploie ce terme parce qu’il ferme les possibilités d’interprétation au lieu de les ouvrir. Il y a des nuances, mais Sarmiento reste un bravache, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis de gros méchants qui cherchent sans cesse à nous nuire. Les contenus interdisent la possibilité d’interprétations historiques différentes. Nous disposons aujourd’hui d’outils pour le faire, mais le gouvernement préfère des archétypes politiquement fonctionnels.”

L’école maltraitée. “Tout discours his-torique se positionne quelque part, déclare Di Meglio, je suis cependant contre l’idée de l’existence d’une histoire officielle. On a aujourd’hui des discours historiques diffé-rents qui coexistent et se heurtent parfois. La diversité est présente à l’Académie [nationale d’histoire], au gouvernement et dans l’opposi-tion. Zamba utilise la logique des bons et des méchants parce que c’est un dessin animé. Une partie du gouvernement est révisionniste et aimerait que Zamba soit plus nationaliste, mais beaucoup de ceux qui affirment qu’il y a une ligne imposée par le pouvoir n’ont sans doute jamais vu le programme.”

Il n’est pas étonnant que Zamba s’ennuie dans les sorties scolaires : sa maîtresse, Silvia, est franchement assommante. Il ne peut vivre ses aventures qu’en lui désobéissant. “Les aventures de Zamba se déroulent hors du système scolaire”, observe Carolina Duek, docteur en sciences sociales et chercheuse au Conicet. “La maîtresse ne se rend jamais compte qu’un élève manque dans le groupe. Pourquoi n’est-ce pas elle qui les emmène dans le passé ? Le rôle de l’enseignant dans un programme produit par le ministère

↓ Zamba entouré de ses compagnons d’aventure, Niña et “le Garçon qui sait tout”. Photo El Perro en la luna

Un joli conte kirchnéristeDepuis 2010, Zamba revisite différentes époques de l’histoire argentine. Ce dessin animé est devenu si populaire qu’il a désormais sa place à l’école. Mais on le soupçonne de transmettre l’idéologie du parti au pouvoir.

plein écran.

deSSin animé

Page 51: Courrier 20140306 courrier full

Courrier international

de l’Education est tellement secondaire que c’en est inquiétant. La maîtresse, qui pourrait représenter l’enseignant du xxie siècle, est en fait typique du xixe siècle.”

Pour certains, la diversification de Zamba – qui dans une même émission peut passer [d’une explication sur les] muscles à un voyage dans les Andes, ou encore des dinosaures à la confiture de lait nationale – est préoccupante. “Je crois qu’il faut faire attention à ne pas abuser du personnage, soutient Di Meglio. La fiction a peu à peu grignoté les contenus historiques.”

“Les réalisateurs du programme semblent penser que l’histoire sert à inculquer des valeurs patriotiques et qu’on peut présenter cela de façon attrayante et intellectuellement valable, juge Ariel Yablon. La question est : dans quelle mesure cette présentation a-t-elle une valeur académique solide si l’intention est de transmettre un message nationaliste et populiste ?”

Dans l’épisode intitulé Je veux mon monument, deux grands hommes de l’histoire argentine doivent s’affronter dans un concours de questions pour décrocher leur statue de bronze. Il a suscité la polémique parmi les intervenants de l’émission 6, 7, 8 [diffusée sur une chaîne publique, elle est très proche du kirchnérisme]. La question posée est : “Qu’est-ce qu’un caudillo ?”

“Les caudillos sont des barbares, des monstres horribles, des animaux, des bêtes sauvages, tonne Sarmiento.

— Un caudillo est un leader populaire qui lutte aux côtés de son peuple pour atteindre un but”, répond tranquillement Quiroga.

Et c’est Quiroga qui gagne.—Raquel San Martín

Publié le 2 février

En savoir pluszamba sur tous les frontsZamba est né en 2010, au moment du bicentenaire de la révolution de mai (celle qui a destitué le vice-roi espagnol, puis mis en place une assemblée devenue le premier gouvernement du pays). La série animée a emmené le héros, un petit garçon avide de découvertes, voyager dans l’histoire. Avec le succès est venue la diversification. Zamba a commencé à explorer le corps humain, la musique, l’art, la paléontologie… et récemment, la cuisine ! On y voit ainsi le libertador vénézuélien Simón Bolívar préparer les “alfajores de la liberté”, des petits gâteaux argentins, avec San Martín.

sur le web Retrouvez Zamba et son univers sur le site Internet qui lui est dédié : www.mundozamba.com.ar

Page 52: Courrier 20140306 courrier full

360°48. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Tissu générationnel“On pense souvent que l’Asie s’est fortement occidentalisée, mais on y découvre encore de nombreux témoins de nos traditions et de notre culture, et la mode y reste l’un des meilleurs moyens de défi nir

l’âge d’une personne.” C’est ce qu’a voulu montrer Qozop avec son dernier projet, baptisé “Printemps-automne”. Ce photographe a parcouru l’Asie pour “explorer le rôle des vêtements dans nos sociétés”, indique The Daily Mail, en demandant à des jeunes et à leurs grands-parents d’échanger leurs habits le temps d’une photo.

PHOTO

La tête du steakPAYS-BAS — Le bétail débarque sur les réseaux sociaux, signale NRC Handelsblad. Après les récents scandales sanitaires, comme celui de la viande de cheval, “les consommateurs ont perdu confi ance dans l’industrie alimentaire et les certifi cats de qualité”, explique au quotidien néerlandais Samuel Levie, spécialiste en alimentation durable et charcutier bio. Ainsi, le boucher amstellodamois Erik Waagmeester publie régulièrement sur Twitter des photos d’animaux vivants qui seront ensuite abattus et vendus dans sa boutique. Selon Samuel Levie, c’est aussi une façon de nous aider à “changer nos attitudes de consommation”.

QO

ZOP

tendances.

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Retrouvez l’horoscope de Rob Brezsny, l’astrologue le plus original de la planète.

Le conseil de la semaine : Songe aux situations dans lesquelles tu t’es senti dangereusement vivant.

Mamans Latte-MacchiatoALLEMAGNE — Tabaluga, Zuckertag, ou encore Tibatong… A Munich, les cafés conçus pour accueillir les mères de famille et leurs enfants se multiplient, rapporte la Süddeutsche Zeitung. “Le concept a rajeuni notre établissement, et pendant les heures creuses de l’après-midi il nous permet de bénéfi cier d’une tout autre clientèle”, confi e une gérante au quotidien. Son café propose non seulement des coins jeux et des menus à colorier, mais aussi des assiettes vides et des couverts qui permettent aux enfants de “piquer” dans l’assiette de leurs mamans. Pour les sociologues, grâce à ces établissements, les “Latte-Macchiato-Mütter”, surnom donné aux jeunes mamans adeptes du concept, peuvent “reconquérir l’espace public”.

955

Prénoms canonsÉTATS-UNIS — Colt, Remington ou encore Gunner. Ces marques d’armes à feu sont presque devenues des prénoms courants, explique Laura Wattenberg, fondatrice du site The Baby Name Wizard (littéralement “Nom de bébé sorcier”). Ainsi, en 2012, 955 nouveau-nés ont été baptisés Colt, contre seulement 194 en 2002. “L’argument selon lequel ces prénoms sont souvent choisis seulement pour leur style, et non pour leur lien avec les armes à feu, pourrait tenir la route. Mais cette tendance en dit long sur notre société”, analyse le site d’information américain The Daily Beast.

DES

SIN

DE

MIK

EL C

ASA

L

TIBA

TON

G

Page 53: Courrier 20140306 courrier full

360°.Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014 49

Le dessinateur de presse Aurel livre une fictionpolitique et sociale basée sur plusieurs reportageseffectués aux côtés de journalistes tels quePierre Daum du Monde Diplomatique.

Par Aurel

BD disponible

Un documentaire dessiné sur les dessousde l’immigration clandestine...

—The Washington Post (extraits) Washington

Ryan Dominick, 14 ans, voit apparaître le message sur son smartphone. Il prend un instant pour rassem-

bler son courage. Le message, envoyé par un utilisateur anonyme, contient un lien vers une photo retouchée avec Photoshop, qui montre un Ryan obèse. Par chance, le garçon, athlétique et bien dans sa peau, apprécie la plaisanterie. “Lol”, répond-il à l’émetteur anonyme.

C’est le genre de blagues que se font les camarades de Ryan, à Los Angeles, sur Backchat. Cette messagerie anonyme fait partie des médias sociaux, en plein boom, qui masquent l’identité des utilisateurs et permettent d’envoyer des messages qui s’autodétruisent par la suite. Anonymes et éphémères, les applications comme Whisper, Secret, Ask.fm et Snapchat répondent à une demande croissante des adolescents.

Ce phénomène ouvre la porte de zones encore secrètes d’Internet. Il est déjà diffi-cile de surveiller l’activité de réseaux publics comme Facebook, rappellent le personnel éducatif, les parents et les forces de l’ordre. Et pour les sites anonymes, c’est pire ! Les forums de questions-réponses comme Ask.com sont ainsi deve-nus des hauts lieux de cyberharcèle-ment.

grands utilisateurs de Facebook, les jeunes ont spontanément migré vers de nouveaux espaces loin du regard des adultes.

Les experts estiment que des dizaines d’applis anonymes et “éphémères” comme Snapchat existent aujourd’hui et attirent des millions d’adolescents. La plupart d’entre elles sont rudimentaires et permettent simplement d’envoyer des messages et des photos. “Il y a un certain suspense quand on ne sait pas qui vous envoie un message”, explique Ryan. “Ça pimente les choses, plus que sur Facebook, où tout est transparent.”

Bon nombre des messages envoyés avec [ces applications] sont des blagues à trois francs six sous. Certains, toutefois, visent des individus. Exemple de message récem-ment posté visant une adolescente, identi-fiée par son nom : “Levez la main si [nom de la fille] s’en est déjà prise personnellement à vous.” Parmi les commentaires, on a pu lire ceci : “Poussez-la sous un bus.” Lors d’une étude du Pew Internet and American Life Project publiée en 2011, près de neuf adoles-cents sur dix ont déclaré avoir été témoins de comportements “méchants ou cruels” à l’encontre d’autres utilisateurs. Pour de nombreux experts les violences graves en ligne restent rares. Ils soulignent que les risques de cyberharcèlement ont été exa-gérés à la suite de quelques cas de suicides d’adolescents très médiatisés.

Facebook a déclaré que la majorité des utilisateurs signalés pour un comportement abusif ne recommencent jamais. Hélas, de tels garde-fous n’existent pas sur les sites anonymes.

Le site Ask.fm est devenu un terrain de jeu particulièrement violent, avec des commen-taires haineux qui circulent vite et aucune modération. En Floride, Rebecca Sedwick, 12 ans, s’est suicidée en se jetant du haut d’un immeuble en septembre 2013 après avoir été victime de harcèlement de la part d’anciens camarades de classe sur Ask.fm et d’autres réseaux sociaux. Un message du site qui lui était directement adressé disait ceci : “Tu mérites sérieusement de mourir.”

Pour éviter ce type de débordement, cer-taines des nouvelles applications n’acceptent pas les mineurs. Whisper, par exemple, ne s’adresse qu’aux utilisateurs de 17 ans et plus. Mais personne ne vérifie l’âge des membres.

—Cecilia KangPublié le 17 février

Les corbeaux numériquesGrâce aux réseaux sociaux anonymes, les jeunes communiquent loin des regards des adultes. Le harcèlement fait rage en toute impunité.

● Vous êtes en pleine forme, mais serez-vous encore là en 2019 ? Une simple prise de sang permet de prédire si vous risquez de passer l’arme à gauche dans les cinq ans à venir, rapporte The Daily Telegraph. Le “test de la mort” mis au point par des scientifiques estoniens et finlandais se base sur quatre biomarqueurs. Pris conjointement, ces paramètres reflètent une fragilité générale de l’organisme et un risque accru de mourir d’une flopée de cochonneries allant du cancer à la maladie cardiaque. Les vilains messagers de la Grande Faucheuse sont “l’albumine, l’alpha-1-glycoprotéine acide (AGP), le citrate et la taille des lipoprotéines de très faible densité (VLDL)”, précise le quotidien britannique, relayant le magazine PLOS Medecine. Menée en Estonie sur près de 10 000 personnes, l’expérience a été répétée en Finlande avec les mêmes résultats. En tout, les chercheurs ont suivi plus de 17 000 cobayes en pleine santé. En cinq ans, 684 participants sont passés de vie à trépas :

insolites

suR notRe sitecourrierinternational.com

Scannez cette vignette et retrouvez les Insolites sur notre site.

Les ado-l e s c e n t s

savent qu’un jour employeurs

et recruteurs éplu-cheront probablement

leurs comptes Facebook et Twitter. Et depuis que

leurs parents, grands-parents et profs de base-ball sont devenus de

Médecine prédictive : serez-vous encore en vie dans cinq ans ?

leurs biomarqueurs présentaient des taux similaires. A terme, note le Dr Johannes Kettunen, de l’Institut de médecine moléculaire de Finlande (Fimm), ce test devrait permettre d’offrir des traitements pour prolonger votre séjour dans ce bas monde. Il risque aussi de faire les délices des assureurs, qui pourraient utiliser ces informations pour augmenter leurs primes, note le Daily Mail. Si tant est que vous vouliez vraiment connaître votre probabilité de manger, avant l’heure, les pissenlits par la racine…

↙ Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.

Page 54: Courrier 20140306 courrier full

360°

—Oukraïnsky Tyjden Kiev

Entre février et novembre 1917, un premier Etat ukrainien fait son apparition dans le sillage de l’effondrement de l’empire

des tsars. Centré sur Kiev et les deux rives du Dniepr, il peine à se faire reconnaître et à s’or-ganiser. D’autant plus que, dès la prise de pou-voir par les bolcheviques en Russie, ceux-ci ne cachent pas leur hostilité à toute forme d’indé-pendance ukrainienne. Et les premiers combats ne tardent pas à éclater.

Il est courant ces derniers temps de prétendre que la lutte pour l’indépendance de l’Ukraine de 1917 à 1921 n’a impliqué qu’un petit nombre de participants. Les tenants de cette théorie s’efforcent de diminuer le rôle et l’importance de ces événements. Il est incontestable que, pour commettre un putsch ou proclamer l’avènement d’un nouvel Etat, il suffit de disposer de quelques milliers de partisans bien armés et organisés, et de prendre le contrôle de la capitale.

Cependant, dans le conflit qui, à partir de novembre 1917, oppose les bolcheviques, commandés de Moscou et Petrograd [Saint-Pétersbourg], aux nationalistes ukrainiens indépendantistes, les belligérants alignent bientôt des dizaines de milliers de combattants. Dans la nuit du 21 au 22 décembre 1917, des troupes bolcheviques venues de Russie sont déployées à Kharkiv, où elles sont rejointes par des gardes rouges locaux, essentiellement des ouvriers évacués en 1914-1915 des usines de Riga [menacée par l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale]. Très vite, ces forces, placées sous le commandement du communiste Vladimir Antonov et du socialiste révolutionnaire Mikhaïl Mouraviev, passent à l’attaque et désarment les garnisons qui, dans l’est du pays, sont fidèles au nouveau pouvoir indépendantiste.

A Kiev, la Rada centrale [le Parlement qui gouverne alors le pays] est dépassée. Elle n’est pas prête à une agression armée venue de l’est et n’a les moyens ni de rassembler une armée efficace ni de mobiliser les forces vives de la nation. De surcroît, en janvier 1918, les rouges déclenchent des insurrections sur les arrières des forces indépendantistes, jusqu’à Kiev, aggravant encore le désordre qui règne dans le pays. On signale de violents combats dans la capitale, mais aussi

à Odessa. Partout les communistes reçoivent le renfort d’unités dépêchées de Russie par les soviets, ainsi que de régiments mutinés de retour du front de Roumanie [pendant ces événements, la Première Guerre mondiale continue dans le reste de l’Europe, mais les forces russes se débandent et regagnent l’empire défunt par leurs propres moyens, se joignant souvent aux révolutionnaires]. La cause nationale se trouve alors confrontée à un nouvel ennemi, les anarchistes, qui, dans le centre-est du pays, s’emparent de plusieurs villes avant de s’allier aux communistes.

Dans la capitale, cette phase de combats insurrectionnels dure une dizaine de jours. Ils tournent à l’avantage des nationalistes, mais ne prennent fin qu’au début du mois de février. Le répit est de courte durée. Quatre jours plus tard, l’armée d’Antonov et Mouraviev arrive aux portes de Kiev. La bataille reprend de plus belle, et se termine par la victoire des bolcheviques. La Terreur rouge s’abat sur la ville. Il faut d’ailleurs préciser que bon nombre de ses victimes sont en fait des gens qui ont préféré rester neutres lors des affrontements entre indépendantistes et bolcheviques. Est également exécuté quiconque est trouvé en possession de documents rédigés en ukrainien.

Chassées de Kiev, les forces de la Rada centrale réussissent à nettoyer le centre-ouest du pays des bandes de déserteurs issues de l’ancienne armée du tsar. Elles prennent Berditchev et Jytomyr pendant que des groupes de rebelles ukrainiens entament une lutte armée dans la région de Kiev contre les unités rouges. Les drames et les horreurs s’enchaînent. Des bolcheviques font brûler vifs des volontaires ukrainiens prisonniers à Belaïa Tserkov. A Poltava, ils massacrent des familles

histoire.

Le prix de l’indépendance

1917-1918 UkraineIl y a près d’un siècle, Kiev se battait

déjà pour choisir sa propre voie. Une lutte aussi sanglante que vaine.

→ Odessa, janvier 1919. La foule

se rassemble après la reprise de la ville

par les troupes ukrainiennes.

Ce grand port sur la mer Noire

retombera peu après aux mains

des bolcheviques. La guerre durera

jusqu’en 1921. Photo FPG/Hulton

Archive/Getty Images

entières accusées d’avoir soutenu la Rada centrale.La situation bascule de nouveau le 2 mars 1918. A la veille de la signature du traité de Brest-Litovsk, par lequel la Russie bolchevique se retire effectivement de la guerre, les Allemands et les Austro-Hongrois pénètrent en Ukraine. Les indépendantistes se rallient à eux et, avec leur appui, reprennent Kiev. Une alliance de circonstance qui ne dure pas. Rapidement, l’occupant austro-allemand trouve gênant ce gouvernement ukrainien qui entend gérer ses affaires par lui-même, et le réduit au silence.

Ainsi, la guerre d’indépendance entre Ukrainiens et bolcheviques se transforme-t-elle en quelques semaines en un conflit d’une rare brutalité, qui cause la mort de plusieurs milliers d’habitants de Kiev et de défenseurs de la capitale. Et ces événements tragiques ne sont qu’un début. La lutte armée que mène la République nationale ukrainienne pour sa survie se poursuit jusqu’en 1921, et les opérations de guérilla bien au-delà, jusqu’en 1924. Ses héros et ses victimes se comptent par dizaines de milliers. Tel est le prix du sang, bien réel, payé pour l’indépendance de l’Ukraine.

—Iaroslav TyntchenkoPublié le 3 février

sur notrE sitE courrierinternational.com

Pour en savoir plus sur la guerre de Crimée, qui a ensanglanté la presqu’île de 1853 à 1856, un point de vue italien paru dans Il Post.

50. Courrier international — no 1218 du 6 au 12 mars 2014

Lire aussi notre focus sur les événements de Crimée pp.10-13.

Page 55: Courrier 20140306 courrier full
Page 56: Courrier 20140306 courrier full

BON à renvoyer à Courrier International – service abonnements – rue des Francs 79 à 1040 Bruxelles ou par fax au 02/211.31.65 ou directement sur internet à l’adresse http://shop.lalibre.be/cipod.

Oui, je désire profiter de votre o� re d’abonnement au prix de 150€ pour 12 mois soit 49 numéros. Je recevrai en cadeau, l’iPod Shu� le Silver.

Nom............................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Prénom .....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Rue ........................................................................................................................................................................................................... .. .................................. N°....................................................... Bte .....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

CP .....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................Localité.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

TVA (si facture) : BE0………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….………………......………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….……………….....………………………………

Tél ......................................................................................................................................................................................................................................................................................................................Date de naissance……………………………/…………………………/……………… ...........................................................................................................................................................................

E-mail* ..........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….……………….....………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….……………….....………………………………………………………………………………………………………………………………

O� re non cumulable pour un nouvel abonné (nouveau nom-nouvelle adresse) en Belgique jusqu’au 30/04/14. En cas de rupture de stock un cadeau équivalent ou de valeur supérieure sera proposé.

Un iPod Shu� le silver de 2Go d’Apple. Autonomie de 15 heures, VoiceOver (annonce de la chanson), clip intégré, inclus : écouteurs Apple et câble USB. Valeur conseillée : 50€.

Écoutez votre musique partout où vous allez !

Votre cadeau

O� re spéciale !

Abonnez-vous 12 mois à Courrier international pour 150€ seulement et recevez un iPod Shu� le silver !

*Prix calculé sur base du prix de vente conseillé et du prix de l’abonnement.

150€241,10€  *