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Culture Coréenne 한국문화 N o 84 Printemps / Été 2012 Dossier spécial La famille coréenne

Culture Coréenne - 한국 문화 - N° 84 - Printemps/Été 2012

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Dossier spécial : La famille coréenne

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CultureCoréenne

한국문화

No 84 Printemps / Été 2012

Dossier spécial La famille coréenne

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Sommaire

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No 84 Printemps / Été 2012

Dossier spécial La famille coréenne

No 84 Printemps / Été 2012

Directeur de la publication : Lee Jong-Soo

Comité éditorial :

Georges Arsenijevic,

Jeong Eun-Jin, Ryu Hye-in

Ont participé à ce numéro :

Martine Prost, Jeong Eun-Jin,

Roselyne Sibille, Pascal Dayez-Burgeon,

Claude Mouchard, Pierre Bois,

Jean-Claude de Crescenzo, Hervé Péjaudier

Tous les anciens numéros de notre revue sont consultables sur notre nouveau site Internet www.culturecoreenne.fr

Conception et graphisme : H.V.COM

Culture Coréenne est une publicationdu Centre Culturel Coréen

2, avenue d’Iéna-75116 Paris

Tél. 01 47 20 83 86 / 01 47 20 84 15

2 Éditorial

Dossier spécial

La famille coréenne

3 L’éducation en Corée et son impact sur la société7 « Quoi ? Tu veux épouser un fils aîné ? »9 Les belles-mères coréennes : un sujet « épineux »

La Corée et les Coréens

12 Les marchés de Corée : un présent multiple 16 La Corée, cette inconnue

L’actualité culturelle

18 Prix Culturel France-Corée 201120 Poètes coréens en France24 La collection INEDIT publie une série de disques

de sanjo coréen26 KEULMADANG, une revue de littérature coréenne

en France

Interviews

28 O Tae-seok : “Je ne crée que la moitié d’une pièce, le public crée l’autre moitié”.

Voyages, tourisme

31 Circuits de trekking en Corée

Nouveautés

32 Livres et DVD à découvrir

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Quand ils peuvent profiter de rares moments de détente, les lycéens coréens,qui travaillent tous les jours sans relâche,sont heureux de se retrouver ; ils évacuent la pression et laissent éclaterleur joie.

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Éditorial

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Je suis très heureux de vous présenter ce nouveau nu-méro de « Culture Coréenne ».

La vocation de notre revue étant, entre autres, decontribuer à une meilleure connaissance mutuelleentre Français et Coréens, nous avons voulu, dans lamesure où l’éducation reçue au sein de la cellule fami-liale permet de mieux comprendre bien des attitudeset comportements ultérieurs, consacrer notre dossierspécial à la famille coréenne. Quelques éléments spé-cifiques de la vie familiale, certaines différences quel’on peut observer par rapport aux familles françaises,seront ainsi abordés à travers trois intéressants articlesévoquant respectivement l’éducation en Corée et sonimpact sur la société, le rôle et la place traditionnels du fils aîné dans la famille coréenne et les relations belle-mère/bru et belle-mère/gendre, telles qu’on lesvit chez nous, qui sont probablement pour les Occidentaux source d’étonnement.

Puis, dans la rubrique « La Corée et les Coréens »,nous vous présenterons un joli texte d’une femme écri-vain-voyageur qui nous restitue, avec justesse et poé-sie, les senteurs, couleurs et ambiances des marchéscoréens, suivi d’un article tentant de répondre à unequestion qu’on nous pose souvent, à savoir « Pour-quoi la Corée reste-t-elle encore méconnue enFrance ? »

Quant à la rubrique « L’actualité culturelle », nous y évoquerons, tour à tour, les lauréats du Prix Culturel

France-Corée 2011, la sortie en juin dernier du nu-méro spécial de la revue Po&sie consacré à la poésiesud-coréenne d’aujourd’hui (304 pages et 27 poètesprésentés !), les premiers CD de musique tradition-nelle coréenne publiés par la collection INEDIT dela Maison des Cultures du Monde et l’étonnanterevue de littérature coréenne en ligne Keulmadang.

D’autre part, nous avons également consacré, dans ce numéro, une interview au grand auteur et dramaturge coréen O Tae-seok, l’un des hommes de théâtre lesplus connus et les plus respectés en Corée, dont lapièce La mère vient d’être jouée en France et que nousavons reçu au Centre culturel lors de son passage àParis fin avril.

Enfin, nos lecteurs passionnés de grand air et de ran-donnée pourront découvrir, dans notre rubrique« Voyages, tourisme », une brève présentation desmagnifiques circuits de trekking que l’on peut em-prunter un peu partout en Corée.

J’espère que ce menu - avec oxygénation finale - quenous vous avons concocté vous séduira et vous per-mettra de faire un pas supplémentaire dans la connais-sance de notre pays et de sa culture.

Bien amicalement, en vous souhaitant bonne lecture !

Chers amis,

LEE Jong-SooDirecteur de la publication

NDLR : Depuis ses débuts, « Culture Coréenne », qui a pour vocation de faire mieux connaître en France la Corée et sa culture, s’attache à l’expression de la diversité des regards et opinions. C’est ainsi que nous publions aussi dans nos colonnes, afin que notre revue demeure un espace de liberté et de dialogue, des articles dont la teneur ne correspond pas toujours à notre sensibilité éditoriale et à nos points de vue.

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Nous sommes dans un supermarché enCorée. Une femme fait ses courses avecKyung-min, son petit garçon qui, à vued’oeil, a trois ou quatre ans. L’enfant va etvient dans les rayons où s’arrête samaman. Il semble très à l’aise. Sa mère luiadresse de temps en temps un manjijima(Ne touche pas !) mais le ton n’a rien d’unemise en garde. Cela sonne plutôt commeun mot doux, quelque chose du genre« Tu sais, mon chéri, ces choses-là on nedoit pas les toucher » et le résultat est peuprobant. L’enfant continue son manège,levant par moments les yeux vers sa mèreet, jugeant au nunch’i (au regard) sa margede manoeuvre. Le papa se trouve là maisil n’intervient pas parce que, contraire-ment aux pères français et à ce que l’onpeut imaginer, les papas coréens ne repré-sentent pas vraiment l’autorité. Ils sontsouvent les premiers à céder face aux demandes des enfants. Argumentern’étant pas dans la culture du pays ni dansles priorités de l’éducation, on laisse faire

en se disant que tout rentrera dans l’ordreavec le temps.

Quand, pendant qu’elle fait ses courses,l’enfant demande à sa maman de lui ache-ter un paquet de biscuits, elle répond

d’abord « non » mais cède un peu plustard. Le «  Non  » catégorique d’unemaman française n’a pas cours en Corée,pas plus que l’explication : «  C’est bientôtl’heure de manger », qui suit et justifie lerefus imposé. On vit dans l’instant et onrépond à tous les désirs sur le champ. Lesenfants font ce qu’ils veulent quand ils

veulent et le ton le plus souvent plein dedouceur des mamans coréennes contrasteavec celui des Françaises qui se font undevoir de s’imposer et de se faire obéir deleur progéniture.

En Corée, on n’a pas la même rigueur àl’égard des enfants et, apparemment, onne perd pas la face quand on cède à leurscaprices (le mot caprice, avec la même teneur sémantique critique, n’a d’ailleurspas d’équivalent coréen !). La notion de«  face  » (chemyeon), si importante enAsie, ne joue fortement que dans lasphère sociale des adultes. Face à un(e)enfant, vous avez le droit de céder et personne ne vous reprochera de l’avoirfait. On se demande d’où vient cette per-missivité. Il semblerait que l’idée de fairesouffrir un enfant ne soit pas « morale ».Sous aucun prétexte, on ne refuse àquelqu’un de manger ou de bouger, saufs’il y a danger pour la personne. Notremonde étant une source de souffrances

Par Martine PROSTProfesseur, ancienne directrice de l’Institut des études coréennes au Collège de France *

Dossier spécial

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L’éducation en Corée et son impact sur la société

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En Corée, on n'a pas la même

rigueur à l'égard des enfants, on

ne perd pas la face quand on

cède à leurs caprices. La notion

de "face", si importante en

Extrême-Orient, ne joue que

dans la sphère des adultes.

Même après l'école, les élèves coréens continuent à étudier, des bus spéciaux les acheminant le soir vers les instituts privés.

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pour les êtres humains, il serait cruel derajouter de la peine à la peine. Alors, oncajole, on essuie les larmes, on prend sonbébé dans ses bras, et, s’il pleure et refusede mettre le pied à terre, on le garde pen-dant des heures contre soi, on donne desbiscuits à son bambin à n’importe quelleheure de la journée... On est loin de notre approche rationnelle. On baigne dans lesentimental.

Cette façon de faire peut sans doute s’ex-pliquer également par le sentiment deculpabilité culturellement inscrit dansl’esprit-coeur (maeum) des mamans coréennes. Elles se sentent « coupables »à l’égard de leurs enfants à cause du cal-vaire qu’ils vont devoir subir dès qu’ils entreront à l’école. Pour comprendre lepourquoi de ce sentiment, penchons-nous un instant sur le système d’enseigne-ment coréen et sur l’importance que l’ondonne aux études en Corée.

Hier pays de lettrés, aujourd’hui pays dedocteurs, la Corée a, depuis toujours, accordé une place primordiale à l’éduca-tion. Faire de longues études et soutenirune thèse en lettres ou en sciences, c’estpresque banal en Corée du Sud où lenombre de personnes détentrices d’undoctorat est particulièrement élevé. Lesparents coréens caressent tous le mêmerêve : celui de faire de leurs enfants desdocteurs. En effet, atteindre l’excellenceest l’objectif et, cet objectif étant le mêmepour tous, la concurrence qui en résulte

est féroce. Dès leur plus jeune âge, les enfants n’ont d’autre obligation que celled’apprendre encore et encore pour fairemieux que les autres. Les autres, c’est làque se focalise l’attention. Une étude amontré, à partir d’examens comparatifsd’encéphalogrammes, qu’une mère co-réenne n’était satisfaite que si elle pouvaitconstater que son enfant avait obtenu demeilleurs résultats que ses camarades declasse tandis qu’une mère américaine secontentait de considérer les notes attri-buées sans chercher à établir de compa-raisons. L’obligation en Corée est desurtout ne pas se laisser dépasser et d’êtrele premier. L’escalade infernale - que toutle monde déplore en paroles - n’a pas puêtre évitée. D’une soif « raisonnable » deconnaissances, on est passé à une course« déraisonnable » aux connaissances. Dé-raisonnable dans le sens où la quantitél’emporte sur la qualité; la mémorisationsur la réflexion.

De plus, l’enseignement de connaissances,à mémoriser en grand nombre et rapide-ment, implique de l’ordre et limite lacontestation, deux traits de la société co-réenne. Ce sont ces deux aspects que lesOccidentaux critiquent le plus dans l’en-seignement tel qu’il est conçu et dispensédans les écoles coréennes publiquescomme privées. Ils le jugent trop axé surl’engrangement de données et pas assezsur l’entraînement au raisonnement et àl’esprit critique. Le gouvernement coréen,

après s’être penché sur notre systèmeéducatif et soucieux de favoriser la créa-tivité de l’individu, a fini par introduireau niveau du lycée la pratique de la dis-sertation «  à la française  ». L’idée étaitbienvenue mais elle n’a pas porté sesfruits. En effet, les Coréens ont eu vite faitde publier des manuels de dissertation et les élèves d’apprendre par cœur les modèles proposés. Les instituts privés onttout aussi rapidement adapté leurs pres-tations à cette nouvelle donne en offrantdes cours brassant tous les sujets de rédaction possibles. De machines à apprendre, les élèves des lycées sont devenus des machines à raisonner. Ce quin’empêche pas la République de Coréed’avoir dans ses 50 millions d’habitantsdes gens remarquablement intelligents.Disons qu’ils ne doivent pas nécessaire-ment leur intelligence au système éducatiflocal ! Beaucoup d’entre eux ont d’ailleursété formés à l’étranger.

Evidemment, il n’y a pas que l’éducationscolaire. Il y a aussi l’éducation familiale.Nous avons abordé le sujet un peu plushaut. Mais celle-ci n’est finalement pasd’un grand secours. Dans bien des cas

elle aggrave la situation car, à la maison,pas le temps de se reposer. A peine arrivéde l’école, l’enfant est pris dans un nou-veau cycle d’études parallèles, celui desgwaweo (études en dehors de l’école). Il va devoir suivre des cours à l’extérieurdans des hagwon, instituts spécialisésdans l’enseignement d’une multitude dedisciplines académiques ou non. On peuts’imaginer que ces établissements, quel’on trouve dans tous les quartiers detoutes les villes du pays, sont fréquentéspar les élèves ayant besoin d’un soutienscolaire. Il n’en est rien. L’enfant y est en-voyé afin de s’avancer sur le programmede l’année en cours ou, pour beaucoup, del’année suivante. Le phénomène est telle-

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Hier pays de lettrés, aujourd'hui

pays de docteurs, la Corée a,

depuis toujours, accordé une place

primordiale à l'éducation

et aux études.

L'image du père très sérieux et sévère a déserté la Corée.

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ment répandu qu’il existe des écoles oùles professeurs font l’impasse sur cer-taines parties de leur programme, consi-dérant que le contenu est connu de tous.L’avantage de «  ce système dans le sys-tème  » est que les Coréens occupent une très bonne place dans le classementinternational des performances éduca-tives par pays. Non seulement ils sontbien éduqués (la politesse, c’est la base enCorée) mais ils sont cultivés et bien formés. Et, la concurrence au niveaumondial l’exigeant, les voilà de plus en

plus innovants. Après leurs performances dans les nouvelles technologies, qui ontfait le renom de chaebols comme Sam-sung, ils se distinguent depuis plusieursannées dans le domaine des « produits artistiques ». La propagation de la vaguecoréenne (hallyu) est là pour le démontrer.

Mais, reprenons le fil de notre histoire etretrouvons Kyung-min et sa maman dans le supermarché. Elle a fini ses achatset la voici maintenant à la caisse. La queue à faire n’est pas longue, ou plusexactement, la vivacité des caissières faitqu’on n’a pas besoin de faire du sur place.On avance à une vitesse étonnante pournous, Français, obligés de patienter par-tout. Les Coréens n’aiment pas attendre,ils ne savent d’ailleurs pas attendre. L’édu-cation met la priorité sur l’entraînement àagir vite et non sur la patience. Avant l’in-troduction des caisses automatiques, lesperformances des commerçants coréensen calcul mental laissaient bouche bée.L’école était passée par là et tout le monde- surtout les femmes - avait une capacitéfulgurante à compter de tête, associée àune habilité déconcertante à faire usagedu boulier pour les grosses sommes.Ajoutez à cela la vivacité comportemen-tale des Coréens - elle aussi développée

très tôt par l’éducation - et vous mettezclairement le doigt sur une différence ir-révocable entre façons de faire à la co-réenne et à la française. Le ppalli ppalli(vite, vite), expression de nos jours à lamode pour définir la société coréenne, afait ses débuts plus tôt qu’on ne le pense etque ne pourrait le laisser croire la tradi-tion « digne et posée » du confucianisme.En peu de temps, la maman de Kyung-min a quitté le magasin. Ses emplettes,elle les a laissées à la caisse. Elles lui serontlivrées à domicile dans l’heure qui suit.Porter des sacs de courses ne se fait plusen Corée, pas plus qu’aller à la poste. Toutle monde passe par le service du taekpae(livraison immédiate) pour l’envoi des pa-quets, petits ou gros, dans tout le pays,avec la garantie de voir son colis arrivé à destination lejour même ou, à défaut, le lendemain auplus tard.

Mère et fils sont de retour à la maison. Ilsy retrouvent Mi-sook (8 ans), la grandesœur, occupée à faire son travail de classe.Les deux phrases que la maman utilise le plus envers sa fille aînée sont « gong-buhae » (Etudie !) et « ppalli meogeo ! » (Dépêche-toi de manger !). Et elle n’est pasune exception. Dans toutes les famillescoréennes, c’est pareil. Les enfants étu-dient beaucoup et avalent leur repas endeux temps trois mouvements, leurssmart-phones à portée de main, la télé

devant leurs yeux, un ou deux livres sousle coude. Les pères, eux, travaillent beaucoup et mangent tout aussi vite queleurs enfants. Ils ne sont donc pas desmodèles pour eux. D’ailleurs, n’ayant pasles mêmes horaires, ils ne sont générale-ment pas présents à table pour le dîner. S’installer tranquillement, attendre d’êtreservi et savourer une entrée, un plat et un dessert sans aller et venir à tout moment,cela existe en France, pas en Corée (où onsert et on mange tout en même temps). Obliger un enfant à finir un plat qu’iln’aime pas, lui demander de débarrasserles couverts, de faire son lit ou de rangersa chambre, cela ne fait pas non plus partie des habitudes des familles. La mèrene cherche pas à éduquer son enfant parle biais du partage des tâches ménagères.Elle ne lui demande pas d’aide par craintede lui faire perdre du temps. Pour elle, lapriorité n’est pas là ; elle est à l’étude. Parceque sans réussite scolaire, il n’y a pas deréussite sociale possible, et, sans réussitesociale, pas de bonheur sur cette terre.

Ainsi l’espace familial ne remplit pas lerôle régulateur qu’il a dans certaines autres cultures. Il n’offre pas de complé-mentarité avec le milieu scolaire et ne faitque renforcer la frénésie générale. Quiplus est, les familles n’étant plus des daegajok (famille élargie, regroupant 3, 4 générations sous le même toit), les ma-mans n’ont plus une grand-mère ou un

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Les deux phrases que la maman

coréenne utilise le plus à la maison,

quand elle parle à ses enfants,

sont "gongbuhae" (Etudie !) et

"ppalli meogeo"

(Dépêche-toi de manger).

L'ambiance studieuse d’un institut privé coréen.

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grand-père «  à portée de main » pours’occuper des petits-enfants. Elles paientdonc de leur personne les frais de cettecourse à la réussite, en plus de la chargefinancière qui en résulte (au minimum

1/3 du budget familial va à l’éducation).D’autre part, les couples n’ayant plusqu’un seul enfant compte tenu du coûttrès élevé des études, les moments de dé-foulement que représentaient les disputesentre frères et sœurs se sont envolés. L’en-fant se retrouve seul face à lui-même ouface à son galaxy dernière génération.Dans les milieux les plus fortunés, les en-fants côtoient plus de monde mais,comme les relations sont extrêmementcodifiées et laissent peu de place à laspontanéité, le nombre de personnes àqui se confier ou sur qui déverser sa frus-tration est là encore très limité. Ces en-fants ont, en plus de leurs chauffeurs, des« secrétaires » et des « manageurs d’édu-cation », rémunérés par les parents avecune grande largesse afin de garantir à leurprogéniture un encadrement à la hauteurde leur statut social. Ils sont souvent po-lyglottes dès leur plus jeune âge (anglais,français, chinois, espagnol…) et, s’ils nesont pas envoyés dès le collège faire leursétudes à l’étranger (USA, Angleterre, Canada, France, etc.), ils suivent, pourcertains, des vidéoconférences hebdoma-daires avec des professeurs natifs qui lesplongent dans des situations équivalentes à celles de leurs petits amis partis se for-mer en Occident. A quoi s’ajoutent bien évidemment un ou deux professeurs parmatière importante, triés sur le volet etvenant les faire travailler à domicile.

Les avantages de ce type d’éducation, auniveau du fonctionnement de la société,sont indéniables. Habitués à étudier sansrelâche, contraints à se lever tôt et à secoucher tard (pas avant minuit pour les

collégiens et lycéens) et n’ayant pas de vacances (on étudie même quand il n’y apas d’école), les Coréens sont capables, àl’âge adulte, de s’adapter à des conditionsde travail nettement plus contraignantesque les nôtres. L’éducation qu’ils ontreçue fait que, une fois dans la vie active,ils ne rechigneront pas à la tâche. Ils feront ce qui leur est demandé avec unedétermination souvent exemplaire parcequ’ils ont appris coûte que coûte à allerjusqu’au bout d’eux-mêmes et qu’ils n’ontpas eu l’occasion - sauf s’ils ont vécu àl’étranger - d’être confrontés à d’autresschémas de vie possibles. Ils peuvent,bien sûr, revendiquer leurs droits et quitter, par exemple, le travail juste àl’heure mais ils savent qu’ils prennent desrisques en ne respectant pas les normes dugroupe. La Corée est, en effet, un pays oùle groupe compte plus que l’individu, oùles liens noués à l’école puis à l’universitésont déterminants et où les relations pro-fessionnelles gouvernentla vie de tous.

Dans leurs existences, lesCoréens ne connaissentqu’une courte trêve àl’université. Dès qu’ilsentrent dans la vie active,plus de liberté, ou si peu !La vie est un sacrificepresque du début à la fin.Et si les Coréens rient beaucoup, ils souf-frent aussi beaucoup. Le taux de suicidesest un des plus élevés du monde et l’indicerelatif de bonheur (IRB) un des plus faiblesdes pays de l’OCDE. Doit-on rendre l’édu-cation responsable de ce triste constat ?Peut-être serait-ce aller trop loin mais il estsûr qu’elle génère des tensions considéra-bles à tous les niveaux, individuel, familialet social.

Mais les Coréens ont, pour eux, qu’ils affrontent la réalité avec détermination et optimisme. Cet instinct à regarder leversant éclairé de la montagne est d’autantplus fort aujourd’hui qu’ils sont conscientsd’être devenus un modèle de développe-ment et de réussite. Ils savent que c’estl’éducation qui se trouve à la base de cetteréussite et que c’est elle qui façonne la

société et définit les schèmes comporte-mentaux qui seront validés et promus parla collectivité. Ils savent aussi que leur avenir dépend de leur pouvoir d’innova-tion et de créativité ainsi que de leur acceptation de l’autre, au sens large, et, enparticulier, de l’intégration des commu-nautés étrangères de plus en plus présentesen Corée du Sud (damunhwa).

Ces schémas évoluent avec le temps et la Corée d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a dix ans. Il suffit de lire la pressepour le constater. Un article paru récem-ment dans un des grands quotidiens coréens annonçait, par exemple, que lesachats/ventes d’appartements grandessur-faces (plus de 200 mètres carrés, ce quin’est pas très grand pour les Coréens !)avaient considérablement diminué. Parmiles raisons évoquées pour expliquer cephénomène, étaient citées la large dispa-rition des daegajok (familles élargies),l’augmentation du nombre des personnes

non mariées vivantseules, l’existence denombreux gireogiappa(pères isolés de leurs fa-milles) et l’apparition defoyers monoparentauxliés aux divorces de plusen plus fréquents.

Comment, de là, ne paspenser qu’un état de fait

nouveau s’est installé en Corée, à savoirl’acceptation sociale du droit à un plura-lisme de comportements ou, tout aumoins, de l’existence dans la société d’unediversité comportementale qui n’était pasadmise autrefois ? Comment ne pas pen-ser que le rôle de la famille, même s’il seperpétue de nos jours sous des formessouvent très respectueuses de la tradition- par exemple dans l’importance qui estaccordée au respect des aînés, ou dans laréticence au concubinage constatablechez les jeunes - a changé avec le temps etdu fait de l’influence de la mondialisationqui s’est imposée en Corée peut-être plusencore qu’ailleurs en Asie ?

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Pour les Coréens, le groupe

compte beaucoup plus que

l'individu. Les liens noués à

l'école puis à l'université sont

déterminants et les relations

professionnelles gouvernent

la vie de tous.

Habitués depuis l'enfance à

étudier avec ardeur et sans relâche,

les Coréens, sont, à l'âge adulte,

capables de s'adapter à des

conditions de travail nettement

plus contraignantes que les nôtres.

*Martine Prost est l'auteur d'un très intéressant livre inti-tulé "Scènes de vie en Corée", paru en 2011 aux éditionsL'Asiathèque. Elle vit, depuis l'année dernière, à Séoul.

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La « culture de l’aînesse » est le composantde la culture familiale traditionnelle co-réenne dans lequel celle-ci s’exprime de la manière la plus éloquente. Si on me demande en quoi consiste cette « culturede l’aînesse  », je dirai, au risque d’être accusé de simplisme, qu’elle se résume àdeux traits essentiels : le fils aîné jouit ausein de la famille de certaines prérogativesauxquelles les autres enfants n’ont pas droit

et, revers de la médaille, se voit attribuer desresponsabilités non négligeables.

Côté prérogatives d’abord. Le fils aîné enbénéficie dès son plus jeune âge. A table, lesmeilleurs morceaux lui sont réservés, unefois son père servi. Il a toujours des habitsneufs, alors que ses frères se contentent deceux qu’il a portés. Quand il arrive à l’âgeadulte, sa voix compte plus que celles des

autres lors d’une prise de décision familiale.L’éducation est un domaine où l’on peut observer ce phénomène de façon flagrante.En Corée, l’enseignement supérieur ouvre - ou plutôt ouvrait, devrais-je dire - la voiemenant à l’ascension sociale. Même pauvres,les parents font tout ce qu'ils peuvent pourque leur aîné bénéficie de l’enseignementsupérieur. Les paysans n’hésitent pas, dansce but, à se séparer de plusieurs bœufs,

Par LEE Jong-Soo Directeur du Centre Culturel Coréen

Dossier spécial

« Quoi ? Tu veux épouser un fils aîné ? » La culture coréenne de l’aînesse vue par le fils aîné d’un fils aîné.

Instantané d'une cérémonie traditionnelle du mariage.Malgré la joie manifestée par les parents du marié, la jeune femme coréenne qui épouse un fils aîné n'aura pas une vie des plus faciles...

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ce qui a engendré l’expression « tour d’os debœuf » pour désigner l’université ! Quantaux autres enfants, il leur arrive, mêmequand ils sont doués, de devoir renonceraux études ou gagner eux-mêmes de quoi les payer.D’où vient cette coutume ? Probablementde la tradition confucéenne accordant uneimportance primordiale à la piété filiale età la continuité de la lignée. Une structurefamiliale à l’ancienne est une arborescenceau sommet de laquelle se trouve le grand-père. Y règne une hiérarchie dictantà chacun de ses membres sa place,son statut et son rôle, en fonction deson âge et de son sexe. Le fils aîné,conduisant le deuil en cas de décèsde ses parents et officiant aux céré-monies, appelées jesa, en l’honneurdes ancêtres, détient de ce fait uneautorité absolue. Les filles, quant àelles, ne sont plus considéréescomme faisant partie de leur proprefamille lorsqu’elles se marient, leurnom étant même rayé des extraitsd’état civil. En Corée, il y a une in-terdépendance plus marquée qu’ail-leurs entre parents et enfants. Lespremiers se sacrifient pour les se-conds, surtout pour leur fils aîné qui se doitde son côté de les remercier en s’assurant deleur bien-être quand ils ne sont plus actifs.

C’est là que commence la deuxième face dela culture de l’aînesse, celle des responsabi-lités. S’agissant d’une famille riche, le filsaîné a l’obligation d’entretenir cette ri-chesse. Il en hérite en grande partie, ainsiparfois que du statut même de son père, cequi le lie à ce dernier par un devoir d’obéis-sance. Si, en revanche, la famille n’est pasaisée, c’est à l’aîné qu’incombe la tâche deredresser ses finances. Les fils aînés ayantgrandi avant les années 1980 se souvien-dront de cette injonction qu’on leur a mar-telée durant toute leur jeunesse : « Tu esl’aîné. Tu dois réussir pour la prospérité denotre famille et l’avenir de tes frères etsœurs. » Ils ne pouvaient se libérer de cejoug. J’ai moi-même vécu cette expérience.Quant à mon père, qui était parvenu à sefaire une situation après des années de la-beur, il se sentait régulièrement obligé devenir en aide à ses frères et sœurs - ce au

grand dam de ma mère. Après une disputeavec elle à ce sujet, il venait toujours me dé-clarer : « Toi aussi tu es l’aîné, un jour tu mecomprendras. »

Le fils aîné officie par ailleurs aux cérémo-nies en l’honneur des ancêtres, au NouvelAn lunaire, à chuseok, fête des récoltes, maisaussi à l’anniversaire de la mort de chacundes parents, des grands-parents et quelque-fois des arrière-grands-parents. Son épousese doit de prendre en charge toutes les

tâches qui en découlent. A un tel point quesi sa fille veut épouser un fils aîné, fût-il unhomme d’une qualité exceptionnelle, unemère coréenne ne peut y consentir de gaietéde cœur. (C’est pourquoi je profite de l’espace qui m’est offert dans ces colonnespour exprimer toute ma gratitude à machère épouse qui a bien voulu m’accepter,moi le fils aîné d’un fils aîné !)

Le « monodrame » intitulé le Père - dugrand auteur et dramaturge contemporainO Tae-seok -, présenté le 8 juin dernier auCentre Culturel Coréen à Paris, nous apprend beaucoup sur le sujet. Il s’agit dumonologue d’un père de onze enfants. C’estune figure paternelle typiquement coréennedans le sens où il attend tout de son fils aîné.Nombreux sont par ailleurs les films ou lesromans qui traitent du sujet. Dans Frères desang, un film que Kang Je-gyu a réalisé en2004 (et qu’on a pu voir, il y a quelques an-nées, sur les écrans français), il est questiondu sacrifice au-delà de toute raison du héros,un fils aîné, au bénéfice de son petit frère.

Ce sont là des exemples parmi d’autres quiillustrent l’enracinement de la culture de l’aî-nesse dans la vie des Coréens.

Bien sûr, la cellule familiale traditionnelle asubi de multiples changements au cours dutrès rapide développement économique dupays. Aujourd’hui, beaucoup de foyers necomptent qu’un ou deux enfants. Un filsaîné est désormais un enfant comme les au-tres. Sans parler du mouvement féministeet de l’amélioration du statut social des

femmes, qui ont contribué à atté-nuer ses prérogatives. Autour demoi, des fils aînés se plaignent :«  On nous a enlevé nos privi-lèges en ne nous laissant que nosobligations ! » Un fils aîné, denos jours, est en passe de devenirun être pitoyable portant sur sesépaules une double, voire tripleresponsabilité, un mauvais épouxqui accable sa femme sous unjoug qui s’appelle jesa, un grandfrère qui doit aider sa fratriemême si sa situation ne le lui per-met pas vraiment, un fils qui ac-cueille sous son toit ses parentsprivés de ressources. L’abolition

en 2008 du système appelé hojuje (seull’homme pouvait être un hoju, un chef defamille) a été, en Corée, l’occasion d’une sé-rieuse remise en cause du système patriarcal.Désormais, par exemple, un enfant peutprendre le patronyme de sa mère en mêmetemps que celui de son père, une femme di-vorcée peut être considérée comme un« chef de famille », etc.

Cependant, même si la société coréenne abeaucoup changé ces dernières années, laculture de l’aînesse n’a pas encore disparudes gènes des Coréens. Si l’aîné peut quel-quefois, de nos jours, faire appel à l’aide deses frères ou sœurs, par exemple pour l’aiderdans sa tâche lorsqu’il doit prendre encharge ses parents, ceux-ci compteront tou-jours surtout sur lui. En Corée, d’aucunsprétendent qu’au lieu de la condamner, ilfaudrait plutôt moderniser cette tradition.L’esprit de l’aîné qui veille à la prospérité desa famille et au bonheur de ses frères etsœurs pourrait ainsi inspirer un modèle desociété plus altruiste.

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Fils aîné en tête de cortège, lors d'une cérémonie traditionnelle de funérailles.

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Dossier spécial

L’antagonisme belle-mère / gendre est enFrance un thème indémodable à l’originede bien de plaisanteries de plus ou moinsbon goût. Par contre, dans la société coréenne marquée par le confucianisme,c’est au niveau des relations entre belles-mères et brus que les tensions se nouent.

« Chaque belle-mère est un morceau dela culotte du diable » (proverbe alsacien)

L’Echinocactus grusonii est une des espècesles plus connues de cactus. De forme sphérique, avec un diamètre de 60 cm environ, cette plante est originaire du cen-tre du Mexique. Elle a été dédiée à l’émi-nent scientifique allemand HermannGruson (1821-1895) qui avait constitué laplus grande collection de cactus d’Europe.L’Echinocactus grusonii est plus triviale-ment appelé « belle-mère » ou « coussin debelle-mère » en raison de ses fortes épines.Le savant avait-il des relations difficilesavec la mère de son épouse ? Les encyclo-pédies ne nous renseignent pas sur cepoint. Il est en tout cas certain qu’en Eu-rope, une très ancienne tradition fait dugendre et de sa belle-mère des ennemisprivilégiés. Le grand Honoré de Balzac lui-même n’affirmait-il pas : « Avoir sa belle-mère en province quand on demeure àParis, et vice-versa, est une de ces bonnesfortunes qui se rencontrent toujours troprarement »  ? Innombrables sont les his-toires – parfois – drôles qui mettent enscène ces deux acteurs, et rarement desbrus. Quant aux beaux-pères (sans douteparce que dans le couple, c’est l’épouse qui

est le chef ?), ils sont gé-néralement absents de

ce folklore. Selon le psy-chologue Jacques Borgy  :

«  Critiquer sa belle-mère,c’est une façon de s’attacher à sa

propre mère.» C’est aussi unefaçon un peu macho de montrer que,

marié ou pas, on ne s’en laisse pas conterpar les « bonnes femmes ».

Il en va a priori différemment en Corée où« l’amour de la belle-mère est le gendre »,dit-on. Un test : risquez-vous à raconter àdes Coréens une de ces blagues qui fonts’esclaffer les mâles français (un exempleentre mille : un monsieur rencontre un deses amis dont le visage est couvert de grif-fures. Il lui demande  : «  Que t’est-il ar-rivé ? » L’autre répond : « Je viens d’enterrerma belle-mère. » « Quel rapport ? » « Maisc’est qu’elle ne voulait pas ! »). Si vous avezde la chance, vous récolterez quelques sou-rires polis, mais vous aurez fait un flop. Cegenre d’humour ne passe généralementpas en Corée où on dit aussi que, quand legendre arrive chez elle, le considérantcomme un hôte de marque, la belle-mèretue une poule pondeuse pour le recevoir –ce qui laisse penser qu’elle le chérit, maispeut-être aussi qu’elle craint qu’il maltraitesa fille. Si gendre et belle-mère ont pujusque-là entretenir des rapports qu’onpourrait généralement qualifier d’amicaux,c’était largement dû à leur éloignementphysique, un jeune couple étant tradition-nellement accueilli par la famille du mari.Or, en ce temps où beaucoup de femmestravaillent, ce sont les grands-mères mater-nelles qui viennent garder les enfants et, àen croire la presse coréenne, ce rapproche-ment forcé semble désormais poser pro-blème à beaucoup de maris qui trouventleur belle-mère un peu trop envahissante.

Sijipsari, « vivre avec ses beaux-parents » :un esclavage qui ne dit pas son nom

« Se marier » peut se traduire en coréen deplusieurs façons. L’une d’elles, sijipgada, est

une tournure exclusivement utilisée pourles femmes et qui signifie littéralement« aller au foyer de son époux ». En épou-sant un homme, une femme rejoint doncla famille de ce dernier et, s’il est le fils aîné,doit peut-être cohabiter avec ses beaux-pa-rents et les servir. Une étude réalisée en20071 montre que ce rapport de force s’estfigé au cours de la deuxième moitié de ladynastie Joseon (1392-1910), le confucia-nisme régissant l’idéologie et la pratique dela société. Auparavant, quand venait à décéder le fils aîné qui, en l’absence de sonpère, présidait aux cérémonies en l’hon-neur des ancêtres, c’était sa femme qui héritait de sa position prééminente. Elleétait libre, par exemple, de léguer le bienfamilial à ses filles si elle n’avait pas de descendant mâle. Elle rencontrait quelque-fois l’opposition de sa belle-mère qui vou-lait faire valoir les droits de ses autres fils.La société devenant de plus en plus patriar-cale, les belles-filles étaient quelquefoisamenées à adopter un garçon pour contrer

les belles-mères qui, progressivement,avaient fini par obtenir gain de cause. Laréalité actuelle de la société coréenne restelargement marquée par cette évolution,même si elle voit ses coutumes évoluer enmême temps que sa configuration. Sijip-sari, « vivre avec ses beaux-parents », estpour la jeune mariée, sous sa forme tradi-tionnelle, synonyme d’un esclavage qui nedit pas son nom – elle est priée de « vivretrois ans sourde et trois ans muette », ditun dicton. C’est souvent une source deconflits avec sa belle-mère et, inévitable-ment, avec son mari. Bunga, qui signifieque le jeune couple se procure son propre

Les belles-mères coréennes : un sujet « épineux »

Par JEONG Eun-JinMaître de conférences à l’INALCO et traductrice

“Avoir sa belle-mère en province

quand on demeure à Paris,

et vice-versa, est une de ces bonnes

fortunes qui se rencontrent toujours

trop rarement”, affirmait le grand

Honoré de Balzac. 

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ON

TC

toit, devient vite son obsession. Au-jourd’hui encore, quelque dix mille couplescoréens divorceraient chaque année suite àune mésentente entre belle-fille et belle-mère2. Nombreux sont les proverbes qui il-lustrent ces difficiles relations. Labelle-mère, quand elle cherche noise à sabelle-fille, « lui reproche ses talons qu’elleaccuse de ressembler à des œufs ». La com-paraison surprend a priori et il est difficiled’en trouver l’origine, mais en dit sans doutelong sur la « mauvaise foi » de la belle-mère.Quant à la belle-fille, elle peut trouver que« sa belle-mère qui la frappe est moins haïs-sable que sa belle-sœur qui feint de l’en dis-suader », belle-sœur qui, alors qu’elle est (ousera) elle-même une bru, ne fait aucune-ment preuve de compassion à son égard,préférant profiter de sa position privilégiéede fille auprès de sa mère.

Le conflit entre les deux femmes trouvesans doute son explication dans la rivalitéuniverselle au sein de la gente féminine –qui plus est, entre deux personnes qui setrouvent dans la même situation, n’ayantpas de légitimité en termes de liens dusang dans un foyer dans lequel elles ontété intégrées par leur mariage – ou dans

l’amour possessif de la mère pour le mâlequ’elle s’enorgueillit d’avoir engendré, permettant ainsi à la lignée de se perpé-tuer3. Ajoutons que c’était bien sûr à lamaîtresse de maison qu’incombait la tâchede tenir le ménage, mais aussi de faire ensorte qu’à sa « retraite », l’autorité fût main-tenue par sa bru à qui elle transmettait lesclés de la grange. L’éducation de sa belle-fille était donc à la fois le droit et le devoirde la belle-mère, qui avait par ailleurs tendance à se défouler en infligeant à

la jeune personne tout ce qu’elle-mêmeavait subi en tant que belle-fille. Le pro-verbe  : «  Quand une bru devient unebelle-mère, elle est pire que sa belle-mère », a ses équivalents dans d’autres cul-tures (ainsi en France : « Les belles-mèresne se souviennent jamais qu’elles ont étédes belles-filles  »), mais prend un échoparticulièrement réaliste dans celle de la Corée.

Les jeunes épouses coréennes sont nom-breuses à souffrir de ce qu’on appelle le« syndrome des fêtes ». Les festivités tradi-tionnelles telles que le Nouvel An lunaireou chuseok, la fête des récoltes, qui réunis-sent toute la famille à l’occasion d’une céré-monie en l’honneur des ancêtres, signifientpour elles des journées entières de stress etde corvées ménagères chez les parents deleur époux. Toutes les brus s’activent alorsau sein d’une organisation hiérarchisée, orchestrée par leur belle-mère dont l’œild’aigle ne laisse passer aucune erreur. Leshommes n’ont pas accès à cet espace fémi-nin, leurs tâches – s’il y en a – étant claire-ment séparées de celles des femmes. Pourle repas qui suit la cérémonie, ils sont d’ail-leurs servis à une table qui leur est réservée,pendant que l’élément féminin se regroupedans un coin pour avaler quelques ali-ments. La bru la plus jeune, elle, continueà se démener pour veiller à ce qu’il nemanque rien aux convives et se tient peut-être déjà prête à prendre en charge le premier arrivage de vaisselle sale. Cesbelles-filles seraient donc victimes de cesyndrome des fêtes – un mal qui les frappesous forme de migraine, de sensation

Selon la tradition coréenne, l'éducation des belles-filles était à la fois le droit et le devoir des belles-mères. La belle-mère orchestrait ainsi tous les moments importants dela vie familiale, notamment les cérémonies en l'honneur des ancêtres, dont la préparation signifiait pour les brus des journées entières de travail harassant.

En Corée, on dit que, quand

le gendre arrive chez elle,

la belle-mère tue une poule

pondeuse pour le recevoir. 

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d’étouffement… – comme par hasard àl’approche du jour-J. Si l’expression est ré-cente, l’idée ne l’est point, car un proverbedisait déjà : « Une mauvaise bru tombe ma-lade le jour de la cérémonie aux ancêtres. »

Les feuilletons télévisés (dramas), reflet actuel d’un conflit ancien

L’antagonisme qui oppose la belle-fille à sabelle-mère a nourri des générations deconteurs, de romanciers et de scénaristesde films, mais c’est surtout dans les dra-mas, les séries télévisées dont le public co-réen est très friand, qu’il se trouveaujourd’hui mis en scène. Même s’il s’agitsouvent de stéréotypes, les femmes co-réennes aiment voir reflété sur le petitécran ce que chacune d’elles a connu di-rectement ou indirectement. La catharsisse poursuit à travers les commentairesqu’elles échangent par la suite entre elles.En 2007, la chaîne MBC, en quête d’audi-mat, se lance dans le remake de Gyeoulsae,« l’Oiseau d’hiver », un drama à succès de1992 (44,7% de part d’audience), adaptéd’un roman, publié en 1986 par Kim Su-hyeon qui, à l’âge de 69 ans, reste une ré-férence en matière de scénarios pour cesséries. Le récit met en scène une jeunefemme et ses interminables malheurs, dontson mariage avec un « fils à maman » et lemartyre annoncé que lui fait subir sa belle-mère, une veuve obsédée par l’argent etson fils unique. Cette dernière devient uneincarnation du mal face à cette jeunefemme qu’elle accuse d’avoir été fiancée àun autre homme avant son mariage.L’image d’une bru, qui subit tout sans pou-voir se défendre, a été jugée anachroniqueet l’émission n’a pas connu le succès de saversion antécédente. Mais, diffusée enmême temps qu’une sitcom intitulée L’Aged’or des brus qui, sur KBS 2, mettait enscène sur un ton plutôt bonhomme et comique plusieurs relations belle-mère /bru, elle montre que si ce rapport évolue,le sujet reste néanmoins d’actualité.

C’est ainsi que le premier épisode deNeongkuljjae gulleoon dangsin (titre an-glais : « My Husband Got a Family »), undrama que la chaîne KBS diffuse actuelle-ment et qui rencontre un grand succès,traite lui aussi de ce thème. Un grouped’amies se retrouve peu après une de cesfêtes où elles sont corvéables à merci ets’épanchent sur la dure condition de bru.

Seule exception, Yunhi, se plaint, avec unehypocrisie ostensible qui met en ragetoutes les autres, de la tristesse qu’il y a àvivre sans belle-famille, et ce après leuravoir narré les vacances idylliques qu’elleet son mari viennent de passer en amou-reux à l’étranger : « Comme vous le savez,mon mari n’a pas de famille et on ne sait pasoù aller pour ces fêtes. Vous n’avez pas idéede ma solitude ! Je n’ai pas de belle-mèrepour me donner des conseils affectueux, pasde belle-sœur pour discuter en amies… Cen’est pas comme si mon mari avait des frèreset que je pouvais rivaliser avec leurs épousespour savoir laquelle servirait le mieux lesbeaux-parents  ! Pourtant, pour savourervraiment ces moments festifs, il faut êtredans la foule, avoir préparé des beignetsjusqu’à en vomir et faire la vaisselle jusqu’às’en déboîter les poignets. Vous ne pouvezpas savoir comme je vous envie toutes… »La jeune femme avait choisi le célibat,ayant été toute sa vie témoin des conflitsentre sa mère et la famille de son père,mais a un jour rencontré un « homme par-fait », à savoir un orphelin qui a réussi dansla vie, qu’elle a donc épousé et avec qui ellenage dans le bonheur. Mais la lune de mielne va pas durer éternellement car,quelques épisodes plus loin, son mari re-

trouve ses parents biologiques qui ne sontautres que… leurs voisins, avec qui elle en-tretient des rapports plutôt tendus. Cellequi faisait frémir de jalousie toutes ses co-pines se retrouve ainsi un beau jour avecune belle-famille au complet – belle-mère,belles-sœurs et même une grand-mère,toutes aussi remontées contre elle – et quiplus est, sur le même palier ! De femmemoderne qui fait sa carrière et qui s’ex-prime, elle passe du jour au lendemain àl’état de belle-fille discrète, au service detoute la tribu, et cette transformation,certes caricaturale, ne fait pas seulementrire...

La série passionne par son sujet toujoursd’actualité, son ton tragicomique et ses répliques qui sonnent juste. Les discus-sions entre jeunes femmes vont bon trainsur Internet à propos du comportementque doit adopter l’héroïne à l’égard de son

tout nouveau « Si-World », une expressionqui a priori évoque un «  Sea World  »(monde aquatique) ou un parc d’attrac-tions plein de manèges excitants, et qui esten fait un néologisme désignant la « fa-mille du mari ». Les titres commençant parle préfixe si- sont attribués aux membresde celle-ci – un peu comme « beau/belle- »en français. Eomeoni signifiant « mère »,si-eomeoni, c’est la « belle-mère », si-abeoji

le « beau-père », si-nui la « belle-sœur »... Autant de sources de stress, la plupart dutemps, pour une femme coréenne. Il fautsavoir qu’encore aujourd’hui, en Coréeplus souvent que dans les pays occiden-taux, le mariage n’est pas une simple unionentre deux individus qui s’aiment, maisu n e alliance entre deux familles. Les conditionsfamiliales – l’origine géographique de la famille, le statut social des parents, leur richesse…– constituent un des éléments-clés qu’un entremetteur, ou plutôt une entremetteuse, professionnelle ou non,prend en compte quand elle présente deuxjeunes l’un à l’autre en vue du mariage.U n e fois l’union célébrée, l’épouse, intégréed’emblée dans la famille de son mari bienque conservant le nom de son père, en-tame le parcours du combattant qui doitl u i permettre de se faire accepter dans sonnouvel environnement.

Aussi, gendres français qui brocardez lamaman de votre élue, pensez aux pauvresbrus coréennes et dites-vous que vous neconnaissez pas votre bonheur ! Alors, nemésusez pas de l’Echinocactus grusonii àl’encontre de madame votre belle-mère,même par goût innocent de la farce. Mal-gré ses éminentes qualités et l’affectionqu’elle vous porte – peut-être trop discrè-

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1 Kim Yun-jung, « Joseonjeongi gobugwangye-ui byeonhwa-yangsang (Changements des relations belle-mère/belle-filleau début de la période Joseon) », Minsokhak yeongu, n°20,juin 2007.2 Voir par exemple l’article écrit par l’avocate Yu Yunhi,Joongang Ilbo, 20/12/2011.3 Dans son article, Yu Yunhi cite une plaisanterie. A la ques-tion : « Quelles sont les trois folles ? », la réponse est :« Celle qui pense que sa bru est sa fille, celle qui considèreson gendre comme son fils et celle qui croit que le mari desa bru est toujours son fils. »

L’antagonisme qui oppose la belle-fille

à la belle-mère a nourri, en Corée,

des générations de conteurs… 

“ Quand une bru devient une belle-mère,

elle est pire que sa belle-mère.” 

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Partout dans le monde, les marchés ali-mentaires sont des moments d’échanges,de rencontres et de partages extrêmementvivants. Le marché traditionnel de Wonju, et celuidu petit port de Jumunjin (tous deux dans la province du Gangwon) m’ont semblé typiques de ces lieux où s’allientintensément sons, couleurs, odeurs, gestes,diversité et qualité des produits proposés,où tout est à regarder et à admirer avecétonnement.

Marché traditionnel de WonjuLe marché bimensuel de Wonju se passedans la ville basse. On se gare dans uneruelle, on s’avance vers le bruit, et on entredans la Vie.

Il faudrait que je puisse écrire tout à la fois : couleurs-odeurs-cris-mains autravail-attitudes-relents de friture, camelots,paysannes accroupies, jeunes vendeursénergiques au tablier mouillé, sacs de rizsoufflé-poissonsfruitsherbesracines-parasols-pieds en savates, briques de tofuen Grande Muraille, haricots en grainsbeaux comme des bijoux, brochettesgâ-teauxpâteskimchi-etc… Je m’arrête mais lemarché ne s’arrête pas. J’ai la sensationd’être entrée non pas dans le Ventre deParis mais dans le Ventre de Wonju. Nous

cheminons dans des boyaux de stimula-tions inouïes, je capte -aussi vite que messens me le permettent- les variationsmouvantes et continues d’un marché populaire asiatique. Pourrais-je vous raconter celle qui pèle à toute vitesse ceslongs tubercules gris avant de les lancerdans une cuvette  ; celui qui démêle lescrabes du fil de pêche dans le bassin d’eauet les crabes qui implorent de toutes leurspinces avec des signaux de sémaphore ;les éventaires d’herboristes couvertsd’écorces, de brindilles, de fagots defeuilles vert émeraude, de mille savoirsancestraux  ; les tables aux monticulesd’alevins ou de minuscules poissons séchés, et sur chaque tas, la boîte de bois

carrée emplie d’une pyramide de chaqueespèce : la portion que vous achèterez sivous répondez aux sollicitations inces-samment psalmodiées avec cette curieuseintonation plaintive en fin de séquence.Pourrais-je vous donner le goût de ces petits pâtés de farine de riz fourrés de sojafermenté, celui des galettes de riz brûlé,l’admiration pour le tour de main de cellequi compose des crêpes « si fines qu’ellesn’ont qu’un seul côté » ; ou pour la jeunefille qui sert la soupe de pâtes de gelée de maïs plus glissantes que des anguilles.Sentirez-vous que nous arrivons aux poissons, les secs, liés entre eux par lesouïes et des brins de raphia jaunes ouroses, les frais semblant s’être échoués

Par Roselyne SIBILLE

*Des textes sur son expérience en Corée ont déjà été publiés dans les numéros 49, 50, 64 et 80 de la revue Culture Coréenne (voir notre site internet : www.culturecoreenne.fr)

Roselyne Sibille est poète et écrivain-voyageur. En 1997, elle a découvert la Corée et y a effectué, depuis, plusieursvoyages*. Fascinée par la culture coréenne,elle s’est enthousiasmée pour ses différentsaspects, l’art autant que les caractéris-tiques de la vie quotidienne. Durant l’été2011, elle a séjourné en Corée pour laquatrième fois. Elle en a rapporté le récitde scènes de vie, et en particulier de marchés. Il nous a semblé intéressant de publier ce texte dans lequel l’auteur restitue, avec justesse et talent, les sen-teurs, couleurs et ambiances sonores desmarchés traditionnels coréens.

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La Corée et les Coréens

Les marchés de Corée : un présent multiple

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à l’instant devant vous, les longs qui,comme Dali peignait les montres mollessont, eux, des sabres mous gracieusementalanguis sur une passoire bleue, les mon-tagnes de mini-crevettes roses qui me regardent de tous leurs yeux perdus enperles noires. Verrez-vous la foule affairée,choisissant, soupesant, essayant le vanpour le riz, parlementant, fourrant des vé-gétaux étranges dans des cabas. Ici une marchande mange goulûment une assiette de quelque chose accroupie dansune forêt de jambes, là un éventaire deproduits contre toutes les maladies depeau dont vous pouvez constater l’efficacitéen regardant les photos avant / après…

Notre colonne s’avance parmi ce mondegrouillant, chacun faisant attention à nepas perdre les autres au milieu de Tout.Nous tournons à angle droit dans desruelles couvertes de bâches qui font unteint bleu aux navets, nous zigzaguons.Mes camarades coréens sont complète-ment à l’aise, répondent aux sollicitations,nous goûtons une feuille d’algues grilléesd’un mouvement léger et expert au-dessusd’un brasero, nous acceptons un biscuit-nuage au sésame noir, nous remercions ensouriant - Kamsa hamnida -, nous avançonsparmi des étals de raisins au goût de cassisou l’inverse, de champignons que l’ontrouve sur les troncs (mais comment donc

cela peut-il se préparer ?), de kakis toutpetits, de pommes toutes grosses, de cu-vettes au ras du sol, de mamies au doscassé par une vie accroupie dans leschamps ou sur le sol des maisons, de celuiqui, assis posément au milieu de cette in-vraisemblable agitation, vend des sceaux etsculpte le nom de l’acheteur devant lui endix minutes avec un petit couteau, en ca-ractères chinois ou coréens.

Et voilà que nous arrivons à destination :un boui-boui parmi tous ses semblablesalignés le long d'une ruelle. Nous nous déchaussons bien sûr avant de monter surl’estrade des tables. Nous mangeons descrêpes de kimchi aux herbes, cuites enplein air devant l’entrée, et la glissantesoupe de gelée de maïs bien froide qui se refuse aux dents. Je suis un peu ivre de cette houle d’échanges, de cette surabondance de biens, de ces mélopéesmarchandes, mais bientôt nous reprenonsnotre itinérance en sens inverse, tanguonsà droite, tout droit, par ici, non là c’est uneimpasse, tout ressemble à tout, attention,une carriole rase vos pieds, par là, on

esquive le paquet aveugle qui arrivait, etsans quitter la couleur de celle qui me précède et connaît le chemin, je cueillemille et deux étonnements jubilatoires et,subitement, nous retrouvons le calme,l’homme assis à l’arrière de sa fourgon-nette au bord de sa cargaison de goussesde soja vert, et notre voiture. Quand jem’assieds dans l’habitacle silencieux, j’aivraiment l’impression de revenir de trèsloin.

Marché aux poissons de JumunjinEntre Incheon -l’aéroport d’arrivée- et lepetit port de Jumunjin -notre destinationsur la Mer de l’Est-, nous aurons traverséla Corée dans sa largeur.

Ca y est : on voit la mer ! Lisse et bleuecomme sur catalogue.

Garés sur le port, on est pris dans “l’ambiance Thalassa”. Odeur d’iode ; crisdes vendeurs ; parasols multicolores ; tabliers de plastique bleus ; gants jaunesou oranges, visières brillantes sur lesfronts ; bottes roses, violettes, fleuries ;

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bassines mauves, bordeaux, pastel ; tuyauxverts. Des eaux jaillissent, débordent.Transvasements, déversements. Une ven-deuse marche en tapant sur de la glacepour la briser. Des sacs s’échangent. Des matrones courtes et musclées, font glisserdes caisses sur le sol trempé. Dans des baquets, des filets rouges où des poulpess’enlacent eux-mêmes : un seul à la fois(“sinon ils se battent”) et un petit bout depolystyrène afin que les sacs flottent.Clac ! un petit cube blanc comme un gros

nougat. Hop ! on serre la ficelle. Woup, ilschangent de mains et partent ailleurs… Ah,mais celui-ci s’échappe subrepticement ! Ilavait vu une issue, le pauvre, il a pensépouvoir se sortir de là… Mais il lui auraitfallu traverser le quai, et le marché estvaste, et peuplé.

Certains poulpes sont énormes : “Douzekilos” s’enorgueillit une commerçante. Enme montrant avec tendresse cette choseemberlificotée dans l’eau, à la tête molle,aux rangées de ventouses rouge-orangé seterminant en crosses de fougères, elle medit “Very pretty”.

Ce petit port est spécialisé dans les cépha-lopodes, ces mollusques dont le pied, divisé en bras, s’attache à la tête (quelsyogis !). Les étals, sur des caisses au ras du sol, proposent donc principalementpoulpes, pieuvres, calamars et seiches. Lescorps brillent, alignés tout frais ; les poissons cohabitent ; les coquillages ; desgros escargots en colimaçon beige-bronze ;des boules de piques rousses comme despetits melons… Je regarde tout. Zioup ! je glisse sur une tête d’anchois.

Des mains gantées de vert attrapent uncalamar et, à toute vitesse : vuit ! un coup

de lame tranchante ouvre le blanc ; fluit !on détache prestement les viscères blêmeset, double mouvement gracieux : la maindroite les lance dans une cuvette, lagauche rince l’animal dans une autre. Puis-accalmie- voilà le calamar bien plat, biensage, rangé sur un plateau avec ses congé-nères satiné blanc. Et ça recommence :vuit, fluit, écart des bras, repos du calamarserré contre ses potes.

Sous la halle, des poissons vivants, noirsrayés de blanc, design psychédélique etnageoires jaune d’or. Là, des nageoiresrayées aux piques agressives. Des poissonsplats, des longs, des ronds, des maigri-chons, des minuscules, des daegu de troiskilos, des fuselés, des mouchetés ; certainsfont la gueule, d’autres ont l’air béat, ouune bouille désabusée.

Comme une erreur dans un jeu de ressemblances, là au milieu des autres,une vieille dame vend des framboises.Mais, dans une caisse près d’elle, unemasse de trucs gluants innommés, et troisgros yeux ronds (pupille noire au centredu bouton blanc bien frais).

Dans un plateau de balance, des crevettestigrées magnifiques. Une marchande en

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Quels sont ces poissons qui semblent des sabres mous ?

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gants de caoutchouc roses plongeune grosse écumoire à tige de boisdans sa bassine, choisit deuxseiches, voudrait que je les achète.Sa main les caresse avec une sortede familiarité. Je lui souris ; qu’enferais-je ? Mais les clients sont là.Les talons pointus voisinent avecles bottes mouillées. Ca parlemente,ça vante la marchandise, ça négo-cie. Des messieurs aux charmantschapeaux partent tout contentsavec des petits caissons de polysty-rène scotchés vers des préparationssavantes au fond des cuisines. Ecailles, odeur marine,des bulles, des billets, des voix, le regard fier du pêcheur assis dont lafemme vante le travail. Ce soir, j’aurai encore l’odeur de mer dansles cheveux. Il est temps d’aller déjeuner. Dansune rue proche, des restaurantspopulaires, aquariums-viviers endevanture. On choisit son repas enle montrant du doigt. Notre belledorade évolue encore souplementet nous regarde sans émotion. Il faut vrai-ment se dire que tout est toujours trans-formation.On entre : un couloir de part en part ; desrigoles pour l’eau courante ; des estradesdes deux côtés avec des tables basses et des coussins plats. Des groupes, des familles sont déjà en train de déguster.Luxe d’odeurs et de couleurs, impossiblede rester sans appétit.

Déjà arrivent sur la table des plats detoutes sortes. Préparez-vous, faites de laplace : des pâtes froides aux algues verttendre fluo, des tentacules de pieuvre

bouillie en tronçons rose violacé,des cacahouètes au caramel salé, des oignons en saumure, des coquilles-Saint-Jacques crues au sésame, trois trucs de mer : des filamentstranslucides, des petits caoutchoucsnoir-frisé-luisant-glissant, et desbouchées orange corail assez amères.Et puis encore un assortiment de

rondelles de piment vert, tranches d’ailcru, et pâte de cacahouètes salée pimentée, et des petites boules de ttok (gâteau de riz glutineux) couleurs layette.Pour boire ? De l’eau.

Sur un grand plat, la dorade dé-personni-fiée est étalée en larges pétales blanc rosé.Dans votre double coupelle, versez un peude sauce soja, ajoutez-y du wasabi (lecondiment au raifort très fort), vous aurezle compartiment japonais. Dans l’autre,servez-vous une bonne quantité de saucepiment à la consistance de ketchup, vousaurez le goût Corée. Vous tremperez les

lamelles de poisson cru dans l’une ou l’autre. Vous les emballerez dans unefeuille de salade craquante avant de vousrégaler.

Mais ce n’est pas fini ! Voilà qu’on apporteun brasero électrique et une marmite de bouillon avec feuilles de poireaux,germes de soja, pommes de terre, ail et pi-

ment bien sûr qui donnent legoût fameux à cette fondue depoisson. Vous ferez cuire dubout de vos baguettes les fila-ments et pétales qui restaientsur les plats, vous trouverezsous les légumes un autrepoisson qui cuisait en douce.Vos papilles pépient.

En repartant vers la voiture,on flâne dans les échoppes de poissons séchés. Ils brillentdans le papier cristal, calibrés,associés par familles. Vousavez les imposants cuivrés qui-ouvrent-la-bouche, lesmoyens qui-n’en-pensent-pas-moins et vous regardent d’unair sagace, les indifférents, dessortes de crêpes translucides,des raies comme du cuir,leurs ailes en drôle de peautendues sur des bambous, des bouquets de tentaculesavec un petit ruban jaune, des alevins microscopiquescomme des copeaux de métal.Vous pouvez acheter au poidsdes fibres de poisson pour la soupe. La vendeuse m’enoffre un brin. Il y a même des“Gift sets” (des boîtes ca-

deau). Vous avez des algues noires aussi,en sachets de plus d’un mètre de haut.Mon savoir sur cette cuisine coréenne sicréative n’est pas assez vaste pour imagi-ner comment toutes ces denrées vont êtretranchées et accommodées.

En passant, je vois s’ébrouer un groupe de pêcheurs à l’abri d’un auvent. La pause est terminée, ils se déplient et se dirigent vers leur bateau en contournant les filets.Hop ! bottes et casquettes, ils sont montés ;ils vont repartir vers les eaux poisson-neuses avec cet air vigoureux qu’ont leshommes de la mer.

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La Corée, cette inconnuePar Pascal DAYEZ-BURGEONDirecteur adjoint de l’Institut des sciencesde la communication du CNRS

La Corée et les Coréens

Dans le cadre du cycle de conférences « Culture et civilisation coréennes », visant à mieux faire connaî-tre en France la Corée et sa culture (de mars à mai 2012), M. Pascal Dayez-Burgeon a donné au CentreCulturel Coréen, le 14 mars, une conférence qui nous a semblé très intéressante. En effet, la questionde savoir pourquoi la Corée est-elle si mal connue en France est importante et les quelques pistes d’ex-plication proposées par l’auteur nous ont paru vraiment judicieuses. C’est pourquoi nous avons vouluprésenter à nos lecteurs un résumé de cette conférence sous la forme du petit article qui suit.

Jadis, il y a eu la guerre de Corée  ; na-guère, les automobiles Hyundai et lesmicro-ondes Daewoo ; et aujourd’hui lesportables Samsung, la déferlante hallyuou les rodomontades de la dynastie Kimau pouvoir à Pyongyang. Mais malgrétout, une des idées reçues les plus coriacesconcernant la Corée est qu’au fond, onn’en connaît pas grand-chose. Quelquesclichés agaçants, le «  Pays du matincalme  », le «  Royaume ermite  »,quelques erreurs fréquentes, « Ah bon,L.G., ce n’est pas une marque améri-

caine ? »; « la Corée du Sud, c’est tropi-cal, non  ?  », quelques échos flatteursdans les médias lors des festivals de ci-néma et puis c’est tout. Pourquoi ce défi-cit de notoriété  que les Coréens fontpourtant de leur mieux pour combler ?Osons deux métaphores explicatives  :celle des paravents et celle des miroirs.

Commençons par les paravents. Si laCorée n’est pas connue, c’est qu’elle nousest dissimulée par une série de couchesopaques. Premiers et colossaux para-

vents : la Chine et le Japon. A la suite deMarco Polo, de Victor Segalen, de PaulClaudel ou de Tintin, c’est là que nousentraîne notre imagination lorsque noussongeons à l’Extrême-Orient. C’est légi-time bien sûr, mais limitatif. La Coréeaussi vaut son pesant de rêves, maisjusqu’à présent, elle n’a pas fait le poids.Plus insidieux, le deuxième paravent quinous cache la Corée, c’est le Vietnam :deux Finistères du monde chinois, deuxpays ravagés par la guerre froide et tran-chés sur le fil d’un parallèle, deux pays où

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tout le monde s’appelle Kim - nom de famille en Corée, prénom au Vietnam -,mais d’ici, comment faire la différence ?C’est à Robert Altman, le fameux ci-néaste américain, qu’on doit la confusion.Son «  Mash  » (1970) est un brûlotcontre la guerre du Vietnam. Mais pouréviter la censure, il l’a situé pendant laguerre de Corée. Les non spécialistes n’yont vu que du feu.

Troisième paravent, et non des moin-dres : la Corée du Nord. Attirance sha-kespearienne pour l’horreur, fascinationkafkaïenne pour l’absurde  ? Il n’y en aplus aujourd’hui que pour le régime sta-linien qui se cramponne au Nord, ses défilés d’un autre âge, ses barouds balis-tiques et ses camps de concentration. LeSud a beau être farouchement démocra-tique et joyeusement innovant, seul les FuManchu de Pyongyang font de l’au-dience. Et enfin, dernier paravent, para-doxal mais réel, le Sud lui-même sedissimule à nos regards. Tout empreintsdu désir de nous plaire, les Coréens en ar-rivent à des choix malencontreux quinous tiennent à distance : une simplifica-tion de la transcription du hangeul qui arendu les choses beaucoup plus compli-quées qu’avant, un mimétisme résigné vis-à-vis des Etats-Unis comme s’ils incar-naient l’alpha et l’oméga de la modernité,une politesse instinctive qui les conduit àdissimuler ce qui, pensent-t-il, risqueraitde nous déplaire. En paraphrasant LaBruyère, on serait tenté de dire que lesCoréens sont plus cornéliens que raci-niens, qu’ils se présentent davantagecomme ils croient qu’ils devraient être,cérémonieux, cossus, ultramodernes, quecomme ils sont  : amicaux, généreux etsouvent très drôles. De tous les paravents,le dernier est sans doute le plus difficile àécarter. L’enjeu en vaut pourtant la peine.

En avons-nous terminé pour autant ? Cen’est pas sûr car après les paravents vien-nent les miroirs. Nous connaissons mal laCorée car trop souvent, nous nous proje-tons en-elle et c’est nous que nous y trou-

vons en croyant nous intéresser à elle.Comme nous rêvons encore d’une Asieancestrale, languide et coloniale, nousnous imaginons une Corée exotique,toute en rites chamaniques, en templesbouddhiques et en Madames Butterfly enhanbok. Hyperactive, hyper-industrielle,hyper-connectée, la Corée ne vit plus, de-puis longtemps, ces matins calmes d’Epi-nal. Nous avons pourtant du mal à nousy résoudre. Michelin vient d’éditer unguide Corée, au demeurant excellent : encouverture, un moine bouddhiste. LaCorée rêvée vend mieux que la Coréeréelle. Au miroir de l’exotisme il faut ajou-ter celui du mystère. « Vers l’Orient com-pliqué, je volais avec des idées simples »écrivait le général de Gaulle dans ses Mé-moires de guerre. Il n’a pas fait école. Dela Méditerranée au Pacifique, l’Asie de-meure compliquée, absconse, hermé-tique. Pour être en phase, la Corée se doitd’être incompréhensible, toute en ying eten yang, en signes codés et en symbolesmystiques. Le secret de la Corée, entend-on souvent, serait qu’elle est confucéenneou, mieux, néo-confucéenne. Maiscomme, à l’exception des spécialistes,nous n’avons qu’une idée assez nébuleusedu confucianisme et, a fortiori, du néo-confucianisme, voilà une explication quin’explique rien. «  Ces mystères nouséchappent ? Feignons d’en être les orga-nisateurs » disait Jean Cocteau.

Du mystère, nous glissons vers l’inhuma-nité. Dans ce registre, les clichés fusent.Les écoliers coréens seraient des forçats,les salariés des conglomérats des esclaves

new look et les HLM locaux de lugubresprisons. Dans « Séoul, ville géante, citésradieuses » (2003), Valérie Gélézeau adémontré le contraire.   Peu importe,puisque la Corée détiendrait des recordstragiques d’alcoolisme et de suicide. Enoutre, comme on y mange du chien ouqu’on y favorise l’adoption des orphelins,le pays serait un parangon de cruauté.Tout cela n’est pas très neuf : le chauvi-nisme, la phobie du « péril jaune », ensomme la peur de l’autre sont autant demiroirs déformants. Corollaire de l’inhu-manité : la malhonnêteté. Si la Corée aréussi son « miracle économique », ceserait en volant les copyrights et en pira-tant les brevets. Tous les sacs Vuittonqu’arborent les élégantes seraient descontrefaçons, en vente libre sur le marchéde Namdaemun. Et à en croire certainsbeaux esprits, le hallyu ne serait qu’unecopie cheap et ridicule de la pop améri-caine. Mais de qui parlent-ils  ? De laCorée ou des frissons de plus en plus fré-quents que la mondialisation fait passerdans l’échine des économies et des cul-tures jadis dominantes ?

En un mot comme en cent, pour résumeret pour conclure : oui, la Corée ne jouitpas chez nous de la notoriété qu’elle mé-rite ; oui, il reste fort à faire à ses habitantset à leurs amis pour donner davantageenvie de Corée. Mais c’est de nous quedoit partir l’impulsion : sachons écarterles paravents et contourner les miroirs déformants.

Agrégé d'histoire, ancien élève de l'ENA, Pascal Dayez-Burgeon est un familier de la Corée puisqu'il y a été diplomate et vécu de 2001 à 2006.Il est l'auteur d'un livre intitulé "Les Coréens" paru en2011 aux éditions Tallandier, dans lequel il explore nom-bre d'aspects de la société coréenne et nous fait décou-vrir les Coréens d'hier et d'aujourd'hui. Dans cet ouvrage,intéressant et très actuel, il consacre d'ailleurs son dernierchapitre à la question de savoir pourquoi la Corée est-elle si méconnue en France.

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Prix Culturel France-Corée 2011Par Marc ORANGE et Georges ARSENIJEVIC

La cérémonie de remise du Prix CulturelFrance-Corée 2011 a eu lieu à l’Ambassadede Corée le 9 mai 2012. C’était la 12e éditionde ce prix qui atteint désormais un âge« respectable ». Il est décerné, chaque année,par un comité présidé par M. l’ambassadeuret récompense les institutions ou personnesqui se sont distinguées par leur contributionà une meilleure connaissance en France dela culture coréenne. Trois lauréats ont étéprimés cette année : Le Festival Internationaldes Cinémas d’Asie de Vesoul, l’artiste peintreBang Hai Ja et les co-traducteurs Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot. Chacun de ces lauréats,que nous avons le plaisir de vous présenter ci-après, a oeuvré, dans son champ d’activités,pour faire mieux connaître en France un aspect de la culture coréenne. Soulignons, enfin, que cette édition 2011 duprix était dotée par Saint-Gobain, représenté lors de la cérémonie par M. Maurice Hamon, directeur des Relations générales du groupe.

Le Festival International des Cinémasd’Asie de Vesoul

Le FICA de Vesoul, qui en est à sa 18e édition,a été créé en 1995. C’est une très belle vitrinedu cinéma asiatique en France. Depuis sesdébuts, il a toujours porté un grand intérêt àla cinématographie coréenne, programmé régulièrement des films coréens et beaucoupcontribué à faire connaître dans l’Hexagonele cinéma de Corée. Au fil de ses éditions, le festival a invité - et souvent primé - des cinéastes et acteurs coréens. Parmi ces personnalités, on peut citer, entre autres, lesréalisateurs Park Kwang-su, Im Kwon-taek,Lee Doo-yong, Hur Jin-ho, Jeon Soo-il, NohYoung-seok, Jeon Kyu-hwan, l’acteur SinSong-il, ainsi que nombre de producteurs etprofessionnels du cinéma coréen.

L’édition 2011 du FICA (année pour laquellelui a été décerné le prix), fut particulière-ment fructueuse pour la cinématographiecoréenne, mise à l’honneur avec une rétros-pective d’une trentaine de films, tout à fait exceptionnelle dans le paysage festivalierfrançais. En plus du grand nombre de filmsprésentés, cette édition 2011 a réuni denombreux invités prestigieux tels KimDong-ho, l’ancien directeur et fondateur dufestival de Pusan (le plus grand festivald’Asie ), M. Kim recevant en cette occasion

à la fois le Cyclo d’honneur du festival et laMédaille d’honneur de la ville de Vesoul quilui a été remise par le député-maire et ancienministre Alain Joyandet.

Etaient également invités, en 2011, les cinéastesJeon Soo-il, Lee Myung-se (président du juryinternational) et le jeune cinéaste Park Chur-wong, dont le film Where are you going  a obtenu la mention spéciale du jury. Plusieurscritiques et spécialistes du cinéma coréenétaient aussi conviés dans le cadre de cetteédition exceptionnelle. Enfin, une soirée« Spécial Corée », avec concert de musiquetraditionnelle, et une exposition de peinturecoréenne étaient également proposées auxfestivaliers.

Cette édition 2011 a remporté un grandsuccès et rassemblé plus de 28 000 specta-teurs, ce qui est remarquable si on consi-dère le fait que la ville de Vesoul compte20 000 habitants !

Enfin, le festival continue à être attentif à laproduction coréenne puisque sur les deuxfilms présentés en 2012, Dance Town de JeonKyu-hwan a remporté le Grand prix du juryinternational. Il faut aussi souligner qu’il suscite de plus en plus d’intérêt (30 000 spec-tateurs en 2012 !).

Compte tenu de son travail d’exploration de

la cinématographie coréenne, depuis 1995, etde son édition 2011 qui lui a rendu un belhommage, le Prix Culturel France-Corée aété décerné au FICA de Vesoul pour sacontribution à une meilleure connaissance enFrance du cinéma coréen.

BANG Hai Ja Artiste peintre

Bang Hai Ja est née à Séoul en 1937 et vit enFrance depuis 1961. Elle fait partie de la 1re

génération de peintres abstraits coréens. Sesdébuts à Paris ont tout de suite été remar-qués par l’historien d’art et critique PierreCourthion qui n’a eu de cesse de l’encoura-ger. C’est, en fait, à l’extérieur de son paysque Bang Hai Ja va vraiment découvrir sesracines et qu’elle choisit délibérément degarder en référence sa culture coréenne, lestechniques, l’approche de l’univers qui a étécelle de son enfance et de son adolescence.

Gilbert Lascault, auteur de Bang Hai Ja, la première monographie en français de l’œuvre, publiée par le Cercle d’Art, écrit en1997 : « La peinture de Bang Hai Ja ne cessede nous offrir de nouvelles vues de l’univers.Elle est d’abord un regard sur le cosmos : regard qui admire l’univers et qui nous aideà en admirer les multiples beautés... ».

De nombreuses expositions ont été consa-crées à Bang Hai Ja en France, en Corée, en

L’actualité culturelle

Cérémonie du Prix Culturel France-Corée 2011.De gauche à droite au premier plan : MM. Georges Lemoine, Marc Orange et Chérif Khaznadar,membres du Comité ; Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot, co-traducteurs; M. Jean-Marc Thérouanne,délégué général du FICA ; M. l'Ambassadeur Park Heung-shin; Mme Bang Hai Ja, artiste peintre;M. Maurice Hamon, membre du Comité et directeur des Relations générales de Saint-Gobain.Derrière: Mme Martine Thérouanne, présidente du FICA et M. Olivier Kaeppelin, du Comité.

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Suisse, en Allemagne, en Suède, en Belgique,aux États-Unis, au Japon et au Canada.Proche des poètes, elle a illustré plusieurs ouvrages avec des lavis pour les Editions Voixd’Encre : Une joie secrète de Charles Juliet(2001), Aux chants des transparences de Roselyne Sibille (2002) et Éclosion de KimChi-ha (2006). Sans oublier Les Mille montsde lune, poèmes des moines bouddhistespubliés chez Albin Michel en 2003 (collec-tion « Les carnets du calligraphe »).

Bang Hai Ja a toujours cherché, dans sespeintures, à faire jail lir la lumière. Et cettequête de lumière, combinée à une réflexionsur le mystère de la vie et de la création, adonné naissance à des toiles magnifiques.Des toiles où se mêlent Orient et Occident,fruits d’une percep tion contemplative dumonde.

Pierre Courthion, Gilbert Lascault, PierreCabanne, Charles Juliet, Maurice Benamou,André Sauge, Olivier Germain-Thomas,Valère Bertrand, Patrice de la Per rière, AlainBlanc, et bien d’autres ont écrit sur elle.

Le Cercle d’Art, connu pour ses beaux livres,lui a consacré, en 2007, une 2e monographie(portant sur ses œuvres récentes) intituléeBang Hai Ja - Souffle de lumière. Cet éditeura, dans son catalogue, les monographies desplus grands artistes du monde  : Picasso,Chagall, Miro, Baselitz, Botero... Et BangHai Ja, qui figure donc dans une collectiontrès prestigieuse.

L’artiste a reçu, au long de sa carrière, nombre de distinctions : Prix d’art sacré àl’Exposition du Grand Prix International de Monte-Carlo (Monaco), Médaille de la ville de Montrouge, Médaille du mériteculturel décernée par le président de larépublique de Corée, etc.

En 2011, l’actualité de Bang Hai Ja a été trèsriche, notamment en France. Ainsi, la galerie Guillaume a exposé en mars, dans lecadre du salon « Art Paris », une douzainede ses œuvres réalisées en résonance avecdes textes de François Cheng. Puis, à Fécamp, dans le célèbre Palais de la Béné-dictine, Bang Hai Ja a présenté (du 25 juinau 25 septembre) une exposition de belleenvergure qui a remporté un grand succès.Par ailleurs, toujours en 2011, un film duréalisateur Philippe Monsel, Chant de lumière, lui a également été consacré.

Enfin, Bang Hai Ja a toujours essayé, au fil deses expositions, de promouvoir la culture deson pays. Elle a ainsi beaucoup œuvré pouramener les organisateurs français à présenter

d’autres événements coréens et notammentcontribué à l’organisation de concerts de musique traditionnelle, de projections defilms, de conférences sur la Corée... Dans denombreuses villes, Bang Hai Ja a égalementfait des démonstrations de calligraphie, artdont elle possède une belle maîtrise et qu’ellea d’ailleurs enseigné au Centre Culturel Coréen de 1998 à 2008.Compte tenu du talent de l’artiste, de ses 50ans de carrière, de ses multiples exposi-tions et de son actualité en 2011, le PrixCulturel France-Corée 2011 a été décernéà Bang Hai Ja pour sa contribution à unemeilleure connaissance en France de l’artcontemporain coréen.

JEONG Eun-Jin et Jacques BATILLIOTCo-traducteurs

Jeong Eun-Jin a fait des études de langue etlittérature françaises en Corée. Après avoirobtenu sa licence à l’université Sogang, en 1992, elle est venue en France où elle a préparé, à l’université de Nanterre, d’abordune maîtrise puis un doctorat en littératurefrançaise obtenu en 1998. Elle s’est ensuitetournée vers la traduction littéraire, domainedans lequel elle a mené depuis une réflexionthéorique et pratique. Cette démarche l’aconduite à rédiger une seconde thèse de doctorat portant sur la traduction littéraire.Bien que travaillant pendant quelques annéescomme interprète, la traduction littérairereste son centre d’intérêt et elle rédige denombreux articles sur la littérature coréenneet sa traduction en français (publiés entre autres dans la revue Tan’gun).

Connaissant très bien la société coréennemais également celle de sa patrie d’adoption,elle s’est, entre autres, penchée sur le risqueexcessif que peut prendre le traducteur pourprésenter une image qui ne soit pas perçuecomme étrange, ce même traducteur devantse garder d’un rigorisme excessif qui mettraità mal et appauvrirait la diversité du vivant.

Jacques Batilliot, lui, a un parcours différent.Licencié en sciences économiques (1969), ilest également diplômé de l’Institut d’étudespolitiques de Paris (1972). Il a fait toute sacarrière dans l’édition du livre, jeunesse et lit-térature, chez de grands éditeurs comme Ha-chette, Hatier ou Fayard mais aussi dans lapresse pour enfants (par exemple chezBayard presse). Il a travaillé cinq années enAsie (Vietnam et Hong-Kong) pour les édi-tions Hachette Fillippachi. Ce fut également

pour lui l’occasion de s’investir dans l’aide hu-manitaire à l’enfance défavorisée d’Asie. En1990, à l’occasion d’une mission en Corée, ildécouvre ce pays. Depuis, son intérêt pour lapéninsule coréenne ne s’est jamais démenti et,par la suite, il y fera de nombreux séjours.

Unissant leurs connaissances Jeong Eun-Jinet Jacques Batilliot œuvrent pour proposerau public francophone une sélection degrands auteurs coréens tels Hwang Sok-yong, Oh Jung-hi, Shin Kyung-sook, YiChôngjun, contribuant ainsi à l’enrichisse-ment du fonds coréen en France.

Si Jeong Eun-Jin a signé seule des traduc-tions de nouvelles publiées dans la revueTan’gun ou dans le Courrier international,les deux noms apparaissent régulièrementsur des traductions publiées depuis 2004.Citons La Pierre tombale (Picquier, 2004) etL’ Oiseau (Le Seuil) d’ Oh Jung-hi, Le VieuxJardin (Zulma, 2005) de Hwang Sok-yong,Le Bol de riz du maître (Autre Temps, 2007)de Yi Chông-jun, La Chambre solitaire(Picquier, 2008), Li Chin (Picquier, 2010),Prends soin de maman (Oh Éditions, 2011)de Shin Kyung-sook. Les éditions Chan-Ok,spécialisées dans les livres pour enfants, ontégalement bénéficié de leur travail avecOneuli, récit du long voyage d’une petitefille sur la terre puis au ciel.

Les activités de ces deux co-traducteurs nes’arrêtent pas à la littérature. On leur doitaussi les traductions de quelques scénarioset le sous-titrage de plusieurs films. On peutciter Ivre de femmes et de peinture (2002), LaPègre (2005) d’Im Kwon-taek, le premier deces films ayant connu une large diffusion enFrance, La Femme est l’avenir de l’homme(2003), Conte de cinéma (2005) de HongSang-soo, Secret Sunshine (2005), Poetry(2010) de Lee Chang-dong et Une vie touteneuve (2009) d’Ounie Lecomte.

Leur travail a été reconnu en Corée dès2006, année où ils ont reçu le prix de la fondation Daesan pour leur traduction du Vieux jardin de Hwang Sok-yong. En 2010, le Korea Literature Translation Institute les a choisis comme « traducteursd’excellence ».

C’est également eu égard à la qualité de leurtravail que le Prix Culturel France-Corée2011 a été attribué à Jeong Eun-Jin etJacques Batilliot pour leur contribution àune meilleure connaissance en France de la littérature coréenne mais également du cinéma coréen.

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« Corée 2012 » : tel est le titre du der-nier et double numéro (139-140) dela revue Po&sie. Rares sont les numé-ros que cette revue (fondée il y a plusde trente ans et dirigée par MichelDeguy1) aura entièrement consacrésà un pays ou une langue (un numéroJapon, un double numéro Italie...).

Or, pour la Corée, c’est le deuxièmenuméro : déjà en 1999, Po&sie avaitpublié un ensemble intitulé « Poésiesud-coréenne ». On y découvrait despoètes alors tout à fait inconnus deslecteurs et des poètes français, de-puis le fulgurant Yi Sang (1910-1937)jusqu’à Ki Hyung-do (1960-1989).Ce qui est resté constant, d’un nu-méro de Po&sie à l’autre, de 1999 à2012, c’est le désir des Coréens – enparticulier des étudiants ou des tra-ducteurs présents en France – defaire entendre les poètes qu’ils ai-ment, au-delà des limites géogra-phique et politique de leur pays.

Mais pourquoi, du côté français, un attachement singulier à la poésiede ce pays, dont témoignent au-jourd’hui un nombre croissant detraductions (en particulier celles de

Yi Sang ou de Ki Hyung-do) parueschez plusieurs éditeurs ? Sans douteparce que la poésie sud-coréennecontemporaine est ressentie, par deslecteurs français de plus en plusnombreux comme l’une des plus vivantes au monde.

La créativité des poètes coréens aurasouvent impliqué leur réaction etleur résistance à bien des violencesou oppressions sociales. L’histoire dela Corée, qui fut si tourmentée unsiècle durant – avec l’oppression ja-ponaise durant la première moitiédu vingtième siècle, avec, centrale-ment, la guerre de Corée, mais aussiavec la brutalité des régimes qui sui-virent – y aura laissé des traces inef-façables, ou plutôt de profondesblessures. Au demeurant, la pénin-sule coréenne ne reste-t-elle pas au-jourd’hui encore divisée ?

Park Yn-hui, né en 1931, est le pre-mier poète traduit dans «  Corée2012 ». La revue Po&sie avait déjà pu-blié, il y a quelque temps, des poèmesde cet auteur. Dans l’un d’eux –« poème (précisait Park) écrit en 1953après la guerre de Corée » – on lisait :

Poètes coréens en FrancePar Claude MOUCHARD Rédacteur en chef adjoint de la revue Po&sie

« Quelqu’un demande dans la tempête :Est-ce que c’est quelque chose

de beau, l’Histoire ? Sans répondre, il se contente

de nettoyer ses lunettes. »

Ko Un

« Le pays natal de la parole est dans l’airgouttes d’eau errant dans l’air

promptes à diparaîtres immuables prisons dans le vent. »

Song Chan-ho

« Depuis le lointain, on voit une planète toute bleue

parce qu’elle a trop d’eau. Sur la planète, il y a cinq blocs de terre

flottant à la surface de l’eau. A l’un d’eux, une petite péninsule

s’accroche à peine. Cette petite péninsule est divisée en deux par une ligne tracée selon la seule différence des idéologies.

Tout en dirigeant la bouche d’un canon vers l’autre côté,

les gens des deux côtés ont en communleur dialecte. »

Kim Hye-soon

L’actualité culturelle

Claude Mouchard et la délégation de poètes coréens en visite à Chambord,avant la lecture du 2 juin dans l'une des salles du château.

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La cicatrice souillée de sangvise un ciel sombre

ouvert comme une gueule.

Ou bien c’est Ko Un (né en 1933), ledeuxième poète apparaissant dans lenuméro Po&sie, qui (cité dans uneétude que lui consacre Alain Génetiotdans ce même numéro) déclare  : «  lepays natal de ma poésie ce sont cesruines ».

Chez Hwang Ji-u (né en 1952), ce sontdes drames ultérieurs de l’histoire co-réenne – en particulier le massacre per-pétré à Gwangju en 1980 – qui hantentcertains poèmes. D’où une violence –celle de la répression politique ou cellede la douleur intime – s’inscrivant bru-talement dans les corps ou dans la voixde celui qui parle :

Hier, je me suis planté un piquet dansles oreilles et je suis rentré.

Aujourd’hui, je me suis posé des bar-belés dans les yeux et je les ai bandés.Demain, je me mets une pelletée de

terre dans la bouche et je la bâillonned’une balle de coton.

Certains des poèmes de Hwang Ji-u ont

une force exceptionnelle de «  témoi-gnage  » historico-politique (et il fautlire le recueil préparé et traduit, en2006, par Kim Bona chez WilliamBlake & Co.  : De l’hiver-de-l’arbre au printemps-de-l’arbre). Ainsi, le durpoème intitulé «  Nuée de mouches  » (à découvrir dans ce numéro dePo&sie) évoque-t-il la vie, ou la survie,de prisonniers régulièrement soumis àla torture : « Lorsque je m’étale sur le par-quet où se serrent, allongées, quatre per-sonnes, j’ai l’impression d’être étendu surun radeau qui se trouve emporté on nesait où, sans fin. ».

Cependant, chez Hwang Ji-u (commechez tous les autres poètes publiés dansPo&sie, et quelle que soit leur radicalediversité), ce qui frappe également lelecteur français, c’est un bouillonne-ment imaginatif accédant à une pure li-berté. Jamais la poésie, chez lui, ne selaisse entièrement déterminer par cequ’imposerait l’histoire.

Telle est encore, et singulièrement chezKim Hye-soon (née en 1955), la puis-sance de métamorphoses imprévisibles,souvent ironiques. Surgissant dans sesvers, les entités et leurs identités se re-bellent contre tous les cadres ou repères

sociaux qui prétendraient les détermi-ner. Ainsi dans le poème intitulé « Unautre Titanic » :

Transformé en cocotte, « un autre Titanic »

fut construit en 1911 et le lieu de lancement fut Southampton :vitesse 22 noeuds, paquebot,

chargé de plus de 2000 personnespour un seul voyage

il fut démonté l’année de mon mariage

aujourd’hui il a été transformé en grille-pain, bouilloire, poêle

chinoise et cocotte-minute coréennegrosse bête couverte

de blessurescapitaine retraité mal adapté

à la vie terrestre il cause toujours des ennuis

même sous forme de cocotte n’ayant nulle envie de faire du riz

j’ai adressé une protestation à la so-ciété de la cocotte-minute

la vapeur n’arrête pas de s’échapper ducouvercle !

La poésie écrite par des femmes enCorée, aujourd’hui, occupe une place de premier plan. Dans Po&sie, on

139-140numéro

Corée 2012

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Le double numéro de la revue Po&sie, qui vient de paraître, présente des textes de27 poètes coréens vivants, parmi lesquels Ko Un, Hwang Ji-u (photos du haut), KimHye-soon et Lee Seong-bok (photos du bas), grandes figures de la poésie coréenne.

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pourra lire par exemple les poèmes, tra-duits par Kim Hyun-ja, de Jin Eun-young (née en 1970 ). Sans se constitueren l’unité d’une poésie «  féministe  »,cette poésie comporte, à l’évidence, unesingulière et libératrice inventivité ...C’est Kim Hye-soon, encore, qui (dansune prose traduite dans Po&sie) dé-clare : « Mon écriture flotte entre le de-dans et le dehors de moi. Comme unchien qui a perdu son maître, je suisl’odeur de telle ou telle personne, en de-mandant si elles sont moi. Dans de pa-reils moments, le discours poétique estpluriel. Les multiples « je » souffrant sontjoyeux. Leur joie me sauve de l’oublieuseexistence. Sans la joie, la poésie demeuresur un plan unique. Pour se réaliser enplans polyphoniques, ma poésie a besoind’être joyeuse – dans les choses, entre leschoses, dans les multiples « je » et entreles multiples « je ». »

Le numéro « Corée 2012 », de Po&sie,est le résultat d’un travail de plus detrois ans sous la direction de Ju Hyoun-jin et Claude Mouchard. Il aura requismaintes collaborations – celle, en pre-mier lieu, de Kim Hyun-ja, celles aussi,de No Mi-sug et Alain Génetiot, deChung Ye-young et Laurent Zimmer-mann, de Benjamin Joinau, etc.

Les 304 pages (typographiquement trèsdenses mais claires) de ce numéro spé-cial sont scandées par des photos - la plu-part dues à Hwang Ji-u -, qui constituentpar elles-mêmes une sorte de série...C’est une anthologie de la poésie coréenne d’aujourd’hui qui occupe lestrois quarts du volume. Consacrée àvingt-sept poètes vivants, elle a étéconçue et elle est présentée par le pro-fesseur Jeong Myeong-kyo, qui est éga-

lement un critique très connu en Corée.L’anthologie est divisée en plusieurs sec-tions dont la détermination est essen-tiellement historique  : «Libération  »,« Luttes », « Vivre », « Divergences » et,enfin, « Rencontres ».

La seconde partie est librement compo-sée d’essais, notamment de Ju Hyounjin,de Jean-Claude de Crescenzo et de JeanBellemin-Noël. Ces études touchent àdivers domaines : roman (un entretienavec le romancier Yi In-seong, auteur,en particulier, de Interdit de folie, tra-duit chez Imago), cinéma (avec un ar-ticle d’Antoine Coppola, et un entretienavec Lee Chang-dong, le réalisateur dePoetry), musique (une étude de BarbaraZuber sur l’opéra de Chin Unsuk Alicein Wonderland).

C’est aussi dans cette seconde partiequ’on trouvera (outre un texte de YounKyung-hee sur «  le groupe d’expé-riences textuelles [lu] ») deux impor-tants articles de Youna Kwak sur desécrivains de la « diaspora » coréenneaux Etats-Unis. L’un de ces essais estconsacré au romancier (américain d’ori-gine coréenne, écrivant en anglais)Chang-rae Lee. L’autre essai inclut unevéritable anthologie de trois poètes re-marquables, trois femmes – TheresaHak Kyung Cha, Myung Mi Kim, etDon Mee Choi (qui est la traductricede Kim Hye-soon en anglais).

On lit par exemple, dans «  URANIAASTRONOMY  », de Theresa HakKyung Cha :

J’écoutais les cygnes.Les cygnes dans la pluie. J’écoutais.

J’ai entendu des paroles vrai ou pas vrai

impossible à dire.

Et il faut écouter aussi ce qui grondechez Don Mee Choi (traduite parYouna Kwak) :

Mets un couteau profonddans la machine à laver

Fais écouler l’eau et le savonTes bras souffrent

A la fin de l’essorage

*

Rencontre au Centre Culturel Coréen (6 juin 2012) avec 4 poètes, à l'occasion de la parution du numéro de la revue Po&sie, consacré à la poésie sud-coréenne d'aujourd'hui.Photo du haut, de gauche à droite : la poétesse Kim Hye-soon; Ju Hyounjin, traductrice et co-organisatricede ce numéro; le poète Hwang Ji-u et Claude Mouchard.Photo du bas, de gauche à droite : le récitant Pierre-Antoine Villemaine; le poète Kwak Hyo-hwan, Ju Hyounjin; le poète Kang Jeong et Claude Mouchard

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reste calme reste muetteRéponds, on sonne à la porte

Réponds à la nation

Le 1er juin, à l’occasion de la sortie de cenuméro spécial, quatre des poètes qui ysont amplement traduits – Hwang Ji-u,Kim Hye-soon, Kwak Hyo-hwan, etKang Jeong – sont arrivés en France. Ilsétaient accompagnés du critique JeongMyeong-kyo ainsi que de Chung Kang-hyun, journaliste du quotidien coréenJung-ang Ilbo.

Dès le 2 juin, ils étaient (avec MichelDeguy, Ju Hyounjin et Claude Mou-chard) au château de Chambord pourl’une des rencontres littéraires organiséesdepuis quelques mois en cet endroit exceptionnel par Yannick Mercoyrol.

Impossible d’évoquer ici la merveille ar-chitecturale (incomparable, de l’aveumême des spécialistes du seizième siè-cle européen) qu’est ce château. Cha-teaubriand, dans son dernier livre, laVie de Rancé, l’évoque en des phraseselles-mêmes somptueuses au fil des-quelles il compare l’édifice de pierre aucorps de cette Clorinde dont Le Tasse,dans sa Jérusalem délivrée, et Monte-verdi après lui (dans Le combat de Tancrède et Clorinde) nous disent poé-tiquement ou musicalement la mort :« De loin l’édifice est une arabesque ; il seprésente comme une femme dont le ventaurait soufflé en l’air la chevelure  ; deprès cette femme s’incorpore dans la ma-çonnerie et se change en tours ; c’est alorsClorinde appuyée sur des ruines. Le ca-price d’un ciseau volage n’a pas disparu ;la légèreté et la finesse des traits se re-trouvent dans le simulacre d’une guer-rière expirante. »

La première lecture des quatre poètescoréens – arrivés la veille au soir ! – sedéroula donc dans l’une des salles duchâteau, sous d’immenses peintures duXVIIe siècle (et devant un public venude Paris, d’Orléans, de Blois)...

Deux autres lectures en coréen et enfrançais trouvèrent place à Paris : le 4

juin à la Maison de l’Amérique latine(boulevard Saint-Germain), et le 6 juinau Centre culturel coréen, devant unpublic nombreux et chaleureux.

Hédi Kaddour, rédacteur en chef adjointde Po&sie et l’un des deux poètes français qui, avec Pierre-Antoine Ville-maine, accompagna les lectures en coréen par celles des traductions enfrançais, remarquait, à l’issue de cesmoments, qu’une pareille expérienceétait de nature à agir au plus intime sursa propre créativité poétique...

Une dernière rencontre eut lieu à Ge-nève, grâce à l’invitation de SylvianeDupuis et de Martin Rueff, l’un et l’au-tre professeurs à l’université de Genève.La lecture se fit au cœur de la ville  :dans « la maison de Rousseau et de lalittérature ».

Parmi les ombres et les clartés d’unepièce ancienne, on entendit d’abord uneintervention de Jeong Myeong-kyo, quiévoqua son maître Kim Hyun et tout ceque celui-ci dut à « l’école de Genève »(et en particulier à Marcel Raymond)...Comme à chaque étape, Kwak Hyo-Hwan et Kang Jeong lurent après KimHye-soon et Hwang Ji-u ; ce fut, cettefois, avec l’accompagnement en françaisde Martin Rueff, lui aussi rédacteur enchef adjoint de Po&sie.

Mais, c’est enfin aux deux plus jeunes deces quatre poètes, pour qui l’ensembledu voyage et des rencontres avait été organisé, qu’il faut s’arrêter – trop brièvement.

De Kwak Hyo-hwan (né en 1967), lespoèmes sont discrets, quasi secrets,mais aussi incisifs que des tracés de gra-vures ; s’ils sont furtifs, c’est en mêmetemps dans de vastes espaces agitésqu’ils logent, non sans une sorte decruauté, les détails qu’ils disent en peude vers  – par exemple dans le courtpoème intitulé « Sur un terrain d’abat-tage d’arbres » :

Sur une souche, après le passage d’unelame de scie,

de la vie avait de nouveau poussé,

une fleur rouge s’était enfin ouverte.l’espoir éclos pesait sur le coup

qui s’était abattu et, verticale, s’appuyant sur la mort,

une grosse larme claire.

Quant à Kang Jeong (né en 1971), il est,non moins que Kim Hye-soon, unpoète de métamorphoses, de sourdesrages, de tensions ou de « passages »(selon le mot d’Henri Michaux). Et ilcourt dans ses textes d’étranges penséesproprement poétiques sur les entr’ap-partenances ou intrications qui peuventremêler (avant de les re-déchirer) hu-mains, animaux, plantes ou choses...Ainsi, faudrait-il suivre à la trace lescheminements du poème intitulé« Temps d’une bête inconnue », dontvoici le début :

Identifier les choses par l’odeur n’estpas le talent des seuls quadrupèdes.Ton odeur effacée s’échappe un peu

partout du dernier souffle des feuilles mortes.

Dans la trace de l’excrément humain,dans ce plus haut degré d’intimité,

je lis une vision de l’homme.Ce que l’homme ne cesse pas d’aimer

découle de la nostalgie persistanted’un sens dégénéré.

Kang Jeong est musicien, il est chanteur.A notre demande, il a donné pour le nu-méro Po&sie une prose de plusieurspages – toute de houles – sur « le ma-riage de la poésie et de la musique »...

Quelques heures avant que les quatrepoètes, le critique et le journaliste co-réens ne quittent l’Europe, tous flâ-naient, en s’égrenant quelque peu, dansune rue montante de la vieille ville deGenève. Précédant un peu les autres,Kang Jeong s’était assis sur la plus hauted’une dizaine de vastes marches enpierre devant un édifice ancien. Et voicique soudain, il se mit à chanter à pleinevoix : ce fut un instant de suspens, pournous, pour les passants qui s’arrêtaient;et c’était, dans l’air clair de cet après-midi, non loin du lac Léman, toutel’âpreté coréenne.

*

1 Editions Belin

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La collection de disques INEDIT fut crééepar la Maison des Cultures du Mondepour conserver et diffuser les archives deses concerts les plus rares et les plus ori-ginaux.

Le concert offre au public un moment dedécouverte, d’émotion et de communionavec les artistes. Plus encore, c’est un mo-ment clé dans la vie d’un musicien, uneexpérience pleine de risque qui n’autorisepas l’échec. Pour un artiste traditionnel,par exemple un musicien de village quin’est pas accoutumé à la scène, c’est unenjeu si redoutable que le programmateurs’émerveille chaque fois de sa capacité às’approprier la scène, à conquérir le pu-blic. Cette expérience unique, si différentedu studio d’enregistrement où tous les re-pentirs sont possibles, ne peut qu’encou-rager à en garder une archive et à ladiffuser.

Le concert est un moment précieux maisfugace ; c’est d’ailleurs cette fugacité qui enfait le prix. Le connaisseur en sort comblé,les autres sont intéressés, séduits ou dé-routés, voire frustrés. Le disque va doncpermettre de renouveler cette écoute mu-sicale, de s’en imprégner par la répétition,d’étendre à un univers musical inconnucette éducation de l’oreille que chacun sefaçonne depuis l’enfance dans le mondesonore qui l’entoure. Peu à peu, l’auditeurse familiarise avec des timbres qui audébut le heurtaient, il commence incons-ciemment à reconnaître des séquencesmélodiques, distinguer des récurrencesrythmiques  ; il apprend à anticiper unenote, une ligne mélodique, à l’attendre et,lorsqu’enfin elle vient, ses sens sont com-blés et son corps résonne avec la musique.Plus encore que le concert, le disque, lacassette ou aujourd’hui le fichier mp3jouent un rôle essentiel dans ce travaild’imprégnation musicale.

Au milieu des années 1980, les musiquestraditionnelles ou extra-européennes– on ne les appelait pas encore musiques

du monde – étaient peu présentes sur les scènes parisiennes et les collections de disques qui leur étaient consacrées se comptaient sur les doigts d’une main. Les principales, fondées dans les années soixante, étaient CNRS/Musée del’Homme, UNESCO, Ocora/Radio France.Ces trois collections publiaient pour l’es-sentiel des enregistrements réalisés sur leterrain par des ethnomusicologues. Enmusique arabe et en musique indienne,on pouvait également trouver quelquesdisques importés ou des séries spécialiséescomme les Artistes arabes associés et, deloin en loin, quelques disques du labelaméricain Folkways Records. Loin de seconcurrencer, ces collections se complé-taient sans pour autant couvrir l’immensechamp des traditions musicales.

Dans les années 1970, le Festival des artstraditionnels de Rennes - qui préludapendant dix ans à la création de la Maisondes Cultures du Monde – conclut un ac-cord avec la maison de disques Arionpour enregistrer et publier quelques-unsde ses plus beaux concerts. Cet accord futreconduit avec la Maison des Cultures duMonde jusqu’à ce qu’un changement dedirection chez Arion mît fin à cette colla-boration en 1985. Une nouvelle collections’imposait donc. C’est ainsi que naquitINEDIT.

Les premiers albums de la collection INE-DIT, des vinyles publiés en série limitée etnumérotée, proposaient quelques révéla-tions : Musiques d’Asie Centrale était lapremière publication en France de chantsdiphoniques de Touva ou de pièces pourkuray, la flûte à bourdon vocal du Bash-kortostan ; Inde – Nagaland, chant des tri-bus Sema et Zeliang est encore à ce jour leseul disque de chant choral de ces deuxsociétés tibéto-birmanes du nord-est de

l’Inde  ; Kawwali, chant soufi est un desrares disques de qawwali indien, un genremystique musulman surtout répandu auPakistan.

Mais la collection prend son véritableessor avec le compact disc, en 1988. Dis-tribuée en France et à l’étranger, elle va pu-blier jusqu’à une dizaine d’albums par an.

Cette époque, le début des années 1990,coïncide avec l’apogée des musiques dumonde, un terme forgé par des produc-teurs et des journalistes à partir de l’an-glais world music pour regrouper lavariété internationale, les musiques ur-baines et actuelles des pays du sud etd’Asie et les musiques traditionnelles. L’ex-pression fait florès mais elle condamne àterme le disque de musiques tradition-nelles. Beaucoup plus exigeant pour l’au-diteur, ce “produit de niche”, comme ondit aujourd’hui, se retrouve noyé dans lesbacs des disquaires aux côtés de musiquesurbaines, de variétés internationales, defusion et d’une world music avide de sam-ples de morceaux traditionnels pour com-penser le vide de son inspiration. Portéespar des musiciens souvent inconnus endehors de leur pays ou bien anonymes(musiciens de village), les musiques tradi-tionnelles, qu’elles soient profanes ou re-ligieuses, populaires ou savantes, doiventdésormais se conformer à des règles com-merciales où l’interprète prévaut sur laforme et où le présent efface des sièclesd’histoire.

Dans ce pandémonium, quelle réponseapporter ? Surenchère commerciale, dum-ping culturel ou, au contraire, qualité ar-tistique et audace éditoriale ? INEDIT selance alors dans la production d’intégraleset d’anthologies, sans pour autant aban-donner ses enregistrements de concert.Ce seront l’Anthologie Al-Âla, premier en-registrement intégral en 73 CD de la mu-sique arabo-andalouse marocaine, suivie

LA COLLECTION INEDIT pubLIE uNE sérIE DE DIsquEs DE sANjO COréENPar Pierre BOISConseiller artistique à la Maison des Cultures du Monde, directeur de la collection de disques INEDIT

L’actualité culturelle

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d’une Anthologie du Mughamd’Azerbaïdjan puis de celle du Ma-louf tunisien. Cette exigenceconduit la collection à approfondirson exploration des traditions decertains pays, comme le Vietnamavec plusieurs albums sur la mu-sique de l’ancienne capitale impé-riale de Hué, le chant bouddhiqueou encore le ca trù, une traditionvocale qui faillit disparaître il y aune vingtaine d’années ; sur des tra-ditions musicales de Chine et deTaiwan  : polyphonies vocales desaborigènes, musiques des Hakka,des Han, des Ouïgours. Ce faisant,elle s’ouvre aussi aux enregistre-ments réalisés par des ethnomusi-cologues, recherchant toujours desterrains jusqu’ici inédits  : musiques desMaale d’Éthiopie, des minorités du Laos,des Garifuna du Honduras, dessinant peuà peu, en plus de 140 albums, une cartemusicale qui va du Japon au Brésil en pas-sant par l’Asie orientale, l’Inde, l’Asie centrale et la Sibérie, le monde turco-arabo-persan, l’Europe et l’Afrique. Cetravail vaudra à la collection quelque 200récompenses dont une dizaine de prix del’Académie du disque Charles Cros. Tousces albums sont également disponibles surla plupart des grandes plateformes de té-léchargement mp3 (iTunes, Fnacmusic,Virgin, Amazon…).

Étrangement, la Corée est longtemps res-tée absente de cette géographie. Recon-naissons d’ailleurs qu’à l’exception dequelques parutions chez Ocora, Unescoou Buda, les disques de musique coréennesont extrêmement rares en France. Cettesituation est d’autant plus paradoxale que,depuis une dizaine d’années, la Corée estde mieux en mieux représentée dans lesprogrammations de concerts.

La Maison des Cultures du Monden’échappe pas à ce paradoxe. Dès son ou-verture en 1982, elle organise une nuit depansori diffusée en direct sur les ondes deRadio France. Grâce au soutien constantdu Centre culturel coréen à Paris, cettemanifestation est suivie de nombreusesautres consacrées aux musiques et auxdanses de cour, aux tambours de samul

nori, au répertoire vocal gagok, à la mu-sique instrumentale yeongsanhoesang, à lacérémonie bouddhique yeongsangjae, auxrituels chamaniques ssitgim gut (Jindo),seolwi-seolkyung (Chungcheong), cheol-muri gut (Hwanghae-do) et plus récem-ment aux différents styles de musiqueimprovisée sinawi. Mais de disque, point.

Ce n’est que tout récemment que desconcerts de sanjo vont donner lieu à la pu-blication chez INEDIT de trois albums in-terprétés par des maîtres. La plupart desmusiciens traditionnels coréens considè-rent le sanjo comme l’essence de la mu-sique coréenne et l’expression idéale del’âme humaine. Voilà qui peut semblerétonnant pour un genre musical sommetoute récent : il fut créé à la fin du XIXe

siècle par le maître Kim Chang-jo pour lacithare à douze cordes gayageum. Maiscette invention est une cristallisation d’élé-ments empruntés à des genres plus an-ciens (notamment le sinawi et le pansori),génialement réunis dans une seule grandepièce instrumentale. Par ailleurs, loind’avoir été figé dans une vision canonique,le sanjo n’a cessé d’évoluer et de se trans-former. À peine était-il inventé qu’il essai-mait en plusieurs “écoles” selon les lignéesde transmission et les instruments pourlesquels il était adapté. Il s’agit donc làd’une tradition au plein sens du terme, demaître à disciple sur plusieurs généra-tions, au sein de laquelle chaque inter-prète apporte sa technique instrumentale,son style, son âme.

Le premier album publié par INE-DIT est consacré au sanjo de gaya-geum, la cithare à douze cordes. Il aété enregistré lors du concert quePark Hyun-sook a donné à la Mai-son des Cultures du Monde, le 25novembre 2010, dans le cadre d’uneco-production avec la radio GugakFM. Elle était accompagnée par lejoueur de janggu Lee Tae-baek.

Park Hyun-sook interprète ici laversion de Kim Juk-pa, petite-fillede Kim Chang-jo, dont elle fut ladisciple directe. Il s’agit d’une com-position d’environ 55 minutes dontle style rappelle les origines impro-visatoires. Elle enchaîne un prélude

et six mouvements composés chacun sur un rythme spécifique, dont le tempo va s’accélérant à mesure que l’on avancedans l’œuvre. Toute l’esthétique de la mélodie, qui procède par petites touchessuccessives, repose sur un jeu de ques-tions-réponses, de variations, de contrastesmélodiques, rythmiques, formels, expres-sifs, de tension et de relâchement. Encomplément, Park Hyun-sook interprèteun long extrait du Pungryu de Kim Juk-pa, une pièce composée à partir durépertoire des lettrés yeongsanhoesang etd’éléments de musique populaire.

Suivront deux autres albums : l’un consa-cré au sanjo de cithare à archet ajaeng in-terprété par Kim Young-gil (à paraître enseptembre 2012) et le second au sanjo decithare à six cordes geomungo interprétépar Lee Jae-hwa, bien culturel immatérielde la Corée pour l’art du sanjo de geo-mungo. D’autres projets discographiquessont à l’étude, notamment autour du si-nawi, musique chamanique improvisée etl’une des sources du sanjo.

Corée. L’art du sanjo de gayageum par Park Hyun-sook(École de Kim Juk-pa)Référence INEDIT W 260142 – paru en janvier 2012

Corée. L’art du sanjo d’ajaeng par Kim Young-gil(École de Pak Jong-sun) Référence INEDIT W 260143 – à paraître en septembre2012

Corée. L’art du sanjo de geomungo par Lee Jae-hwa(École de Han Gab-deuk) - à paraître en janvier 2013

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www.keulmadang.com

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KEULMADANG,

Une littérature ne se développe pas sous laseule influence de ses productions éditoriales.Les éditeurs qui ont fait le choix courageux,et pour certains ancien, de publier des ou-vrages venus de Corée, n’ont pas à leur chargela progression d’une littérature en particulier.Celle-ci ne peut être le fait que de critiques,de médiateurs, de passeurs, de traducteurs,d’enseignants qui prennent en charge l’infor-mation, l’analyse, la promotion d’une littéra-ture, au-delà de sa production livresque.

Ce fut le sens de la création de la revue de lit-térature Keulmadang. A cette période-là, lalittérature coréenne qui semblait entrée dansun régime de croisière s’est vue donner plu-sieurs coups d’accélérateur, avec la parutiondans la NRF - deux numéros en 2008 -, d’undossier sous la direction de Jean-Noël Juttet,puis dans la revue Europe en 2010, d’un dos-sier sous la direction de Jean Bellemin-Noël.Keulmadang est née dans l’entre-deux, à l’été2009, faisant sienne cette idée que la littéra-ture coréenne serait d’autant mieux connuequ’elle serait accompagnée d’un « travail lit-

téraire » multiforme, permanent, soucieuxde servir la littérature d’un pays, qui est pournous autant objet d’étude qu’objet d’amour.Et l’amour n’a point d’âge, il est toujours nais-sant, disait Pascal.

Une revue entièrement consacrée à la litté-rature coréenne

Dans l’ambiance d’une douce soirée méditer-ranéenne, naissait la web-revue de littératurecoréenne Keulmadang, sous l’action d’unepoignée de volontaires, amis, soucieux deprésenter une littérature départie de toute ac-tualité et de toute mode. Bien qu’universi-taires, nous fîmes le choix de nous orientervers une revue destinée à un large lectorat,avec le souci de trouver d’autres publics queles lecteurs assidus.

A côté de ses illustres aînées, la revue Keul-madang allait prendre place avec la modestemais ferme volonté de tenir son rang et departiciper au développement de la diffusionlittéraire, consciente que la route seraitlongue avant d’arriver à une formule satisfai-

sante, tant du point de vue technique que dupoint de vue de son contenu. La revue allaitapporter, par sa rapidité de réaction, unenouveauté certaine dans le paysage littéraire,en promouvant des livres dès leur parution,en traitant de thèmes non liés à l’actualité, enne recherchant pas une ligne éditoriale pré-cise, en se débarrassant des habituels com-plexes liés à la diffusion d’une littérature quin’en finit plus d’émerger. Compromis entrela jeune exubérance et la vieille garde, larevue opta pour la forme traditionnelle, aunuméro, comme les revues « papier », pourfaciliter l’indexation des articles et des au-teurs, et lui donner une visibilité. Le nom dekeul (texte) madang (la cour, l’agora) sortittout seul du chapeau ; le logotype fut l’œuvrede notre graphiste, la mise en page l’œuvre denotre webmestre et la signature du titre l’œu-vre d’un éditeur coréen. Chaque numéro pré-senterait des auteurs, des œuvres et lesderniers ouvrages traduits, publiés en France.Un dossier central consacré à un auteur ouun thème assurerait une identité du numéroet de la revue, aisément repérable.

Par Jean-Claude de CRESCENZOUniversitaire, directeur de Keulmadang

L’actualité culturelle

une revue de littérature coréenne en France

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Le choix du web comme mode de diffusion.

Tout a sans doute été dit sur la diffusion parmédia électronique  : facilité de création,contraintes minimes, coûts allégés, parutionà la demande. On connaît moins l’envers dela médaille  : présence permanente exigée,communication soutenue, lutte quotidiennepour le référencement, format peu mobile,lecture difficile sur écran ; sans compter leserveur qui peut défaillir à tout moment.Mais l’enthousiasme et la témérité d’uneéquipe jeune allaient donner au projet l’allured’un défi. Le numéro 15 de la revue vient deparaître, et c’est aussi le dernier numéro souscette forme actuelle. Nous engageons actuel-lement la deuxième phase de développementet une nouvelle grille en cours d’élaborationsera disponible pour le N° 16 consacré à lapoésie coréenne.

Après deux ans et demi d’existence et 15 nu-méros, les statistiques annuelles sont encou-rageantes avec 36 000 lecteurs, répartis dans60 pays du monde. Certains auteurs de larevue, avec leurs milliers de lecteurs, sontplus lus que des écrivains bien installés dansleur œuvre. Le temps de consultation de larevue est devenu très honorable au fil dutemps, avec un taux de fidélité satisfaisant,prouvant que la régularité d’un lectorat estpossible. La revue fonctionne bénévolement,sans soutien financier. Les auteurs viennentd’horizons divers, universitaires, critiques lit-téraires, professeurs de littératures, bibliothé-caires, étudiants en coréanologie… La revuea très peu de contraintes, à l’exception de nevouloir parler que de livres que l’on peut seprocurer en France ou dans les pays franco-phones. Keulmadang a consacré deux numé-ros à Yi In-seong, considéré comme un chefde file d’un renouveau stylistique, deux dos-siers pour tenter de situer cet auteur dans lepanorama des nouvelles approches esthé-tiques. Deux autres numéros dirigés par le re-gretté Philippe Thiébault ont été aussiconsacrés à la pensée coréenne, peu connueen France, à l’exception de quelques spécia-listes. Lee Seung-u, Hwang Sok-yong, EunHee-kuyng, Jo Jong-nae, Shin Kyung-sook,Kim Young-ha, Yi Munyol, on fait eux aussil’objet d’un dossier.

La contrainte d’exister.

Une des caractéristiques majeures de ce prin-cipe de diffusion est la quasi-obligationd’échapper à l’oubli, autant du système tech-nique, véritable vortex, que de la mémoiredes internautes. S’il est, en effet, rare d’ache-ter une revue papier par hasard, à l’inverse, iln’est pas rare de se retrouver sans intentionsur un site. Voire, de ne plus retrouver un siteapprécié. Il y a donc nécessité d’une présencepermanente dans la mémoire des internauteset de travailler quotidiennement au systèmede balisage de la revue. Le mode électif desmoteurs de recherche est tel qu’il vaut mieuxdisposer, à l’intérieur du projet, de spécia-listes capables de comprendre les méandresdes choix économiques et politiques de cesmoteurs. La revue Keulmadang n’est pas seu-lement disponible sur Internet ; elle l’est aussisur les réseaux sociaux, Facebook, Tweeter,les groupements professionnels, etc. Chacunle sait ou le devine, Chronos est sans pitié etle temps consacré à la communication de larevue est devenu le temps principal du procèsde fabrication d’un numéro.

L’autre obstacle rencontré est le faible nom-bre de livres publiés dans une année civile.Pour publier une revue, il faut de la matièrepremière. Et dans notre cas, rendre compted’une littérature, c’est aussi s’attacher à un re-censement permanent de la production édi-toriale. Ainsi, en deux ans et demid’existence, la revue a rendu compte d’unecentaine d’ouvrages environ.

Malgré les efforts des traducteurs, des « pas-seurs », des éditeurs et des fondations co-réennes, le volume des traductions et despublications reste stable, d’année en année,approximativement cinq ou six romans, deuxrecueils de poésie, deux ou trois ouvrages dethéâtre, deux ou trois essais. C’est beaucoupdiront certains, c’est peu diront ceux quiconnaissent le volume de la production japo-naise ou chinoise.

Mais traduire et faire éditer (déjà un par-cours du combattant en soi) ne nous parais-sent plus des actions suffisantes pour assurerà la littérature coréenne une place significa-tive dans la vie littéraire française, et lui per-

mettre de ne plus être considérée comme lit-térature émergente.

Une maison d’édition entièrement consacréeà la littérature coréenne

Le succès de la revue nous a encouragés àprendre d’autres risques, et à considérerqu’une maison d’édition entièrement consa-crée à la littérature coréenne s’imposait. Iln’est pas nécessaire d’aimer la Corée pouréditer des textes coréens mais nous faisonspartie de cette génération qui considère leSentiment comme un puissant moteur d’ac-tion. Et aussi, parce que nous avons éprouvéle besoin de relier le travail d’édition au « tra-vail littéraire », déjà entrepris sous de multi-ples formes. Ainsi, après 6 mois d’études DECRESCENZO ÉDITEURS est né à Aix-en-Provence, avec la modestie du nouvel entrantdans le paysage éditorial français et le projetde participer au développement de la pro-duction éditoriale coréenne, en publiant unedizaine de titres par an, romans, nouvelles etouvrages de sciences humaines et sociales.

Ce défi, téméraire sans doute, quand onconnaît l’économie du livre, nous l’avonsvoulu réfléchi. D’une part, en profitant del’expérience accumulée depuis une quinzained’années avec la venue de plusieurs écrivainscoréens à Aix-en-Provence ; d’autre part, en nous appuyant sur les compétences d’un groupe d’amis, spécialistes de la littéra-ture et de la Corée, traducteurs, professeursde littérature, écrivains, poètes, critiques lit-téraires. Les premiers ouvrages devraient êtredisponibles en librairies à la rentrée 2012,notamment Kim Ae-ran, Cours papa, cours... et Kim Jung-hyeok La bibliothèque des ins-truments de musique. DE CRESCENZOÉDITEURS sera diffusé par Le Seuil-Volumen.

FICHE TECHNIQUE Keulmadang web-revue de littérature coréennewww. keulmadang. com

Comité permanent : Jean-Claude de Crescenzo, KimHye-gyeong, Véronique Cavallasca, Lucie Angheben,Julien Paolucci, Marine Jacquens, Naomi Poli-Diallo,Margaux Dodemant, Diyenaba Silla, Morgane Loupan-dine, Quentin Gagne. Graphiste Thomas Gillant. Webmestre : Julien Boyer.

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O Tae-seok1, né en 1940, est aujourd’hui l’un des hommes de théâtre les plus connus et respectésen Corée. Il est à la fois auteur, reconnu dès les années 1960, mais aussi dramaturge, fondateur et directeur de la compagnie Mokhwa depuis 1984. Il est une des figures de proue de ce mouvementqui a si fortement marqué les années 1970, et que l’on pourrait qualifier d’angry young men, de “jeunes gens en colère” coréens, qui entreprirent de dynamiter une culture théâtrale occidentalisée et embourgeoisée en se tournant vers les formes d’art traditionnel, chant pansori,rituels gut, danses masquées talchum, arts martiaux taekkyeon, percussions samulnori, etc, pour les arracher à la muséification ou la disparition, et leur redonner souffle en inventant un

nouveau théâtre, résolument coréen. Sil’on peut saluer la spécificité de son approche, à la fois d’auteur et de drama-turge toujours prolifique aujourd‘hui, leparadoxe d’O Tae-seok en France estd’être aussi connu de réputation qu’il est méconnu pour son œuvre. C’est grâce àune occasion rare que nous avons eu la chance de l’accueillir en France : lacréation d’un de ses monologues les plus célèbres, La mère (Eomi), joué enfrançais par Élisabeth Moreau, entouréede l’acteur- danseur Choe Woo-sung etde la violoncelliste Raphaëlle Muller,dans une mise en scène de Shin Meran(11 avril 2012, Scène nationale de Rethel, traduction Han Yumi et HervéPéjaudier). C’est ainsi que, le 25 avril, leCentre Culturel Coréen a profité du passage à Paris de ce grand homme dethéâtre pour organiser dans ses mursune présentation - mise en espace éga-lement par Shin Meran - qui a permis aupublic français de découvrir la lectured’extraits de plusieurs de ses pièces majeures, en présence de l’auteur, lequelnous a gratifiés d’un post-scriptum dit,joué, mimé, qu’aucun des spectateursprésents n’oubliera de sitôt ! Le lende-main, il a eu la gentillesse de nous accorder l’entretien qui suit.

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O TAE-SEOK : "JE NE CRÉE QUE LA MOITIÉ D'UNE PIÈCE,LE PUBLIC CRÉE L'AUTRE MOITIÉ".

1 On trouve aussi son nom écrit, selon variantes, O T’ae-sŏk, Oh Tae-suk, etc.

Interviews

O Tae-seok à Paris

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Culture Coréenne : En France, on vousconsidère avant tout comme un poète, unhomme de langage, mais lorsqu’on décou-vre votre production théâtrale, on est sur-pris par la place prééminente qu’occupe letravail des corps.

O Tae-seok : Personnellement, j’aimebien utiliser dans mon écriture toutessortes d’ellipses, faire des sauts... Lorsqueje choisis telle ou telle expression plutôtque telle autre, je condense mes dialogues, cela donne à ma langue uneforme d’élasticité. Les ellipses, les sauts,me permettent d’avoir un style serré etdense, c’est peut-être pour cela qu’on meconsidère également comme un poète.En tant que dramaturge, j’essaye de raconter une histoire avec le moins dediscours possible. Pour obtenir ça, jedonne au langage plusieurs couches designifications. Par exemple, si quelqu’unveut dire : je t’aime, je lui fais dire : crève

salope. Cette expression peut ainsi pren-dre différents sens pour le public, elle vale faire travailler. Un mot bleu peut encacher un autre, rouge, jaune, ou autre.

Moi, je suis pour que le théâtre soit créé

par le public. On leur lance des répliques pour qu’ils les rattrapent et lestransforment selon leur propre mode deperception. On leur lance une pastèque,et eux ils reçoivent une pomme, ou inversement. C’est ainsi qu’on peut créerun théâtre vraiment polymorphe. Vousvoyez, je suis avant tout un dramaturge.

C.C. : Vos textes sont-ils écrits préalable-ment ou construits au fil du travail ? Etcomment faites-vous lorsque vous montezdes auteurs occidentaux ?

O Tae-seok : J’arrive avec un texte écrit,mais tous les jours on le travaille ensuitesur le plateau, et après chaque répétitionon note les modifications. C’est commeça qu’au bout de quinze jours, le texte n’a déjà plus rien à voir avec sa versioninitiale !

Quant à mon travail sur les textes d’auteurs étrangers, par exemple Shakes-peare, je les transforme totalement pourles réécrire dans ma langue à moi. Saufbien sûr quelques passages clés, qui sontcomme une signature, (par exemple to

Lecture au Centre culturel d'extraits de pièces d' O tae-seok, en présence de l'auteur (25/04/2012)De gauche à droite: Raphaëlle Muller, Hérvé Péjaudier, Elisabeth Moreau et Choe Woo-sung.

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be or not to be, etc.), je transforme toutet j’inscris mon texte dans une métriquepurement coréenne, autour des rythmes3-4, ou 4-4.

C.C. : Comment travaillez-vous avecvotre troupe ?

O Tae-seok : Je dirige ma troupe,Mokhwa, depuis environ trente ans.Même si les comédiens bougent réguliè-rement, cela représente en permanenceune trentaine de personnes à faire vivre,c’est une lourde responsabilité. Tous lescadres de la troupe, lumière, costume,chorégraphie, chant coréen, etc., travail-lent avec moi depuis plus de vingt ans.Quant aux comédiens, je les ai pratique-ment tous eus comme étudiants à l’uni-versité. En règle générale, on travailletous les jours de 14 heures jusqu’au dernier métro, sauf quand la date decréation approche, auquel cas on com-mence à 11 heures. On peut dire qu’onvit ensemble...

C.C. : En trente ans, les jeunes comédiensn’ont-ils pas beaucoup changé ?

O Tae-seok : Les jeunes comédiens d’aujourd’hui sont beaucoup plus formés qu’avant, ils savent plein dechoses sur leur travail : alors moi, je doiscommencer par leur faire oublier toutça, pour les dépouiller de toutes lescouches accumulées. Ils doivent appren-dre à faire de tous petits mouvements,comme une marionnette. Cela faittrente ans que mon esthétique consisteà demander aux acteurs de faire peu, dedire peu, afin que ce soit au public defaire le reste du travail. Pour cela, je demande à mes acteurs de dégraisserjusqu’à l’os. Le principe essentiel enOrient, c’est le refus du quatrième mur.Dans le nô ou le kabuki, les acteurs regardent le public, ils sont en contactavec lui, pareil pour l’opéra de Pékin, lekathakali indien, et en Corée avec lepansori et tous les jeux de saltim-

banques : on respire avec le public, non ?C’est pour ça que je veux laisser un videoù le public peut intervenir, un creuxqu’il doit combler. C’est pour cela quej’utilise les sauts et les ellipses, pour luilaisser un espace où intervenir. Moinsj’impose, plus le public dispose. Le plaisir du public vient de sa capacitéd’intervenir sur un spectacle. Nous,nous sommes face au public, on ne secache pas sur un plateau, on ne le surplombe pas, on est comme autrefoisavec le madang, à son niveau. Ceux quijouent sur des scènes font ça pour domi-ner, ils ont des choses à cacher, ils se dis-simulent derrière des couches de fard etd’oripeaux; nous, on n’a pas besoin deces artifices. En plus, avec la métriquetrès forte 3-4, 4-4, on obtient une oralitéqui empêche les comédiens de jouerentre eux, et les oblige à s’adresser au public.

Avec le corps, c’est pareil, il faut s’appuyer de toute la surface de ses piedsau sol pour faire remonter l’énergiejusque au ventre. Pour ça il faut êtrepieds nus, absorber de toute sa chairl’énergie, la faire remonter jusque sousl’ombilic, au point vital où elle seconcentre. Après tout, c’est bien cetteforce que nous utilisons lorsque nous allons aux toilettes, non ? Afin de pou-voir transférer cette énergie à n’importequelle partie du corps, les yeux, les bras,la langue, etc., il faut faire des exercicesspécifiques et s’entraîner à maîtriser ceprocessus.

Face à face avec le public, les yeux dansles yeux, toujours prêt à rebondir ens’appuyant sur sa force, parler selon unemétrique 3-4, 4-4, voilà tout ce qu’il fautcommencer par apprendre lorsqu’onrentre dans la troupe Mokhwa. Une foisces bases assimilées, on n’a plus qu’àajouter un mode de jeu tout simple :faire peu, pour que le public travaille à son tour avec son imagination, sa créativité.

C.C.: Vous revendiquez le retour aux tra-ditions coréennes, mais on vous considèreaussi comme un auteur d’avant-garde. Yvoyez-vous une contradiction ?

O Tae-seok : Mon théâtre s’inscrit danstoutes les traditions coréennes, y com-pris celle des arts martiaux. Mais si vousme dites que le public occidental associemon travail à celui de l’avant-garde, jepense en effet qu’il y a les deux. En fait,le public d’aujourd’hui est saturé debruits, gavé d’informations; moi, parrapport à ça, je me recule, je retournevers les temps anciens, comme ceux deSophocle, où il n’y a pas de décor, pasd’ornements superflus, pas d’accessoiresinutiles, où les acteurs peuvent devenirdes oiseaux ou n’importe quoi d’autre,avec un simple masque. Comme lesspectateurs sont saturés d’informations,je m’appuie sur cette dynamique en leslaissant jouer avec le peu que je leur offresur scène. Il me semble que moins je sur-charge, plus le public aime ça. Si on luien donne trop, le public n’a plus rien àfaire, il devient passif, il regarde les comédiens tout faire à leur place...Mais si on leur retire cette facilité, alorsles spectateurs redeviennent actifs, et redécouvrent ce plaisir d’être concernépar la représentation qui se donne poureux, un peu comme lorsque l’on assisteà un gut, un rituel chamanique, parexemple... Je pense qu’ils me sont recon-naissants de leur offrir cette occasion de faire fonctionner leur cerveau, leurimagination...

En tout cas, je suis vraiment très heureux d’être venu à Paris grâce auCentre culturel pour montrer un petit peu aux Français ce qu’est le théâtrecoréen. J’espère qu’il y aura bientôt d’autres occasions !

Propos recueillis par Han Yumi et Hervé Péjaudier.

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Circuits de trekking en Corée

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Voyages, tourisme

La randonnée pédestre a de plus en plus de succès à traversle monde. C’est une activité de plein air qui est à la fois un loisirde découverte et une forme d’exercice physique.

Pour les passionnés de randonnée, la Corée, avec ses montagnes- 70% du territoire coréen -magnifiques en toutes saisons et sesnombreux sommets, est une destination privilégiée. En effet, lesmontagnes coréennes, dont l’altitude varie de 500 à 1950 m, offrent aux amoureux de la marche des conditions idéales. On ytrouve nombre de parcs nationaux et forêts qui constituent unvrai paradis pour les randonneurs.

L’île de Jeju-do fait partie des plus beaux sites coréens de randon-née. C’est la plus grande île volcanique de Corée. Avec son climatparticulier et ses superbes beautés naturelles, elle est considéréepar l’UNESCO comme une île rare et magnifique que le mondedoit absolument protéger. C’est au centre de l’île que se situe levolcan Hallasan, qui s’est formé par écoulement de lave. Ses lignespures s’élancent jusqu’à son sommet qui culmine à 1950 m. Et àl’intérieur du cratère se trouve le magnifique lac de Baekrokdam.

A l’est de Séoul, s’étend la province de Gangwon-do traversée parla chaîne montagneuse de Baekdu, la plus imposante et la pluslongue de Corée. Elle comporte de nombreuses montagnes célè-bres, en particulier le mont Seoraksan, d’une altitude de 1708 mè-tres. On peut y voir d’innombrables rochers aux formesoriginales, de magnifiques cascades et paysages qui lui ont valul’appellation de « plus belle montagne de Corée du Sud ». A Seo-raksan - situé au nord-est de Séoul - on trouve aussi quelque 3500espèces végétales et animales. Avec les formations rocheuses insolites, vieilles de cent millions d’années (surnommées « sculp-tures des dieux  »), tout cela constitue un patrimoine naturel exceptionnel qui ne peut que ravir les randonneurs.

Du point de vue hauteur, Jirisan est la deuxième montagne deCorée. Mais, sa largeur et la douceur de sa forme lui ont valu lesurnom de « Montagne Mère ». Les crêtes de Jirisan s’étendentsur 25 km et elle possède une vingtaine de sommets dépassantles 1500 mètres La vue sur ces montagnes enveloppées de nuagesest vraiment splendide. Le pic le plus élevé de Jirisan culmine à1915 mètres.

Dans la mer de l’Est, à trois heures de bateau de la côte, se trouveUlleungdo, à la fois île et montagne. Les pentes escarpées d’Ul-leungdo se sont formées par refroidissement de la lave provenantde violentes éruptions volcaniques. Autour de l’île, la profondeurde l’eau est constante, ce qui donne à la mer une teinte bleu cobalt.Le relief de l’île est très accidenté et on n’y trouve pratiquementaucun terrain plat.

Près de la ville de Suncheon, située au sud de la péninsule et sur-nommée « capitale écologique de la Corée », se trouve la baie deSuncheonman. Très riche en faune et flore, elle est connue poursa côte qui s’étend sur 40 km, ses marais et ses champs de roseauxqui constituent un lieu de promenade idéal. Trésor écologiqueprotégé, elle sert de refuge aux oiseaux migrateurs que les ran-donneurs, utilisant les nombreux chemins aménagés, peuvent ob-server. L’aube et le crépuscule sont des moments privilégiés pourfaire de magnifiques photos de cet espace naturel à l’atmosphèremystérieuse.

Comme on peut le voir, la Corée possède nombre de paysagesmagnifiques qui restent à découvrir !

Sources : Office national du Tourisme coréen, www.visitkorea.or.kr

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LivresDans ce roman entre enlisement et noyade, on re-trouve les ressorts kafkaïens de l’imaginaire de Leeseung-u, la même atmosphère étrange que dansl’inoubliable « Vie rêvée des plantes ».Muté dans une lointaine province, tandis que sonépouse préfère l’abandonner à son sort, Yu part seulà sori, sorte de non-lieu hostile au pied d’une mon-tagne abrupte, où souffle continûment un vent noirchargé de poussière. pris en chasse par des préda-teurs locaux, il va tout perdre, à commencer par sonportefeuille, emporté par une aventure en spiraledigne des pires cauchemars... romancier d’une ori-ginalité et d’une force rares, Lee seung-u est né en1959 en Corée du sud. Majeure et unique dans lalittérature coréenne contemporaine, sa voix est cellede l’intranquillité.

-Ed. Zulma-

« Le roi dragon a trop bu, et va mourir si la fidèletortue ne se rend pas dans le monde des hommeslui rapporter le foie d’un lapin. Comment la tortuereconnaîtra-t-elle un lapin et le convaincra-t-ellede descendre au fond des mers, quelles ruses lelapin inventera-t-il pour échapper à tous lespièges ? Vous le saurez en vous plongeant avecdélice dans cette histoire coréenne intemporelle,toujours bien vivante aujourd’hui... »Voici, pour la première fois en français, le texted’un p’ansori de chanteur (version de pak Ch’o-wôl), un des cinq classiques subsistants, tel qu’il setransmet oralement depuis des siècles. La traduc-tion rythmique travaille sur l’oralité du chef-d’œu-vre, mélange unique de poésie savante et devéhémence populaire...

-Ed. Imago-

Ce recueil de poèmes, publié à séoul en 1999, a étéécrit pendant le séjour de l’auteur au temple du Dra-gon sur le mont Chiak, situé dans le nord-est de laCorée du sud. Les poèmes - qui sont comme uneprière - témoignent d’une correspondance intime etprofonde entre l’homme et la nature qui l’entoure ettracent un chemin bouddhique qui mène de la dou-leur de l’existence à la libération...Oh sae-young, né en 1942 en Corée du sud, estconsidéré aujourd’hui dans son pays comme l’un desrares poètes qui perpétuent la tradition lyrique et spi-rituelle de la poésie classique. Il a été professeur depoésie coréenne à l’université nationale de séoul de1985 à 2007 et a publié une vingtaine d’ouvrages surla poésie coréenne et autant de recueils de poèmesqui lui ont valu plusieurs prix.

-Ed. Circé-

Le paléolithique ancien de la Corée du sud a été reconnu pour la première fois en 1964 et, depuis lafin des années 1990, de nombreux aménagements urbains ont accéléré les découvertes. A ce jour, plusd’une centaine de sites paléolithiques sont désormaisconnus. Cet ouvrage est le fruit d’une coopérationfranco-coréenne qui a pour ambition de présenterle paléolithique ancien de Corée du sud, à traversl’étude de cinquante-cinq sites parmi les plus intéres-sants et les plus significatifs. Ouvrage d’archéologie réalisé sous la direction deHenry de Lumley, Yung-jo Lee, Young-Chul park etKidong bae.

-CNrs Editions-

Fondé sur des sources pour la plupart méconnues,cet ouvrage éclaire d’un jour nouveau l’histoire desrelations internationales et de l’expansion du catho-licisme en Asie, à cette époque charnière que fut lemilieu du 19e siècle, balayant ainsi l’idée, longtempsacceptée, d’un simple choc de civilisations entrel’Occident, chrétien et impérialiste, et l’Extrême-Orient, confucéen et refermé sur lui-même. Ce fai-sant, l’auteur apporte un regard neuf sur l’actualitédes relations franco-coréennes au 19e siècle.pierre-Emmanuel roux achève actuellement unethèse de doctorat à l’EHEss. ses recherches portentsur l’histoire du catholicisme et des interactions cul-turelles en Asie orientale aux 18e et 19e siècles. Il estégalement chargé de cours à l’INALCO (sectionCorée).

-Ed. Du Cerf

Yi sang (1910-1937), poète ayant vécu dans laCorée soumise au joug japonais, est mort à 27 ans,épuisé par la tuberculose. Mais il a beaucoup écrit etdonné naissance à une œuvre hors norme, foison-nante. Il est aujourd’hui considéré comme un auteurmajeur de la Corée du début du 20e siècle. plus desoixante-dix ans après sa mort, ses écrits restentétrangement novateurs. ses récits ou ses poèmes, quiavaient choqué le public coréen de son temps, n’ontrien perdu de leur puissance : le langage de Yi sangcommunique sa fièvre à tout ce qu’il pense, raconteou décrit. Le présent recueil propose des récits ainsique des poèmes parmi les plus troublants.

-Ed. Les petits matins-

Nouveautés

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« King protector », de Yu HaAu XIIIe siècle, le roi de la dynastie Goryeo doit faireface à la montée en puissance de la dynastie chinoisedes Yuan. par peur d’un attentat, il crée alors unegarde d’élite rapprochée. À sa tête, Hong rim, jeunehomme remarquable qui deviendra l’amant du roi.pour assurer la succession de son trône, ce dernierdemande à Hong rim de passer une nuit avec lareine afin de concevoir un enfant, lui-même en étantincapable. Mais il n’avait pas prévu que le jeunehomme et la reine tomberaient amoureux l’un del’autre... Trahison personnelle, trahison envers l’Etatpunie de mort en ce XIIIe siècle...Hong rim doitmaintenant combattre pour sa vie...

-Elephant Films -

DVD

Bien sûr, cette sélection ne peut être exhaustive. Pour toute information complémentaire sur les publications coréennes en France, merci de contacter notre bibliothèque au 01 47 20 84 96

Kim Hae-sook, Gayageum sanjo (Ecole Choi Ok-sam) Collection Ocora radio France principalement issu du chant pansori et à l’origine largement improvisé, le sanjo est devenu (notam-ment dans l’école stylistique du maître Choi Ok-sam) une suite musicale instrumentale structurée :Kim Hae-sook y peint avec une virtuosité sereine,des 12 cordes de soie de la cithare gayageum, un pay-sage musical fait d’émotions contenues et d’exaltation.un très beau disque de musique traditionnelle coréenne à découvrir.

Kim Young-gil - L’art du sanjo d’Ajaeng (Ecole pak jong-sun) Col. INEDIT, Maison des Cultures du MondeCe disque consacré au sanjo de cithare à archetajaeng est interprété par Kim Young-gil, interprètedont le jeu virtuose et rigoureux témoigne d’une excellente connaissance des traditions musicaleschamanique et populaire. Kim Young-gil a remportéle Grand prix du concours de musique traditionnelleorganisé par la Kbs et il est reconnu comme le meil-leur interprète du sanjo d’ajaeng de pak jong-sun.

-  sortie prévue fin septembre 2012 -

« The unjust », de ryoo seung wanHautement médiatisée, l’affaire d’un tueur en sérieest en pleine impasse alors que la police a, officieu-sement, tué le seul suspect. pour en terminer avecl’enquête, un haut gradé demande à un capitaine,dont la carrière se traîne, d’inventer le parfait coupa-ble. Mais sur son chemin, il croisera un procureuracharné, corrompu jusqu’à la moelle, et un mafieuxparticulièrement retors...un polar très noir sur la manipulation, la corruption,et les errements d’une justice rongée par les luttesintestines des politiques... un scénario intense,rythmé, de la tension, des rebondissements et untwist final inattendu.

-Musa Films-

CD

CINÉMA

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CENTRE CULTUREL CORÉEN