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Culture Coréenne 한국문화 N o 85 Automne / Hiver 2012 Dossier spécial La femme coréenne

Culture Coréenne - 한국 문화 - N° 85 - Automne / Hiver 2012

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Dossier spécial : La femme coréenne

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CultureCoréenne

한국문화

No 85 Automne / Hiver 2012

Dossier spécial La femme coréenne

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Sommaire

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No 85 Automne / Hiver 2012

Dossier spécial La femme coréenne

No 85 Automne / Hiver 2012

Directeur de la publication : Lee Jong-Soo

Comité éditorial :

Georges Arsenijevic,

Jeong Eun-Jin, Ryu Hye-in

Ont participé à ce numéro :

Martine Prost, Benjamin Joinau,

Adrien Gombeaud, Pierre Cambon,

Jacques Batilliot, Patrice Josset,

Hervé Péjaudier, Olivier Lehmann,

Jeong Eun-Jin.

Tous les anciens numéros de notre revue sont consultables sur www.revue.coree-culture.org

Conception et graphisme : H.V.COM

Culture Coréenne est une publicationdu Centre Culturel Coréen

2, avenue d’Iéna-75116 Paris

Tél. 01 47 20 83 86 / 01 47 20 84 15

2 Éditorial

Dossier spécial

La femme coréenne

3 La femme coréenne d’hier et d’aujourd’hui- Évolution du rôle et du statut de la femme en Corée -

7 La femme dans la littérature coréenne

11 Reflets féminins du cinéma coréen

La Corée et les Coréens

13 Corée, les monastères du thé 17 Le métro de Séoul : une invitation au voyage20 Brève histoire de la médecine coréenne

L’actualité culturelle

23 L'ombre d’une corne de rhinocéros...- Vitalité du théâtre coréen en France aujourd'hui -

26 Séoul : spectacles à la carte

Interviews

29 Kang San-eh,un rocker qui se cherche sur tous les sentiers du monde

Voyages, tourisme

31 Programmes touristiques pour faire découvrir la culture et les traditions coréennes

Nouveautés

32 Livres et DVD à découvrir

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Une et multiple, dotée d'une incroyableénergie, la femme coréenne, bien loin des stéréotypes occidentaux de femmesoumise, a tout au long de l'histoire de la Corée joué un rôle important dans la société.

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Éditorial

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Je suis vraiment très heureux de vous présenter ce N°85 de notre revue.

Le dossier spécial de ce numéro sera dédié à la femme coréenne - sujet important s’il en est ! - et englobera troisarticles particulièrement intéressants. Le premier estconsacré à l’évolution, dans l’histoire de la Corée, du rôleet du statut de la femme, depuis l’ancien temps jusqu’àl’époque actuelle marquée par des changements notablessurvenus au cours de ces dernières décennies. Le deuxièmearticle s’intéressera, à travers un tour d’horizon des personnages féminins apparaissant dans les œuvres litté-raires, à l’image (ou plutôt aux différentes images) de lafemme dans la littérature coréenne. Quant au troisième,il nous présentera une brève analyse des différents typeset portraits de femmes que l’on retrouve dans les films coréens des années 1960 à nos jours. Ainsi, ce dossier nouspermettra d’une part d’apprendre des choses concrètes surla vie et la condition des femmes coréennes au fil du temps,mais aussi, d’autre part, d’entrevoir la fonction de la femme en tant que symbole - dont le destin a parfois valeur d’allégorie se confondant avec l’histoire du pays -, ou objetde fantasme.

Dans la rubrique « La Corée et les Coréens », vous pour-rez découvrir un article retraçant l’histoire du thé enCorée. Et apprendre comment la consommation et la popularité de cette boisson emblématique de la traditionbouddhique ont varié en fonction des différentes périodeshistoriques (plus ou moins favorables au bouddhisme)qu’a connues le pays. Puis, suivra un article vous présentantle métro de Séoul qui, comme vous le verrez, diffère à biendes égards du métro parisien. Enfin, le dernier texte de

cette rubrique sera consacré à la médecine traditionnellecoréenne dont les origines remontent à des temps très anciens et qui constitue encore de nos jours, pour nombrede Coréens, une voie thérapeutique prisée.

Pour ce qui est de notre rubrique «  L’actualité cultu-relle », elle englobera, d’une part, un article consacré authéâtre coréen, passant en revue les spectacles les plus intéressants qui sont venus en France ces dernières années,jusqu’à la tournée de « Rhinocéros » (mis en scène parAlain Timar avec des comédiens coréens, 7 représenta-tions dans 6 villes française) qui vient de connaître, ennovembre dernier, une belle réussite. Et, d’autre part, un

second article faisant un tour d’horizon des grands succèsactuels de la scène artistique séoulite particulièrement foisonnante.

Enfin, lors de son magnifique concert en France au Divandu Monde (le 5 décembre dernier), nous avons profité de l’occasion pour vous offrir une interview du grand chanteur-rocker coréen Kang San-Eh.

J’espère vivement que le sommaire de ce numéro, plutôtvarié, vous plaira. Et qu’il vous permettra de découvrirquelques nouvelles facettes de la culture de notre pays.

Je profite aussi de l’occasion qui m’est donnée pour vousadresser à tous mes meilleurs vœux pour cette nouvelleannée 2013 qui s’annonce riche en événements culturels.

Bien amicalement, en vous souhaitant bonne lecture !

Chers amis,

LEE Jong-Soo

Directeur de la publication

NDLR : Depuis ses débuts, « Culture Coréenne », qui a pour vocation de faire mieux connaître en France la Corée et sa culture, s’attache à

l’expression de la diversité des regards et opinions. C’est ainsi que nous publions aussi dans nos colonnes, afin que notre revue demeure un

espace de liberté et de dialogue, des articles dont la teneur ne correspond pas toujours à notre sensibilité éditoriale et à nos points de vue.

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Un des stéréotypes occidentaux les plus mar-quants concernant la femme asiatique est sapropension à la soumission. Ce stéréotypes’applique-t-il aussi à la femme coréenne ? Lafemme coréenne est-elle soumise ? L’a-t-elletoujours été  ? De quelle façon  ? A queldegré ? L’est-elle encore aujourd’hui ? C’estce que nous allons voir en abordant le passéet le présent et en donnant des exemplesconcrets de comportements, l’objectif étantde chasser quelques malentendus.

La femme dans la Corée ancienne

On aurait tendance à penser que plus on remonte dans l’histoire de la Corée, plus ona de chance d’y découvrir une femme sou-mise, reléguée dans une position sociale d’in-fériorité par rapport à l’homme. Un regardsur l’histoire de ce pays nous apprend quel’évolution ne s’est pas faite dans ce sens. Onconstate qu’à l’époque des Trois Royaumes(samguksidae1, 1er siècle avant J.-C. – 7e siè-cle) ou de Silla (7e-10e siècle), on accordaitune plus grande reconnaissance à la femmeque sous la dynastie Joseon (14e – 20e siècle).L’accès au trône, par exemple, n’était pas leprivilège exclusif des hommes. Le royaumeSilla (668-935) eut ainsi trois monarquesfemmes : Seondeok (règne : 632-646), Jindeok(règne : 647-653) et Jinseong (règne : 888-897). La reine Seondeok fait partie des grandsnoms de l’histoire de ce royaume. Le Samguk-sagi (Chroniques des Trois Royaumes) fait étatde son influence et de son goût pour lessciences. C’est sous son règne, en 646, que futérigé à Gyeongju, capitale du royaume Silla,le premier grand observatoire astronomiqued’Asie (Cheomseongdae).

Autre signe d’une certaine égalité de traite-ment existant à cette époque : les taxes, quiauraient été payées à la fois par les hommeset les femmes. La possibilité de remariage

pour les femmes (jaega) est de même un élé-ment révélateur d’un certain pragmatismedans la société coréenne ancienne jouant enfaveur des femmes.

Pareillement, on constate qu’à l’époque Go-ryeo (918-1392), la femme bénéficiait dedroits dont elle fut ensuite dépourvue. Ledroit de succession (sangsokgwon), par exem-ple, l’autorisait à hériter au même titre que sesfrères de sang. Son statut social était ainsi plusélevé et sa liberté plus grande que sous la dy-nastie qui suivra, la dynastie Joseon des Yi.

L’influence du bouddhisme

Une des raisons à cela peut être trouvée dansl’influence du bouddhisme (religion d’Etatsous la dynastie Goryeo), qui acceptait uneplus grande souplesse de mœurs que ne le fitle confucianisme à sa suite. En effet, le boud-dhisme n’imposait pas comme valeur cardi-nale le respect des hiérarchies. Il mettaitl’accent sur le détachement face à un mondecaractérisé par son impermanence (musang).Cette conception philosophique de la vien’empêcha pas, il est vrai, l’attachement desmoines aux biens de ce monde et joua en ladéfaveur du clergé bouddhiste qui, frappéd’une corruption envahissante, dut céder laplace aux lettrés confucéens.

L’arrivée du néo-confucianisme

L’arrivée au pouvoir, en 1392, de Yi Seong-gye, fondateur de la dynastie Joseon des Yi,va sonner non seulement la fin de la puissancede ce clergé bouddhique mais aussi la fin desprivilèges accordés jusqu’ici aux femmes. Trèsvite, en effet, les lettrés néo-confucéens lesconfineront à l’intérieur des maisons, leur in-terdiront de s’exposer au regard des hommes,leur imposeront le port d’un vêtement ca-chant leur visage. Ils obligeront les femmesdes classes supérieures à se déplacer dans despalanquins, à l’abri du regard du commun desmortels. Ils feront de la femme un être sou-mis, comme le montre le Gyeonggukdaejeon(Code général du royaume).

L’expression namjonyeobi, qui décrit le statutde l’homme par rapport à la femme, est lim-pide. Elle pose sans ambages la supériorité dusexe masculin (qui est à « respecter », nam-jon) sur le sexe féminin (qui est à « dédai-gner  », yeobi ). On peut la traduire demanière euphémique par « prédominance del’homme sur la femme ». Elle révèle un étatde fait qui s’imposa avec l’adoption, à la findu 14e siècle, du néo-confucianisme commereligion d’État et conduisit à une affirmationofficielle et légiste de l’autorité mâle sur la

Dossier spécial

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La femme coréenne d’hier et d’aujourd’huiÉvolution du rôle et du statut de la femme en Corée

Par Martine PROSTProfesseur, ancienne directrice de l’Institut des études coréennes au Collège de France

On peut trouver cela démodé de rester entre femmes. Ce qui est sûr, c’est que les Coréennes n'ont pas besoin des hommes pour rire !

1Le système de transcription utilisé dans cet article est le système MacCune-Reischauer.

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gent féminine. Si le confucianisme, tel queconçu en Chine par Confucius (Kong Tseu)cinq siècles avant notre ère, avait pour viséed’établir une harmonie à tous les niveaux dela société en développant chez l’individu lesens du « ren » (bienveillance), l’utilisationfaite par la classe des lettrés (yangban) despréceptes d’éthique néo-confucéenne fit basculer la relation de complémentarité qui se devait d’exister entre homme et femmevers une relation de dépendance, puis de soumission.

C’est ainsi que, sous la dynastie Yi, la femmedevait totale obéissance à son mari. Si la sou-mission s’était arrêtée là, les femmes auraientmoins souffert mais il faut savoir que, entrele 16e siècle et le milieu du 20e, la femme co-réenne se trouvait sous la dépendance incon-ditionnelle non uniquement de son marimais de plusieurs maîtres : elle dépendait deson père dans un premier temps, de son mariensuite, puis de son fils aîné. Et quand bienmême le premier fils venait à disparaître, il setrouvait toujours un second fils ou un onclepour le remplacer dans le rôle de chef de famille (hoju). Ainsi, vivait-elle soumise depuis sa naissance jusqu’à sa mort. On appelle cet état de dépendance  samjong jiui ,c’est-à-dire « une position » (jiui) de « tripletutelle »(samjong)

La femme « ansaram »

A cette soumission d’ordre statutaire et morals’ajoute la réclusion. Dans le milieu conjugaloù elle est « transplantée », la jeune femmese trouve recluse à l’intérieur de la maison.Elle devient de fait ansaram (personne de l’in-térieur) par opposition au bakkatsaram  (per-sonne de l’extérieur) qu’est le mari. Pourtant,il ne faudrait pas penser que toutes lesfemmes étaient séquestrées. Il y avait des exceptions, à commencer par celle desfemmes des milieux populaires pour les-quelles les règles excessivement strictes de lavie confucéenne étaient tout simplementinapplicables et donc inappliquées. Prenonsl’exemple de l’obligation d’isolement. Il eutfallu que les habitations permettent une division de l’espace en deux parties distinctes,celle attribuée aux hommes et celle réservéeaux femmes, pour que cet isolement soit possible. Cela n’était réalisable que dans lesmilieux aisés. Dans les campagnes où lesfemmes participaient aux travaux agricoles, leprincipe confucéen de séparation des sexes

n’était qu’inégalement suivi. Il en va de même pour le milieu des marchands où lesfemmes étaient « dehors » pour seconder leshommes.

Le droit à l’érudition

Il est un autre droit que le confucianisme réservait aux hommes : le droit à l’érudition.Mais là encore, il semble qu’il y ait eu un décalage entre théorie et pratique et que les femmes des classes supérieures soient parvenues à aménager la réalité de manière à ne pas tomber dans l’illettrisme. Certes,elles ne pouvaient pas, à l’instar des hommes,fréquenter les écoles publiques ou privéesmais les femmes de yangban s’éduquaient par elles-mêmes. L’expression coréenne eokkeneomeoro qui signifie « en se penchantpar-dessus l’épaule  » (sous-entendu deshommes de la maison) fait référence à unmode d’instruction que les femmes s’oc-troyaient en secret. Elles le faisaient parcequ’elles étaient conscientes que c’était par cebiais qu’elles pouvaient indirectement asseoirleur autorité d’épouse et de mère et participerà la réussite sociale de leur famille.

A cette éducation « à la sauvette », il nousfaut ajouter celle qui existait de fait dans lesplus grandes familles de lettrés. Dans ce mi-lieu, savoir broder, peindre et réciter de lapoésie (les trois arts féminins) ne suffisait pas.Les jeunes filles étudiaient les classiques chi-nois. Plus elles montraient des facilités pourl’étude, plus elles pouvaient espérer recevoirune éducation poussée. Sin Saimdang (1504-1551) est l’exemple parfait. Formée par sonpère, elle s’adonna à l’étude de la calligraphie,devint peintre et s’occupa d’éduquer elle-même son fils. Elle fit de lui un grand lettré,le plus grand néo-confucéen qu’ait connu laCorée, Yi I (1536-1584, alias Yulgok, rival deYi Hwang, 1501-1570, alias Toegye).

Une autre femme très connue pour son savoirlivresque et ses talents littéraires est HeoNanseolheon. Sœur de Heo Gyun (1569-1618), un des grands noms de la littératurecoréenne, Nanseolheon fut écrivain. Ellesymbolise le genre même des femmes lettréesqui, du fait de leur intelligence, ont souffertde la rigidité du système confucéen qui leurinterdisait d’être trop talentueuses. Nanseol-heon aurait dit regretter de ne pas être néehomme. Peut-être a-t-elle rêvé en secret d’êtrekisaeng (courtisane) ? Puisque les seules

femmes qui pouvaient se permettre de rivali-ser avec les hommes étaient précisément leskisaeng. Et encore pas toutes ! Seules cellesqui faisaient partie des courtisanes de pre-mière catégorie (ilpae) comme Hwang Jin-i(1506-1544). Le talent de cette courtisanepoétesse est tel qu’un des sijo (poème court)que la majorité des anthologies de poésie luiattribue a été considéré comme ayant pu êtreécrit par le roi Seongjong. Etre d’exceptionpar sa beauté et son talent littéraire, elle étaitau plus haut de la pyramide sur le plan de laconsidération, mais en même temps, sur leplan de son statut social, au ban de la société,comme toutes les kisaeng.

La femme coréenne aujourd’hui

Le triple objectif confucéen «  jeune fillechaste, épouse dévouée et mère attentive »était encore de mise en Corée jusqu’au milieudu 20e siècle et même encore dans les années1970-80. Pour garantir sa réalisation, rienn’était laissé au hasard. Chaque comporte-ment était codifié : comment se tenir devantson beau-père, sa belle-mère, un ami aîné deson mari, la femme d’un professeur proche dela famille et plus âgé que le mari, la femmed’un professeur plus jeune que le mari, le filsou la fille de la maison voisine, etc. On estdonc obligé d’admettre que la femme avaitpeu de libertés et beaucoup de devoirs. Qu’enest-il de nos jours ? La démocratisation de laCorée a conduit à une émancipation de lafemme  et juridiquement, la femme est au-jourd’hui l’égale de l’homme. Mais quel estson rôle ? Comment vit-elle ? Qu’est ce qui ladifférencie de nous ?

Concubinage et héritage

Jusque dans les années 1970-80, avoir uneconcubine (chukcheop) était chose courante.L’absence de fils justifiait qu’un homme prîtune ou plusieurs concubines mais, mêmequand leurs épouses légitimes avaient donnénaissance à un fils, les hommes mariés avaientcoutume d’avoir des cheop (concubines). Cesmœurs ont perduré plusieurs décennies aprèsl’interdiction officielle du concubinage en1958. Bien entendu, les femmes ont souffertde cette situation. Bien des romans et filmsont traité ce sujet.

De même, les femmes n’avaient pas le droit àla parole quand il s’agissait d’héritagepuisqu’aucun droit d’héritage ne leur étaitconcédé. La loi favorisait le chef de famille et

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les descendants mâles. Les femmes céliba-taires, ou les veuves, n’héritaient que s’il n’yavait pas de fils dans la famille. Ce n’est qu’en1990 que la Corée adopta le « code civil mo-difié » (Gajeongminbeop) qui redéfinit lesdroits des femmes et leur permit d’hériter.Depuis l’adoption de ce nouveau code, la ré-partition de l’héritage est la même que ce soitl’époux ou l’épouse qui décède avant. Lafemme est enfin traitée à égalité avecl’homme. Elle maîtrise de plus en plus sondestin, alors qu’autrefois elle le subissait. Di-vorcer était inconcevable à l’époque. De nosjours, les femmes malheureuses pour caused’infidélité conjugale, de maltraitance ousimplement de mauvais choix, divorcent. Sileur mari est contre leur séparation, elles lan-cent un procès, avec toutes les chances de leremporter si elles peuvent prouver que leurcas cadre avec une des cinq raisons de divorcereconnues par la loi.

Mères – belles-mères – belles-filles

On évoque souvent en France les conflitsentre belles-mères et gendres. En Corée, c’estla relation belles-mères – belles-filles qui poseproblème. Dans la tradition confucéenne,une belle-fille doit respect et obéissance à sabelle-mère. Beaucoup de femmes ont souffertà cause de l’autorité de leurs belles-mères etdu devoir de soumission qu’elles leur de-vaient. En 1994, pour la première fois, unefemme a remporté le procès qu’elle avait in-tenté à sa belle-mère pour harcèlement (hak-dae). Ce fut un coup porté aux principesconfucéens.

La difficulté des relations belle-mère - belle-fille peut, en partie, expliquer pourquoi, enCorée, une femme mariée a tendance à restertrès proche de sa propre mère, qui joue unrôle régulateur : elle oppose à l’autorité de labelle-mère, la souplesse de la « vraie » mère,tendre et complaisante, qui va continuer àchoyer son enfant même après le mariage parcompassion pour elle. Il est frappant, en effet,de voir à quel point une mère coréenne conti-nue à dorloter sa fille même après son ma-riage, lui offrir des vêtements, lui donner del’argent, s’occuper de ses enfants, faire de la cuisine…tant elle se sent impliquée dans la nécessité d’alléger la tâche quotidienne deson enfant et dans le plaisir de pouvoir exer-cer ses talents de grand-maman attentive etentreprenante.

Mais les jeunes générations commencent àchanger. Les femmes ne vivent plus avec leursbelles-mères, le système des daegajok (plu-sieurs générations sous un même toit) ayantdisparu. Elles créent plus de distance entreelles et leurs belles familles. Elles demandentaussi à leurs maris d’être plus équitables avecelles et d’être plus présents. Elles réclament lacréation de crèches pour avoir moins à dépen-dre de leur belle famille dans la garde des en-fants. On est toutefois loin du compte. Mêmeà Seoul, il y a très peu de crèches et c’est là unedes revendications fréquentes des femmes.

Garder son nom de jeune fille

Si vous examinez le badge porté par une em-ployée de banque, ou le nom inscrit sur laporte du bureau d’une professeur, vous verrezdes noms qui correspondent à des noms dejeune-fille. Mais attention ! Ne croyez pas àtrop de libéralité. La femme garde son nomde jeune fille, certes. Mais, dans la vie cou-rante, elle n’est pas appelée par son nom maispar le prénom de son enfant suivi du moteomma (maman) ou eomeoni (mère). Elle est« mère de Pierre », de Paul ou Marie. Le sys-tème de hojuje (notion proche du patriarcat)l’a longtemps désavantagée. La législation relative à l’enregistrement des noms de famille(Gajokgwangyedeungrokbeop) n’a changé quetrès récemment. Les femmes divorcées et remariées peuvent, depuis 2008, faire recon-

naître leurs droits et ceux des enfants qu’ellesont eus d’un premier mariage. Dans le cadrede la législation précédente, les enfants d’unepremière alliance ne pouvaient pas prendre lenom de leur mère ou de leur nouveau père etse voyaient contraints de conserver celui deleur père géniteur. Cela paraît un détail maisc’est là un exemple parmi bien d’autres quimontre que la société coréenne change ets’adapte aux demandes d’un monde plus démocratique et plus respectueux des droitsde la femme.

Discrimination dans les salaires

De plus en plus de femmes travaillent. La législation du travail s’est beaucoup amélio-rée, intégrant des mesures décisives en faveurdes femmes, comme le droit aux congés dematernité payés, qui autorise un arrêt de travail de 90 jours. De manière générale, lessyndicats d’ouvriers sont très actifs en Coréeet les lois sociales changent sous l’effet de lamondialisation. Entre sa date de création, en1953, et 1990, le code du travail (Geullogi-junbeop) a été révisé onze fois afin de garantirde meilleures conditions d’emploi et de tra-vail aux hommes comme aux femmes. En1983, la Corée du Sud a, de surcroît, signé letraité pour l’abolition de la discrimination en-vers les femmes, proposé par les Nations-Unies en 1979. Ce traité prévoit, entre autres,l’égalité de salaire pour les deux sexes. Donc,en théorie, à niveau égal de compétences, lesfemmes sont aussi bien payées que leshommes. Le problème est que certaines en-treprises continuent à pratiquer des diffé-rences dans les salaires. La Corée est le paysde l’OCDE qui paie le plus mal ses femmes.

Le devoir de réserve de la femme coréenne

Les Coréennes sont-elles des femmes sou-mises ? Bon nombre d’Occidentaux croientvoir une grande docilité dans leurs compor-tements par rapport aux femmes françaises !Et pourtant, il n’est pas un homme françaisqui, ayant «  pratiqué  » une compagne coréenne au quotidien, ne vous confie qu’ilfaut se méfier des apparences. Une des cléspour expliquer ce décalage entre décor et envers du décor est à trouver dans les varia-tions comportementales induites par la distinction entre sphère publique et sphèreprivée encore très marquée dans la société coréenne d’aujourd’hui.

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Calligraphe, peintre, écrivaine et poète, Sin Saimdang(1504 – 1551) fit de son fils un des plus grands lettrésnéo-confucéens, Yi I alias Yulgok.

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La femme coréenne a un devoir de réservedans la sphère publique. Elle n’est pas censéecontredire ses aînés et certainement pas sonmari. Les femmes laissent le plus souventleurs époux parler sans les interrompre, mêmesi elles ne sont pas toujours d’accord. C’est làune tradition confucéenne qu’elles conti-nuent en général à respecter. Mais pourquoicela ? Parce qu’une femme qui s’exprime tropn’en tire pas beaucoup d’avantages. Leshommes sont les premiers à savoir que lesfemmes coréennes sont particulièrement in-telligentes et ils voient dans l’effacementqu’elles peuvent montrer une marque d’intel-ligence. Ce qu’ils reprochent aux femmestrop directes, trop bavardes, c’est de manquerd’éducation, de laisser paraître dans la sphèrepublique des attitudes qui relèvent de lasphère intime.

Les libertés des femmes

En compensation de la réserve qu’elle doitrespecter à l’extérieur, la femme coréenne bé-néficie d’un grand pouvoir à l’intérieur ducercle familial. Il n’est pas apparent à l’œil numais il est réel. Au foyer, la femme est toutepuissante. Elle gère seule le budget familialen fonction de priorités qu’elle établit elle-même. En France, par souci d’équité, lesfemmes doivent, elles, composer avec leursconjoints. Leur liberté d’action est plus limi-tée. En Corée du Sud, l’achat du logement oùla famille vivra, le choix de l’école publiqueou privée où seront scolarisés les enfants,l’épargne qui sera réalisée chaque mois, levoyage en Europe ou en Chine, prévu dansun an ou deux, l’accueil à la maison d’unneveu revenu de l’étranger… autant de déci-sions prises par la femme sans nécessité d’enréférer à l’homme. La maîtresse de maisonfait comme elle l’entend (alaseo handa) et unmari «  intelligent  » ne s’oppose pas à seschoix. Dans la sphère privée, les rôles sontdonc inversés : de femme soumise, la femmedevient femme leader. Sauf quand elle setrouve « piégée » mais nous laisserons decôté les cas de violences conjugales. Nousaborderons la question des relations conju-gales plus paisiblement à partir de deux exem-ples de la vie de tous les jours.

Premier exemple : une femme coréenne ser-vant une boisson à son mari ne lui demanderapas ce qu’il veut boire, elle lui servira ce qu’elleveut. Elle décidera en fonction de ce qu’elle a,

de la saison, de ce qu’il est préférable qu’ilprenne…Comme la société est plus homo-gène que chez nous et que les goûts sontmoins individualisés, cela ne pose pas de pro-blème. Sous un aspect d’autoritarisme, on dé-couvre une réelle connaissance de l’autre et deses besoins. A quoi s’ajoute une acceptationdes choses de la part du mari. Celui-ci auraitpeut-être préféré un café. Pas grave ! Il accep-tera un thé au ginseng ou un yulmucha (théd’agrume) car il fait confiance au choix de sonépouse. Pas besoin de palabres, pas de criseautour d’un petit rien. Qu’importe si dans laculture occidentale, on juge cela comme unmanque de respect des goûts de l’autre.Qu’importe si on pense que la femme restesoumise à l’homme puisqu’elle le sert. C’estson devoir d’épouse et c’est en s’y soumettant,qu’elle pourra obtenir ce qu’elle veut de sonmari sur d’autres plans.

Second exemple : une femme interrogée parson mari sur ce qu’elle a fait dans l’après-midin’est pas obligée de lui répondre. Un simple« geunyang » (rien de spécial) ou « bappa-seo » (j’ai été occupée) ou encore «  Jeogigatta watseo » (je suis allée quelque part),sans prendre la peine de préciser ce « quelquepart », fera l’affaire. Ne pas donner d’explica-tion précise n’aura pas d’incidence particu-lière vu que cela fait partie des droits de lafemme d’organiser sa vie privée comme ellel’entend. La seule restriction est que ce qu’ellefait ne doit pas porter préjudice à son mari.Or, il n’y a que deux choses qui puissent luiporter préjudice aux yeux des autres : qu’ellele trompe ou qu’elle délaisse l’éducation de sesenfants. Ces deux obligations respectées, lesfemmes coréennes peuvent tout faire. Passertoute la journée au gymnase club ou au sauna,jouer au tennis, au golf, sortir avec des amies,manger ou faire la sieste tout l’après-midi,tout est autorisé. Vues sous cet angle, lesfemmes jouissent d’une grande liberté et enprofitent. Il semblerait qu’un équilibre ait ététrouvé entre leurs devoirs et leurs droits.

Les femmes entre elles

Un mot sur les relations hommes/femmes endehors de la cellule familiale. Nous avons ten-dance à nous étonner de voir que, bien sou-vent, les hommes et les femmes font bande àpart et à trouver cela triste. Cette séparationest encore inscrite dans le fonctionnement dela société coréenne d’aujourd’hui, non pas

parce que les femmes des jeunes générationsne côtoient pas les hommes (elles sont quo-tidiennement en contact avec eux au travail)mais parce que les interactions à l’intérieurd’un groupe mixte se font essentiellementavec les partenaires du même sexe. Les Co-réennes peuvent se passer des hommes. Lesfemmes parlent entre elles, rient entre elles,voyagent entre elles, bien trop contentes dene pas avoir leurs maris, ce qui les obligeraità «utiliser leurs nerfs » pour traduire littéra-lement la phrase singyeong sseoya handa quisignifie « faire en sorte que tout se passebien ». Même si le cours des choses est entrain de changer radicalement, dans une réu-nion, une soirée ou à une table de restaurant,les femmes se regroupent entre elles, laissantles hommes entre eux. On peut trouver celadémodé. La vraie question n’est peut-être paslà. Quels avantages les femmes retirent-t-ellesdu fait d’évoluer dans un milieu à dominanteféminine ?  C’est cette question que l’on doitse poser. En Corée, être entre femmes n’estpas synonyme d’ennui ou de manque. Plusque dans notre société, on appartient d’abordà un genre sexué, homme ou femme, et en se-cond lieu au genre humain. Cela est vrai aussien Occident mais une femme jouera plus fa-cilement sur sa double, voire triple, « appar-tenance psychosociologique  »  : elle serafemme à certains moments, homme à d’autreset asexuée quand cette distinction catégo-rielle n’apporte rien, voire fausse les choses.

Conclusion

Saisir ce qu’est la femme coréenne n’est pasune simple affaire. Nous avons tenté de mon-trer que la femme en Corée est prise entredeux impératifs, celui de se conformer au mo-dèle féminin hérité de la tradition, où sa mis-sion lui est dictée, et celui de s’affirmer entant qu’individu indépendant, où elle setrouve alors seule face à elle-même. Elle estdonc confrontée au dilemme que constituel’obligation d’être ce que l’on veut qu’elle soitet le désir d’être ce qu’elle veut être, entre ledevoir de réserve et le besoin d’affirmation.Si elle adopte la première voie, celle de la sou-mission aux traditions, elle souffrira du malde ne pas pouvoir être elle-même ; si elleadopte la deuxième, celle de la revendicationde ses convictions, elle souffrira du mal de nepas être comme les autres. La femme n’estdonc pas libre d’être libre. Mais un grand pasa été fait puisque, au moins sur le plan légal,la partie est gagnée.

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La femme, dans une société encore patriar-cale comme la Corée, comme tout sujet dedomination et agent de contre-pouvoir,quitte le terrain neutre de l’évidence en de-venant sujet de la littérature pour se doterd’un sens toujours questionnant. La théoriedes cinq relations du néoconfucianisme do-minant prescrit séparation de l’homme etde la femme dans le couple, cette dernièreétant encore maintenant dans ses nomsmêmes définie comme l’être de l’intérieuret du foyer, qui délimitent dans la languel’envergure de ses fonctions sociales. Quelleplace alors pour la femme non mariée, élec-tron libre aberrant dans le passé ? Pour lafemme stérile qui n’aura pas donné de des-cendance  ? Pour la femme moderne quis’aventure « à l’extérieur », dans le domained’activité autrefois réservé à l’homme  ?Quelle place pour l’amour vu comme unionde deux désirs égaux ? Linguistiquement,socialement, ce sont des figures de trans-gression dont la littérature s’empare pourtémoigner, accuser, défendre. De plus, la lit-térature coréenne est riche en écrivainesmajeures, qui nécessairement reconquiè-rent une voix qui est souvent ôtée à leurscongénères. Ainsi, dès que la femme entreen fiction, elle est toujours un peu hors dudomaine qu’une société machiste entendaitlui réserver, pénétrant, souvent malgré elle,sur le lieu du politique.

La femme dans la littérature pré-moderne

Dans la Corée pré-moderne, il y a quelquesexemples de femmes écrivains, surtout depoétesses comme la célèbre Hwang Jin-i.Leurs œuvres reflètent une sensibilité et untalent propres, dont on s’étonne parce que,justement, la femme sous Joseon n’est pascensée cultiver les lettres, domaine réservéaux hommes comme accès au pouvoir. Maisla femme lettrée, bien souvent, ne quitte pasle domaine réservé de la courtisane, celui del’amour où la femme attend son amant.Cela deviendra même un topos d’une cer-

taine poésie lyrique au XXe siècle où lepoète écrit par la voix d’une femme pourtransmettre le sentiment d’amour. C’est enfait un procédé récurrent de la littératureclassique consistant à instrumentaliser lavoix féminine pour véhiculer un message.Nous avons certes des écrits intimes fémi-nins, comme le journal de Dame Hong1,qui montrent bien combien il était dur denaître femme, quel que soit le milieu. Maisla majorité de la prose de Joseon est écritepar des hommes. A côté de la littératureconsidérée comme sérieuse, parce qu’en chi-nois classique, se développe une littératureen coréen. Histoires édifiantes, anecdotes à portées morales, et des centaines de romanscirculent, dont certains comme l’Histoire deDame Pak, l’Histoire de Suk-hyang ou lepansori/roman Chant de la fidèle Chun-hyang mettent en scène une héroïne fémi-nine. C’est que ces romans, écrits par deshommes, visent principalement les lectricesféminines. Pourtant, ces personnages fémi-nins sont bien décrits du point de vue mas-culin, ils restent des supports de l’idéologiedominante et du rôle traditionnel qu’onleur assigne (vertu, obéissance, fidélité, etmême loyauté, car le régime royal trouve in-térêt à des citoyennes méritantes – il ne fautpas oublier que ce sont les mères qui édu-quent les fils et sont donc d’importantesmédiatrices des valeurs). Chunhyang n’estpas une exception, c’est au contraire le castypique d’une héroïne maltraitée du fait deson origine (enfant naturelle et gisaeng) etde son sexe, et qui n’est rachetée que par sonattitude conformiste aux valeurs domi-nantes. On peut même lire un sadisme trèsmasculin dans les vicissitudes qui lui sontimposées. La croustillante Histoire de ByonGangsoé n’échappe pas à la règle : voici unconte dont l’héroïne est une femme, maisdont le titre est donné à son homme…Femme-gorgone, sans prénom, elle tue sesmaris par simple regard, dans un récit toutentier structuré autour de la castration.

C’est une autre figure récurrente de la psy-ché coréenne, celle de la femme-sangsue, dela goule qui annonce la vamp du XXe siècle.En Corée aussi, l’imaginaire masculin ba-lance entre le fantasme de la maman et celuide la putain…

Les bouleversements de la modernité nerenversent pas que la monarchie et sonidéologie néo-confucianiste. C’est avec ellequ’est remis en question le statut del’homme coréen, qui cherche toujours saplace dans un nouvel ordre social. L’an-cienne séparation des sexes fait place à unclivage nouveau : l’harmonie sociale ances-trale reposait sur une répartition excluantedes rôles, il faut désormais composer avecune nouvelle image du couple, plus fusion-nelle et égalitaire, séparer amour et pres-cription, et surtout partager avec lepartenaire femme, à la maison comme autravail. Cela amène à redéfinir une identitémasculine non plus oppositionnelle, maisdialectique. C’est la tension entre un ima-ginaire fortement imprégné de l’ancienne« sexionalisation » de la société, pour re-prendre un concept lacanien, et les ten-dances sociétales actuelles plus inclusives,qui détermine le clivage contemporainhomme-femme, et structure les différentsvisages de la femme dans la littérature coréenne moderne.

Cristallisation des thématiques

Les premières générations d’écrivains duXXe siècle vont surtout noter le sort cruelet amer des femmes dans la société co-réenne. C’est la femme soumise, sous-édu-quée, exploitée des nouvelles de ChuYo-sup, Kim Yu-jong, Kim Dong-in, ou en-core dans les romans de Hwang Sun-won,qui crée de magistraux caractères féminins.Komnyo, la paysanne de la Petite Oursemontée de force à la ville et qui sombredans la prostitution, est un exemple typiquede la dénonciation de l’exploitation sexuelledes femmes par des hommes usant de leur

Par Benjamin JOINAUDirecteur de l'Atelier des Cahiers

Dossier spécial

La femme dans la littérature coréenne

1 Pour les ouvrages cités, nous renvoyons à notre bibliographie. Nous nous sommes efforcés de ne citer que des ouvrages traduits en français.

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force et de leur accès privilégié au savoir etaux ressources. Hwang Sun-won dresseaussi des portraits d’héroïnes qui vont devenir des archétypes récurrents dans lafiction moderne et qui réunissent des qua-lités autrefois réservées aux hommes  :comme Ojang-nyeo des Descendants deCaïn, un personnage décidé qui prend enmain son destin, en total contraste avec lenouveau type d’anti-héros masculin symbo-lisé par son amant Hun, faible, indécis,veule, incarnant toutes les contradictionshandicapantes de l’homme coréen prisentre tradition et modernité. On remar-quera enfin qu’en sous-texte, chez Hwangcomme chez d’autres, le sort de la femme estscellé par sa condition originelle, mais aussidéterminé par l’Histoire, et souvent le des-tin de ces personnages aura valeur d’allégo-rie et se confondra avec celui du pays. Aprèsla libération, la sexionalisation atteint eneffet la péninsule avec la partition Nord-Sud. Dès ces premières générations, on peutdonc dire que les thématiques sont mises enplace, que les générations suivantes, comp-tant enfin des écrivaines prolixes et impor-tantes, vont amplifier sans les transformerprofondément.

Les trois variations du clivagehomme/femme

1) L'homme dominateur vs la femme victime

Le clivage homme-femme s’exprime ainsiselon trois grandes variations. La premièreoppose l’homme bestial à la femme faiblequi lui est soumise. Il y a bien sûr la violenceconjugale qui sort de son placard domes-tique et refoulé, comme dans la poignantenouvelle «  La Philosophie de son bou-doir » (in Cocktail sugar). La prostitutionest un autre versant de cette violence virilequi soumet le corps dépendant de lafemme, et ce thème traverse la littératurecontemporaine, soit sous la forme d’unelongue fresque historique comme ShimChong, fille vendue, qui réactive un vieuxconte/pansori, soit sous la forme de nou-velles ironiques comme « Madame » (inImpressions papier hanji) qui décrit l’universconsenti et consumériste des room-salons,soit, plus rarement, dans ses implicationsréelles tels qu’avortements et maladies,comme dans Trois jours en automne. La

combinaison de la violence virile et de l’ex-ploitation sexuelle trouve son expressiondans le viol, qui devient événement origi-naire de bien des récits : Trois jours en au-tomne encore, où le viol détermine la haineque voue et applique la narratrice, non auxhommes, mais aux femmes enceintes dans

son travail d’avorteuse ; l’angoisse du viol desa fille pour la «  Femme à la recherched’une illusion » ; ou encore le viol pédo-phile de la « Voleuse de fraises » (in Im-pressions papier hanji) qui déclenche unepsychose de vengeance.

2) Super-ajuma vs anti-héros masculin

Dans cette nouvelle justement est dressé unportrait-robot de l’anti-héros masculin àtravers le personnage du dernier amant.Veule, paresseux, violent, inique, il renverseà son avantage les propositions féministes,clamant qu’il n’aide pas sa compagne dansles tâches ménagères afin de ne pas la frus-trer dans sa source d’épanouissement fémi-nin, «  un droit fondamental  »  ! Cethomme-là, qui trompe sa femme et la bat,pas toujours un mauvais bougre, mais unfieffé égoïste, on le retrouve en fil rouge

dans la littérature coréenne contemporaine,du parasite du « Couteau de ma mère » enpassant par les pères démissionnaires et lesmaris absents de « La Beauté me dédaigne »,«  Chiens au soleil couchant  », «  Dou-blage », (tous dans Cocktail sugar), « Mafemme évanescente » (in Les Boîtes de ma

femme), « Cours, papa ! » (in Séoul, vite,vite !) ou Prends soin de maman. On peutaussi évoquer dans le même registre le frèreambigu des Piquets de ma mère et de Hors lesmurs, celui trop médiocre de « Une auto-biographie féminine  » (in Séoul, vite,vite !)… Face à ce anti-héros, se dessine enantithèse la figure emblématique del’ajuma, toute de force, de détermination etd’abnégation. On pense bien sûr au superbeportrait de la mère patronne d’une gargotedu « Couteau de ma mère », qui finit partrouver dans son couteau de cuisine commeun substitut à son mari joueur et volage.Une autre figure-clé est la mère de la narra-trice dans Hors les murs : elle n’a de cesse desouhaiter pour sa fille qu’elle devienne une«  femme moderne  », concept pétri decontradictions comme elle. La mère, icicomme chez Shin Kyung-sook par exem-

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ple, projette ses propres désirs frustrés surses enfants, devenant une nouvelle figured’oppression et de contrôle. Ce désir re-porté et imposé, médiatisé par le sacrificematernel, impose aux rejetons un sentimentde culpabilité étouffant  : on remarquera que c’est bien le sentiment qui traverse de

part en part le best-seller Prends soin demaman, où les personnages se demandentpardon mutuellement page après page. Parailleurs, on notera que, très judicieusement,la mère des Piquets déclare à sa fille : « Siton frère réussit, c’est toute la famille quis’en sortira. Mais toi, si tu travailles beau-coup et deviens une femme moderne, tupourras t’épanouir. », relevant ce paradoxeque le rôle central de l’homme lui confèredes responsabilités qui souvent l’écrasent,alors que la femme peut trouver des frangesd’épanouissement si elle sait s’affranchir.D’ailleurs, la narratrice, dans cette re-cherche de la « modernité », trouvera, plusque sa féminité, le chemin de l’écriture…Car la femme est non seulement un thème,mais aussi un catalyseur de narration. Ce-pendant, le prix de cette liberté est onéreux.Comme avec la prostitution dans Shim

Chong, le corps de la femme peut à la foisl’aliéner au désir de l’homme tout en étantgage de son autonomie. Pour beaucoup defemmes, le prix à payer est celui de la soli-tude, et la littérature regorge de ces femmesesseulées, désespérées  : la femme que laréussite matérielle n’éloigne pas du suicidedans Poétique de la soif, ou de manière plustragi-comique, la vieille fille solitaire et ai-grie de « Premières neiges » (in Cocktailsugar), etc. Il y a enfin celles qui ont sombrédans la folie, et se sont transformées enmantes religieuses comme la voleuse defraises, réactivant une vieille figure de l’ima-ginaire que l’on avait croisée dans ByonGangsoé. Avec elles, le anti-héros finit parsusciter de la sympathie, trouvant uneforme de rédemption… L’ajuma pétrie deforce et de solitude est bien une figure« chamanique », l’expression d’un contre-pouvoir pré- ou anti-confucianiste, maisc’est plus un contre-exemple qu’un mo-dèle – car cette figure de sacrifice et d’op-pression fascine autant qu’elle effraye. C’estainsi que l’on pourrait lire Prends soin demaman, qui, tout en se présentant commeun apologue de la figure de la mère, estavant tout l’histoire d’une disparition : pastant celle du personnage de la mère, que dela mère traditionnelle comme personnagede roman et figure de la société moderne,qui refuse de plus en plus ses contradictionset ses prescriptions castratrices. Malgré elle,Shin Kyung-sook enregistre la disparitionsymbolique de cette « figure de pathos »(expression de la critique Jung Yeo-ul)qu’est la mater dolorosa du sacrifice. A pro-pos de ce roman, on a pu parler en Coréed’un « syndrome de la mère », qui, mettanten avant l’aporie du système patriarcal, prô-nerait un néo-matriarcat, où la figure tuté-laire de la mère se révèle comme le derniergiron, l’ultime refuge d’une société transiepar la crise de l’hyper-modernité. Pourtant,même Shin note que la mère elle-même abesoin, non seulement de reconnaissancecomme personne, mais aussi d’une mère –soulevant l’aporie de la maternité, décidé-ment figure ambivalente. Et l’adéquationfréquente femme = mère = famille, où lamère est le garant d’un certain tropismed’ascension sociale centré autour de la fa-mille (la réussite et la réalisation par et pourla famille), n’est-elle pas finalement très

conservatrice  ? Alors qu’elle semble augurer d’un nouveau matriarcat, elleconfirme en fait l’ordre ancien où la femmeest surtout et d’abord définie par sa fonc-tion maternelle et reproduit les hiérarchies.A partir de la fin des années 2000, semblese dessiner une nouvelle possibilité, unemère-amie, qui accepte son rôle dans lagaieté et avec une certaine distance épa-nouissante, comme dans la nouvelle-clé« Cours, papa ! ». Le père absent, qui tou-jours court dans l’imaginaire de sa fille sanssavoir où il va, terrible allégorie de la Coréecontemporaine, ne constitue plus unesource de rancœur autodestructrice pour leshéroïnes, qui assument plutôt bien leurabandon et n’ont plus besoin de l’hommepour se définir. Exemple cependant bienrare encore…

3) L'équation impossible du couple

La troisième variation de notre oppositions’exprime dans le couple moderne vucomme une équation impossible. Peut-êtrequ’un des exemples les plus marquants se litdans la nouvelle éponyme du recueil « LesBoîtes de ma femme », où une femme in-satisfaite et incomprise, frappée de stérilité,sombre peu à peu dans l’isolement et lafolie, sous le regard désemparé de son mariaimant mais impuissant. D’autres nouvellesde Eun Hee-kyung traitent du même sujetet font un constat terrible de l’échec du cou-ple et de l’incommunicabilité, comme lanouvelle déjà citée «  Ma femme évanes-cente », où la seule approche par le mari dela vie intérieure de son épouse est faite parla lecture de son journal intime. C’est d’ail-leurs aussi sur ce constat que se clôt ShimChong, fille vendue, l’héroïne sur son lit demort racontant une ultime parabole sur« la futilité de la vie conjugale et la vanitédu lien qui unit l’homme à la femme ». Onne pourrait en attendre autrement d’unefemme vendue et prostituée, séparée par lavie des rares hommes qu’elle a aimés… Lesexe est bien ce qui unit, et aussi séparel’homme et la femme, et pas uniquementsous le rapport du viol et de l’exploitation.Le désir croissant d’indépendance et d’in-dividualisme pousse à une recherche deplaisir et d’épanouissement personnel quiconduit souvent à considérer le couplecomme un carcan trop étriqué, trop désin-

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carné. Hommes et femmes rentrent doncdans la ronde des tromperies et coucheries,comme dans la drolatique et tragique nou-velle « Cocktail sugar ». Un stick de sucrecandie passe de main en main, avec cette recommandation : « c’est comme un pointd’exclamation : savoure simplement sa dou-ceur, n’en fais pas un point d’interrogationtrop grave ». Mais le plaisir physique sansamour et la relation extraconjugale décom-plexée sont des jeux dangereux où se brû-lent les protagonistes, comme à la fin decette nouvelle. De même que la ShimChong de Hwang Sok-yong, les héroïnessont souvent prises entre un sentimentd’aliénation où leur corps est traité commeun accessoire, et le sentiment que ce dernierleur donne un pouvoir et une indépen-dance vis-à-vis des hommes… Certainesécrivaines comme Jung Ji-hyun n’hésitentpas à critiquer la femme comme agent del’accumulation domestique des richesses etcomplice de la société néolibérale, où lecorps et l’amour ne sont que des biens deconsommation. Alors les femmes ne fontque véhiculer des désirs hérités d’une so-ciété machiste, des désirs aliénés et alié-nants. Quelques textes plus récents, nontraduits encore, semblent cependant indi-quer qu’il y aurait une nouvelle tendancecherchant à annuler ce constat pessimisteoù l’homme continue à être envisagé dansson altérité antagonique, pour restaurer, parl’amour, une altérité complémentaire. Ré-conciliation ou renonciation ?

La femme comme figure allégoriquedans le roman historique

Il faut encore mentionner une tendancepersistante à transformer la femme deroman en figure allégorique qui permet auromancier de symboliser le destin tragiquede la nation entrant de force dans la moder-nité occidentalisée à la fin du XIXe siècle.La danseuse Li Chin dans le roman épo-nyme, l’héroïne de Là-bas sans bruit tombeun pétale ou encore Shim Chong déjà évo-quée, nous font penser à des victimes expia-toires malmenées non pas tant parl’Histoire que par le narrateur à des finsapologétiques… Ainsi, ce dernier roman deHwang soulève la question du traitementde la femme dans les œuvres écrites par deshommes. Par qui Shim Chong est-elle vrai-ment violentée, les personnages mâles ou lenarrateur ? Le regard porté sur cette femme,

ses sentiments, sa sensualité, est très mascu-lin. Est-elle jamais autre chose qu’un fantasme d’homme qui se rachète uneconscience féministe pour créer une œuvrebranchée sur les problématiques de sontemps ? Ne retrouve-t-on pas le travers dela littérature classique où la femme commepersonnage était instrumentalisée afin depropager auprès du lectorat, surtout fémi-nin, une certaine image de la femme-mo-dèle  ? Ne peut-on voir des avatars de lavertu confucianiste typiquement masculinedans les personnages de Shim Chong oucelui de la « Chanteuse de p’ansori », où lesentiment de han (rancœur) vient justifierl’art, comme les souffrances infligées auxfemmes... ? Pire encore, quand cela sembleintériorisé par les auteurs femmes elles-mêmes, véhiculant cette sagesse de l’abné-gation et de la patience, comme dans lasuperbe « Sortie hivernale » (in La Chan-teuse de p’ansori) ou la fin inattendue de« la Philosophie de son boudoir » - sansparler de Prends soin de maman qui en serait comme la caricature ?

Conclusion

Ainsi, il y a en Corée une riche littératureécrite par les femmes, mais est-ce assez pourconstituer une littérature féminine portantconscience et contre-valeurs dans une so-ciété patriarcale ? On peut se poser la ques-tion en voyant les conclusions de nombres

d’œuvres, qui après avoir fait un constatsans concession, livrent des épilogues am-bigus où le statu quo, la patience et l’accep-tation semblent prévaloir… La femmecontinue à être un objet en littérature, unobjet de désir, un être-objet littéraire utiliséà des fins démonstratives et apologétiques,qui laisse un tableau assez sombre etbrouillé de la femme coréenne. On y lit,dans le très fort clivage homme-femme re-levé au fil des textes, une nouvelle donne,issue de la modernité et des changementssociaux : l’homme a certes perdu son rôlecentral, mais la femme en gagnant en auto-nomie se perd aussi, dans l’anonymat desgrands ensembles des villes coréennes, dansune solitude croissante, où menacent désil-lusion, folie et suicide… En fait, la femmedans la littérature coréenne, bien qu’omni-présente, continue à y avoir, comme dans lasociété, une place toujours à redéfinir etmenacée, ambivalente. On peut s’inquiéterde ce bilan et de ce qu’il peut refléter desréalités sociétales, de même que l’apologiede l’acceptation relevée dans nombre d’œu-vres, même récentes, peut apparaîtrecomme une aporie qui dépasse la littératureet nie l’avènement d’un néo-matriarcat fan-tasmé comme une salvation…

Propositions bibliographiques :Anonyme. Histoire de Byon Gangsoé. Zulma, 2009.———. Histoire de Dame Pak et Histoire de Suk-Hyang Deux romans coréens du 18e siecle. Asiathèque, 1983.———. Le Chant de la fidèle Chunhyang. Zulma, 2008.

Ch’oe, Yun. Là-bas sans bruit tombe un pétale. Actes Sud, 2000.———. Poétique de la soif. Actes Sud, 1999.

Chu, Yo-sup. La Dame de l’Anémone. Éditions de l’Aube, 2005.

Collectif. Cocktail Sugar et autres nouvelles de Corée. Zulma, 2011.———. La Chanteuse de p’ansori : Prose coréenne contemporaine. Actes Sud, 1999.———. Séoul, vite, vite ! : anthologie de nouvelles coréennes contemporaines. Picquier, 2012.———. Une femme à la recherche d’une illusion et cinq autres nouvelles. Pierre Fanlac, 1980.

Eun, Hee-Kyung. Les Boîtes de ma femme. Zulma, 2009.

Hong, Dame. Mémoires d’une reine de Corée. Picquier, 2002.

Hwang, Sok-Yong. Shim Chong, fille vendue. Zulma, 2010.

Hwang, Sun-won. La Petite Ourse. Serpent à plumes, 1999.———. Les Descendants de Caïn. Zulma, 2002.

Kim, Yu-Jong. Une averse. Zulma, 2000.

Laut, François, éd. Impressions papier hanji. Atelier des Cahiers, 2010.

Oh, Jung-Hi. L’oiseau. Seuil, 2005.

Pak, Kyong-Ni. Les Filles du pharmacien Kim. L’Harmattan, 2000.

Pak, Wan-seo. Hors les murs. Atelier des Cahiers, 2012.———. Le Piquet de ma mère. Actes Sud, 1993.———. Les Piquets de ma mère. Actes Sud, 2005.———. Trois jours en automne. Atelier des cahiers, 2011.

Shin, Kyung-Sook. Li Chin. Picquier, 2010.———. Prends soin de maman. OH Editions, 2011.

Yi, Sông-mi. Raffinement, élégance et vertu : Les femmes coréennes dans les Arts et les Lettres. Autres Temps, 2007.Yun, Hung-gil. La Mousson. Autres temps, 2004.

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Dossier spécial

On pourrait écrire une histoire du cinémacoréen entièrement du point de vue desfemmes. L’histoire d’une apparition. AuXXe siècle, la femme, jusque-là discrète,s’affiche en grand. Projeté sur un écran, soncorps devient géant et domine les foules.Dès les années 1950, les stars seront les pre-mières coréennes à gagner très bien leur vieet à obtenir par là un véritable pouvoir surles hommes. A quelques exceptions près,ces pionnières continuent néanmoins à in-terpréter des héroïnes qui ne leur ressem-

blent guère. Vertueuse, martyre, prosti-tuée... Au cours des années 1960 et 1970,les personnages resteront des stéréotypes.A partir des années 1990, le nouveau ci-néma coréen les retravaille profondément.Voici donc quelques reflets féminins du ci-néma coréen d’hier et d’aujourd’hui.

La femme martyre

La Corée s’est définie comme un pays mar-tyre, victime des invasions ou du sort. Ilétait dès lors logique qu’elle s’identifie à des

personnages féminins, victimes d’une so-ciété patriarcale. Le corps féminin devintainsi l’emblème de la nation. Sous un ré-gime de censure, la représentation du violétait néanmoins tout à fait admise. Parmiles films classiques, Les pommes de terre(Kim Sungok, 1968) confronte l’héroïne àun agresseur japonais. L’allégorie politiquedevient complexe lorsque la paysanne sevend à un chinois. Dans les années 1990,Jang Sun-woo retourne le symbole contrela Corée elle-même. L’héroïne de A Petal( Jang Sun-woo, 1996) assiste au massacrede Kwangju. Devenue folle, elle erre sur lesroutes et sera violée par un ouvrier boiteux.Ecorchant son propre corps avec unepierre, elle devient une incarnation de laCorée victime… de ses propres sévices.

La femme blessée

Si le corps féminin est l’incarnation de lanation, il est logique dans un pays diviséqu’il se trouve amputé. Les plus beaux joursde Yong ja (Kim Hoson, 1975) reste à cetitre exemplaire : une jeune campagnardeest violée par de riches citadins, perd unbras dans un accident d’autobus, se prosti-tue puis épouse un unijambiste. Les acci-dents furent moins graves dans les années1990. Avec Girls Night Out (1998), ImSangsoo signait le grand film de la condi-tion féminine moderne. Une femme enproie à une sexualité complexe se casse lebras dans sa salle de bain en essayantd’apercevoir le reflet de son sexe dans unmiroir. Elle découvre ensuite l’amour au-près d’un homme au bras plâtré…

La prostituée

Les prostituées sont plus complexes que lesvictimes et suscitent autant la fascinationque la pitié. Victimes, elles sont aussi l’in-carnation d’une certaine liberté. Le grandcinéaste des filles de joie fut Im Kwon-taek.

Par Adrien GOMBEAUDCritique de cinéma

Reflets féminins du cinéma coréen

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En 1968, Le Ticket faisait de la prostituéel’emblème du capitalisme industriel, corpsemprisonné dans la loi du marché. Trentequatre ans plus tard, dans Ivre de femme etde peinture, Im retrace le destin d’un pein-tre qui vit entouré de femmes, souvent ta-rifées. Elles ne sont pas des modèles au sensoccidental du terme. Elles ne posent paspour lui mais sont des sources d’inspira-tion. Dans une séquence célèbre, Owônfait l’amour avec une courtisane collée à unparavent qui représente un insecte. Le bas-culement des corps fait vibrer le cadre etrend la figure tremblante : sous nos yeux,le dessin de l’insecte palpite. Prostituée oumère, la femme reste un corps qui donne lavie, à l’enfant ou à l’art. Et Im de mettre enscène deux magnifiques séquences d’accou-chement dans La mère porteuse (1987) etLa pègre (2004).

Dans le grand mouvement de renaissancedu cinéma coréen, Kim Ki-duk sera le ci-néaste le plus fasciné par les figures deprostituées. Dans Birdcage Inn (1998), unejeune étudiante en art échange son identitéavec une prostituée. Samaria (2008) re-prend presque le même dispositif avecdeux lycéennes dont l’une gagne son argentde poche dans les love-hotels. Chez KimKi-duk, les prostituées sont l’emblèmed’une organisation sociale basée sur l’ex-ploitation. Elles illustrent l’idée que la vio-lence physique ou sociale s’exprime d’abordsur les plus faibles. Battue, violée, la femmeest punie. Son crime est d’être vulnérable.Cependant, L’île (2000) dévoile en deuxplans allégoriques un autre aspect. Perdudans les marécages, un homme disparaîtdans un bosquet de roseaux. Vue de trèshaut, une femme nue est allongée dans unebarque remplie d’eau. Une touffe d’herbeflotte à la surface, masquant son sexe. Lafemme cesse d’être victime et devient le re-fuge secret d’hommes perdus, finalementplus faibles qu’elle.

Mère courage

La mère malheureuse et courageuse fut ungrand personnage des années 1950 et1960, notamment chez Sin Sang-ok. Lesscénarios faisaient pleuvoir sur ces femmes,

de façon inexpliquée, une série de mal-heurs divers, dont régulièrement la mortd’un enfant. A la fin de Jusqu’à ce que cettevie s’achève (1960), la mère courageuse lèvele poing et dit que, quelles que soient lesépreuves, elle continuera de se battre«  jusqu’à ce que cette vie s’achève  ». Al’âge moderne, cette figure disparaît sous

sa forme traditionnelle. Dans Secret Suns-hine (2007), une mère voit son fils assas-siné dans une petite ville sans histoire. LeeChang-dong démonte ensuite une évi-dente hypocrisie  : depuis des années, lethème de la mère en souffrance fait pleurerla Corée au cinéma ou à la télé, déclen-chant des élans de compassion. Or ici, lamère victime est laissée seule avec sa dou-leur. Elle ne rencontre, autour d’elle, quedes dos ou au mieux des sourires gênés.Plus récemment (et moins brillamment),de plus jeunes cinéastes réinvestissent lethème de la mère en souffrance. Elle de-vient une figure vengeresse. Les récentsAzooma de Lee Ji-seung et Don’t cry momyde Kim Yong-han proposent des héroïnesqui vengent dans le sang, parfois à la rou-lette de dentiste, les violeurs de leurs en-fants. Elles rejoignent là des personnagesd’amazone, c’est-à-dire de femmes combat-tantes, mises en valeur dans le cinéma deRyu Seung-wan par exemple.

La jeune délurée

Personnage clef de la modernité, la jeunefille délurée, libre dans son corps, a connuplusieurs incarnations depuis les années1980 aussi bien au cinéma qu’à la télé oudans les clips. Toutes aboutissent à celleque campe Jeon Ji-hyeon dans My SassyGirl de Kwak Jae-yong en 2001. Dans lapremière partie, l’actrice paraît enfin inven-ter un personnage féminin totalementnouveau : une fille qui se moque des codessociaux, boit de la bière et porte des che-mises de bûcheron, tout en restant diable-ment féminine. Le film atteint ses limitesdans son épilogue : la jeune fille accepte dese plier aux codes, de porter des talons etde se tenir à distance respectable de la bor-dure du quai lors de l’arrivée du métro. Ellerentre dans une norme traditionnelle déci-dément indépassable.

Conclusion : belles évaporées

Cette liste n’est pas exhaustive. Elle montrecependant comment les changements eu-rent lieu à l’intérieur de certains types depersonnage. Prostituées ou mères courageont toujours existé au cinéma sous diversesformes. Un seul cinéaste a su, tout au longde sa carrière, créer des personnages fémi-nins totalement hors norme : les femmesde Hong Sangsoo ne se rattachent à aucunmodèle fixe. Maîtresses du temps du film,elles décident de l’évolution de la narration,des faits et gestes des hommes. Elles sontsurtout illisibles, évaporées : de La viergemise à nu par ses prétendants (2001) àWoman on the beach (2007), en passant parLa femme est l’avenir de l’homme (2003),leurs pensées et intentions restent secrètes.Leur regard parfois se drape de brumesd’alcool. Saoule, jusqu’à quel point  ? Lesoju rend flou la limite entre ce qu’elles of-frent sous l’effet de l’alcool et ce qu’ellesdonnent volontairement. L’homme necomprendra jamais la nature du désir de lafemme qui s’endort à ses côtés ou quis’évade dans le premier taxi. En catégori-sant les femmes dans des rôles types, peut-être est-ce cette énigme, cette complexité,que le cinéma coréen cherchait à effacerdurant toutes ces années. Sans rien dévoi-ler, seul Hong Sangsoo sut en montrer labeauté.

"La mère porteuse" (1987) d'Im Kwon-taek.

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Le thé en Corée est revenu à la mode. Lephénomène est récent. Il date des années1980. Il reste cependant à l’ombre des mo-nastères bouddhiques – le thé au sens du thévert, et non au sens du thé à la coréenne, quisous le vocable « cha » abrite des infusionslocales, à base d’oranges amères, de jujubes,de fruits et d’herbes aux valeurs bien souventà l’origine purement médicinales. On peutciter, dans l’ordre et dans le désordre : insam-cha (le thé au ginseng), saengangcha (le théau gingembre), yujacha (un thé sucré, à based’une sorte de citron du Sud, , sans oublier leboricha (ou thé d’orge). (1). En fait, le phé-nomène du thé, au sens du thé vert (nokchaou sollokcha), est symptomatique de la pé-riode actuelle, qui voit en Corée une affirma-tion du bouddhisme, au sein de la société, oùil ne représente pourtant que 43% de la population, quand celle-ci compte plus de50% de chrétiens. Il s’inscrit aussi au seind’un monde globalisé qui prône le retour à la nature et l’éternelle jeunesse, mettant engarde contre tous les excès d’une société urbaine et post – industrielle. Longtemps,cependant, dans les années 1970 – 1980, laCorée était l’adepte du café, comme le roiKojong (1864-1906) qui découvrit le breu-vage vers 1900, dans le palais Deoksu, à l’issue de son séjour d’un an dans la légationrusse (1896). C’est le Consul Général, KarlIvanovich Waeber, qui l’initie à cette boissonamère, dont le roi désormais ne pourra plusse passer,(2).

Pourquoi cette situation? Parce que le thé ausens du thé vert est lié très directement aubouddhisme et que celui-ci, pendant près decinq siècles se voit officiellement déclassépar une société où l’idéologie officielle est

vue à l’aune du confucianisme sous la périodeJoseon (1392-1910). Seuls avaient droit decité les boissons coréennes ou encore le café,avec le 20ème s. qui voit lors de la guerre deCorée (1950-1953), l’arrivée massive de soldats étrangers. Pourtant, le thé est unelongue tradition et la culture s’en est mainte-nue dans les plantations au sud de la Corée.Celle-ci renvoie aux rapports entre Chine etCorée et à la diffusion du bouddhisme, desrapports placés aussi sous le signe deséchanges commerciaux comme le rappelle lebateau de Sinan (1323) trouvé au large descôtes coréennes, près du Jeollanam-do. Si laCorée peut se vanter d’avoir joué un rôle nonnégligeable dans la reprise de la culture duthé, dans l’archipel nippon, le paradoxe, tou-tefois, est qu’elle l’a oublié, ou du moins lar-gement négligé, au fil de son histoire récente,avec la dynastie Joseon. Hideyoshi en effet,en 1592, à l’issue de son expédition désas-treuse en Corée, embarque avec ses troupes,qui doivent se replier, bon nombre de potiersqui seront à l’origine de la céramique du théau Japon, une céramique qui suscite tout un cérémonial extrêmement codifié, d’inspira-tion bouddhique, et qui répond à l’idéal desélites civiles et militaires. Témoignent de cepassage d’un savoir-faire ancien, du conti-nent aux îles, les générations d’artisans trèsbien documentées, dans la région d’Hagi oubien de Karatsu (île de Honshu ou deKyushu) – des générations de potiers quivoient de père en fils, et ce au fil des âges, leglissement progressif d’une poterie «  à la coréenne » à une poterie typiquement japo-naise, inspirée de plus en plus vaguement parle souvenirs des modes du continent.

Le plus surprenant, toutefois, est que cette

céramique qui pour les Japonais renvoie à laCorée, Séoul aujourd’hui ne la revendiquepas (3). La tradition s’en est perdue et la cé-ramique du thé apparait désormais intrinsè-quement liée à l’approche japonaise. LaCorée, officiellement confucéenne, s’en esten revanche détournée. D’où des visions par-fois très différentes sur la céramique co-réenne, vue de Séoul ou encore de Tokyo.L’évolution globale, pourtant, montre qu’ily a bien eu rupture, avec l’invasion japonaise,et, par la suite, les incursions mandchoues(1644). Si le début de la période Joseon(15ème – 16ème s.) s’inscrit peu ou prou dansla continuité de la période Goryeo, malgréla volonté officielle d’en prendre le contre-pied, la suite (17ème -18ème s.) témoigne d’autres rêves et d’autres aspirations , et lemodèle chinois se fait alors de plus en plusprésent, avec la diffusion du bleu et blanc etde la porcelaine monochrome. A ces dates,si la tradition du thé s’est maintenue, ce n’estguère que dans les monastères du sud, quiavaient vu la diffusion des premiers céla-dons, à l’exemple des Song, sous la périodeGoryeo (918-1392), là où se trouvaient lesprincipaux ateliers de production et les principaux fours, là où se trouvaient aussi lesplantations de thé. La cérémonie du thé s’estgardée dans les grands monastères boud-dhiques, mais sans jamais, jusqu’à l’époqueactuelle, déborder dans la société des civils,comme au Japon où elle fut érigée au rang de véritable culte, associée à toute une philosophie, une mystique de la vie, une réflexion du monde. En Corée, en revanche,le thé ne connaîtra une large diffusion qu’àla période Goryeo, quand le bouddhismedomine toute la société et fait office d’un

Par Pierre CAMBONConservateur en chef du patrimoine / Musée Guimet

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La Corée et les Coréens

Corée, les monastères du thé

- Avez-vous séjourné en Corée  ?- Non, jamais. Mais j’aime la culture de votre pays.

La Corée doit être un beau pays. Je voudrais m’y rendre un jour.Kenichi Yamamoto, “Le secret du maître de thé”*

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* Paris, Mercure de France, 2012, p. 170

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état dans l’état. Même là, pourtant, sa popu-larité reste toujours marquée à l’aune des traditions bouddhiques, sans donner lieu aumysticisme, quasi existentiel, développé auJapon.

Une culture importée -Au temps du Grand Silla (7ème - 10ème s.) :

C’est au 8ème s. que le thé serait apparu dansla péninsule, en provenance de Chine – lethé de son nom scientifique s’appelle camelliasinensis, et sa production s’implante avec le bouddhisme sous protection royale. Sil’histoire de son introduction reste encoreassez floue, certaines traditions évoquent lerègne du roi Heungdeok comme la consécra-tion officielle de son implantation, quandGyeongju est alors le centre du pouvoir. C’esten 828, sous la troisième année du règne dusouverain, que le thé serait arrivé de la Chinedes Tang dans le royaume Silla. Les premiersarbres à thé sont plantés à cette date, par décision royale, sur les pentes du Jirisan, ausud de la Corée. La connaissance qu’on en atoutefois est sans doute antérieure puisque lemoine Ilyon, dans le Samguk Yusa, qui, àl’époque Goryeo, évoque les contes et les légendes liées à l’introduction du boud-dhisme, mentionne l’épisode qui voit au 7ème

s. les princes Bocheon et Hyomyeong, les filsdu roi Jeongsin, décidés à rompre avec lemonde, et s’en aller dans les Monts Odaesanpour prier le Buddha, en lui faisant des offrandes de thé – soit l’une des six offrandestraditionnelles au Maitre de la Loi, avec lesfleurs, les fruits, l’encens, le riz et les lan-ternes. « Every morning, the two princes drewwater from a mountain stream and made teaoffer to the Buddhas, and in the evening theymeditated on the spiritual world.” (4)

Le récit est à nouveau repris quelques pagesplus loin, sur un mode quasiment identique:“The two princes studied the Scriptures dailyand performed regular Buddhist ceremonies.They also visited various places in the moun-tains where they saw the thousand of Buddhaswho lived there… They worshipped these formsand every morning they drew water from afountain to make tea, which they offered to theten thousand Buddhas.” (5) Cet évènementest situé très explicitement “when Jajang returned from China to Silla” (6). Il peutdonc être daté de façon très précise de l’annéedu retour en Corée du moine Jajang, revenudu continent où il était parti étudier lesgrands textes bouddhiques (643), et ce

même si l’histoire en fait se démarquede manière très directe d’une expé-rience chinoise, puisque les MontsOdaesan, comme le disent bien leurnom, sont techniquement l’écho duWutaishan – soit le reflet d’un boud-dhisme déjà très évolué, un boud-dhisme qui joue des mandala, deschémas déjà ésotériques, qui apparaîttrès lié au « sutra de l’ornementationfleurie » (Avatamsaka sutra) (7). Sousla période du Grand Silla - où le boud-dhisme est une idéologie au service del’état, le thé est donc l’apanage d’uneélite très fermée, un cercle très aristo-cratique, les milieux de la cour et les prochesdu roi, convertis à la nouvelle foi, venue ducontinent, une foi à laquelle ils vont rester fidèles, et ce jusqu’à la fin, à la différence de la Chine qui après 845 se lance dans unepolitique violemment anti – bouddhique, oùvont se multiplier les brimades, les destruc-tions et les persécutions.

Une culture nationale -A l’époque de Goryeo (10ème-14ème s.) :

Si le thé en Corée, au temps du Grand Silla,reste ainsi très longtemps le fait des familiersdu roi et de quelques grands moines, souventformés en Chine, il se répand toutefois dansla population avec l’époque suivante, sous lapériode Goryeo, quand Gaeseong est érigéau rang de capitale. Cette diffusion est dueau poids croissant des monastères dans toutela société. Elle est due aussi à l’apparition detout nouveaux courants au sein même dubouddhisme, et ce dès la fin du Silla – soit lebouddhisme Seon, version coréenne du mou-vement Ch’an en Chine, à l’origine du Zenjaponais. Cette école de la méditation entendse démarquer de l’étude de la seule doctrineet d’une pratique souvent ritualisée, créant aucœur du bouddhisme en Corée une diver-gence de sensibilité entre les mouvements quis’y réfèrent très explicitement (l’école dite des«Neufs Montagnes» (Seonmun Gusan)) etl’école plus établie, à tendance scholastique(Ogyo, « les cinq voies », « les cinq ensei-gnements »). Le développement du Seon en-traîne avec lui celui de la pratique du thé,dans les régions les plus reculées de Corée.De leur côté, les monastères bouddhiquessont devenus alors une véritable puissance,pesant d’un poids réel dans l’économie duroyaume. Pouvoir politique, tout commeéconomique, grands propriétaires fonciersgrâce aux faveurs royales, ils développent les

plantations de thé, renforçant encore plusleur pouvoir au sein du corps social. Ilscontribuent ainsi à l’adoption de ce nouveaubreuvage, comme boisson «  nationale  », intégrée dès lors dans toutes les cérémoniesofficielles et royales. Les monastères sont désormais les patrons obligés des Arts et des Lettres, à l’origine d’un art bouddhique extrêmement raffiné et très sophistiqué, dontla très grande bannière, représentant SuwolKwaneum Bosal, conservée au Japon et datéede l’année 1310, est le plus bel exemple (Kagami Shrine, Saga Prefecture).

Le développement du céladon sous le nou-veau pouvoir est lié visiblement à cette situa-tion, et à cette atmosphère, tout ensoulignant la part d’indépendance dont témoigne la société de Goryeo. Partie sur unemusique à l’origine chinoise (10ème – 11ème s.),la Corée en effet développe sa propre mélo-die, qui s’éloigne peu à peu du modèle de départ pour suggérer une vision beaucoupplus intimiste de la vie et du monde (12ème

s.). Le céladon Goryeo, toutefois, dans sonévolution, s’explique par le poids du boud-dhisme, qui vise à l’harmonie des êtres et deschoses et suggère une approche plus distan-ciée et plus méditative des rythmes de l’uni-vers. Il s’explique aussi, tout au moins enpartie, par cette nouvelle culture qu’est la culture du thé, comme en témoigne la pro-duction de l’époque qui montre à côté desbouteilles, des flacons à alcools, un très grandnombre de coupes à la forme conique oubien de bols à thé, à côté de théières. « Lespoteries », note Siu King (1091-1153), quiaccompagne l’ambassade chinoise deHouei –Tsong, à la cour de Goryeo, en 1123,«  sont de couleur verte. On les appelle « fei-sseu » (couleur de martin pêcheur). Aucours des récentes années, elles ont été fabri-quées plus habilement et leur couleur est plus

La cérémonie du thé en Corée.

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brillante. (8). Et Siu King de poursuivre sonrécit : « Les habitants de Kao-li », écrit-il,« sont habitués (en effet) à boire du thé et denombreux récipients sont fabriqués dans ce but(…) Lors d’une réception, le thé est préparédans la cour et couvert d’un couvercle d’argenten forme de lotus. Le breuvage est servi avecbeaucoup de cérémonie…Dans la pièce réservéeà cet effet, les instruments destinés au thé sontplacés au centre d’une table recouverte d’untapis rouge et caché par une gaze de soie rouge.Le thé est offert trois fois par jour et on boit en-suite de l’eau chaude que les gens de Kao-liconsidèrent comme une médecine. Boire du théleur fait plaisir et si on le refuse, ils sont déso-lés.  C’est pourquoi  », conclut-il, non sansphilosophie, « il vaut mieux en boire. » (9)

Comme le céladon, le thé combine la satis-faction des cinq sens – l’ouïe, quand l’eau semet à bouillir ; l’odorat, à sentir le parfum ;la vue, ou la couleur du thé  ; le toucher,quand sa chaleur se répand dans la main quitient le bol à thé ; le goût enfin, puisqu’on esthabitué en Corée à boire le thé lentement etce en trois gorgées, tout en savourant la bois-son et en prenant le temps. La voie du thé(dado) est une méditation. Mais, à la diffé-rence de la Chine qui prône la perfectiontechnique, « l’éloge de la fadeur », le céla-don en Corée suit une démarche qui lui est personnelle, évoluant vers un sens plus humain, souvent décoratif, au sens léger duterme. Il développe ainsi la technique de l’incrustation sous couverte, typiquementcoréenne (sanggam) qui voit des motifs derinceaux, de grues ou de nuages, de poissonset de fleurs orner la vaisselle de la cour (13ème

-14ème s.) – soit une démarche qui souligne laspécificité coréenne, son sens inné du la Nature et de la poésie, son goût de la notejuste, sa vision de la ligne, de la pureté desformes, que vient rehausser avec un trèsgrand naturel le décor, sans jamais le trahir.Tout cela sans même parler de la couleur, cebleu-vert délicat aux multiples nuances, quifit l’admiration des envoyés chinois. « Les« pi-sseu-yao » de Kao-li », déclare d’ailleurs Tai Ping Lao-Jen, avec autorité, dans le« Sieou-Tchong-Kin », « sont les premiersde l’univers. » (10)

Le céladon en coréen se dit « Cheongja »,« ja » pour porcelaine, « Cheong » pour ex-primer ce bleu-vert si particulier en Corée,qui prend au 12ème -13ème s. un caractèrebleuté d’une infinie douceur, une couleur qui suggère l’harmonie, mais aussi l’apaise-

ment, un rapport au réel, pacifié et rêveur,qui chante en demi teinte toute la beauté dumonde. Paradoxalement, cependant, l’époqueest aussi celle qui voit au 13ème s. les invasionsmongoles, la Corée ravagée et finalementsoumise à la protection d’un tout nouveaupouvoir, établi à Pékin, la dynastie des Yuan(1278-1368). Si l’époque est troublée et rendplus irréelle encore l’esthétique du céladonGoryeo qui frappe par sa fragilité et sa déli-catesse, les Mongols cependant ne s’oppose-ront pas au bouddhisme et le favoriseront –même si d’aucuns préfèrent parfois se retirerd’un monde où dominent trop souvent lebruit et la fureur. C’est le cas de Chungji(1226-1292), originaire du Cholla, qui aprèsdix ans passés comme fonctionnaire, choisitla voie du Seon, à l’âge de 29 ans, et se retireau temple de Suseonsa, révolté par la souf-france de la population.

C’est avec ironie, non sans désenchantementqu’il compose un poème, « écrit au hasardd’un moment de loisir » (11) : Vie vagabonde,le cœur content. Assis, solitaire, saveur sur-abondante. De vieux cyprès prolongent le hautpavillon, D’humbles fleurs couvrent le petitmur de clôture. Tasse de porcelaine, lait en guisede thé, blanc, Table de muscadier, volutes cal-ligraphiques parfumées. Après la pluie le pa-villon de montagne, tranquille. A l’approche dela terrasse, l’heureuse fraicheur du soir.

Une culture désavouée -

La dynastie Joseon (15ème -17ème s.) :

Suite à la révolution confucéenne, qui voiten 1392, l’arrivée d’une nouvelle dynastie, ladynastie Joseon (1392-1910), avec Séoulcomme centre du pouvoir, la situationchange de manière très brutale et les monas-tères perdent peu à peu toutes leurs préroga-tives, et ce même si longtemps les anciennestraditions se poursuivent. En témoigne l’évo-lution du céladon « Cheongja », porcelaineà la tonalité bleu – vert, presque indéfinissa-ble – dont la teinte au fil du temps tend à semodifier, à la fin de la période Goryeo, pourun vert plus acide, un céladon qui aboutitprogressivement à cette céramique que l’onappelle « buncheong , typique des 15ème –16ème s., où la couleur bleu-vert est en partiecachée par un engobe blanc. La céramiquedès lors est cuite en oxydation et non en ré-duction, sans la technicité des époques anté-rieures. Les formes sont moins fines, moinsaristocratiques et beaucoup plus rurales (bolau profil arrondi, coupe dont la silhouette,

encore souvent conique, apparaît bien pluslourde, de matière et de ligne).

Là encore, cependant, le thé est toujoursconnecté au bouddhisme, comme le souligneune poésie de Bo-u (1509-1565), ce moinepoète qui chercha avec l’aide de la reineMunjeong à faire revivre la tradition boud-dhique - « Chant de l’action adorable et mer-veilleuse de l’Ornementation Fleurie » (12) :Désires-tu connaître l’action véritable et mer-veilleuse ? Affaires quotidiennes, nature deschoses. Puise l’eau, prépare le thé, bois, Monteau lit, allonge tes jambes, endors-toi. Unmilan s’envole, traverse le ciel d’azur, Un pois-son saute, plonge dans les profondes abysses.Tout s’agite, sans s’arrêter jamais, Les nuagesblancs se lèvent sur la cime lointaine.

A la mort de la reine, pourtant, Bo-u est tué,alors qu’il est en exil à Jeju, montrant un dur-

cissement progressif de la politique suivie parles nouvelles élites. Le bouddhisme est dé-noncé comme une voie étrangère, ou bienune hérésie ; les monastères, interdits de sé-jour dans la capitale du royaume, et les taxessur les grandes plantations de thé qui sontl’une des rentrées d’argent des monastèresbouddhiques se font chaque jour pluslourdes et plus prohibitives – au point queseuls les monastères du sud, dans la région duJirisan, loin du pouvoir royal, sauront main-tenir la tradition du thé.

C’est là que se retire, à l’âge de dix-sept ans,le moine-poète Seonsu (1543-1615), dont le

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Bols à thé, époque Joseon, 15ème -16ème s., Musée Guimet, Paris,

Cliché Musée Guimet, photo Jean-Yves et Nicolas Dubois.

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poème « Sur les rimes de Go su-jae », n’estpas dénué d’une mélancolie sous-jacente(13) : Images poétiques troublées, le printempsa fui. Sentiments douloureux plus forts au couchant. Demain à l’aube un bol de thé. Onse quittera au pont du torrent du Tigre.

Mais, l’expédition d’Hideyoshi, en 1592, varuiner la région, tout comme le royaume, lavidant d’une partie de sa population et de sesartisans - potiers, exode forcé qui entraîne defacto la fermeture des principaux fours et desprincipaux ateliers, mettant fin définitive-ment au buncheong, au point qu’on a pu par-ler de la «  guerre des poteries  ». Avec lebasculement de l’idéologie, du bouddhismeau confucianisme, le thé a déserté dès lors lesrites royaux et les cérémonies officielles, etl’alcool désormais le remplace – et ce mêmesi les grands monastères avaient pris fait etcause pour la défense du pays, dans la luttecontre l’envahisseur nippon, levant de véri-tables milices, qui s’opposèrent à la solda-tesque japonaise. Les temps ont cependantchangé, le modèle se fait néo-confucéen, unmodèle rigide qui ne sera pas remis en causeavant le siècle des Lumières et le temps desréformes.

Une culture retrouvée -

Sous le mouvement Silhak (18ème - 19ème s.) :

Il faut attendre en effet le 18ème s. pour voirla vulgate officielle peu à peu critiquée, avecle développement de la «  Science desConcrets » ou le mouvement Silhak. Celui-ci dénonce l’intransigeance, la faillite du sys-tème face aux invasions japonaises etmandchoues ; il attaque son approche théo-rique, déconnectée de toute réalité. C’estdans cette mouvance qu’on assiste à une ré-surgence de la culture du thé, via les milieuxlettrés à l’école de la Chine. De là, à voir danstoutes les peintures de l’époque, qui évo-quent des réunions de notables en haut de lafalaise, en train de converser, au bord de lacascade, ou sous un pin centenaire, autant deréunions de thé, reste toutefois un peu pro-blématique, puisque l’alcool reste toujourslargement la culture dominante. Là encore,en effet, le retour du thé se fait d’abord trèssouvent à travers le bouddhisme, et les ré-gions du Sud. C’est en exil à Gangjin, où ilva résider quasiment dix-huit ans que le lettréJeong Yak-yong (1762-1836), lié au mouve-ment Silhak, découvre cette culture du thé,qu’il apprend à apprécier durant sa résidenceforcée. Dans cette région vallonnée, face à la

mer du Sud, le sol comme le climat ont étéde tous temps favorables à voir s’épanouir cetarbre délicat, pourtant fort exigeant, et dontles racines sont trois fois beaucoup plus développées que les branches.

C’est aux côtés de Jeong Yak-yong, qu’étu-diera à l’âge de 24 ans, et ce pendant trois ans,le moine Cho-ui (1786-1866), avant de seretirer, par la suite, dans les monts Duryun-san, au temple de Daeheungsa. Originaire deNaju, dans le Jeollanam-do, il vit coupé dumonde, dans l’ermitage d’Iljiam, à deux kilo-mètres du temple, plongé en pleine nature.C’est là qu’il va chercher à faire revivre la tra-dition bouddhique de la cérémonie du thé,une tradition ancienne, mais quasimentmourante, en rédigeant son « Panégyriquedu thé de l’Est » (« Dongdasong ») – un ouvrage qui s’inscrit aussi dans le retour auxvaleurs orientales, que prône à la mêmeépoque un mouvement messianique, commele mouvement Donghak. Dans son traité,Cho-ui vante avec conviction la supérioritédu thé de la Corée, supérieur à ses yeux à tousles autres thés, et même à celui venu ducontinent. Il est célèbre enfin pour avoir initié à cette « voie du thé » Kim Jeong-hui(1786-1856), le calligraphe par excellence dela Corée, au 19ème s., plus connu sous le nomde Chusa, avec qui il entretint des liensd’amitié très réels, et des rapports épisto-laires, jusqu’à la mort de ce dernier.

Le thé, toutefois, reste jusqu’à la fin une tra-dition du sud et, au niveau global, il est qua-siment inconnu de la population. Comme lenote G. Baudens, en 1884, « Chose étrange,malgré le voisinage des deux pays les plusgrand producteurs de thé au monde, le paysanici en connaît à peine le goût. La boisson ordi-naire est l’eau dans lequel le riz a bouilli »(14). C’est dans la région du Jeolla, aux piedsdu Jirisan que se trouvent les plus grandesplantations du fait des conditions géogra-phiques ou bien hygrométriques, du faitaussi de la douceur du climat. La culture, ce-pendant, a bien failli disparaître, en 1939, àla suite d’évènements climatiques désastreux,au pire moment de la période coloniale et del’occupation, les grandes firmes japonaisescessant dès lors de venir s’y approvisionner.

Une culture recréée -

L’époque actuelle :

Aujourd’hui, les plantations de thé de la région de Boseong, dans le Jeollanam-do,

couvrent 600 hectares et produisent, chaqueannée, 700 tonnes de feuilles – la plus grandeferme, Boseong Dawon, située à Bongsang-li,à la sortie sud de la ville de Boseong, produi-sant à elle seule près de 90% de la productionde thé vert du pays. Pourtant, ces temps-ci, lademande commence à dépasser l’offre tradi-tionnelle, du fait d’un engouement de plus enplus réel, et ce bien que tous les grands mo-nastères du sud aient repris eux aussi chacunla tradition, le temple de Hwaeomsa, celui deSsanggyesa, celui de Daeheungsa. La Coréeainsi renoue avec ce qui a fait une partie deson Histoire, et de sa tradition, même si celle-ci n’en est finalement qu’une facette, et si la résurgence d’un patrimoine ancien et long-temps délaissé ne va pas quelquefois sans unereconstruction, quitte à recréer ce passé, à leréinventer, mêlant dans sa redécouverte desapproches différentes, dans le temps et l’esprit,le thé pilé à la mode japonaise, ou le thé infuséà la manière chinoise.

Pour accompagner cet élan et l’enthousiasmerécent, Boseong, depuis 1985, a son festivaldu thé, dans le courant de mai, le seul festivaldu thé actuellement en Corée. Il commenceavec l’offrande au dieu du thé, à l’ouverturede la cérémonie, pour se terminer, sur fondd’expositions, et d’évènements divers, parl’élection en grande pompe d’une « princessedu thé ». Et les monastères, qui développent,ces jours-ci, les séjours en leur sein, n’omet-tent pas non plus, désormais, de consacrer delongs développements à la cérémonie du thé,dans les brochures éditées, à l’attention deleur hôtes étrangers. (15)

Notes :1. Juliette Morillot, Tout sur…la Corée, Le pays du matin clair,Paris, 1988, p. 188-189.2. Kim Joo-young, On the road, in search of Korea’s Cultural Roots,Séoul, 2002, p. 168-170.3. Japon, Saveur et sérénité, la cérémonie du thé dans les collec-tions du Musée des Arts Idemitsu, Musée Cernuschi, Paris, 14 fé-vrier – 14 Mai 1995, p. 72-75.4. Ha Tae-hung et Krafton K. Mintz, éd., Samguk Yusa, Legendsand History of the Three Kingdoms of Ancient Korea, written byIlyon, Séoul, 1972, p. 259.5. Ha Tae-hung et Krafton K. Mintz, éd., op. cit., p. 263.6. Ha Tae-hung et Krafton K. Mintz, éd., op. cit., p. 2577. Lewis R. Lancaster et Yu C. S., Introduction of Buddhism toKorea, Berkeley, 1989.8. Kim Chewon et Kim Won-yong, Corée, 2000 ans de créationartistique, Paris, 1966, p. 68.9. Kim Chewon et Kim Won-yong, op. cit., p. 67-68..10. Kim Chewon et Kim Won-yong, op. cit., p. 64.11. Ann-Baron Ok-sung, “Le saule aux mille rameaux, anthologiede la poésie coréenne médiévale et classique », Paris, 2005, p. 135.12. Ann-Baron Ok-sung éd., op. cit., p.395.13. Ann-Baron Ok-sung éd., op. cit., p.411.14. G. Baudens, “La Corée”, Paris, 1884, p. 26.15. Temple Stay, guide book, brochure diffusée par l’ordre Jogye-sa, Séoul, 2002.

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Franciliennes, franciliens, vous que lanécessité oblige à vous entasser dans leswagons étroits et vétustes que la RATPmet chichement à votre disposition, ima-ginez des rames propres et spacieuses, bé-néficiant de l’air conditionné, fréquentes,régulières, sans « trafic perturbé » dufait des grèves, de ces mystérieux « inci-dents techniques » et autres « accidentsgraves survenus à un voyageur »? Non,il ne s’agit pas là d’une promesse électo-rale. Un tel métro existe… à Séoul.

La capitale de la Corée du Sud compteplus de 10 millions d’habitants, sur unesurface de 605 km² (par comparaison,Paris, avec ses 2 millions de Parisiens, cou-vre environ 105 km²). Il est évident quese déplacer d’un point à un autre de cettecité aux proportions géantes n’est pas sansposer quelques problèmes. Le gouverne-ment sud-coréen y a dans une large mesure fait face en accompagnant le développement de la ville d’une extensionde son réseau métropolitain, qui consti-

tue incontestablement le moyen le pluscommode pour parcourir la capitale. Unréseau jeune, puisque la première ligneest entrée en service en 1974. Il comporteactuellement, gérées par trois compa-gnies, douze lignes totalisant plus de 300km et desservant 291 stations. Environ3,9 millions de voyageurs utilisent cemode de transport chaque jour.Un métro bien pensé, mais « sportif »

La qualité de ce réseau a de quoi rendrejaloux. Les rames se succèdent à une ca-

Le métro de Séoul : une invitation au voyage

La Corée et les Coréens

Par Jacques BATILLIOT, traducteur

L’entrée d’une rame en gare est accompagnée par une musique tonitruante diffusée par haut-parleur.

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dence rapide et des panneaux indiquentsur les quais à quel niveau se trouve laprochaine. Les « accidents graves » sontrarissimes, car une paroi de sécurité enverre, dont les portes ne s’ouvrent quelorsque le train s’est immobilisé, isole lavoie du quai. Les wagons sont spacieux,

propres, climatisés… et non « taguées ».Des banquettes courent le long des pa-rois, une de chaque côté du couloir cen-tral, tantôt recouvertes de tissu, tantôtmétalliques -le passager assis glissant alorslatéralement de quelques centimètreslorsque le train démarre !

Alors que se déplacer en bus relève quasi-ment de la mission impossible pourl’étranger, toutes les indications étantdonnées en coréen, le métro présente legrand avantage pour le visiteur de passaged’être bilingue coréen-anglais : noms desstations, annonces sonores à l’intérieurdes wagons, le plus souvent doublées d’unaffichage lumineux, permettent au tou-riste de toujours savoir où il en est de sonparcours. Il existe par ailleurs dans toutesles stations des panneaux interactifs qui lerenseignent sur l’itinéraire à adopter pourse rendre à destination et même sur letemps moyen que prendra ce trajet.

Le métro est incontestablement le moyenidéal pour découvrir les villages variés quicomposent cette ville étonnante, tous lesrecoins secrets dont vous ne trouverez pasmention dans les guides touristiques. At-tention, paresseux s’abstenir ! Le métroest le royaume du marcheur, pour ne pasdire du grimpeur. Certaines stations -Dongdaemun, incontournable nœud decorrespondances au centre ville, ouNowon à la périphérie, pour n’en citerque deux- comportent des longueurs decouloir assez impressionnantes, ponc-tuées par des changements de niveauxparfois vertigineux. Certes, les escalatorssont nombreux et contrairement à ce quise passe souvent à Paris, ils fonctionnent,permettant ainsi de reprendre son souffleentre deux volées de marches. On peutnéanmoins se demander comment fontles Séoulites pour ne pas avoir des molletsde montagnards !

Sur le sol des couloirs et des escaliers sonttracées des lignes médianes et des flèchesblanches indiquant aux piétons de quelcôté il leur faut circuler –à savoir à droite.Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’à récemment encore, la progression se faisait à gauche, ce qui, firent remarquercertains, était une séquelle de la colonisa-tion japonaise ! Horresco referens ! « Atribord toutes  !  », fut-il décrété. Le Coréen est un citoyen discipliné. Il n’enreste pas moins que certaines habitudes

ne se perdent pas du jour au lendemain.Une certaine confusion s’installa audébut, entre les « modernes » qui respec-taient la consigne et les « anciens », quicontinuaient à utiliser la file de gauche. Les choses se sont peu à peu arrangées, encore que l’on puisse de temps en tempsse retrouver nez à nez avec d’ultimes résistants.

Un moyen de transport qui s’affiche

Pour passer le temps au fil des longs couloirs, on peut admirer les panneauxpublicitaires aux qualités souvent esthé-tiques, la Corée ne manquant pas de talentueux graphistes. Et à propos d’es-thétique… Depuis quelques temps, on avu fleurir sur les murs des affiches un peuplus austères, vantant les mérites de telleou telle clinique de chirurgie plastique,

surtout dans le quartier chic d’Apgujeongoù nombre d’entre elles sont implantées.Leur renommée est globalement telle quel’on vient paraît-il de loin - de Chine notamment - pour y devenir ce qu’on au-rait toujours voulu être. Sur ces affiches,il y a beaucoup de portraits du style«  avant/après  ». Ce qui est étonnantquand on y regarde de plus près, c’est l’air

La sécurité est assurée par une paroi qui isole le quai de la voie, empêchant les chutes.

Le métro de Séoul: des ramespropres et spacieuses, bénéficiant de l'air conditionné, fréquentes, régulières, sans trafic perturbé...

Le métro constitue le moyen le plus commode pour parcourir

la capitale coréenne.

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de famille qu’ont toutes ces dames aprèsêtre passées sous le scalpel. Elles ont visi-blement renoncé à ce qui faisait leur uni-cité pour essayer de se rapprocher d’uncanon que d’aucuns disent être celui desstars de la K-Pop.

Sur d’autres affiches, nombreuses ellesaussi, de beaux jeunes gens des deux sexesvantent les mérites des bières locales. Ilest vrai que celui qui va prendre le métropeut en consommer sans appréhension.On pardonnera cette remarque triviale,mais une des merveilles du métro deSéoul consiste en ceci, que chaque stationest généreusement équipée de toilettes,gratuites - ce qui ne manque pas d’im-pressionner un Parisien -, très bien entre-tenues (même remarque), souventdécorées : petites fleurs en plastique, pay-sages dans des cadres, poèmes ou sen-tences moralisantes sur les murs… Détailadmirable : il y est souvent diffusé de lamusique classique (Mozart fait la courseen tête, mais Beethoven, Bach et d’autressont également honorés). Est-ce, délicateattention, pour offrir un moment de détente au voyageur stressé? En tout cas, Mozart doit être bien étonné de se retrouver là.

Autant d’écrans que de passagers

Mais nous voici sur le quai. Ici, on fait sa-gement la queue sur deux lignes parallèleset perpendiculaires à la voie, l’espace

entre les deux restant dégagé pour per-mettre aux passagers de descendre. Letrain arrive, les portes s’ouvrent, les« sortants » sortent, les « entrants »commencent à se faufiler à l’intérieur …et la compétition commence pour trou-ver une place assise ! Il faut dire que cer-

tains trajets peuvent durer une heure,toujours du fait des dimensions de laville. Des places sont réservées aux per-sonnes âgées, handicapées et aux femmesenceintes : trois d’un côté, trois de l’autrese faisant face aux deux extrémités duwagon. Cette prescription, bien respec-tée, a malheureusement un effet pervers.Si toutes ces places réservées sont occu-pées, un voyageur appartenant à l’une deces trois catégories a peu de chances, auxheures de pointe, de se voir céder unsiège ordinaire par une personne déjà as-sise, si ce n’est parfois par une dame dansla trentaine ou la quarantaine qui le prenden pitié -en tout cas pratiquement jamaispar un jeune. Ici comme dans bien d’au-tres pays, les principes de la compétitionégoïste à outrance inculquée à la me gene-ration semblent avoir fait des ravages ense substituant à ceux du confucianisme.La rame démarre, pour un trajet plus oumoins long qui vous laisse le temps

d’observer le décor. Une constatation s’impose d’emblée  : quasiment tous les voyageurs (sauf bien sûr ceux qui dorment) ont l’œil rivé sur un petitécran (smartphone, e-book, tablette, etc.)et semblent fascinés par la retransmissiond’un «  drama  » - ces séries télévisées coréennes, si appréciées dans le pays etailleurs -, d’une émission populaire ou pardes jeux vidéos. La dextérité avec laquellele Coréen parcourt du pouce, à une vitesse folle, l’écran de son portable pourécrire un texto laisse pantois. L’avenir dela kinésithérapie en Corée du Sud est sansdoute dans la rééducation de ce doigt su-rexploité. Quant aux demoiselles, ellesutilisent en outre leur téléphone portable,entre deux appels, comme miroir pour ra-fraichir leur maquillage ou pour se pren-dre narcissiquement en photo. Faitremarquable  : alors que pratiquementtout le monde a les écouteurs vissés dansles oreilles, on n’entend pratiquement ja-mais le grésillement ou le « tacapoum ta-capoum » lancinants qui trop souventassaillent les vôtres sur le réseau franci-lien. Ou bien les Coréens ont l’ouïe plusfine que les Français, ou bien ils sont plusrespectueux d’autrui dans les transportsen commun. C’est un des charmes, parmitant d’autres, du métro de Séoul, qui vousconduira partout où vous le souhaitezpour explorer de long en large cette fasci-nante métropole.

Le voyageur ne risque pas de s’ennuyer, même sur les longs trajets.Signe des temps : peut-être sont-ils en trainde dialoguer par smartphones interposés ?

Pour les touristes, le métro de Séoul présente le grand avantage

d’être bilingue coréen-anglais.

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L’histoire de la médecine coréenne, de la préhistoire jusqu’à la fin du premier millé-naire après J.C., reste assez mal connue. Onnote des découvertes archéologiques, commecelle de ces aiguilles d’acupuncture datant del’époque néolithique (-2000) trouvées aunord de la Corée, ou quelques attestationsconcernant l’activité médicale, la réception delivres médicaux, ainsi que des commentairessur les pratiques médicales ou magiques desCoréens de l’ancien temps faits par des obser-vateurs étrangers.

On sait néanmoins que, dès cette époque, onutilisait déjà l’acupuncture - dont l’origine estpeut être coréenne - et des plantes médici-nales locales ou importées.

Deux types de pratiques rivalisent durant lespremiers siècles de notre ère, celles issues du

chamanisme et du bouddhisme d’une part, etd’autre part, une pratique médicale (à peine)plus rationnelle inspirée par les médecineschinoise et indienne.

La médecine repose sur des théories chinoisesou indiennes. Les théories chinoises sont basées sur le Yin et le Yang et la théorie descinq éléments qui leur sont liés (métal, eau,bois, feu, terre). Les théories indiennes/boud-dhistes expliquent, elles, les maladies par ladysharmonie des quatre éléments : terre, eau,feu et vent. Mais, toutes ces théories sont enfait inspirées des anciennes théories médicalesgrecques !

En Corée, à partir de la dynastie Goryeo(918-1392), un concours est organisé pourrecruter les fonctionnaires royaux et les mé-decins ; pour ces derniers, le concours portait

sur la médecine interne, l’acupuncture et letraitement des blessures.

A partir de la dynastie des Jin, régnant dans lenord de la Chine (1115-1234), les liens entrela Corée et la Chine se distendent du pointde vue de la culture et de l’approvisionnementen remèdes. En 1245, le Hyangyak Gugeup-bang 향약구급방 (prescriptions d’urgenceutilisant les ingrédients indigènes), le plus an-cien traité conservé, comporte des traite-ments de médecine populaire avec desingrédients peu nombreux mais fort diffé-rents des complexes et coûteuses recettes chinoises.

La dynastie Joseon (1392-1910)

Le néo-confucianisme importé de Chine vafavoriser les médecins et leur pratique au dé-

La Corée et les Coréens

*Maître de conférences de l’université, praticien hospitalier, chargé de cours d’histoire de la médecine à l’Université Paris VI (UPMC), directeur du Musée Dupuytren, Paris.

Heo Jun, principal auteur du Dongui bogam et les vingt-cinq volumes de la compilation publiée en 1610

Par le docteur Patrice JOSSET*

Brève histoire de la médecine coréenne

Dans le cadre de notre cycle de conférences « Culture et civilisation coréennes », se déroulant chaque année demars à mai (les mercredis), le docteur Patrice Josset a donné deux conférences, l’une consacrée à l’histoire de lamédecine traditionnelle coréenne (avril 2011), l’autre à ses rapports avec le médecine occidentale (mai 2012). Cetarticle reprend brièvement un certain nombre d’éléments abordés par l’auteur lors de ces conférences qui avaientvivement intéressé le public de notre Centre.

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triment des chamans et des moines boud-dhistes guérisseurs.

Le fondateur de la dynastie, Yi Seong-gye,veut que la médecine soit une priorité et quele peuple puisse accéder aux soins. Desconcours nationaux permettent toujours desélectionner les fonctionnaires et les méde-cins. En raison de l’éthique confucéenne trèsrigide, il s’avère utile de former des femmesmédecins pour traiter les femmes de l’aristo-cratie. Néanmoins, le statut de ces femmesmédecins restera toujours très inférieur à celuide leurs collègues masculins.

Pour ce qui est des soins, les médecins co-réens, suivant les nouvelles théories des mé-decins chinois Li Gao (1180-1251) et ZhuZhenheng (1281-1358), préfèrent renforcerl’énergie interne plutôt que de purger les in-fluences mauvaises.

Sous le règne du roi Sejong (1418-1450),deux traités sont publiés :

Le Hyangyak jipseongbang 鄕 藥 集 成 方(grande collection de prescriptions indigènes)en 85 volumes, identifiant 959 maladies dif-férentes, et le Uibang yuchwi 의 방 유 취(collection classée de prescriptions médicales)en 365 volumes, immense compilation de50 000 prescriptions. Ces traités sont à l’ori-gine d’abrégés qui vont être répandus auprèsdes médecins et de la population et semblentavoir joué un rôle dans l’amélioration tempo-raire de la santé et de la longévité de la popu-lation coréenne.

Mais le vrai changement arrive avec Heo Jun

(1539-1615) et son Dongui bogam 東醫寶

鑑 / 동의보감 (Le trésor de la médecineorientale), publié en 1610 en 25 volumesselon un décret du roi Seonjo de 1596. Il s’agitd’une compilation critique des traitementsclassés par organes affectés, ce qui est tout àfait nouveau. Pour la première fois, on trouveun véritable essai d’évaluation de l’effet destraitements et même de la façon dont on peutmesurer a priori leur effet. C’est, pourl’époque, une véritable révolution !

Le Dongui bogam se compose de cinq par-ties : médecine interne, médecine générale,pathologies diverses, remèdes et, enfin, acu-puncture. Il est écrit en caractères chinoismais le nom des plantes est aussi écrit en han-geul (alphabet coréen). Il a pratiquementremplacé tous les livres antérieurs en Asie,jusqu’à aujourd’hui. Une traduction en a étéfaite en coréen moderne en 1971 et une tra-duction en anglais est en cours de publication(l’ouvrage sortira en cinq volumes correspon-dant aux cinq parties précitées). En 2009,l’Unesco a inscrit le Dongui bogam sur la listedu patrimoine documentaire du programme« Mémoire du Monde », reconnaissant ainsila valeur exceptionnelle de cet ouvrage ency-clopédique coréen de médecine traditionnelle.

Après l’invasion japonaise de 1592-1598 etl’invasion mandchoue de 1636-37, la Coréese referme et reste inaccessible aux étrangerssauf aux Chinois. Le pays va ainsi, peu à peu,se scléroser et entrer en décadence jusqu’aucoup de grâce final de 1910, que sera l’an-nexion de la Corée par le Japon !

Pendant cette période très difficile, un groupede savants et de lettrés se bat cependant pourune nouvelle vision et le développementd’une nouvelle technologie, élaborés parl’école de l’enseignement pratique Silhak.Mais leurs efforts n’auront pas d’écho au seinde la classe des nobles yangban. Yi Ik (Song-ho, 1681-1763) écrivit notamment sur la cir-culation sanguine et le système nerveuxcentral. La vaccination fut introduite, à partirde 1876, par des médecins coréens quil’avaient apprise au Japon et Ji Seok-yeongréussit à convaincre le roi Kojong (1852-1919) de la rendre obligatoire pour les en-fants ayant entre 70 jours et un an.

Une nouvelle théorie coréenne

Lee Je-ma (1838-1900) publie en 1893 untraité sur les 4 constitutions intitulé Prin-cipes de préservation de la vie dans la méde-cine orientale: (東醫壽世保元, 동의수세

보원).

Ces constitutions sont la colère, la peine, lajoie et le plaisir et constituent les fondementsde la médecine dite Sasang 四象醫學.

Au cours de la dernière décennie du 19e siècle,la rencontre avec la médecine occidentale setraduit chez beaucoup de Coréens par un en-thousiasme immédiat ; un hôpital pratiquantla médecine occidentale est ouvert à Séoulpour la première fois. Des médecins tradition-nels continuent cependant à oeuvrer au seindu palais royal.

L’anatomie reste toujours à peu près incon-*Maître de conférences de l’université, praticien hospitalier, chargé de cours d’histoire de la médecine à l’Université Paris VI (UPMC), directeur du Musée Dupuytren, Paris.

La stèle et le petit temple de la tombe deHeo Jun, située près de Pajusi, Gyeonggi-do.

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nue à cette époque, sauf par les livres occi-dentaux. Il n’y a aucune idée de physiologie,d’anesthésie, ni d’antisepsie, et il s’agit làd’une ignorance liée au carcan de la sociétéconfucéenne.

Quant aux Japonais, ils considéraient la mé-decine traditionnelle (qu’elle soit coréenneou japonaise) comme un résidu du passé. Ilsentreprirent donc de la faire disparaître ra-pidement. Mais en Corée, malgré la prise decontrôle de l’hôpital public de Séoul et de lacertification des médecins en vigueur pen-dant la colonisation, ils durent se rendre àl’évidence : il n’y avait pas assez de nouveauxpraticiens dans la nouvelle discipline ! Lavive demande en médecins « occidentaux »,pour les besoins des guerres coloniales japo-naises, a donc eu pour conséquence un relâ-chement de l’oppression de la médecinetraditionnelle coréenne, si bien qu’une écolede médecine orientale reçut paradoxalement

l’autorisation d’ouvrir en 1937 près deSéoul !

Après la libération

En Corée du Sud, il faudra plusieurs décen-nies pour que la médecine traditionnelle soitappréciée à sa juste valeur. Mais pendant laguerre de Corée, de 1950 à 1953, le gouver-nement fut obligé de reconnaître les prati-ciens traditionnels comme de vrais médecins(en raison de la pénurie !). Beaucoup d’entreeux partirent ensuite un peu partout dans lemonde pour se former et exercèrent la mé-decine traditionnelle. L’impact en futénorme, puisque les médecins voyagèrentbeaucoup, stimulant la formation et la re-cherche en Corée et donnant par leur excel-lence à l’étranger une image très positive dela médecine coréenne.

Le développement de l’enseignement de lamédecine orientale

C’est après la guerre, en 1953, qu’ouvrira àSéoul le premier centre privé d’enseigne-ment, ouverture suivie, quatre ans plus tard,par celle d’un hôpital de médecine orientale.Celui-ci sera ensuite absorbé (pour des rai-sons financières) par l’université privéeKyunghee qui ouvrira, en 1971, le premiergrand hôpital coréen de médecine orientale.En 1994, fut créé l’Institut coréen de méde-cine orientale pour coordonner les diffé-rentes recherches. Les centres de formation

et les cliniques de médecine orientale pros-pèrent depuis, avec en parallèle une meil-leure prise en charge en Corée des soins parla sécurité sociale.

L’acupuncture coréenne

Longtemps ignorée en Occident, l’acupunc-ture coréenne a suscité un grand courantd’intérêt au cours des deux dernières décen-nies, en raison de sa tradition jamais inter-rompue, de sa très grande antiquité et aussides recherches pratiquées actuellement dansce domaine. On a assisté également à desprogrès notables dans ce secteur : électro-acupuncture, laser et acupuncture, acupunc-ture médicinale avec injection de veninsd’abeille, taping acupuncture (aimants scot-chés), et enfin célèbre manupuncture (pra-tiquée au niveau de la main) de Yu Tae-u en1970. Les recherches en IRM fonctionnelleet en expérimentation animale ont égale-ment apporté, pour la première fois, une dé-monstration de la réalité des effets del’acupuncture (publications faites par desCoréens travaillant en Corée et aux USA1).

Conclusion

En matière de médecine orientale, la Coréea, durant l’antiquité, beaucoup emprunté àla médecine chinoise, mais tout en dévelop-pant ses propres caractéristiques, cela jusqu’àl’époque du roi Sejong. Elle a su préserverdes pratiques ancestrales de grande valeurmais la société et la science furent peu à peuparalysées par le système confucéen et sapensée trop rigide.

Le respect aveugle des classiques chinois aralenti considérablement les progrès de lamédecine coréenne d’une façon qui est, toutcompte fait, assez comparable au ralentisse-ment des progrès en Occident dû au respectreligieux des œuvres médicales antiquesadoptées par l’Eglise catholique. Mais lescontacts avec l’Occident, d’abord à traversle Japon, puis directement avec les pays oc-cidentaux, ont fini par libérer les capacitésscientifiques d’une médecine qui a su conser-ver ses connaissances traditionnelles et quis’est ouverte, ces dernières décennies, àtoutes les techniques modernes.

1 Acupuncture stimulation of the vision-related acu-point (Bl-67) increases c-Fos expression in the visualcortex of binocularly deprived rat pups.Lee H, Park HJ, Kim SA, Lee HJ, Kim MJ, Kim CJ, ChungJH, Lee H. Am J Chin Med. 2002;30(2-3):379-85.

Un acupuncteur à l’œuvre.

Pharmacie traditionnelle

Les plantes médicinales ont été de tout temps recon-nues et cherchées en Corée. Le Ginseng est bien sûr laplus connue mais des centaines d'autres étaient cueil-lies, traitées et conditionnées pour la fabrication demultiples remèdes.

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Dans un texte fameux, Michel Leiris récla-mait jadis l’irruption de “l’ombre d’unecorne de taureau” dans la littérature, commemarque d’engagement de l’artiste et gage de puissance de son œuvre... Aujourd’hui,dans la longue histoire des rapports du théâtre coréen avec la France, c’est l’ombred’une corne de rhinocéros, celui d’Ionesco,que nous voyons se profiler, ce qui, vu lescroyances qui entourent cet objet, semblebien être prometteur d’une nouvelle saisondes plaisirs. En effet, cette décennie qui s’ou-vre marque une avancée certaine dans la réception de spectacles coréens en France.

La venue de spectacles coréens est à la foisrégulière et un peu chaotique. Si un artcomme le pansori est reconnu, le théâtre au

sens moderne met du temps à trouver saplace; il est symptomatique que de grandsévénements comme Les Coréennes au Festi-val d’Avignon en 1998 ou le Festival d’Au-tomne 2002 l’aient ignoré. Pourtant onvoyait en France un certain nombre de spec-tacles, que l’on pouvait considérer commetrop rares, mais dont nous espérions qu’ils’agissait de jalons utiles. Avec le recul, ons’aperçoit qu’en effet un mouvement se des-sinait, qui porte aujourd’hui ses fruits.

État des lieux au début du XXIe siècle

On se référera utilement à l’article fonda-teur de Choe Junho1, qui brosse une largehistoire du théâtre coréen dans ses rapportsavec la France, et nous éclaire en particulier

sur les divers mouvements d’échange autournant du XXIe siècle. Nous aborderonscette période selon trois aspects distincts.

Le pansori, art de la scène. Comment faireapprécier le pansori comme art du récit à unpublic ne parlant pas coréen ? Saluons ici le travail de pionnier de la Maison des Cultures du Monde, qui a culminé dans unenuit du pansori en 2001 avec deux pansoriscomplets enchaînés, et celui du Festivald’Automne 2002 qui a présenté sur quinzejours une (double) intégrale des cinq pansoris traditionnels, performance jamais effectuée auparavant, et jamais reprise depuis. Le choix des versions intégrales, etnon de simples extraits, est ici essentiel pourfaire reconnaître le genre dans sa dimension

L'OMBRE D'UNE CORNE DE RHINOCÉROS... Vitalité du théâtre coréen en France aujourd'hui

L’actualité culturelle

Rhinocéros, seul contre la foule...

*Directeur, avec HAN Yumi, de la collection Scènes Coréennes aux Éditions Imago.

Par Hervé PÉJAUDIER*

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théâtrale, soutenu, ce qui était une première,par un travail réfléchi sur le surtitrage.

Le théâtre moderne, marginalisé. Audébut des années 2000, on voit qu’il y a ungrand écart entre le pansori, patrimoine re-connu, et le théâtre moderne, très méconnu.La révolution théâtrale du madang geuk, quia bouleversé la scène coréenne à partir desannées 1970, avec la revendication d’un re-tour aux sources traditionnelles au nom dela réinvention d’un théâtre de résistance parune génération de poètes directeurs detroupe, ne trouvait aucun écho en France oùseuls s’aventuraient quelques rares pion-niers, comme le metteur en scène Lee Jong-il qui dès la fin du XXe siècle présentait dansquelques garages d’Avignon les plus grandsauteurs sans surtitrage devant un publicaussi clairsemé que médusé. Depuis 2001, ilest venu plusieurs fois à Paris et à Avignonen version surtitrée, et construit année aprèsannée son public.

Les metteurs en scène français et la Corée.Rares étaient les rencontres, mais de bellequalité. En 1997, Bartabas présentait son

opéra équestre Éclipse, où les che-vaux dialoguent avec une chan-teuse de pansori, tandis que deuxans plus tard Ariane Mnouch-kine donnait Tambours sur ladigue, spectacle intégrant despercussions coréennes à l’occa-sion duquel la troupe avait travaillé avec le maître Kim Duk-soo. Inversement, s’il était arrivéqu’un metteur en scène françaismonte un spectacle en Corée, le premier grand échange est LeBourgeois Gentilhomme d’ÉricVigner en 2004, avec des comé-diens du Théâtre National, jouéavec succès à Séoul puis au Théâ-tre de Lorient, en Bretagne. (Ce spectacle sera ensuite repris,en 2006, dans le cadre du programme « Corée au Cœur »,à Paris, à l’Opéra Comique, et au Quarz - scène nationale - de Brest). Les premiers jalonsétaient posés... Quant à la possi-bilité de mettre en scène en français un texte coréen, elle dé-pendait aussi de l’(in)existence

de traductions disponibles... Signalons toutde même que cette même année 2004, ShinMeran a monté la traduction du Train pourSéoul de Roh Kyeong-shik qui venait de sor-tir dans la toute nouvelle collection Scènescoréennes des Éditions Imago, ce qui étaitune grande première, même si ce spectaclene sera paradoxalement joué qu’en Corée.

Une évolution notoire, 2006 - 2012

Pour la commodité de l’exposé nous allonsreprendre les trois aspects déjà vus, et nousremarquerons que la situation évolue vite.

Un pansori pluriel. Entre 2006 et 2011,cinq représentations de pansori classique in-tégral surtitré ont eu lieu, soit plus qu’entre1980 et 2000 ! On note que les producteurshistoriques ont passé la main à de nouveauxpartenaires passionnés (citons J.C. Leme-nuel à Caen ou D. Kimmoun et Made inAsia à Toulouse), dans des lieux divers, aussibien consacrés aux arts traditionnels (QuaiBranly) qu’au théâtre (Maison des Métal-los). Mais un autre événement a marquécette période ; c’est le choc causé par Lee

Jaram et son pansori moderne Le Dit de Si-chuan, présenté près de trente fois en 2011en version surtitrée au Théâtre des Abbesses(Paris), au TNP (Villeurbanne), et auThéâtre des Halles (Avignon). Ce “pansorien expansion” (Han Yumi), création d’uneauthentique chanteuse de pansori tradition-nel adaptant une pièce de Brecht avec troismusiciens, a su séduire un nouveau public.

Le théâtre, un bébé géant appelé à grandir ?Durant ces années-là, on assiste à l’émer-gence d’une nouvelle génération d’hommesde théâtre, issus du madang geuk et repre-nant ses codes pour inventer un “nouveau-nouveau théâtre coréen”. L’un est YangJung-ung, jeune auteur metteur-en-scène,qui a créé en 1997 la compagnie Yohangza(“Voyageurs”) dont les spectacles rencon-trent un grand succès à l’international, enparticulier son adaptation du Songe d’unenuit d’été qui a marqué le public français en2010 au CDN Dijon-Bourgogne. L’autreest Kim Kwang-lim, auteur célèbre, qui afondé la compagnie Wuturi en 2002, lors dela création du spectacle éponyme, montréau Théâtre du Soleil en 2004 devant un pu-blic ébloui mais rare, et revenu triompheren 2012 en Bourgogne avec l’histoire de ceBébé Géant. La même compagnie avait déjàprésenté sa version des Coréens de MichelVinaver, dans une mise en scène franco-co-réenne, qui avait marqué le public de deuxscènes nationales, Évreux-Louviers en 2008et Dijon en 2009. Ainsi, grâce à l’engage-ment de ces théâtres, le public français a purattraper son retard et découvrir deux com-pagnies qui tournent régulièrement ailleurs;il a été à chaque fois fasciné par l’énergie quedégagent ces artistes maîtrisant toute lagamme du jeu, de la danse, du chant, desarts martiaux, de la musique, pour produireun théâtre d’aujourd’hui, en prise directeavec la société et le public, et “d’autant plusuniversel qu’il est profondément coréen”,comme le disait le père fondateur de cemouvement, Heo Kyu.

La corne du rhinocéros... Après le Molièred’Éric Vigner et le Vinaver des Wuturi, nousavons découvert en 2010 un nouveau résul-tat des échanges entre la France et la Corée,le remarquable travail effectué par AlainTimar avec des comédiens du Théâtre Na-

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Wuturi, bébé géant deviendra grand ?

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tional de Séoul sur le Rhinocéros d’Ionesco.Ce spectacle marque une date importante,non seulement par sa qualité, mais aussi parle succès qu’il a remporté auprès du publicfrançais, sur un grand nombre de représen-tations, deux années de suite, au Festivald’Avignon (Théâtre des Halles). Sa réussiterepose sur la qualité des échanges et la cu-riosité dont Alain Timar a su faire preuvepour aller à la rencontre de ces comédiens àla fois ancrés dans une culture forte et ou-verts aux expériences. La présence du formi-dable musicien Choi Yongsuk et le sens ducollectif de ces comédiens rompus au travaild’équipe ont permis à Timar d’inventer lalecture dépoussiérée dont il rêvait de ce clas-sique de l’absurde.

Aujourd’hui et demain ?

L’an passé à Avignon, nous avons assisté àune rare conjonction, lorsque se sont re-trouvés, dans un même Festival, un metteuren scène français dirigeant une équipe co-réenne dans une pièce française(Alain Timar, Rhinocéros), unechanteuse classique créatrice d’unpansori moderne d’après Brecht(Lee Jaram, Le Dit de Sichuan), etune troupe coréenne donnant ungrand monologue coréen (O Tae-suk, La Mère, par Lee Jong-il), tousdûment surtitrés, et soutenus par laprésence du Centre culturel coréenà la chapelle Saint Michel place desCorps Saints : là, dans une sorted’off du off convivial, le public étaitconvié à découvrir chaque après-midi un aspect du théâtre coréen,autour des spectacles cités, maisaussi de manière plus large sousforme de présentations de piècestraduites, de conférences ou de pe-tits spectacles, avec comme pointculminant un concert d’airs de pan-soris traditionnels. Cette expériencea montré qu’il était possible decoordonner trois projets totalementdifférents et autonomes, en les ac-compagnant auprès du public inté-ressé par un travail d’initiationvivant et ouvert. En ce qui concerne 2012,après la création de notre traduction de LaMère d’O Tae-suk par la Compagnie Seize

Rêves à Rethel (tournée prévue en 2013) etle succès de Wuturi au CDN Dijon-Bour-gogne, rien qu’en ce mois de novembre,nous voyons les fruits de ce travail avec latournée du Rhinocéros dans sept villes fran-çaises, et le triomphe de la dernière créationde Lee Jaram, Le Dit de femme courage, auTNP de Villeurbanne.

Tout cela est très encourageant, mais ne doitpas empêcher de réfléchir à l’avenir : com-ment pérenniser ces liens entre les créateurscoréens et les théâtres français ? Après l’âgehéroïque des pionniers, nous pouvons sa-luer ce début de reconnaissance, avec destroupes coréennes plus aguerries aux néces-sités de s’ouvrir à l’international, et des di-recteurs français qui découvrent des formesde théâtre uniques par leur lien à la mu-sique, à la poésie et au corps, et s’aperçoiventque le public leur réserve à chaque fois unaccueil enthousiaste. Pourtant, le terrain estencore en friche, et nous aimerions suggérer

pour finir quelques remarques, issues denotre longue expérience d’accompagne-ment et de surtitrage. Les meilleures réus-

sites sont celles de lieux qui se donnent lesmoyens de faire partager un choc esthétiqued’une manière cohérente par rapport à leurprogrammation, avec le souci d’offrir au pu-blic les moyens d’approche nécessaires(conférences-spectacles, rencontres, surti-trage, etc.) La grande difficulté est de rendreces liens durables, sachant qu’à défaut d’unesalle de spectacle attenante au Centre cul-turel, aucun théâtre français ne se spéciali-sera dans la venue de troupes coréennes...Mais ces rencontres peuvent en permettred’autres, en créant un réseau de lieux, et eninscrivant dans la durée certains liens privi-légiés. On peut ainsi espérer lever lescraintes des producteurs français face à unart qu’ils jugent “difficile”, et qui, même pas-sionnés, sont parfois un peu frileux. Lescinq spectacles différents de pansori clas-sique venus depuis 2006 se trouvent avoirété, à chaque fois, le même Dit de Heungbodans sa version raccourcie à moins d’une

heure trente : à quand le retour devraies intégrales ? Quel producteursera assez fou pour nous offrir à nou-veau un Dit de Chunhyang de septheures ? Pourquoi est-il toujours aussidifficile d’organiser des tournées detroupes coréennes, malgré le succèsqu’elles rencontrent ? Nous sommescertains que les conditions peuventêtre aujourd’hui réunies en Francepour passer à la vitesse supérieure, et puisque nous parlons des arts de la scène en général, il nous semblerait intéressant d’oser lier entre eux les arts classiques et modernes, tous deuxtrès vivants, issus d’une même tradi-tion, et de présenter simultanément un pansori classique et un pansorimoderne, ou des danses masquées villageoises avec une troupe radicaleactuelle, et de poursuivre le travaild’échanges, une pièce coréenne mon-tée avec un regard français par des ac-teurs coréens, une traduction montéepar une grande troupe française, etc.Ainsi le réseau des lieux d’accueil, et

donc le public, pourrait s’élargir, et ce prin-temps du théâtre coréen préparer la venued’un bel été...

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1Culture Coréenne n° 70. Notre revue a publié de nombreux articles sur les arts de la scène coréens; nous nous permettons d'y renvoyer le lecteur intéressé, enparticulier, pour les événements cités dans cet article, les numéros 56, 58, 61, 66, 73, 78, 82, 84.

Lee Jaram, un pansori en expansion

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Séoul : spectacles à la cartePar Olivier LEHMANNJournaliste

L’actualité culturelle

Si la ville de Séoul fait preuve de tant de dynamisme culturel, c’est certainementen partie grâce à ses nombreuses troupes artistiques qui, depuis plusieurs années,livrent d’étonnantes performances sous la forme de spectacles non-verbaux aussiaccessibles que divertissants. Au gré de leurs pérégrinations dans les différentsquartiers de Séoul, amateurs éclairés et simples touristes en goguette peuventdonc découvrir ces manifestations artistiques qui rencontrent un succès jamaisdémenti et drainent souvent un nombre de spectateurs impressionnant. En voicid’ailleurs une petite sélection – forcément - subjective…

Les cuisiniers mettent littéralementle feu  dans Cookin’ Nanta !

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O-go-mu, la danse des cinq tambours,est un des moments-clés du spectacle

Korean Traditional Art Performance.

Sachoom : un show dansantqui montre l’évolution de trois

amis au fil de leur vie.

Des spectacles 365 jours par an, des représen-tations au minimum deux fois par jour et quipeuvent se tenir parfois dans trois lieux diffé-rents en même temps : pas de doute, la scèneartistique coréenne fait preuve d’une incroya-ble vivacité ! De la musique traditionnelle auxdémonstrations de B-Boys (danseurs de rue)en passant par les arts martiaux, le dessin oula cuisine, la variété des spectacles est souventde mise, ces thèmes se mélangeant mêmedans la plus grande allégresse. Il existe d’ail-leurs en filigrane au moins deux points com-muns entre toutes ces prouesses artistiques :la volonté pour chaque troupe d’illustrer à samanière les joies et les peines de la vie maisaussi de faire découvrir au plus grand nombrela culture coréenne d’hier et d’aujourd’hui…

A ce titre, le spectacle Korean Traditional ArtPerformance s’avère incontournable tant ilconstitue une manifestation flamboyante dela musique et de la danse coréennes issuesd’une tradition plus que millénaire. Répartisen neuf actes, Sinawi (ensemble de huit ins-truments traditionnels), danse de l’éventail,Pansori ou encore O-go-mu (percussionschorégraphiées)  envoûtent littéralement lepublic. Depuis sa création en 1981, ce spectaclea été joué plus de 15 000 fois et a déjà drainépas moins de 1,5 millions de spectateurs !

Dégustation sansfrontière avec la troupe

survoltée de Bibap !

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Un peu plus modeste en termes d’audiencemais tout aussi sonore et remuant : le showdu groupe Drum Cat. Pour leur secondspectacle intitulé The Festival, cette douzainede percussionnistes exclusivement fémi-nines se dépensent sans compter sur scènepour faire voyager le public tour à tour enAsie, en Amérique et en Europe, au rythmeeffréné de leurs tambours, additionnés par-fois de guitare électrique et violon dyna-mique. Menée avec beaucoup d’entrain parla charismatique See Do, véritable figured’amazone capable d’un solo de batterieébouriffant, la troupe Drum Cat s’offremême par moments quelques interludesfranchement humoristiques…

Pour le meilleur et pour le rire : c’est aussi ladevise de deux spectacles familiaux réjouis-sants basés sur la nourriture, Cookin’ Nantaet Bibap. Créé en 1997 et se jouant simulta-nément dans trois théâtres de Séoul avec destroupes différentes, Nanta jouit d’une im-mense popularité. Rien de plus normal dans

la mesure où cette histoire de jeunes chefscuisiniers, chargés d’organiser un grand ban-quet en un temps record, procure unebonne humeur incroyable en mélangeantjonglerie, gags visuels et performances so-nores (les ustensiles de cuisine sont utiliséscomme des instruments de musique). Sansoublier la participation sur scène du publicà un tournoi de confection de tartes ! Il se dégage également une très belle énergiecommunicative de Bibap, création récentequi narre joyeusement l’opposition de deuxchefs se défiant en permanence dans la pré-paration de plats (Bibimpap…). Le résultatest une sympathique et amusante farce quialterne danses et «  boites à rythme vi-vantes » (deux artistes se chargent des mu-siques uniquement avec leur bouche).Drôle et surprenant ! Enfin, davantage tournés vers un public plusjeune, les spectacles Sachoom et The DrawingShow, outre leur qualité, offrent aussi unethématique moins répandue. Ainsi, Sachoomse révèle une comédie musicale dans le styleBroadway avec une forte dose de romanceà l’occidentale. Tandis que The DrawingShow prend la forme d’une suite de perfor-mances basée sur le dessin et la peinture,aussi impressionnante que parfaitementadaptée aux enfants. Et s’il fallait un moyensupplémentaire pour convaincre le lecteurde découvrir ces spectacles, ce serait sans nuldoute le système du « Rush Ticket », relayépar l’Office National du Tourisme Coréen,et aboutissant jusqu’à 70 % de réduction surune place si elle est achetée le jour même dela représentation. Un bon plan qui ne faitque conforter le dynamisme actuel de lascène culturelle en Corée !

- Office du tourisme coréen : http://french.visitkorea.or.kr - Korean Traditional Art Performance : www.koreahouse.or.kr/eng/- Sachoom : www.sachoom.com- Drum Cat : www.drumcat.co.kr/eng/- Cookin’ Nanta : http://nanta.i-pmc.co.kr/nanta/en/intro.aspx- Bibap : www.bibap.co.kr- The Drawing Show : http://www.drawingshow.com/index_EN.html

Drum Cat : le seul groupeau monde de percussionnistes

exclusivement féminin.

Les artistes du Drawing Showmanient aussi bien fusain, crayon

et peinture à l’huile ou à l’eau.

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- Culture Coréenne  : Qu’est-ce qui vous aamené à la chanson ? Aviez-vous toujoursrêvé de devenir chanteur ?

- Kang San-eh : Devenir chanteur n’étaitpas un rêve d’enfant. Je suis originaire de laprovince de Gyeongsang [dans le sud-estdu pays] et j’ai fait mes études secondairesà Busan. A l’époque, cela m’avait semblétout naturel de poursuivre des études supé-rieures, comme le faisaient beaucoup demes connaissances. En entrant dans uneuniversité à Séoul, le petit provincial quej’étais a eu littéralement un choc culturel.La Corée du Sud était alors dirigée par unedictature militaire [début des années1980] qui contrôlait tous les médias. J’enai pris conscience en montant dans la capi-tale. Jusqu’à ce moment-là, je croyais toutce qu’on me disait. A Séoul, les étudiantsmanifestaient quotidiennement et je voyaisenfin le monde tel qu’il tournait. Ce chocm’a plongé dans une confusion psycholo-gique totale. J’avais par ailleurs un pro-blème d’ordre financier. En fait, ma famillen’était pas assez riche pour que je puissecontinuer des études auxquelles j’ai finale-ment renoncé. Comme il fallait bien vivre,j’ai commencé à faire des petits boulots.

Notamment dans une taverne à Goyang,près de Séoul, au centre de ce qui par lasuite est devenu une sorte de Mecque de laculture jeunes comme l’est aujourd’hui lequartier de l’Université Hongik. C’est làque j’ai commencé à ouvrir les yeux sur lasociété. Mais je n’envisageais pas encore dedevenir chanteur. Je n’avais aucune idée dece que j’allais faire de ma vie, ni de ce quej’aimais. Aucun modèle ne me paraissaitsuffisamment intéressant pour que je lesuive. La seule chose qui m’amusait plus oumoins, c’était de jouer de la guitare – maisà l’époque tout le monde le faisait ! Il s’agis-sait surtout d’un passe-temps. J’ignoraistout de la façon dont on devenait musi-cien. Le niveau culturel général était assezpauvre.

En 1989, je suis allé au Japon avec une amiejaponaise – qui, depuis, est devenue mafemme. Ce fut un deuxième choc culturel,sismique. Jusqu’à cette période, les Coréensn’avaient pas trop le droit de voyager àl’étranger. J’ai trouvé au Japon toute unegamme de styles de vie possibles dont jepourrais m’inspirer. Le contact avec tousces gens, si différents les uns des autres, m’alibéré du poids qui pesait sur moi – « que

vais-je faire de ma vie ? » – malgré l’insou-ciance de la jeunesse qui était alors lamienne. J’ai aussi assisté à beaucoup deconcerts d’artistes venant de divers pays etje me suis mis à rêver de devenir commeeux. Je me suis dit qu’il fallait que je trouvemon propre style. C’est comme ça que j’aicommencé à écrire des chansons.

- C. C. : Est-il possible de vous définir ? Etes-vous un rocker, un chanteur engagé, un au-teur-compositeur-interprète ?

- Kang San-eh : Le monde me définit tou-jours avant que je ne le fasse ! A mes yeux,je suis avant tout un faible : je ne résiste pasaux tentations ! Un rocker ? Si vous voulez.Folk singer, folk-rock, rock… Quand je ren-contrais un étranger et que je lui disais queje faisais de la musique, il me demandait dequel genre de musique il s’agissait. Je ne sa-vais jamais quoi répondre. Je me voyaisobligé de fournir des explications : « C’estune sorte de rock, etc. » Aujourd’hui, jeréponds tout simplement que je suis unchanteur de rock. Les étiquettes, ça m’in-téresse de moins en moins. Certes, j’ai del’expérience dans le domaine de la musique.La plupart du temps, j’écris moi-même mes

Interviews

Kang San-eh,

En ce temps où la K-pop conquiert les jeunes dans nombre de pays, voiciun chanteur venu de Corée, dont l’univers musical est bien plus coréenque ceux de ces « idoles ». Même s’il déclare que ses chansons sont avanttout personnelles, l’auteur-compositeur-interprète Kang San-eh, qui a tro-qué son prénom signifiant « héros » contre un nom d’artiste qui veut dire« par les fleuves et les montagnes », est une figure emblématique pour sagénération, celle qui a vécu – voire lutté pour – la démocratisation de laCorée du Sud. Son premier album, publié en 1993, lui vaut déjà l’étiquettede « chanteur engagé ». Mais les dizaines d’albums qu’il a sortis depuisfont apparaître avant tout un artiste qui se renouvelle sans cesse et qui secherche toujours en s’ouvrant au monde extérieur. Ce sont sans doute cette quête infatigable et cette ouverture d’esprit quigardent à cet homme proche de la cinquantaine et dont la devise paraît être : « les copains d’abord », une allure étonnammentjeune. Culture Coréenne a pu l’interviewer pour vous à Paris, à l’occasion du premier concert européen qu’il y a donné - le 5décembre 2012 - et qui a fait salle comble. « Je me sens rempli d’énergie grâce à vous » a-t-il déclaré, visiblement très ému, aumilieu de ce concert à son public enthousiasmé.

un rocker qui se cherche sur tous les sentiers du monde

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chansons, paroles et musique. Quant àl’inspiration, ça dépend. Des phénomènesde société, le contact avec une cultureétrangère, la rencontre avec une personneoriginale… Tout m’inspire. Mais je ne saisrien faire d’autre. Je ne connais pas grand-chose à l’art. Seulement, je cherche en moi-même quelque chose que je ne sauraisdéfinir.

- C. C. : On vous présente quand même assezsouvent comme un chanteur engagé ?

- Kang San-eh : Je l’ai été, surtout… Biensûr, aujourd’hui encore, je rêve d’unmonde plus juste, de la paix. Mais s’il y a eudans le passé une période où je me consa-crais entièrement à ces sujets-là, il y en a euune autre par la suite où au contraire je lesfuyais volontairement, m’intéressant da-vantage au questionnement intérieur. Audébut de ma carrière, quand je n’avais pasencore assez d’expérience de la vie, je parlaisde ma famille ou de ce que j’avais éprouvéen faisant des petits boulots. Une de ceschansons, intitulée « Raguyo », que j’avaisécrite pour l’offrir à ma mère, lui étaitconsacrée. Mais son enfance sous l’occupa-tion japonaise [1910-1945], la guerre quiavait fait d’elle une réfugiée… bref, ce quiétait son histoire à elle, était si étroitementlié à celle du pays que la chanson a touchébeaucoup de gens. Elle a fait de moi un

« artiste engagé », un peu malgré moi.

Pour mon deuxième et mon troisième al-bums, je me suis inspiré d’artistes étrangerstrès militants. Mais cette étiquette me met-tait mal à l’aise, je ne me retrouvais pas vrai-ment dans l’image qu’elle donnait de moi,car dans la vie j’étais avant tout un margi-nal, un excentrique. Cela m’a poussé àvoyager. Je me posais beaucoup de ques-tions. Qu’est-ce que je veux ? Qu’est-ce quej’aime ? Que vais-je faire de ma vie ? Etc. Legenre de questions que chacun se pose à unmoment ou à un autre. Quand je me suisremis au travail, mes chansons parlaient da-vantage de la vie quotidienne.

- C. C. : Vous êtes-vous trouvé ? Ou conti-nuez-vous à vous chercher ?

- Kang San-eh  : Je sais au moins ce quej’aime, ce que je veux. Plus concrètement,je suis parvenu à accepter la vie. Aupara-vant, je me disais : « Mais qu’est-ce que jefais là ? » A force de me poser des ques-tions et d’essayer d’y répondre, j’ai fini parsavoir ce que je voulais, par accepter la réa-lité quotidienne. Car il fallait choisir entrela vie et l’autre côté du miroir. Ce dernierne m’intriguait pas suffisamment, car j’al-lais de toute manière l’atteindre un jour !« Alors qu’est-ce que c’est, la vie ?  Ce quetu as tant essayé de fuir, qui t’a donné unpeu de bonheur et tant de tristesse… Tout

depuis ton départ jusqu’à ce jour où tu esassis sur ce rocher en train de te poser desquestions, c’est ça, la vie. » Alors qu’en ai-je fait ? me suis-je demandé. Les rares mo-ments de bonheur que j’avais connus,c’était quand j’avais vu les gens émus parmes chansons. Il n’y avait pas que de la joiedans tout cela, mais c’était tout de même lameilleure chose qui me soit arrivée et il fal-lait que je continue.

- C. C. : Vous avez récemment rencontré desétudiants français qui se sont dits enchantés.Quand vous dialoguez avec des jeunes, Co-réens ou étrangers, de quoi avez-vous enviede parler avec eux ? Qu’avez-vous envie deleur dire ?

- Kang San-eh  : Une fois, j’ai fait une randonnée dans le désert. C’était à l’occa-sion d’une visite à un ami qui habitait enCalifornie – j’ai l’habitude de décider demes destinations en fonction des endroitsoù vivent mes amis, qui se trouvent ducoup à l’origine des rencontres qui ont façonné ma vie. Il m’a emmené découvrirla nature. Il était un peu mon mentor.Nous accompagnait une jeune femme, également plus âgée que moi. Nous avonsdressé notre campement, puis nous noussommes promenés dans les environs. Unjour, alors que je les suivais, j’ai vu cettefemme bifurquer soudain. En fait, c’étaitpour contourner un cactus. Mais j’étaisresté perplexe en voyant mes compagnonsavancer dans deux directions différentes.J’ai demandé à la jeune femme, qui étaitplus près de moi  : «  Mais quel chemindois-je prendre  ? Lequel de vous deux dois-je suivre ? » Elle m’a répondu sur unton léger : « Là où tu vas, c’est ton che-min. » Je me suis alors rendu compte quenous étions dans un désert et que ce n’étaitpas comme s’il y avait des sentiers balisés.Cette réponse a été comme une révélationpour moi, qui voyais dans ce désert unemétaphore de mes errances. Là où je vais,c’est mon chemin, ma vie. C’est ce que j’essaie de me rappeler toujours et c’est aussice que j’ai envie de dire aux jeunes.

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Propos recueillis par JEONG Eun-jin

Lors de son concert parisien du 5 décembre, au Divan du Monde, Kang San-eh a littéralement enflamméle public venu nombreux.

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Programmes touristiques pour faire découvrir la culture et les traditions coréennes

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Voyages, tourisme

Si vous faites partie de ceux qui recherchent autre chose qu’un voyage classique - avec visitestouristiques, dégustations de cuisine traditionnelle et shopping -, l’Office National du Tou-risme Coréen vous recommande ses 7 programmes à thème qui vous permettront de découvrirplus en profondeur la culture, l’histoire et les traditions coréennes.

Le premier programme d’initiation à l’artisanat d’art, permet de découvrir la broderie tradi-tionnelle et le papier coréen Hanji, avec lequel sont confectionnés de jolis objets très variés.Un autre programme d’initiation à la cuisine coréenne permet d’apprendre à préparer le Kim-chi, le fameux chou chinois fermenté dont les Coréens raffolent, et quelques autres plats deCorée. La vie en Hanok - maison typique coréenne -, se trouve également à la base d’un pro-gramme proposant aux voyageurs de passer une nuit « à la manière traditionnelle », de dé-couvrir ainsi une architecture ingénieuse, la structure et la répartition des espaces intérieurs,et de mieux appréhender le mode de vie des Coréens de l’ancien temps. Le Taekwondo, artmartial emblématique de la Corée, fait aussi l’objet d’un programme donnant l’occasion à ceuxqui ont l’esprit sportif d’améliorer leurs capacités physiques et force mentale. Et pour les per-sonnes qui sont à la recherche de médecines alternatives, elles seront sans doute intéresséespar le programme offrant la possibilité de se familiariser avec la médecine traditionnelle co-réenne. Quant à l’art de la céramique et des céladons (très recherchés pour leur finesse), l’undes fleurons de l’héritage culturel coréen, il servira également de support à un passionnantprogramme d’initiation. Enfin, un programme proposant de découvrir la beauté architecturaledes palais royaux, avec possibilité d’essayer l’élégant costume coréen Hanbok, ne manquerapas de combler les visiteurs les plus exigeants en matière d’esthétique et de raffinement.

A travers ces sept programmes, c’est un bel éventail de possibilités qui est offert aux touristesétrangers, qui pourront ainsi goûter au charme unique de la Corée et rentrer enchantés parleur voyage !   

Pour plus de renseignements : http://french.visitkorea.or.kr/fre/SI/SI_FR_4_1_7.jsp Sources : Office National du Tourisme Coréen

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Nouveautés

Livres

...La Corée d’aujourd’hui fait de plus en plus parlerd’elle, mais celle d’hier, avant la guerre (1950-1953) et la colonisation japonaise (1910-1945),demeure largement méconnue. On ignore que lapéninsule fut un creuset d’innovations scienti-fiques et techniques, un centre intellectuel et reli-gieux, auquel on doit aussi bien la mystiquebouddhiste que la pâte à papier, l’imprimerie surcaractères mobiles ou la céramique céladon. Ré-gulièrement ravagée par les invasions et guerres,constamment menacée par ses deux puissantsvoisins, la Chine et le Japon, qui ont cherché à l’as-servir ou à la coloniser, la Corée a su s’adapterpour préserver son identité culturelle et imposerson autonomie.. Son histoire est une véritableépopée...

-Ed. Tallandier-

Voici dix récits écrits dans un style brut commeles à-pics de la montagne et lyrique comme l’in-fini marin. Dix récits de Lim Chul-woo quinous font courir de Séoul aux villages rustiquesdu Sud-Ouest, entre 1953 et nos jours, et quimettent en scène des Coréens de naguère etd’aujourd’hui. Un peuple marqué par les tradi-tions confucéennes et chamaniques, pour yvivre à l’aise ou pour y échapper. Avide de mo-dernité, la meilleure et la pire. Hanté par lesluttes fratricides sur arrière-plan politique, maissans cesse ramené aux problèmes actuels.Coincé entre la grande Histoire et les petiteshistoires, douloureuses et dérisoires. Un peuplesouvent inconnu, mais dont nous vivons la pro-fonde humanité...

-Ed. Imago-

Un père en short fluo qui n’a cessé de courir de-puis que sa fille est née, un père qui perd son en-fant dans un jardin public, un père qui ne croit pasau destin d’écrivain de son fils, un père sans do-micile fixe, compagnon et cause des insomnies desa fille, un père qui se dispute avec un lampadaire,voici les portraits au vitriol et pourtant attendrisque nous adresse Kim Ae-ran depuis sa lointaineCorée. Les cinq microfictions du présent volumenous donnent à lire dans un style incisif et sou-vent loufoque, l’impact de la modernité dans unpays où chaque membre de la famille, premièreinstitution, devient tour à tour parent et enfant.Laforce de KIM Ae-ran nous permet d’accepter etde dépasser nos peines, dans un agréable mélanged’humour et de sentiment..

-Ed. Decrescenzo-

Qui est l’auteur de cet hommage rendu à toutesles mères du monde, celles qui remplacenthumblement les dieux dans les foyers ? Elle senomme Moon Chung-hee. Elle est l’une des fi-gures majeures de la poésie coréenne contem-poraine, mais n’avait encore jamais été publiéeen France. Ses textes, rassemblés sous le titreCelle qui mangeait le riz froid, ont souvent pourpoint de départ une réalité prosaïque : un lé-gume, une lessiveuse de linge sale, la prépara-tion d’un repas, une fleur, un examen médical.Mais l’auteure possède le don de transfigurerles choses les plus ordinaires pour en révéler laprofondeur et la charge émotive. Sa poésietouche au coeur avec des mots simples...

-Ed. Bruno Doucey-

Distingué pour ses talents de tueur de rats, T-Kest envoyé par son entreprise dans un pays appeléC, ravagé par une épidémie. C’est le début d’uncauchemar : mis en quarantaine, accusé du meur-tre de sa femme, il n’aura d’autre issue que dans lafuite, avant qu’il ne s’évanouisse dans les égoutsde la ville pour disputer leur nourriture aux ratsqu’ils est chargé d’éliminer. Roman de la dispari-tion, de l’absurdité de l’existence : dans cette ville,il fera l’apprentissage du découragement et de lasolitude, avec toujours l’impression de marchersur une fine couche de glace près de se fissurer àtout moment. C’est le roman d’un homme qui atout perdu y compris son nom et sa mémoire, unhomme victime du présent et confronté aux fan-tômes de son passé...

-Ed. Philippe Picquier-

Ce texte autobiographique romancé décrit, avecempathie et humour, l’enfance et la jeunesse de laromancière Pak Wan-seo (1931-2011) dans uneCorée bouleversée par l’occupation japonaise etla guerre de Corée qui l’a profondément marquée.Mêlant destin individuel et histoire d’un pays, iltisse les drames avec brio et finesse, offrant à la lit-térature un important témoignage. Les lecteursne s’y sont pas trompés, en Corée où il s’est venduà plus de 1,5 million d’exemplaires, et aux États-Unis où la traduction anglaise a été acclamée parla critique. Pak Wan-seo a remporté en Corée lesprix littéraires les plus prestigieux récompensantune œuvre exigeante qui porte un regard sanscomplaisance sur la société coréenne moderne.

-Ed. Ateliers des Cahiers-www.ateliersdescahiers.net

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« Yobi, Le renard à cinq queues », de Lee Sung-gangYobi vit dans la colline depuis des millénaires. Maisau fil du temps, la ville s’est développée et étenduejusqu’au pied de la colline. Cependant, les humainssont effrayés par les renards à cinq queues qui volentleur âme pour devenir humains. Pour parvenir à ap-procher le jeune garçon dont elle est tombée amou-reuse, Yobi va alors mettre à profit son aptitude àse transformer en jeune fille. Mais l’apparition d’unchasseur de renards, source de danger, va boulever-ser le petit monde de Yobi… 

- Éd. Montparnasse -

DVD

Bien sûr, cette sélection ne peut être exhaustive. Pour toute information complémentaire sur les publications coréennes en France,merci de contacter notre bibliothèque au 01 47 20 84 96

Il était une fois, au cœur d’une rizière, deux frères qui travaillaient ensemble tout au long de l’année. Pour chacun, ce qui comptaitle plus, c’était le bonheur de l’autre. Rien ne pouvait altérer leur si belle entente, pas même l’irruption de drôles de phénomènesincompréhensibles...Ce conte traditionnel est une jolie histoire permettant de mesurer la force de l’attachement entre deux frères coréens et, plus gé-néralement, l’importance et la solidité des liens familiaux en Corée, des liens tissés par l’affection et qui sont traditionnellementbasés sur l’entraide et la solidarité.

-Ed. Flammarion / Chan-ok-

Un beau jour, la chenille qui rampe sur les tiges des plantes se transforme en un splendide papillon et se met à voler dans leschamps. Pourquoi cet animal change-t-il de forme au cours de sa vie  ? Et pourquoi passe-t-il autant de tempsauprès des fleurs ? Toutes ces questions trouveront leur réponse dans ce joli livre à destination des 5-7 ans ! Les auteurs, ChoiJae-cheon et Yi Hee-jeong, collaborent avec Dreaming Green, association coréenne d’éditeurs spécialisés dans les ouvrages scien-tifiques. Depuis longtemps, elle s’intéresse à l’écologie et a publié de nombreux livres sur les sciences de la nature et de l’environ-nement.

-Ed. Mango Jeunesse-

« Far Away », de Kang Je-kyuFilm de guerre, avec  Dong-gun Jang, Joe Odagiri, Bing-bing FanNormandie, Juin 1944. Dans les rangs de l’armée al-lemande, les alliés découvrent deux soldats coréensvenus de l’autre bout du monde. Faits prisonniers parles Soviétiques puis les Allemands, ils ont combattudans trois armées, sur tous les continents, et traverséplus de 12 000 km à travers la Seconde Guerre Mon-diale. Leur exploit est resté inconnu jusqu’à ce jour...

-Ed. Wild Side/Warner-

Dream High (드림하이 Deu rim ha i), de Lee Eun-BokSérie télévisée sud-coréenne produite par lachaine KBS2, avec Kim Soo-Hyun, IU, Ham Eun-Jung, Taecyeon, Suzy, WooyoungLe lycée Kirin est une prestigieuse école de chant etde danse. Cette année, trois étudiants de talent vontintégrer l’école : Song Samdong, Ko Hyemi et Jin-guk. Tous rêvent de devenir des stars et sont prêts àdépasser leurs limites pour y parvenir... Cette série,dans laquelle se croisent les destins, de jeunes rêvantde transformer leur talent en gloire, a rencontré enCorée un grand succès. Ce 1er coffret de 6 DVDcontient les 16 premiers épisodes de la série.

- Ed. Drama Passion -

« Entre chien et loup », de Jeon Soo-ilDrame, avec Kil-kang Ahn,  Kum Sun-jai,  Kim Du-yongKim, cinéaste, reçoit soudain un coup de téléphonede son cousin Il-kyu, dont les parents avaient été sé-parés durant la guerre de Corée. Ces derniers ontl’intention de se retrouver en Chine et Il-kyu veutque Kim accompagne sa mère. Alors qu’il se dirigevers son village natal, Kim remarque une jeunefemme qui l’attire. Il la rencontre à nouveau par ha-sard dans un hôtel et la suit dans les montagnes…

- Les Films du Paradoxe -

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