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Lucien Febvre Professeur au Collège de France Autour de l’Heptaméron Amour sacré, amour profane Nrf Gallimard, Paris, 1944 4 ème édition Un document produit en version numérique par Jean-Marc Simonet, bénévole, professeur retraité de l’enseignement de l’Université de Paris XI-Orsay Courriel: [email protected] Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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  • Lucien Febvre

    Professeur au Collge de France

    Autour de lHeptamronAmour sacr, amour profane

    Nrf

    Gallimard, Paris, 19444me dition

    Un document produit en version numrique par Jean-Marc Simonet, bnvole,professeur retrait de lenseignement de lUniversit de Paris XI-Orsay

    Courriel: [email protected]

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://classiques.uqac.ca/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

  • Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marc Simonet, bnvole.Courriel: [email protected]

    partir du livre de :

    Lucien Febvre Professeur au Collge de France

    Autour de lHeptamronAmour sacr, amour profane

    Collection nfr

    Gallimard, Paris, 1944, 300 pages, 3 figures.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition numrique ralise le 4 novembre 2006 Chicoutimi, Ville de Sague-nay, province de Qubec, Canada.

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 2

  • Marguerite en deuil blanc

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    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 3

  • POUR SUZANNE FEBVRE

    Deux cueurs en ung, et chascun content MARGUERITE, Dern. Posies, 31.

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 4

  • TABLE DES MATIRES

    Poser la question

    Premire partieMARGUERITE LA CHRTIENNE

    Chapitre I. DAngoulme en Navarre I. II.

    Chapitre II. Les premiers pomes chrtiens I. II.

    Chapitre III. Marguerite, Erasme et la Renaissance I. II.

    Chapitre IV. Marguerite et les leons pauliniennes de Brionnet I. II. III. IV. V.

    Chapitre V. Marguerite luthrienne ? I. I.

    Pour conclure : Un document I. II.

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 5

  • Deuxime partieMARGUERITE QUI FIT LHEPTAMRON

    Chapitre I. La reine de Navarre I. II.

    Chapitre II. Autour dun prologue Chapitre III. Une nouvelle de lHeptamron Chapitre IV. Le sens vritable de lHeptamron Chapitre V. De la courtoisie au viol

    I. II.

    Chapitre VI. Amour et mariage dans lHeptamron I. II.

    Pour conclure : Marguerite simple, Marguerite double ? I. La religion de lHeptamron. II. Marguerite en 1547. III. Religion et moralisme au XVIe sicle.

    Fin du texte.

    Notice bibliographique

    Table des illustrations

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 6

  • Poser la question.

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    Quand jtais petit garon, il y a bien longtemps, nos matres, nos bons vieux matres du lyce de Nancy, proposaient nos ardeurs de splendides sujets de composition : Dites tout ce que vous savez sur Charlemagne. Voire sur le calcaire , que le vinaigre doit fondre (sil refuse, il a tort). Ou bien encore sur les cryptogames, ces nigmes au nom plein de mystre. Car la formule servait tout et tous, lhistoire naturelle comme lhistoire tout court. Elle tait univer-selle comme dit le quincaillier en nous proposant ses clefs anglaises perfectionnes. Disons polyvalente , par souci de dignit scientifi-que.

    Eh bien, quon ne cherche pas dans ce petit livre une rponse si magnifique question. On serait du. Jai refus, je refuse de compo-ser en histoire, une fois de plus. Dtre complet . Complet, ce beau mot denfant, ou de vieux savant : cest tout un. Je ne serai pas com-plet. Je voudrais, une fois de plus, comprendre, et faire comprendre. Comprendre, ramasser, ressaisir, reconstituer, comprehendere. Et ce livre va en rejoindre dautres qui eux non plus ne sont pas com-plets. Mais tous, je lespre, proposent quelque nigme notre besoin de trouver.

    ***

    Cest un fait. Avec une merveilleuse assurance, nimporte qui, sagissant du XVIe sicle, croit pouvoir traiter de nimporte quoi, nimporte o et comment. Il est beau de voir tant de bateaux avanta-geux entrer pleines voiles, et tout pavois dehors, dans ces profondes et secrtes calanques, hrisses dcueils inconnus aux cartographes et qui se nomment, entre autres, Rabelais et Des Priers, Marguerite et Dolet, Maurice Scve et Ronsard. Il est beau de les voir, leur mode

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  • ingnue, dcrter cette modernit du XVIe sicle dont Henri Hau-ser, lui, pouvait parler. Mais ils nont queux mettre dans ce sicle bouillant ; rien dtonnant ce quils ny retrouvent queux.

    Rabelais et Des Priers, Marguerite et Dolet, Maurice Scve et Ronsard : des noms de grands crivains pour le critique littraire. Pour lhistorien, des noms de grands tmoins. Mais dont le tmoignage nest pas du tout limpide...

    Quils sont donc loin de nous, dj, ces dposants ? Faons de par-ler, faons dcrire, faons de penser, de concevoir, dassocier les ides : il faut quelque temps, il faut quelque effort pour sen aperce-voir, mais : ce ne sont pas les ntres. Ce ne sont plus les ntres. Le ter-rible, seulement, cest que le, lecteur non prvenu, le bon lecteur naf (au vieux sens du mot) qui ouvre leurs crits et souvent sen dlecte, ne saperoit gnralement daucun changement notable. Si ! Il y a lorthographe, cette diablesse dorthographe, avec son foisonnement de lettres parasites, qui gnent mais amusent par leur pittoresque : tant d hostelleries, pantagruliques et non austres , comme disent nos humanistes de la cuiller pot, nont-ils point jamais li dans son es-prit ls tymologique de nostre et ll, que nous rendons sonore, de moult, avec une sorte de truculence pulaire qui se qualifie propre-ment de rabelaisienne ? Pour le reste, point de difficult. Ces grands raillards dil y a quatre cents ans, o trouver le mystre en eux ? On les touche de la main. Ce sont de bons vieux frres, un peu gros, mais pleins de saveur native. Et de bouquet. Ils dlassent du classique et de ses contraintes guindes...

    D l, dans nos livres dhistoire littraire, philosophique ou reli-gieuse, cette surprenante galerie tratologique, cette collection de monstres fabriqus de pices et de morceaux, avec deux ttes ou deux curs, incomprhensibles ds quon essaie de les saisir dans leur vri-table unit vivante. En fait, des personnages du XVIe sicle que nous pouvons essayer de connatre et parce quils nous semblent en va-loir la peine, et parce que le hasard nous a conserv sur eux un mini-mum ncessaire de tmoignages donner une interprtation psycho-logique cohrente et valable : tche dlicate, toujours, dsespre sou-vent. Runir le dossier des textes et des faits : besogne simple. Lem-barras commence ds lors que, du dossier, il sagit dextraire une per-

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  • sonne vivante, cohrente, pleinement intelligible. Et dailleurs, intelli-gible pour qui ? L prcisment gt la difficult.

    ***

    A quel point la psychologie dun Franais du XVIe sicle ne saurait tre celle dun Franais du XXe, on ne veut pas limaginer. Et cepen-dant ? Dpourvus dides qui sont tellement ntres que, le jour mme de notre apparition dans la vie, nous nous en trouvons nantis sans avoir rien fait que de natre les hommes, les femmes de 1530 taient nourris dune infinit dautres ides, totalement trangres nos conceptions de la vie et du monde. Ils les trouvaient, eux aussi dans leurs berceaux ; elles tapissaient pour la vie leurs chambres mditer ; elles inspiraient non seulement leurs actes et leurs dmar-ches, mais leurs raisonnements et leurs crits ; elles se renforaient des ides analogues que professaient leurs contemporains ; elles les mettaient, finalement, aussi loin de nous quil est possible dtre loin quand on use dune langue qui est la mme dans la mesure, sen-tend, o un vieillard de soixante-dix ans est le mme que le jeune homme de vingt ans quil fut, un demi-sicle plus tt.

    A ces anctres, prter candidement des connaissances de fait et donc, des matriaux dides que nous possdons tous, mais quaux plus savants dentre eux il tait impossible de se procurer ; imiter tant de bons missionnaires qui jadis revinrent merveills des les : car tous les sauvages quils avaient rencontrs croyaient en Dieu ; un tout petit pas de plus, et ils seraient de vrais chrtiens ; doter nous aussi les contemporains du pape Lon, avec une gnrosit sans fond, des con-ceptions de lunivers et de la vie que notre science nous a forges et qui sont telles quaucun de leurs lments, ou presque, nhabita onc-ques lesprit dun homme de la Renaissance on compte malheureu-sement les historiens, je dis les plus hupps, qui reculent devant une telle dformation du pass, une telle mutilation de la personne hu-maine dans son volution. Et ceci sans doute, faute de stre pos la question que nous posons plus haut, la question de lintelligibilit.

    En fait, un homme du XVIe sicle doit tre, intelligible non par rap-port nous, mais par rapport ses contemporains. Ce nest point nous et nos ides, cest eux et leurs ides quil les faut rfrer. Et

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  • si le travail de restitution quil nous faut mener bien pour aboutir cette intelligibilit difficile savre particulirement ardu ; sil ne sau-rait tre tent que par un travailleur dont tout leffort a tendu, pendant des annes, se forger une me dhomme dun autre temps ; sil est sans doute de tous les labeurs de lhistorien le plus dlicat mener bien : raison de plus pour lentreprendre de prfrence. A ses risques et prils.

    ***

    Marguerite dAngoulme, duchesse dAlenon, puis reine de Na-varre : aprs tant de biographies et de monographies, desquisses hti-ves et de recherches pousses, nhsitons point dire quelle demeure pour nous une des plus irritantes nigmes de son sicle.

    Sur passionnment dvoue du roi Franois, Marguerite est dabord la grande dame, qui tient avec clat la cour de son frre, aux lieu et place de la bonne reine Claude, fort empche de quitter sa ta-pisserie et le petit cercle familier de ses femmes. Marguerite, fille des Valois, occupe avec une matrise reconnue de tous lemploi de reine de France, in partibus aulicorum. Au monde et ses rites, elle ne se prte pas demi ; elle se trouve mle par son frre aux plus grandes affaires du rgne, sduit les ambassadeurs, ngocie avec les ministres,. court Madrid aprs Pavie, sassocie plus tard la politique entrave du roi de Navarre, son second mari ; finalement, au soir de sa vie, dsabuse peut-tre, riche dexprience humaine en tout cas, elle en-treprend dcrire un recueil de nouvelles qui devait former un Dca-mron franais ; ce ne fut quun Heptamron mais on linscrit tou-jours, traditionnellement, sur la liste des uvres gauloises de notre littrature bien heureux sil nest point incrimin de scandale par des juges vertueux ; il na pas peu contribu, en tout cas, crer limage dune, Renaissance truculente, dbride, pleine de rapts, das-sassinats, de poisons et dadultres : une Renaissance la Brantme, ou si lon prfre, la Dumas, la Hugo, la Verdi.

    Cependant, cette Marguerite mondaine, cette Marguerite conteuse de rcits sans dification, cette Marguerite quHenri VIII, le roi sadi-que, priait de lui amener en Angleterre tout un lot piaffant et caquetant de belles Franaises, pour quil pt parmi elles choisir une nouvelle

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  • reine son apptit cest elle, cest bien elle, cest la mme Margue-rite que nous voyons, partir de 1521, se placer sous la direction dun vque, mystique et rformateur, lui crire de longues ptres pieuses, en recevoir de plus longues, nourrir une foi fervente des leons de lEvangile, dcouvrir tour tour et le jeune Luther des crits de 1520, et lhrtique auteur de lInstitution, cest elle qui assure en France, presque son dpart, cette tradition de lyrisme sacr qui, de Jean Ra-cine, cheminera travers notre littrature jusquau Verlaine de la Bonne Chanson... Singuliers contrastes, on lavouera. Comment en rendre compte ? Les interprter, les rendre intelligibles cest prci-sment tout lobjet de ce livre.

    ***

    Mais il ny a pas de question ?... Comme tout tre humain, Marguerite a pass par des phases successives et violemment contras-tes dagitation et de recueillement, de bonheur et de chagrin, de lg-ret mondaine et de gravit chrtienne. Solution trop simple, ou plu-tt trop simpliste fausse dailleurs. Car cest la Marguerite, du Mi-roir de lAme Pcheresse, cest la partenaire de lvque de Meaux dans ce grand duo mystique qui se poursuit, par lettres, de 1521 1524, cest elle qui invente les devises paennes, en leur temps fort c-lbres, que le roi Franois grave sur les joyaux dont il orne les bras blancs et les somptueuses poitrines de ses matresses. Inversement, les contes gaulois de lHeptamron sont composs par une vieille dame profondment chrtienne, sentant dj la mort rder autour delle et qui dans lencrier qu deux mains, devant elle, dans sa litire, tient bien serr la grandmre de Brantme trempe, pour narrer les histoires grasses de Bonnivet, la mme plume que, nagure, pour faire deviser lme pcheresse avec son crateur. Une fois de plus, la solution par tranches, si chre lhistorien, savre brutale et absurde. Elle dtruit lunit de la personne vivante. Elle escamote les problmes dme. Il en va de la distinction des priodes chez lcrivain comme de la succession des manires chez le peintre ; moyen mnmotechnique si lon veut ; explication de luvre et jalon dune histoire psychologique valable, jamais.

    Au vrai, ce qui importe dans de pareils dbats, cest le sentiment du sujet, le sentiment de Marguerite et non notre sentiment sur Mar-

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  • guerite. Le tout est de savoir si, quand elle crivait lHeptamron, la reine de Navarre avait conscience, ou non, de rompre avec ses activi-ts chrtiennes et dtre la femme double celle qui dit : Cest moi, la croyante, qui fis le Miroir de lAme Pcheresse et les Prisons. Et cest cette mondaine, frivole et galante, qui rdigea, la vilaine, le Dcamron du Roi qui samusait... En fait, nous le verrons ; point de nouvelle o quelque passage natteste valablement que les convictions de Marguerite sont restes les mmes de 1520 1550, chiffres arron-dis et quen composant lHeptamron, elle ne croit point trahir son pass de ferveur religieuse : un pass qui du reste est toujours prsent. Alors ?

    Alors, autre chose est en jeu, sans doute, que la psychologie. Autre chose de plus fixe nos yeux, de plus stable dans nos croyances ; au-tre chose que nous jugeons, tort, plus immuable : la morale.

    Car nous avons beau multiplier les explications et les interprta-tions psychologiques ; entre les rcits gaulois de lHeptamron et les pieuses homlies de Madame Oysille, qui, paradoxalement, semble le chaperonner ; entre les adultres faciles et les lectures commentes de lEvangile qui leur servent en quelque sorte dintroduction dvote il ny en a pas moins pour nous, quoi que nous disions, quoi que nous fassions, une incompatibilit certaine et gnante. Si forte, quil faut bien introduire, ici, la notion de changements substantiels et profonds et poser, pour tout dire dun mot, la grosse question des rapports de lthique et de la religion chrtienne dans les uvres du temps. Voil qui nous a men nous demander si lincompatibilit ntait pas, bien plus quentre deux aspects dune uvre littraire, ou entre deux ten-dances dune personnalit vigoureuse entre une religion, le chris-tianisme des contemporains de Marguerite et une morale : la mo-rale courante au XVIe sicle, des milieux polis, raffins et mondains la morale du courtisan franais la cour du roi Franois. Rapport des croyances religieuses aux conceptions, aux institutions, aux pratiques morales dune poque : problme qui nest pas dhistoire littraire ; problme qui justifie lentre en scne dun historien ; problme que nous avons tout la fois la curiosit lgitime de poser et lambition de rsoudre.

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 12

  • Ainsi ce livre nest, ce livre ne veut tre ni une tude densemble sur Marguerite de Navarre, ni une monographie en forme de ses sen-timents religieux. Ltude densemble existe, excellente, depuis la pu-blication des thses de Pierre Jourda ; elle naura pas besoin, dici longtemps, dtre refaite ou reprise en sous-main ; et dailleurs, dune telle rfection, sil en tait jamais besoin, un historien ne saurait tre lartisan qualifi. Des monographies existent pareillement quel-ques-unes classiques, commencer par la doyenne, celle dAbel Le-franc ; nous ne nous sommes pas propos de leur substituer une tude nouvelle, plus volumineuse, ou plus dtaille. Au vrai, nous ne som-mes point parti pour tudier Marguerite. Nous nous sommes propos, simplement, de rsoudre (si nous le pouvons) une double nigme. Dordre psychologique et moral la fois.

    De l les vides, les manques, les silences voulus de ce livre. Il ne prtend former quun dyptique. Sur le premier panneau, Marguerite la chrtienne : une libre esquisse : des parties ngliges, comme inutiles notre dessein ; dautres fouilles. Sur le second, Marguerite qui fit lHeptamron : ici aussi, un choix, et la mme alternance dtudes pousses et de questions ngliges. Des pomes aussi considrables que les Prisons, ou le Navire ; daussi grosses questions que celle des rapports de Marguerite avec le platonisme, le noplatonisme et ses exgtes, avec les pres de la littrature italienne, Dante, Ptrarque, Boccace et leurs suivants ; avec Calvin lhumaniste et Calvin lhr-siarque ; avec les Libertins Spirituels, ces ennemis de Calvin, etc. si elles ne sont vises que par allusion dans les pages qui suivent, ce nest ni paresse, ni ngligence, ni mme sentiment que, tout ayant t dit, on ne saurait rien apporter de neuf des exposs devenus classi-ques. En laissant de ct tous ces points litigieux nous usons, simple-ment, de notre droit.

    Du droit dun historien qui se pose des problmes, au lieu dpuiser des inventaires.

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    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 13

  • PREMIRE PARTIE

    MARGUERITE LA CHRTIENNE

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    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 14

  • Marguerite en me pnitentetenant la main le Miroir

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    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 15

  • Chapitre I

    DAngoulme en Navarre.

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    Sur de roi, reine elle-mme par reflet dabord et par mariage ensuite Marguerite de Valois sest mise dans le cas, assez anormal pour une tte couronne, dtre inscrite au catalogue des crivains franais. Serait-ce par la grce dcrits politiques et moraux dignes dune Majest ; mditations sur la conduite des peuples, la succession des empires, lducation des princes ? Non, mais pour des contes des-tins former un Dcamron franais et pour de longs pomes quon serait tent dappeler des crits de nonnain si Marguerite avait eu plus de got pour linstitution monastique ? Or, chose trange : les contes profanes sont des contes de vieillesse ; Marguerite commence par les vers pieux pour terminer par les proses gaillardes. Et, nouvelle, bizarrerie : ses crits religieux fleurent lhtrodoxie. Dans le violent conflit de sentiments qui divise son sicle, Marguerite prend parti et ce parti nest pas celui de lorthodoxie quite et plnire, de la tradi-tion et du gouvernement ; loin de l. Ce parti lexpose, elle, la sur du roi Franois, premire princesse du sang, des attaques violentes, des poursuites mme, sinon des condamnations... Que tout cela en vrit, est donc peu ordinaire.

    Une sur de Louis XIV, une sur mme de Louis XIII ou dHen-ri IV, tendrement attache au roi son frre, soucieuse de ne lui crer aucun embarras, ardente au contraire le seconder dans son gouver-nement ; est-il imaginable quune princesse de ce rang savise dcrire, non pas accidentellement mais rgulirement, pendant tout le cours de sa vie et dcrire des ouvrages en vers et en prose de trois sortes au moins : des mditations chrtiennes, mais propres soulever

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 16

  • contre elle lopposition des chefs de lEglise officielle ; des contes gaulois comme nous dirions, dcollets et libres de ton et de pense ; des divertissements thtraux enfin : comdies pastorales, farces, etc., destins amuser sa cour en la faisant rflchir ? Concevons-nous, au sicle de Louis XIV, une Madame sur ou simplement belle-sur du roi, faisant imprimer sous son nom, comme un crivain (fi donc !), un pome religieux tendances jansnistes ; plus, cinq ou six impromp-tus de Versailles ; plus, des contes lgers la manire de La Fontaine ? Je dis que cest impensable. Et que, si la premire moiti du XVIe si-cle nest pas la seconde du XVIIe le cas de Marguerite est, toutes proportions gardes, peine moins tonnant que le cas dune impossi-ble Madame qui se ferait lmule, la fois du grand Arnaud, du plai-sant Molire et du gaillard La Fontaine. Comment expliquer de telles bizarreries, quoi laccoutumance nous rend insensibles ?

    Dune manire assez simple, je le crois, si lon veut bien, lauto-matisme dune histoire de manuel, substituer la libert et la vie dune histoire relle. Mais dabord, ce quil faut voir, ce quil faut marquer fortement en Marguerite parce que, prcisment, ce trait nous aide comprendre ses activits cest ceci, quil y a en elle, foncire-ment, de la parvenue, de lirrgulire, de limprvue et, dans une cer-taine mesure, de la dclasse : car on se dclasse par en haut aussi bien que par en bas. Comme il y a de nouveaux riches , il y a de nouveaux rois dans lhistoire. Franois Ier, en ce sens, est un nouveau roi et Marguerite, sur aime de Franois, une nouvelle reine ... Car rien, quand ils sont ns lun et lautre, rien ne pouvait faire prsager leurs parents ltonnante fortune quils devaient con-natre.

    I.

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    Marguerite est ne soubs le 10e degr dAquarius, que Saturne se sparoit de Vnus par quaterne aspect , le 10 davril 1492 10 heu-res du soir, au chteau dAngoulme. Cest Brantme qui nous lap-prend. Il ajoute mme cette prcision (un peu surprenante pour nous) quelle fut conue lan 1491, le 11 juillet, 10 heures 17 minutes

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 17

  • avant midi ceci, seule fin, nous dit-il, que les bons astrosites puissent en faire quelque composition ...

    Nallons pas dailleurs nous trop merveiller de voir Brantme si bien inform. Il connat Marguerite par hritage 1. Na-t-il point pour mre cette Anne de Vivonne, en qui lon est tent de voir lEnnasuite (ou lAnnasuite) de lHeptamron ? Et nest-il pas le neveu de cette Franoise de Vivonne, de langue gaillarde et pointue, qui, au bnfice dune longue vie, prolongea jusquen pleine cour dHenri III les mo-des et les curiosits du temps de Franois Ier ? Telle, quHenri Bouchot nous la montrait jadis 2, la dame de Dampierre, pour la joie un peu scandaleuse de ses auditeurs, entretenait les verdeurs du sicle printa-nier et nommait un chat un chat. Les jeunesses sassemblaient volon-tiers autour delle, quand elle dvidait le fil interminable de ses anec-dotes ; navait-elle point vu, de ses yeux vu, les hros de Marignan, ces preux, et les vaincus de Pavie, ces lgendaires ? Elle en savait tout, elle en disait tout. Parmi ceux qui lcoutaient, oreilles pointes, Pierre de Bourdeille, coseigneur lac de labbaye de Brantme (et non point, comme on sobstine le dire, abb de Brantme), ntait pas le dernier ; sil mit les belles histoires de la tante dans lample gibecire dune mmoire profane, tirons-en parti aujourdhui, sans scrupule.

    Donc, Marguerite naquit en 1492 Angoulme : premier enfant dun couple mal assorti. Sa mre, Louise de Savoie, tait fille dun pauvre cadet de Savoie, le comte de Bresse, aussi dpourvu dargent que de considration. Ayant perdu sa mre cinq ans, elle avait t re-cueillie par sa tante, Anne de Beaujeu laquelle, ds que Louise eut lge (on mariait les princesses douze ou treize ans), reprit un vieux projet de Louis XI et la voua, sans appel, au comte dAngoulme.

    Charles, comte dAngoulme, ntait pas un fianc impossible. Mais cet homme, desprit assez fin, vivait dans la gne donc dans lattente de la riche hritire qui redorerait son blason. Louise tait, fort exactement le contraire de ce quil pouvait rver. Et ctait bien pour cela que Louis XI, puis Anne de Beaujeu, entendaient lui impo-

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 18

    1 Sur la gnalogie de Brantme, v. la Notice de Lalanne en tte des uvres Compltes, 1864-82, Soc. Hist. France, 12 in-8.

    2 Les Femmes de Brantme, Quentin, 1890, in-4.

  • ser un mariage qui le laisserait peu dangereux, politiquement parlant. En attendant la princesse de ses rves, Charles se distrayait fort positi-vement avec une des demoiselles dhonneur de sa mre, Jeanne de Po-lignac, qui le dota dune fille. Quand la menace dune union se prci-sa, le bon duc fit tout pour loigner le calice qui prenait forme de Louise : tout, jusqu fomenter une insurrection ; elle choua et, le 16 fvrier 1488, le vaincu dut signer un contrat de mariage en bonne et due forme. Ainsi Louise de Savoie, leve, marie et mdiocrement dote par sa tante, entra douze ans en possession dun mari de vingt-huit. On lui donna et elle accepta sans sourciller, pour demoiselle dhonneur Jeanne de Polignac, et pour matre dhtel le frre de ladite Jeanne, Jean ; elle accueillit libralement les enfants de provenance diverse que son mari lui apporta et, aprs lavoir elle-mme, en 1492, gratifi de Marguerite, elle donna le jour en 1494, au lendemain dun plerinage auprs de saint Franois de Paule, alors hberg au Plessis-lez-Tours, un fils, Franois, dont le saint lui prdit naturelle-ment quil serait roi.

    Voil donc le, milieu dans lequel naquirent Marguerite et Franois. Un pre prodigue, lger, artiste, bon vivant, mais de poids mdiocre dans la France politique de ce temps, et parce quil tait pauvre et parce quil avait conspir sans en avoir les moyens. Une mre rude cole ds sa jeunesse, une mre silencieuse qui avait vcu de charit et appris cder, plier, tout endurer bouche close. Des perspectives restreintes, dassez humbles soucis dailleurs un milieu relative-ment cultiv. Les Angoulme tenaient leur petite cour Cognac. Le comte Charles y maintenait, selon son pouvoir, qui ntait pas grand, les traditions artistiques hrites de sa famille : celles des ducs Louis et Charles dOrlans (Charles, le pote des Rondeaux) ; celles du bon roi Ren, ce connaisseur ; celles de son propre frre Jean, mort en re-nom de seigneur lettr 1, et qui dploya dans sa belle librairie un peu du got raffin de son aeul Charles V. Un air dItalie passait mme sur Cognac. Les Orlans-Valois et les Angoulme se rattachaient la

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 19

    1 En 1518 Louise de Savoie fit commencer une enqute sur la batification de ce prince pieux, mais que sa pit nempcha point de procrer un btard. Il et t bon cette date de 1518 que, parvenus au trne, les Angoulme, d-faut dun Saint Louis comme les Bourbons, possdassent du moins un bat authentique.

  • cour de Milan par Valentine Visconti, la femme de leur premier auteur Louis dOrlans ; ils se souvenaient volontiers de cette prestigieuse filiation. Sagissant de larrire-petite-fille de Valentine, Marguerite, on ne saurait oublier ni ces traditions, ni ces hrdits.

    Louise de Savoie fut bientt une jeune veuve. Le 1er janvier 1498 elle perdait son mari. Elle navait que 18 ans, sa fille trois, son fils un. Du moins allait-elle vivre libre ? Pas tout de suite. Le chef de la famille, le duc Louis, le futur Louis XII, prenant prtexte de ce que Louise navait pas 25 ans, rclama la tutelle des enfants ; la jeune veuve dut lui soumettre ses comptes. Ulcre, nen laissant rien para-tre sa coutume, elle continua de vivre Cognac, attendit... Elle con-serva les enlumineurs et les crivains au service de la maison, soigna la bibliothque du grand-pre, satisfit au mieux son got pour la mu-sique. Prs delle, les deux Saint-Gelais, dune famille qui prtendait descendre des Lusignan faisaient lornement de sa petite cour. Jean touchait la quarantaine quand Louise devint veuve ; faut-il croire, comme le dit pudiquement Maulde la Clavire, historien volontiers imaginatif, quil fut pour la jeune veuve de Charles dAngoulme ce que Jeanne de Polignac avait t pour celui-ci de son vivant ? Nous nen savons rien. Quant Octovien, le pre de Mellin, ctait un tre quon nous dit plein de grce, de charme et de savoir-faire ; littraire-ment parlant, il nest lauteur que de mdiocres pomes, sans parler dun Sjour dhonneur ni dun Vergier dhonneur. En 1495, le comte Charles lavait fait nommer vque dAngoulme ; prlat spirituel et mondain, vite en renom de phnix de lAngoumois, il conquit sur Louise un rel ascendant 1.

    Dans ce climat grandit Marguerite. Et son avenir, au dbut de lan 1498, aprs la mort de son pre, semblait sans mystre ni grandeur : un mariage avec quelque prince de second rang ; beaucoup denfants dans un vieux manoir renfrogn ; la surveillance jalouse dune belle-mre souponneuse. Un coup de destin tout changea.

    ***

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    1 Sur ces Enfances Franois , on peut toujours consulter, avec quelques pr-cautions, Louise de Savoie et Franois Ier, Trente Ans de Jeunesse, de Maulde La Clavire, 1892.

  • Le 8 avril 1498, Charles VIII mourait sans enfants. Cette mort, le type mme de lvnement fortuit, appelait sur le trne un prince, Louis dOrlans, qui ne devait pas loccuper normalement. Avec lui, ctait lune des deux branches issues du duc Louis, lassassin de la rue Barbette, le mari de Valentine Visconti, qui se trouvait arriver brusquement au pouvoir. Lune des deux : lautre, ctait prcisment la branche des Valois-Angoulme.

    Or, Louis XII navait pas denfants mles. Il avait pous une pau-vre fille laide, bossue, strile, que lEglise devait consoler de ses dis-grces en la batifiant ; Jeanne de France, seconde fille de Louis XI. Le roi cynique lavait fait pouser Louis dOrlans pour le priver de progniture, et amener lextinction des dOrlans ; il nen faisait pas mystre. Dans une cour o on parlait crment de tout, et dabord de ces choses-l, chacun disait que celui qui montait sur le trne des lys en 1498 naurait pas denfants. Chacun disait. Louise coutait.

    Priptie cependant ; la femme de Charles VIII, lambitieuse du-chesse de Bretagne, Anne, restait veuve avec son duch : la plus belle des dots pour un roi de France. Et tandis que, reprenant son titre de duchesse, affectant de porter le deuil de Charles VIII en noir, comme une princesse, et non point en blanc comme une reine, faisant battre monnaie dans son duch, elle prparait ostensiblement son dpart pour Nantes et dmnageait de Blois ses tapisseries, ses vaisselles, ses bi-joux Louis XII se laissait de plus en plus gagner par lide dun di-vorce profitable : une complaisance du pape Borgia, et tout serait dit. Tout fut dit en effet, le 8 janvier 1499, quand, les formalits du di-vorce vite expdies, le roi Louis pousa la reine Anne 1.

    Tout fut dit sauf lessentiel. Louis XII aurait-il dAnne, ne di-sons pas des enfants : ds 1499 naissait Romorantin la future reine Claude mais des fils, habiles succder au trne de France ? Anne en avait eu deux de Charles VIII ; mais tous deux, morts aussitt, re-posaient Tours, dans la cathdrale, au fond dun caveau... On entrait en plein mystre. Seule Louise, ruminant la prophtie de lermite ca-

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    1 Les pices du divorce sont publies par De Maulde dans ses Procdures Poli-tiques du rgne de Louis XII (Doc. indits, 1885).

  • labrais, pouvait entrevoir des lueurs lhorizon, sans cesse obscurci par dnormes nuages.

    En attendant, tandis que le jeune Franois, confi par Louis XII au marchal de Gi qui, pendant des annes, le tint Amboise ou Blois, grandissait loin de sa mre derrire un rideau darchers, de sentinelles et despions Marguerite poussa, elle aussi, dans une atmosphre lourde, tendue, pleine de soupons, de calculs et de contraintes. Tantt les rsidences princires de la Loire : Blois, Amboise, Loches, Romo-rantin, et le contre-coup des intrigues que nouent, autour du roi tique, la reine Anne, Gi et les tenants du beau Csar tantt, brves dtentes, des fugues Cognac, ce paradis perdu, o Marguerite re-trouvait, avec son frre parfois, un peu de latmosphre de paix et de libert que leur mre y avait souvent gote. Nourrie aux lettres par les soins de bons prcepteurs, Franois de Rochefort et Robert Hu-rault, la jeune fille de Louise entrait en possession non seulement de ce savoir commun qui faisait le fond de toute ducation princire, mais encore de cette philosophie qui sapprend s escripts de Platon, et, par del, de la philosophie vanglique, qui est la Parole de Dieu . Entendons quune fois grande, elle put aller dans ses lectures des Epi-tres dOvide, traduites par Octovien de Saint-Gelais, saint Paul, saint Jean et lApocalypse mise en franais dans de vieilles traduc-tions en passant par les Triomphes de Ptrarque, les Canzoni de Dante et la Divine Comdie. La formation dune savante ou dune humaniste ? Non point certes, mais lacquisition dun bagage solide qui composa, petit petit, la jeune fille heureusement doue, une fi-gure dexception, et dlite parmi les dames de cour au milieu des-quelles sa vie se droulait.

    Dj on parlait de la marier mais comment ? Point belle, elle ne pouvait sduire le Prince charmant. Sa fortune nexistait pas. Et quant aux esprances, elles demeuraient fort alatoires, tant que Louis XII vivait en possession de femme lgitime. Aussi connut-elle une srie de refus : expression inexacte, car ce ntait pas elle, on sen doute, qui ngociait ni quon consultait. En 1502, Louis XII la proposa Henri VII dAngleterre pour son fils : loffre fut carte poliment. Lanne suivante, Louis XII la proposa au fils du roi de Naples : loffre fut en-core rejete. Et ces rejets montraient ce quavait de prcaire toujours la position des Angoulme. En 1505, pourtant, les Anglais reprennent

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  • la ngociation. Henri VII demande pour lui la main de Louise et pour son fils, Henri VIII, celle de Marguerite. Aucun enthousiasme chez la mre, qui ne veut pas quitter son fils, ni chez la fille qui lAngleterre ne dit rien. Alors Henri VIII demande la main de Marguerite pour lui. Laffaire naboutit pas. Peu aprs, tentative de Christian de Dane-mark : nouveau refus. Cest que les fianailles de Franois et de la fille de Louis XII et dAnne de Bretagne, Claude de France, conclues en 1506 malgr lopposition acharne de la mre, semblaient un pas nouveau des Valois-Angoulme vers le trne et donnaient Margue-rite lespoir dun mariage franais, avec un fianc mieux son got. De fait, le 2 dcembre 1509, elle pousait, 17 ans 9 mois, Charles, duc dAlenon.

    Le premier mari de Marguerite a mauvaise presse parmi les histo-riens. On ne voit pas bien pourquoi. Il ntait pas beau sans doute. Il ne faisait pas figure de grand esprit, ni d homme de la Renaissan-ce . Mais ctait un bon gendarme, qui stait vaillamment conduit Agnadel et rien ne nous autorise penser quil ait fait avec Mar-guerite un mnage plus mauvais que le commun des mnages prin-ciers.

    Ainsi, Marguerite tait Madame dAlenon quand le 9 janvier 1513-14, Anne de Bretagne mourut Blois, jeune encore : 38 ans. Ctait le triomphe de Franois, et de Louise, sil ne survenait pas de priptie. Il en survint une, la dernire : le jour mme quil fit sa paix avec lAngleterre, le vieux Louis XII il avait 53 ans, et on tait un vieillard, en 1514, 53 ans demanda et obtint la main de Marie, la jeune sur dHenri VIII : elle comptait 17 ans.

    Alors, ce fut comique. Tandis que le roi barbon, faisant le jeune homme et le dameret, se couchait minuit et spuisait en ftes pour les yeux bleus de lAnglaise, cachant sous sa raideur le temprament dune sur dHenri VIII Louise, de nouveau au dsespoir, et aux aguets, faisait pier le couple et tous ses gestes. Redoutant quun ro-man un peu trop pouss ne sbaucht entre la reine et lambassadeur dAngleterre, Suffolk, qui lavait convoye en France et qui lui d-plaisait si peu quelle lpousera au lendemain de son veuvage Louise ne quittait pas Marie des yeux ; quand elle devait sabsenter, la princesse Claude la remplaait, ou bien Marguerite elle-mme. La

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  • comdie dura quelques mois. En suite de quoi, un an aprs la mort de, la reine Anne, Louis XII tomba en langueur. Il mourut dans la nuit du 31 dcembre au 1er janvier 1515 : de belles trennes pour les Angou-lme...

    Franois ne perdit pas de temps. Son avnement fut en ralit un coup de force. Il ntait pas dauphin. Il ntait hritier prsomptif que sous bnfice dinventaire. La reine lgitime tait l, peu presse de repasser la Manche, et qui, en tout cas, pouvait tre enceinte, et dun fils. Au bout de trois semaines, Marie, heureusement, dclara quelle navait pas despoir de maternit. Alors on songea au sacre pendant que lAnglaise, tristement, reprenait le chemin de son le.

    ***

    Or, revenons notre propos. Marguerite le royal pote na droit ce qualificatif que sous rserves. En tant que reine, si lon veut, la fille de Charles dAngoulme et de Louise de Savoie nest pas enfant de la balle. Et quand Marot dans son Enfer crit :

    Cest du franc lys lissue, Marguerite,Grande sur terre, envers le ciel petite

    on peut supposer une intention, sinon une flatterie, dans ces deux vers dune inexactitude flagrante. Brantme, plus tard, ne sy trompera point 1. Si Franois appartient, sans conteste, la catgorie des nou-veaux rois ; si dailleurs ce fait explique bien des choses de

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    1 Dans ses Vies des Dames illustres, il consacre des notices aux trois Madames : Anne de France, Claude de France, Rene de France. Parvenu Marguerite : elle ne fut point ne fille dun roi de France, crit-il, et par consquent point Fille de France, ni nen portait aussi le nom, sinon de Valois ou dOrlans, car le surnom de France nappartient quaux filles de France... Mais pourtant elle tait cense comme Fille de France .

  • lhomme, et du rgne 1 ; si, la mode coutumire des hommes qui se font eux-mmes, il a la main large, les conceptions hardies, laudace sans grands scrupules, loptimisme imprudent de la russite sil installe sur le trne un lot de qualits et de dfauts qui ne sont point dun roi fils de roi plus forte raison Marguerite nest reine que daccident, sur le tard, par raccroc reine in partibus, pourrait-on dire. Quand mme une srie de hasards prodigieux fait de son frre un roi de France elle nentre pas, de ce chef, en possession du rang et des prrogatives dont jouiront plus tard, quelles quelles soient, toutes celles qui pourront se dire Madame Sur du Roi . Cest en 1576 seulement quHenri III fera voter par les Etats de Blois, et pour des raisons de circonstance parce quil fallait soutenir, disait-il, les princes de France contre les entreprises et les usurpations des Guises une dcision aux termes de quoi les princes et princesses du sang de France tiendraient, de par le seul fait de leur naissance, rang au-dessus de tous les princes de France ou de ltranger. Personnelle-ment, Marguerite, pendant les trente-quatre premires annes de sa vie, na eu aucun droit un titre royal. Elle a t, modestement la du-chesse dAlenon.

    II.

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    1 2. Marguerite a toujours eu un certain sentiment de la prcarit du trne de son frre. On en trouve tmoignage dans des ptres de 1543 (Frank, Les Margue-rites, 3, t. III, 204 : Puis je faisais par ce royaume un tour Pensant ceux qui ont du Roi amour A ceux aussi qui, par ingratitude, A bien laimer nont mis leur tude. Les uns voyais contens, sans cesser rire, autres crever dennui, denvie et dire . Ailleurs (p. 214) elle justifie son frre des rigueurs de la rpression, lors de la rvolte saintongeaise contre la gabel-le : En son cur a le contentement davoir us partout de sa bont. Demandez-en ceux de la Rochelle desquels le pied tait j sur lchelle, ceux des Marais, aussi ceux de Bretagne. Y a-t-il nul qui de ce Roi se plaigne ? Non, mais chacun mon dire saccorde... Ailleurs encore (p. 210) le Roi David en personne est appel la rescousse du roi Franois. Incirconcis je tiens ceux qui conspirent contre Dieu seul, et tous les jours empirent leurs volonts lencontre du Roi... Tout ceci ne donne pas le sentiment dune parfaite quitude politique.

  • Retour la Table des Matires

    Marie, Marguerite avait quitt les bords de la Loire et lAngou-mois pour le chteau dAlenon une vaste demeure gothique du XIIIe sicle, avec crneaux et machicoulis : exactement de quoi regret-ter Amboise et les riants chteaux du Val de Loire. Non loin delle, Mauves, prs de Mortagne, sa belle-mre Marguerite de Lorraine une des nombreuses princesses batifies de ce temps menait une vie pieuse, frugale et renfrogne, toute confite en dvotion. Autour de la jeune femme, personne de son choix, sinon une nourrice. A Alenon mme, point de lettrs. Entre un mari mlancolique, qui ntait certes ni pote ni artiste et une belle-mre dune pit confinant lasc-tisme, Marguerite avait de quoi regretter mme la simple cour de Co-gnac.

    Certes elle fit des fugues : Amboise, Paris, Cognac, Blois et mme Saint-Denis, deux fois : lune pour les obsques libratrices de la reine Anne, lautre pour lamer couronnement de Marie dAngle-terre. Ctait chaque fois retomber dans les mmes soucis, les mmes anxieux calculs sur la fortune des Angoulme ; tout y ramenait la pen-se de Marguerite jusqu telle queue de manteau plus longue que celle de Madame dAngoulme (Louise de Savoie) et de Madame dAlenon (Marguerite) porte aux obsques dAnne par Madame de Bourbon, fille de roi et qui entendait marquer quelle avait le pas sur toutes. Ainsi revenait la question : Monseigneur serait-il roi ? Le rve de sa mre se changerait-il un jour en ralit ? Tourments, calculs avec quelques brefs rpits ; mlancolie non moins, et solitude morale ; vide spirituel finalement : tel, le lot de Marguerite dAngoulme depuis sa naissance jusqu la date libratrice, la grande date heureuse de sa vie : ler janvier 1515, lavnement du roi Franois.

    ***

    Lavnement, coup de baguette magique. Marguerite fut la seconde en bnficier. La premire fut sa mre, Louise, mue sur lheure de comtesse en duchesse dAngoulme, nantie de lancien comt, grossi de quatre chatellenies, gratifie galement du duch dAnjou, des comts du Maine et de Beaufort : toute une fortune territoriale, toute une revanche. Marguerite, elle, reut conjointement avec son mari

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  • un don inestimable : les droits de la couronne la succession des Ar-magnacs. Leurs biens avaient t confisqus par Louis XI pour lse-majest. Mais les hritiers rclamaient : leur tte Charles dAlenon, prtendant, ou prtextant, que la culpabilit de Jean dArmagnac ntait pas prouve. Franois Ier, exauant leurs vux, donna aux Alenon les comts dArmagnac, de Fezensac, de Rodez et lIsle-Jourdain, avec clause de retour la couronne par faute de descen-dants. Il leur donna, en sus, les revenus du duch de Berri. Il leur don-na enfin, ou plutt il donna Charles son beau-frre, les prrogatives de seconde personne de France. Ici encore, fortune et prestige.

    Et ce fut la griserie des avnements. Quon songe ce petit comte dAngoulme, hier encore presque prisonnier, totalement incertain de son avenir, rvant de la couronne et, en attendant, durement men ou malmen sur qui brusquement tombe un trne, et quel trne ? Au-tour de lui, un essaim de femmes brillantes, merveilles par les fastes dItalie, et dont beaucoup ne rvent que luxe, plaisirs et ftes. Rien qui retienne le roi de vingt ans. Sa femme ne compte gure, la tendre, r-signe et insignifiante reine Claude ; elle reste au foyer, file la laine comme la matrone biblique, tous les ans fait son fils ou sa fille de France. Or Franois est jeune ; Franois est ardent ; Franois est gris par la fortune. Merveilleux gendarme, il caracole et joute dans les tournois, descend en Italie, triomphe Marignan. Revenu, et le har-nois de guerre dpos, il sessaie des jeux florentins, aux vers quil tourne tant bien que mal, aux devises quil a renom de trouver heureu-sement. Le souvenir est loin de la reine Anne et de ses austrits guin-des. Les physionomies mme ont chang curieusement. Le roi aime les blondes aux carnations flamandes, les belles filles du Nord : aussi-tt disparaissent les brunettes maigriottes de lancienne cour. Un rire joyeux et fort secoue un monde de jeunes.

    Jeune, Franois Ier. Jeune, son rival Charles de Habsbourg au-jourdhui Charles Ier dEspagne, demain Charles-Quint lEmpereur. Jeune, son autre rival, Henri VIII. Comme Rabelais son Gargantua et son Pantagruel, les contemporains voient dans leurs souverains autant de gants jeunes, dbonnaires et gaillards. Quand Nicolas Gilles, se-crtaire de Louis XII, publie en 1492 (lanne o nat Marguerite et

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  • peut-tre Rabelais) ses Annales et Chroniques de France le portrait quil trace de Charlemagne 1, cest exactement celui de Gargantua :

    Il estoit de belle et grande stature, bien form de corps et avait huit pieds de hault, la face dun empan et demy de long et le front dun pied de large, le chef gros, le nez petit et plat, les yeux gros, vers et estincelans comme escar-boucles... Il mangeoit bien son dner un quartier de mouton ou un paon ou une grue, ou deux poulardes, ou une oye, ou un livre, sans les autres services dentre et issue de table !

    Signe des temps : tout le monde est entran dans le tourbillon, Marguerite comme les autres. Elle adore son frre ; jeune encore, elle na point denfants et que de revanches prendre sur lennui, les soucis, les calculs dautrefois !... Et puis, elle sait la rgle. Les Valois sont, ne disons pas des enfants, mais des hommes gts : gts par leurs femmes, les plus chastes, les plus douces, les plus attaches qui soient. Franois Ier sera ador dElonore dAutriche, sa seconde femme, comme il le fut de Claude de France, la premire, et de Mar-guerite sa sur ; Catherine de Mdicis adorera Henri II, Elisabeth dAutriche couvrira Henri III lui-mme de, tendresses vraies 2. Tout cela changera bien avec les Bourbons, commencer par la reine Mar-got... Donc, Marguerite hante ces ftes dAmboise, de Blois, de Romorantin, et bientt ( partir de 1519) de Saint-Germain-en-Laye : Chenonceaux et Chambord ne viendront que plus tard, en 1526, et Fontainebleau seulement partir de 1528. Ne nous figurons pas une Marguerite rfractaire au plaisir, gardant un quant--soi scandalis au milieu des ftes et des intrigues. On la voit fort mle au jeu des gran-des vedettes, des beauts la mode : Madame de Chateaubriant (Fran-oise de Foix), la favorite en titre, poussant aux dignits et, hlas, aux commandements, ses trois frres lun aprs lautre : Lescun, Lesparre et lincapable Lautrec triomphante, jusquau jour o le roi, tomb dans les lacs de Madame dEtampes, plus frache et plus astucieuse, fera rclamer labandonne, sans vergogne, les bijoux quil lui avait donns : beaux carcans dor maills, ceintures, colliers orns dadmi-

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    1 Nicolas Gilles, Les Croniques et Annales de France, Paris, 1566, f XLV v .

    2 Bouchot, op. cit., p. 54 sqq.

  • rables devises : des devises, prcise Brantme 1, que la reine de Na-varre sa sur avait faites et composes : car elle en estoit trs bonne matresse . Et ctait pour les devises, disait Madame dEtampes, et non pour lor quelle les voulait : la bonne fille avait la rapacit pudi-que.

    Marguerite entrait dans ces histoires sans grand scrupule son amour pour son frre tait le plus fort. Si nous en doutions, nous naurions qu lire, dans la 25e nouvelle de lHeptamron, le passage tonnant o la reine de Navarre nous montre le jeune roi en bonne fortune, tra-versant un monastre de religieux pour gagner le lieu de ses rendez-vous avec la femme dun avocat de Paris. Et, nous dit-elle,

    combien quil menast la vie que je vous dis, si estoit-il prince craignant et aimant Dieu. Et ne failloit jamais... de demeurer, au retour, longtemps en orai-son en lglise, qui donna grandes occasions aux religieux (qui entrans et saillans, de matines le voyoient genoux) destimer que ce fust le plus sainct homme du monde.

    Passage assez singulier pour avoir provoqu ltonnement de Mon-taigne 2. Nous y reviendrons.

    Donc, Marguerite, en ces, temps, suit la cour. Elle fait bien autre chose. Elle sert son frre je veux dire, la politique de son frre.

    Quelle ft assez doue en tant que diplomate Brantme ne nous le laisse pas ignorer. De fait, elle nest pas seulement de toutes les grandes parades du temps, comme son mari Charles dAlenon est de toutes les grandes expditions commencer par celle de Marignan. Elle ne se contente pas de porter, Saint-Denis, la trane de la reine Claude son sacre, ou de la suivre cheval, avec onze duchesses et comtesses (dont sa mre et sa belle-mre) lors de son entre Paris. Elle tient bien souvent, auprs de son frre qui la comble de ses dons, le rle de la pauvre reine, si efface et si simplement incapable. Les potes commencent ressasser le thme de la Trinit royale :

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    1 Dames Galantes, VIe discours.

    2 Essais, I, LVI.

  • Un seul cueur en trois corps aujourdhui vois en France :La sur bien connaissez, duchesse nette et pure,Bonne trop plus quassez...

    Ainsi Jean Marot, le pre en attendant Clment, le fils. Cest Marguerite qui prside aux ftes du Camp du Drap dOr en 1520. L plus quailleurs, elle semble la vraie reine. Elle passe pour lEgrie du roi. Et cest ce qui, sans doute, a motiv, chez Michelet, surbrodant les broderies de Gnin, ltrange imagination dun roman damour entre le frre et la sur ce transfert romantique de Ren, ou dEloa, dans un sicle brutal, dbauch souvent, mais sain du moins en ses dbor-dements. Rien en retenir pas plus que dautres fables absurdes : celles des amours de Marot et de Marguerite notamment. Le tout, fon-d sur le renom gaulois de certaines nouvelles de lHeptamron. Lhis-toire qui ne se fait pas chez la portire na rien redire, strictement rien, au jugement de Des Priers invoquant la

    Princesse pure autant que colombelle

    et refusant doffenser par un rcit un peu leste

    La nettet de ses chastes oreilles.

    En fait, au moment prcis o Michelet draille en interprtant ab-surdement les termes amphigouriques dune lettre quil date de 1521 (il faut se refuser le suivre mme dans cette simple chronologie) cest alors, je veux dire en 1521, que nous voyons Marguerite commencer avec Guillaume Brionnet, vque de Meaux, protecteur de Lefvre dEtaples et de Grard Roussel, la longue correspondance sur laquelle nous reviendrons loisir.

    ***

    Ne romantisons pas. Nous lavons dj dit, rien ne nous permet de mettre en cause personnellement, brutalement, le mari de Marguerite. Veuve de cur dans son triste mariage , crit Michelet. Le mot est beau. Dans quelle mesure vrai ? nous ne le saurons jamais. Un seul fait apparat vident : Marguerite navait pas denfants. Pour une prin-cesse, ce ntait pas simple privation sentimentale, ctait diminution

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  • sociale. La femme devait son mari lhritier mle qui empcherait la race de steindre. Que Marguerite souffrt de sa strilit, il nest pas tmraire de le conjecturer. Or, en ce temps, cen tait fini des facilits politiques et militaires du dbut, des triomphes la Marignan. LEm-pereur se dressait avec ses armes sur toutes les frontires du royaume. 1521 prcisment : ce sont les Impriaux menaant les fron-tires du Nord-Est ; cest le duc dAlenon charg de dfendre la Champagne ; cest Marguerite inquite de ce commandement et de son succs. La premire lettre que nous ayons garde, de sa corres-pondance avec Brionnet 1, cest presque un appel au secours Mar-guerite prie Brionnet dimplorer Dieu pour Monsieur dAlenon, qui part commander larme. Elle se sent si seule alors, et si trouble, quelle demande au prlat de lui envoyer, pour son rconfort spirituel, Matre Michel entendons le prdicateur Michel dArande, qui allait devenir son aumnier. Et lon peut suivre ds lors, dans la correspon-dance tudie jadis par Philippe-Auguste Becker, et analyse depuis par Pierre Jourda, la marche de ce quil faut soigneusement viter dappeler une conversion 2 : mais on peut parler dune marche vers Dieu, que le prlat tente de transformer en volont daction, en volon-t de rforme de lEglise dfaillante.

    Pour autant, Marguerite nabandonne ni la cour, ni le souci des af-faires. La mort de la reine Claude en juillet 1524, alors que le Roi ve-nait de partir en Italie avec son arme, accrot encore ses responsabili-ts. Cest sur elle que retombe dsormais le soin dlever les filles du roi. Cependant, elle va sinstaller Lyon avec sa mre Louise ; elle y sera plus porte du Roi et de larme. La mre et la fille vcurent pendant des semaines entre Rhne et Sane, dans lanxieuse attente des lettres dItalie. Et cest l, le ler mars 1525, au petit jour, que leur parvint la nouvelle de Pavie, de la prise du Roi, de la mort ou de la capture de tant de braves gens darmes ajoutons, pour Marguerite, de la drobade de Charles dAlenon, en partie peut-tre responsable

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    1 Herminjard, 14, t. I, p. 65, avant le 19 juin 1521.

    2 Parturier a employ le mot en publiant daprs le ms. Ancien Fonds Fr. 1723 (Revue de la Renaissance, 1904, p. 2) une pice dans laquelle, dit-il, la Reine fait sous le voile de lallgorie ce quon peut appeler le rcit de sa con-version . il nest pas question de conversion dans ce texte, rendu plus obscur encore par dvidentes mauvaises leons . V. plus loin, p. 145.

  • du dsastre. Quelques semaines plus tard, le pauvre duc, dsespr, mourait. Marguerite devait nous laisser de cette mort, dans les Pri-sons, un rcit mouvant.

    Mais lheure, ntait pas aux regrets. Il fallait agir. Aider Louise tenir en paix un royaume frmissant. Aider le roi sortir de prison et, sil le fallait, passer outre tous ses sentiments personnels. Veuve, la sur bien-aime du roi, celle qui avait t la vraie reine de France pendant des annes, devenait un prcieux objet dchange et de ngo-ciation. Des bruits coururent aussitt, qui ntaient pas dnus de tout fondement bruits de mariage de Marguerite avec celui quelle ap-pelait le mchant duc de Bourbon , le conntable (elle en avait hor-reur depuis Pavie) ou mme avec lEmpereur. Marguerite navait pas le droit de songer elle. Elle le savait savoir de princesse et se serait incline. Elle devait laisser son frre, sa mre, lentire disposition de sa vie et de son destin. Elle tait sinon, davance, la sa-crifie du moins un pion docile sur lchiquier diplomatique.

    Elle, cependant, ne songeait qu une chose : sauver le Roi ; et dabord le rejoindre, le rconforter, laider supporter sa captivit 1. Les ngociations tranaient en longueur. Elle partit. Le 28 aot, elle sengoulfait Aigues-Mortes. Lentreprise ntait pas sans danger. On connaissait la duplicit de lEmpereur. Tant pis ! on la sacrifiait comme toujours, dit Michelet. Disons mieux : elle se sacrifiait, avec joie. Elle subit bravement une traverse horrible puis, ayant touch terre en Espagne, monta cheval. Apprenant que Franois tait trs malade dans sa prison, elle doubla les tapes, faisant par des chemins impossibles des dix douze lieues par jour cheval, semant derrire elle des tranards, menant un train fou pour gagner une demi-journe. Le 19 septembre au soir, la lueur des torches, toute blanche de deuil, elle mettait pied terre devant le donjon o on gardait le roi. LEmpe-reur lattendait. Il lembrassa, la rconforta, la conduisit prs de son frre : elle le vit brusquement, dvor par la fivre, sans connaissance, moribond. Elle sinstalla son chevet, fit dresser un autel dans sa chambre ; on y dit la messe, en prsence de tous les serviteurs du Roi. A la fin du sacrifice, tous communirent et Marguerite, penche sur le lit du mourant, partagea lhostie quon lui prsentait. Le soir, la fi-

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    1 Pour tout ceci, v. Jourda, 10, t. I, pp. 12 sqq.

  • vre tombait ; mais ce fut encore une longue bataille contre la mort, avec des pripties continuelles, des rechutes et des alarmes...

    Cependant, il fallait lutter sur un autre terrain, ngocier, disputer la libert du Roi lEmpereur, ses ministres, ses conseillers. Bataille quotidienne, rendue plus pre par la duplicit et la duret froide de Charles-Quint, par la violence et la brutalit de ses ministres. Margue-rite fit de son mieux. Au roi malheureux elle assura la sympathie des femmes, dElonore de Portugal, sur de Charles-Quint, quil tait question de marier Franois et qui, romanesque, sprenait du captif. Mais au fond delle-mme, Marguerite tait cruellement blesse par lattitude des Impriaux. Elle tait partie, sre dobtenir la libert du Roi de la gnrosit de son vainqueur ; elle stait heurte aussitt la volont, la plus calcule de maintenir Franois en captivit. Tant du moins quil naurait pas consenti ce, quexigeait Charles : et dabord labandon de la Bourgogne. Alors, elle essaya dorganiser une va-sion : lEmpereur, averti par un tratre, un Franais, un valet de cham-bre du Roi, Clment Champion, congdia Marguerite, lui donnant jus-quau 31 janvier 1526 pour sortir dEspagne. Elle partit, grand re-gret. Il avait t question de lui confier un document capital, lacte au-thentique dabdication de Franois Ier : mesure dsespre, qui aurait ruin la victoire de Pavie ; Franois, aprs son abdication, pouvait tre maintenu par Charles dans les geles dEspagne ; peu importait, sil ntait plus rien quun particulier ; il ny aurait plus de roi de France en prison... Au dernier moment on nosa pas confier Marguerite ce document. Elle en reut un autre par contre, sa rcompense : le Roi lui confrait, au cas o sa mre Louise ne pourrait lexercer, la charge de conduire les affaires de France en toute autorit. Le 23 dcembre 1525, Marguerite franchissait Salses la frontire du royaume et ga-gnait Narbonne pour la Nol ; le 11 janvier, elle retrouvait Rous-sillon sa mre ; peu aprs, elle apprenait que Franois, stant rsign se parjurer, lEmpereur se dcidait le relcher. Lchange des ota-ges eut lieu la Bidassoa, dans une barque, au milieu de la rivire. Le Roi y sauta, mit ses deux enfants sa place et sur le bord franais monta un cheval turc qui, dun galop, le porta Bayonne. Aussitt il retrouva sa mre, sa sur, et les femmes de la suite. Parmi elles une blanche fille, que sa mre semblait lui pousser dans les bras : Anne de Pisseleu, jeune Picarde, charmante et hardie : elle prit la place de la triste Chateaubriant et devint la duchesse dEtampes.

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 33

  • Marguerite cependant tait par tous traite comme une hrone. Son crdit semblait immense. Veuve, jeune encore, pare de ses d-vouements, orne des dons de lesprit, elle attirait tous les regards. On continuait, dans le monde des ambassadeurs et des chancelleries la marier avec les grands de la terre, Henri VIII aprs Charles-Quint. On apprit tout dun coup quelle pousait Henri dAlbret, roi sans royaume de la Navarre. Henri dAlbret : lexil, la pauvret, la ruine, dit Michelet. Il exagre un peu. Seulement un peu.

    ***

    Dans un curieux passage que nous reproduisons plus loin, Sainte-Beuve, invoquant les esprits lgers et charmants qui peuplent notre vieille littrature, classe parmi eux, sans hsiter, Marguerite. Aprs ces brves notes de rappel sur la vie de Marguerite jusqu son second mariage, comment classer la princesse parmi les Enfants Sans Souci de lancienne France ?

    Sans souci, Marguerite, la femme perptuellement sacrifie la princesse sacrifie par sa mre, par son frre, par la toute puissante raison dEtat ? Elle a bien pu au temps de sa jeunesse, la perle et la fleur des Valois, lAngoumoise, sentant comme elle le dit dans une de ses lettres, leau douce de Charente elle a bien pu, au temps de sa jeunesse, prendre un plaisir joyeux la vie mondaine, aux ftes et aux jeux de lexistence nomade que menaient de ville en ville, de chteau en chteau, ceux qui suivaient la Cour : il ne se peut pas que cette femme sensible, de prdispositions mystiques, de pense toujours ac-tive, nait pas, de trs bonne heure (et peut-tre depuis toujours, de-puis sa prime jeunesse prcocement mrie par trop de soucis et de prcautions) men, en tout bien tout honneur, une vie en partie double. Derrire le grand parc libralement ouvert tous pour toutes les ftes impossible quelle nait eu, de bonne, heure, son jardin se-cret, rigoureusement clos. Avec, au fond, son oratoire priv. Et de bonne heure aussi, son moyen dvasion : lcriture, qui permet lhomme plus encore peut-tre la femme, sensible et contrainte dentrer en possession dune me secrte, dune me de papier crit ou imprim.

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 34

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    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 35

  • Premire partie : Marguerite la chrtienne

    Chapitre II

    Les premiers pomes chrtiens.

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    Dans le temps mme que les sujets du roi Franois voyaient, aux grandes processions du culte monarchique, aux mariages, aux enter-rements, aux rceptions de souverains trangers, Marguerite dfiler comme une princesse de lgende, raide dans ses vtements alourdis de dorures et constells de pierreries ds avant la crise de 1525, la capture de son frre, la mort de son premier mari, lbranlement dun trne si longtemps convoit Marguerite, chaque soir, rentrant chez elle, rentrant en elle, senfermant dans la solitude de sa pense, loin du monde et de ses prestiges, confiait longuement un prlat mystique, avide de puret, les lans, les regrets, les nostalgies damour vrai, damour transpos sur le plan divin, qui pntraient son me insatis-faite, son me en qute de rose spirituelle.

    Faisons lappel de nos tmoins. Le 12 juin 1521, Guillaume Bri-onnet, vque de Meaux, adressait Marguerite, ge de 29 ans, si-non sa premire lettre, du moins la premire de celles qui nous ont t conserves. Elle inaugurait une correspondance dau moins trois lon-gues annes ; la dernire des ptres que nous possdons date du 18 novembre 1524 (ce qui ne veut pas dire non plus que ce fut la toute dernire). Etonnante correspondance, que nous a conserve en copie, un manuscrit de la Bibliothque nationale 1 : elle a fait lobjet de pu-blications partielles avant de fournir Ph.-A. Becker la substance

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    1 Le 11.495 du Fonds Franais.

  • dune tude fondamentale et P. Jourda la matire dun classement dfinitif 1.

    Ce nest pas tout. En 1531 (quatre ans aprs le mariage navarrais) paraissait Alenon, chez S. Dubois, tout un ensemble duvres reli-gieuses. Dabord le Miroir de lAme Pcheresse, un long, trs long, trop long pome de 1.400 vers ; puis, lescortant, une courte pice, le Discord estant en lHomme par la contrarit envers lEsprit et la Chair ; enfin, deux oraisons en prose et une en vers au Seigneur. Or, les pices qui se trouvaient ainsi runies en 1531 et communiques au public par la reine, de Navarre taient videmment antrieures cette date. Inutile dexposer longuement pourquoi, et de refaire du tra-vail bien fait : Pierre Jourda a dit lessentiel dans un excellent appen-dice, la fin du tome II de sa grande tude sur Marguerite.

    Ajoutons que le mme Pierre Jourda a publi en 1930 un certain nombre de vers extraits du manuscrit 3458 de lArsenal. Premiers es-sais de Marguerite, pense-t-il, assez gauches et dun art mdiocre ; ils remonteraient 1521, 1524 et 1526. De fait, il y a l des pices sur la mort de la reine Claude (1521), sur le sjour de Marguerite et de sa mre Lyon (1524-25), sur la captivit du roi Madrid et sur sa dli-vrance (1526) qui vont rejoindre, ces dernires, les pices dj pu-blies en 1847 par Champollion-Figeac dans son recueil de Docu-ments Indits sur la Captivit du Roi Franois Ier : on y trouve esquis-ss, plus ou moins maladroitement, les principaux thmes mystiques que la reine reprendra par la suite, intarissablement.

    Autre chose enfin : cest dalors, je veux dire de la fin de 1524, du dbut de 1525, quil convient de dater, en croire Jourda, le Dialogue en forme de Vision Nocturne 2 que ce bon travailleur a rimprim en 1926 dans la Revue du XVIe sicle et qui saccroche un fait dat la mort, le 8, septembre 1524, de la nice de Marguerite, Charlotte de, France, fille de Franois Ier. Quant au texte, particulirement impor-tant, du Pater Noster fait en translation et dialogue par la reine, qua

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    1 V. la note bibliographique les nos, 6 et 7, 9, 12 et 13, 14.

    2 R.S S., 1930, pp. 42-39. Sur la date du Dialogue qui suit, ibid., 1927, p. 150.Le Dialogue mme est rimprim ibid, p. 926. Pour le Pater, v. plus loin, chap. v, et Moore, 15.

  • publi une premire fois Parturier dans la Revue de la Renaissance (1904) et une seconde fois (daprs un autre manuscrit) Moore dans son prcieux livre, sur la Rforme allemande et la Littrature fran-aise (1930) ce texte est fort probablement antrieur 1527.

    Ainsi, pendant quelle menait sa grande vie mondaine ; pendant quelle prsidait toutes les ftes de la plus brillante priode du rgne Marguerite, la Marguerite indulgente aux fredaines de son frre, la Marguerite courtise par les plus irrsistibles conqurants de ce temps, la Marguerite mle de prs aux intrigues des alcves comme aux n-gociations des chancelleries Marguerite ne cessait, le soir venu, dcrire, de mditer, de composer.

    Dun point de vue purement littraire, faudrait-il sen tonner ? Rappelons simplement dun mot (car nous ncrivons pas une tude sur Marguerite, femme de lettres) que la reine de Navarre trouvait, en-tre autres, le rondeau dans ses biens de famille le vieux rondeau de son grand-oncle, Charles dOrlans :

    Le temps a laiss son manteau De vent, de froidure et de pluie Et sest vestu de broderieDe soleil luysant, cler et beau. Il ny a beste ne oiseauQuen son jargon ne chante ou crie Le temps a laiss son manteau...

    Et certes, Marguerite, na jamais mani le vers profane avec cette simple matrise encore que telle pice sur lentrevue de Madrid,

    Revoir ml damertume et douceur 1.

    ne soit pas sans charme un charme qui ne vient pas de ladresse du pote, de son talent si lon veut, mais de son sentiment. En fait, ce nest pas la qualit potique, la tenue littraire des uvres de, Margue-rite qui nous retient : ce sont les ides quelles traduisent. Ou mieux

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    1 Vers conservs dans un ms. de lArsenal et attribus par Jourda Marguerite, R. S. S , 1930, pp. 43-44.

  • les sentiments : je naime gure la formule Ides religieuses , sagissant de cette femme sensible et mystique, si peu thologienne et si peu dogmatique. Ces ides en tout cas, si ides il y a sont-elles de celles qui volent dans lair du temps, attendant qui les mette en cage ou bien sortent-elles, pudiquement, dune chambre secrte de mditation ? Surtout, comment les caractriser ? Marguerite, une ca-tholique qui na jamais entendu rpudier le catholicisme, qui sen est au contraire de plus en plus rapproche, qui a fini par une adhsion complte ses dogmes et ses rites ? Marguerite, une vanglique, trangre la pense propre de Calvin mais largement sensible la pense de Luther, professant au fond les sentiments et les ides pour quoi moururent, par dizaines, tant de Franais de bonne race avant Calvin et le Calvinisme ? Marguerite, une rforme, plus prcisment une calviniste, dans les dernires posies de qui se rencontrent, en vrac, tous les thmes de la pense protestante ? Marguerite, une mys-tique, indiffrente aux querelles des glises et des confessions, mais cherchant par del les dogmes, dans une pit du cur, une nourriture, spirituelle valable... On connat ces heurts dopinions contradictoires, toutes cautionnes de noms honorables : Charles Schmidt ou Henri Hauser, Nathanal Weiss ou le Doyen Doumergue, Abel Lefranc ou Pierre Jourda 1. Procs reprendre. Et pour commencer, ne pas rai-sonner dans labstrait. Aller aux textes. Et dabord, au texte du plus ancien des pomes chrtiens de Marguerite que nous sachions peu prs dater.

    I.

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    Dialogue en forme de Vision nocturne entre trs noble et excellente princesse Madame Marguerite de France, sur unique du Roy nostre sire, et lme saincte de dfuncte Madame Charlotte de France, fille ayne dudit sieur et niepce de ladite roine : tel est le titre, un peu long, de la premire composition religieuse importante qui soffre nous dans luvre de Marguerite. Deux devisantes : lune, Marguerite elle-

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    1 Ch. Schmidt, Le Mysticisme quitiste en France au dbut de la Rformation, B.P.F. VI, 1857, p. 449. B. Hauser, Revue Critique, XLI, 1896, 505. E. Doumergue, Jean Calvin, I, 1899.

  • mme ; lautre, lme rcemment libre dune enfant royale, enleve huit ans des suites dune rougeole.

    Pouvons-nous dater cette uvre, daspect singulier pour nous : mais pour les hommes du XVIe sicle, elle navait certes rien dinsoli-te ? Cest le 8 septembre 1524, Blois, que mourut la petite princesse. Cest neuf ans plus tard, en 1533, que dans la seconde dition du Mi-roir de lAme Pcheresse, procure par Simon du Bois, imprimeur dAlenon, la composition de Marguerite vit le jour pour la premire fois. Sauf, naturellement, trouvaille bibliographique nouvelle. Comme le Dialogue est absent de la premire dition du Miroir procure Alenon, en 1531, par le mme Simon du Bois 1, on pourrait penser, par excs de logique, quil le faut dater dentre 1531 et 1533 disons de la fin de 1531 ou du cours de lanne 1532. La dduction serait force. Il semble bien peu vraisemblable que Marguerite ait attendu sept huit ans pour voquer lme de la petite Charlotte. Bien dautres morts, entre temps, staient produites dont le chagrin devait refouler celui quprouva Marguerite la disparition de la petite princesse. Noublions pas que le 19 octobre 1531, Saint-Denis, tandis que le hraut de France clamait : Madame est morte ! on descendait dans les caveaux, avec la dpouille mortelle de Louise de Savoie, toute la jeunesse de Marguerite. Il est infiniment plus naturel que ce soit au lendemain mme de la mort de la petite princesse que Marguerite ait compos son Dialogue.

    Cette mort lui avait t particulirement cruelle, la fin de cette anne 1524 si remplie de tragiques vnements. Publics, et cest lin-vasion de la Provence par Bourbon et les Impriaux ; ils sont Aix le 8 aot et devant Marseille le 19. Privs, et cest dabord une grave maladie de Louise de Savoie qui salite en mars Blois, dune pleur-sie par suite, nous dit le Bourgeois de Paris, du courroux quelle avait ressenti en apprenant quelques mois plus tt la trahison de Bour-bon ; aprs quoi, et pendant que Louise souffrait toujours, cest, fin avril, la mort prmature de la jeune tante et amie de Marguerite, Phi-liberte de Savoie, duchesse de Nemours, qui elle avait fait connatre les hommes de Meaux et leurs uvres ; aprs quoi survint la maladie, et, la fin de juillet, le trpas de la reine Claude. La maladie et la mort

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    1 Abel Lefranc crit le contraire, par inadvertance, 11, p. 9.

  • de la petite Charlotte vinrent couronner ces tragdies. Marguerite parle de faon mouvante, dans une lettre Brionnet date du len-demain de lvnement, de cette longue lutte contre la mort de la pe-tite dame qui, dit-elle, fut trente jours tenue de fivre et de flux . Aprs quoi vint 1 lennui du roi qui les mauvaises nouvelles avaient t celes. Compte tenu de ces faits, la vraisemblance exige, semble-t-il, que nous dations de lautomne de 1524 lvocation par Marguerite de lme saincte de Madame Charlotte ; il serait diffi-cile de le retarder ce qui ne veut pas dire que, le Dialogue tant crit pour lessentiel en novembre 1524, Marguerite ne lait pas repris et retouch jusquau moment de la publication : mais ceci semble peu dans les habitudes de cette primesautire.

    Il y a plus : le meilleur des manuscrits du Dialogue qui nous soit parvenu, un manuscrit de la Bibliothque Nationale 2, dsigne lauteur sous le titre de : Madame la Duchesse. Donc le Dialogue dut tre compos avant le mois de janvier 1527, partir duquel Marguerite se, titra reine de Navarre. Disons entre septembre 1524 et janvier 1527. Mais noublions pas que Pavie est de fvrier 1525. Noublions pas que la mort du duc dAlenon est davril 1525. Noublions pas que le voyage dEspagne commence la fin daot et que Marguerite ne ren-tre que pour faire la Nol Narbonne... Conclusion : le Dialogue est antrieur Pavie. Il ne saurait gure dater que de la priode dentre septembre 1524 et janvier-fvrier 1525. Les considrations dordre ex-terne rejoignent les considrations psychologiques. Sans grand risque de nous tromper, nous pouvons mme prciser davantage avec Becker dont lhypothse est reprise par Jourda et, nous aidant dun passage obscur de la lettre 121 de Marguerite Brionnet, dire : Marguerite travaillait au Dialogue et pouvait en entrevoir lachvement la fin doctobre 1524.

    ***

    Ce Dialogue, comment linterprter ? Avant de consulter ses ex-gtes, relisons-le. Nous le pouvons facilement ; il a t republi par

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    1 Becker, 12, p. 81.

    2 Le 2.371, Fonds Franais.

  • deux fois dans ces dernires annes lune, en 1920, par un Italien, Pellegrini ; lautre, en 1926, par Jourda dans la Revue du XVIe sicle. Cest un long pome de 1.300 vers, crit en tercets comme les pomes dantesques.

    Donc, le Dialogue commence brusquement par une interrogation de Marguerite lme de Madame Charlotte sa nice :

    Rpondez-moi, douce me vivanteQui par la mort qui les fols pouvanteAvez t dun petit corps dlivre...Dites comment, en la cour triomphanteDe notre Roi et Pre tes contente,En dclarant comme amour vous enivre... Rpondez-moi !... Las ! mon enfant, parlez votre tante Que vous laissez aprs vous languissante, Fort dsirant que peine mort me livre ! Vivre mest mort par dsir de vous suivre : Pour soulager ma douleur vhmente, Rpondez-moi !...

    Rpondre, mais sur quoi ? Dabord sur la mort, ce grand souci de tous les hommes, de tous les chrtiens, mais spcialement, sil en faut croire le Brantme des Dames Illustres, ce particulier souci de la reine de Navarre 1. Et saidant dun souvenir des Triomphes de Ptrarque 2 : dimmi sel morir si gran pena, interroge la Reine ?

    Quelles douleurs senttes au partir ? Que trop grandes, je crois, quoi que lon die ?

    Avec Ptrarque aussi, lme de Madame Charlotte donne des apai-sements. La morte fin duna prigione oscura, dit le pote des Triom-

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    1 Jai ou dire ma mre qui tait lune de ses dames, et ma grandmre sa dame dhonneur, que, lorsquon lui annona... quil fallait mourir, elle trouva le mot fort amer etc. V. plus loin la conclusion.

    2 II, 30. Sur ces ressouvenirs, v. Jourda, 10, I, pp. 371-75. Et le prcieux c. r. de Benaudet dans R.S.S., 1931, (avant-propos, et p. 291).

  • phes (II, 34). Et celui du Dialogue : La mort est fin dune prison obscure ; comment le fidle peut-il la redouter (V, 175) ?

    Linfidle peut trembler et frmir, Voyant la mort car il sen va descendre Au lieu o est un immortel gmir... Mais le chrtien, de Jsus-Christ vrai membre, Croyant pour vrai tre uni son chef, Se rjouit de voir son corps en cendre...

    On a not au passage la rminiscence dantesque : regina del eterno pianto... Mais pourquoi cette joie contre nature du chrtien, vrai membre de Jsus-Christ ? Parce que son Dieu voulut mourir pour lui (v. 319).

    Et par sa mort, passion, patience, Mort est morte, vie nous est donne Car mort nous est repos de conscience.

    Vie nous est donne. Donc, inutile que nous cherchions la mriter et suivre, Dieu en quelque sorte par intrt. Suivons Dieu par amour seulement , cest le grand prcepte. Et si nous lobservons, pas besoin de mdiations (v. 358) :

    En grande erreur votre cur on a misDe vous dire que autre que Jsus-ChristSoit avocat pour nous en ParadisSaint Paul au vrai en a le tout escrit,En appelant Jsus, par mots exprs,Notre avocat...

    Et quel avocat ! de tous le plus actif et le plus efficace (v. 409) :

    Oncques ne fut pre, frre ou poux,Saint ne Sainte si Prts secourirQue le Bon Dieu est de aider tous...

    Le Bon Dieu seul. Le Bon Dieu suffit. Car les mdiateurs quon invoque nont de titre que par lui. Ne croyons pas quils aient quelque

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 43

  • mrite propre. Marguerite le rpte avec insistance : cest Dieu qui donne les mrites. Ce ne sont pas les hommes qui se les procurent. Mme les bienheureux et sur un ton trs doux elle porte au culte des Saints des coups redoutables parce que mesurs et raisonns :

    Par sa bont Saints et Saintes sont bons En eux, rien qui ne vienne de lui ; Donn leur a mrites et bons noms... Ne pensez pas par eux avoir la manne De la grce, que libralement Vous peut donner Celui qui sauve ou damne. Car lui sont unis si jointement Et transforms, quils nont nulle puissance Que de vouloir son vouloir purement.

    Marguerite cependant na pas encore compris. Ce ruisseau de la grce qui coule dans les mes, ne faut-il pas mriter de gagner les dons divins quil charrie ? Bien sagement, elle se fixe, elle-mme un beau programme (v. 478) !

    ... Quand jaurai mes pchs arrachsJe planterai les vertus en mon me...En vitant pch vilain ou blmeEt mettrai peine bien fort de mriter...

    Mriter, le mot ne pas dire : ds quelle lentend, lme bienheu-reuse se rcrie (v. 484) :

    Si possible tait de mirriter Et que fusse passible de dpit, Votre ignorer my pourrait inciter ! Ne connaissez-vous que avez mal dit ? Car en vous nest mettre fin la guerre De vos pchs, si Dieu ny met rpit.

    Marguerite essaie, de se dfendre (v. 494). Elle objecte sa libert :

    Ne ma Dieu donn un franc arbitre Pour en avoir entire jouissance ?

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  • Devant tant dignorance un redressement est ncessaire. Lme de Madame Charlotte va donc dogmatiser, pendant des vers et des vers non sans quelque faiblesse parfois, ni quelque incertitude (v. 511) :

    Qui de pch est pris et entachSerf de pch sans libert devient...Mais la bont de Dieu, qui tous prvient,Lui prsente grce prveniente,Voire lheure que de lui ne souvient...Puis lui donne la Grce IlluminanteQui commence faire ung peu la Foi luire.Aprs y met Grce perficienteEt vive foy, qui sait si bien conduireCur, me et corps, quil ny a ignorance,Ne malice qui leur peut en rien nuire...Cette foi-l met au cur repentance,Puis fait de Dieu la bont reconnatre,En qui se fonde lesprance...Ainsi la Foi fait insrer et mettreEn Jsus-Christ le pcheur retourn... Par la grce quil lui a plu transmettre Franc Arbitre lui est lors redonn ; En lui trouve sa libert perdue Pour trop avoir en pch sjourn.

    Cest un vrai catchisme et qui donne visiblement bien du mal mettre en rime au, ou la catchiste : elle conclut, puise (V. 532) :

    Cette chose soit de vous entendue, Sans dsirer plus avant en savoir, Car les plus clercs y troublent bien leur vue !

    ***

    Ce qui suit est un peu moins abstrait : Marguerite brode une suite de variations sur le thme de la Grce donne en pur don, et de lim-puissance de lhomme mriter son salut (v. 568) :

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 45

  • ... Si vous avez vouloir de faire bien, Cest le vouloir de Dieu, car le seul vostre Est vouloir mal, quand rien ny a du sien.... Vous avez beau dire le Paternostre, Our vpres, matines et prou messes, Peu de bien est-ce que dehors se montre... Mais vous fiant fermement aux promesses De notre Dieu et en sa grand bont, Vous aurez part aux dons de ses largesses...

    Bonnes uvres, bonnes uvres... Lme bienheureuse rplique par un vers daccent tout verlainien (v. 604) :

    La bonne,uvre, cest le bon cur naf

    quelle gte tout aussitt en ajoutant gauchement ces deux affreux vers didactiques :

    Rempli de foi par charit prouve A son prochain en tout secours htif

    Et passant au thme ardu de la foi (v. 613 sq.) :

    ... Jsus-Christ est le bon arbre qui monteJusques au ciel, donnant fruit en son temps ;... Si vous tes par Foi en lui enteVous porterez bon fruit : ainsi lentends.... Je dis la Foi, non point une Foi molleComme croyant que le Roi est en France.Jentends en Dieu totale confiance...

    Sans cette foi : prudence, sagesse, humaine sapience, autant de fo-lies, ou de vanits. Et Marguerite, de prendre un exemple assez cu-rieux (v. 685) :

    Un Turc ayant lettres ou connoissanceNaturelle, sera bien vertueuxCombien quen Dieu il ne croit ne ne penseDe ses vices sera victorieux

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 46

  • Et de vertus sera si fort rempliQuun chrtien ne saurait faire mieux :Mais si est-il clos en son premier pli...Et ce quil fait, cest nul bien accompli...

    Cependant, quelque chose encore inquite Marguerite (v. 728) :

    Apprenez-moi comme prier je dois Notre-Dame, anges ou saints en gloire ?

    Priez Dieu seul, rpond lme heureuse (v. 740) :

    Si vous aimez bien votre Crateur,Vous aimez tous ceux qui sont de sa bande...

    Et priez-le librement, sans formules (v. 874) :

    Oraison nest, afin que bien loyez, Que une union du cur au Crateur, Croyant, aimant ce que vous ne voyez... Aussi longtemps que vous avez le cur Par amour joint lui, votre oraison Lui plat, voyant votre Foi et ferveur.

    Puis, revenant aux uvres elle, la grande Princesse de Charit, elle la marraine de lAumne de Lyon : secourir les pauvres, visiter les prisonniers, ensevelir les morts, ces uvres sont bonnes , dit-elle, il faut le croire . Elles le sont, dans la mesure o leur au-teur aime Dieu. Sil ne laime pas, elles ne sont rien... Une dernire, question :

    Mais encore demander me fautComme je peux bien entendre ou savoirSi jai ce don de Foi en qui tout vaut ?

    Une dernire rponse (v. 1.231 sq.) :

    Quand vous verrez que tout votre vouloirPar vrai amour sera obissant

    Lucien Febvre Autour de lHeptamron 47

  • En Dieu, sans vouloir avoir pouvoir,Croyant toujours les yeux du Tout-PuissantEtre sur vous, comme ami, pre ou juge...Et puis aprs, quand dun vouloir humainA vos prochains sentirez grand amourEt prompt secours sans attendre demain ;... Quand injures prendrez en patience,Quand pour lamour de Dieu souffrirez tout,Lors aurez-vous de Foi exprienceCar les vertus que chacun loue moultSont de la Foi la dmonstration,Dont Charit est la fin et le bout...

    Ainsi sachve le premier pome chrtien de Marguerite. Un pome long et plein de longueurs. Un pome dont les ides se suivent plutt quelles ne progressent. Un pome qui, pour nous, nest quun texte historique un document dhistoire religieuse.

    II.

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    Un document, mais entre bien dautres ?

    Certes. La faiseuse de vers, en Marguerite, savre ds lorigine beaucoup plus fconde que la faiseuse denfants. De ses premires ac-tivits faut-il dire de pote, ou de catchiste ? il nous reste bien dautres tmoignages que le Dialogue. Et les 1.434 vers du Miroir. Et les 1.800 de linterminable Oraison de lAme Fidle. Et les 542 du Pe-tit uvre dvot. Et les 290 du Pater. Et les 219 de lOraison N.-S. Jsus-Christ... Dautres encore. Au total, de quatre cinq mille vers de dbut dont cent peut-tre, de-ci de-l, sont bien frapps, et cin-quante autres pleins dune grce parfois vraiment racinienne.

    Ma sur, tu as navr mon cur,Tu as navr mon cur par la douceurDun de tes yeux et dun de tes cheveux

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  • ce qui dailleurs traduit fidlement le Cantique des Cantiques (IV, 9) : Vulnerasti cor meum, soror mea sponsa, vulnerasti 1 ... Mais ne faisons point, ici, de critique littraire. Bons ou mauvais, pleins ou mous, succulents ou chevills, tous ces vers ne sont-ils pas, eux aussi, des documents ? Allons-nous limiter notre examen au seul Dialogue ?

    Mais, outre que notre dessein nest pas, ici, dtudier fond la doc-trine de Marguerite et sa mystique il faut bien se dire quun exa-men minutieux, attentif, scrupuleux des cinq mille premiers vers de Marguerite en attendant les milliers qui suivirent exigerait un travail hors de proportion avec les rsultats quon en peut escompter. Il y faudrait du reste un thologien qualifi, doubl dun curieux trs averti de lhistoire spirituelle. Or, sil sen trouvait un, par heureuse fortune, et qui ressentt le got de pareils labeurs ce serait grand piti que de lemployer une tche aussi peu payante. Certes, il courrait risque de faire, chemin faisant, maintes constatations amusantes et de rapporter, piques sur ses plaques de lige, plusieurs de ces jolis co-loptres qui ravissent le spcialiste. Mais il faut savoir rsister au ter-rible dmon de la philologie surtout quand nous navons rien dau-tre lui offrir, pour apaiser sa faim, que des redites et des redondan-ces. Toutefois, ces redites mmes et ces redondances ont leur int-rt ; il faut le marquer.

    Voici le Miroir de lAme Pcheresse 2 tel que le rimprime Frank en sa commode dition des Marguerites. Dans ce long pome que la reine, son habitude, na pas su faire court dans ce pome de 1.400 vers qui, rduit des deux tiers serait lisible, et bien lisible (car Margue-rite a du mouvement, une certaine loquence, un rythme parfois)

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    1 Jourda, 10, I, p. 364.

    2 Dautant que lhumilit littraire de M. est touchante. Si vous lisez cette u-vre tout entire, crit-elle au dbut du Miroir (Frank, I, 13) arrtez-vous sans plus la matire en excusant la rythme et le langage voyant que cest dune femme louvrage qui na en soi science ne savoir fors un dsir : que chacun puisse voir que fait le don de Dieu le Crateur quand il lui plait de justifier un cur. Sur le Miroir et sa composition, outre Jourda, 10, t. I, pp. 349 sqq. v. dans les Mlanges Lefranc, 1936, ltude de Maria Holban, qui tablit les rapports du pome avec les Triomphes de la no-ble dame de J. Bouchet le Poitevin.

  • quels singuliers dveloppements, tout dabord, sur lme chrtienne, tour tour et tout la fois Pre, Mre, Sur, Epouse de Dieu ?

    Osera bien mon esprit savancerDe vous nommer Pre ? Oui, et notre,Ainsi lavez dit en la Patenotre...Mais, mon Seigneur, si vous tes mon Pre,Puis-je penser que je suis votre Mre ?Vous engendrer, vous par qui je suis faiteCest bien un cas dont ne sais la dfaite 1...

    Mais nest-il pas crit dans Mathieu, XII, 50 :

    Ceux qui feront le vouloir de mon Pre Mes Frres sont, et ma Sur, et ma Mre ?

    Donc, conclut Marguerite poussant ses arguments :

    Donc, sans peur, nom de Mre prendrai...

    Et se tournant vers la Vierge par un vif mouvement fminin (p. 25) :

    Mre de Dieu, douce Vierge Marie, Ne soyez pas de ce titre marrie... Car vous tes sa mre corporelle, Et mre encore par Foi spirituelle ; Mais en suivant votre Foi humblement, Mre je suis spirituellement...

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    1 Les Marguerites. 3, t. I, pp. 24-25. Ldition Frank ne numrote pas les vers, ce qui oblige citer les pages. Le texte de Mathieu XII, 50, qui suit, montre Jsus, lannonce que sa mre et ses frres le cherchent tendant sa main vers ses disciples : quicumque fecerit voluntatem Patris mei, scrie-t-il, ipse meus frater, et soror, et mater est.

  • La chane des dductions ne sarrte pas l... Dieu nappelle-t-il pas lme fidle son Epouse et sa Colombe ? Parquoi dirai-je, par amoureuse foi Quen vous je suis et vous tes moi 1 !...

    Or, que le jeu se poursuive pendant des pages, le jeu sur les quatre mots ; que, pendant des pages, inlassablement, et tout au dbut du pome, Marguerite dvide les litanies dune trange mystique fami-liale insupportables parfois dans leur redondance,

    Fils, Pre, Epoux et Frre, entirement,Pre, Fils, Frre et Mari, quels donsDe me donner le bien de tous ces noms...

    Quau risque de rendre enrag tout humaniste ayant quelque got et quelque mesure, Marguerite scrie 2 et nous coupons :

    O mon Pre, quelle paternit !O mon Frre, quelle fraternit !O mon Enfant, quelle dilection !O mon Epoux, quelle conjonction !

    Que pendant des pages encore, elle disserte intarissablement sur ce thme : Dieu ma nomm sa sur, et je lai trahi ; Dieu ma fait son Epoux, mais je lai trahi ; Dieu ma fait son Pre, et sa Mre aussi : je lai trahi , voil qui tout de mme, pour lhistorien, nest pas sans intrt. Car, piquer de-ci de-l, quelques vers et sen servir pour ti-queter Marguerite luthrienne, ou bien rasmienne, ou bien catholi-que, ou bien sceptique : la tche nest pas malaise ; mais enfin, si agaants puissent-ils tre pour le lecteur ces dizaines dautres vers

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    1 Marie Holban croit trouver le germe de ce dveloppement dans une ptre de Bouchet.