Foucault - Sept propos sur le septième ange

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Sept propos sur le septième ange

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  • Michel Foucault

    Sept propos sur le septime ange

    fronti11pice

    d' Ipoustguy

    ditions fata morgana

  • C fata morgana 1986

  • La Science de Dieu et, pour une bonne part, La Grammaire logique se donnent comme une recherche sur l'origine des langues. Recherche traditiOnnelle pendant des sicles, m-;rls qui, depuis le XIX8 sicle,

    rive peu peu du ct lire Soit une date symho-

    pour cette exclusion : le --;z-jour o les savantes socits ont

    refus les mmoires consacrs la langt!e primitj-ge.

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  • Mais dans cette longue dynastie, un beau jour exile, Brisset occupe une place singulire, et joue les perturbateurs. Tourbillon soudain, parmi tant de dlires doux.

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  • 2

    LE PRINCIPE DE NON TRADUCTION

    Il est dit dans l'Avertissement de La Science de Dieu : Le prsent ouvrage 1!-e peut tr, entirement traduit . Pourquoi ? L'affirmation ne manque pas d' tonner, venant de qui recherche l'origine commune toutes l~ l.ang.ues. Cette origine n'est-elle pas constitue, comme le veut une tradition singulirement illustre par Court de Gbelin, d'un petit nombre d'lments simples lis aux

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  • choses mmes et demeurs sous forme de traces dans toutes les langues du monde ? Ne peut-on - directement ou non - ramener elle tous les lments d'une langue ? N'est-elle pas ce en quoi n'importe quel idiome peut tre retraduit et ne forme-t-elle pas un ensemble de points par lesquels toutes les langues du monde actuel ou pass communiquent ? Elle est l'lment de l'universelle traduc-tion : autre par rapport toutes les langues et la mme en chacune d'elles.

    Or, ce n'est point vers cette langue suprme, lmentaire, im-mdiatement expressive, que se dirige Brisset. TI reste sur place, avec et dans la langue franaise, comme si elle tait elle-mme sa propre origu~.e, comme si lle avait t parle du fond des temps, avec les mmes mots, ou peu s'en

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  • faut, distribus seulemen dan u ordre 1 rent, ouleverss par des mtathses, ramasss ou dis tendus par des dilatations et des contractions. L'origine du fran-ais, ce n'est point pour Brisset ce qui est antrieur au franais ; c'est !,e frali:ais jouant sur ]yi:; mme, et tombant l, l'extrieur de soi, dans une poussire nhi~ qu! est son commeiic nt.

    oit la naissance du pouce : ce pouce = ce ou ceci pousse. Ce rapport nous dit que l'on vit le pouce pousser, quand les doigts et les orteils taient dj nomms. Pous ce= Prends cela. On com menee prendre les jeunes pousses des herbes et des bourgeons quand le pouce, alors jeune, se forma. Avec la venue du pouce l'anctre devint herbivore. A vrai dire il n'y a pas pour Brisset une langue primitive qu'on pourrait mettre

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  • en correspondance avec les divers lments des langues actuelles, ni mme une certaine forme ar-chaique de langue dont on pourrait faire driver, point par point, celle que nous parlons ; la primitivit est plutt pour lui un tat fluide, mobile, indfiniment pntrable .du ling age, une P.Ossibili! d'y cir-cUler en tous sens, le champ libre toutes les transformations, ren-versements, dcoupages, la mul-tiplication en chaque point, en chaque syllabe ou sonorit, des pouvoirs de dsignation. A ~igine, ce que Brisset dcouvre, ce ?est pas un ensemble limit de mots simples fortement attachs leur rfrence, mais la langue telle que nous la parlons anjOJu-d 'hui, cette langue elle-mme .A. -l'tat de jell:.t au moment o les ds sont jets, o les sons roulent encore, laissant voir leurs faces

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  • sont

    diffrentes de dcompositio~e regroupem~t :

  • mots sautent au hasard, comme dans les marcages primitifs nos grenouilles d'anctres bondissaient selon les lois d'un sort alatoire. Au comme e n

    a redcouverte des langues pri-mitives n'est point le rsultat d'une traduction; c'est If parcours et la rpltitio~ du hasard de la langu~ .

    C'est pourquoi Brisset tait si fier d'avoir dmontr que 1~ latin n'existait pas. Si latin il y avait u, il faudrait bien remonter du

    >franais actusJ. vers cette autre , langue diffrente de lui et dont il serait driv selon des schmas dtermins ; et au-del il faudrait encore remonter vers l'tat stable d'une langue lmentaire. ~prim le latin, le calendrier c o-nologique disparait ; le primitif cesse d'tre l'antrieur ; il surgit comme les chances, soudain toutes retrouves, de la langue.

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  • 3 L'ENVELOPPEMENT A L'INFINI

    Lorsque Duret, de Brosses, ou Court de Ghelin cherchaient restituer l'tat primitif des langues, ils reconstituaient un ensemble limit de sons, de mots, de conte-nus smantiq:ues et de rgles "d syntaxe. Pour former la racine commune de toutes les langues du monde, et pour se retrouver encore aujourd'hui en chacune d'elles, il fallait hien que cet idiome ft pauvre en lments et

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  • limit dans ses lois de construc-tion. A la limite, c'est un seul cri (un seul cri se diffrenciant de tout autre bruit ou s'opposant un autre son articul) qui est au sommet de la pyramide. La langue primitive est traditionnellement conue comme un code pauvre. Celle de Brisset est au contraire un discours illimit dont la descnption ne peut jamais ~ acheve. Et ceci pour plusieurs

    .

    raisons. Son analyse ne ramne pas un

    terme contemporain un lment premier qu'on pourrait retrouver ailleurs et plus ou moins dguis : elle fait exploser successivement le mt en plusieurs combinaisons lmentaires,Jii hien que a forme actuelle dcouvre, lorsqu'on la dcompose, plusieurs tats ar-chaques ; ceux-ci, 1' origine, dif-fraient les uns des autres, mais

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  • par des jeux de tassements, de contractions, de modifications pho-ntiques propres chacun, ils ont fini par conver er tous vers une seule et mme ex ression s r~groupe et les GODtieat. C'est la science de Dieu de les faire rapparatre et de tourner comme un grand anneau multicolore au-tour du mot analys. Ainsi pour l'expression en socit : En ce eau sieds-t = sieds toi en cette eau. En seau sieds-t, en sauce y tait ; il tait dans la sauce, en socit. Le premier ocan tait un seau, une sauce, ou une mare,

    les anctres y taient en socit. On est l'oppos du procd qui consiste chercher une mme r!!cine pour plusieurs mots ; il s'agit, pour une unit act,uelle, de v~r prolifrer les tats antrieurs qu..! sont venus crist!&iser en Jie. Replace dans le vaste liquide

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  • primitif, toute expression actuelle rvle les facettes multiples qui l'ont forme, la limitent et des-sinent pour le seul regard averti son invisible gomtrie.

    En outre, un mme mot peut repasser plusieurs fois au filtre de l'analyse. Sa dcomposition n'est pas univoque ni acquise une fois pour toutes. Il arrive hien souvent que Brisset la reprenne, et plusieurs fois ainsi le verbe

  • rsultat d'un jeu dont les l-ments et es e s s t eu chose prs emprunts cette forme actue e qu1 est ce e justement que nous parlan~ Si nous faisions passer n'importe quel mot d'au-jourd'hui au filtre de tous les autres, il aurait autant d'origines qu'il y a d'autres mots dans la langue. Et bien plus encore, si on se rappelle que chaque analyse donne, en groupe insparable, plu-sieurs dcompositions possibles. La recherche de son origine, selon Br1sset, ne resserre pas l langue : elle la dcompose et la multiplie par elle-mme. ~

    -Enfin, dernier principe de proli-fration : ce qu'on dcouvre, dans 1 'tat p1emier de la langue, ce n'est pas un trsor, mme fort riche, de mots ; c'est une multi-plicit d'noncs. Sous un mot ---- . que nous prononons, ce qm se

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  • cache, ce n'est pas un autre mot, ni mme plusieurs mots souds

    , ensemble, c'est, la plupart du temps, une phrase ou une srie de phrases. Voici~ mologie - et admirons justement ~ble gmellit - d'origine et d'imagination : Eau rit, ore ist, oris. J'is nud, gine. Oris = gine = la gine urine, 1' eau rit gine. Au rige ist nud. Origine. L'cou lement de l'eau est l'origine de la parole. L'inversion de oris est rio, et rio ou rit eau, c'est le ruisseau. Quant au mot gine il s'applique bientt la femelle : tu te limes gine ? Tu te l'ima gines. Je me lime, gine est? Je me l'imaginais. On ce, l'image ist n ; on ce, lime a gine ai, on se l'imaginait. Lime a gine sillon ; l'image ist, nud sillon ; l'image ist, n'ai sillon. L'tat premier de la la~ ce 'it~it

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  • donc pas un ensemble dfinissable de symboles et de rgles de cons-truction ; c'tait une masse ind-

    fi~ d'noncs, un ruisselleme:W: de choses dites...; derrire les mots

    "' de notre dictionnaire, ce que nous devons retrouver ce ne sont point des constantes morphologiques, mais des affirmations, des ~~~tions, des souhaits, des ~an:dements. Les mots, ce sont des

    ~ fragments de discours tracs~r eux-m@mes, des modalits '-noncs figes et rluites au neutf. Avant les mots, il y avait les. phrases ; avant le vocabulaire, il y avait les noncs ; avant les syllabes et l'arrangement lmen-taire de~ sons, il y avait l'indfini

    :~purmure de tout ce qui se disait. Bien avant la langue, on parlait. Mais de quoi parlait-on ? Sino:r: de c homm n'existait as encore puisqu'il n'tait dot d'au-

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  • cune langue ; sinon de sa forma-ti~, de "Son lent arrachement l'animalit; sinon du marcage auquel chappait avec peine son existence de ttard ? De sorte que sous les mots de notre langue actuelle se font entendre des phrases - prononces dans ces ....-;: memes mots ou presque - ~ des hommes quL.D'existaieD:t--pa:s encore et qui parlaient de~ naissance future. Il s'agit, dit Bris-set, de ({ dmontrer la cration de l'homme avec des matriaux que nous allons prendre dans ta bouche, lecteur, o Dieu les avait placs avant que l'homme ft cr . Cration double et entre-croise de l'homme et des langues, sqr fond d'un immell&e discOUJS antrieur.

    Chercher l'origine des langues pour Brisset, ce n'est pas leur trouver un principe de formation

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  • dans l'histoire, un jeu d'lments rvlables qui assurent leur cons-truction, un rseau d'universelle communication entre elles. C'est plutt O!Jvrir chacune sur une mul-tiplicit sans limite ; dfinir ne unit stable dans une prolifration d'noncs ; retourner l'organi-tion du systme vers l'extriorit des choses dites.

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  • 4

    LE BRUIT DES CHOSES DITES

    cc Voici les salauds pris ; ils sont dans la sale eau pris, dans la salle aux prix. Les pris taient les prisonniers que l'on devait gorger. En attendant le jour des pris, qui tait aussi celui des prix, on les enfermait dans une salle, une eau sale, o on leur jetait des saloperies. L on les insultait, on les appelait salauds. Le pris avait du prix. On le dvorait, et, pour tendre un pige, on offrait du pris et du prix : c'est du prix.

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  • C'est duperie, rpondait le sage, n'accepte pas de prix, homme, c'est duperie.

    On le voit hien : il ne s'agit pas, pour Brisset, de rduire le plus possible la distance entre saloperie et duperie, pour tendre vraisemblable qu'on ait pu la fran-chir. D'un mot l'autre, les pi-sodes fourmillent - des batailles, des victoires, des cages et des perscutions, des boucheries, des quartiers de chair humaine vendus et dvors, des sages sceptiques, accroupis et boudeurs. L'lment commun aux deux mots -

  • (qu'on donne le jour du prix). Brisset ne rapproche pas les deux mots saloperie-duperie : il les loigne l'un de l'autre, ou plutt hrisse 1' espace qui les spare d'vnements divers, d~ figure~ improbables et htrognes ; il le p-;uple du plus grand nombre de diffrences possible. Mais il ne s'agit pas non plus de montrer comment s'est form le mot salo-perie ou le mot duperie. Le premier, par exemple, est dj presque tout donn d'entre de jeu : voil les salauds pris ; il suffirait d'une dsinence pour qu'il soit form et qu'il se mette exister. Mais il se dcompose au contraire, disparat presque, - sale eau, salle - pour resurgir soudain tout form et charg du sens que nous lui donnons aujour-d'hui : cc On leur jetait des salo-peries. Non point lente gense,

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  • acquisition progressive d'une forme et d'un contenu stables, mais appa-rition et disparition, clignotement du mot, clipse et retour prio-dique, surgissement discontinu, fragmentation et recomposition.

    En chacune de ses apparitions, lst ii:J.ot a npe nouvelle forme, Il a une si nification diffrtne il dsigne une ralit autre. S n unite n'est donc ni morphologique, ni smantique, ni rfrentielle. Le mot n'existe que de faire corps avec une scne dans laquelle il surgit comme cri, murmure, com-mandement, rcit ; et son unit, il la doit d'une part au fait que, de scne en scne, malgr la diver-sit du dcor, des acteurs et des pripties, c'est le mme bruit

    ~i court, le mme geste sonore qui se dtache de la ml~ et :Hotte un instant au-dessus de l'pisode, comme son enseigne

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  • audible; d'autre part, au fait que ces scnes forment une histoireJ. et s'enchament de faon sens~ selon les ncessits d'existence des gr~ nouilles ancestrales. Un mot, c'est le par~oxe, le m-W!cle, l~rveilleux hasard d'un mme bruit qg.e, pour des raisons diffrent;, des personnages diffrents, visant des choses diffrentes, font retentir tput au long d'une histoire. C'est la srie improbable du d qui, sept fois de suite, tombe sur la mme face. Peu importe qui parle, et, quand il parle, pour quoi dire, et en employant quel vocabulaire : le mme cliquetis, invraisembla-blement, retentit.

  • dfaite des ennemis et comment on s'est empar d'eux - dans la sale eau ; murmure des grenouilles autour du marcage, froissement des roseaux au soir de la bataille, coassante nouvelle. Retentit alors le mot d'ordre ; on hte les pr-paratifs, les cages s'entrouvrent et se referment, et, sur le passage des captifs, la foule crie : Dans la salle aux pris, dans la salle aux pris. Mais les affams, les avides, les avares, tous les mar-chands de la ttarde cit pensent plutt la viande et au march : autres dsirs, autres mots, mme brouhaha : Salle aux prix. Les vaincus sont enferms dans la rgion la plus fangeuse du mar-cage; mais quel narrateur, quelle grenouille vigilante, quel vieux scribe de l'herbe et de l'eau, ou encore quel penseur d'aujourd'hui, assez avanc dans l'intemporelle

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  • science de Dieu, note rveusement qu'il s'agit l d'une bien sale eau et qu'on jette aux captifs des saloperies ? Cependant, aux grilles de la prison, la foule bave et crie :
  • Quand ils partent la recherche de l'origine du langage, les rveurs se demandent toujours quel mo-ment le premier p_!:!.gp.)me s'est enfin arrach au b~ introdui-sant d'un coup et une fois pour toutes, au-del des choses et des gestes, l'ordre pur du symboli~e. Folie deBrisset qui raconte, au contraire, comment des discours pris dans des scnes, dans des luttes, dans le jeu incessant des apptits et des violences, forment peu peu ce grand bruit rptitif qui est le mot, en chair et en

    -c---os. Le mot n'appara1t pas quand c'Sse le bruit ; il vient natre avec sa forme bien dcoupe, avec tous ses sens muli:iples, lorsque les discours se sont tasss, recro-quevills, crass les uns vers les autres, dans la dcoupe sculpturale du bruissement. Brisset a invent la dfinition du mot par l'homo-phonie scnique.

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  • 5 LA FUITE DES IDES

    Comme R. Roussel, comme W olfson, Brisset :eratique syst-matiquement l'-peu-prs. Mais };important est de saisir o et de quelle manire joue cet -peu-prs.

    Roussel a utilis successivement deux procds. L'un consiste prendre une phrase, ou un lment de phrase quelconque, puis la rpter, identique sauf un lger accroc qui tablit entre les deux formulations une distance o l'his-

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  • toire tout entire doit se prci-piter. L'autre consiste prendre, selon le hasard o il s'offre, un fragment de texte, puis, par une srie de rptitions transformantes, en extraire une srie de motifs tout fait diffrents, htrognes entre eux, et sans lien smantique ni syntaxique : le jeu est alors de tracer une histoire qui passe par tous les mots ainsi obtenus comme par autant d'tapes obli-ges. Chez Roussel, comme chez Brisset, il y a antriorit d'un discours trouv au hasard ou ano-nymement rpt ; chez l'un et chez l'autre il y a srie, ~:US l'interstice des qui:f.Identits, d'apparitions de scnes merve!l-Iuses avec lesquelles les mots iont corps. Mais Roussel fait surgir ses nains, ses rails en mou de veau, ses automates cadav-riques dans l'espace, trangement

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  • vide et si difficile combler, qui est ouvert, au cur d'une phrase arbitraire, par la blessure d'une distance presque imperceptible. La faille d'une diffrence phonolo-logique (entre p et b, par exemp) ne donne pas lieu, pour lui, une simple distinction de sens ; mais un abme presque infran-chissable qu'il faut tout un dis;. cours pour rduire ; et quand, d'un bord de la diffrence, on s'em-barque vers l'autre, nul n'est sr, aprs tout, que l'histoire parvien-dra hien cette rive si proche, si identique. Brisset lui, _!aute, en un instant p_l~ bref que tnn.,t.e l!.ense. d'un mot l'autre :salaud; sale eau, salle aux prix, salle aux pris( onniers ), saloperie ; et le moindre de ces bonds minuscules qui changent peine le son fait surgir chaque fois tout le bario-lage d'une scne nouvelle : une

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  • bataille, un marcage, des pri-sonniers gorgs, un march d'an-thropophages. Autour du son '~!li demeure aussi proche ~e possible e son axe d'jdentitf\es scnes tournent comme !,!! priphrie

    d'u~de ~~et ainsi appe-lsCiune a son tour par des cris presque identiques, qu'elles sont charges de justifi~r et en quelqu sorte de porter elles-mmes, elles forment, d'une ma-~ absolument quivocpJe, une histQl:.e...de.J!!ots (induite en chacun de ses pisodes par le Ii'er, l'inaudible glissement d'un mot ?' l'autre) et l'histoire de ces_mots (la suite des scnes, d'o ces bruits sont ns, se sont levs, puis figs our former des mots). ,_ Pou W olfson, - eu-prs est un moyen de retourner sa propre langue comme on retourne un doigt de gant; de passer de l'autre ct -

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  • au moment o elle arrive sur vous, et o e e va vous enve per, vous enva , se aire in d~ force, vous remplir le- s d'objets mauvais et hruyant~et retentir longtemps dans votre tte. C'est le moyen de se retrouver soudain 1 'extrieur, et d'entendre enfin lors atrie (hors matrie, pourrait-on dire) un langage neu-t~. L'-peu-prs assure, selo; le furtif point de contact sonore, l'a1Heurement smantiqu~, entre une langue maternelle qu'il faut "la fois ne as arler et ne pas e!!tend~es. Grce ces~ lgers jets d'une langue l'autre,~ et savamment calculs l'avance, la fuite peut tre instantane, et l't~nt en langue psychotique, peine assailli par le furieux

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  • idiome de sa mre, fait retraite l'tranger et n'entend plus enfin que des mots apais 'opration ~e JJrisset est :11"un mot quelco e sa langue, aussi gris qu'on peut le trouver dans l?'dictionnaire, ~e, grands cris allitratifs, d'autres mots dont chacun trane derrire lpi les vieilles scnes immmo-

    =-

    riales du dsir, de la guerre, de 1;"' sauvagerie, de la dva~tation - ou les petites criailleries des dmons et des grenouilles, sautil-lant au bord des marcages. Il entreprend de restituer les mo~ aux bruits qui les ont fait natre, t de remettre en scne les gestes, les assauts, les violences dont ils forment comme le blason main-tenant silencieux. Rendre le -the-

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  • ces gorges coassantes ; les mler nouveau tous ces lambeaux de chair arrachs et dvors ; les riger comme un ;Sve ~rible, et contraindre une fois encore les hommes l'agenouillement
  • triau sonore du langage, oubliant le sens et perdant la continuit rhtorique du discours, saute, par l'intermdiaire d'une syllabe rp-te d'un mot un autre, laissant filer tout ce cliquetis sonore comme une mcanique folle. Brisset - et plus d'un sans doute qui l'on prte ce symptme - font l'in-verse : la rptition phontique ne marque pas, chez eux, la lib-. -===--ration totale du j:wgage par rapport aux choses~ aux penses et aux corps ; elle ne rvle pas sur le discours un tat d'apesan-teur absolue ; elle enfonce lJl contraire les syllabes da~ le corpv., elle leur redonne fonction~ et ~; elle retrouve 1~ pouvoir plastique qui vocif:te gesticule ; elle replace les mots dans la bouche et autour du sex~ ; elle fait natre et s'effacer dans un temps plus rapide que toute

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  • pense un tourbillon de scnes frntiques, sauvages ou jubila-toires, d'o les mots surgissent et que les mots appellent. Ils sont l'cc Evoh multiple de ces Bac-chanales. Plutt que d'une fuite des ides partir d'une itration verbale, il s'agit d'une s;nrig;!!:-p'hie phontique indfinimen!_. '; cMre.

    -z:__

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  • 6 LES TROIS PROCDS

    Deleuze a dit admirablement : La psychose et son langage sont inspariies du procd linguis-tique, d'un procd lin IStique. C'est le problme d r d' qui, da~ Ja psychose, a remplac le pro leme de la signification et du refoulement (prface Louis W oTfsn : Le Schizo et les Langues. Gallimard, 1970, p. 23). Il se met jouer lorsque des mots aux choses le rapport n'est plus de

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  • ds~ion, d'une proposition une autre le rapport n'est plus de signification, d'une langue une autre (ou d'un tat de langue un autre) le rapport n'est plus de

    trad~n. Le procd, c'est d'a-bord ce qui manipule les choses imbriques dans les mots, non point pour les en sparer et resti-tuer au langage son pur pouvoir de dsignation, mais pour purifiJl_r les choses.. les aseptiser, -~er toutes celles ' s d'un conJurer la mauvaise m ere malade , comme dit W olfson. Le procd, c'est aussi ce qui, d'une propo-sition l'autre, si proches qu'elles soient, plutt que de dcouvrir une quivalence significative, cons-

    -truit toute une paisseur du dis-cours, d'aventures, de scnes, de personnages et de mcaniEJUeB -qui eHectuent eux-mmes la transla-

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  • tion matrie_!!.e : espace roussellien i'le l'entre-deux-phrases. Enfin le procd et ceci l'extrme oppos de toute traduction -dcompose un tat de langue par un autr~ et de ces mines, de ces fragments, de ces tisons encore rouges, btit un dcor pour rejouer les scnes de violence, de ..JDeuR:re et d'anthropophagie. Nous voil

    -----reven'S l?mpuie ahsorptiun. Mais il s'agit d'une spirale - non d'un cercle ; car nous ne sommes plus au mme niveau ; Wolfson craignait que, par l'intermdiaire des mots, le mauvais objet ma-ternel n'entre dans son corps; Brisset fait jou er la dvoration de~ hommes sous la griffe des mots redevenus sauvages.

    A coup sr, aucune des trois formes du procd n'est tout fait absente chez W olfson, chez Roussel et chez Brisset. Mais cha-

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  • cun d'eux accorde un privilge l'une d'entre elles selon la dimen-sion du langage que leur souffrance, leur prcaution ou leur allgresse ont exclu en premire instance. W olf.qon souffre de l'intrusion de tous les mots anglais qui s'entre-croisent avec l'hostile nourriture maternelle : ce langage dpourvu de la distance qui permet de

    d~ignot.-r. lot proc.fd.t rf pond la fois par la fermeture (du corps, des oreilles, des orifices ; bref, la constitution d'une intriorit close), et le passage l'extrieur (dans les langues trangres vers lesquelles mille petits canaux sou-terrains ont t amnags) ; et de cette petite monade bien close, en qui viennent symboliser toutes les langues trangres, W olfson ne peut plus dire que il. Une fois la bouche bien svrement bou-che, les yeux avides absorbent

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  • dans les livres tous les lments qui serviront selon une procdure bien tablie transformer, ds leur entre dans les oreilles, les mots maternels en termes tran gers. On a la srie : bouche, il, oreille.

    Pench sur totE le5 accrocs du .lanzat!e comme mr la Jrmi11r .:llm P":)rt-~ Y"Al-enir. B.v,-r-1 ~.:m.n.ait ~n~ do!'UX ~-,........... ~-...; ;_..!~~~-r-..-...;; -~ ~ .... ~ .IJI!~~- ~-- ~-

    telle rupture de signification que, pour les joindre, il aura les faire passer au filtre des sonorits lmentaires, il aura les faire rebondir plusieurs fois et com poser, de ces fragments phon tiques, des scnes dont la sub-stance plus d'une fois sera extraite de sa propre bouche - mie de pain, mou de veau, ou dents. Srie : il, oreille, bouche.

    Quant Brisset, c'es~

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  • d'abord qui mne le jeu, ds lors que l'armature du code s'est effon-dre, rendant impossible toute traduction de la langue ; surgissent alors les bruits rptitifs comme noyaux lmentaires ; autour d'eux apparat et s'efface tout un tourbillonnement de scnes qui_, moins d'un instant, se ~ au regard ; inlassabreiilent, D.~s anctres s'y entredvorent.

    Quand la dsignation disparat, que les choses s'imbriquent avec les mots, alors c'est la bouche qui se ferme. Quand la communi-cation des phrases par le sens s'interrompt, alors l'il se dilate devant l'infini ds diffrences. Eifin, quand le code est aboli, alors l'oreille retentit de bruits rptitifs. Je ne veux pas dire que le code entre par l'oreille, le sens par l'il, et que la dsi-gnation passe par la bouche (ce

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  • qui tait peut-tre l'opinion de Znon); mais qu' l'e:ffacemenJ: d'une des dimenSions du langage correspond un organe qui s'erig-e, U.!!_ orifice qui entre en excitation, un lment qui s'rotise De cet organe en rection aux deux autres une machinerie se monte - la fois principe de domination et pro cdure de transformation. Alors les lieux du langage - bouche, il, oreille - se mettent fonc-tionner bruyamment dans leur matrialit premire, aux trois sommets de l'appareil qui tourne dans crne.

    oucli cousue, je dcentr, t.J:a duction universelle,-;!mbolisation gnrale des lan es ( l'exclusion

    e l'immdiate, de la m ernelle), c'est le sommet de olfso c'est ~oint de formation savqir. tEi>djl,at, spectacle _qui se mul:

    p partir de lui-mme, s'en

    51

  • rptitions instab es, violences et pptits dchans, c'est le sommet

    nsse , celui de I;ivre.s~ et de a e celui de la gesticu-lation orgiaque : p~ de la osie et d te s ab li, rpt.

    52

  • 7

    CE QUE NOUS SAVONS DE BRISSET

    1. Nous connaissons de lui sept publications :

    1. La Grammaire logique ou Thorie d'une nouvelle ana-lyse mathmatique rsolvant les questions les plus difficiles (Paris, l'auteur, 1878, 48 p.)

    2. La Grammaire logique rsol-vant toutes les difficults et faisant connatre par l'ana-

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  • lyse de la parole la formation des langues et celle du genre humain (Paris, E. Leroux, 1SS3 ; in-IS0 , 176 p.)

    3. Le Mystre de Dieu est ac-compli (en gare d'Angers, Saint-Serge, l'auteur, 1S90 ; in-IS0 , I76 p.)

    4. La Science de Dieu ou la Cration de l'Homme (Paris, Chamuel, I900; in-IS0 , 252 p.)

    5. La Grande Nouvelle (Paris, 1900, 2 p.)

    6. Les Prophties accomplies (Daniel et l'Apocalypse) (An-gers, l'auteur, I906 ; in-IS0 , 299 p.)

    7. Les Origines humaines, 2e dition de La Science de Dieu, entirement nouvelle (Angers, l'auteur, I9I3; in-ISo, 244 p.).

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  • 2. Brisset avait t officier de police judiciaire. Il donnait des leons de langues vivantes. A ses lves il proposait des dictes comme celle-ci : cc Nous, Paul Par fait, gendarme pied, ayant t envoy au village Capeur, nous nous y sommes rendu, revtu de nos insignes.

    3. Il avait prsent La Grammaire logique l'Acadmie pour un concours. L'ouvrage fut rejet par Renan.

    4. C'est en rentrant chez lui, un soir de juin 1883, qu'il conut Le Mystre de Dieu.

    5. Le 29 juillet 1904, le Petit Parisien publia un article intitul Chez les fous ; on y parlait d'un alin qui, sur un systme d'al-litrations et de coqs--l'ne, avait

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  • prtendu fonder tout un trait de mtaphysique intitul La Science de Dieu... La place me manque pour citer des passages de cette affolante philosophie. On garde d'ailleurs de leur lecture un trouble rel dans l'esprit. Les lecteurs me sauront gr de vouloir le leur pargner .

    6. Brisset avait organis une conf-rence pour le 3 juin 1906. Il avait rdig un programme o il tait dit : L'archange de la rsur-rection et le septime ange de l'Apocalypse, lesquels ne font qu'un, feront entendre leur voix et sonneront de la trompette de Dieu par la bouche du confren-cier. C'est ce moment-l que le septime ange versera sa coupe dans l'air. >>

    Brisset n'eut qu'une cinquan-taine d'auditeurs. Il affirma, dans

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  • son indignation, que nul n'enten-drait dsormais la voix du sep-time ange.

    7. Pourtant il crivit encore Les Origines humaines dont l'introduc-tion commence ainsi : Nous allons d'abord montrer que nous avons us de toutes nos forces et d'une voix de tonnerre.

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  • TABLE

    1. 9 2. Le principe de non traduction 11 3. L'enveloppement l'infini 17 4. Le bruit des choses dites 27 S. La fuite des ides 35 6. Les trois procds 45 7. Ce que nous savons de Brisset 53

  • Ecrit en 1970, ce texte a d'abord paru en prface une rdition de La grammaire logique aux Editions Tchou.

  • Acheve d'imprimer le 13 fvrier 1986 par l'Imprimerie de la Charit Montpellier, l'dition originale de Sepl propos sur le septime ange est tire mille exemplaires : trente, numrots, sur vlin pur fil Johannot, et neuf cent

    septante sur verg teint.

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