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Jules VERNE (1828 – 1905) Traduit dans le monde entier et popularisé par le cinéma, la télévision et le livre de poche, Jules Verne reste un des écrivains les moins connus de la littérature française. Il s’est en effet imposé dans deux secteurs traditionnellement considérés comme mineurs : les livres pour la jeunesse et la science- fiction. De plus, l’homme est mystérieux : secrets dramatiques jalousement gardés, contradiction entre ses opinions conservatrices et sa critique souvent agressive de la société fondée sur le profit. Jules Verne, écrivain français est né à Nantes, dans l’île Feydeau le 08/02/1828. Son père, Pierre Verne, fils d’un magistrat de provins, s’était rendu acquéreur en 1825 d’une étude d’avoué et avait épousé en 1827 Sophie Allotte de la Fuÿe, d’une famille nantaise aisée qui comptait des navigateurs et des armateurs. Jules Verne a un frère Paul et trois sœur : Anna, Mathilde et Marie. A six ans, il prend ses premières leçons de la veuve d’un capitaine au long court et à huit entre avec son frère à l’école Saint-Stanislas. Le futur écrivain se distingue en géographie et en musique. Jules Verne semble mal supporté la sévérité des méthodes éducatives de son milieu et, à l’été 1839, ayant acheté l’engagement d’un mousse, il s’embarque clandestinement sur un long courrier, " La Coralie ", en partance pour les Indes.

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Jules VERNE

(1828 – 1905)

 

 

 

Traduit dans le monde entier et popularisé par le cinéma, la télévision et le livre de poche, Jules Verne reste un des écrivains les moins connus de la littérature française. Il s’est en effet imposé dans deux secteurs traditionnellement considérés comme mineurs : les livres pour la jeunesse et la science-fiction. De plus, l’homme est mystérieux : secrets dramatiques jalousement gardés, contradiction entre ses opinions conservatrices et sa critique souvent agressive de la société fondée sur le profit.

Jules Verne, écrivain français est né à Nantes, dans l’île Feydeau le 08/02/1828. Son père, Pierre Verne, fils d’un magistrat de provins, s’était rendu acquéreur en 1825 d’une étude d’avoué et avait épousé en 1827 Sophie Allotte de la Fuÿe, d’une famille nantaise aisée qui comptait des navigateurs et des armateurs. Jules Verne a un frère Paul et trois sœur : Anna, Mathilde et Marie. A six ans, il prend ses premières leçons de la veuve d’un capitaine au long court et à huit entre avec son frère à l’école Saint-Stanislas. Le futur écrivain se distingue en géographie et en musique.

Jules Verne semble mal supporté la sévérité des méthodes éducatives de son milieu et, à l’été 1839, ayant acheté l’engagement d’un mousse, il s’embarque clandestinement sur un long courrier, " La Coralie ", en partance pour les Indes. Pierre Verne averti par des témoins, rattrape son fils à Paimboeuf et le ramène à Chantenay. Il avoue être parti pour rapporter à sa cousine Caroline Tronsson un collier de corail. Mais, rudement tancé, il promet : " je ne voyagerai plus qu’en rêve ".

En 1840 Jules et Paul quitte l’école Saint-Stanislas pour le petit séminaire de Saint-Donatien à Nantes

A l’automne 1844, il rentre au collège royal de Nantes où il fait sa rhétorique et sa philosophie. Reçu bachelier en 1846, et comme son père lui destine sa succession, il se rend à Paris pour y faire son droit. Mais le jeune homme suit rarement les cours et rêve de littérature. Il fréquente les artistes et bohèmes influencés par les idées républicaines. Ses sympathies démocratiques, dès cette époque, sont certaines, mais ses affinités le portent surtout vers les saint-simoniens et les anarchistes. Sans cesser d’aimer Caroline, il écrit clandestinement ses premières œuvres ; des

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sonnets et une tragédie en ver ; un théâtre … de marionnette refuse la tragédie, le cercle de famille ne l’applaudit pas, et on ignore tout, même le titre.

En 1847, il subit sa première déception amoureuse, car Caroline se marie. Il passe son premier examen de droit à Paris où il ne demeure que le temps nécessaire. L’année suivante il compose une autre œuvre dramatique, assez libre celle-là, qu’on lit en petit comité au " cercle de la Cagnotte " à Nantes. Le théâtres l’attire et le théâtre c’est Paris. Il obtient de son père l’autorisation d’aller terminer ses études de droit dans la capitale où il débarque pour la seconde fois le 12/11/1948.

A Paris il s’installe avec un jeune Nantais en cours d’étude dans une maison meublée, rue de l’Ancienne-Comédie. Il débute cette vie placée sous le signe de l’amitié, de la vie mondaine et des lettres. Mais malgré son avidité de tout savoir, il est bridé par une pension calculé au plus juste. Il joue au naturel avec son ami : L’habit vert de Musset et Augier ; ne possédant à eux deux qu’une tenue de soirée complète, les deux étudiants vont dans le monde, fréquenter les salons, alternativement. Avide de tout lire, Jules Verne jeûnera trois jours pour s’acheter le théâtre de Shakespeare. Le jeune licencié en droit songe de plus en plus à une carrière d’auteur dramatique. Il écrit, et naturellement pour le théâtre, avec d’autant plus de confiance qu’il fait la connaissance de Dumas père, alors au fait de sa notoriété et propriétaire du théâtre-historique, qui le protège. Il assiste dans la loge de l’écrivain même, à l’une des premières représentations de la jeunesse des mousquetaires.

En 1849 il mène de front trois sujets, dont deux semblent venir de Dumas lui-même : La conspiration des poudres ; Drame sous la Régence, et une comédie en vers en un acte : Les pailles rompues. La pièce voit les feux de la rampe au théâtre-historique le 12/06/1850. La critique est indulgent. Le succès relatif, et un ami fortuné paye l’édition en volume. On la jouera douze fois et elle sera présentée le 07/11 à Nantes.

Puis vient la composition de Les savants et Qui me rit qui ne seront pas représentées. Mais le droit n’est pas oublié et Jules Verne passe sa thèse. Selon le vœu de son père, il devrait alors s’inscrire au barreau de Nantes ou prendre sa charge d’avoué chez son père en vue de la succession. L’écrivain refuse :la seule carrière qui lui convienne est celle des lettres. Dans le même temps, au cours de nombreuses visites à la bibliothèque nationale, il commence à se passionner pour les multiples découvertes scientifiques qui, tout en lui montrant la possibilité proche d’un monde nouveau, se parent encore de toute la poésie de l’inconnu. La fréquentation d’un explorateur, Jacques Arago, chez qui il rencontre de nombreux voyageurs et géographes, lui ouvre la porte des pays lointains et des terres vierges. Il trouve néanmoins une situation comme secrétaire de Edmond et Jules Seveste qui en 1851 ont installé, dans les murs du théâtre-historique, l’opéra-National, dénommé en avril 1852 et pour 10 ans le théâtre-Lyrique.

Il ne quitte pas Paris et, pour boucler son budget, doit donner des leçons. Pitre-Chevalier, directeur dans le musée des familles , publie ses premiers essais littéraires, nouvelles historiques, saynètes bourrées de calembours, récits de voyage : Les premiers navires de la marine mexicaine et un voyage en ballon qui figurera plus tard dans le volume le docteur Ox sous le titre Un drame dans les airs, deux récits où déjà se devine le futur auteur des voyages extraordinaires ; et une pièce : Les châteaux en californie. En avril 1852, il publie, toujours dans Le musée des Familles, sa première longue nouvelle historique : Martin Paz, récit où la rivalité ethnique des espagnols, des indiens et des métis du Pérou se mêle à une intrigue sentimentale, et qui révélait déjà sa passion pour l’histoire et la géographie. Car l’écrivain de vingt-quatre ans possède déjà cette ouverture historico-géographique qui fera de lui un des visionnaires de son époque. Il écrit presque exclusivement pour la scène et souvent en collaboration avec Michel et Charles Wallut.

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Le 20/05/1853, il voit représenter au théâtre lyrique Colin-Maillard, une opérette en un acte dont il écrit le livret avec Carré et dont son ami Aristide Hignard a composé la musique. C’est un premier succès avec 40 représentations et la pièce est imprimée chez Michel-Levy. Attendent dans ses cartons Mona Lisa, Les compagnons de la marjolaines, Le fils adoptif, La tour de Monthléry, Les heureux du jour. Pendant ses loisirs, il poursuit des études systématiques de géographie, de mathématique, de physique, et travaille à acquérir un vocabulaire à la mesure du " roman de la science " qu’il commence à rêver d’écrire. Peu après la mort successive des frères Seveste, il quitte le théâtre-lyrique et se met au travail dans son petit logement du boulevard Bonne-Nouvelle, il publie en 1854 la première version de Maître Zaccharius ou l’horloger qui a perdu son âme puis en 1855 Un hivernage dans les glaces, nouvelle inspirée d’un voyage accompli 4 ans plus tôt.

Dans le même temps, Paul Verne engagé dans la marine depuis 1848, participe à la guerre de Crimée. Pierre et Sophie songent à marier leur fils aîné, qu’ils font revenir à Nantes au début de l’année. Celui-ci décline les propositions qui lui sont faites et, en avril 1854 refuse définitivement de succéder à son père qui met son étude d’avoué en vente. Il n’est pas non plus décider à remplacer Seveste à la direction du théâtre-lyrique.

En 1856 Jules Verne rencontre sa future femme au mariage d’un ami. Il songe à s’établir en devenant agent de change. Le 10/01/1857, il épouse Honorine Anne Hébé-Morel née du Fraysne de Viane veuve de 26 ans et mère de deux fillettes. Pour faire face à ses besoins et grâce aux relations de son beau-père et à la compréhension généreuse de son père qui se laisse persuader en lui apportant la somme de 50.000,00F, il devient agent de change à la bourse de Paris comme associé chez Eggly, mais n’abandonne pas pour autant ses ambitions littéraire. Dès lors, il s’installe boulevard Montmartre puis rue de Sèvres.

Il se lève chaque matin à 5 heures, écrit jusqu’à dix, et passe le reste de sa journée à la bourse. Il y fit dit-on " plus de bons mots que de bonnes affaires ". L’œuvre de sa vie continue de se nourrir d’immenses lectures et aussi des voyages qu’il effectue avec son ami Hignard dont le père est armateur, dont un en Ecosse en 1859, pays de ses ancêtres maternelles. Lors de son passage en Angleterre, il visite le paquebot " Great-Easten ". Mais il ne renonce pas à l’expression dramatique et donne en 1860, aux Bouffes-Parisiens dirigés par Offenbach, une opérette composé avec l’aide de Carré et mise en musique par Hignard Monsieur de chimpanzé. Toujours en 1860 et toujours avec Carré et Hignard il donne la représentation de L’auberge des Ardennes opéra comique en un acte.

En 1861 alors que la guerre de sécession éclate, c’est au tour d’un vaudeville d’être représenté : Onze jours de siège et écrit en collaboration avec Wallut. La même année le 03/08/1861 alors que Jules Verne s’est embarqué depuis le 15 juin avec Hignard sur un cargo qui fait route vers la Norvège, sa femme fait naître Michel Verne, qui sera son unique enfant.

L’écrivain reparaît à la fin de l’année. Il cherche une idée directrice qui lui appartienne en propre. Les expériences de ses amis Nadar (nom d’emprunt de Félix Tournachon), G. de La Landelle et Ponton d’Amécourt sur la navigation aérienne lui inspirent un roman le futur, Cinq semaines en ballon, où le thème se cherche et tente de se préciser, mais le manuscrit est refusé par quinze éditeurs.

Grâce à Dumas et Brichet, Verne fait la connaissance d’un seizième l’éditeur : Jules Hetzel qui a lu le livre avec attention et a demandé à rencontrer ce jeune auteur inconnu. Il ne s’agit pas, à vrai dire, d’un éditeur ordinaire. Ce " monstre sacré " de l’édition est célèbre depuis longtemps par son flair. Il a failli se ruiner en entreprenant dès 1845 la réédition des grands romans de Stendhal. C’est aussi lui qui a engagé Balzac à écrire sa grande préface de 1842 où le romancier

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parle pour la première fois de La Comédie humaine  et précise les liens qui unissent ses divers romans.

Hetzel s’intéresse depuis longtemps à la littérature pour la jeunesse et suit avec attention les signes qui montrent qu’un public nouveau est en train de se constituer ou de s’élargir. Dès 1844, il a créé une collection pour les jeunes qu’il inaugure par une adaptation, qu’il a faite lui-même, du célèbre conte Tom Pouce.  Hostile à l’Empire, il s’est exilé en Belgique au moment du coup d’état du 2 décembre 1852. La relative libéralisation du régime lui a permis de regagner la France et de reprendre ses activités. Il cherche lui aussi une " formule " capable de lui assurer un large succès populaire et de le renflouer

Hetzel engage avec Verne une longue conversation, et, enthousiasmé lui signe un contrat qui engage Verne à fournir deux volumes par an pour les vingt années suivantes ou quarante volume dans un temps plus court. Il recevrait dix mille francs par volume. Hetzel refit cinq fois le contrat avec des conditions toujours plus brillantes pour " son " auteur. Verne, ébloui, se découvre soudain compris, soutenu, aimé. Jusqu’à sa mort, en 1886, Hetzel restera pour lui l’ami, le conseiller sévère et irremplaçable, ou, selon l’expression si juste de Marcel Moré, le " père sublime ".

Sa vraie carrière va commencer : le roman qui paraît le 24/12/1862 remporte un succès triomphant en France puis dans le reste du monde car traduit dans toutes les langues d’Europe. Jules Verne peut alors abandonner la bourse sans inquiétude. Il va désormais donner cette œuvre énorme qui est à l’origine du roman scientifique, et qui n’a jamais cessé de passionner ceux pour lesquels l’imagination recule sans cesse les frontières du monde.

Hetzel lui demande une collaboration régulière à un nouveau magazine : Le magazine d’éducation et de récréation. C’est dans les colonnes de ce journal et dès le premier numéro sortit le 20/03/1864 que paraît les Anglais au pôle Nord, avant leur publication en volume. La même année dans le musée des familles, fait rarissime, Jules Verne se révèle critique littéraire en consacrant la une à " Edgar Poe et ses œuvres ". Paraît aussi Le comte de Chanteleine court roman historique.

On verra également la sortie en librairie de voyage au centre de la terre qui est un véritable récit de paléontologie où les deux héros, le géologue allemand Lidenbrock et son neveu Axel, progressent, à travers toute une série d'épreuves initiatiques, dans les entrailles de la Terre. Puis suivra en 1865 De la terre à la lune (avec ce sous-titre pour nous savoureux : trajet direct en 97 heures 20 minutes) qui avait déjà été publié en feuilleton dans le grave Journal des débats et qui avait soulevé l’enthousiasme des lecteurs et qui raconte l'expérience inverse. Véritable récit de science-fiction, cet ouvrage reprend le rêve de Cyrano de Bergerac : un obus contenant trois hommes est envoyé par des artilleurs de Baltimore sur la Lune. Un lectorat d'adultes aux intérêts très divers, qui comptait notamment des scientifiques, comme le physicien et astronome Jules Janssen et le mathématicien Joseph Bertrand, recalculèrent l'exactitude des courbes, paraboles et hyperboles qui définissent le trajet du boulet-wagon de De la Terre à la Lune.

En 1866, après ses premiers succès, il loue une maison au Crotoy, dans l’estuaire de la somme, et bientôt achète son premier bateau baptisé du prénom de son fils : Le saint Michel I. C’est une simple chaloupe de pêche, que quelques aménagements rendent propre à la navigation de plaisance ; un instrument et un lieu de travail aussi et de connaissance concrète : croisière sur la manche, descente et remontée de la Seine, c’est dans ces petits voyages que naissent peu à peu Les voyages extraordinaires. Ils se déroulent sur trois plans : des parcours géographiques à travers tous les continents du monde, un voyage dans le temps, suivant ou précédant les découvertes de la science, enfin, un véritable trajet intérieur. Cette introspection est souvent

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vécue par des personnages solitaires, un peu étranges (le capitaine Nemo de Vingt Mille Lieux sous les mers, Philéas Fogg du Tour du monde en quatre-vingts jours) ou par des adolescents qui découvrent leurs propres limites (tels les enfants du capitaine Grant) Zola avec indifférence puis Gautier avec Chaleur saluent l’apparition de Jules Verne au rang des romanciers.

Dans la même année Jules Vernes entreprend La géographie illustrée de la France et de ses colonies. Les Anglais au pôle Nord et le Désert de glace (parut en 1865) sont réunis en un seul volume sous le titre de voyages et aventures du capitaine Hatteras. Le livre s’ouvre par " un avertissement de l’éditeur ", dans lequel Hetzel fait état d’un vaste projet romanesque ; la mention " voyages extraordinaires " apparaît pour la première fois en faux titre.

En 1867, est édité dans le Magasin d’éducation et de récréation : Les aventures du capitaine Grant. Puis il part pour l’Amérique du Nord avec son frère à bord du Great-Eastern, grand navire à roues construit pour la pose du câble téléphonique transocéanien. A cette occasion, Une ville flottante sortira quatre ans plus tard du journal tenu par le romancier. Au retour, en 1869, il plonge dans Vingt mille lieues sous les mers dont il écrit une grande partie à bord du Saint-Michel, qu’il nomme son cabinet de travail flottant, et qui paraîtra aussi dans le Magasin d’éducation et de récréation.

Entre 1869 et 1870 les Verne se fixe à Amiens, ville natale et familiale de sa femme. Le Journal des débats fait paraître Autour de la lune que le romancier a préalablement communiqué à son cousin, le mathématicien Henri Garcet. L’écrivain songe à un Robinson et met en chantier une Histoire des grands voyage et des grands voyageurs. Septembre 1870 chute de l’Empire. L’Assemblée élue, Verne est requis comme garde-côte au Crotoy. En 1871, Hetzel et Verne soutiennent la politique de Thiers. Ils resteront en relation toutefois avec deux anciens communards, Elisée Reclus et Paschal Grousset. Trois romans sont achevés. La même année Pierre Verne décède.

L’année suivante, Verne est élu à l’Académie des sciences, lettres et art d’Amiens. Aventures de trois Russes et de trois Anglais en Afrique australe et Le pays des fourrures, sont dans le magasin d’éducation et de récréation. Verne collabore une dernière fois au Musée des familles avec Une fantaisie du docteur Ox. Le temps qui publie Le tour du monde en quatre-vingt jours en feuilleton, voit son tirage monter comme par enchantement, les correspondants de presse américains télégraphiaient chaque jour les nouvelles péripéties à New York, les directeurs de compagnies maritimes offraient à l’auteur des fortunes pour que son héros gagnât son pari grâce à l’un de leurs vaisseaux.

Deux ans plus tard, il achète un hôtel particulier et un vrai yacht : le Saint-Michel II. L’île mystérieuse paraît dans le magasin d’éducation et de récréation. Le tour du monde en quatre-vingt jours qu’il a porté à la scène avec la collaboration d’Adolphe d’Ennery, remporte un triomphe à la Porte-Saint-Martin (8/11/1874) où il sera joué pendant deux ans. En décembre c’est au tour de Chancellor de paraître en feuilleton dans Le temps.

Mais Jules Verne à des difficultés avec l’éducation de son fils pierre, et en 1876 l’enfant est confié à une maison de redressement. Le courrier du Csar qui devient Michel Strogoff après l’intervention d’Hetzel, soucieux de ménager les autorités russes, paraît dans le magasin d’éducation et de récréation. Grâce à cette deuxième réussite, Jules se rend à Nantes en 1877 avec son fils en bateau et achète un yacht à vapeur le Saint-joseph qu’il rebaptisera Le Saint-Michel III. Il décide d’installer la famille à Nantes dans l’espoir que Michel se plaise au lycée et retrouve son équilibre. Auparavant un grand bal costumé avait été donné, sur le thème " De la terre à la lune ". Honorine souffrante renonce à y participer.

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La parution d’Hector Servadac dans le Magasin d’éducation et de récréation, provoque l’indignation du grand rabbin. Les Indes noires paraissent en feuilleton dans Le temps.

Depuis 1863 l’atmosphère des créations verniennes restait optimiste. Les luttes politiques et sociales se maintenaient à l’arrière-plan. Les types nationaux étaient fortement marqués, mais, quand les intérêts de la science et de l’humanité était en jeu, aucun nationalisme ne résiste. L’Amérique apparaîssait comme une terre d’espérance et de liberté.

Mais différents événements comme la guerre franco-allemande (rétrocession de l’Alsace et la Lorraine aux Allemands en 1871), la répression contre les communards qui frappe plusieurs de ses amis, le développement du colonialisme et la rivalité franco-anglaise, l’évolution du capitalisme vers la concentration des entreprises impressionnent profondément Verne et assombrissent peu à peu ses perspectives. Les Cinq Cents Millions de la bégum  (1878), sur un argument du communard anarchisant Paschal Grousset, expriment pour la première fois la crainte de l’artiste devant l’avenir, sa hantise de la guerre. C’est malgré tout, pendant une dizaine d’années, une période encore relativement heureuse.

Verne, qui s’est fixé à Amiens correspond avec Aristide Briand. Michel s’embarque comme mousse sur un navire en partance pour les Indes. Jules Verne voyage beaucoup à bord de son yacht de plus en plus somptueux : grande croisière en Méditerranée (1878), l’Ecosse la Norvège et l’Irlande (1879 1880), la mer du Nord et les Baltiques (1881) et enfin une dernière en Méditerranée qui l’emmène de la baie de Vigo à l’Italie en passant par l’Algérie, la Tunisie et Malte (1884) lui renouvelle son inspiration et donne naissance notamment à Méditerranée (titre primitif qui deviendra Mathias Sandorf). Il mène grand train et devient une personnalité mondaine. Plusieurs très belles œuvres datent de cette période : La découverte de la terre, premier volet de l’histoire des grands voyages et des grands voyageurs ; Un capitaine de quinze ans  (1878), réquisitoire contre l’esclavage des Noirs et le racisme ; Les révoltés de la Bounty une nouvelle (1879) ; La maison à vapeur (1879) ; La Jangada (1881) ; L’école des Robinsons (1882) ; Kéraban le têtu (1883, adapté au théâtre la même mais sans grand sucès), L’étoile du Sud (1884) ; L’épave du Cynthia (1885) en collaboration pour la dernière fois avec André Laurie, qui paraissent dans Le magasin d’éducation et de récréation ; Les tribulations d’un chinois en Chine (été 1879) ; Le rayon vert (1882) ; L’archipel en feu (1884), Mathias Sandorf  (de juin à septembre 1885 et dont un drame sera tiré du récit et joué deux ans plus tard), réplique du Comte de Monte-Cristo , qui est d’ailleurs dédiée à Alexandre Dumas et qui célèbre l’héroïsme d’un patriote qui lutte contre l’oppression de la monarchie austro-hongroise, qui paraissent en feuilleton dans Le Temps. ; Le Figaro illustré publie une nouvelle fantastique Frritt-Flacc (1885). Et des représentations pour Les enfants du capitaine Grant (1878 au théâtre de la porte saint-martin) ; Michel Strogoff (1880 au Châtelet, en collaboration avec d’Ennery), Voyage à travers l’impossible (1882 extrapolation de Verne et de d’Ennery).

En 1886-1887, changement radical. En effet les œuvres publiées au cours de ces deux années comme un billet de loterie (1886) dans le Magasin des familles, Robur le Conquérant (1886) dans Le journal des débats et Nord contre Sud (1887) dans le Magasin d’éducation et de récréation suivi de Le chemin de France (1887) le feuilleton du Temps, contrastent avec les souffrances physiques et morales qui l’accablent. Verne vend à perte son yacht. Il perd probablement une maîtresse. Il est agressé par un de ses neveux ; blessé à la jambe et alité il ne peut assister aux obsèques de Jules Hetzel le 17 mars 1886. Sa mère décède en 1887.

Puis, le romancier voit son état de santé s’améliorer ; il peut se déplacer en Belgique et en Hollande, où il lit les aventures de la famille Raton en guise de conférence. De retour à Amiens Jules Verne est élu conseiller municipale sur une liste républicaine en 1888. La même année, il fait paraître dans le Magasin d’éducation et de récréation Deux ans de vacances, il se réconcilie

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avec son fils, part à Antibes durant lequel il songe, avec d’Ennery, à une adaptation des Tribulations d’un chinois en Chine. Le cirque est le thème de César Cascabel qui paraît dans le Magasin d’éducation et de récréation en 1890. A la demande d’une revue américaine, Verne écrit ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, qui resteront inédits de son vivant.

L’écrivain qui a été réélu conseiller municipal en 1892 accorde de plus en plus de place à la musique dans ses histoires. Le romancier et l’administrateur sont satisfaits l’un de l’autre. " Paris ne me reverra plus " écrit-il la même année à l’une de ses sœurs, ou encore cette autre citation d’une lettre à son frère " Toute gaieté m’est devenue insupportable, Mon caractère est profondément altéré, et je n’ai reçu des coups dont je ne me remettrai jamais ". C’est la période des romans pessimistes, volontiers ironiques et grinçants. Sa cible préférée (après l’Angleterre, toutefois) devient l’Amérique, terre des profits illimités et des espoirs déçus. L’Ile à hélice (1895), farce sarcastique, peint une organisation sociale modèle, élaborée par des milliardaires d’outre-Atlantique, et sa désagrégation progressive. Tirée à hue et à dia, l’île est mise en pièces et sombre dans l’Océan, image d’une civilisation que ses propres contradictions entraînent à sa perte. Il reçoit la visite de De Amicis.

Dans Face au drapeau  (1896) surgit le personnage du savant fou, créateur de l’explosif absolu qui pourrait anéantir des millions d’hommes. Ce qui lui vaudra d’avoir un procès contre Turpin qui l’accuse de l’avoir pris pour modèle du savant fou. Il sera suivi de Clovis Dardentor. Ou encore Le sphinx des glaces, sorte d’hommage rendu à Edgar Poe (en 1897) et qui serait la suite des Aventures d’Arthur Gordon Pym du même auteur. Ces romans, alourdis par de longues descriptions et chargés d’intentions philosophiques, malgré leur valeur, sont peu à peu tombés dans l’oubli. À tort, assurent les verniens.

A partir de cette date, l’état de santé de l’écrivain s’altère définitivement. Il apprend le décès de son frère Paul. En 1898 les différents avec Zola s’accentue car Verne est un antidreyfussard. Il écrit quelques livres qui seront publiés à titre posthume, auxquels l’écrivain semble avoir voulu confier l’intégralité de son message et qui parfois ont étonné et même scandalisé leurs premiers lecteurs seront accentués de ce pessimisme. Les Naufragés du Jonathan  (1909), dont la publication en feuilletons a dû être interrompue, est un véritable credo anarchiste : défiance et mépris des partis politiques, incapacité pour l’homme de parvenir à se réaliser au sein de la société. Dans L’Extraordinaire Voyage de la mission Barsac  (1920) réapparaît le thème du savant fou qui est devenu un simple instrument entre les mains de bandits sans scrupules. Thèmes prémonitoires et qui, par l’intermédiaire des anticipations scientifiques, posent le problème, infiniment plus important, de l’utilisation pacifique du savoir, celui des intentions humaines et de l’avenir même de l’espèce. Il meurt le 24 mars 1905 dans sa maison d’Amiens.

La grande idée de Verne, que Hetzel va l’aider à préciser et à mettre en forme, c’est celle d’écrire le " roman de la science ", c’est-à-dire de remplacer le merveilleux des fées par un autre, celui de l’humanité pensante et surtout savante.

L’idée n’est pas nouvelle. On la trouve dès le XVIIe siècle, dans l’ironie de Perrault à l’égard de la magie, si sensible par exemple dans Cendrillon , et plus nettement encore au XVIIIe siècle, dans Alphonse et Dalinde , nouvelle d’anticipation avant la lettre de Mme de Genlis, dans les Veillées du château , mais le développement particulièrement rapide des techniques et des sciences, en ce deuxième tiers du XIXe siècle, permet une sorte de transmutation de l’utopie. Elle cesse d’être rêverie et se propose comme un passage à la limite à partir des données les plus récentes de la science.

La science constituera la clé et la structure de ces Voyages extraordinaires dans les mondes connus et inconnus  dont la parution régulière va se poursuivre pendant plus de quarante ans –

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d’abord dans Le Magasin d’éducation et de récréation , revue fondée par Hetzel à l’intention de la jeunesse, puis en volumes de format in-12 et in-8, reliés en toile, la très fameuse reliure dite " au phare " ou " au dirigeable ", très recherchée par les bibliophiles : une centaine de volumes, dont une dizaine posthumes.

Le premier mérite de Jules Verne, qui a fait de lui l’auteur favori des " culs-de-plomb " (suivant sa propre expression), c’est de faire voyager son lecteur, à une époque où les voyages restent encore exceptionnels. Ses héros parcourent le monde, terres proches ou lointaines, régions moins connues ou tout à fait inconnues, forêts vierges, grands lacs africains, étendues glacées de la calotte polaire. Mais ce n’est là qu’une des dimensions du voyage. L’exploration de l’univers se poursuivra dans d’autres directions : fonds sous-marins, couches élevées de l’atmosphère, espaces infinis du cosmos, abîmes souterrains qui mènent au " centre de la Terre ".

Œuvres didactiques, ces voyages ménagent malgré tout une part importante à l’imaginaire. Les données scientifiques sont traduites en termes d’action, transformées en péripéties qui menacent ou facilitent les entreprises des personnages. Ainsi, dans le Voyage au centre de la Terre , Verne expose en somme les hypothèses formulées à son époque sur la constitution du globe, les ères géologiques, les animaux préhistoriques ; mais, au lieu de les présenter sèchement, il les fait intervenir à leur heure, comme des aventures (rencontre effective de monstres antédiluviens) qui maintiennent le " suspense " du récit.

Un des principaux mérite de l’écrivain c’est d’être parvenu, grâce à son sens de la documentation, à adapter au roman les conquêtes et les découvertes des savants de son époque. Cette anticipation se bornent à extrapoler les résultats les plus avancés obtenus par un certain nombre de recherches de pointe, et fera de lui un visionnaire (le Nautilus  du capitaine Némo dans Vingt Mille Lieues sous les mers, que préfigure de dix ans les sous-marins de l’ingénieur laubeuf , la " maison à vapeur " dans le roman du même nom, l’Albatros  de Robur le Conquérant , etc.). C’est en somme une véritable épopée dont le héros est l’homme de science, géographe, botaniste, physicien, chimiste, astronome, mathématicien et, d’une manière plus générale, ingénieur ou chercheur.

La lutte qui intéresse le plus Jules Verne, c’est celle que l’homme mène contre la nature. Mais l’homme ne saurait mener seul la grande entreprise de " se rendre comme maître et possesseur de la nature ". Il ne peut donc pas se désintéresser des problèmes que pose l’organisation ou la réorganisation de la société. Cette vérité s’impose très tôt à l’artiste, que son époque d’ailleurs sensibilise à " l’éveil des nationalités ".

Verne est-il un auteur pour la jeunesse ? Raymond Roussel est, semble-t-il, le premier à avoir posé cette question, souvent reprise depuis lors. Sa réponse est non. Arguments invoqués : Verne est un artiste trop profond, trop secret, trop neuf. Dans la même ligne, l’historien Jean Chesneaux voit dans cette étiquette d’auteur pour la jeunesse appliquée à Verne un " alibi ". D’autres griefs sont retenus par les éducateurs qui excluent, non sans raison, certains livres de l’artiste du répertoire de l’enfance : Hector Servadac  (1877) pour son antisémitisme, César Cascabel (1890) pour son chauvinisme et son agressivité contre l’Angleterre, Clovis Dardentor  (1896) pour sa misogynie.

Mais il ne faut pas oublier qu’à l’époque la grande majorité des lecteurs de Verne, comme ceux du Magasin d’éducation et de récréation , étaient des enfants et des adolescents. À cette raison de fait il convient d’ajouter une raison de droit. Verne a placé au centre de son œuvre le " couple éducatif " adulte-enfant : à cause de cela, on peut admettre comme acquis que, pour la grande majorité de ses livres, Verne reste un " classique de la jeunesse ", ce qui ne l’empêche nullement, comme Perrault et Andersen, d’être aussi un classique tout court.

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On s’est également demandé s’il écrivait bien ou mal. Contre les nostalgiques du style orné et les puristes, il faut rappeler que Verne, très attentif aux problèmes formels, s’est forgé un style adapté à son propos et qui est très moderne, puisque, pour la première fois, la science intervient comme élément et comme support du lyrisme.

La place encore réduite qu’il occupe dans l’échelle de valeurs établie souvent à partir de critères d’un esthétisme étroit ne doit pas cacher celle, de plus en plus grande, qu’il occupe dans l’univers culturel d’aujourd’hui.

On l’a présenté longtemps comme un simple écrivain d’anticipation. Il est bien davantage un spécialiste de la prospective, un témoin qui a su distinguer les lignes de connexion qui, de l’histoire du passé, mènent aux choix de l’avenir. Sa sensibilité exacerbée, son talent de voir et de faire voir adaptent d’avance son œuvre à notre culture de l’image et du déchirement. Son plus grand mérite n’est sans doute pas d’avoir présenté avec plusieurs dizaines d’années d’avance quelques anticipations rétrospectives (le sous-marin, le dirigeable, le disque, la télévision, la bombe H ou les capsules interplanétaires), mais d’avoir compris que notre civilisation, comme beaucoup d’autres, pouvait être mortelle, et d’avoir tenté de nous en avertir.