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1 L ’Odyssée  Homère > Objet d’étude : Grands modèles littéraires - Modèles antiques Yvette BOUGUEN Séquence 2-FR01

Odysse Sequence 02

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L ’Odyssée 

Homère

>

Objet d’étude : Grands modèles littéraires - Modèles antiques

Yvette BOUGUEN

Séquence 2-FR01

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3Séquence 2-FR01

Introduction

  A   Corpus et édition recommandée

  B   Objet d’étude et objectifs

  C   Problématique

  D   Conseils méthodologiques

  E   Testez votre première lecture

Chapitre 1 > Texte et contextes

  A   Homère et son œuvre

  B   Un peu d’histoire pour mieux comprendre l’Odyssée 

  C   Le Panthéon grec

  D   Dieux et déesses dans les chants V à XIII

  E   L’Odyssée : résumé commenté

Chapitre 2 > Entrée dans le monde de l’Odyssée :

un univers épique

  A   La représentation du monde selon Homère

  B   L’écriture de l’épopée selon Homère

  C   Un poème subtilement composé  D   Les procédés d’écriture

Chapitre 3 > Figures féminines et amour

  A   La rencontre d’Ulysse avec deux Immortelles

  B   La rencontre d’Ulysse et de Nausicaa

 C

 Les différentes formes de l’amour dans les chants V à XIII

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Chapitre 4 > L’épreuve de l’altérité : le Cyclope Polyphème

  A   Le pays des Cyclopes : un monde inversé

  B   Fantaisie, horreur et réalisme

  C   Le sens de l’épisode

Chapitre 5 > La descente aux Enfers  A   Les étapes de cette visite des morts

  B   La vision de la mort et des lieux

  C   La rencontre entre Ulysse et sa mère

Chapitre 6 > Le personnage d’Ulysse : un héros épique

  A   L’identité d’Ulysse

  B   Ulysse : les souffrances de l’exilé

  C   L’endurant Ulysse

  D   Ulysse l’ingénieux

Chapitre 7 > Un voyage à la rencontre de lieux et de personnages : 

un parcours initiatique

  A   Les hypothèses à partir de la lecture des chants V à XIII

  B   Des lieux imaginaires

  C   Une galerie de personnages imaginaires

  D   Un parcours initiatique

Conclusion générale 

Prolongements : quelques textes inspirés de cette œuvre matricielle 

Annexe : orientations bibliographiques 

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ntroduction

Séquence 2-FR01

A Corpus et édition recommandéeNous nous reporterons dans ce cours à l’édition suivante : L’Odyssée d’Homère, traduction dePhilippe Jaccottet, édition FM/la découverte.

Le passage à étudier concerne les chants V à XIII.

Il existe d’autres éditions, mais qui ne sont pas toujours récentes. On peut ainsi trouver sur Internet latraduction de Leconte de Lisle. Certaines de ces traductions ont une présentation en prose qui modifie lerythme de lecture. Ce n’est pas le cas de celle de Philippe Jaccottet, poète lui-même ; très satisfaisante,elle est l’une des plus fidèles au texte et à la poésie homérique.

B Objet d’étude et objectifs

Les instructions officielles inscrivent les chants V à XIII, de l’Odyssée , épopée associée à l’Iliade etattribuée à Homère, dans l’objet d’étude : « grands modèles de la littérature – modèles antiques ».Il s’agit en effet d’une œuvre fondatrice de la culture gréco-romaine, dont la genèse et le rôledemandent à être précisés.

Bien qu’ancrée dans le contexte historique très ancien de la guerre de Troie, il s’agit d’ une œuvre quise situe entre littérature orale et littérature écrite, entre légende et réalité, appartenant auregistre merveilleux lié à la présence des dieux, mais aussi d’une œuvre au contenu didacti-que. Elle nous met par ailleurs en présence d’un personnage qui a fasciné ses lecteurs et inspiré desartistes en tout genre.

Si vous ne considérez plus l’Odyssée et son héros comme la source de toute culture, vous vous intéres-serez à la réception que cette œuvre peut connaître, à l’enseignement qu’elle apporte, au plaisir qu’elleprocure : s’agit-il toujours d’une bible païenne, modèle aussi de littérature ?

C Problématique

La naissance de l’Odyssée , comme celle de l’Iliade , est généralement située au VIIIe siècle avant J.C.,soit quatre siècles après la guerre de Troie et le retour d’Ulysse à Ithaque, situés vers 1200 avant J.C.Ces deux œuvres furent d’abord des poèmes épiques transmis oralement par Homère, l’aède, le poèteaveugle, avant d’être transcrits à l’écrit au VIe siècle, et inscrits dans un rituel sacré. Nous devinonsdonc une certaine confusion entre les époques, confusion accrue par le caractère épique del’œuvre.

La postérité a adulé Homère, lui vouant un culte avant de nier son existence. Nous nous interrogeronssur la présence de l’auteur (ou des auteurs) dans le texte. Vous qui en êtes les narrataires contemporains,comment accueillez-vous cette œuvre épique dans votre époque ? Quelles connaissances acquisespouvez-vous valoriser ? Comment vous situez-vous dans la continuité des nombreux écrivains et artistesqu’il a inspirés : Du Bellay à la Renaissance, Victor Hugo au XIXe siècle, Yves Bonnefoy au XXIe pourne citer que trois poètes français d’époques bien différentes ? Beaucoup ont retenu en particulier lepersonnage d’Ulysse.

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Ce personnage est au centre du passage au programme, comme héros et comme narrateur.Homère montre ainsi une maîtrise exceptionnelle de la littérature ; Giono en témoigna par sonroman intitulé La naissance de L’Odyssée. Nous étudierons donc cette « naissance » de la littératureavant de développer les thèmes qui s’imposent : les îles, les femmes, l’errance….. Ceci vous conduiraà percevoir le caractère intemporel de la réflexion homérique, car à toutes les époques, les héros sontavant tout des hommes qui nous permettent une réflexion sur la condition humaine.

D Conseils méthodologiques

 Lisez toute l’œuvre avant de cibler le passage, afin de mesurer l’importance des chants V àXIII dans l’économie de l’œuvre.

Construisez-vous une vision d’ensemble de l’histoire d’Ulysse et de la narration homérique. Ensuiteciblez le passage à étudier, en notant vos impressions et réflexions telles qu’elles apparaissentspontanément.

 Notez les questions que vous vous posez, les éléments qui vous échappent. Appropriez-vous

l’œuvre.

 Faites ensuite le test de lecture proposé ci-dessous. Pensez non seulement à répondre aux ques-tions, mais aussi à en faire une sorte de tremplin pour une réflexion plus élargie. Les deux questionsen deux heures demandent des connaissances précises, facilement mobilisées et exploitables.

Le cours propose un parcours raisonné de l’œuvre. Il apporte les connaissances nécessaires à sacompréhension avant de procéder à une étude plus précise à travers des études analytiques puisdes parcours thématiques : c’est un prolongement du programme de première qui alterne lecturesanalytiques et parcours thématiques.

E Testez votre première lecture

Exercice autocorrectif n°1 : Questions pour s’assurerla maîtrise des livres V à XIII

Vous devez retrouver un passage précis dans l’œuvre en répondant à la question, éventuellement parune citation. C’est volontairement que je ne respecte pas l’ordre du texte.

Comment Ulysse fait-il la traversée vers Ithaque depuis la Sphérie, île des Phéaciens ?

Quel récit de son passage chez Hadès Alcinoos réclame-t-il à Ulysse ?

Que fait Calypso pour rendre à Ulysse le voyage agréable ?

Pourquoi Ulysse s’éveille-t-il près du fleuve où il s’est endormi après la tempête ?

Dans quel domaine les Phéaciennes se distinguent-elle ?

Dans quel lieu Nausicaa demande-t-elle à Ulysse d’attendre avant de se présenter à Alcinoos ?

Où se trouve Ulysse quand Hermès rencontre Calypso ?

Pourquoi Ulysse ne reconnaît-il pas sa patrie ?

Quelles sont les promesses des Sirènes ?

µ Quel domaine d’excellence des Phéaciens Alcinoos fait-il découvrir à Ulysse au cours de la fêtedonnée en son honneur ?

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Corrigé de l’exercice n°1

 Ulysse rentre sur un navire que lui a préparé le roi Alcinoos : « ils étendirent pour Ulysse un drap etun linon / […], alors un doux sommeil tomba sur ses paupières, / profond et tout pareil au calmede la mort. » (chant XIII, vers 73 et suivants)

Au chant XI, vers 370, Alcinoos demande à Ulysse si vivent chez Hadès des guerriers grecs, compa-

gnons d’Ulysse, morts à Troie. L’approvisionnement est essentiel, comme le vent, pour une bonne navigation :

«Dans le bateau, elle posa une outre de vin noiret une autre plus grande d’eau ; puis, dans une besace,les vivres et d’autres mets en suffisance ;elle fit se lever un vent inoffensif et doux. » (V, v. 265-268)

Ulysse s’éveille près du fleuve où il s’est endormi après la tempête à cause de Nausicaa et de sessuivantes. Elles jouent à la balle ; or celle-ci leur échappe et tombe dans un remous occasionnantleurs cris qui réveillent Ulysse (VI, v. 116-117).

Les Phéaciennes « excellent à tisser car Athéna leur a donné / l’art de très beaux ouvrages et la

noblesse des pensées » (VII, v. 109 -111). Mais toutes les femmes, comme Pénélope, tissent, qu’ellessoient déesses (du moins nymphes) ou humaines. Cette phrase donne à penser que le tissage peutévoluer de l’artisanat vers l’art. On peut aussi se dire que les femmes tissent la vie de l’homme :Ulysse leur doit beaucoup, tout particulièrement à Pénélope qui fait et défait son ouvrage en atten-dant son retour.

Nausicaa demande à Ulysse d’attendre dans un jardin d’Alcinoos avant de se présenter à celui-ci :« sur le bord du chemin, nous trouverons les peupliers / du beau bois d’Athéna avec sa source etsa prairie… » (VI, v. 291-292). Habituellement, c’est l’olivier qui est l’arbre d’Athéna, comme ceuxqui lui servent de refuge pour dormir, ou celui qu’il voit à son arrivée à Ithaque.

Quand Hermès rencontre Calypso, Ulysse ne se trouve pas dans la grotte de la nymphe : « il pleuraitsur le promontoire où il passait ses jours… » (V, v. 82). Nous en reparlerons !

Ulysse, à retour, ne reconnaît pas son île natale : « il ne la reconnaissait pas, car la fille de Zeus /l’avait enveloppé d’un brouillard pour qu’il demeurât / invisible… » (XIII, v. 188-191). Elle l’avaitdéjà fait en Sphérie. Homère traduit souvent un phénomène psychologique par une intervention desdieux. Mais on peut penser que le souvenir d’Ulysse a transformé la réalité au fil du temps…

Les Sirènes offrent le savoir et plus particulièrement la connaissance du destin des hommes :

« puis on repart, charmé, lourd d’un plus lourd trésor de science.Nous savons en effet tout ce qu’en la plaine de Troieles Grecs et les Troyens ont souffert par ordre des dieux,nous savons tout ce qui advient sur la terre féconde. » (XII, v. 188-191)

µAu cours de la fête donnée en son honneur, Ulysse découvre combien les Phéaciens excellent en

tous domaines :« Allons ! tous nos meilleurs danseurs de Phéacie,ouvrez la danse, afin que l’étranger redise aux siens,de retour au pays, de quelle excellence nous sommesà la rame, à la course et à la danse comme au chant ! » (VIII, v. 250-253).

Constituez-vous un ensemble de citations pouvant servir de support à une argumentation. Il estimportant de bien les situer dans le texte.

Exercice autocorrectif n°2 : Questions de réflexion 

Qui sont les Cicones ?

Retracez le périple d’Ulysse.

Qu’arrive-t-il aux compagnons d’Ulysse ?

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Comment se passe l’arrivée dans une île ?

Qui sont les personnages féminins?

Quelle déesse protège Ulysse ? Pourquoi selon vous ? Quels aspects prend-elle ?

Quels êtres fabuleux rencontre Ulysse ?

D’où vient l’unité du passage proposé ?

Quelles caractéristiques du texte vous renvoient à l’oralité du récit ?

Corrigé de l’exercice n°2

 Les Cicones, peuple de Thrace, sont alliés des Troyens, ce qui justifie le pillage dont Ulysse et sescompagnons se rendent coupables ; ils ne respectent que le prêtre d’Apollon, Maron, qui leur donnedu vin. Normalement les règles de l’hospitalité s’exercent dans un sens comme dans l’autre. Maison peut remarquer qu’Ulysse et ses compagnons volent aussi des fromages à Polyphème. Ils sontdéfaits ensuite par les Cicones puisqu’ils s’attardent. Cet épisode court sur lequel Ulysse ne s’attardepas dans son récit est essentiel : Ulysse est loin de la délicatesse dont il fera preuve envers Nausicaaet les Phéaciens, ce qui met en évidence qu’il va connaître un parcours initiatique en passant

de la guerre à la paix, et retrouver Télémaque. Les Cicones, les Lotophages, l’île aux chèvres (en face de l’île du Cyclope) constituent une phase

où serait présente une sorte de tentation de l’oubli, un désir de vagabondage : encore un peu decombat, on passe le cap Malée, on remonte un peu trop vers l’ouest…La malédiction commenceavec le Cyclope où Ulysse est victime de sa curiosité : ne pouvant ni fuir, ni combattre le géant, ilest contraint à la ruse. C’est cette curiosité qui va encore l’arrêter après les bienfaits d’Éole. Ulysseet ses compagnons se retrouvent ensuite chez des géants, les Lestrygons, qui les attirent pour lesmanger. Sans qu’il y ait une construction rigoureuse, on devine la présence de thèmes, d’actionsayant les mêmes ressorts. Après les géants viennent les nymphes, de Circé à Calypso, en faisant depetites escales et en échappant à certains dangers : les Enfers pour consulter Tirésias et rencontrerdes morts, Circé à nouveau, les Sirènes (qu’il entend sans s’arrêter), Charybde et Scylla (les monstresmarins), l’île du Soleil, la tempête et enfin l’île d’Ogygie où Calypso le recueille : il y restera septans. Toutes ces étapes incarnent la découverte de l’inconnu. Lorsqu’Ulysse reprend la mer,il affronte une nouvelle tempête et échoue chez les Phéaciens, passant d’un idéal de nature à unidéal de culture. Les Phéaciens lui assurent un retour paisible vers Ithaque.

 Les compagnons d’Ulysse disparaissent les uns après les autres, faisant d’Ulysse le seulvainqueur des épreuves, parce qu’il est respectueux des dieux, endurant, intelligent etcourageux. Eux, au contraire, multiplient les erreurs et en deviennent de maladroits opposants auretour d’Ulysse à Ithaque. Dès le début (l’épisode des Cicones), en effet, ils manquent de mesure enfestoyant au lieu de partir comme Ulysse le leur ordonne ; ils ne respectent pas les dieux, ouvrantl’outre d’Éole (chant X, v. 40-50), tuant les vaches du Soleil, alors que leur chef est parti prier. Ilsajoutent alors à la colère d’Apollon celle de Poséidon. Leur mort est inévitable et annoncée dès leprologue :

« par leur propre fureur ils furent perdus en effet,ces enfants qui touchèrent aux troupeaux du dieu d’En Haut » (I, v. 7-8)

Ils sont rarement identifiés : Euryloque est le seul à être nommé avec Périmède, Politès et Elpénor.Pour autant, ils n’en sont pas moins dotés de défauts qui en font donc des contrepoints négatifs àl’intelligence et au courage d’Ulysse. Ainsi, Euryloque, s’il semble un peu plus malin que les autres enréussissant à échapper aux envoûtements de Circé après avoir vu ses compagnons transformés enporcs, se montre lâche sur l’île du Soleil et incite à tuer les vaches du soleil. Quant à Elpénor, il tombede la terrasse du palais de Circé pour avoir abusé du vin. Circé les transforment en porcs : n’est-cepas parce qu’ils le méritent ? Ils vont souvent par deux ou par six : le Cyclope les mange deux pardeux, Scylla en prend six… Ulysse les conseille et les dirige de son mieux pourtant, pleure leur mortafin qu’ils accèdent au royaume des morts. Ils représentent une humanité ordinaire, celle de soldatspeu armés pour vivre de telles épreuves. Autant Ulysse accède à l’humain, autant ses compagnonsrestent des marionnettes, un peu comme dans les contes. Leur disparition, déjà complète auchant V, permet de mettre en évidence les ressources d’un Ulysse solitaire qui va réussir àpasser de la déréliction à la résurrection et reconquérir son humanité.

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En général, lorsqu’Ulysse et ses compagnons abordent une île, ils trouvent un lieu propice à l’accos-tage puis cherchent de la nourriture : ainsi Ulysse tue un cerf en explorant l’île de Circé. Souvent,Ulysse monte sur une colline pour observer les lieux puis envoie une sorte d’ambassade en recon-naissance auprès des habitants (Circé, les Lestrygons). On devine que ces îles sont variées, plusou moins inquiétantes, merveilleuses, trompeuses. Ulysse peut ainsi être renforcé dans l’idéequ’Ithaque est la meilleure et la plus accueillante des îles.

Les personnages féminins sont soit humains, soit divins, soit monstrueux. On peut constater qu’ils

prennent une place beaucoup plus importante dans l’Odyssée que dans l’Iliade qui mettait en scènesurtout des guerriers et souvent des héros.

Les monstres, Charybde et Scylla, représentent des lieux marins dangereux.

Les nymphes, Circé et Calypso, sont des déesses qui vivent dans leur île. Il est intéressant de lescomparer : la première habite un beau palais où elle est bien servie, la seconde vit dans une grottemagnifique et semble bien seule. Ulysse reste un an chez la première, sept chez la seconde. Il par-tagera leurs nuits, mais elles ne semblent guère torrides. La première est présentée comme unemagicienne, mais Ulysse n’en sera pas victime : il veut rester homme et viril, et non un animalsoumis à ses caprices comme les lions, porcs et autres. Il affirmera sa virilité toutes les nuits sansque le sentiment amoureux n’existe et quand ses hommes voudront partir, il s’en ira sans regret.Lors de la seconde escale, il ne quitte pas le port où Circé vient le rejoindre. Une fois dominée, elle

lui donnera la maîtrise de connaissances que les autres n’ont pas : les morts, le destin à venir,les précautions à prendre. Calypso a des aspects presque humains : sa magie n’opère pas sur Ulysse.On soulignera la différence de présentation entre celle d’Homère et celle d’Ulysse. Notons aussi laNéréide Ino qui s’apitoie sur le sort d’Ulysse : les nymphes semblent là pour montrer combienles hommes peuvent être attirants. Athéna aide Ulysse mais ne se montrera comme telle qu’àIthaque. Sont évoquées encore Aphrodite, dans ses amours illégitimes avec Arès, Perséphone, époused’Hadès.

Les femmes, simples mortelles, sont évoquées à plusieurs reprises durant le voyage : Pénélopequ’Ulysse veut retrouver, Clytemnestre qui a causé la mort de son époux à son retour,Nausicaa, la jeune fille, la vierge, l’intacte, qui va bientôt avoir un époux. Cette dernière va renouveler, pourrait-on dire, le sentiment amoureux chez Ulysse, avec beaucoup de pudeur. Il rencontre ensuite Arètè,

mère de Nausicaa, plus proche d’Ulysse par l’âge, mais Ulysse reste encore du côté de la jeunesse.Elle forme avec Alcinoos un couple heureux qui répand autour de lui cette harmonie. Anticlée, mèred’Ulysse ne le prendra plus dans ses bras… expérience douloureuse qui conduit Ulysse, après avoirvu sa mère aux Enfers, à reformer le couple avec Pénélope.

 Athéna, fille de Zeus porte-égide, est d’abord présentée dans l’assemblée des dieux de l’Olympe,sollicitant un geste de son père en faveur du retour d’Ulysse. Au chant XIII, elle apparaît en déesse à Ulysse qui n’est plus la proie de Poséidon : « une femme / belle, grande et savante en splendidesouvrages ». (vers 289). Sinon elle apparaît en rêve, comme à Nausicaa, (chant VI) sous les traits dela fille de Dymas, son amie ; ou dans la réalité mais sous une forme d’emprunt, comme ce jeunepâtre au chant XIII , ou une « jeune enfant portant sa cruche » au début du chant VII. Elle peutmettre un nuage autour d’Ulysse, dans la ville des Phéaciens, ou en Ithaque, ou faire venir un ventfavorable à Ulysse dans la tempête : « elle ouvrit un chemin dans la houle au borée rapide » (V, v.385), puis elle « l’avait inspiré » au vers 427. Elle semble veiller en permanence sur Ulysse, commeun ange gardien, sans pouvoir l’épargner totalement. Si elle lui apporte ainsi son aide, c’estqu’elle a reconnu en lui un semblable. Elle déclare d’ailleurs à Ulysse au chant XIII :

« nous sommes toi et moides astucieux : toi de loin le premier des hommesen conseil et discours, moi fameuse entre tous les dieuxpour ma finesse et mon astuce… », (XIII, v. 296 à 299)

reconnaissant par ces paroles qu’Ulysse et elle partagent le même goût de la ruse et la fourberie. Enfinelle entre dans le merveilleux, mais pour renforcer l’humanité d’Ulysse.

Ulysse rencontre de nombreuses figures monstrueuses : Scylla, monstre à six têtes, Charybde, les

Sirènes, le Cyclope Polyphème et les Lestrygons, des géants cannibales. Homère les décritpeu, laissant l’auditeur les imaginer. La nature est elle aussi rendue merveilleuse, avec l’Aurore auxdoigts roses, le fleuve : « Ulysse s’approcha de la bouche d’un fleuve / aux belles eaux….et pria :“Écoute-moi, Seigneur… ». (chant V).

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 L’unité du passage vient du personnage d’Ulysse dont Homère met en scène le récit defaçon à ce que la narration du héros, qui finit au chant XII, justifie la situation présentéeau chant V : vingt jours de la vie d’Ulysse, entre son départ de chez Calypso et son retour à Ithaque.Inconsolable au début, il est prêt à assumer son rôle après avoir tué les prétendants. Ce récit faitdevant des hommes lui permet d’assumer son destin : il mérite ainsi des présents qu’il ramène àIthaque comme un guerrier vainqueur, mais c’est un autre combat qu’il a mené. Nous ne pouvonsqu’admirer la construction narrative de l’œuvre. Dans cette partie, Ulysse se raconte et le XIIIèmechant le replace dans l’action.

Fondatrice d’un genre, l’épopée homérique s’inscrit dans une tradition orale. L’origine des poèmes estd’ailleurs présente dans l’Odyssée grâce à la présence de deux personnages d’aèdes (équivalentsde nos modernes auteurs-compositeurs). Le premier intervient au chant I : il s’agit de Phémios quiraconte le retour tragique des Achéens après leur victoire contre Troie. Le second, l’aède Démodocos,aveugle, intervient au chant VIII : il fait partie de la cour du roi Alcinoos et chante la querelle entreAchille et Ulysse, puis les amours d’Aphrodite et d’Arès.

Les aèdes récitent de longs poèmes (parfois seulement en parties) et pour maintenir l’attention del’auditoire, ils usent de la répétition d’expressions attendues comme « l’Aurore aux doigts roses »qui permettent aux auditeurs de se repérer dans l’espace, le temps et les personnages. On peut imagi-ner des éléments de mimes. Il y a aussi la répétition d’éléments du récit, comme l’image d’Ulysse

sur le promontoire. Les descriptions des lieux sont stylisées, comme les portraits des personnages quirenvoient à la statuaire (chevelure bouclée…), ou restent floues comme le Cyclope qui n’a qu’un œil(nous n’avons aucun renseignement sur le reste de son visage, à part sa chevelure).

De même, les récits sont repris plusieurs fois : Homère raconte Calypso, Ulysse raconte Calypso ;Tirésias aux Enfers annonce à Ulysse son destin, c’est la trame de l’histoire. Circé donne des conseils àUlysse, Ulysse répète ces conseils à ses compagnons, puis raconte les faits qui se sont passés commeprévu ! Bien sûr, le guerrier grec veut impressionner son auditoire, mais celui-ci peut facilement suivrele cours des événements de ce fait. Enfin, Homère fait beaucoup parler ses personnages dans desdialogues et des monologues proches du théâtre.

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A Homère et son œuvre

Qui est Homère ?

a) Pour les Anciens

Homère était aux yeux des Grecs le poète épique par excellence, celui qui nourrissait l’éducation detout jeune instruit qui en connaissait des passages entiers par cœur... Mais sa biographie restait trèsfloue : qui était celui que les Grecs nommaient Homère, en interprétant ce terme comme signifiant« l’otage », ou par jeu de mots comme signifiant « celui qui ne voit pas », et en le représentant comme

un vieillard aveugle ? Est-ce lui qui apparaît sous la figure de Démodocos, « à qui la Muse a pris les  yeux, mais donné la douceur des chants », l’aède aveugle (le fait d’être aveugle relève de son statut depoète, éclairé par la muse comme le devin Tirésias est aveugle, car inspiré par les dieux) qui fait pleurerUlysse en chantant, chez les Phéaciens, les exploits des héros de la guerre de Troie (chant VIII) ? Plusieurslieux, tous situés en Asie Mineure, se disputaient l’honneur de l’avoir vu naître : la ville de Smyrne, les îles d’Ios ou de Chios... Mais quand ? À la fin du IXe siècle avant J.C., ou plutôt au VIIIe (vers 750 av. J.C.), comme le pensent les Modernes ?

Homère, dans l’Antiquité, représente la figure de l’aède, poète épique qui déclame ses œuvres ens’accompagnant de la cithare. Mais dans cette culture de création orale et collective, où les mêmesmotifs (la guerre de Troie, le retour des guerriers dans leur patrie) sont repris et variés sans cesse selonles créateurs ou interprètes, et où la part d’improvisation et d’interprétation reste très large, quelle estvéritablement sa place ? Peut-on le considérer comme un «auteur » au sens moderne du mot ?

b) Pour les Modernes

Si, pour les Anciens, l’existence d’Homère ne fait aucun doute, à partir du XVIIIe siècle elle a été contes-tée, et la «question homérique» a alors divisé les commentateurs : le poète n’est-il qu’un personnagemythique dont le nom cache en fait une longue tradition orale de poèmes transmis sur des générations,et qui n’aurait été fixée que tardivement ? Cette théorie dite des « analystes » est aujourd’hui remise encause par les « unitaristes », au vu précisément de l’unité profonde des poèmes et de leur organisationrigoureuse, même si certains remaniements postérieurs sont perceptibles. Mais y eut-il un seul poète, quiaurait composé les deux œuvres à des dates assez éloignées (l’Odyssée paraît plus jeune que l’Iliade ,d’au moins trente ans) ? ou deux poètes ?

L’histoire de l’écriture en Grèce peut aussi expliquer ce mélange d’oralité et d’écriture savante : lapremière écriture grecque, le linéaire B, liée à l’époque mycénienne (du XVIIe au XIIe siècle), disparaîtau moment de la chute de cette culture, chute due à de vastes mouvements d’invasions. C’est alors,de -1100 à -800, ce que l’on appelle «les âges obscurs»1, marqués par un retour à l’oralité. Puis, auVIIIe siècle, les Grecs empruntent l’alphabet phénicien pour transcrire leur langue. On peut penser quel’Iliade et l’Odyssée ont été créés à cette période de transition, héritant à la fois de la tradition orale etde toute nouvelle «redécouverte» de l’écriture.

Les œuvres du poète

a) La transmission du texte dans l’Antiquité

L’Iliade et l’Odyssée sont donc les premières œuvres de la littérature occidentale, œuvres de proportionsimpressionnantes (de 12 000 à 16 000 vers, selon les éditions). Elles s’inséraient dans des ensembles

1. On appelle aussi cette période «géométrique», à cause des motifs très caractéristiques sur les céramiques de cette époque. Ellecorrespond à l’âge du fer (la période mycénienne ne connaissait que le bronze).

Texte et contextes

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13Séquence 2-FR01

De 1600 av. J.C. à 1200av. J.C.

Apogée de la civilisation crétoise

De 1100 av. J.C. à 900av. J.C.

Cités-États de l’âge du fer « âgesobscurs »

Nouvel empire

Ramsés II

Toutankhamon

De 900 av. J.C. à 600av. J.C.

Apparition des Doriens, créationdes Jeux Olympiques

Naissance probable de l’alphabetgrec

Le contexte historique

Les premiers habitants de la Grèce semblent être les Achéens venus des plaines indo-euro-péennes vers la vallée du Danube, puis attirés par le sud. Leur société féodale et rude occupe lapéninsule, les îles de la mer Égée et la côte orientale de l’Asie mineure. On lui donnera parfois le nomde société mycénienne, car Mycènes en était la ville la plus connue. Des fouilles y ont eu lieu auXIXe siècle qui ont permis d’en deviner le raffinement : on y a retrouvé le masque d’or désigné commeappartenant à Agamemnon, le roi qui mena les Grecs se battre contre Troie. On peut y observer lesmurs cyclopéens du palais avec le fronton de la porte des lionnes, le cercle des tombes royales, le trésord’Atrée. La salle qui est consacrée à cette cité, au musée d’Athènes, montre de nombreuses merveillesd’or et de bronze : des coupes en or dont l’une porte sur ses anses deux colombes qui se penchent pourboire, des masques en or fin, des poignards et des épées avec incrustations d’or et de pierres précieuses,des rhytons d’argent dont l’un représente le siège d’une place forte. Il existe deux représentations deces premiers Grecs : celle du continental rude, aux cheveux longs, sur son char, timide face à la mer ; etcelle de l’homme à la barbe noire, aimant les îles, plus vifs, plus bavards, un peu comme Ulysse.

La Crète joue un rôle de modèle vis-à-vis de la Grèce : Ulysse se dit souvent crétois. Les Crétois

sont joyeux, raffinés, comme le montre le site de Cnossos fouillé par l’Anglais Arthur Evans en 1898 :un palais magnifique à l’architecture compliquée contient des peintures enjouées et raffinées, dont « laParisienne » ainsi nommée pour son élégance. On les voit aussi pratiquer la danse avec des taureaux,dans des cérémonies sacrées. On est loin du mythe cruel consacré au Minotaure.

Au XIIe siècle, on constate la disparition des sites mycéniens, peut-être ravagés par un incendie.Il s’agit sans doute de l’invasion des Doriens qui sera suivie de celle des Ioniens et des Éoliens. LesDoriens s’installent surtout dans le Péloponnèse (Sparte), les Ioniens en Attique (Athènes), les Éoliensen Thessalie et en Béotie (Thèbes) : c’est l’époque dite du Moyen Âge hellénique qui va du XIIeau VIIIe siècle. Durant cette époque, on constate des émigrations des Hellènes vers les îles de la merÉgée et l’Asie Mineure : tout d’abord les Achéens chassés par les Doriens, puis les Doriens pour desmotifs économiques. Au cours de ces déplacements organisés, les peuples gardaient de forts liens,

notamment religieux, avec leur cité d’origine, grâce à un chef qui détenait le pouvoir politique et reli-gieux. Il s’est formé ainsi des « colonies » qui sont parfois devenues des berceaux de culture, commeMilet en Asie Mineure ou Phocée, par exemple, qui deviendra Marseille. C’est à la fin de cette époqueque l’on situe la vie d’Homère.

La Grèce n’a pas de gouvernement central : c’est un ensemble de cités. À l’origine de la cité estle groupe familial qui s’accroît au fil du temps et forme le génos . Le chef en est ou l’aïeul ou le plusdigne par son autorité, ses vertus, ses connaissances et pratiques : Ulysse en est l’exemple, à la foiscultivateur, homme de guerre, prêtre, géographe et constructeur de bateau. Athéna insiste bien sur cerôle dans sa plaidoirie à Jupiter. Plusieurs génè (pluriel de génos ) forment une fratrie qui, assembléeà d’autres, entraîne la création de la cité : on l’entoure d’un mur percé de deux portes en général, onprévoit une agora, un temple, les faubourgs peuvent s’étendre hors les murs et accueillir les étrangers(les métèques) qui sont souvent utiles (marchands, artisans, mercenaires) mais n’ont pas accès auxdécisions politiques. Le roi gouverne entouré d’un conseil d’anciens. Les cités ne sont pas fédérées,mais peuvent s’unir contre un ennemi commun. Il existe entre elles des rivalités qui n’excluent pas unecertaine communauté d’idées, un certain esprit hellène qui permettra la naissance d’une civilisationgrecque.

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Séquence 2-FR0114

Le lien essentiel qui assure une certaine cohésion à l’ensemble est religieux : on peut en voirune amorce dans le thème de l’hospitalité dont on dit qu’elle est imposée par Zeus. Voici ce qu’en ditMichelet : « le plus beau jour du Grec, à l’âge où la mémoire s’empreint si fortement de grandes choses,c’était celui où il pouvait se joindre aux théories sacrées qu’on envoyait à Delphes se mêler à la foule.Cette foule était le plus grand spectacle du monde. Douze peuples à la fois, de toutes les parties dela Grèce, des villes même ennemies, marchaient pacifiés, couronnés du laurier d’Apollon, et, chantantdes hymnes, montaient vers la montagne sainte du dieu de l’harmonie, de la lumière et de la paix… ».Delphes est le centre religieux où toutes les villes ont leur sanctuaire (on peut y voir le « trésor desAthéniens » pour en attester à notre époque). Apollon représente la lumière du jour et celle de l’esprit.Les cités ont leur dieu tutélaire : Athéna pour Athènes, Hermès pour Corinthe ; ainsi la mythologieancestrale malgré l’évolution des pensées et certains philosophes reste l’élément essentielpour garantir le patriotisme et le civisme.

Le miracle grec : ainsi a-t-on désigné l’éclat que prendra cette civilisation dans les siècles qui vontsuivre l’époque d’Homère. Il viendra d’abord de Milet où, au VIe siècle av. J.C., Anaximandre, par exem-ple, va concevoir la terre comme une masse librement suspendue dans l’espace, mais un peu commeun tambour. Géographie, architecture, sculpture, tout se développe. La Sicile et l’Italie du Sud, appelées« Grande Grèce » avec des villes comme Syracuse (Archimède), fondée par Corinthe, vont devenir dessources de progrès. Qui ne connaît pas Pythagore ? Né à Samos, il s’est fixé à Crotone… progrès del’esprit, du commerce et des arts.

Sur le continent, on oppose surtout Sparte, cité du Péloponnèse, à Athènes, fleuron de l’Attique. Lapremière en reste aux lois de Lycurgue, figée dans une austérité militaire, tandis qu’à partir du VIIe siècleav. J.C. Solon amène à Athènes un régime plus démocratique, Pisistrate des pratiques comme le théâtreissu du culte de Dionysos, et Clisthène la conception des dèmes qui remplacent les génè .

Les guerres médiques vont opposer les cités grecques à la Perse de Darius qui veut s’emparer descolonies grecques d’Asie Mineure. Ce sera la victoire d’Athènes à Marathon, puis celle de Salaminecontre Xerxès, successeur de Darius, lors d’un combat naval mené par tous les Grecs. La victoire dePlatées amène la paix en 450-449. Athènes, bien que détruite, en est la grande gagnante, à la tête dela ligue de Délos.

Le siècle de Périclès est un peu l’équivalent de celui de notre Roi-Soleil, Louis XIV, avec cette grande

différence qu’il est démocrate ; d’année en année, son pouvoir est renouvelé. Il fera construire beaucoupdes monuments de l’Acropole, comme le Parthénon ou l’Érechtéion. Il établira des lois et sera soucieuxde défendre les libertés athéniennes. Conscient de l’importance du passé, il cherche à le préserver.C’estainsi que seront fixés par écrit les poèmes d’Homère.

Le déclin : il viendra des luttes entre les cités de Sparte (gouvernement oligarchique, c’est-à-dire d’unpetit groupe dominant la majorité) et d’Athènes (gouvernement démocratique) qui vont contribuer àaffaiblir toutes les cités jusqu’à ce que Philippe de Macédoine s’empare progressivement du pouvoir.Alexandre lui succèdera et conquerra l’empire que l’on sait. Puis ce sera la conquête romaine…

C Le Panthéon grecSans être trop ambitieux, voici quelques bases qui permettent de mieux comprendre certains élémentsde l’Odyssée.

L’Odyssée nous permet souvent de comprendre que la frontière entre le réel et le divin est ténue, etUlysse devient une sorte de héros du passage d’un monde à l’autre, permettant de définir la place del’homme dans cet univers.

Le mythe des origines

Le mythe est la parole révélée en contraste avec le discours rationnel. Nous le trouvons dans la Théogonie d’Hésiode (VIIIe siècle av. J.C.), « grand récit de la succession des générations divines » (Nicole Loraux)Le poème conte la naissance de « la race sacrée des Immortels toujours vivants » (v. 105) :

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15Séquence 2-FR01

C’est au Chaos d’abord qu’appartint l’existence,

Puis à la Terre, offrant dans son immensité

Un sol ferme où les Dieux marchent en sûreté.

Au centre ténébreux de la Terre profonde,

Le Tartare naquit ; puis l’Amour vint au monde,

L’Amour qui, le plus beau des habitants des cieux,Dérobe à leurs ennuis les mortels et les Dieux,

Et rend de ses erreurs chacun d’eux tributaire.

Du chaos vint la Nuit et l’Érèbe son frère ;

Mais le frère à la sœur s’unit, et leur amour

Fit, d’un hymen fécond, naître l’Air et le Jour.

Puis la Terre engendra le Ciel aussi grand qu’elle,

Dôme aux étoiles d’or et voûte universelle

Que les Dieux, en marchant foulent sans l’ébranler.On voit encore la Terre en montagnes s’enfler,

Aux nymphes, dans les flancs, prépare un asile,

Et mettre au jour Pontus, dont la vague stérile (Pontus = la pleine mer)

Court et dresse dans l’air son front comme un géant.

La Terre, avec le Ciel, engendra l’Océan,

Coeus, Hypérion, Créus et Mnémosyne (la mémoire)

Théa, Japet, Rhéa, Téthys, beauté divine,

Thémis, Phoebé, dont l’or couronne les cheveux, (justice et jeunesse)Et le dernier de tous, le plus rusé d’entre eux,

Saturne, l’ennemi, le fléau de son père,

L’Hymen fit naître encore du Ciel et de la Terre

Les Cyclopes, Argès, Bronte, et Stéros, tous trois,

Par le bras et le cœur, terribles à la fois ;

Du puissant Jupiter la foudre est leur ouvrage ;

Chacun d’eux n’a qu’un œil, au sommet du visage,

Et le nom de Cyclope à chacun fut donnéPour cet œil sur le front, en cercle, dessiné ;

Immense est leur vigueur, leur adresse admirable.

Toujours selon Hésiode, Ouranos, détestant ses fils, les Titans, les cacha dans les profondeurs inferna-les, mais Chronos, le temps, émascula son père et prit sa place. Il épousa sa sœur Rhéa, mais décidad’avaler ses enfants. Rhéa lui donna une pierre à la place du sixième, Zeus : aidé des Géants, nés d’uneblessure d’Ouranos, ce dernier vainquit Chronos et ses Titans. Zeus et ses frères régurgités s’emparèrentdu pouvoir après un nouveau combat : c’est l’avènement des Olympiens.

Les dieux olympiens ne sont plus des éléments naturels, ils les gouvernent : ce sont des dieux anthro-pomorphes qui dirigent l’univers, l’espace comme le temps, d’où toutes les explications d’originedivine au moindre rocher surgi on ne sait d’où, comme le rocher apparu en face de la Sphérie, fruit dela vengeance de Poséidon. En effet, lorsque le dieu se rend compte que les Phéaciens ont aidé Ulysseà regagner Ithaque, il change leur navire en rocher (chant XIII, v. 128-164).

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16 Séquence 2-FR01

Les dieux et les héros grecs

Exercice autocorrectif n°3 : les dieux olympiens

Recherchez les noms des dieux olympiens, leurs fonctions et leurs attributs. Ils sont traditionnellement

considérés comme étant au nombre de douze mais vous en trouverez quatorze car la place de certainsest fluctuante.

Corrigé de l’exercice autocorrectif n°3

Dieux Fonctions Attributs

Zeus Toute puissance Foudre, sceptre, aigle

Héra Mariage Paon, grenade

Poséidon Mer Trident , cheval

Apollon Soleil, arts Arc, lyre

Artémis Lune, chasteté, chasse Croissant, arc, biche

Athéna Sagesse, intelligence, paix Chouette, olivier

Hermès, messager des dieux Voyage, commerce, éloquence Ailes, caducée

Aphrodite Amour et beauté Colombe

Arès Guerre Casque, armes

Hadès Enfers Corne d’abondance

Hestia Foyer Flamme

Héphaïstos Feu Forge, enclume, marteau

Dionysos Vigne, vin, folie Hampe ornée de lierre, vigne

Déméter, mère de Perséphone Fertilité, fécondité Gerbe, faucille

a) Ces dieux font tous l’objet de nombreuses légendes. Ils sont presque tous présents dans l’Odyssée ,mais nous voyons qu’Homère donne un plus grand pouvoir aux trois frères que sont Zeus qui règnesur les airs, Poséidon qui règne sur la mer, Hadès qui règne aux Enfers, la terre leur étant laissée en

partage. Ils ont des relations particulières entre eux : Athéna, Apollon, Artémis, Dionysos et Hermès sontles enfants d’amours particulières de Zeus. Arès et Héphaïstos sont les fils légitimes de Zeus et Héra.

b) Les nymphes : appelées parfois déesses par Homère, elles ne résident pas dans l’Olympe mais sontattachées à un lieu. Ainsi, les Oréades sont des nymphes de la montagne, les Néréides des nymphes dela mer ; les Naïades se trouvent dans les sources et les rivières, tandis que les Océanides ne quittentpas la haute mer ; les Hamadryades sont les nymphes des arbres et surtout des chênes, alors que lesMéliades ont pour spécialité les frênes. Calypso et Circé semblent avoir un statut particulier. Ino faitpartie des Néréides.

c) Les demi-dieux et les héros viennent ensuite enrichir la mythologie de nouvelles légendes. Citons-en quelques uns : Orphée, Atlas, Orion, Narcisse, Thésée, Œdipe, Héraclès….. tous ne semblent pasconnus d’Homère. Retenons-en quelques uns :

- Éôs, fille des Titans Hypérion et Théia, qui se lève de son lit à l’est pour annoncer aux dieux de l’Olympel’arrivée d’Hélios. Aphrodite, furieuse d’avoir trouvé Arès dans son lit, la condamna à des amours avecdes mortels qu’elle séduisait, timide et rougissante, bien que mariée à Astraeos. Elle séduisit entreautres Orion. L’histoire à laquelle fait allusion Homère évoque deux de ses amoureux : Ganymède et

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17Séquence 2-FR01

Tithonos. Zeus enleva Ganymède qui devint l’échanson des dieux. Éôs lui demanda la même chose pourTithonos ; mais Zeus avait oublié de réclamer pour lui la jeunesse : il devint vieux, ridé, chevrotant, sibien qu’Éôs l’enferma dans sa chambre où il devint, dit-on, cigale.

- Borée est le fils d’Éôs et Astraeos, frère des vents du sud et de l’ouest. Il emporta dans un épaismanteau de nuages noirs Orithye, fille d’Érechtée (roi d’Athènes) et la viola.

Les familles légendaires

La famille d’Ulysse ne fait pas partie des grandes familles légendaires grecques. En revanche, Agamemnonest issu de la famille des Atrides. Les Atrides sont les descendants de Tantale. Ce favori de Zeus avaitpart aux banquets des dieux et dégustait avec eux le nectar et l’ambroisie. Mais un jour, il trahit lesecret des Immortels et déroba les mets divins pour les partager avec les mortels, auxquels ils étaientdéfendus. Non content de cela, il convia encore les Bienheureux à sa table et - pour mettre à l’épreuveleur omniscience ou compenser le manque de denrées, les traditions varient - servit à ses divins hôtesle corps de son propre fils Pélops. Les dieux ne se laissèrent pas tromper cependant, à l’exception deDéméter qui, éperdue de chagrin suite à la disparition de sa fille Korè, en mangea l’épaule. Zeus ordonnaalors à Hermès de remettre tous les morceaux dans la marmite et l’enfant en ressortit vivant. Quant àTantale, le roi des dieux lui infligea un châtiment sévère. Il le tua de sa propre main et le condamna à unchâtiment éternel dans l’Hadès : suspendu à la branche d’un arbre fruitier penché sur les eaux d’un lac

marécageux, il serait éternellement dévoré par la soif et la faim. Ses descendants furent maudits par lesdieux; ainsi, Atrée, père d’Agamemnon, offrit à son frère la chair de ses enfants. Quant à Agamemnon,il dut sacrifier sa fille Iphigénie pour que le vent se lève et conduise les Grecs vers Troie.

Tantale

Hippodamie

Chrysippos Aéropé

Enfants dévorésPélopia

Clytemnestre Hélène

Iphigénie

Pélops

Atrée Thyeste

Agamemnon Ménélas Egisthe

Electre Oreste HermioneChrysothémis

D Dieux et déesses dans les chants V à XIII

Les dieux sont surtout présents dans les chants V à IX, quand la parole est au narrateur, avant qu’Ulyssene raconte lui-même ses aventures. Le narrateur est omniscient et peut savoir ce qui se passe chez lesdieux, tandis qu’Ulysse ne peut le savoir. Il ne peut faire que des hypothèses et des suppositions. Lenombre de dieux qui interviennent réellement dans le retour d’Ulysse est assez réduit. Il s’agit de Zeus,d’Hermès, de Poséidon et d’Athéna.

Le pouvoir de Zeus : un pouvoir certain mais limité

Le monde des dieux – les Immortels – est calqué sur le monde humain.Ainsi, les dieux, comme les rois etprinces grecs, tiennent-ils des assemblées. Elles sont présidées par le plus puissant d’entre eux, Zeus.

La première de ces assemblées est rapportée au chant I, v. 26 à 95. Elle est suscitée par Athéna quiprofite de l’absence de Poséidon parti banqueter chez les Éthiopiens pour demander à Zeus de permettre

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18 Séquence 2-FR01

le retour de son protégé, Ulysse. Au cours de l’assemblée, Zeus « roi des hommes et des dieux », prendl’exemple d’Égisthe et dédouane les dieux de leur responsabilité dans les malheurs qui arrivent auxhumains. Comme Égisthe, les marins d’Ulysse, dûment prévenus qu’il ne fallait pas toucher aux vachesdu Soleil ont désobéi. Ils sont donc responsables de leur sort (I, v. 7). Zeus, roi incontesté, fait appelaux autres dieux pour leur demander conseil après la plaidoirie de sa fille Athéna : « réfléchissons tousà son retour ». C’est Athéna qui propose d’envoyer Hermès auprès d’Ulysse, et elle-même part auprèsde Télémaque à Ithaque. Zeus est sollicité par Athéna qui a besoin de son autorisation pour agir maisc’est elle qui décide et agit. 

La même scène d’assemblée se reproduit au début du chant V et sert d’embrayeur au récit des aven-tures d’Ulysse alors que le récit des aventures de Télémaque est abandonné pour un long moment. Àl’assemblée des dieux, seuls prennent la parole Zeus et sa fille Athéna. Les autres restent de simplesspectateurs. Le plaidoyer d’Athéna est plus pathétique que celui du chant I, car au sort malheureuxd’Ulysse s’ajoute maintenant le danger qui menace Télémaque. Zeus annonce clairement la suite durécit et précise même les conditions du retour d’Ulysse dans sa patrie (v. 29 à 42). Mais les aléas duretour ne sont pas évoqués. Hermès, envoyé dans le lointain pays de Calypso, est assez mécontent etexprime sa mauvaise humeur (V, v. 99 à 102). Mais, dans les deux vers suivants, il affirme la nécessitéd’obéir à Zeus. Calypso, mécontente de se séparer d’Ulysse, doit, elle aussi, obéir aux ordres de Zeustransmis par Hermès (V, v. 112 ; v. 137 à 140). Mais elle le fait à contrecœur. Le dialogue entre Hermèset Calypso se termine par les paroles menaçantes du dieu (v. 146 et 147). Par ailleurs, lorsque Lampétie

demande à Zeus de détruire le vaisseau d’Ulysse sur la prière d’Hélios et de « châtier les compagnons duvaleureux Ulysse » (XII, v. 377 à 388), Zeus prend le parti d’Hélios et annonce qu’il détruira le vaisseaud’Ulysse pour éviter que le Soleil ne se mette en grève et refuse de luire sur la terre. Enfin, à la prièrede Polyphème qui a été aveuglé par Ulysse (IX, v. 528 à 534), Poséidon répondra favorablement. Il nepeut empêcher le retour d’Ulysse car ce serait aller contre la décision de Zeus, mais il le rendra le plusdifficile possible.

Le pouvoir de Zeus est donc immense, mais il n’est pas absolu . D’autres dieux et déessespeuvent l’influencer et peser sur ses décisions. D’autre part, ils conservent une certainemarge de manœuvre.

Les dieux : vie, mœurs et pouvoirsa) Apparence et attributs

Rien ne différencie réellement les dieux des humains à part leur taille. Ils sont toujours plus grandset, en général, quelque chose émane d’eux qui les signale comme divinités. Mais s’ils décident de setransformer en humains, rien ne permet de les distinguer d’eux.

Les dieux sont caractérisés par des attributs qui leur confèrent des pouvoirs et grâce auxquels on peutles reconnaître. Ainsi Hermès est chaussé « de belles sandales divines, toutes d’or » (V, v. 44 et 45) ettient « la verge qui ôte le sommeil aux humains », c’est-à-dire le caducée. Les attributs d’Athéna sontle casque, la lance et le bouclier. Elle a aussi des sandales magiques. L’animal qui lui est associé est lachouette. Zeus tient en main la foudre. Il est protégé par l’égide et on lui associe l’aigle. Le sens desadjectifs qui qualifient les dieux est parfois assez incertain. Ainsi, l’adjectif « glau hôpis » qui caractériseAthéna a été traduit par « aux yeux pers », « aux yeux brillants », « aux yeux de chouette » selon lestraducteurs.

b) La vie merveilleuse sur l’Olympe

Homère nous donne une description de l’Olympe au chant VI (v. 41 à 46). L’éternelle demeure des dieuxest caractérisée par le beau temps et la lumière qui y règnent :

« jamais il ne vacille au vent, jamais il n’est baignéde pluie, jamais la neige ne le couvre : mais l’azur

s’y déploie sans nuages, et la blanche lumière y règne… »Dans ce paradis, les dieux se nourrissent de nectar et d’ambroisie, nourriture et boisson qui leur sontréservés. Calypso les avait offerts à Hermès quand il est venu la voir. Nous revenons sur l’Olympe auchant VIII (v. 266 à 366) quand l’aède Démodocos chante les amours d’Arès et d’Aphrodite. Le récit deDémodocos donne lieu à une scène de comédie où l’on assiste, en même temps que les Immortels, à

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la vengeance d’Héphaïstos, le mari jaloux. Quittant leur tranquillité habituelle, les dieux se mettent àrire d’un rire « inextinguible ». Tout cela sera sans conséquences : Arès se rend en Crète et Aphrodite àChypre. La belle vie reprend son cours. Jacques Offenbach saura tirer parti de scènes de ce genre.

c) Les motivations des dieux

Cependant, malgré leur vie bienheureuse, à l’abri de tous les aléas climatiques et des soucis des

humains, dieux et déesses éprouvent les mêmes sentiments que ces derniers : joie, colère, jalousie,amitié, amour, ressentiment, haine…. Ce qui motive leurs décisions et leurs actions, se rapprochebeaucoup de ce qui motive celles des humains. Ils veulent protéger leurs biens et leur famille, se fairerespecter. Ainsi, Poséidon poursuit Ulysse de sa haine parce qu’il a aveuglé son fils Polyphème, et lesPhéaciens parce qu’ils ont aidé Ulysse à rentrer dans sa patrie. Hélios, furieux, anéantit ceux qui ontdévoré ses troupeaux sacrés. Si Athéna aime Ulysse et l’aide à rentrer à Ithaque, c’est qu’elle a reconnuen lui un semblable.

d) Les pouvoirs des dieux

Le premier pouvoir des dieux est un pouvoir de transformation, de métamorphose. C’est ce grand pouvoir

de métamorphose qui sera, bien après l’Odyssée , le grand thème du poème d’Ovide,Les Métamorphoses .Les dieux et déesses peuvent prendre à leur guise toutes les apparences, humaines ou non humaines.Dans les chants au programme, on voit Athéna, venue inspirer à Nausicaa le désir d’aller au fleuve fairela lessive, lui apparaître en songe sous les traits d’une enfant de Dymas l’armateur (VI, v. 22 et 23).Plus tard, ce sera sous l’aspect d’une enfant portant une cruche, VII, v. 20. Rassemblant les Phéaciens,elle se manifestera sous la forme d’un « héraut du sage Alcinoos » (VIII, v. 7 et 8). Elle prendra aussiles traits d’un homme (VIII, v. 193). Hermès, quant à lui, apparaît sous les traits d’un jeune homme (X,v. 477 à 301).

Non contents de se transformer eux-mêmes, dieux et déesses ont aussi le pouvoir de transformer leshumains. Ainsi Athéna va « améliorer » l’apparence d’Ulysse avant de le faire connaître aux Phéaciens.Ceci a lieu à deux reprises : au chant VI (v. 229 à 231) et au chant VIII (v. 18 à 24). Parfois, l’aspect dumortel est si proche de celui d’une divinité qu’il pourrait y avoir confusion. C’est ainsi que Nausicaasemble à Ulysse une déesse (chant VI, v. 150 à 169). Les pouvoirs de transformation appartiennentaussi à Circé qui est capable de changer les marins en pourceaux puis de leur donner à nouveau leurapparence première.

Mais toutes ces transformations sont provisoires et n’affectent que l’apparence physique. L’esprit restele même sous une nouvelle apparence. Chez Ovide, les métamorphoses seront toujours définitives etconcerneront l’être entier, corps et âme.

Par ailleurs, dieux et déesses usent d’objets et/ou de procédés magiques. Ino fournit à Ulysse un voile quil’aide à aborder chez les Phéaciens sans se blesser (V, v. 333 à 335). Un peu plus tard, Athéna entoureUlysse d’une vapeur quand il pénètre dans la ville des Phéaciens (VII, v. 14 et 15, v. 42). Pour qu’il nesubisse pas les dommages de l’herbe de Circé, Hermès fournit à Ulysse un contrepoison : l’herbe moly

(X, v. 305).Enfin, dieux et déesses connaissent l’avenir et en informent (plus ou moins) les humains par l’intermé-diaire des prophéties des devins comme Tirésias. Pour indiquer aux mortels ce qu’ils doivent faire, ilspeuvent aussi avoir recours aux songes (cf. le songe de Nausicaa).

Les relations entre mortels et immortels

a) Les prières

La première manière pour les humains de s’adresser aux dieux et aux déesses est la prière. La prière

n’est pas forcément adressée à un dieu de l’Olympe. Il peut s’agir d’une prière à une force de la naturedivinisée comme le dieu du fleuve de l’île des Phéaciens auquel s’adresse Ulysse, épuisé par la tempête(V, v. 445 à 450). Un peu plus tard, il adresse une prière à Athéna (VI, v. 323 à 326). À chaque fois il s’agitd’implorer la pitié, d’abord du dieu-fleuve puis des Phéaciens, par l’intermédiaire d’Athéna. La prière est

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ici entendue par Athéna, mais celle-ci ne se manifeste pas directement, craignant la colère de son oncle,Poséidon. Ulysse a recours à la prière quand il est seul et sans aucun moyen de faire un sacrifice.

b) Les sacrifices

C’est la manière la plus habituelle de communiquer avec les puissances divines. Les dieux apprécient lafumée qui s’élève lorsque l’on fait brûler les morceaux de viande bardés de graisse. On trouve de très

nombreuses allusions à des pratiques de sacrifices d’animaux dans toute l’Odyssée. Mais avant d’ac-complir un sacrifice complet, il faut d’abord effectuer une libation. Il s’agit de gestes qu’il faut accomplirselon un ordre préétabli avec des ingrédients précis à l’exclusion de tout autre. De telles libations (d’uneracine qui signifie « verser lentement ») sont décrites au livre VII (v. 137) et au livre XI (v. 26 à 36). Dansle premier cas, il s’agit d’une libation que les Phéaciens font « au messager éblouissant », c’est-à-direHermès, avant d’aller se coucher. C’est un rituel quotidien. Dans le second cas, la libation a lieu dansdes circonstances très particulières. En effet, devant interroger l’ombre du devin Tirésias, Ulysse fait unelibation devant la fosse qu’il a creusée. La libation s’accompagne d’une promesse de sacrifice.

Le sacrifice obéit à des rituels très précis qui, comme dans tout rite magique, échouent s’ils ne sontpas faits scrupuleusement. Au chant III (v. 404 à 463), est minutieusement raconté le sacrifice fait parNestor et sa famille. Au contraire de ce bon sacrifice, fait selon les règles, les marins d’Ulysse en feront

un (XII, v. 353 à 365). Et celui-ci échouera. Le chêne a remplacé l’orge et l’eau a remplacé le vin. Maisces produits donnés par la nature et non issus du travail humain ne peuvent pas satisfaire un dieu.

Le dieu a donc la possibilité d’accepter ou de refuser le sacrifice qu’on lui offre. Dans le dernier cas(livre XII), le sacrifice n’est pas accepté et les dieux le font savoir en envoyant des prodiges. Zeus avaitaussi refusé le sacrifice offert par Ulysse après que celui-ci eut aveuglé Polyphème et l’eut provoquépar ses paroles (IX, v. 550 à 555). Punition d’un héros par trop arrogant ?

Les dieux peuvent participer aux sacrifices. Ainsi, Poséidon se rend chez les Éthiopiens qui le reçoiventà leur table et Alcinoos affirme que les dieux sont présents quand ils offrent des hécatombes (VII, v.200 à 206).

Dans l’Odyssée comme dans l’Iliade , dieux, déesses et divinités diverses sont toujours présents. Ilscirculent dans le monde et les humains les voient et les rencontrent. Ils sont à la fois très lointains et

très proches. Ils sont l’objet d’un culte mais interviennent aussi dans l’histoire. Les supprimer commeont voulu le faire certains réalisateurs de films récents est donc un contresens total. Ils ne sont pastout-puissants, même si leur pouvoir est très important. Ce qui diminue leur puissance, ce sont leurspropres désaccords. Leur société est à l’image des sociétés humaines.

Il ne faut pas chercher dans les relations que les mortels entretiennent avec les dieux la trace d’unefoi ou d’un mysticisme. Les humains prient les dieux, leur font des sacrifices, pour obtenir telle ou tellefaveur, pour se concilier les bonnes grâces du dieu ou de la déesse. Les demandes sont toujours d’ordrepratique. La religion grecque est très pragmatique et a beaucoup à voir avec la magie puisqu’il s’agitd’obtenir quelque chose en observant un rituel.

Les dieux ne promettent ni l’enfer ni le paradis. Ce sont les humains qui décident de leur propre destin,même si parfois ils les aident ou leur font obstacle.

Finalement, au-dessus des dieux et déesses, il y a les Fileuses, les Moirai (Moires) qui déterminent ledestin de chacun. Alcinoos annonce ainsi l’avenir d’Ulysse de retour dans sa patrie :

« … là-bas / il subira ce que le Sort et les graves Fileusesont mis à leur fuseau lorsque sa mère l’enfanta » (chant VII, v. 197 et 198)

E L’Odyssée : résumé commenté

Chaque chant étant précédé d’un résumé du contenu, il s’agit plus d’avoir une réaction face au contenuet à l’organisation de l’œuvre pour être capable de s’approprier l’œuvre et d’en faire une lecture per-sonnelle.

 Conclusion Conclusion

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21Séquence 2-FR01

Résumé des chants I à IV : la Télémachie

Le chant commence par une invocation à la muse et place Ulysse comme le héros « aux mille ruses »qui perdit dans ses errances au retour de la guerre de Troie ses compagnons, mais qui y gagna « unegrande connaissance des villes et des pensers ». À l’initiative d’Athéna, au cours d’une conversationdivine concernant leur rapport avec les hommes, les dieux parlent de son retour en l’absence de Poséidon,tandis qu’il se morfond dans l’île de Calypso. Athéna, sous les traits de Mentès rencontre Télémaque, fils

d’Ulysse, qu’elle encourage à refouler les prétendants de Pénélope. Elle l’exhorte à partir à la recherchede son père auprès de Nestor le sage à Pylos, puis de Ménélas, à Sparte.

Télémaque affronte les prétendants qui refusent ce départ. Sur les conseils d’Athéna-Mentor, il s’em-barque secrètement, à l’insu de sa mère, en compagnie de la déesse.

Nestor les accueille et raconte le retour de certains Grecs. Il avoue ne rien savoir du sort d’Ulysse maisconseille à Télémaque de se rendre chez Ménélas. Athéna disparaît le soir de leur arrivée et le lendemain,c’est accompagné du fils de son hôte, Pisistrate, que le jeune homme part chez Ménélas.

Les deux jeunes gens sont bien accueillis par Ménélas qui raconte son propre retour et celui, tragique,d’Agamemnon. Il a également appris de Protée qu’Ulysse est dans une île, celle de la nymphe Calypso.Pendant ce temps, à Ithaque, les prétendants qui ont appris le départ de Télémaque, décident de luitendre un piège pour le faire périr à son retour. Pénélope l’apprend et se désespère jusqu’à ce qu’Athénala rassure au moyen d’un fantôme qui lui apparaît en songe.

Résumé des chants V à XIII qui sont au programme

Chants V à VIII : le récit de l’aède

De l’Olympe à l’île de Calypso

Le chant V commence par une reprise proche du passage qui suit l’invocation à la muse du chant I,ce qui donne à l’Odyssée un double départ de l’intrigue : lors d’une nouvelle assemblée des dieux, en

l’absence de Poséidon, opposé au retour d’Ulysse, Athéna renouvelle son attente auprès de Zeus, afinde favoriser le retour du héros retenu par Calypso. Hermès est envoyé sur l’île et la nymphe acceptede rendre à la vie mortelle celui qui enchante ses nuits mais se morfond « sur le promontoire » : ellel’aide à préparer la traversée. Ulysse construit son « vaste bateau » pour affronter la mer, se montranthabile dans toutes les étapes de la construction et justifiant ainsi son épithète d’ « industrieux ». Lecinquième jour, il peut partir « en homme de métier » qui sait naviguer, ce qu’il fait dix-sept jours sanss’endormir avant d’apercevoir les côtes de Phéacie. Mais Poséidon, revenu d’Éthiopie, déchaîne unetempête qui inspirera bien des auteurs, de Virgile à Le Clézio en passant par Rabelais… Ulysse se batcontre les éléments avec efficacité et ainsi mérite la pitié d’Ino, mortelle devenue immortelle qui leconseille et lui offre un voile salutaire. Poséidon tente un nouvel assaut détourné cette fois par Athéna.Trois jours plus tard, notre héros aperçoit la terre toute proche, mais l’accostage est difficile car la côteest rocheuse et les lames violentes ; il arrive en nageant à l’embouchure d’un fleuve qu’il supplie et

qui lui offre enfin un « tranquille refuge ». Après avoir rendu le voile à la mer, il cherche un refuge, seconstruit un lit entre deux oliviers emmêlés (arbre d’Athéna) et connaît enfin le doux sommeil

À retenir :

- le rôle des dieux : un merveilleux qui n’exclut pas la prouesse humaine ;

- les thèmes littéraires : l’immortalité, la tempête ;

- l’écriture : l’aube est citée trois fois avec une épithète différente : « l’Aube, quittant le lit du glorieuxTriton, / se leva pour porter le jour aux Immortels et aux mortels », « la fille du matin, l’Aube auxdoigts roses », « Aube bouclée ». À chacune correspond une étape : la décision des dieux, l’actiond’Ulysse, l’arrivée sur la nouvelle terre. Outre la répétition typique de l’oralité du récit, on peut y voir

une aide à la compréhension.- la logique de l’enchaînement avec des effets d’annonce ;

- l’alternance récit/discours, avec des pauses presque théâtrales comme l’échange entre Ulysse etCalypso ;

 Chant I Chant I

 Chant II Chant II

 Chant III Chant III

 Chant IV Chant IV

 Chant V Chant V

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22 Séquence 2-FR01

- les reprises : par exemple, le récit d’Hermès qui résume de façon un peu caricaturale les péripétiesdu retour d’Ulysse.

Rencontre d’Ulysse et de la princesse Nausicaa sur l’île de Schérie

Par contraste avec la violence et la brutalité des éléments marins qui assaillent le héros, ce chant sedéroule sur la terre heureuse de l’île de Schérie. L’enchantement est donc ici dans un quotidienpoétique qui rompt avec ce qui précède. La Schérie, l’île des Phéaciens, est l’intermédiaire entre lemonde des dieux et celui des hommes ; Nausicaa, la jeune princesse, donne une image de pureté et defraîcheur, si on la compare aux enchanteresses Calypso et Circé. Sa famille est d’origine divine, maisprésentée ici avec beaucoup de discrétion, pour mettre en avant une scène familiale émouvante.Si les dieux interviennent, c’est par un rêve de Nausicaa qui met en scène son amie. En effet, Athéna,sous les traits d’une de ses amies, incite la vierge à aller laver son linge dans la mer, en compagniede ses servantes, pour préparer le trousseau qui lui sera nécessaire lors de son mariage. La jeune filledemande l’autorisation à ses parents, Alcinoos et Arètè, de se rendre aux lavoirs. Ils accèdent au désirde leur fille et même en rendent la perspective très agréable avec le bain et les jeux : ils se compren-nent à demi-mot dans cette famille harmonieuse. Nausicaa se rend donc à l’embouchure dufleuve avec ses compagnes ; elles lavent le linge, le mettent à sécher sur les galets blancs, se baignent,se sustentent et jouent à la balle. Or, voilà que la balle lancée par Nausicaa tombe dans le remous,

réveillant Ulysse (selon les prévisions d’Athéna). Et Ulysse tout nu, ayant simplement caché son sexe àl’aide d’un branchage, apparaît aux jeunes filles qui fuient, à l’exception de Nausicaa qu’il va séduirepar son discours ; s’ébauche alors l’une des idylles les plus brèves et les plus célèbres de la littératureoccidentale. Ulysse, dans ce contexte, donne l’idée de la bête rencontrant la belle : il va donc seciviliser et accepter docilement les aides et conseils de Nausicaa, la vierge, la pure qui se comporteen reine et sacrifie aux lois de l’hospitalité envers « les mendiants, les étrangers » qui « viennentde Zeus » (v. 148-198) : lavé, nourri, il apparaît transformé grâce au pouvoir d’Athéna, « plus grand,plus vigoureux » (v. 229-231), et se révèle comme un mari idéal ! Ulysse sera conduit en ville puis ilsse sépareront pour respecter les bienséances, à l’entrée de la ville près des remparts dans « le boisd’Athéna ». Il ne faut pas qu’on soupçonne Nausicaa de s’être choisi un « grand bel inconnu », « unnaufragé » pour époux, à l’insu de ses parents.

Autre contraste : celui des deux îles, au paradis naturel de Calypso on oppose le paradis d’unecivilisation tournée vers la mer et au tableau fait du point de vue d’Hermès, fera pendant la pré-sentation structurée de la ville des Phéaciens. Au foyer de la grotte succède celui du palais très riche ettrès chaleureux. C’est une transition vers Ithaque, car ce lieu se rapproche plutôt du réel, du mondemycénien en partie. Homère nous montre ses connaissances avec beaucoup de grâce. Ulysse trouverad’ailleurs, dans cette île, le bateau qui le ramènera chez lui avec des images de famille royale heureuse.Notons encore que dans cette île les plantes produisent sans arrêt, signe d’une nature généreuse oud’une agriculture développée.

Arrivée au palais et hospitalité du roi Alcinoos

Nausicaa regagne le palais tandis qu’Ulysse patiente dans le bois consacré à Athéna qui le guide bientôt

sous les traits d’une jeune enfant et le protège des regards par une nuée magique. Il admire la ville,le port, le palais, brillant d’or et d’argent. Il voit les sièges des gouverneurs, les toiles qui montrentun art raffiné, les activités des cinquante servantes, indice d’une civilisation florissante, des vergersextraordinaires qui donnent des fruits toute l’année, comme pour attester de la faveur des dieux enversle peuple des Phéaciens. Il entre dans le palais où se trouvent le couple royal, les gouverneurs et lesconseillers : nous assistons à une scène sympathique qui met en avant les lois de l’hospitalité siprécieuses aux Grecs. On constate des éléments annoncés, on raconte ce qui s’est déjà passé : Ulysseembrasse les genoux d’Arètè (dont le nom signifie « vertu ») et l’implore comme le lui ont conseilléAthéna et Nausicaa ; un vieillard intervient en sa faveur, Alcinoos l’installe à une place d’honneur etannonce des réjouissances en sa faveur. Ulysse ne souhaite que son retour et raconte à Arètè, qui areconnu les vêtements qu’il porte, sa dernière aventure dans l’île de Calypso, la tempête, la rencontreavec Nausicaa dont il loue la noblesse. Alcinoos lui promet le retour à Ithaque le lendemain, tandis

qu’Arètè lui fait préparer un lit.Même s’il s’agit d’un lieu idéal, d’une sorte d’eldorado civilisé et harmonieux, sur le planfamilial comme social, où Ulysse pourrait s’arrêter, se marier, il ne pense qu’à son retour. Ilne s’est pas encore nommé.

 Chant VI Chant VI

 Chant VII Chant VII

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23Séquence 2-FR01

La fête, le banquet, les jeux et les récits de l’aède Démodocos

Le lendemain matin, le roi convoque une assemblée, rappelle les devoirs sacrés de l’hospitalité etcombien les Phéaciens y sont attachés. Il confirme sa promesse de faire reconduire chez lui, sur unnavire noir avec un équipage de cinquante-deux jeunes gens, le naufragé dont il ne connaît pas encorel’identité. L’accueil d’Ulysse devient fastueux et on organise une fête où intervient l’aède qui vadébuter les festivités et intervenir à deux autres reprises. Ces trois interventions ont un rapport avecUlysse : la première évoque sa querelle avec Achille et provoque ses larmes qu’Alcinoos remarque. La

seconde évoque les amours illicites d’Arès (dieu de la guerre) et d’Aphrodite (déesse de la beauté et del’amour), révélées à tous les dieux par le filet prévu par le mari Héphaïstos (dieu de la forge, boiteux).C’est une évocation grotesque des Immortels qui peut surprendre : on peut y voir la défense du couple,rappelant la fidélité d’Ulysse (?) et de Pénélope. La troisième évoque la prise de Troie avec le chevalimaginé par Ulysse pour faire entrer les guerriers grecs dans la ville, ce qui va amener Ulysse à parler delui-même et à faire le récit de ses aventures. Homère met l’aède Démodocos en scène et montreson rôle dans la société, sur lequel nous reviendrons.

Entre la première et la seconde intervention, nous assistons à des jeux sportifs, boxe, lutte et course ;Ulysse, provoqué par Euryale, se montre le meilleur au lancer du disque (préfiguration de sa victoire àl’arc contre les prétendants à Ithaque) et affirme ses brillantes aptitudes sportives ; il suscite l’admi-ration du roi. Entre la deuxième et la troisième intervention, des danses magnifiques sont effectuées

par deux des fils d’Alcinoos. Ce dernier demande aux douze rois qui reconnaissent son autorité d’offrirau rescapé de riches présents. Euryale lui offre un glaive en guise de réparation, Arètè un coffre remplid’étoffes précieuses. Ensuite, il a droit à un bain, selon un cérémonial très codé avant le festin. À cetteoccasion, il croise Nausicaa qui lui demande de ne pas l’oublier (v. 461-462). La troisième interventionsuit l’éloge de l’aède par Ulysse et entraîne ses pleurs : Alcinoos demande alors à Ulysse, dont il neconnaît toujours pas l’identité, de raconter son histoire.

Ce chant qui marque une pause dans les aventures d’Ulysse (celle récente de la tempête, cellesplus anciennes qu’il s’apprête à conter et celles encore à venir) permet à Homère de montrer unesociété où la guerre est exclue : Euryale s’excuse ! Toutes les occupations témoignent d’une civilisationexquise. Elle est un modèle qu’Ulysse, encore l’étranger pour eux, pourrait reproduire. C’est peut-êtreaussi le lieu où ses valeurs concernant la famille, la patrie seront appréciées. On peut s’interroger surses réticences à révéler son nom. Les trois récits peuvent apparaître comme une façon de l’annoncer :

il a mérité les armes d’Achille, conçu le cheval de Troie, gardé malgré l’absence une épouse fidèle…D’où la théâtralité du texte d’Homère.

Chants IX à XIII : les récits d’Ulysse

À la vision d’un Ulysse passif, épuisé, hanté par la mort et la nostalgie, succède, grâce au changement devoix narrative et de point de vue, l’image d’un guerrier sans scrupule qui a réussi – grâce à son intelligenceet malgré la mort de tous ses compagnons – à survivre à tous les dangers de la navigation et à tous lespièges que lui a tendus Poséidon. Ce sont sans doute les pages les plus connues de l’Odyssée.

Les épisodes chez les Cicones, les Lotophages et les CyclopesC’est là que commence le récit d’Ulysse, « l’objet de ses plaintes » qui contraste avec la gaîté de cemoment festif où l’aède joue un rôle essentiel. Il se nomme avec solennité : « Je suis Ulysse, fils deLaërte, dont les ruses / sont fameuses, dont la gloire touche au ciel » (v. 19-20) et précise ce qui lecaractérise : le désir du retour dans sa patrie pour « vivre entre ses parents le reste de son âge » (DuBellay, « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… »).

Ensuite commence le récit qui fait un retour en arrière qui ramène ses auditeurs (et les lec-teurs) à ses aventures chez les Cicones avant l’arrivée chez Calypso. Avec ses compagnons, il pillela cité d’Ismaros et enlève les femmes. Mais ses compagnons, imprudents, s’attardent à festoyer et sefont battre. Six d’entre eux meurent. Ulysse réussit à s’enfuir avec les compagnons rescapés; ce récitexpéditif suggère qu’il s’agit d’un épisode lié à la guerre car il n’y est pas question d’hospitalité. Ulysse

a épargné, par respect envers le dieu, un prêtre, son épouse et son fils et en a retiré en échange uneprovision de vin qui lui sera bien utile… Hommage aux morts, tempête envoyée par Poséidon, nousvoilà dans des scènes réitérées de l’ « odyssée » ; escale malheureuse ensuite chez les Lotophagesqui offrent le fruit de l’oubli aux compagnons d’Ulysse. Gorgés de lotus, ils oublient magiquement

 Chant VIII Chant VIII

 Chant IX Chant IX

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leur patrie et Ulysse doit les ramener de force sur le navire et les attacher sur leurs bancs (v. 42-104).L’île suivante occasionne un long développement ; en effet, l’île aux chèvres leur offre force nourriture,mais la curiosité pousse Ulysse vers « un pays de hors-la-loi », l’île des Cyclopes, des géants à l’œilunique, qui font paître des chèvres et des moutons sans s’adonner ni à l’agriculture ni à la pêche niau développement maritime. Pour la première fois, il s’écarte de l’humain. Il part avec ses douzeplus valeureux compagnons à la découverte du géant, « monstre gigantesque », qu’ils ont aperçu. Ils’agit de Polyphème. Ils s’installent dans son antre et se régalent de ses fromages dans la grotte oùil passe la nuit avec ses moutons. Ulysse tente de l’amadouer en lui offrant le vin des Cicones mais lecyclope Polyphème protégé par Poséidon enferme les Grecs au mépris des lois de l’hospitalité. Rejetantl’autorité de Zeus et des Olympiens, il dévore deux des compagnons d’Ulysse à chaque repas. Au coursde la seconde nuit, Ulysse met en place le stratagème qu’il a conçu durant la journée : il va enfoncerun immense pieu dans l’œil du Cyclope après l’avoir endormi avec du vin ! Devenu aveugle, il ne verrapas Ulysse et ses hommes s’échapper attachés sous le ventre des montons. Les autres Cyclopes nel’aident pas car il leur dit avoir été attaqué par Personne, ainsi qu’Ulysse lui a dit se nommer. Tandis qu’ilss’éloignent, le Cyclope leur jette des pierres et réclame vengeance à Poséidon, son père : il l’implore dene laisser Ulysse que lorsqu’il aura perdu tous ses compagnons.

Notons la perte de compagnons à chaque fois, le respect aux dieux, l’excellente clairvoyanced’Ulysse « l’industrieux », qu’il s’agisse de la réflexion ou de l’habileté manuelle, l’inégalitéde traitement de chaque aventure.

Éole, les Lestrygons et Circé la magicienne

Dans une narration qui alterne épisodes violents et pauses, Éole, le dieu des vents, accueilleaimablement Ulysse et ses compagnons durant un mois sur son île. À leur départ, Il leur offregénéreusement une outre où sont enfermés les vents contraires : Ulysse croit enfin toucher au but. Maisce cadeau est mal employé par des compagnons indélicats qui l’ouvrent, pensant y découvrir de l’or etde l’argent : la tempête se déchaîne et la bande est ramenée en sur l’île d’Éolie, le dieu les chasse enleur disant son impuissance (v. 1-79) !

Ils font alors une brève escale dans un pays où « les chemins du jour sont près des chemins de la nuit ». Yvivent les Lestrygons, géants cannibales. L’homme aux mille tours, envoie trois hommes en éclaireurs

qui se font massacrer. Ulysse reprend la route, à nouveau en deuil (v. 80-132).Après une triste navigation, les Grecs survivants débarquent dans l’île de Circé, la magicienne (v.133- 574). Elle transforme les compagnons d’Ulysse en porcs grâce à une potion et une baguette, maisUlysse la domine, l’herbe offerte par Hermès lui servant de contrepoison : le séjour sera ensuite trèsagréable ; ils restent en Aïaïé un an. Ulysse semble alors oublier sa patrie et son projet de retour. Ce sontses compagnons qui le rappellent à l’ordre pour qu’il demande à Circé de les laisser partir. Celle-ci posecomme condition à son départ un détour par le pays des Cimmériens et une descente aux Enfers pouraller consulter Tirésias. Au moment du départ, le jeune Elpénor, ivre, se rompt le cou dans un escalier :chaque escale est marquée par la mort d’au moins un compagnon.

Nous retrouvons donc trois aventures traitées avec la même disproportion, mettant en scène desêtres qui ne relèvent pas de l’humain, un être divin, gardien des vents, des géants, une magi-

cienne. Héros plein de courage, Ulysse se sert de l’épée « le long de sa cuisse ». Régulièrementconfronté aux erreurs de ses compagnons, il doit trouver des solutions pour y remédier.

Voyage au pays des Cimmériens, descente aux Enfers

Ce passage sera repris par des auteurs célèbres comme Virgile et Dante, parce que modèle indépassablede la descente aux Enfers. Aussi mérite-t-il une étude approfondie, par les renseignements qu’il donnesur la vision du monde et de la mort qui en résulte et la mythologie qui l’entoure.

Rien ne vaut la vie ! Ulysse et ses compagnons voguent vers le pays des Cimmériens, le règne d’Ha-dès et Perséphone. Il respecte les consignes de Circé et tout se passe comme prévu. Ulysse retrouveElpénor qui réclame une cérémonie funèbre afin d’accéder au royaume des morts. Les ombres des morts

viennent en effet trouver un peu de force dans le sang des victimes sacrifiées. Ulysse ne doit laissers’approcher que celles qu’il veut entendre. Ce sera d’abord Tirésias qui lui annonce qu’après un retourdifficile en Ithaque, il devra repartir accomplir un autre voyage et offrir à Poséidon un sacrifice afin des’assurer une vieillesse paisible car le dieu des mers est plus que jamais en colère contre le héros qui a

 Chant X Chant X

 Chant XI Chant XI

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mutilé son fils, Polyphème. Ensuite, sa mère lui annonce qu’elle est morte de chagrin et que Pénélopel’attend. Il voit ensuite les ombres d’héroïnes célèbres, parmi elles Alcmène, mère d’Héraklès, lareine des Amazone, Antiope, Léda, Phèdre et Ariane (v. 151-332). À la demande d’Alcinoos, il évoqueles Grecs morts : Agamemnon au funeste retour, Achille qui regrette la vie, Ajax qui reste fâché, puisd’autres morts, dans le royaume même des morts, Minos, juge des enfers, les « damnés »… La mortest montrée sous un aspect affreux, avec une idée de vol d’ombres impalpables : les morts restentfigés dans leur peine, incapables de réagir, de ressentir. Il faut néanmoins les respecter et les pleurer afin qu’ils soient acceptés dans ce royaume sinistre. Mais pour Ulysse, les morts ne peuvent lui direque la vérité : d’où la valeur initiatique de ce chapitre.

Ce récit passionne l’auditoire qui conduit Ulysse à prolonger son séjour d’un jour. Des interpolationsprobables montrent que ce passage a pris une grande valeur didactique.

De l’île d’Aiaié à l’île d’Ogygie

Après le retour dans l’île d’Aïaïé, où ils incinèrent Elpénor, Circé rejoint Ulysse au port et lui annonceles aventures qui l’attendent : la rencontre avec les Sirènes, avec les monstres Charybde et Scylla,le passage sur l’île du Soleil, la tempête et l’arrivée d’Ulysse seul à Ogygie. Pour chaque étape,elle le met en garde contre les dangers qu’il va affronter et lui explique comment échapper à certains.Les Grecs repartent.

Ulysse informe ses compagnons au fur et à mesure des précautions à prendre. La cire dans les oreillesempêche les compagnons d’entendre les Sirènes dont Ulysse entend le chant merveilleux, attaché au mât.Charybde et Scylla sont deux dangers de la mer, Scylla emporte six compagnons. Dans l’île du Trident oùpaissent les troupeaux du Soleil, ils séjournent un mois jusqu’à ce que les compagnons, à l’instigationd’Euryloque, tuent les vaches du Soleil, malgré l’interdiction, en l’absence d’Ulysse. Le Soleil menaçantde ne plus briller, c’est Zeus lui-même qui déchaîne la tempête qui fait périr tous les compagnons. Ulysseaffronte une autre fois Charybde et échoue neuf jours plus tard dans l’île de Calypso.

Là encore, la troisième aventure connaît un plus long développement ; les compagnons disparaissent,malgré leur efficacité lors du passage près des Sirènes. Ulysse finit seul, parce qu’il est le seul à avoirrespecté les dieux. Le sens de ces épreuves garde beaucoup de mystère, mais chacune estévoquée trois fois, par les avertissements de Circé, ceux d’Ulysse et la narration proprementdite.

L’anneau narratif des voyages est refermé sur le point de départ de son premier récit.

De la Phéacie à Ithaque

La fin du récit nous renvoie au début du chant V. Or, ce premier récit d’Ulysse lui avait déjà valu lerespect des Phéaciens. On peut alors imaginer l’intensité de leur émotion qui se traduira pour Ulyssepar de nouveaux présents. Le jour suivant se passe en préparatifs et au soir, l’équipage phéacienemporte Ulysse qui dort durant la traversée et est déposé endormi sur la grève, au port de Phorcys,et ses trésors sont déposés au pied d’un olivier (v. 1-124) . Au retour, ce bateau sera transformé enrocher par Poséidon furieux qu’Ulysse soit arrivé enfin à bon port grâce aux habitants de Phéacie. Au

réveil, Ulysse ne reconnaît plus sa patrie, jusqu’à ce qu’Athéna, sous les traits d’un jeune pâtre, ne lalui rappelle. Méfiant, Ulysse qui ne l’a pas reconnue, se fait passer pour un noble crétois ; Athéna semontre alors réellement et enlève la brume qui masque l’île. Ils décident de la stratégie à mettre enplace pour vaincre les prétendants.

Ce chant pourrait être vu comme une transition entre le séjour chez les Phéaciens et le retour d’Ulysse àIthaque, chant qui le met en action non plus par un récit autobiographique mais par une actionqui se déroule dans le temps et dont on ne connaît pas encore l’issue. C’est donc le narrateurqui reprend la parole et les paroles d’Ulysse vont être celles d’un personnage pris dans des événementsqu’il maîtrise plus ou moins bien et « Ulysse aux mille ruses » se révèle bien tel qu’il est ici. Ce chantva de ce fait opérer un retour vers la première partie qui mettait en scène le fils d’Ulysse confrontéaux prétendants. Notons enfin la présence d’Athéna se montrant comme telle après avoir pris les

traits d’un jeune pâtre. En effet jusqu’à présent elle devait avancer masquée par égard pour Poséidondont nous retrouvons le caractère colérique dans son échange avec Zeus, concernant les Phéaciens quiont permis le retour d’Ulysse. Ceci peut apparaître comme un rappel de l’assemblée des dieux. Enfin,nous voyons bien que le terme de transition peut convenir à ce chant relativement long.

 Chant XII Chant XII

 Chant XIII Chant XIII

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Voyons l’intérêt qu’il présente :

- un intérêt psychologique : le plaisir qu’éprouvent les Phéaciens dans ces journées et soirées festi-ves donne à Ulysse le désir de retrouver cela chez lui. Nous avons un discret rappel de cette nostalgiechez Calypso. Alcinoos le comprend, le comble de présents pour le féliciter et lui prépare une bonnenavigation de nuit (le récit de son odyssée mérite un retour paisible) ! De même, son retour dans l’îlen’entraîne pas une reconnaissance immédiate : il faut faire coïncider l’image du souvenir et la réalité,

d’où l’artifice du nuage envoyé par Athéna. Et on rappelle l’olivier, le « port dit de Phorcys, le vieillard dela mer », la grotte, les falaises… c’est l’appropriation d’un lieu par la représentation. Ulysse se montretel qu’il était dans son récit, méfiant devant une île encore mystérieuse.

- un imaginaire homérique entre mythologie et observation de la nature : un rappel de légen-de explique ainsi sans doute un rocher qui évoque un bateau et devient un élément inscrit dans lanarration, là se trouve l’ultime souvenir de la colère de Poséidon qui n’a pu empêcher le retour d’Ulysseet se venge sur les Phéaciens qui l’ont permis. La nature est constamment présente et comme mystèreet comme source d’explication : le bateau comparé à l’épervier, une voie pour les hommes, une voiepour les dieux « deux portes… : c’est le chemin des immortels », « les longs métiers de pierre où lesnaïades tissent, merveille à voir, des étoffes pourpre de mer ». Il est bien difficile de départager lemythologique du poétique parfois.

- une écriture symbolique : Athéna se présente comme telle à Ulysse sous un aspect vraisemblable« une femme belle, grande et savante en splendides ouvrages », suggérant que l’action d’Ulysse nerencontrera plus d’obstacle et que sa valeur triomphera.

Il est des phrases mystérieuses, comme celles concernant le sommeil d’Ulysse : « alors un doux sommeiltomba sur ses paupières, profond et tout pareil au calme de la mort », et ce tandis que « la houle de lamer tonitruante bouillonnait ». La mort a souvent été assimilée à une barque… ceci veut-il dire qu’Ulyssetire un trait sur tout ce qui précède et que les passeurs l’aident en le posant tel quel sur le rivage. Est-ceun homme neuf qui revient, lavé de toutes ses aventures par le récit qu’il en a fait ?

Résumé des chants XIV à XXIV

Ulysse, déguisé en mendiant, part à la reconquête de son royaume. Il se rend chez Eumée, le porcher, ense faisant passer pour un noble crétois revenu de Troie après maintes aventures. Le porcher l’accueilleavec empressement, il est persuadé que son maître est mort et c’est en vain qu’Ulysse essaie de leconvaincre du contraire.

Athéna se rend à Sparte pour demander à Télémaque de rentrer en Ithaque. Celui-ci obéit à la déesse,prend rapidement la route du retour. Le jeune homme débarque en Ithaque, père et fils se retrouvent chezle porcher ; mais comme Athéna a donné au héros l’apparence d’un mendiant en haillons, Télémaquene sait pas encore qu’il a son père face à lui.

Le lendemain, Télémaque envoie Eumée annoncer la nouvelle de son retour à Pénélope. Athéna redonne

à Ulysse sa véritable figure pour que son fils le reconnaisse. Les retrouvailles sont pleines d’émotionpuis ils préparent la vengeance contre les prétendants dont Antinoos est le chef. Pendant ce temps,ceux-ci apprennent le retour de Télémaque et enragent de n’avoir pu le tuer.

Télémaque rentre au palais où sa mère le retrouve avec joie. S’ensuit un repas. Ulysse et le porcher s’yrendent eux aussi. À leur arrivée, le vieux chien d’Ulysse meurt en reconnaissant son maître. Le héroset le porcher entrent au palais : Antinoos maltraite le mendiant mais Ulysse et son fils se maîtrisent etne l’attaquent pas. Pénélope a tout entendu : elle veut voir le mendiant qui a peut-être des nouvellesd’Ulysse. Celui-ci lui demande d’attendre jusqu’au coucher du soleil.

Survient Iros, le mendiant d’Ithaque, qui chercher à faire partir Ulysse. Ils se bagarrent et c’est Ulyssequi l’emporte. Athéna inspire alors à Pénélope le désir de se montrer aux prétendants. À son arrivée,elle reproche à son fils d’avoir laissé maltraiter un hôte puis se plaint des prétendants, ce qui réjouit le

cœur d’Ulysse. Celui-ci est encore agressé mais le repas s’achève car l’un des prétendants, Amphinomos,rappelle les lois de l’hospitalité à tous.

Après le repas, le soir, Ulysse et Télémaque retirent de la salle les armes qui y sont pendues. Pénéloperedescend pour interroger le mendiant. Ulysse se fait passer pour un Crétois qui a bien connu Ulysse

 Chant XIV Chant XIV

 Chant XV Chant XV

 Chant XVI Chant XVI

 Chant XVII Chant XVII

 Chant XVIII Chant XVIII

 Chant XIX Chant XIX

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27Séquence 2-FR01

et donne de tels détails qu’il persuade sa femme qu’il lui dit la vérité. Euryclée, une vieille servante, estfrappée par la ressemblance du mendiant avec Ulysse, elle lui lave les pieds et reconnaît une cicatrice.Elle reconnaît son maître qui lui ordonne de se taire. Pénélope raconte un songe au mendiant qui luiexplique qu’il signifie le proche retour d’Ulysse. La reine doute encore, elle informe son hôte qu’elle vaproposer aux prétendants l’épreuve de l’arc pour en finir. Il l’approuve.

Ulysse avant de se coucher voit avec indignation des servantes rejoindre les prétendants. Le lendemain,c’est le jour de la fête d’Apollon et, au palais, on se livre aux préparatifs de cette fête. Le héros demande

à Zeus un signe favorable, signe qu’il obtient. Lors du repas, les prétendants s’en prennent à nouveau àUlysse ; mais ils ressentent un profond malaise, quand Théoclymène, le devin que Télémaque a ramenéde Sparte, prédit leur mort prochaine.

L’après-midi venu, Pénélope présente l’arc, et Télémaque réussirait peut-être à le faire bander si lemendiant ne lui faisait signe de renoncer. Alors que tous les prétendants échouent les uns après lesautres, Ulysse, toujours déguisé en mendiant, se fait reconnaître en étant le seul à pouvoir bander sonpropre arc (épisode qui est à mettre en parallèle avec la scène du disque chez les Phéaciens). Commeconvenu, Eumée enferme les femmes, tandis que le bouvier Philètios, fidèle à son maître, ferme lesportes de la cour. Télémaque rejoint son père tout armé.

Le héros se fait reconnaître et massacre les prétendants, sa première flèche est pour Antinoos. Puis, ilfait pendre les servantes infidèles. La vengeance est accomplie, Ulysse purifie le palais au soufre et les

servantes qui lui restées fidèles accourent pour le fêter.Pénélope, qui est demeurée dans ses appartements pendant tous ces événements, descend alors. Ellene dit rien à Ulysse car elle se méfie encore face à cet homme toujours vêtu de haillons. Ils se rendentdans la chambre conjugale où elle lui impose une dernière épreuve en prétendant qu’on a déplacéleur lit. Ulysse est ébahi car c’est lui qui a monté ce lit de façon à ce qu’il soit inamovible. Pénélope estconvaincue d’avoir retrouvé son époux. Après les plaisirs de l’amour, ils se racontent leurs souffrances.Ulysse lui annonce qu’il doit descendre une nouvelle fois aux Enfers.

Le héros retrouve aux Enfers son père Laërte. Cependant, à l’annonce du massacre des prétendants,des habitants d’Ithaque sous la conduite du père d’Antinoos, prennent les armes pour se venger. Surles conseils de Zeus, Athéna rétablit la paix en Ithaque.

http://www.u-grenoble3.fr/homerica/he/voyages/cartes.html 

 Chant XX Chant XX

 Chant XXI Chant XXI

 Chant XXII Chant XXII

 Chant XXIII Chant XXIII

 Chant XXIV Chant XXIV

D.R.

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28 Séquence 2-FR01

A La représentation du monde selon Homère

Pour réfléchir

Afin de cerner la représentation du monde chez Homère, vous allez analyser le début du chant V.

Relisez les vers 1 à 148 du chant V et, pour préparer la lecture analytique, répondez aux questionssuivantes, en vous aidant de la mise au point sur les dieux grecs du chapitre 1 :

 À quelles fonctions de l’incipit (au sens large) ce texte satisfait-il ?

 Pourquoi Homère montre-t-il peu Ulysse dans ce passage ?

 Quelle place est assignée, d’après ce passage, aux dieux, aux hommes et à la nature dans l’universde l’épopée homérique ?

 Quelles caractéristiques de l’écriture homérique se dessinent dans cet incipit ?

 Quel est le rôle d’Hermès dans ce passage ? En quoi peut-il être le double du poète ?

Proposition de lecture analytique

Situation du passage L’Odyssée nous présente ici un second récit après les quatre premiers chants centrés sur le personnagede Télémaque. Ces quatre chants mettent en évidence combien Télémaque et sa mère attendent Ulyssecar, à Ithaque, les prétendants de Pénélope représentent une menace pour tous. Cette attente existe

aussi pour le lecteur (ou auditeur) qui voit, par ailleurs, Ulysse au centre des préoccupations de tous,dieux comme humains, Zeus déclare ainsi :

«Comment pourrais-je perdre le souvenir d’Ulysse,le plus intelligent et le plus généreux des hommespour les dieux immortels qui possèdent le ciel immense ? » (I, 65-67)

Il est décrit par son épouse comme « un noble époux, cœur de lion / que toutes sortes de vertus signalaientchez les Grecs /, un héros dont la gloire emplit l’Hellade et l’Argolide », et comme indispensable à son fils« un enfant ignorant les travaux, les conseils des hommes ». Ulysse doit revenir pour sauver son épouse,son royaume et surtout faire de Télémaque un homme. Pour créer du suspense, Homère montre à la fin duchant IV, les prétendants tendant un piège mortel à Télémaque parti à la recherche de son père.

Dès lors l’attente du lecteur est double : d’une part attendre avec tous ceux qui espèrent en ce héros qu’ilvienne résoudre une situation tragique, d’autre part connaître cet homme qui est une légende peut-êtreencore vivante, susceptible de lui donner aussi un enseignement plus personnel. Comme Télémaque, nousallons nous interroger sur l’homme, la condition humaine. Ce passage est la mise en scène particulièred’une « Aube » qui permettra à ce personnage de revivre, de montrer quelque chose de nouveau : eneffet, les dieux vont rendre possible le retour chez les hommes de celui qui est prisonnier de la nympheCalypso. Cette aube révèle dans un premier temps le monde homérique. Comme celui-ci mêle habilementréel et merveilleux, il réclame une écriture particulière que nous nous efforcerons de cerner. Enfin, nousrechercherons l’intérêt que présente cette mise en scène d’un personnage divin annexe, Hermès.

Place et représentation des dieux, des hommes et

de la natureDes dieux séparés des hommes : l’aube montre une hiérarchie certaine, situant les dieux « toujoursbienheureux » au-dessus des hommes dans un espace inaccessible, dans le ciel, où ils ont la toute-

Entrée dans le monde del’Odyssée  : un univers épique

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29Séquence 2-FR01

puissance. Cette omnipotence se traduit par leur présence à « l’assemblée » d’où ils gèrent les hommes.Ils sont présentés comme une famille unie avec des hypocoristiques, tel le « mon enfant » un peupaternaliste vis-à-vis de la déesse de la guerre et de la paix, surtout quand on y ajoute les interrogationstendrement agacées « quels propos t’est-il donc échappé ? » ; chacun y a son rôle et les mots « puisquec’est toi qui portes toujours nos messages », adressés à Hermès, « son cher fils », le prouvent. Hermès« ne se déroba point », tout comme Calypso plus tard. Nous avons donc un parcours humain établi parles dieux et qui doit s’accomplir. D’ailleurs, celle qui préside au jour est une déesse qui garantit donc lerenouvellement éternel du cycle de la nuit et du jour. Soulignons enfin l’épithète homérique d’Hermès« l’Éblouissant », comme le « fauteuil étincelant » de Calypso.

Des dieux qui se rapprochent des hommes (thème du passage) : pourtant cette Aube est montrée« quittant le lit du glorieux Tithon ». Ainsi les dieux peuvent être amoureux de mortels et les faireaccéder à l’immortalité ; à ce couple établi, mais fragilisé par le fait que l’homme porte les marques duvieillissement, correspond le couple temporaire Calypso et Ulysse. Le comble est qu’Ulysse veut quitterCalypso, disant par là que le sort de dieu n’est pas le sien (nous reviendrons sur le thème de l’immor-talité) ; d’ailleurs Athéna qui protège ce héros souhaite qu’il revienne à son sort de roi d’Ithaque oùil a des responsabilités et un honneur à préserver. Comme Zeus, il a en charge une famille, un peuple,une terre (l’univers pour Zeus). Ainsi, l’univers des dieux copie celui des hommes, dans son fonction-nement comme dans son décor ; l’espace-temps n’est pas si différent : une montagne dans le ciel, une île lointaine et idéale, mais une île tout de même (qui inspirera d’autres écrivains), un renouvellement

des jours. Les dieux se nourrissent de nectar et d’ambroisie, connaissent les lois de l’hospitalité. Si leurapparence reste exceptionnelle et s’ils se reconnaissent entre eux, comme Calypso reconnaît Hermès,ils ont les défauts et les qualités des hommes. Athéna est fidèle à Ulysse, les dieux accomplissent leurdevoir, comme des chevaliers, mais ils connaissent la souffrance du cœur, et réagissent comme deshommes ayant des émotions.Ainsi, Ulysse reste abattu « il pleurait sur le promontoire où il passait ses jours / le cœur brisé de larmes, de soupirs et de tristesse » et cette vision a un certain pouvoir qui faitagir les dieux. D’autres passages montrent davantage les défauts des dieux. Ainsi, la pourtant divineCalypso doit craindre la « rancune » de Zeus si elle ne lui obéit pas…

Une nature ambiguë : nous nous trouvons toujours dans un monde représentable avec les quatreéléments, le monde des dieux relevant plus du ciel, de la lumière. On peut penser que le mystère dela nature et du moyen de la dominer, ne serait-ce qu’à travers un déplacement qui donne une vision

de haut, amène les hommes à imaginer des dieux qui président à l’ordre de l’univers et intègrent leshumains dans cet ordre. Mais d’un autre côté, cette nature permet aux hommes d’évoluer : ainsi lepoète peut expliquer le vol d’Hermès par celui des oiseaux, ici « le goéland » : le rêve d’Icare est-il sifou quand la nature a créé des êtres volants ? En outre, nous voyons que la description de l’île d’Ogygiesuggère la création du radeau : les troncs d’arbre, qui servaient de colonnes aux temples, comme àCnossos, par exemple, suggèrent ici l’idée de navigation. Les auteurs latins peuvent désigner le bateaupar le terme « pinus », montrant bien son origine. Ici nous trouvons « du cèdre et du thuya….despeupliers, des aunes, des cyprès qui sentent bon ». Si le poète traduit d’abord l’approche par les senset laisse imaginer une grotte entourée d’arbres comme un lieu édénique, à l’architecture harmonieuseavec « ses quatre sources surgissant en un même lieu », il montre également que ce lieu peut servirles hommes en leur donnant des moyens… C’est bien une île de rêve, un enchantement pour les sens- odorat, vue, ouïe, goût, toucher - dont se souviendra Bernardin de Saint-Pierre quand il imaginera l’île

de Paul et Virginie. La grotte est un lieu de vie naturel où Calypso tisse (comme Pénélope !), entouréede « vignes » et de « persil », sorte de paradis terrestre dans une île qui comporte aussi un « promon-toire » où Ulysse pleure…

Un récit animé

 L’écrit bénéficie d’une certaine dynamique de l’oral. Ainsi, Homère fait parler divers intervenantsqui répètent parfois une même expression ou un récit déjà connu comme par exemple : « Son destinest de revoir les siens, de revenir / en sa haute demeure et sur le sol de son pays ». Ces deux versconcluent le discours de Zeus comme celui d’Hermès, donnant ainsi un sens précis au retour d’Ulysseet impliquant le narrataire, lui donnant le même désir quand s’y ajoute la vision répétée d’Ulysse qui

« pleurait sur le promontoire où il passait ses jours, / le cœur brisé de larmes, de soupirs et de tristesse ».La représentation visuelle est relayée par le sens et nous y adhérons. D’autre part, nous voyons le motif se dessiner sans lourdeur explicative concernant l’union entre un être divin et un humain : l’aube telleque désignée au départ du chant, les exemples développés par Calypso. Le narrateur s’efface souvent

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30 Séquence 2-FR01

mais ne permet pas des développements trop longs à ses personnages : Zeus interrompt paternellementAthéna qui renouvelle sa demande en la résumant et en la rendant efficace pourtant. Alors, Zeus luiannonce l’action à suivre avec des précisions de moyens, de temps « vingt jours » … rassurant ainsi lenarrataire qui va se concentrer sur le récit : il est prêt pour la métamorphose d’Hermès et la descriptiond’Ogygie… Nous avons ainsi une succession de séquences courtes qui mettent en scène rapidementdes personnages dans un décor vite brossé.

L’écriture du merveilleux épique : Homère enchante en transportant son lecteur dans un monde

surnaturel où tout devient miraculeusement possible, mais on peut se demander si l’explication mer-veilleuse est nécessaire. Certes, les dieux sont des êtres enchanteurs, « Calypso la merveilleuse », avecdes épithètes et des attributs particuliers, comme « la baguette d’or », mais ici ils forment une famillesympathique dans un monde représentable et nous voyons qu’ils donnent souvent une explication logi-que : en l’occurrence, il s’agit de ramener Ulysse dans son île avec tous les honneurs, « des Phéaciensproches des dieux » y pourvoiront. L’ambroisie et le nectar dont ils se nourrissent renforcent l’exotismeimaginaire qui les entoure. Autre exemple, Ogygie est une île enchantée, mais l’enchantement tient sur-tout dans l’écriture qui montre la nature créant un endroit propice à une vie de rêve : la grotte protégéepar les bois qui font un cadre enchanté et enchanteur pour les sens, l’odorat d’abord, pour Hermès quivient des airs dans cette île aux nombreuses essences développées encore par le feu du foyer, l’ouïe avecles criardes corneilles, le goût avec une impression d’abondance extraordinaire, la vue bien sûr avecl’harmonie finale des « quatre sources surgissant en même lieu / dans quatre directions » ; le toucher

n’est que suggéré, car il s’agit d’un lieu qui est considéré comme un habitat naturel. Tout évoque unéternel printemps avec « tout autour fleurissaient de tendres prés de violettes / et de persil », la beautéavant l’utile, en génération permanente et spontanée. De nombreuses descriptions d’eldorado ou paysde cocagne ont suivi cette utopie, selon le terme de Thomas More, mais comme souvent les élémentsn’en sont pas étranges, c’est leur commune présence qui crée le merveilleux, car «des chouettes, deséperviers, de criardes corneilles » se côtoient rarement, comme les arbres cités, leur abondance etleur harmonie qui créent le miracle et l’extase partagée par un dieu. D’ailleurs, l’écriture y invite parl’anaphore « là » qui suggère la difficulté à assimiler tout cet ensemble, ou l’enthousiasme persuasif des rythmes ternaires. S’ajoutent à ce merveilleux les allusions mythologiques qui sont suggérées parCalypso et renvoient à des explications du mystère de l’univers, l’aube toujours renouvelée, les saisons…sur lesquelles nous reviendrons.

L’émotion, le lyrisme : « En un tel lieu survenu, même un dieu / se fut senti émerveillé et plein de joie… ». Toute narration, surtout orale, s’appuie sur l’émotion qui traverse l’auditoire et c’est ce par-tage de sentiments et d’impression qui donne valeur au message et à l’œuvre. L’Odyssée a traversé lesépoques en développant toujours un certain imaginaire que l’on retrouve dans les créations actuelles, qu’il s’agisse de livres, de films, de bandes dessinées ou de dessins animés. L’émotion n’est sans doutepas la même mais nous décelons déjà les ressorts toujours pertinents à notre époque.Donner aux dieuxles sentiments des hommes, c’est mettre l’accent sur l’importance qu’ils revêtent, que ce soit au seindu groupe ou au niveau de l’individu. On voit donc émerger des valeurs comme la famille, les racines.Derrière l’attirail pittoresque du dieu, se cachent des sentiments, une « âme » qui perçoit le monde. Leshommes aussi expriment leurs sentiments : l’Iliade se construit à partir de la colère d’Achille. L’imagerécurrente d’Ulysse dans ce passage et dans ce qui précède est celle du désespoir de l’homme qui nepeut rentrer chez lui. Le tableau fait suite à celui d’Hermès contemplant la grotte de Calypso dans un

cadre fabuleux, et s’y oppose par un « mais » montrant l’incapacité d’Ulysse à percevoir cette île commeidéale. En trois vers, Homère exprime d’abord son refus de la grotte, puis l’image figée dans sa douleurqu’il présente, développée par une apposition au rythme ternaire « le cœur brisé de larmes, de soupirset de tristesse » qui le montre de l’intérieur et l’on passe de ce que l’on voit à son sentiment : il est latristesse incarnée, l’image de la mélancolie associée à « le généreux » surprend chez un guerrier plusadapté à l’action. Ici, Ulysse ne peut exister, il n’est pas homme. C’est pourquoi ce personnage a puinspirer Bonnefoy au XXIe siècle, pour lui Ulysse, incarne le voyageur, fidèle à sa condition d’homme(Les planches courbes, « Dans le leurre des mots »).

Le personnage d’Hermès

Il est mis en valeur dans ce passage, par son père puis par le narrateur : nous le voyons, nous l’écoutonset Homère semble s’attacher à ce personnage qui n’est pas vraiment nécessaire. Voyons son rôle demessager et l’écriture qui l’accompagne. Nous nous demanderons ensuite pourquoi il peut intéresserHomère.

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Un éclairage particulier de l’extrait nous est fourni à partir du personnage d’Hermès ; c’estle messager des dieux. Les interventions des dieux se manifestent par les apparences humaines qu’ilsprennent, comme Athéna-Mentor. Ici Hermès reste lui-même et se présente à une nymphe divine,Calypso, soit le Messager éblouissant, soit « L’Éblouissant », soit Hermès, soit le Messager. Ses attributssont « ses belles sandales divines, toutes d’or » et la « verge dont il clôt les yeux des hommes », selonl’attente normale de tout lecteur connaissant la mythologie. Si Homère respecte cette tradition, on peutvoir ici une annonce des Métamorphoses d’Ovide avec la description rapide mais soignée qu’il fait duvol divin, comparé à celui d’un « goéland ». Homère s’appuie sur une observation précise : « vitessedu vent…fondit sur l’eau ; puis il vola, rasant les flots… ». Il ne s’agit pas forcément d’un goéland,mais Homère montre ici que l’observation du vol des oiseaux traduit le rêve des hommes devant le ciel,et c’est en observant la nature que l’homme fait des progrès. Ceci se vérifie plus loin lorsqu’Hermèsobserve l’île et devine à travers les arbres qui ont poussé « avec richesse » la possibilité de construirele « navire bien jointoyé » imposé par Zeus, « ainsi l’Éblouissant contemplait immobile ; / puis quandson âme eut tout considéré, sans attendre, il gagna la vaste grotte ». D’ailleurs les oiseaux sont dits« oiseaux de mer dont les travaux sont sur la mer », bien qu’ils soient plutôt de la terre, étant « chouet-tes…éperviers…corneilles ». Nous pouvons dès lors imaginer qu’Hermès pouvait amener Ulysse àrêver d’évasion en lui montrant les moyens en sa possession…. Mais l’intervention divine est tellementpoétique. Hermès semble créé pour rendre le déroulement vraisemblable, mais l’explication logiquereste possible : las de pleurer dans son île merveilleuse, Ulysse trouve un moyen de s’évader. Calypso

ensuite lui donnera les outils nécessaires et bien humains pour construire son bateau.Cet intérêt d’Homère pour ce personnage aux talents bien particuliers peut nous éclairer surle poète lui-même. Ne sont-ils pas tous deux des « éblouissants » expliquant le monde par les moyensmagiques que sont l’imagination et le rêve ? Les paroles ailées du poète tissent un récit en XXIV chantsqui contiennent, malgré les apparences merveilleuses et surnaturelles des vérités concernant la nature,les hommes. Les poètes ont toujours été des « voleurs de feu » qui montrent à l’homme ce qu’il ne saitpas voir, lui expliquent les secrets de la nature (Ronsard), le poète est le « rêveur sacré » (Victor Hugo).  Homère avant d’écrire l’Iliade , avait bien observé son monde. Ici, c’est le regard d’Hermès qui permetla vue du ciel sur l’île qu’il replace dans l’élément marin, de la même façon Homère impose une visiondu monde qui met en relation les différents éléments qui le composent. L’Odyssée , semble nous orien-ter vers une étude de l’homme à travers le personnage d’Ulysse, un homme dont les dieux ont pitié.Après avoir touché le monde des dieux, il va revenir à sa condition d’homme, en observant lanature ; c’est donc à une réflexion sur la condition humaine que le poète nous invite à partirde ce lieu divin, édénique, qui est illusoire comme le rêve d’immortalité.

Nous avons ici un passage qui semble une reprise du début du chant I. Enfin, nous sommes sur le pointde voir Ulysse, mais outre le fait de créer le besoin de le connaître chez les personnages, comme chezles lecteurs, en l’insérant dans un suspense qui ébranle même les dieux, Homère nous invite à réfléchiren mettant en évidence le mot « destin » et l’image d’Ulysse malheureux. Il doit affronter le terribleélément marin « la saumure », seul, sans compagnons rameurs, sans dieux. D’où l’idée de la tempêtenécessaire pour la renaissance d’Ulysse qui quitte un monde merveilleux d’évidence et doit affronter lemonde tel qu’il est. C’est pour cela que l’on peut comprendre que le récit d’Ulysse sera fait par Ulysselui-même, comme une prise de conscience de ce parcours initiatique.

B L’écriture de l’épopée selon Homère

L’épopée constitue le premier genre littéraire grec, et de ce fait peut être considéré comme fondatricenon seulement de la pensée mais aussi de la littérature grecques.

Pour réfléchir

Avec les approches des genres littéraires et les critères que vous avez pu définir, dites quelles sontpour vous les caractéristiques de l’épopée.

Cherchez les expressions et tournures de phrases qui vous semblent remarquables. Constituez-vous un ensemble de citations que vous apprendrez (en étant capable de les situer).

Selon la Poétique d’Aristote qui définit les genres, l’εποποια (épopoÏa) est écrite par l’εποποιοσ (épopoïos) : il s’agit donc de faire ou composer ou créer (de ποιεν=poïein, faire qui a donné poème,

 Conclusion Conclusion

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32 Séquence 2-FR01

 poésie, poète ) unεποσ (épos : discours, vers ).Aristote parle de l’emploi d’un mètre « ample et grave »,d’une œuvre composée autour d’une action unique, sur laquelle viennent se greffer des épisodes quidonnent « le plaisir du changement ». Il caractérise l’épopée pour la forme par l’emploi du vers, pourle contenu par la noblesse des actions et des personnages. Il voit aussi dans l’Odyssée ce qui annoncele roman : la présence d’un narrateur, l’aède qui raconte des faits passés sans y avoir participé et pos-sède la liberté de reproduire les paroles des personnages tantôt au discours direct tantôt au discoursindirect.Voici la définition du dictionnaire Robert : long poème (et plus tard parfois, récit en prose,de style élevé) où le merveilleux se mêle au vrai, la légende à l’histoire et dont le but est decélébrer un héros ou un grand fait. Il est évident que cette définition convient parfaitement auxdeux œuvres d’Homère, l’Iliade et l’Odyssée, et que, sans doute, la définition en est donnée à partirde ces deux poèmes qui sont à l’origine de ce que l’on a appelé « le miracle grec ». L’ Iliade racontela guerre de Troie en organisant son intrigue autour de la guerre de Troie ; l’Odyssée est centrée surUlysse et son voyage de retour.

Les conditions de la création : Il est probable qu’il existait des modèles qui ne nous sont pasparvenus : ainsi dans l’Iliade , Phénix, au Chant IX, raconte à Achille pour calmer sa colère la légendede Méléagre qui, furieux contre ses compatriotes, les Étoliens, refusa de combattre, entraînant unelourde défaite pour sa patrie. Il finit par reprendre la lutte et rendit la victoire aux siens. Nous avonsbien l’idée de glorifier un héros en négatif, par les effets néfastes de son absence. On peut y voiraussi une mise en abyme qui renforce le propos principal, et l’éloge du poète, de l’aède qui

mérite d’être écouté, non seulement parce qu’il charme, mais parce que ses paroles ont unevaleur didactique et morale. Ainsi, dans le chant VIII de l’Odyssée , nous assistons à la prestationde Démodocos, l’aède aveugle, qui chante, assis au milieu de tous qui festoient. Un héraut s’avança,apportant à Démodocos la lyre aiguë. Dans sa première intervention, c’est la muse qui lui inspire « unrécit dont le renom touchait alors le ciel » : « la querelle d’Ulysse et d’Achille ». Mais ensuite, ce sontAlcinoos, puis Ulysse qui lui demandent tel ou tel récit. Parfois la prestation est interrompue, commepar exemple, à la fin du chant VIII, quand Ulysse ne peut contenir son émotion devant le récit du chevalde Troie. Nous voyons donc que l’Iliade peut être chantée en partie dans l’Odyssée , ou servirde source à la création poétique.

Une fois le texte fixé, ces deux œuvres serviront de base à l’enseignement des jeunes grecs :outre l’explication du texte et son intérêt esthétique, beaucoup lui prêtaient un intérêt historique et

moral, voire même toutes les connaissances requises pour certains métiers : ferronnerie, médecine,menuiserie, construction navale, agriculture (Platon fait ce reproche dans La République).

Ce genre doit donc beaucoup à Homère ; il s’est enrichi de beaucoup d’autres œuvres. Nous savonsqu’il y a eu d’autres épopées grecques, mais elles ne nous sont pas parvenues. Il y eut aussi des Hymnes homériques , écrits aux VIIe et VIe siècles avant J.C., exposant les légendes des dieux. Citons encoreApollonios de Rhodes qui crée Les Argonautiques, autour de « Jason et la toison d’or » : l’œuvre estplus courte, plus ornée et s’attarde sur les aventures amoureuses. Chez les Romains, citons l’Énéide  de Virgile (70-19 avant J.C.). Cette épopée fut composée à la demande de l’empereur Auguste (filsadoptif de César sous le nom d’Octave), afin de donner un éclat particulier aux légendes qui faisaientde Jules César, membre de la gens Julia ou les Iulii, un descendant de Iule (ou Ascagne), fils d’Énée, letroyen descendant lui-même de Vénus (l’Aphrodite des Grecs), déesse très vénérée à Rome. Ainsi estcréé le lien entre l’Occident et l’Orient qui composent l’Empire romain. En outre, à travers les aventuresd’Énée, se définissent peu à peu les valeurs romaines et des éléments importants de l’histoire de Rome.Les valeurs du héros ne sont toutefois pas celles d’Homère car il s’agit surtout de glorifier Auguste.Citons encore la Pharsale de Lucain qui remplace le merveilleux divin par des songes et des présages.Les Métamorphoses d’Ovide ne forment pas vraiment un récit épique, se proposant de montrerles changements du monde et de l’humanité depuis les origines. En France, l’épopée qui est passée àla postérité date du Moyen Âge, il s’agit de la chanson de geste (la geste raconte les hauts faits d’unhéros) appelée Chanson de Roland , neveu de Charlemagne, chanson issue d’une tradition oraleet dont l’auteur demeure problématique. D’autres tentatives n’ont pas vraiment connu le succès : La Franciade de Ronsard au XVIe siècle, ou La Henriade de Voltaire au XVIIIe.

On pourrait aussi évoquer les romans de Chrétien de Troyes par exemple quand il écrit Perceval ou la quête du Graal  qui a également une valeur initiatique.

Pour en revenir à Aristote, il disait que les auteurs de tragédies étaient les héritiers directs des aèdesauteurs d’épopée : Eschyle, Sophocle, Euripide. Pour ce philosophe, les deux genres relevaient de lamême espèce, la mimèsis (l’imitation des actions humaines), mais selon deux modes différents : l’épopéecombinant récit et dialogue, la tragédie étant vouée au dialogue seul.

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C Un poème subtilement composé

La langue et le vers

On a coutume de dire que le grec employé par Homère est une pure création littéraire empruntantdes mots à divers dialectes pour satisfaire aux exigences de la métrique. En effet, le vers employé est

l’hexamètre dactylique, il s’appuie sur une mesure donnée par les pieds (ou séquences rythmiquespourrait-on dire) utilisés, or le iambe (une syllabe courte + une syllabe longue) convient mieux à la poésiegrecque. Le grec, langue d’origine indo-européenne, n’est pas au départ une langue uniforme :il y a eu plusieurs invasions qui ont imposé plusieurs dialectes (l’achéen de la civilisation mycénienne, ledialecte de l’Arcadie, l’éolien en Anatolie occidentale et à Lesbos, l’ionien dans l’Attique, certaines îles dela mer Égée, le centre de la côte occidentale de l’Asie mineure, le dorien du nord-ouest du continent etd’une partie du Péloponnèse….). Retenons qu’Homère semble plus appartenir à une zone qui mettraiten contact l’ionien et l’éolien et que l’on maîtrise mal certains des parlers de cette époque. Revenonsau mètre : l’hexamètre dactylique a donc six pieds qui sont soit des spondées (deux longues), soit desdactyles (une longue, deux brèves), avec l’obligation d’un dactyle cinquième, ceci renvoie à des notions demusique, c’est pourquoi la lyre jouait un grand rôle. Aussi, il ne faut pas se représenter le vers grec commele vers de la poésie française avec des rimes. La musicalité est donc très importante, assonances etallitérations s’associent souvent pour renforcer le sens : par exemple, beaucoup d’épithètesconcernant Ulysse commencent par « polu » créant une harmonie avec « odusséus ». La trèsbelle traduction de Philippe Jaccottet montre bien la poésie présente dans le texte avec les effets derejets et de symétrie par exemple, mais ne peut rendre compte de cette dimension.

Un récit structuré

C’est un des arguments en faveur de l’auteur unique : nous nous trouvons face à un récit pré-cis, mesurable. Nous pouvons suivre Ulysse au fil des jours, et son histoire est cohérente malgré lemerveilleux : on notera peut-être que passer de l’escale des Lotophages à celle du Cyclope en un jourrelève de l’impossible, mais on peut penser à un manque de précision, un oubli, pour donner une sorte

de resserrement pathétique au récit. De même, le long récit d’Ulysse en une nuit relève du défi : maislà encore, cet aspect merveilleux souligne l’intérêt de l’auditoire et la valeur du récit rétrospectif pourUlysse ; l’émotion en est renforcée.

La narration s’appuie sur des faits relatés avec simplicité, d’une manière concrète, sans commentaire. Pour faciliter la compréhension, Homère n’oublie pas les détails qui donnent de la réalité ; peut-onparler de réalisme ? – il faut toutefois rappeler que l’écart de trois siècles entre l’époque des faits etla création d’Homère fait que les objets peuvent renvoyer à l’époque d’Homère et non d’Ulysse - c’estassez surprenant dans ce contexte de merveilleux, mais on peut bien reconnaître des éléments quirendent tangibles les faits rapportés, les scènes de repas, la navigation, les objets… Songeons parexemple au travail de lavandières correctement rapporté au début du chant VI. Homère nous conduitsouvent à adopter le point de vue de celui qui découvre : l’explication du premier texte met en valeur

le jeu des sensations qui rendent palpable l’atmosphère dans l’île de Calypso. La description du palaisd’Alcinoos nous conduit rapidement dans un palais mycénien. Hermès admire la grotte de Calypso,comme Ulysse le palais.

On suit avec la même évidence l’histoire malgré la complexité du récit qui présente au début du chantV la situation d’Ulysse que l’on va retrouver à la fin de son récit au chant XII : temps du récit et tempsde la fiction se rejoignent et cela ajoute un aspect merveilleux à l’ensemble. Ulysse le vainqueur au jeu du disque mérite que l’on croie ses exploits et ses exploits révélés donnent encore plus de sensà l’admiration de Nausicaa et à ses adieux. Précision et vraisemblance sont les atouts de ce récit quis’appuie sur l’oralité.

D’autre part, dialogues et monologues des personnages confèrent une dimension théâtrale à l’œuvre.Ni Ulysse, ni Hermès ne plaignent Calypso, amoureuse délaissée ; alors Homère lui permet d’exprimer

sa plainte longuement. De même, Ulysse se plaint de son sort, exprime ses doutes au milieu de cettemer déchaînée, comme lors du naufrage devant la Sphérie, au chant V. De même, pour les assembléesdes dieux sur l’Olympe, montrées avec un certain pittoresque, Homère n’évoque que très rapidementle décor comme s’il ne s’agissait que d’une scène un peu abstraite avec juste l’essentiel pour faireressortir les échanges divins.

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Pourtant cette apparente simplicité ne doit pas cacher une composition très maîtrisée, en anneau dansle temps et dans l’espace. Ainsi, le « cercle des années » (chant I, vers 15), soit dix années environ,permet le retour du héros en Ithaque. L’action débute dans cette île et s’y achèvera. L’Odyssée présenteun double début : le prologue et le début du chant I évoquent l’emprisonnement d’Ulysse sur l’îled’Ogygie lors d’une assemblée des dieux où Zeus décrète son retour, puis se déroulent les aventuresde Télémaque jusqu’à la fin du chant IV. Le chant V débute par une nouvelle assemblée des dieux quirappelle le décret de Zeus et nous retrouvons Ulysse chez Calypso. Les chants V à XIII constituent euxaussi un ensemble comme nous l’avons vu plus haut. Autre indice de composition, la fin des récitsd’Ulysse se situe à la moitié de l’œuvre, au chant XII, l’action – amorcée au chant I - démarre au chantXIII avec le retour d’Ulysse en Ithaque.

Cette construction rigoureuse et cette progression dans le récit prouvent que le poème n’est pas unagrégat de récits simplement assemblés par un aède compilateur, ou par l’imagination populaire : l’unitéde cette composition implique le travail conscient d’un grand poète.

D Les procédés d’écriture

Diverses formes de récurrences : scènes, formuleset épithètes homériques

L’emploi répété d’épithètes pour décrire des personnages et pointer constamment leurs caractéristiquesmontre l’enracinement de l’épopée dans une tradition orale. Ces épithètes posent souvent un problèmede traduction dans la mesure où l’expression grecque est souvent plus resserrée. Philippe Jaccottet aune traduction particulièrement intéressante qui est aussi acte poétique, lui-même étant poète. Ellessont de deux natures : comme nous le verrons dans l’étude du personnage d’Ulysse, elles peuvent

changer et s’accorder au fait évoqué. Prenons un épisode qui peut sembler annexe : « Ulysse ledivin » dit son admiration pour les danseurs d’Alcinoos désigné alors par le « Seigneur sacré » ; il estaisé de comprendre le caractère sacré de la danse, source peut-être dans sa perfection harmonieused’élévation spirituelle, mais Homère ne le dit pas. Aussi, nous pouvons lire et relire Homère sans épuiser

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le texte. Il est probable que bien de ses intentions nous échappent à l’heure actuelle. Les épithètespeuvent aussi se répéter à l’identique ou ne donner qu’une caractérisation : ainsi toutes cellesqui caractérisent Zeus ou Poséidon renvoient à leur puissance : ainsi Zeus « qui règne sur le monde »(IX, v. 552), « qui tonne dans le ciel » (V, v. 4), est aussi « le rassembleur des nues » ; toutes renvoientaux attributs qui sont connus. Quant à Poséidon, il mériterait une étude à lui seul, tant les épithètestendent à le rendre néfaste, lui qui est à l’origine de catastrophes naturelles : « Dieu qui fait tremblerla terre » (VII, v. 271), dans le chant V, il est souvent désigné par la périphrase « l’ébranleur de la terre »(V, v. 375).

Selon les catégories d’êtres, les épithètes varient. Quand il s’agit de déesses ou de dieux autresque les précédents, elles renvoient souvent à une représentation figée par la statuaire ou la peinture.Athéna est « la déesse aux yeux brillants » pour Jaccottet, là où Louis Bardollet dans unetraduction récente dit « Athéna à face de chouette ». Elle peut être aussi « Porte-égide » commeson père Zeus. Elle représente toujours la sagesse, et si elle aide à la guerre, c’est pour faire la paix.Parfois, l’épithète « bouclée » désigne la chevelure dessinée par les sculpteurs , qu’il s’agissed’Athéna ; de Calypso, ou de Circé. Hermès est « l’étincelant », avec ses sandales d’or… Plusieursentités sont aussi divinisées par leur désignation, comme l’Aurore (Éôs) « aux doigts roses » (ou derose, selon les traductions), « fille du matin », ou le fleuve ou Ino qui est peut-être l’écume avec sonécharpe blanche. Les merveilles de la nature accèdent au divin par leur épithète. Les hommes sont sou-vent des « mangeurs de pain » et peuvent être désignés par leur lignée, « Agamemnon l’Atride »,

« le Péléide » comme les dieux et déesses d’ailleurs ou ceux qui en sont proches : « Éole, aimé desImmortels, fils d’Hippotas » (X, v.2). Les femmes sont représentées par une certaine idée de noblesseet de beauté. Nausicaa peut être « aux bras très blancs » (VI, v.186) ce qui prouve sa noblesse, car ellepeut toujours se protéger des rayons du soleil. Les éléments peuvent aussi être accompagnés de cetype de détermination : la mer devient toujours un élément inquiétant, « sans moisson », « stérile »,ou « vineuse ». Cette dernière couleur suggère les couleurs du couchant ou de l’aube, à moins qu’ils’agisse de tempête. Elle est alors comme mue par une force secrète et perd l’aspect sympathique quelui donne celui qui la voit de loin.

Ces épithètes qui feraient l’objet de développements sans fin contribuent à faciliter l’adhésion de l’audi-teur en stylisant les personnages comme le décor : la répétition rend la représentation facile et crée dusens. Par leur caractère absolu, ces épithètes tendent à mettre en relief le personnage et c’est là que

se trouve sans doute l’amplification épique dans l’Odyssée. Les hommes peuvent mériter l’épithète dedivin. On trouve parfois des superlatifs, mais le gigantisme se trouve surtout chez les monstres à vaincre,qu’ils s’agissent de lieux ou de géants, voire d’éléments déchaînés. Ainsi, les désignations multiplesd’Ulysse en font une sorte de surhomme mais lui donnent aussi une profondeur psychologique face aumonde qu’il découvre et qui se colore. Elles peuvent aussi avoir une valeur explicative et morale.

Au fil des chants se répètent également des vers dits « formulaires » : leur importance narrative estfaible et ils semblent surtout rythmer le déroulement de l’action en fournissant une transition. Leurrépétition permet de mettre en évidence des vers plus expressifs.

Des scènes reviennent tout au long des chants. Structurées de façon identique, elles sont la caractéristiqued’une poésie mémorisée et récitée. Il s’agit essentiellement des assemblées, des funérailles, des rituelsdes serments et de l’armement. Une scène revient ainsi trois fois dans les chants au programme (VI, v.

206 à 250 ; VII, v. 139 à 184 ; X, v. 311 à 373) : celle de l’accueil de l’hôte, et neuf fois dans l’ensemblede l’Odyssée . Elle présente un certain nombre d’étapes qui s’organisent toujours dans le même ordre :un bain, des ablutions, les préparatifs du service, la présentation du pain, la fin du repas.

Les aphorismes et expressions proverbiales

L’Odyssée donne à réfléchir à tous et la présence d’aphorismes ainsi que d’expressions prover-biales confirme cette portée morale. On voit ainsi se dessiner une idée de normes à respecter, derègles de vie harmonieuses à définir. Ainsi, l’hospitalité connaît des règles qui doivent être respectées,si l’on veut passer pour civilisé, en attestent les paroles qu’Ulysse adresse à Laodamas pour justifierson refus de concourir contre lui :

« Il est mon hôte : on ne défie pas qui vous accueille.

Il faudrait être un sot ou un homme de peu de race

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pour défier au jeu l’homme qui vous reçoit

en pays étranger : ce serait s’amputer soi-même ! » (VIII, v. 208-211)

Cette assertion d’Ulysse trouve un écho chez Alcinoos qui dit dans le même chant :

« Un hôte, un suppliant, c’est autant dire un frère

pour l’homme qui n’est pas tout à fait sans raison. » (v. 546-547)

ce qui justifie les paroles d’Ulysse devant le Cyclope :« Crains les dieux, bon seigneur : car nous sommes tes suppliants.

Zeus défend l’étranger comme le suppliant :

« il est l’hospitalier, l’ami des hôtes respectables. » (IX, v. 268-271)

Ce principe est appliquée par la pourtant jeune Nausicaa :

« Mais celui-ci n’est qu’un naufragé malheureux :

il nous faut l’accueillir : car les mendiants, les étrangers

viennent de Zeus, et le moindre don leur fait joie. » (VI, v. 206 à 208)

La loi de l’hospitalité est une règle qui garantit un certain stade de civilisation et on peut penser que

le rôle de l’aède est de répandre ces idées. Ulysse rappelle d’ailleurs le respect qu’on doit aux aèdes :« car c’est la Muse, / aimant la race des chanteurs qui les inspire », dans ce même chant VIII. Une desimages dominantes imposée par ce style de répétitions assertives est la vision du seul bonheur possibleassociée à la représentation du couple harmonieux répandant autour de lui la joie :

« un homme et une femme dans l’accord de leurs pensées

tenant une maison, pour le malheur des ennemis

et la joie des amis, mais d’abord pour leur propre joie ! » (VI, v. 181-185)

Il ne s’agit pas là seulement d’une vérité conventionnelle sans réflexion préalable, mais d’unmicro-raisonnement que l’on reproduit pour en prouver la validité. Ce qui justifie la morale del’histoire d’Arès et d’Aphrodite ayant valeur d’apologue : « Le crime ne paie pas ! Lenteur rattrape

agilité » (VIII, v. 329).

Homère affirme ainsi poétiquement un système de valeurs qui correspond à la société civilisée danslaquelle évoluent les aèdes. Que ces vérités soient des leitmotivs ne leur enlève pas leur pouvoir puisquetous les personnages et même les dieux en sont convaincus. Les apologues empruntés à la mythologiene font que renforcer cette vérité qui prend son sens au fond des âges. Tout prend une valeurexemplaire : les répétitions faites par le narrateur et par les autres voix narratives nous leconfirment. C’est ainsi que naîtra le conte philosophique au XVIIIe siècle où il s’agit de ridiculiser undiscours ancien et obsolète pour le remplacer par de nouvelles idées mises en valeur par le discourset l’action.

Les comparaisons et métaphores

Comme nous avons pu le voir dans les textes étudiés, Homère fait un large usage de comparaisons quitiennent lieu de raisonnement. Elles s’imposent avec toute la force du contenu qu’elles évoquent avecprécision et c’est au lecteur de transposer ce contenu vers l’acte ou le lieu comparé. Ainsi, la métaphore« la mer sans moisson » est bien plus riche que son synonyme « la mer stérile » parce que l’idée incon-grue de « moisson » associée à « mer » interpelle et convoque tout un jeu de sensations : vue, toucher,goût ; puis de réflexions concernant les saisons, les travaux etc. Bref, le pouvoir de la métaphore est iciinfini. Il semble que Giono, l’auteur de La Naissance de l’Odyssée , a retenu dans ses lectures assiduesd’Homère ce pouvoir à la fois évocateur et enchanteur des comparaisons et métaphores ; voici unexemple tiré de cette œuvre : « les forêts d’algues apparues dans le creux de la houle ; les bras chargés

de pins que les ports tendent vers la mer ; les vastes cieux où l’orage coule la lie d’un vin terrible ».

Homère utilise plutôt la comparaison en renforçant l’outil comparant « comme » par la reprise « ainsi » ;en voici une au chant V, tandis qu’Ulysse affronte la houle et la tempête :

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« Comme quand, au temps des fruits, le Borée balaie les chardons

dans la plaine, et ils s’agglomèrent en paquets,

ainsi les vents sur l’eau le ballotaient de-ci de-là » (vers 328 à 330)

Nous pouvons disserter ensuite sur l’impuissance d’Ulysse face aux éléments, nous n’aurons jamaisl’efficacité de cette comparaison qui s’appuie sur une analogie de mouvement entre la mer et la plaineaux hautes herbes quand le vent souffle et fait souffrir même le chardon qui a coutume de s’imposer

là il se pose… On peut penser qu’il s’agit ici plutôt de moisson que de fruits. Il y a souvent une dis-proportion entre le comparant (deux à quatre vers, voire plus) et le comparé (un à deux vers), là où latendance naturelle est inverse, la comparaison vient relayer une explication difficile. Ici l’explication estsupprimée pour laisser au comparant tout son pouvoir. Et nous pouvons être surpris ! Voici une autrecomparaison toujours extraite de ce chant:

« Comme quand on cache un tison dans la cendre noire

tout au fond des campagnes, où il n’y a pas de voisins

préservant la graine du feu pour qu’elle dure,

ainsi Ulysse fut caché sous le feuillage… » (vers 488-491)

La vie devient la graine du feu enfouie sous la cendre pendant le sommeil : c’est tout un jeu de sensationset de connotations qui se tisse et que le lecteur n’a pas obligatoirement envie d’exprimer en totalité,et ceci d’autant plus que ce qui s’applique à Ulysse peut s’appliquer à tout homme.

Ces comparaisons ont un grand pouvoir poétique et déterminent des passages où la précision des-criptive s’associe à la beauté du tableau suggéré et du texte. Ainsi, Nausicaa est comparée à Artémis,la plus belle au milieu de ses nymphes, ou « au tronc droit d’un jeune palmier ». Pensons encore autableau que brosse Homère d’Ulysse pleurant lors du récit du cheval de Troie ; le voici comparé à unefemme étreignant en larmes son époux battu « qu’on emmène en captivité subir peine et douleur /etses joues sont flétries par la plus pitoyable angoisse » (VIII, v. 529-530). Bien sûr, il aurait été maladroitde montrer Ulysse pleurant comme une femme, mais s’en tenir à la comparaison suggère l’intensité desa souffrance et lui donne un aspect pathétique.

Homère puise ses comparaisons dans de nombreux domaines : les animaux y tiennent une grande place,comme le lion évoqué quand Ulysse apparaît à Nausicaa, ou quand Polyphème dévore deux compagnons,la nature aussi avec ses végétaux, ses roches, ses cultures, les dieux également, des tableaux suggestifslarmoyants que l’on aurait appréciés au XVIIIe siècle, comme ci-dessus, mais aussi des références àl’activité humaine comme le développement sur le travail du fer, dans le chant IX, quand Ulysse et sescompagnons crèvent l’œil de Polyphème :

« Comme quand le forgeron plonge une grande hache

ou une doloire dans l’eau froide pour la tremper,

le métal siffle, et là gît la force du fer,

ainsi son œil sifflait sous l’action du pieu d’olivier » (v. 391-394)

Cette scène d’horreur n’exclut pas la maîtrise d’un savoir exercé dans des conditions certes très par-ticulières ; on a vu ainsi des scènes de pêche devenir horribles quand le poisson est un homme. Maisle plus souvent, l’évocation reste très poétique, comme celle du vol d’Hermès l’Étincelant, comparé àcelui du goéland :

«Par-dessus la Piérie, de l’azur i l fondit sur l’eau ;

puis il vola, rasant les flots, comme le goéland

qui dans les redoutables plis des mers stériles

s’en va pêcher, mouillant son fort plumage en la saumure ;

ainsi Hermès était porté sur les vagues nombreuses »

Ici la représentation est instantanée et ne surprend pas, pourtant elle nous permet de voir commenton en vient à imaginer le divin, c’est tout ce qui émerveille ou surprend, mais que l’on finit parimiter à force d’observation, soit par l’écriture poétique soit par l’invention.

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Figures féminines et amour

A La rencontre d’Ulysse avec deux ImmortellesUlysse veut rejoindre son île, son haut palais et retrouver son épouse Pénélope qui n’apparaît pas danscette partie, sinon comparée à Calypso jalouse. Pénélope semble faire partie de cet ensemble d’Ithaquecomme Arètè est l’âme du palais des Phéaciens. Toutes les rencontres féminines peuvent constituer destentations. Comment sont-elles présentées et par qui ?

Pour réfléchir

Relevez les éléments permettant de faire le portrait des deux nymphes.

 Qui sont les narrateurs à chaque fois ?

 Qu’éprouve Ulysse pour elles ?

Mise au point

Le développement ci-dessous apporte les réponses aux questions posées.

Calypso

Il existe plusieurs récits d’un même épisode, ils n’ont pas toujours le même narrateur, ni le même des-tinataire : ainsi, Calypso présentée par le narrateur au moment de l’action, est une femme séduisante

« merveilleuse » (chant V) mais elle devient dans la bouche d’Ulysse une « redoutable rusée » (chantVII) par laquelle il ne s’est jamais laissé détourner de sa nostalgie (de nostos : le retour ; algie : souf-france) durant sept ans. Homère veut montrer la femme voluptueuse, Ulysse ne retient que l’épreuvequ’elle lui impose, mais il en parle dans le cadre d’une analepse, après avoir souffert de son séjour.Cette nymphe, fille du géant Atlas, vit dans une grotte où elle s’efforce de dissimuler (comme l’indiqueson nom qui signifie cacher ) ses amours avec Ulysse. Elle règne sur une île, paradis naturel qui fondela tradition de l’idylle mais où elle rejette toute culture ; d’ailleurs Hermès ne s’y rend que sur ordredu dieu Porte-égide :

« C’est Zeus qui m’a contraint de venir, malgré moi :

qui, en effet, franchirait volontiers de tels espaces

de saumure, loin de ces villes où les humains

offrent aux dieux leurs hécatombes les plus belles ? » (V, v. 99-102)

Elle mène donc une vie isolée, loin des cités. Elle contraint le héros à demeurer auprès d’elle pendantsept années (le temps que Télémaque grandisse et arrive à l’âge de raison ?) et celui-ci est alors menacéd’oubli. Or, Ulysse veut se souvenir. Elle lui propose l’immortalité qui n’est que souffrance et inactionpour celui qui est un héros épique. Donc Calypso belle, séductrice, divine, vindicative, jalouse, acceptede perdre Ulysse en comprenant son humanité. Ulysse ne veut pas être un dieu, il ne fait pas preuved’υβρισ, ne désirant pas leur être comparé : il veut assumer son destin humain. À quoi sert d’être unimmortel qui pleure (du moins tout le jour) ?

CircéCircé est longuement évoquée de façon répétitive dans le récit d’Ulysse qui rapporte d’abord le récitd’Euryloque, puis sa propre aventure où la magie de la sorcière se retourne contre elle grâce à « la

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bonne herbe », antidote donné par Hermès. Elle est nommée d’emblée et son nom se rapproche peut-être de l’épervier qui tournoie autour de sa proie. Fille du Soleil et redoutable magicienne, elle règneelle aussi sur une île et possède un pouvoir inquiétant comme le montre le contraste entre les animauxterrifiants qui l’entourent avec la douceur d’animaux domestiques. Son hospitalité parfaite tourne aucauchemar, quand les compagnons d’Ulysse sont transformés en pourceaux, la métamorphose estsaisissante de vérité. On peut se demander si Euryloque ne sert pas de faire-valoir à Ulysse lorsque,apeuré, il refuse de retourner chez Circé avec ce dernier pour retrouver une partie de ses compagnons.Ceux-ci sont aussi dévalorisés : ils ne méritent qu’une métamorphose porcine. Ils perdent alors leurspouvoirs de guerriers et leur humanité : on retrouve le thème de l’oubli du retour. Cette narrationd’Ulysse fait son propre éloge : il triomphe de la magicienne puis de la femme séductrice comme unhéros. On est dans un monde de soldats et Ulysse a toujours « le long de [s]a cuisse [s]on glaive », etest prêt à tuer. On notera sa complète absence d’égard vis-à-vis de cette femme-déesse avec laquelleil connaît « la joie de l’amour », soit le repos du guerrier. À son retour des Enfers, il ne perd pas detemps pour la rejoindre dans son fabuleux palais, c’est elle qui s’abaisse à le rejoindre au port pourpasser la nuit dans la nature.

Bien que totalement soumise, elle conserve un double rôle qu’Ulysse accepte : celui de prophétesse etde guide. En effet, elle connaît son destin, du moins jusqu’à Calypso. Mais surtout, elle l’envoie d’abordvers un autre monde, celui des morts, afin de rencontrer le devin Tirésias.

Conclusion

On voit donc le lien entre Circé et Calypso, lien qui se trouve exprimé dans le tableau de Max Beckmann(1884-1950) Ulysse et Calypso, où l’on voit Ulysse en guerrier méfiant (il garde son casque et ses jambières et, le regard lointain, semble se refuser à l’amour) devant les avances d’une nymphe auxformes avantageuses, sous le regard paisible d’animaux inquiétants. Calypso se confond donc avecCircé, l’enchanteresse aux animaux. On peut ici évoquer le chant de l’aède aveugle, Démodocos, quiridiculise les amours extraconjugales d’Arès et Aphrodite (VIII, v. 266-366). L’image du couple idéal est celui que forment les souverains phéaciens, Alcinoos et Arètè, elle renforce le désir du retour afinqu’il reforme le couple de Pénélope et d’Ulysse. La pérennité de ce couple est garantie par un autrepersonnage féminin, la déesse Athéna, qui apparaît sous sa forme vraisemblable de femme parfaite,

 juste très grande, comme pourrait le montrer la statue chryséléphantine qui lui fut érigée sur l’acropoled’Athènes. Athéna le conseille, l’aide à bien penser et à bien préparer ses ruses, même si parfois il entrouve sans elle.

Max Beckmann, Ulysse et Calypso, 1943.Huile sur toile. 150 x 115,5 cm. Kunsthalle,Hambourg, Allemagne. Diffusion unique-ment sur le territoire français. (C) BPK, Berlin,Allemagne. Dist RMN / Elke Walfort © Adagp,Paris 2009.

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40 Séquence 2-FR01

B La rencontre d’Ulysse et de Nausicaa

Venons-en enfin à Nausicaa, la jeune fille qui sauve Ulysse alors qu’après la tempête, il est seul, nu dansun abri forestier provisoire, entre eau salée et eau douce. Alors que toutes les autres, déesses ou mortelles,tissent sans fin au coin du feu et se révèlent de parfaites hôtesses, Nausicaa va laver le linge.

Nous allons faire une étude des différents moments de cette rencontre au fil du texte.

Pour réfléchir

 De quelles qualités Ulysse fait-il preuve pour échapper à la tempête ?

 Relevez les différentes étapes de la rencontre entre Ulysse et la jeune Nausicaa.

 Que craint Ulysse quand il entend les voix des jeunes filles ? Comment réagit-il alors ?

 En quoi Ulysse et Nausicaa s’opposent-ils ?

 Comment le rusé Ulysse réussit-il à ne pas effaroucher la jeune fille quand toutes ses servantesprennent la fuite ?

Mise au point

Le développement ci-dessous apporte les réponses aux questions posées.

Avant la rencontre

Deux tableaux en contraste : Ulysse a quitté l’île paradisiaque de Calypso et vient de subir une tem-pête à laquelle il a échappé en montrant sa valeur : comparé à un poulpe qui arrache des cailloux auxrochers, lui y laisse des « lambeaux de ses mains hardies », montrant bien plus de courage, d’enduranceet d’énergie vitale que le poulpe. Cette tempête particulièrement violente est longuement décrite par

Homère : certes Ulysse en a affronté beaucoup, mais jamais seul, sauf lorsqu’il affronte Charybde etScylla avant de dériver sur des poutres qui l’ont conduit à Ogygie. Cette idée sera reprise dans la lit-térature comme un moment nécessaire qui amène un nouvel ordre du monde entre les éléments. Ici,c’est surtout l’embouchure du fleuve qui récompense Ulysse : il échappe à l’emprise de Poséidon, aprèsavoir combattu la mer déchaînée en montrant son intelligence, sa force et sa persévérance. Il vient deremporter une nouvelle épreuve qui le grandit car il était seul cette fois-ci. Puis, il trouve l’endroit idéalpour dormir, bien sûr, « sous un berceau d’olivier ».

Nausicaa (de ναυσ, le vaisseau ?) quitte un lieu qui apparaît comme une utopie liée à la civilisationmaritime. Pourquoi ? On peut parler comme souvent de double postulation : une déesse lui inspire unsonge à travers une amie et ce songe correspond aux attentes liées à l’âge de Nausicaa. Toute jeunefille pense au mariage : l’acte qui montre sa détermination est le fait d’aller laver le linge dans le fleuve,plus loin que d’habitude. Ses parents favorisent son désir comme s’il était naturel. Dès le départ, c’estl’harmonie et la pureté qui s’imposent. Nausicaa a des compagnes qui ont le même savoir-faire, etle travail est vite et bien accompli. Ensuite repas, danse et jeu avec une balle : l’ensemble est si beauqu’Homère le compare à Diane entourée de ses nymphes.

Donc d’une part dans les sous-bois proches, un héros qui veut vivre en homme malgré les épreuves, del’autre, une jeune fille pure qui veut accomplir sa vie sous les meilleurs auspices par le mariage. Cecipeut-il avoir un intérêt initiatique pour l’un comme pour l’autre ?

La rencontre

Elle se fait en plusieurs étapes ; le soin qu’apporta Homère à la décrire est prouvé par le vers « Athéna

dont l’œil étincelle eut une idée », et il eut raison car c’est un morceau d’anthologie qui atteint laperfection et a inspiré beaucoup d’artistes. En voici les différentes étapes :

- le monologue d’Ulysse qui entend les cris occasionnés par la chute de la balle dans l’eau ;- la rencontre qui isole les deux personnages si opposés (élément perturbateur) ;

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- la supplique d’Ulysse ;- la réponse de Nausicaa ;- Nausicaa s’adresse à ses servantes pour rendre Ulysse présentable et appliquer les gestes de

l’hospitalité ;- Nausicaa organise son retrait dans l’exercice de l’hospitalité et se montre l’égale d’Ulysse pour

monter des stratagèmes ;- les adieux d’Ulysse et de Nausicaa.

Notons déjà un art de la mise en scène remarquable, qui alterne récit et discours, en utilisant chaquefois le ton qui convient.

a) Le monologue d’Ulysse

Réveillé par la balle tombant dans le remous, il s’intéresse aux voix des jeunes filles : la note d’humourde la balle qui fait des ricochets en réveillant Ulysse, en rappelant sa situation passée, en créant aussiun contraste entre une situation tragique et une scène charmante, est laissée en suspens. La balle sertaussi parfois de motif amoureux. Enfin, cet arrêt du jeu crée un espace-temps où l’irruption d’Ulysse setrouve amplifiée dans ses effets. En effet, habituellement, Ulysse observe avant de se montrer. Le réveild’Ulysse le renvoie ici à ses angoisses habituelles lors de ses arrivées successives sur des îles, d’où le

« hélas ! » inaugural qui entraîne des questions sur le type d’hôtes auxquels il va se retrouver confronté :« Vais-je trouver des brutes, des sauvages sans justice, / ou des hommes hospitaliers, craignant lesdieux ? ». Le héros craint l’absence de civilisation, l’absence de justice et le manque de respect enversles dieux, Nous voyons ici les préoccupations liées à l’hospitalité dans le monde grec, mais aussi lesvaleurs que revendique Ulysse en tant qu’homme. Ce sont des remarques qui montrent son habitudede la situation et pourraient être appliquées à beaucoup d’autres de ses mésaventures : le Cyclope, lesLestrygons anthropophages. Ayant déjà rencontré des monstres, des Immortels, les cris qu’il entend luifont se demander s’il va rencontrer des créatures humaines ou des êtres divins.

Mais Ulysse est un homme d‘action et ne tergiverse pas longtemps : « Allons plutôt tenter de l’ap-prendre nous-mêmes ! »

b) Le face à face entre deux êtres que tout opposeLa scène est surtout perçue du point de vue d’Ulysse, montrée grâce à une comparaison assez longue-ment développée. Nous verrons que tous les deux en sortent transformés.

Ulysse apparaît bien comme l’homme des bois : de même qu’il était sorti de l’eau écumante et « pleind’eau », pourrait-on dire, il « émerge des broussailles » a « une grosse main », est sale, « défigu-ré »(kekakomenos, pour rendre les sonorités du texte d’origine) et sa tentative délicate pour voiler sonsexe semble un peu dérisoire. Curieusement, c’est ici l’eau paisible de la rivière qui lave et purifie enpermettant des danses harmonieuses, en ménageant des galets propres, qui fait contraste avec cettenature indomptée (montagne, pluie, vent, saumure) dont semble émaner Ulysse. L’insistance sur la virilitéévoque brutalement un aspect du mariage. Or Nausicaa est l’intacte, l’indomptée….très civilisée ! La

comparaison avec le lion développée sur cinq vers alors ne dit pas explicitement à quoi ces appositionscorrespondent chez Ulysse : il ressemble au loup affamé dans la bergerie, et l’expression « incité par sonventre à tâter les troupeaux » est bien ambiguë. Les verbes d’action « marche », « fond », « poursuit »montrent le chasseur infatigable qui ne peut échouer. Tout son être symbolise cette « force qui va »,comme dirait Victor Hugo. Si le lion agit par instinct, pour Ulysse « le besoin l’y forçait » : Homère aussiforce le trait ! Enfin cette intrusion du monstrueux naturel dans un univers civilisé produit son effet surtoutes les jeunes filles sauf Nausicaa et la chute tient en un vers : « Seule resta l’enfant d’Alcinoos ».

Nausicaa est donc d’emblée isolée par le « seule » en début de vers. Elle est désignée comme l’enfantd’Alcinoos et bon sang ne saurait mentir, malgré sa jeunesse. Les trois vers qui lui sont consacréstémoignent de ses pensées comme étant suggérées par Athéna (double postulation) ; tout cela luidonne l’attitude du guerrier face à l’obstacle qui ne se laisse pas envahir par la peur. Cet épisode permetdonc à Nausicaa de se révéler à tous, mais surtout à elle-même. Ses deux discours le montreront : àUlysse, elle promet l’hospitalité ; aux servantes, c’est un appel à raisonner. Elle agit comme une reine.Dans un premier temps, son attitude amène la transformation d’Ulysse : le lion perd de sa férocité ! Ainsi, dans les représentations de chasse égyptiennes on trouve des animaux énormes et monstrueuxréduits après capture à des proportions sympathiques. Il redevient l’homme intelligent et rusé qui sait

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aborder l’autre de la meilleure façon. S’il n’est pas civilisé dans son apparence, on l’oublie dans sondiscours. Les répétitions montrent ses hésitations tout comme le silence qui accompagne le temps dela décision : « à distance », « des mots doux comme le miel ».

La supplique à Nausicaa montre qu’Ulysse a bien perçu cette jeune fille qui se dévoile ; il la désignecomme « reine » et évoque par l’anaphore « trois fois heureux » la joie qu’elle répand autour d’elle :parents, fratrie, futur époux. Il l’honore aussi comme une déesse placée sur un piédestal, en utilisantdes termes très forts pour marquer son admiration qui tient du respect religieux (stupeur, comparaison

avec Artémis). Notons encore la comparaison surprenante avec « le tronc droit d’un jeune palmier »placé près du temple d’Apollon à Délos qu’elle lui rappelle par sa beauté qui la place dans l’île la plussacrée des Grecs et lui promet un avenir plein de lumière et de droiture, orienté vers le divin. Bien sûr,il est aussi habile et sait l’apitoyer sans donner de détails sur ses malheurs et en lui rappelant les loisde l’hospitalité avec beaucoup de modestie : « Indique-moi le bourg, donne-moi de quoi me couvrir / situ as emporté un bout de toile pour ton linge. » Enfin, il montre son respect en lui souhaitant un mari :elle fera une épouse parfaite, ce qui nous donne l’impression d’une rencontre amoureuse. N’est-ce pasl’aveu déguisé de l’amorce d’un sentiment amoureux ?

Après les deux discours de Nausicaa qui ont montré son statut de future reine sage et responsablepourrait-on dire, Ulysse refuse le bain demandé par celle-ci aux suivantes sans explication précise caril était courant que des servantes fassent prendre le bain aux hôtes masculins : souvenir de la frayeurqu’il a causée ? ou crainte de la souillure au sens religieux ? On peut aussi penser que la transformationd’Ulysse n’en sera que plus frappante avec « une toison bouclée comme la fleur de la jacinthe » , etl’aide d’Athéna ! Peu importe, il reste toujours une pointe de mystère dans les textes ; mais la réactionde Nausicaa est intéressante : à la perfection du discours d’Ulysse correspond celle de son physique etelle a pour lui les conclusions qu’il a eues pour elle : « si un tel héros pouvait être mon époux... ». Ulyssedonne un aspect concret au rêve de jeune fille qui a accompagné cette journée. S’il n’y a pas rencontreamoureuse, on peut parler de la rencontre de deux idéaux réciproques. Nausicaa renforce chez Ulyssela vision du couple heureux, tandis qu’Ulysse aide Nausicaa à préciser l’image de l’idéal attendu.

Évoquons alors la courte scène d’adieu entre eux (VIII, vers 457- 468) : Nausicaa, « qui avaitreçu des Dieux la beauté » demande à Ulysse, qui est toujours un étranger pour elle, qu’il ne l’oublie

pas car elle l’a sauvé : « moi [à qui] tu dois la vie sauve » et Ulysse lui promet de l’honorer chaque jour comme une déesse « car tu m’as sauvé, jeune fille». En quel sens Ulysse doit-il la vie à la filled’Alcinoos ? N’est-ce pas excessif ? Il évoque Zeus, époux d’Héra… Le mariage est au centre de cetterencontre, comme la seule possibilité du bonheur des hommes. En ce sens, là où Calypso et Circé ontéchoué, Nausicaa aurait pu réussir et constituer une tentation pour Ulysse. Il en ressort une impressionde non-dit : leur noblesse de sentiment et de cœur a fait qu’ils ont retenu leurs paroles et leur élan,mais il se dégage de cette rencontre merveilleuse une atmosphère amoureuse indéniable.

Cette rencontre qui n’est pas nécessaire à l’action, car Alcinoos respecte les règles de l’hospitalité trouvedonc son intérêt ailleurs. Elle a d’abord un grand intérêt par le fait qu’elle redonne à Ulysse le sens del’humain qu’il avait pu perdre au contact de Circé et de Calypso, celui du respect, de l’amour véritable .C’est elle qui acquiert un statut de déesse par son mérite, ses qualités intrinsèques, son action qui font

d’elle une héroïne bien qu’elle n’ait aucun pouvoir réel en tant que jeune fille soumise à une autoritémasculine paternelle et vouée à devenir une femme soumise à son mari. La vérité n’est pas si simpleet Ulysse le lion devient doux comme un agneau devant elle. Nausicaa pourrait être le modèle proposéà toute jeune fille par Homère, mais elle incarne surtout un idéal féminin qui remplace le divin. Cepassage constitue un outre un morceau très poétique qui a inspiré plusieurs topoï littéraires : la belleet la bête, la rencontre amoureuse, l’image de la jeune fille, la jeune fille au jeu. Bien que la rencontreamoureuse n’aboutisse pas concrètement, il en reste deux étapes essentielles : le hasard heureux quipréside à leur rencontre, puis le foudroiement qui les conduit après un silence à se comporter au mieux.On peut imaginer que Nausicaa a redonné à Ulysse une image positive des femmes en le renvoyantpeut-être à sa rencontre avec Pénélope, tout comme Ulysse a préparé le désir d’un digne mari pourNausicaa en causant son premier émoi amoureux.

 Conclusion Conclusion

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43Séquence 2-FR01

C Les différentes formes de l’amour dans les chantsV à XIII

Athéna : une sorte de dévouement tutélaire

La fille de Zeus représente une sorte de dévouement tutélaire ; elle est favorable à Ulysse, mais estparfois étonnée par ses réactions, comme par exemple quand il lui dit être crétois, lorsqu’il la rencontre

déguisée en jeune pâtre à Ithaque. Elle s’émerveille de sa méfiance et de son aptitude à déguiser ce qu’ilest : elle semble donc vouloir que son héros soit un modèle et le favorise dans sa volonté d’accomplirau mieux son destin humain. Elle est aussi favorable au couple que forment Ulysse et Pénélope. Elleest souvent représentée comme un jeune homme, un guide.

La sensualité, l’amour physique

À l’exception de la scène un peu scabreuse où Ulysse craint pour sa virilité en allant dans la couchede Circé, Homère évoque l’amour physique avec pudeur. Il semble ne pas durer et ne pas mériterd’attention s’il n’a d’autre but que lui-même. Ulysse peut quitter Circé, d’un moment à l’autre et Circé

l’accepte. Il ne peut rester dans l’île de Calypso, pour ce simple motif. Y consacrer sa vie, s’y soumettreest humiliant, comme le montrent les amours d’Arès et d’Aphrodite : le filet qui les empêche de bou-ger, les désigne malgré eux à la réprobation et leur vaut des quolibets en témoigne. Il n’empêche quel’attirance physique existe comme le montre la rencontre entre Ulysse et Nausicaa, au point qu’ils ontpeur de se compromettre en paraissant ensemble, ce qu’Alcinoos ne comprend pas.Toutefois, Ulysse estun héros complexe : reste-t-il seulement auprès de Circé pour recouvrir des forces ? Il cède bien à uneattirance pour elle car il a réussi à la soumettre et n’est pas obligé de rejoindre son lit pendant un an ;par ailleurs, ce sont ses compagnons qui lui rappellent qu’ils doivent retourner en Ithaque. De même,Ulysse reste sept ans avec Calypso qui incarne un pouvoir sexuel mortifère. Tous deux ont une liaison :« Ils gagnèrent le fond de la grotte profonde / où, demeurés ensemble, ils se livrèrent au plaisir » (v.226-227). Ulysse a bien été attiré par la « merveilleuse nymphe », mais se présente comme pris dans unpiège tendu par la déesse qui sait le séduire et le retenir : « déesse aux beaux cheveux, la redoutable à

voix humaine / Elle me choya, me soigna… » (XII, v. 449-450), elle va jusqu’à lui proposer de l’épouseret de le rendre immortel. Mais le fils de Laërte finit par se lasser de la nymphe au point de sombrerdans une dépression profonde (V, v. 148-158), pleurant tout le jour sa famille et sa patrie.

L’amour conjugal

L’amour conjugal est bien évidemment incarné au premier chef par Ulysse et Pénélope, l’épouse jamaisoubliée malgré les tentations que constituent les deux immortelles et la jeune Nausicaa. Ulysse se sou-vient d’elle mais aussi sa mère, lorsqu’il la revoit aux Enfers : elle lui explique que Pénélope continuede l’attendre avec constance et à trois reprises l’évoque dans son discours (XI, v. 161-162, 181-183,223-224), Agamemnon fait lui aussi l’éloge de « l’enfant d’Icare, la très sage Pénélope » (XI, v. 446).L’amour conjugal signifie harmonie et raison ; aussi le couple royal harmonieux conduit bien ses sujets,comme nous voyons le faire Arètè et Alcinoos. C’est ce que doivent envisager les jeunes filles et les jeunes hommes. Ici, il est surtout question de Nausicaa qui va laver le linge parce qu’elle est en âge dese marier : dans cet acte symbolique de sa pureté et de son éclat, elle montre son aptitude au bonheur,puisqu’elle sait joindre l’utile à l’agréable. Face à l’obstacle, elle ne fuit pas mais applique les principesde l’hospitalité. Elle résiste à une attirance physique avec sagesse, mais en tire un enseignement quantau mari qu’elle souhaite et veut rester dans la mémoire d’Ulysse.

Pour en revenir à Pénélope, elle est la femme convenant à ce héros qui s’inscrit dans la durée et désireêtre lui-même, c’est-à-dire un homme qui vieillit et est bien conscient qu’il va retrouver une femmemoins belle qu’une déesse mais avec qui il peut partager une histoire. Ainsi, il répond à Calypso quiveut l’épouser et met en avant sa beauté qui surpasse celles des mortelles :

« Pardonne-moi, royale nymphe ! Je sais moi aussi

Tout cela ; je sais que la très sage Pénélope

N’offre aux regards ni ta beauté ni ta stature :

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44 Séquence 2-FR01

elle est mortelle, tu ignores l’âge et la mort.

Et néanmoins, j’espère, je désire à tout moment

me retrouver chez moi et vivre l’heure du retour. » (V, v. 215-220)

L’amour de la patrie

L’amour de la patrie est constamment rappelé. Ulysse semble évoquer avec tendresse les lieux d’Itha-que, comme s’il n’y avait que là qu’il pouvait être lui-même. Lorsqu’il révèle enfin son identité au roiAlcinoos, pour se présenter il se nomme (en deux vers) puis décrit son île (en huit vers) :

« J’habite dans la claire Ithaque […]

C’est une île rocheuse, une nourrice de guerriers,

et moi, je ne connais rien de plus beau que cette terre. » (IX, v. 21 et 27-28)

Au même, il déclare aussi : « il n’est rien pour l’homme de plus doux que sa patrie » (V, v. 34).L’attachement d’Ulysse pour sa terre natale se manifeste par les larmes qu’il verse chez Calypso qui leretient : « Il était sur le promontoire ; ses larmes n’avaient pas / séché » (V, v. 151-152)

En homme ingénieux, il semble aussi le faire parfois pour éviter d’évoquer Pénélope face à une immortelledéçue par son départ, comme dans les vers que nous venons de citer plus haut (V, v. 215-220).

L’amour maternel et l’amour paternel

L’amour maternel et l’amour paternel sont valorisés ; les retrouvailles entre Ulysse et sa mère, mortede chagrin, sont fort émouvantes :

« Trois fois je m’élançai, mon cœur me pressait de l’étreindre,

Trois fois hors de mes mains, pareille à une ombre ou un songe,

elle s’enfuit ; à chaque fois mon chagrin s’aiguisait » (XI, v. 206-208)Anticlée rappelle aussi à Ulysse l’affection que lui porte son père : « son deuil s’accroît / de pleurer tonabsence » (XI, v. 195-196). Ulysse, quant à lui, se présente régulièrement comme le « fils de Laërte ».La famille est au centre du bonheur, et quand il s’agit d’une famille royale, son bonheur est nécessaire.Autre exemple d’affection parentale, l’affection qui lie Nausicaa à ses parents participe à la descriptiond’une famille modèle.

Il faut remarquer en particulier l’importance de la relation entre père et fils qui est déterminante dansle schéma narratif de l’Odyssée. Aux Enfers, les morts veulent des nouvelles de leurs fils : Néoptolème,fils d’Achille, mort en héros au combat, fait honneur à son père.

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45Séquence 2-FR01

L’épreuve de l’altérité :le Cyclope Polyphème

L’épisode du pays des hors-la-loi fait l’objet d’un long récit, il se situe dans le chant IX, le premier chantdes récits d’Ulysse et amène la malédiction qui va frapper Ulysse. Le chant commence sur un sommairequi montre Ulysse et ses compagnons, pillant des alliés des Troyens, les Cicones, mais défaits ensuite,faute de n’avoir pas fui. De Thrace commence l’odyssée car, après une tempête qui abîme les navires etles contraint à attendre de meilleures conditions, ils longent la côte orientale de la Grèce et pourraientdonc remonter vers Cythère puis Ithaque, mais « courant, houle et Borée » les poussent vers l’Afriquedu Nord, sur l’île des Lotophages (Djerba ?) qui conduit à l’oubli du retour. Remontant vers le nord, ilsarrivent dans l’île qui fait face à celle des Cyclopes (côte ouest de l’Italie, à l’est de la Sardaigne et aunord de la Sicile) où les chèvres et la nourriture abondent : ces trois expériences sont négatives pardéfaut de prudence, semble-t-il ; c’est l’idée du retour qui est menacée, à cause des compagnons quiveulent festoyer, puis mangent le lotus de l’oubli. Est-ce que ces dix ans de guerre ont rendu le retourimpossible ? Parvenu avec ses douze vaisseaux dans la troisième île, vue comme un paradis naturel,

c’est Ulysse qui va en repérage dans l’île des Cyclopes, par curiosité sans doute, car il ne comprendpas pourquoi cette île n’est pas visitée par ses voisins, et aussi par prudence car ses compagnons enmanquent.

A Le pays des Cyclopes : un monde inversé

Pour réfléchir

Relisez l’épisode du Cyclope (IX, v. 105-559) et répondez aux questions suivantes :

En quoi l’île des chèvres apparaît-elle comme idyllique ? Qu’est-ce qui surprend Ulysse à sa vue ?

En quoi l’île des Cyclopes est-elle un anti-monde ?

Mise au point

Ulysse, notre conteur, présente le lieu où il se trouve avec ses compagnons comme un lieu idéal : l’île auxchèvres qui se trouve en face du pays des Cyclopes se caractérise en effet par une nature féconde : 

« Elle n’est pas ingrate, et pourrait donner tous les fruits ;

il y a des herbages sur le bord de la mer grise,

tendres et arrosés… » (IX, v. 131-133)

« la terre est grasse sous les mottes » (IX, v. 135)

De plus, il s’y trouve un port naturel qui ne demande aucun aménagement. D’ailleurs, c’est bien ainsique les Grecs y ont débarqué, c’est le tableau idyllique qu’ils ont découvert au petit matin : « quelquedieu devait nous conduire / dans les ténèbres de la nuit » (IX, v. 142-143). Enfin, les chèvres y abondentet permettent à Ulysse et à ses compagnons, à l’issue d’une chasse, de festoyer « jusqu’au coucherdu soleil ».

Toutefois, le narrateur s’étonne de voir de telles terres laissées à l’abandon, un tel endroit aurait dûattirer les Cyclopes parce qu’il leur aurait assuré une vie aisée pour toujours. On notera la présence dupotentiel : « Elle […] pourrait donner tous les fruits », « les vignes seraient éternelles », « les moissons

seraient hautes ». Peut-on vivre en face d’une telle île sans désirer la joindre ? Les Cyclopes auraientdû inventer un moyen de navigation.

La raison en est que les Cyclopes apparaissent comme des primitifs, des barbares qui refusent la viecivilisée. Ils ne pratiquent aucune culture, aucun élevage, mais ils se contentent de traire des chèvres

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46 Séquence 2-FR01

qui paissent toutes seules, cherchant uniquement à assouvir leurs besoins. Sur le plan social, ils n’ontpas d’organisation politique : « Ils n’ont pas d’assemblée pour les conseils et pas de lois » (IX, v. 112).Sur le plan économique, ils ne font pas de commerce, ne possèdent pas de vaisseaux et vivent enautarcie. Les Cyclopes sont donc étrangers à tout ce qui fonde le monde homérique : l’agriculture, lesmaisons, les navires, la vie politique et les devoirs de l’hospitalité. En cela, ils incarnent des figures dela monstruosité.

B Fantaisie, horreur et réalisme

L’horreur : le Cyclope, une figure extrêmede la sauvagerie

Les représentations visuelles du Cyclope sont légion et le sujet ne semble pas épuisable. Pourtant,Homère, qui excelle à donner des représentations visuelles, faisant souvent des personnages des ima-ges types, ne nous le décrit pas vraiment ! Il parle d’« un géant », un « hors la loi » parmi les hors laloi, « un monstre gigantesque », ce qui augure du pire mais ne constitue pas encore une description.

Ensuite au vers 190, il dit à quoi il ne ressemble pas, soit un « mangeur de pain » (qui désigne l’hommecivilisé) avant de trouver une comparaison surprenante : le « sommet boisé / d’une montagne apparue àl’écart ». Voilà qui le situe par rapport au paysage face aux Lilliputiens, si l’on se permet l’anachronisme,que sont les hommes. Bien sûr, il est facile de faire de ses cheveux des arbres, de sa bouche une grotte,et ainsi de suite, à moins que la grotte mystérieuse ne soit son œil. L’imaginaire renvoie à deux choses :d’une part le paysage montagnard vu depuis l’île, d’autre part, le rappel mythologique du combat deZeus contre les Titans ou Géants, quand on l’entend dire qu’il ne craint pas Zeus. D’ailleurs, il manie lesrochers, les cimes de mont avec dextérité. Dans notre imaginaire, nous voyons l’ogre qui ici mange deshommes mûrs et sa monstruosité tient plus à son comportement, car il ne respecte ni l’hospitalité, nila vie, ni les dieux. Il démembre les hommes comme des poupées, les mange avec du lait. L’évocationdu Cyclope dévorant sa proie est rapide, elle fait peur : on peut se demander si Le petit Poucet dePerrault n’en est pas inspiré. En effet, ces hommes sont pris comme des poules dans un poulailler puisassommés et démembrés :

« il en prit deux d’un coup, et comme des chiots, sur le sol,

Les assomma. La cervelle en giclant mouilla le sol.

découpés membre à membre, il en fit son souper ». (IX, v.289-291)

Le géant traite les hommes comme des animaux, s’en sert comme nourriture sans le moindre égard pourleur statut d’humain. Et la scène se reproduit comme un rituel, qui reste présent dans les mémoires :deux hommes à chaque fois, au petit déjeuner, au souper ; ils sont treize en tout, soit trois jours de repas.Homère aime bien les chiffres ; on peut se demander pourquoi. La raison n’est pas toujours la mêmemais ici incontestablement, ils créent le suspense. Beaucoup de scénarios fantastiques les reprendront.

Ici le monstre est le gouffre de montagne qui prend son tribut humain. Aux Achéens qui profitent desfromages à leur arrivée répond l’opportunisme du Cyclope amateur de chair fraîche humaine.

La fantaisie

La description d’un monde qui retrouverait l’imaginaire des premiers éléments (terre, ciel, eau) dumerveilleux mythologique semble être ici la règle. Homère n’est pas toujours dans la vraisemblance :ainsi ce géant non civilisé fait du fromage, a des ustensiles satisfaisants, organise rationnellement sonespace d’élevage. Nous le voyons sympathiser avec son bélier, sous lequel se cache Ulysse, lui deman-der un soutien réel ou psychologique sans se rendre compte de la situation. Voilà le grand méchantgéant ridiculisé, négligeant même de soulager les chèvres au pis gonflé. Bien que sauvage et solitaire,

il connaît les marchands et les pirates (vers 253-4). On trouve la même fantaisie dans les inventionsd’Ulysse pour vaincre le Cyclope Polyphème : le pieu d’olivier, le nom de Personne qu’il se donne, lesbéliers porte-corps.

Nous avons aussi des répliques de comédie : Ulysse est ici le nain malicieux et intelligent face au géantrendu ridicule et on peut parfois penser à une interversion des rôles selon qu’il s’agisse d’échanges

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verbaux ou de récits d’actions. À Ulysse qui lui raconte son histoire le premier soir, alors que le Cyclopeest venu à bout de ses travaux et lui rappelle les lois de l’hospitalité, il répond en se moquant, lui rap-pelant que les Cyclopes n’obéissent pas à ces règles et termine en lui demandant où est son bateau.La répétition « d’un cœur cruel » se situe entre peur et rire. C’est le méchant qui joue son rôle, surtoutquand il s’amadoue sous l’effet du vin donné à dose concentrée ; caressant, il lui demande son nom etpromet un cadeau qui sera le suivant : « je mangerai Personne en dernier » après le fameux Ουτισ( Outis = personne) où Ulysse montre sa ruse tout en en faisant un motif narratif intéressant, qu’ils’agisse de la réponse des autres Cyclopes au vers 410 au cri de Polyphème « …Mais qui me tue ?Personne ! », où il est question de « la maladie qui vient de Zeus » ironiquement, soit la folie, ou duvers 414 où Ulysse triomphe « de les voir abuser par mon nom et ma personne », traduction choisiepour rendre compte du jeu de mots sur l’homonymie ; terminons enfin par le vers 455 « Personne qui,crois-moi, n’est pas encore hors de danger ! ». Bref, Ulysse a le mot pour rire.

Le réalisme

L’épisode ne manque pas de réalisme pourtant, l’enchainement des événements se tient : Ulysse etses hommes vont passer deux jours dans l’antre de l’ogre. La stratégie d’Ulysse s’appuie sur la ruse,certes, et les moyens utilisés ressortissent surtout à l’imagination d’Homère, mais certaines œuvresde fiction se sont bien révélées source de vérité. L’intérêt ici est de voir utilisées des techniques d’unautre domaine ; si on n’apprend pas à vaincre les Cyclopes à l’école, on apprend à faire des bateauxavec des oliviers, à atteler des animaux pour labourer, ce qui suppose des savoir-faire qui peuvents’utiliser ailleurs.

C Le sens de l’épisode

Cet épisode où Ulysse perd six compagnons pourrait donc apparaître comme une fantaisie aux multiplesregistres où Homère fait preuve de virtuosité en tant que conteur et en tant qu’écrivain. Il se pourraitqu’Ulysse se vante et exagère comme le suggère Giono dans La naissance de l’Odyssée, où l’odyssée

s’invente un rapport avec οδοσ, le chemin ou le destin.La longueur de la fin interpelle dans la mesure où Ulysse se croyant en sécurité au large narguePolyphème qui réagit en lançant une cime de montagne qui ramène Ulysse et ses compagnons surle rivage. Après un nouveau départ, il recommence, manquant de prudence comme le lui disent sescompagnons. Mais Ulysse insiste et Polyphème parle de la prédiction qui s’accomplit et le déçoit, car« c’est un petit homme, un lâche, un rien du tout / qui vient me noyer l’œil en me noyant de vin ! » et iladresse un souhait à Poséidon, son père, « aux cheveux bleus, maître des terres » (curieusement !) pourqu’il empêche le retour d’Ulysse. Nous voyons alors ce retour qui avait un certain mal à se dessiner,souvent du fait des compagnons, menacé à cause d’Ulysse lui-même ; et « que ce soit après bien desmaux, tous ses compagnons morts, / sur un vaisseau d’emprunt, pour trouver chez lui d’autres peines. »et si Ulysse peut jouir sur l’île enchanteresse, avec ses compagnons, du butin pris au Cyclope, l’offrande

à Zeus sera acceptée, mais pas celle à Poséidon (on peut penser à Thésée l’invoquant dans Phèdre ). Leretour devient donc une épreuve pour Ulysse. Cette fin qui est l’ultime échange entre ce couple inégalinverse le rapport qui était au départ car la parole d’Ulysse triomphe… Pour Héraclite, le Cyclope sym-bolise « le sauvage emportement de chacun de nous, celui qui dérobe le jugement ».

Si l’on examine le rapport entre eux, on observe une autre différence : Ulysse est le « fléau des villes »,c’est-à-dire celui qui apporte le malheur depuis la civilisation. Polyphème serait alors le fléau de la mon-tagne et certains ont pu le voir comme le volcan dont on ne peut approcher le cratère et qui crache dela lave en ayant l’aspect d’une montagne qui perd sa cime. Son œil rond est le cratère, ses éructations,une éruption, les rochers qu’il envoie, de la pierre volcanique. Thucydide et Virgile y voyaient l’Etna,Bérard le Vésuve, Cuisenier, un volcan des îles Égates On est certes loin du débat « nature-culture »qui est clairement posé au XXVIIIe siècle tandis que jusqu’à cette époque, on pense que la civilisationest supérieure et que l’homme doit la développer. C’est peut-être à Ulysse qui est « Personne » « unpetit homme, un lâche, un rien du tout » (vers 515) de commencer ce chemin de l’humanité, « desmangeurs de pain » chers à Homère. Il est intéressant de noter l’épithète homérique qui accompagnePoséidon dans ce passage : « Poséidon aux cheveux bleus, maître des terres ». Dans l’Iliade (vers 190)il dit « J’ai obtenu pour moi, après tirage au sort, d’habiter la mer blanche à jamais ». Les autres parts

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vont à Zeus pour le ciel et à Hadès pour « l’ombre brumeuse ». Les anciens se représentaient la terrecomme une île entourée d’un océan avec une sorte de mer intérieure, on voit dès lors le pouvoir dePoséidon dit aussi « ébranleur du sol ». Les assises de la terre dépendent de la mer et on peut doncattribuer à Poséidon toutes les catastrophes naturelles qui agitent la Méditerranée. C’est en ce sensque Poséidon a un pouvoir sur la terre, mais sur la terre elle-même, son pouvoir n’est pas absolu : si lesdieux ne peuvent intervenir sur les eaux, à terre ils sont actifs comme Athéna qui apparaît en personneà Ulysse lors de son arrivée à Ithaque sans crainte d’offenser Poséidon. C’est aussi le sens que l’onpeut donner à la directive donnée par Tirésias pour réconcilier Poséidon et Ulysse : il fera connaîtreaux hommes qui ne connaissent pas la mer, le sel et la navigation, et fera un sacrifice à Poséidon, etainsi pourra mourir sur terre dans le monde de l’agriculture au milieu d’une communauté en paix, soitl’inverse du monde du Cyclope. Dès lors, le retour d’Ulysse apparaît comme un voyage initiatique afin de permettre l’harmonie pour les hommes sur terre. Le nom de « Personne » peut désigner lenéant d’où part l’homme avant de parvenir à la maîtrise et l’harmonie du monde dans lequelil vit et qui devient le monde « des mangeurs de pains »

En conclusion, cet épisode est empreint de merveilleux épique créé à partir des motifs de la dispro-portion, de l’opposition et du monstrueux, Homère est véritablement une source inépuisable : citonsDavid et Goliath, les géants de Rabelais, l’ogre des Contes de Perrault face au Petit Poucet….. la listeest longue. Chez Homère lui-même, Ulysse doit faire face à d’autres géants : les Lestrygons, Charybdeet Scylla. Les deux derniers représentent aussi des passages marins dangereux. Le géant est lié à une

nature qui domine l’homme…Le merveilleux est aussi lié à la virtuosité du narrateur interne à qui le conteur prête sa voix pourentraîner à sa suite l’auditoire : Homère est un maître-écrivain.

Enfin, le merveilleux contient un message plus profond qui donne un sens à l’Odyssée : le grandissementdu héros, montré ici « petit homme », mais intelligent (μητισ) donne un sens profondément humainà l’œuvre. Ulysse part, au travers de ses aventures, à la recherche de lui-même, du sens à donner à lacondition humaine, et de l’idéal vers lequel l’homme doit tendre.

 

Oenochoé à figures noires. Ulysse et Polyphème. Ve siècle avant J.-C.18,5 cm. Céramique. Musée du Louvre, Paris, France. (C) RMN / Hervé Lewandowski.

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Cette visite aux Enfers qu’on appelle aussi catabase, la première νεκυια, occupe presque tout le chantXI qui commence par le trajet maritime mystérieux depuis Aiaié, l’île de Circé, grâce au vent qu’elleprocure, et se termine par un retour aussi mystérieux vers la nymphe magicienne. Ulysse doit s’y rendrepour consulter Tirésias le devin.

Nous allons voir le mouvement du passage, puis la vision de la mort que nous y trouvons, enfin nousnous intéresserons à la rencontre d’Ulysse et d’Anticlée, sa mère.

A Les étapes de cette visite des morts

Pour réfléchir

Retrouvez les différentes étapes de ce chant.

Qu’annonce Tirésias à Ulysse ?

Quelle qualité d’Ulysse met en évidence le récit ?

Mise au point

La construction du chant XI

La construction de ce chant est assez rigoureuse et permet de dégager des thèmes précis.

Le voyage qui se termine dans une vision de soleil couchant aux confins de l’Océan (donné commefleuve) : c’est symboliquement le passage du jour à la nuit qui permet d’approcher de la mort alorsqu’on est en vie. Homère n’explique pas et bien souvent nous aurons de la peine à nous représenter cepassage. Cette barque peut rappeler les rites égyptiens et se retrouver dans certaines poésies d’YvesBonnefoy.

À son arrivée et suivant les consignes de Circé, Ulysse accomplit scrupuleusement le rituel de la libationpour faire venir les « têtes sans force des morts » qu’il implore en leur promettant le « sang noir » dusacrifice. Le sang attire effectivement les âmes assoiffées qu’Ulysse doit repousser de son épée.

Ulysse rencontre Elpénor, compagnon dont il ignorait la mort et qui réclame des funérailles. Anticlée,sa mère arrive ensuite, mais Ulysse la repousse car il doit laisser la priorité à Tirésias

Tirésias lui annonce que Poséidon mettra des obstacles à son retour car il veut venger son fils Polyphème ;les aventures dramatiques sont suggérées, la seule précisée est le passage à l’île du Soleil dont il fautrespecter les troupeaux sacrés. Son retour à Ithaque, seul, lui permettra d’éliminer les prétendants,mais il devra repartir pour apaiser Poséidon par un sacrifice chez « ceux qui ignorent la mer » avant deconnaître une fin de vie heureuse. Nous pouvons alors penser à la promesse d’immortalité de Calypsoaprès un premier désastre : n’était-elle pas tentante ? Enfin il lui apprend comment aborder sa mère.

La rencontre avec Anticlée que nous développerons plus loin est chargée d’émotion et propre à exacerberla nostalgie du retour chez Ulysse. Elle comporte deux parties : l’échange de paroles et l’impossibilitéde l’échange physique.

De l’avis de nombreux critiques, ce passage constitue vraisemblablement une interpolation, c’est-à-direl’insertion tardive d’un épisode secondaire dans un récit achevé. Ulysse voit en effet arriver quatorze

princesses mortes faisant partie des légendes mythologiques qui racontent leurs unions avec des dieuxet les naissances qui ont suivi. On voit tout l’intérêt que cet épisode présente pour un enseignementbasé sur la récitation. Mais elles n’ont pas de lien direct avec les tribulations d’Ulysse et ce qu’elles luiapprennent ne présente aucun intérêt pour l’Odyssée . Le héros termine en souhaitant son départ dontle caractère urgent aurait été plus justifié après l’intervention d’Anticlée.

 Vers 1 à 13 Vers 1 à 13

 Vers 14 à 50 Vers 14 à 50

 Vers 51 à 89 Vers 51 à 89

 Vers 90 à 149

 Vers 90 à 149

 Vers 150 à 224 Vers 150 à 224

 Vers 225 à 332 Vers 225 à 332

La descente aux Enfers

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50 Séquence 2-FR01

L’heure tardive incite Ulysse au repos avant le départ, mais l’auditoire, « sous le charme » (v. 334), séduitet impressionné lui propose d’autres cadeaux pour compenser l’injustice de son sort et le récompenserde sa valeur de héros, mais aussi d’aède. Petit clin d’œil à Homère et à la fonction du poète qui révèleici le monde de la mort. Alcinoos et ses convives le prient de demeurer plus longtemps afin qu’il leurapprenne s’il a rencontré aux Enfers des chefs qui sont rentrés de la guerre de Troie et sont mortstragiquement :

« Sur toi les mots sont beaux, mais en toi les pensers sont nobles ;

tu nous as raconté avec autant d’art qu’un aède

et tes tristes malheurs et ceux de tous les Achéens. » (v.367-369)

Ulysse restera un jour de plus pour terminer son histoire

Ulysse relate sa rencontre avec Agamemnon. Ce dernier lui a narré comment son épouse, Clytemnestre,et Égisthe, son amant, funeste, l’ont assassiné ainsi que sa captive Cassandre à son retour à Argos. Ilcompare leurs situations et oppose la perfidie de Clytemnestre à la sagesse de Pénélope. C’est un pas-sage poignant : Agamemnon souffre de cette mort et des conséquences sur son fils, le fameux Orestequi va le venger et Ulysse ne peut même pas lui apporter la consolation d’une réponse. Suit Achillequi gémit sans fin et réclame des nouvelles de son fils : Ulysse aura la satisfaction de lui montrer enNéoptolème un fils digne de son père.

Rancunier, Ajax refuse de répondre à Ulysse.

S’il rencontre d’autres guerriers de Troie, il en est un, Ajax qui refuse la rencontre, lui gardant éternel-lement rancune. Ainsi, Didon s’éloigne d’Énée dans L’Énéide , de Virgile.

Ce passage constitue une nouvelle interpolation qui montre le même but didactique. Ici mystérieusement,notre héros est entré dans le monde des morts, y voit le juge Minos, Orion, le chasseur, les damnésTityos et Sisyphe, Héraclès qui est à la fois aux Enfers et dans l’Olympe.

Les derniers vers montrent Ulysse évoquant Thésée, autre visiteur des Enfers de son vivant et dont lalégende, semble-t-il, s’est développée plus tard. La « peur verte » le reprend de rester là figé par laGorgone…

Nous voyons que ce passage aux Enfers occupe une place particulière dans le récit d’Ulysse auxPhéaciens, et dans le poème d’Homère où il occupe une place presque centrale : c’est la seule épreuvequi soit explicitement imposée par les dieux comme un devoir au guerrier achéen. Les différentes partiesmontrent une longueur à peu près égale, car toute partie plus longue se divise en sous-partie traitant dethèmes différents. On voit se dégager des redites qui ne renvoient pas seulement à l’oralité de l’œuvre :ainsi, Tirésias et Anticlée délivrent un message sur les morts, ce qu’ils deviennent, le fait qu’ils disentla vérité. Les compagnons de l’Iliade abordent Ulysse avec des thèmes qu’ils ont en commun : le soucide la descendance glorieuse par exemple. Le héros y trouve une dimension humaine extraordinaire,qu’il s’agisse de la rencontre avec sa mère ou avec les héros achéens malchanceux. L’intérêt du poèmeépique est renouvelé comme le souligne Alcinoos. L’aspect dramatique n’est pas à négliger puisquececi nous conduit à nous intéresser non seulement à l’action mais aux effets qu’elle peut avoiret à sa signification. Dans les mythologies antiques, la catabase peut avoir deux objets : ou bien

retrouver le processus perdu de la vie (c’est l’exemple d’Orphée qui descend aux Enfers pour ramenerà la lumière son épouse Eurydice) ou bien acquérir une sagesse. La descente d’Ulysse aux Enfers res-sortit au deuxième objet. Elle a pour but d’obtenir les informations nécessaires à son retour d’Ithaque,informations qu’il obtient du devin Tirésias. Ulysse ne veut donc en aucun cas devenir immortel, seullui importe de poursuivre son existence terrestre et c’est ce que lui promet le devin :

« […] retourne chez toi, offre les saintes hécatombes

à tous les Immortels qui possèdent le ciel immense

dans l’ordre rituel, et la mort viendra te chercher

hors de la mer, une très douce mort qui t’abattra

affaibli par l’âge opulent » (v.132-136)

 Vers 333 à 384 Vers 333 à 384

 Vers 385 à 464 Vers 385 à 464

 Vers 465 à 540 Vers 465 à 540

 Vers 541 à 567 Vers 541 à 567

 Vers 568 à 626 Vers 568 à 626

 Bilan

 Bilan

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51Séquence 2-FR01

B La vision de la mort et des lieux

Perséphone, Hadès, la Gorgone : peu d’attirail mythologique !

D’autres héros sont allés aux Enfers : Orphée, Héraclès qui vint dompter Cerbère, Thésée. Énée, le hérostroyen qui fonda légendairement Rome, visite lui aussi les Enfers et sa descente permet d’établir unevéritable géographie des enfers. Ici il s’agit plutôt d’une quête spirituelle.

Voici un relevé des éléments qui y font référence :

Là se trouvent la ville et le pays des Cimmériens,

couverts d’un voile de brouillard ; sur eux, jamais lieu sombre

le soleil éclatant ne fait descendre ses rayons,  hors d’atteinte du soleil

pas plus quand il gravit les hauteurs du ciel constellé

que lorsqu’à son zénith il se retourne vers la terre ;

une funeste nuit s’étend sur ces infortunés. (14-19)

… puis on longea les eaux de l’Océan

jusqu’à l’endroit désigné par Circé. (21-22)…et du fond de l’Érèbe fils du Chaos, frère de la Nuit

les âmes des défunts trépassés affluèrent :

 jeunes femmes, jeunes gens, vieillards usés par la vie, morts justes et morts injustes

 jeunes filles portant au cœur leur premier deuil, tristesse

guerriers nombreux…..

et victimes d’Arès, qui portaient leurs armes sanglantes. horreur

En foule autour du trou ils accouraient de tous côtés

avec d’étranges cris, et la peur verte me gagnait. (36-43) spectre ? un cri sans bouche

Ne pars pas en m’abandonnant sans sépulture lien entre la vie et l’éternitéet sans larmes, attirant la colère des dieux,

mais brûle-moi avec toutes les armes que j’avais, rites mortuaires

dresse-moi un tombeau sur les rives de la mer grise

pour qu’il rappelle un malheureux aux hommes à venir. (72-76) souvenir et misère

« les morts et l’empire sans douceur » (94)

« que je boive le sang et te dise la vérité. » (96)

« La chose est simple à dire et à faire comprendre :

tous ceux des trépassés auxquels tu donneras licence

de s’approcher du sang te parleront selon la vérité. les morts vampires !

Ceux que tu en écarteras redescendront. » (146-149)  ils ne peuvent mentir.« O mon enfant, comment vins-tu dans la brume de l’ombre, absence de lumière

encor vivant ? Car les vivants ne la voient pas sans peine.

Entre eux et nous sont de grands fleuves et d’affreux courants  esquisse d’une 

et l’Océan, d’abord, qu’on ne peut songer à franchir géographie des Enfers

à pied, mais pour lequel il faut un bon navire ! « (155-159)

ce n’est que la condition de l’homme lorsqu’il meurt

Les nerfs ne tiennent plus ni les chairs ni les os ensemble3,

mais la force du feu qui se consume les détruit  jeu des quatre éléments

aussitôt que la vie a quitté les ossements blancs ;l’âme, elle, comme un songe, s’est enfuie à tire-d’aile. » (218-222)

« Ne cherche pas à m’adoucir la mort, ô noble Ulysse !

3. Cf. Ronsard : « mon corps s’en va descendre où tout se désassemble », Derniers vers (1586)

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52 Séquence 2-FR01

J’aimerais mieux être sur terre domestique d’un paysan,

fût-il sans patrimoine et presque sans ressources,

que de régner ici parmi ces ombres consumées… » (489-491)

[…]

Les autres âmes de ces défunts morts

restaient tristes et immobiles, et chacune conta ses peines (541-542)

Mais déjà s’assemblaient les nations sans nombre des morts avec d’étranges cris, et la peur verte me gagnait

que Perséphone la superbe allât me jeter de l’Hadès

la tête de Gorgo, ce monstre affreux ! (632-635)

Il s’agit d’une esquisse des Enfers, montrés comme un prolongement de la terre auquel l’homme vivantne peut accéder. Ulysse ne va pas vraiment aux Enfers, il reste en surface et ce sont les morts qui viennentà lui, sauf dans la fin du passage où il semble accéder au royaume d’Hadès. De même, ses compagnonsprésents au départ s’effacent ensuite. On a plutôt un parfum d’enfer, que l’on pourrait imaginer comme« Les Djinns » de Victor Hugo dans les Orientales . Un autre rapprochement est possible avec la Pythie

de Delphes qui s’exprime à partir de vapeurs qui s’exhalent d’une fissure de la terre permettant auxvoix venues de sous la terre de s’exprimer.

La tonalité de l’ensemble est construite à partir de sensations mystérieuses et inexprimables, etdifficiles à exprimer puisque n’existant pas pour les hommes : une sensation d’humidité liée à la brumeet à l’absence répétée de soleil, des « étranges cris », des gémissements, des larmes, de l’indiscernable.Il n’est pas question d’odorat, puisque tout est consumé. La vue est aussi brouillée : plutôt que du noir,du sombre, dans lequel se dessinent les spectres apparaissant tandis qu’ils se nourrissent de sang noir.Néanmoins, ils sont parfaitement reconnaissables et Ulysse peut choisir dans ce troupeau glauque grâceà son épée. Il reste bien sur la « peur verte » qui encadre le passage : on peut penser au lien entre lamétaphore et la couleur des fantômes sans vie. Le pathétique qui se dégage de ces âmes des mortsvient de ce qu’ils restent à l’infini dans les souffrances qu’ils ont connues : Ulysse ne peut soulager

personne, même s’il peut répondre à certaines questions, comme celles de sa mère ou d’Achille. L’imaged’Ajax est saisissante : maintenant qu’il est mort, Ulysse ne peut soulager sa peine.

On voit donc se dégager une idée de l’existence après la mort sans joie, dans une tristesse et une  immobilité éternelles, dans l’anonymat, comme des fantômes inconsistants figés dans leur douleur :s’ils restent sensibles, ils n’ont plus la faculté de penser, c’est « le crépuscule de l’âme au milieu d’unpaysage nocturne », selon Gabriel Germain. Et pourtant il faut imaginer que le sort est pire si les ritesfunéraires n’ont pas été respectés. La notion du jugement des âmes n’est pas évoquée. Les dieux sontpeu présentés dans le passage, il n’y a pas d’arsenal infernal ; la parenthèse de la « peur verte » danslaquelle s’inscrit cette évocation pourrait faire penser à un cauchemar : ce serait donc Ulysse face àlui-même ou Homère exprimant sa propre vision de la mort à travers son personnage principalqui joue d’ailleurs ici le rôle de l’aède.

On voit aussi apparaître une esquisse de géographie des Enfers avec le thème de la barque nécessairepour passer d’un monde à l’autre (cf chez les Égyptiens). Cette géographie s’enrichira durant l’époqueclassique avec Les Grenouilles d’Aristophane, des mythes platoniciens, Ovide. L’Énéide latine en offreun aspect achevé. N’oublions pas Dante et sa Divine Comédie .

Le rituel pour accéder aux morts, les libations, puis le sang, évoqueraient plutôt des pratiques orien-tales anciennes. 

Tirésias se dessine comme un croquis dans une masse nuageuse rouge qui surplombe un trou noir. Ondevine peut-être Anticlée, comme un spectre au-dessus de lui. Ulysse, de dos, se tient de l’autre côté delui, un pied sur l’amphore des libations, l’épée à la main, orientée vers le bas; à ses pieds un bélier.

 Bilan Bilan

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53Séquence 2-FR01

L’ombre d’Elpénor apparaît à Ulysse, Pelike à figures rouges (vers 440 avant J.-C.).

47,4 x 34,3 cm. © Museum of Fine Arts, Boston. All rights reserved / Scala, Florence.

C La rencontre entre Ulysse et sa mère

C’est un moment extrêmement sombre et pathétique dans le chant le plus sombre de l’Odyssée . Noussituons bien maintenant le cadre : la mère vient de boire le sang noir, ce qui lui permet de reconnaître sonfils, le seul élément qui la caractérise est « tout en gémissant ». Ces retrouvailles aux Enfers entraînentdes questions de part et d’autre, auxquelles chacun va répondre : ainsi, Anticlée interroge Ulysse quilui donne les informations que nous connaissons déjà, puis l’interroge à son tour, sur les circonstancesqui ont conduit à sa mort, sur Ithaque et ses proches…

Pour réfléchir

Lisez les vers 170 à 234.

En quoi s’agit-il d’une scène pathétique ?

Relevez les caractéristiques du passage qui le font se rapprocher d’une scène de théâtre.

Mise au point

Le développement ci-dessous apporte les réponses aux questions posées.

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54 Séquence 2-FR01

Une scène pathétique

Les questions d’Ulysse le montrent comme un fils curieux qui pose des questions attendues en ce quiconcerne son interlocutrice et sa présence aux Enfers, puis en ce qui le concerne lui-même à travers lereste de sa famille et le pouvoir qu’il lui conserve sur Ithaque.

La mère inverse l’ordre des réponses et répond d’abord aux dernières questions, le rassurant sur sonépouse, son pouvoir et son fils.

Elle brosse un long tableau douloureux de Laërte supportant son désespoir tout au long de l’année.

Elle parle de sa mort, mais par allusion, car elle devrait reproduire un tableau équivalent à celui de Laërte :ici pour la morte, c’est le moment qui a précédé sa vie qui est indicible, et elle use d’euphémisme ; ellen’a donc pas connu une forme de mort habituelle et ses deux derniers vers expriment la force de sonamour maternel situé maintenant dans le passé.

Suit la tentative d’étreinte de la part d’Ulysse bouleversé qui l’interroge encore.

La mère ne peut manifester la force pourtant réelle de cet amour maternel qui l’a consumée : cette ultimesatisfaction lui est refusée comme à tous les morts. Elle exprime ceci au travers d’une généralisation quifonctionne comme la répétition désincarnée d’une leçon trop souvent répétée. La seule chose qu’ellepeut faire c’est de lui dire la vérité sur la mort afin qu’il s’en serve pour sa vie et celle de son épouse.

Et le passage s’arrête brusquement, comme si la distance entre mort et vivant était bien ce vide quis’établit, vide de geste, vide de mots, vide de sentiments, de sensations, vide d’espoir : il n’y plusd’échange possible en dehors de cette vérité que Ulysse réclame pour lui-même quand Agamemnonlui demande des nouvelles de son fils, car devant le mort qui délivre le vrai, il ne peut mentir mêmepour le soulager un peu de ses souffrances.

Le caractère dramatique du face-à-face

La scène fonctionne comme une pièce de théâtre : l’action est dans les paroles et les personnagesévoluent, du moins celui d’Ulysse

Ulysse reste un peu l’enfant face à la mère : avec une impatience un peu fébrile, il l’accable de ques-tions, plus préoccupé de lui que d’elle. La seule personne dont il veut connaître « les pensers et laconduite » est Pénélope. Il évoque les membres de sa famille comme tout soldat pourrait le faire. Il estvraiment enraciné dans la notion de biens terrestres où l’on accumule les avoirs qu’il s’agisse de bien,de position sociale ou d’affection. D’ailleurs, après la longue réponse de sa mère, il réagit impulsive-ment et veut la consoler : les deux « trois fois » en début de vers montrent sa vivacité et la déceptionface à l’échec, cette scène mimée accroit son chagrin, et il veut être consolé, il veut aussi agir pour laconsoler, comme on le voit par trois expressions différentes en fin de vers dans sa réplique suivante« t’étreindre…./ nous embrassant…../ savourer le frisson des larmes » Ce mouvement ternaire setermine par une expression particulièrement belle qui tient plus à la traduction qu’au texte original (κρϖεροιο γοοιο= gémissements glacés), montrant une gradation qui traduit bien le caractère aigu

de la souffrance d’Ulysse qui ne peut toucher sa mère ; c’est l’homme de la sensation, autre aspect dela vie qui termine en doutant qu’il s’agisse bien de sa mère : « un spectre envoyé par Perséphone ».C’est l’homme qui pense et qui exprime ses sentiments : il y a là un jeu de mots intraduisible en français,le mot grec «oduromenos » (οδυρομενοσ) étant proche de « Odusséus », le nom d’Ulysse, signifiant« qui se plaint ». Ulysse est donc celui qui vit, incarné par une identité précise, avec ses défauts et sesqualités, sa ruse, mais aussi son courage, car il est prêt à suivre sa mère chez Hadès pour la consoler.

Anticlée, sa mère, représente la mort.Elle parle comme un oracle et ne change pas au cours de la scène.On pourrait dire qu’elle est essentiellement triste. Elle apparaît en contraste avec son fils. La mort estl’absence de jouissance de tout bien : l’exemple en est le portrait pathétique de Laërte dont la vie n’estque négation, « il ne bouge pas de la campagne et ne va même plus en ville » les trois « ni » du vers189 qui montrent son refus du confort amené par la civilisation. De même, il refuse les avantages du

pouvoir et du rang en vivant comme « un serviteur » ; il n’a plus le souci de paraître comme si le respectde lui-même avait disparu. Il vit en contact avec le néant, se « consume » pourrait-on dire : « cendre…. jonchée de feuilles mortes ». Il « s’étend » prenant la position du gisant et « son deuil s’accroît depleurer ton absence ». C’est donc un glissement vers la mort entraîné par l’impossibilité d’assumer la

 Vers 170 à 179 Vers 170 à 179

 Vers 181 à 187 Vers 181 à 187

 Vers 187 à 196 Vers 187 à 196

 Vers 197 à 203 Vers 197 à 203

 Vers 204 à 214 Vers 204 à 214

 Vers 215 à 224 Vers 215 à 224

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vie. Elle demande à Ulysse de l’imaginer de cette façon-là. On peut se demander pourquoi elle ne donnepas de précision ; sans doute la vie de femme est-elle souvent moins colorée que celle des hommes. Savie s’est achevée dans un sentiment qu’elle ne peut satisfaire, « l’amour pour toi, mon noble Ulysse »devenu « regret », « souci », d’où l’absence de sentiment et de joie : il suffit de relever le vocabulairede l’affliction qu’elle emploie. Ceci devient d’autant plus tragique que dans ses retrouvailles, elle nepeut combler le manque qui a conduit à sa mort, « elle s’enfuit » : ce terme très fort est mis en rejet : lacoupure est irrémédiable mais elle ne peut en exprimer le regret, elle ne peut « savourer le frisson deslarmes ». Anticlée est donc l’opposé de son fils, sans possession qui lui donne un semblant d’existence,sans sentiment, sans sensation, sans pensée. La mort est vue comme l’expression superlative du refusde vie sur terre, ainsi Anticlée donne un moyen d’imaginer la mort. Aussi ne demande-t-elle rien pourelle, elle lui dit seulement que la vie est sur terre dans un couple conscient de cela.

La mort est alors présentée de deux façons différentes : soit on la représente en s’appuyant sur desréférences aux dieux : Artémis la sagittaire, déesse de la lune, et sœur d’Apollon, dieu du soleil quin’intervient pas dans le sombre empire. C’est la déesse à l’arc qui peut donner une mort rapide soit parblessure soit par maladie alors que le soleil est guérisseur. Anticlée aurait trouvé ses flèches « douces ».Le domaine des morts est « chez Hadès », frère de Zeus qui a le ciel, et de Poséidon qui a la mer. Il ale domaine de l’Ombre. Nous avons encore « Perséphone, fille de Zeus » et de Déméter. Enlevée parHadès, elle est devenue la déesse des ombres, c’est pourquoi Ulysse craint qu’elle ne lui ait envoyé« un spectre » qui ne soit pas sa mère. Homère n’insiste pas beaucoup sur les dieux. Le poète parle

bien plus comme un homme qui donne son avis de façon rationnelle en repoussant les explicationsmerveilleuses. On peut voir dans le tableau qu’offre Laërte une condamnation du refus de vivre. Sinon,le tableau est sans appel : tout ce qui fait le corps disparaît, « nerfs… chairs... » pour ne laisser quedes « ossements blancs » qui ne tiennent plus et l’âme « s’enfuit », « comme un songe », elle ne peutplus exercer le rôle qu’elle tenait durant la vie, donc son sort est pitoyable.

C’est donc de cette mort qu’Ulysse est venu prendre connaissance, et en ce sens il obéit à un parcoursinitiatique.

Les intentions d’Homère

Homère initie là un modèle de nékuia , évocation des morts qui inspirera beaucoup d’auteurs.Le merveilleux vient du refus de mettre en scène les éléments attendus, comme les Enfers et leurs « hérostraditionnels », la vision du bien et du mal, des élus et des damnés, même si quelques uns sont montrés.Il y a certes un rituel, mais il est très peu explicité : on a davantage des pratiques de sorcellerie, un peumacabres parfois, avec tout ce sang noir et ces ombres inquiétantes, mais si ce n’est pas plausible, c’estpeut-être un artifice pour mettre en scène une conviction profonde sans faire intervenir des êtres nonhumains, divins ou autres. Tirésias qui a précédé Anticlée est un personnage connu, le devin que l’ondoit croire (on le retrouve dans le mythe d’Œdipe) ; il présente chaque fois des vérités humaines quiretrouveront une crédibilité future, ainsi le complexe d’Œdipe reste une vérité permanente. Quelle estla faute d’Ulysse ? A-t-il mal apprécié le rôle de la mer et celui de Poséidon ? Voir sa mère morte parsa faute peut l’amener à réfléchir. Finalement, c’est la prise en charge de sa vie par une appréhension

de la condition humaine donnant de la mort une vision réaliste qui fait d’Ulysse un héros : il doit justesupporter la « peur verte » et diriger le tourbillon des ombres à l’aide de son épée.

Le mythe d’Orphée, tel qu’il apparaît au chant X des Métamorphoses d’Ovide, met en scène le poètequi charme les dieux des Enfers pour ramener sur terre son Eurydice morte trop jeune. C’est son impa-tience qui empêchera son épouse de revenir au jour : inconsolable, il deviendra le Poète qui chante sasouffrance et émerveille la nature qui l’entoure. Rien de tel ici. Le passage d’Ulysse aux Enfers n’estpas indispensable à l’Odyssée , Circé pouvait le prévenir de ce qui l’attendait. Virgile aussi conduit Énéeaux Enfers dans le magnifique chant VI de l’Énéide : il y découvrira tout l’avenir de sa famille qui vafonder Rome. Les successeurs d’Homère vont reprendre ce passage obligé aux Enfers pour en faire unévénement fondateur. Ce n’est pas le cas non plus concernant Ulysse : si la catabase fait évoluer lehéros, c’est en l’amenant à accepter la condition humaine telle qu’elle est.

La mort ici prend un aspect tragique et définitif en mettant en scène la mère d’Ulysse, celle qui lui adonné naissance et qui lui délivre ici ce message déchirant : la mort est une coupure brusque et peunaturelle, celui qui est mort n’a plus de consolation possible dans le contact avec les vivants. Il y a lemystère de cette âme qui s’enfuit tout en permettant une reconnaissance de l’ombre qui parle. Cette

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présence féminine est caractéristique de l’Odyssée , en particulier de cette partie centrale au programme.Certes, nous allons voir les héros morts de l’Iliade , mais justement pour constater que leur mort estdéfinitive. Au contraire, Anticlée rappelle le cycle de la vie et du bonheur humain, car « l’âge doulou-reux survient » (vers 196) et le bonheur est dans le couple ; la vérité donnée à Ulysse par sa mère estdestinée aussi à son épouse (vers 224).

Ce passage dégage une émotion intense qui reste intacte encore à notre époque, pour les lecteurs quenous sommes. Homère y fait preuve d’une profonde maîtrise de l’écriture, d’un art dramatique qui va

inspirer les futurs tragiques grecs. Enfin, ce récit présente un évident intérêt didactique et l’on comprendqu’Homère ait été l’éducateur des Grecs.

 En conclusion En conclusion

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L’épopée est centrée autour d’un personnage élevé au rang de héros par les faits racontés. L ’Iliade montrait beaucoup de héros, vaillants guerriers surtout grecs, mais on peut aussi y adjoindre des Troyenscomme Hector, fils respectueux, courageux défenseur de sa patrie, bon père, époux aimant ; mais le récitest orienté autour d’un héros dont dépendrait l’issue de la guerre, Achille dont Agamemnon a engendréla colère et qu’Ulysse rencontrera aux Enfers dans l’Odyssée . Ulysse peut être considéré comme le secondhéros, l’épisode du cheval de Troie n’y apparaît pas et il y est surtout connu avec l’épithète « Ulysse auxmille ruses ». Dans l’Odyssée , dont le fondement historique est bien plus douteux que celui de l’ Iliade ,il est le seul véritable héros, ses compagnons étant réduits à des silhouettes que l’on compte, rarementnommés. Les autres figures valorisées sont surtout féminines. Nous allons essayer de caractériser Ulysseen nous appuyant sur les épithètes qui lui sont appliquées et son comportement. Mais avant, un peud’onomastique ! Ensuite nous préciserons son état civil, en quelque sorte avant de le caractériser.

Pour réfléchir

Relevez les épithètes et expressions caractérisant Ulysse et faites le portrait du héros.

Mise au point

Voici les épithètes et expressions caractérisant Ulysse :

- fils de Laërte

- noble

- divin

- fameux- très célèbre

- avide de gain

- rusé

- très prudent, réfléchi

- sage

- généreux

- astucieux, ingénieux

- fort, courageux

- endurant- malheureux

- à l’âme endurante

- au cœur de lion

- à l’esprit vif 

Le développement ci-dessous constitue la suite de la réponse au travail demandé.

A L’identité d’Ulysse

Comment le voyage d’Ulysse devient l’Odyssée ?

Nous avons pu voir qu’Homère jouait facilement sur les mots comme avec le mot « οδυρομενοσ »qui le qualifie comme se plaignant. Le préfixe « dus » (=dys) désigne la difficulté, le malheur (cf. dys-fonctionnement, dyslexie), et se retrouve comme racine dans « odusseus ». Ulysse se plaint souvent, etcomme il est souvent malheureux ou en difficulté, le lecteur-auditeur doit le plaindre. Ceci est d’autantplus vrai quand Homère permet à Ulysse de raconter lui-même ses mésaventures. On pourrait aussipenser à « odos », le chemin , ce qui conviendrait bien au terme d’Odyssée et suggère un destin à

accomplir, comme une route tracée. Rappelons enfin le lien avec ουτισ, personne , dont il se sert pourtriompher du Cyclope.

P. Faure, dans Ulysse (P. 31) explique comment Odusseus et Ulysse peuvent venir du même mot : le delta(δ) et le lambda (λ ) ont un graphisme proche ; de plus les Crétois de l’époque d’Ulysse (XIIIe av. J.C.)

Le personnage d’Ulysse :un héros épique

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avaient tendance à remplacer le « l » par une sorte de « d », comme en attestent des tablettes mycé-niennes de Cnossos où l’on trouve da-pu-ri-to pour la-bu-ri(n)-tho, le labyrinthe. On trouve fréquemmentle nom écrit avec un seul –s- : Oduseus ; ce qui nous conduit à Ολιξησ, Olixès qui devient Ulixes entraduction latine d’où Ulysse en français. Il est intéressant alors de souligner qu’Homère prête souvent àUlysse des origines crétoises. Dernier élément troublant ayant les mêmes sources : rapprocher le olixèsde ολιγοσ (que l’on retrouve par exemple dans oligarchie ou oligoélément) qui veut dire petit , et nousretrouvons notre Ulysse-petit poucet devant le cyclope-ogre. Nous pouvons penser que ce nom résulted’un choix conscient d’Homère-aède, tout comme Calypso, le Cyclope etc.

Ulysse, fils de Laërte, roi d’Ithaque et héros de laguerre de Troie

a) Ulysse, fils de Laërte

«Fils de Laërte, enfant de Zeus, industrieux Ulysse » : il est désigné ainsi par Calypso au chant V,Agamemnon au chant XI. Il est donc identifié par ses origines familiales comme tous les héros grecs. Sonpère Laërte viendrait de Crète et aurait une vague origine divine. Sa mère est Anticlée. Ce qui contribueà donner de l’importance à la lignée, c’est peut-être d’avoir une lignée reconnue qui est d’origine divine.Son épouse est Pénélope, fille divine d’Icare (Ikarios), qu’il ne faut pas confondre avec le fils de Dédale(Ikaros). Son fils Télémaque, qu’il a peu connu, est à la recherche de son père, parce qu’il ne l’a pasconnu et souhaite peut-être vérifier ce qu’il entend à son propos. Ulysse affirme souvent son amourfilial : « il n’est rien pour l’homme de plus doux que sa patrie ou ses parents » (IX, v. 34-35)

b) Ulysse, roi d’Ithaque

Ulysse est né à Ithaque qui est une île de la côte occidentale de la Grèce, au nord-est de Céphallénie,dans la mer Ionienne. Ithaque existe toujours, faisant partie des îles Ioniennes, comme Corfou qui seraitl’île des Phéaciens et, effectivement, quand il est près de Cythère durant le trajet qui le mène de l’îledes Cicones, en Thrace, à l’île des Lotophages à l’est de la Tunisie, il passe près de son île natale. La

description de l’arrivée au port qu’en fait Homère est plutôt fidèle, mais bien sûr, il ne faut chercher nil’olivier, ni la grotte. Devenu adulte, Ulysse a obtenu de Laërte le trône d’Ithaque ainsi que toutes lesrichesses de la maison royale, qui viennent surtout de la terre : troupeaux, porcs, oliviers, miel peut-être,blé pour « les mangeurs de pain » :

« J’habite dans la claire Ithaque ; une montagne

la domine, le Nérite aux bois tremblants ; des îles

en nombre tout autour se pressent, qui ont nom

Doulichion, Samé, Zante la forestière ;

Ithaque est basse et la dernière dans la mer

vers les ombres ; les autres au-delà, vers l’orient ;c’est une île rocheuse, une nourrice de guerriers,

et moi, je ne connais rien de plus beau que cette terre » (chant IX)

Il ne faut pas considérer les Grecs de l’époque comme de hardis navigateurs : ils préféraient le cabotageet se méfiaient de la haute mer.

Ulysse a pour son peuple « la tendresse d’un père » selon Athéna (chant V,12). Toutefois, la royauté estune fonction qu’il ne peut plus exercer et qui repose donc sur les épaules de son fils, Télémaque quirencontre l’hostilité des prétendants ; ces derniers pillent ses biens.

c) Ulysse, un des héros de la guerre de Troie Cette guerre a rassemblé les rois grecs contre Troie, sous le commandement d’Agamemnon au retourfuneste. Ménélas, son frère, veut se venger car Hélène, son épouse, la plus belle femme, a été enlevéepar Pâris, fils de Priam, roi des Troyens. C’est Ulysse qui conduit à la victoire par l’invention du cheval

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de Troie, qu’il fait entrer dans Troie, rempli de guerriers grecs : il est donc plus célèbre pour ses rusesque pour ses qualités guerrières et l’aède aveugle Démodocos va raconter ce haut fait au chant XI à lademande d’Ulysse. À ses qualités diplomatiques s’ajoutent ses capacités d’invention. Il est « astucieux»,« rusé », « ingénieux « , « à l’esprit vif ». Il est encore connu comme « fléau des villes » et on le voiteffectivement piller les Cicones avant de devoir fuir, voler les fromages du Cyclope. Néanmoins, il admireles héros, comme le montre le chant XI, et rejette l’idée de mort sans gloire. L’Odyssée va montrer, outreses qualités physiques (endurance, cœur de lion), ses qualités intellectuelles.

À cette image familière à tous (que nous pourrions retrouver dans le chant XI, celui de la rencontreavec les morts), l’Odyssée en oppose une autre, celle du malheureux.

B Ulysse : les souffrances de l’exilé

Un héros nostalgique

Ulysse est nommé pour la première fois dans le livre V au cours du plaidoyer d’Athéna auprès de Zeus,

aux vers 1 à 20. Zeus décide des conditions de son retour et envoie Hermès, le messager, chez la nympheCalypso. Et c’est alors que, pour la première fois dans l’Odyssée , Ulysse apparaît, v. 82 et 83. Bien loind’être un guerrier vainqueur et fier de lui, il nous apparaît triste et misérable :

« … il pleurait sur le promontoire où il passait ses jours,

le cœur brisé de larmes, de soupirs et de tristesse. »

Il ne s’agit pas d’une tristesse accidentelle mais d’un accablement profond et permanent. Cette appa-rition du héros est en fort contraste avec la description qui précède, celle d’un lieu enchanteur etmerveilleux. Hermès dit de lui qu’il est « le plus malheureux » des héros grecs. La seconde apparition,aux vers 149 à 158, renforce la première impression :

« et la royale nymphe alla trouver Ulysse

le généreux, pour obéir à l’injonction de Zeus.

Il était sur le promontoire ; ses larmes n’avaient pas

séché, et toute la douceur de la vie s’écoulait

avec ses larmes ; la nymphe ne lui plaisait plus.

Il n’en passait pas moins les nuits, mais par devoir,

dans la grotte profonde : elle ardente, lui sans ardeur ;

mais, le jour, il allait s’asseoir sur les pierres des grèves

et il pleurait en regardant la mer sans moissons »

En proie à la nostalgie (selon l’étymologie : douleur causée par le désir du retour), Ulysse éprouve ainsile dégoût de Calypso et la perte du désir qu’il éprouvait pour elle. Il y a comme une inversion des rôles :là où la nymphe est ardente et pleine de désir, lui vit cette relation comme une contrainte.

Dans ce passage, l’épithète « généreux » au sens de noble, de bonne race, désigne Ulysse qui ne peutse sentir heureux s’il n’accomplit pas son devoir. L’éternité proposée à Ulysse est proche de l’existenceaux Enfers pour les morts. En effet, Ulysse ne peut connaître aucune joie et si la belle Calypso a pu dansun premier temps lui faire connaître « la joie de l’amour », ceci n’a pas duré. Les hommes ne sont pasfait pour l’immortalité et ce passage dans l’île d’Ogygie peut avoir cette valeur initiatique pour Ulysse :il a besoin de l’espérance, du but d’une vie à accomplir. Ulysse impose par le grandissement épiquel’image d’une mélancolie que l’on pourrait dire existentielle qui conduit presque à une tentation dunéant. Dans cette île paradisiaque où il trouve tout ce qu’il peut désirer, il connaît le désespoir le plus

profond, qu’il s’agisse de se nourrir, d’aimer Calypso, d’agir, de profiter des agréments du jour, d’éprou-ver des sensations… il tourne le dos à l’île depuis le promontoire et regarde la mer désignée commestérile. Cette image d’isolement absolu, de désespoir montre l’homme sur terre et l’amène à réfléchirà ce qui lui permet de se réaliser : c’est là que la nostalgie se justifie, car Ulysse à Ithaque connaissaitles fondements du bonheur humain.

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La répétition des malheurs et des deuils

La répétition semble être l’autre caractéristique d’Ulysse. Ainsi, son parcours paraît voué à êtreune succession d’échecs, bien que la situation au départ soit favorable. Bien souvent, ce sont ses com-pagnons qui sont à l’origine du drame et qui en paient les plus lourdes conséquences : ainsi le pillagedans l’île des Cicones aurait pu bien se terminer, mais « ces grands sots ne m’écoutèrent pas » et lesvoilà « heureux d’être vivants mais pleurant nos compagnons morts ». Puis, c’est « l’Ébranleur des

nues » qui déchaîne contre eux des vents et les empêche de rejoindre Ulysse. Il est intéressant de noterque le navire semble difficile à mener, à cause des voiles et de la mer, mais qu’Ulysse n’intervient pas :« On se laissa conduire par le vent et le pilote ». Avant le Cyclope, Ulysse connaît déjà le malheur surla mer, il n’a pas de pouvoir.La mer devient l’espace symbolique de tous les malheurs, dès qu’ons’éloigne des côtes connues. Et donc les voilà pour deux jours « rongés d’angoisse et de fatigue ».Nous retrouvons le même genre de malheur avec l’outre d’Éole où il est prêt à abandonner :

« réveillé, je me demandais dans mon cœur sans reproche

si j’allais me jeter à l’eau pour y périr » (chant X, v 50-51)

On retrouve ce désespoir face à la situation qui lui semble sans issue dans le chant X où Circélui prescrit d’aller aux Enfers :

« En entendant ces mots, je sentis mon cœur éclater.Je pleurai sur ce lit, et je ne voulais plus

être vivant, ni voir la clarté du soleil. » (X, 496-498)

Toutes les îles sont des malheurs en puissance comme le montre le récit d’Ulysse aux Phéaciens, et quedire de ce lieu où règne Hadès…

Parfois le malheur vient d’Ulysse : poussé par la curiosité, il entraîne des compagnons dans l’île duCyclope ; il découvre alors des obstacles à vaincre et c’est son action qui lui permet de triompher dugéant. Face à certains malheurs, d’une part, Ulysse peut agir et se révéler, d’autre part, commetout individu, il peut entraîner ses propres malheurs, car il a des postulations, des nécessités intérieuresqu’il ne maîtrise pas plus que le vent et qui le poussent là où le malheur l’attend. Il lui arrive aussi de

voir du danger là où il n’existe pas, car l’habitude du malheur le conduit à toujours être méfiant commeau chant XIII où il se méfie d’Athéna qu’il n’a pas reconnue et se fait passer pour Crétois. Cette succes-sion de malheurs qui fragilise Ulysse en fait un être humain qui pleure seul ou avec ses compagnons.On pleure de désespoir, on gémit pour exprimer sa souffrance et c’est souvent dans cetteexpression du sentiment malheureux que l’humanité s’insère. En ce sens, on peut dire qu’Ulyssen’est pas un héros tragique malgré la tristesse qui l’accompagne.

Ulysse constate le malheur des autres humains et c’est un autre aspect de son humanité : nous levoyons toujours pleurer ses compagnons morts, pauvres personnages dont le nom n’est pas donné. Ilsles pleure pour qu’ils puissent entrer dans le royaume des morts. Ainsi la première âme qu’il rencontreest celle d’Elpénor, mort d’excès de vin, Ulysse nous dit : « Mais je pleurai quand je le vis, pris de pitié.. »et plus tard il échange « ces tristes paroles » avec lui. Nous le voyons ensuite vouloir étreindre sa mère

et « savourer (avec elle) le frisson des larmes ». On peut presque dire qu’il y a un droit aux pleursconstamment exprimé dans l’Odyssée, car les larmes témoignent de la sympathie, du soula-gement que procure l’idée d’une souffrance exprimée et reconnue : c’est bien ce qui se passedevant Agamemnon et Achille qui peuvent libérer leurs griefs devant leur mort et trouvent chez Ulysseun écho compatissant. Seul Ajax restera figé dans sa rancune, malgré le désir d’Ulysse de le soulager.Notons enfin qu’Alcinoos a remarqué ses pleurs lors de la prestation de Démodocos racontant la guerrede Troie, puis l’épisode du cheval de Troie et qu’il  lui donne des présents pour avoir raconté ses«malheurs et ceux de tous les Achéens ».

Nous voyons donc que l’intention d’Homère était de montrer un héros très humain par sa sensibilité,ses doutes et sa fragilité.

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C L’endurant Ulysse

Physiquement, il n’est pas présenté comme le plus grand, ni comme le plus beau. Dans l’Iliade ,il est moins grand qu’Agamemnon et Achille. Nos chants ne comportent pas de portrait explicite. Notonsau chant VIII ce qu’en dit Laodamas, fils d’Alcinoos :

« […] il n’est pas mal bâti,

ces cuisses, ces mollets, ces deux bras au-dessus,

ce cou puissant, ce torse large : il a toute la force

de la jeunesse, mais ses nombreux malheurs l’ont brisé. » (VIII, v.134-137)

Il a alors parfois besoin d’un petit coup de pouce divin :

« Alors Pallas, fille de Zeus, le fit paraître

plus grand, plus vigoureux, déroulant sur sa nuque

une toison bouclée comme la fleur de la jacinthe. » (VI, 229-231)

Il peut ainsi prouver à Nausicaa qu’elle a eu raison de ne pas le repousser quand il était hirsute, « comme

le lion des montagnes » (VI, v.130). Il séduit Nausicaa qui le voit comme un héros, nom donné aux demi-dieux et qui voudrait bien l’avoir pour mari : « Ah, si un tel héros pouvait être dit mon époux ! » (v. 244).Son pouvoir de séduction en fait d’ailleurs un aspect essentiel du personnage épique : Pénélope l’attend,alors que Clytemnestre, ayant trouvé un nouvel époux déjà, a fait périr Agamemnon. Des nymphes aussiont voulu le garder auprès d’elles et c’est cet amour-là qui va les conduire à l’aider pour son retour. Circéa complètement perdu son pouvoir de magicienne face à lui, Calypso résiste de tout son charme et decelui de son île, Nausicaa montre une image idéalisée de la féminité qui a trouvé en Ulysse le mari quilui correspondrait. Il ne faut donc pas limiter Ulysse à la séduction de la parole.

Sa force est indéniable et nous en avons, au chant VIII, la démonstration qui augure bien de sonfutur combat contre les prétendants (il sera le seul à pouvoir utiliser son arc) quand, provoqué parEuryale :

«Là-dessus, sans quitter l’écharpe, il bondit, prit un disque

plus grand, plus gros et de loin plus pesant

que celui dont les Phéaciens s’étaient servi.

L’ayant fait tournoyer, il le jeta de sa main forte,

le bloc siffla ; […] il dépassa toutes les marques,

vite enfui de la main » (VIII, v. 186-193)

Mais il dit ensuite qu’il connaît plus fort que lui et ne défierait pas Héraclès. On le voit encore, au chantX, tuer « un grand cerf de forte ramure », montré comme « un terrible monstre » qu’il porte « sur la

nuque ». De même, seul il a pu échapper à Charybde :« Charybde engloutissait la saumure de mer ;

alors, d’un seul élan, je bondis jusqu’au grand figuier

et comme une chauve-souris m’y suspendis ; mais pas moyen

de poser le pied nulle part ou de grimper :

les racines étaient fort loin, hors de portée les branches,

de longues branches ombrageant l’écueil.

Je tins donc ferme, attendant que Charybde revomît

quille et mât ; j’espérais ; ils revinrent enfin,mais tard, à l’heure où rentre pour souper de l’agora

celui qui a jugé force différends de plaideurs :

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62 Séquence 2-FR01

alors enfin, ces poutres ressurgirent de Charybde.

Je lâchai pieds et mains et, à grand bruit,

 je retombai en plein courant près de mes poutres

et me hissant dessus, je ramai avec mes deux mains » (XII, v. 431 à 446)

Ce récit montre l’audace d’Ulysse qui a confiance en ses capacités physiques : souplesse, endurance,exactitude. C’est un athlète exercé qui peut réaliser de telles figures sans chuter. On notera l’humour de

l’allusion à la clepsydre du tribunal qui souligne la longueur des plaidoiries, plus facile à concevoir quela durée durant laquelle Ulysse est resté suspendu. Nous avons donc un héros qui maîtrise parfaitementson corps et l’espace dans lequel il se meut, aussi dangereux soit-il.

Mais c’est l’endurance qui est le plus souvent citée, qu’il s’agisse du corps ou de l’âme. Elle est souventcouplée avec le courage. Même si Ulysse se plaint, il va vers l’épreuve et accomplit sa tâche. Ainsi,au chant X, heureux du cadeau d’Éole et, ne voulant pas prendre de risques, il va tenir le gouvernailpendant neuf jours. C’est la tempête qu’il subit avant d’arriver à l’île des Phéaciens qui le montre leplus endurant, au chant V :

« Pourtant, bien qu’épuisé, il n’oublia pas le bateau :

nageant à sa poursuite parmi l’onde, il s’en saisit

et remonta dessus, pour éviter la mort.

La houle au gré des courants l’emportait de-ci de-là » (V, v. 324-327)

Puis le voilà sur une poutre:

« Alors, pendant deux jours et deux nuits, dans la houle,

il dériva ; son cœur plus d’une fois crut voir la mort. » (V, v. 388-389)

Il connaît une accalmie quand il aperçoit la terre mais à nouveau doit se battre pour y trouverrefuge :

Mais, quand il s’en trouva à la portée du cri,

il perçut un bruit sourd contre les récifs de la mer :le haut ressac grondait contre la terre ferme avec

d’affreux mugissements, et couvrait tout d’écume.

Pas un port à bateaux n’était en vue, pas une crique,

rien que des éperons, des récifs, des rochers.

Ulysse, alors, sentit son cœur et ses genoux se rompre

et, gémissant, dit à son âme courageuse » (V, v. 400-407)

Et enfin en sécurité, il ne s’abandonne pas au sommeil bien mérité, il pense d’abord à se protéger. Nousvoyons que tout est explicable, même sans intervention des dieux, mais la résistance à tantd’épreuves sur la durée a quelque chose de prodigieux, or Homère veut nous montrer qu’Ulysseveut toujours garder la maîtrise de son corps et de son esprit. Il est vraiment valeureux.

Même si pour le Cyclope, il est le petit, Ulysse est bien un héros.

D Ulysse l’ingénieux

Homère qualifie Ulysse de « polumètis », c’est-à-dire ingénieux, riche en inventions, à trois reprisesdans nos chants (V, 214 ; VII, 302 ; XI, 355). Il est Ulysse aux mille ruses, celui qui trouve toujours un

moyen pour résoudre un problème. Il peut mentir : ainsi, il se présente comme un Crétois à Alcinoos,puis à Athéna au chant XIII. Il ment au Cyclope. Le mensonge est signe de prudence ou de son aptitudeà échafauder des plans en un temps limité, comme il le fait chez le Cyclope. Il anticipe aussi en semunissant de vin pour endormir la méfiance du monstre… Dans son antre, il pense à tout malgré sasituation précaire : ainsi, il faut que le cyclope ne meure pas avant d’avoir retiré la roche qui obstrue

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l’entrée de la caverne. D’ailleurs il soupçonne aussi les autres de vouloir le tromper, que ce soitCalypso quand elle lui promet le retour, ou Circé qui l’attire dans son lit : il craint alors pour sa virilité.Même aux Enfers, devant l’impossibilité de serrer son ombre de mère dans ses bras, il envisage un piègede Perséphone. Laissons la parole à Athéna au chant XIII :

« Il serait fourbe et astucieux, celui qui te vaincrait

en quelque ruse que ce soit, fût-il un dieu !

O malin, ô subtil, ô jamais rassasié de ruses,ne vas-tu pas, même dans ton pays abandonner

cette passion pour le mensonge et les fourbes discours ? » (v. 291-295)

Giono dans La naissance de l’Odyssée va retenir cet aspect d’Ulysse pour mettre en doute sonOdyssée.

Cette habileté à se servir de la parole pour mener à bien ses entreprises se retrouve dans son savoirfaire : on pourrait dire de lui qu’il est « l’homme aux mille métiers », car il sait tout faire, tout fabriquer,tout appliquer. Il n’est sans doute pas un expert en navigation, car il se fie au pilote et aux vents, maisil sait construire un bateau, comme il le fait dans l’île d’Ogygie, quand Calypso lui fournit les outilsnécessaires ; il sait construire des outils, comme il le fait dans la grotte du Cyclope. On peut penser

que le roi à cette époque était celui qui maîtrisait tous les savoirs et les savoir-faire. C’est pourquoi levoyageur malgré lui qu’il devient développe une technique pour explorer les îles : il regarde de haut, ilenvoie des émissaires, etc. Il montre la même maîtrise dans les relations humaines et l’on peut admirersa délicatesse vis-à-vis de Nausicaa, quand il s’agit de ne pas la compromettre.

De ce fait, il montre une grande curiosité : c’est elle qui le fait aller chez Polyphème, au chant IX.Certes, il peut espérer des cadeaux de bienvenue qu’il n’a pas dans l’île inhabitée, mais c’est surtout ledésir de comprendre qui le pousse à dépasser sa condition de mortel inhibé par la crainte de ce qu’ilne connaît pas. Ainsi il va aux Enfers pour connaître son avenir, au chant XI, et va en profiter pouren savoir un peu plus, les Homérides en ont profité pour en dire un peu plus…. sur « les femmes oufilles des seigneurs » après l’entrevue pathétique avec sa mère, sur les supplices si célèbres des Enfersaprès les ombres des Achéens qui ont combattu contre Troie. S’il prend des précautions pour ne pas

être piégé, il ne résiste pas au désir de connaître comme le montre l’aventure avec les Sirènes qu’il« brûlai(t) d’écouter » « malgré les os des corps décomposés dont les chairs se réduisent » qui lesentourent. Circé lui a dit « la joie d’entendre les Sirènes », il bouche donc avec de la cire les oreillesde ses hommes et leur dit : « liez-moi par des liens douloureux» (XII, v.160). Quels sont les objets deleurs chants ? La guerre de Troie, la terre féconde… « Puis on repart, charmé, lourd d’un plus lourdtrésor de science » et celui qui sait meurt à moins d’avoir déjoué le charme. La curiosité d’Ulysse estlouée par Homère, car elle montre un homme qui veut dépasser sa condition, en restant humbleet sans offenser les dieux auxquels il fait toujours des offrandes et dont il respecte le culte. C’est unhomme qui veut progresser dans la compréhension du monde comme il a progressé dans la maîtrisede l’élément liquide : en fait, seul, il assure sa survie dans la mer déchaînée et son accostage dans l’île,ce qui ne semblait pas possible au départ.

La valeur intellectuelle d’Ulysse se révèle enfin quand il se fait aède pour raconter son périple à Alcinooset aux Phéaciens : ils ne se lassent pas de l’entendre, le récompensent et prolongent son séjour chezeux. Il s’agit d’un récit autobiographique ! Nous connaissons bien les pièges qui guettent ce genred’entreprise. Dit-il la vérité ? Nous pouvons dire que l’enchaînement est crédible, nous le voyons maî-triser même diverses voix : ainsi pour les Sirènes, nous avons les conseils de Circé (XII, vers 39 à 54)puis ce qu’il en dit à ses hommes (v.154 à164) puis son expérience (XII, v. 170 à 200) : il tient ainsi sonauditoire en haleine et, tout en lui facilitant l’écoute par des répétitions, il met en scène différentessituations. Aussi, quand ses hommes ne l’écoutent pas lors de l’escale dans l’île du Soleil où ils tuentles vaches sacrées, ils sont coupables car ils avaient pu vérifier la justesse des conseils de Tirésias etde Circé par l’épisode des Sirènes. Bien sûr, nous pouvons dire que c’est un artifice littéraire et que lebrillant aède est Homère, ce serait oublier que c’est Homère qui veut que son héros soit aussi un brillantpoète, capable de maîtriser son histoire pour la raconter clairement et la faire ressentir à son auditoire

fort ému. Il s’agit bien de faire de l’homme un héros parce qu’il sait se comprendre, comprendre sonmonde et partager avec les autres les connaissances qu’il détient. De plus, cette narration permet auvoyageur malgré lui de maîtriser ce qu’il a vécu. Enfin l’apprentissage de la condition humaine qu’ilen retire peut servir les autres.

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Si Ulysse a quelques défauts –menteur et voleur par exemple–, du moins pour les lecteurs que noussommes, il émane de son histoire, qu’elle soit racontée par Homère ou par lui-même, le portrait d’unhomme exceptionnel, propre à valoriser la situation de l’homme sur terre. Ses qualités exceptionnelles luifont mériter le nom de héros, mais pas du tout dans le sens mythologique du héros mi-homme, mi-dieucomme Héraclès : en effet, il reste un être qui n’a rien de surnaturel, qui se présente avec humilité et quiaspire uniquement au bonheur humain qu’il contribue d’ailleurs à exprimer dans les accents lyriquesde son éloge d’Ithaque, par exemple. Il servira de modèle à Virgile pour le « pieux Énée » qui mèneraaussi son périple depuis Troie dans la Méditerranée, connaîtra Didon qu’il va abandonner, ira aux Enferset fondera Rome. Ulysse est l’homme du retour, celui qui revient « plein d’usages et raison / vivre entreses parents le reste de son âge. » Du Bellay montre bien la valeur de ce retour malgré la modestie quil’entoure. C’est aussi l’homme du couple idéal et ces chants qui le montrent souvent en compagnieféminine amène une réflexion pertinente sur ce sujet qui fera toujours couler beaucoup d’encre…

 Bilan Bilan

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A Les hypothèses à partir de la lecture des chants V à XIII

Pour réfléchir

Est-il possible de créer des liens entre les diverses aventures ?

Peut-on se représenter les différents êtres qu’Ulysse rencontre ?

Existe-t-il une progression dans les dangers ?

Ulysse évolue-t-il ou reste-t-il ce qu’il était au départ ?

Mise au pointProposition de développement :

Beaucoup d’érudits se sont penchés sur le texte. Les peintres à toutes les époques ont voulu donnerleur vision. Il est difficile donc d’être exhaustif. Il est important également de s’approprier un texte enfaisant son propre choix de lecture. Après avoir cherché à décrypter toutes les étapes de cette odyssée,nous verrons si nous pouvons tenter une réflexion générale sur les lieux puis sur les personnages.

Les ennemis et les amis de l’ordre humain

a) Les Cicones

Les Cicones, peuple allié des Troyens, se trouvent sur la côte sud de Thrace : ce trajet qui fait remonterUlysse vers le Nord au lieu d’aller vers le sud peut évoquer le cabotage qui permettait aux Grecs de nepas s’éloigner de la côte. Ulysse met en cause les vents. Défaits, les Achéens d’Ulysse partent avec desbateaux dont voiles et mâts sont abimés.

b) Les Phéaciens

L’île de Phéacie est habituellement reconnue comme Corfou. Ulysse y parvient après un second naufragedans lequel il se sera montré plus efficace. C’est un autre paradis, plus désirable que celui de Calypso :celui d’une civilisation idéalement raffinée dans une nature enchanteresse: de beaux palais somptueux,des richesses visibles utilisées pour un art de vivre, une vie saine et agréable, où les arts occupent une

place de choix, comme le souci de son apparence ; Nausicaa lave le linge fait d’étoffes luxueuses etdouces, les jeunes gens se livrent à des jeux sportifs, dansent, écoutent l’aède et apprennent agréa-blement... L’harmonie se retrouve aussi au niveau social et politique avec un roi assisté de « gouver-neurs » et de « conseillers », et le souci de la paix existe à tous les niveaux : familial, social, politique,religieux : ainsi, Euryale qui a lancé un défi à Ulysse s’excuse et fait un don, puis Poséidon mécontentsera respecté désormais. Cette utopie pourra servir de modèle à bien d’autres, l’Atlantide de Platon ouL’Utopie de Thomas More peut-être. Mais nous avons plus près de nous l’Eldorado de Voltaire dansCandide . Candide quitte aussi cet eden avec de nombreux présents, parce que Cunégonde lui manque.Ici, Ulysse outre des lieux idylliques, avec ce fleuve paisible et cette ville merveilleusement conçue,trouve une possible épouse idéale. Mais l’existence de Nausicaa ne fait que le conforter dans son désirde revoir Ithaque, Pénélope et Télémaque. On peut voir dans le couple royal l’image d’un bonheur que

rien ne peut entamer. Ils vivent d’une façon aussi raffinée que les dieux de l’Olympe ! L’harmonie règnepartout, parce qu’ils sont respectueux de la loi, de la morale et qu’ils maîtrisent bien l’élément marin…C’est presque l’idéal des Lumières ou comme on le cite souvent : «Là tout n’est qu’ordre et beauté /luxe, calme et volupté » ( « L’invitation au voyage » dans Les Fleurs du mal de Baudelaire). N’oublionspas la richesse et l’éclat de la civilisation mycénienne et d’autres civilisations méditerranéennes.

Un voyage à la rencontre de lieux et depersonnages : un parcours initiatique

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Les magiciennes

a) La nymphe magicienne Circé

Ulysse revient vers l’est, à peu près au centre de la côte occidentale de l’Italie. La littérature connaî-tra bien d’autres philtres, que ce soit dans les contes de fées ou les romans celtiques. Les romans descience-fiction ou fantastiques retiendront cette idée d’élixir possédant des vertus particulière : ici, ils’agit d’une plante dont la fleur est blanche et la racine noire. Le Moyen Âge parlera de la racine demandragore. On a évoqué plusieurs explications : la mise en esclavage, la « coupe de la volupté »(Héraclite) dans laquelle se vautrent les sots compagnons d’Ulysse dont la sagesse lui permet d’éviterla tentation. Hermès représente alors le dieu sage qui pousse à raisonner : ce qui en fait un bon mes-sager, comme nous l’avons vu chez Calypso. L’herbe (μολυ) qu’il donne représenterait cette sagessequi pousse Ulysse à se méfier et à raisonner. Pour les pythagoriciens et les néo-platoniciens, il s’agit del’idée de métempsychose, à savoir que les réincarnations des hommes ayant mené des vies dissoluesse feraient sous la forme d’animaux symbolisant leur vice.

Enfin, Circé, qui fait partie du monde des dieux, vit sans hommes parmi des animaux dénaturés, étrangesavec leur apparence sauvage et leur docilité domestique. Elle vit dans un palais et reçoit de façon trèscivilisée en apparence. Cependant, cet aspect civilisé est trompeur. Circé habite un lieu sauvage. Lesarbres sont des chênes, à la différence des arbres nommés au chant V. Or, dans la culture grecque, le

chêne a à voir avec la vie sauvage. Ces chênes fournissent des glands pour les hommes transformésen animaux. Les fauves, lions et loups, tiennent lieu de gardes fidèles et font trembler les hommes del’équipage d’Ulysse. Ce thème de la magicienne entourée d’animaux sauvages domptés sera abon-damment repris par la littérature médiévale ainsi que, plus récemment, par les concepteurs de dessinsanimés japonais. Circé sera à son tour soumise à Ulysse et le servira en lui permettant de devenirl’homme exceptionnel qui a pu apercevoir les Enfers et en revenir : est-ce dû à sa grande sagesse ? Làencore, les événements qui vont suivre montreront la bêtise des peu prudents compagnons… car Circéa annoncé tous les dangers et expliqué comment y échapper.

b) La nymphe Calypso

Son île est plus difficile à situer, puisqu’Ulysse y arrive après un naufrage. Elle se trouverait du côté deGibraltar, aux confins du monde connu, là où Atlas tient le monde sur ses épaules… Elle vit dans lesecret, semble-t-il, à l’abri des regards, comme l’indique son nom venant du verbe καλυπτειν ( cacher) .Son habitation aussi magnifique que celle de Paul et Virginie est une grotte naturelle disposée dansun cadre enchanteur. Ulysse refuse cette vie immortelle faite de bonheur caché et lui tourne le dosdepuis son promontoire. On peut faire un lien avec la condamnation des coutumes sauvages, ferméesaux autres des Cyclopes et des Lestrygons. Elle intervient avant Nausicaa et sa belle île : toutes deuxvivent dans des endroits paradisiaques mais celui-ci est condamné comme obsolète et contraire à lacivilisation. Ulysse refuse aussi l’immortalité et ce qui l’accompagne, l’absence de projet, car « l’ennuinaquit un jour de l’uniformité ». C’est déjà le spleen.

Les pourvoyeurs d’oublia) Les Lotophages

Après neuf jours de mer, Ulysse aborde le pays des Lotophages : il s’agirait de l’île de Djerba, selonVictor Bérard, et le lotus serait le palmier dattier, ou une sorte de nénuphar comparable au lotus duNil. Pour Jean Cuisenier, il s’agirait du jujubier. Héraclite y voit l’idée de la « jouissance exotique prèsde laquelle il passe en se dominant ». Nous pouvons imaginer une plante exotique certes, mais aussiretenir qu’Homère exprime peut-être la lassitude de ces combattants qui, trouvant un pays agréable,y restent. Ulysse remonte alors logiquement vers le nord, mais se trompe de cap et remonte à l’ouestde l’Italie.

b) Les Sirènes

Elles aussi ouvrent la voie (et la voix) à un imaginaire très prolifique en littérature comme en art (MarcChagall, Lithographies, 1974). Magiciennes aussi par leur chant ensorcelant qui rend les marins fous,anthropophages, si l’on en croit les ossements qui les entourent, cachées dans un pré fleuri, elles

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occuperaient un endroit de la côte tyrrhénienne, des îles qui portaient le nom de Sirénuses : une grotte,visible uniquement de la mer serait emplie d’ossements de marins. Leur chant pourrait s’expliquer parle passage du vent dans des formations rocheuses chaotiques qui joueraient le rôle d’instruments demusique. Homère ne les décrit pas comme les monstres mi-hommes mi-oiseaux qu’elles deviendrontensuite. Eustache de Thessalonique (1110 -1194), érudit byzantin voit dans la cire la représentationdes leçons du maître qui permettent aux disciples d’être protégés par la sagesse. Quant au maître, ilécoute les belles voix extérieures et dangereuses en prenant les précautions nécessaires. On peut faireun parallèle avec les Lotophages.

Les figures extrêmes de la sauvagerie

a) Les Lestrygons 

Leur île est proche de celle des Cyclopes quant à l’apparence mais se situerait en Sardaigne et ilsprésentent les mêmes caractéristiques quant à leur relations avec les hommes : ils en vivent isolés etne les connaissent pas. Mais, au lieu de vivre en solitaires, ils ont une société organisée avec à sa têteun roi. Nous pouvons penser qu’Homère s’amuse à reprendre des motifs fantastiques en les modifiant.Ce monde du bout du monde faisait peur comme l’Amérique faisait peur avant d’être explorée. Leuranthropophagie peut évoquer des pratiques de peuples très anciens.

b) Le Cyclope Polyphème

Son œil rond évoque, pour tous, depuis l’Antiquité, le volcan, qu’il s’agisse de l’Étna ou du Vésuve,ou encore qu’il se trouve du côté des îles Égates. Sur cette île se trouvent des chèvres en abondance :s’agit-il d’une évocation de Capri ? Nous nous trouvons là entre la Sicile et l’Italie. Héraclite voyaitdans Polyphème le « sauvage emportement de chacun de nous, celui qui dérobe le jugement ». Ulysses’est alors éloigné de la civilisation (en opposition avec le paradis civilisé auquel il aboutit chez lesPhéaciens). On peut aussi penser aux Géants ou aux Titans qui s’opposèrent à Zeus. Notre époque abien ses mystères avec l’île de Pâques !

c) Charybde et Scylla Elles représentent le détroit de Messine, selon toute vraisemblance, La première du côté de la Sicile,la seconde, du côté de l’Italie. Elles sont représentées comme des monstres, l’une, tourbillon vivantengloutissant tout ce qui passe à proximité ; l’autre, « la terrible aboyeuse », créature ayant six têtesde chien ( ?). Pour Héraclite, cette dernière symbolise « l’impudence aux mille visages » et l’on com-prend bien alors qu’elle soit entourée de chiens aux museaux qui se hérissent de rapacité, d’audace, deconvoitise » tandis que Charybde est « la débauche dépensière, insatiable de beuveries ». Selon Bérard,elles correspondent aux mots étrusques signifiant « roche » et « trou ». Pourquoi pas une pieuvre ? Lescôtes rocheuses ont toujours stimulé l’imagination fantastique.

Les lieux où règnent des dieuxa) L’île d’Éole 

Elle peut être identifiée aux îles Lipari ou éoliennes. Ce serait une sorte d’île flottante où il y auraitpeut-être de la pierre ponce…. Il est certain que l’emplacement de ces îles laisse supposer de fortscourants qui vous ramènent au point de départ. De là à se figurer qu’elles soient maudites, le pas estfacile à franchir. On a aussi pu établir que certaines îles comme la Crète s’enfonçaient tantôt dans unsens tantôt dans l’autre, sur des siècles bien sûr. Étant donné que Poséidon est l’ébranleur des terres,il est juste d’imaginer que les îles puissent bouger, d’autant plus que les bords de la Méditerranéeconnaissent une activité sismique régulière.

b) Les Enfers

 Le pays des Cimmériens est le pays le plus mystérieux, pays où « on se laissa conduire » par levent « compagnon que nous donnait Circé aux beaux cheveux, la redoutable à voix de femme », le

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Borée (vent du nord). On ne sait pas s’ils y parviennent de nuit ou si l’ombre vient de ce que le soleiln’y pénètre pas. Nous sommes bien dans un pays imaginaire qui correspond sans doute à une certaineidée de la représentation de l’univers pour les Grecs, partagé entre les trois grands dieux qui sont Zeus,Poséidon, Hadès. Le ciel a ses mystères, tout comme le domaine de l’eau, mais le pays des morts nedoit pas être visité par les vivants ; cependant la terre est leur domaine partagé, en quelque sorte, d’oùl’idée que de la terre, on puisse accéder au domaine infernal. Circé a des explications plus complètesqu’Ulysse qui se laisse conduire :

« Mais, lorsque ton navire aura traversé l’Océan,tu verras un rivage plat et les grands bois de Perséphone,

des saules aux fruits morts et de hauts peupliers.

Échoue là ton bateau, près des remous de l’Océan,

puis va trouver Hadès en son palais de pourriture.

Là-bas, dans l’Achéron le Pyriphlégéthon se jette

et le Cocyte issu des eaux du Styx ;

il s’élève une roche au confluent tonnant des fleuves :

tu t’en approcheras, héros, selon mon ordre.Là creuse un trou d’une coudée carrée » (X, v. 508-517)

Et Ulysse, qui habituellement répète les paroles prédictives, reste mystérieux devant cet endroit caracté-risé par la brume et l’ombre, où errent « les têtes sans force des morts ». Il s’agit d’un pays symboliquequi n’est pas inspiré à Homère par un lieu réel.

c) L’île du Soleil

Cette île se trouverait au sud de la Sicile et les bœufs du Soleil seraient des représentations du temps.Porter atteinte à ces biens sacrés menacerait l’ordre du temps. Faut-il faire une relation avec la légendedu Minotaure ? Le taureau était honoré en Crète et dans de nombreux autres endroits.

Incontestablement, le périple d’Ulysse le conduit dans une mer qui ne peut être que la Méditerranée; cecicorrespond bien avec l’idée d’un auteur qui aurait forgé son imaginaire sur un bateau de commerce (voirla biographie d’Homère). La carte (chapitre 1) établie par Victor Bérard en 1924 dans son introductionà l’Odyssée présente une certaine vraisemblance, mais doit-on situer les lieux avec cette rigueur-là ?Que dire enfin de cette galerie de personnages ? Nous allons, dans un premier temps, considérer leslieux dans leur ensemble puis les personnages.

B Des lieux imaginaires

Imaginer l’inconnu

Homère connaissait les îles et certaines voudraient bien se glorifier de l’avoir hébergé et enchanté, mais lemonde méditerranéen connu est celui de l’orient ; en promenant Ulysse vers l’occident, le soleil couchant, notre aède s’ouvrait des perspectives infinies. Il pouvait puiser à de nombreuses sources pour créer sonunivers. Quand il écrit Un roi sans divertissement , qu’il situe dans la région de Manosque et des Alpesdu sud comme beaucoup de ses romans, Giono, grand lecteur des classiques et donc d’Homère, inviteson lecteur à s’imaginer en Écosse au son du bag-pipe. L’aède devait enchanter son public et donc luipermettre de le suivre dans son univers fictif sans l’ennuyer par des banalités. C’est l’essence même dela littérature, amener le lecteur, ou l’auditeur dans le cas d’Homère, à retrouver dans un univers parallèle

des éléments qui lui permettent de réfléchir sur son monde. Il veut aussi l’amener à s’intéresser à cequ’il ne connaît pas, le faire frémir devant l’inconnu. C’est l’attirance pour le fantastique, d’autant plusprégnant s’il se situe dans une sphère d’un éloignement faible. Ainsi, l’Amérique avant d’être découverteétait vue comme un lieu proche des Enfers, l’an 1000 avait fait craindre des catastrophes (et même l’an

 Bilan

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2000 !). Le Grec est surtout un homme de la terre, du continent , un « mangeur de pain » ; or, la Grèceest entourée de nombreuses îles, souvent groupées en Ioniennes, Cyclades et autres, et Ulysse habitantIthaque cherche à joindre, selon Homère, la plus occidentale des îles ioniennes, donc de la Grèce et doitpasser le cap Malée au sud du Péloponnèse. Justement, la défaite contre les Cicones et le vent ne luiont pas permis de remonter vers le nord ; voilà le début de l’aventure. Les Grecs aimaient le cabotagerassurant et craignaient le mystérieux grand large. Forcer Ulysse à y aller, c’était, par conséquent, ouvrirla porte à de nouvelles habitudes, de nouvelles pensées (on pourrait comparer cela à la découverte del’espace) dans un ouvrage plaisant.

Pour imaginer cet inconnu, Homère dispose des différentes connaissances et légendes connues grâceaux marins et venant des civilisations méditerranéennes : celles de Grèce (crétoise, mycénienne, puiscelle des cités-états de l’époque homérique soit 800 av. J.C.), d’Orient (babylonienne, assyrienne, hittite,hébraïque, phénicienne), d’Égypte. Tous ces noms évoquent richesse, raffinement, culture élaborée.Rappelons-nous les neuf couches identifiées sur le site archéologique de Troie : la Troie de l’Iliade seraitla septième couche. Les éléments qui vont lui permettre de la décrire sont méditerranéens : la mer,l’olivier, les chèvres, la montagne.

Des lieux symboliques

Les lieux sont toujours décrits de façon expéditive, Homère ne s’attarde pas à dessiner un décor précis : ildonne les éléments nécessaires pour créer une impression d’ensemble presque immédiate, et aussi pourrendre crédible l’action. La rencontre avec Nausicaa est tout à fait plausible : après une côte rocheusepeu accueillante, le havre de paix que constitue l’embouchure du fleuve, là où il est commode de laverdu linge, car l’eau abondante s’y renouvelle. De plus, des galets bien propres permettent de l’étendre.Ceci se vérifie dans toutes les péripéties du voyage. Que penser du « mur / de bronze infranchissable »de l’île d’Éole ? Est-ce l’effet du soleil sur une roche particulière ? Nous voilà dans un inconnu presquesurnaturel bien qu’imaginable. Certains éléments se retrouvent plusieurs fois : l’ olivier est souventévoqué : le pieu qui sert à crever l’œil du cyclope est découpé dans un tronc d’olivier, Ulysse s’endortau bord du fleuve dans un « berceau d’olivier », il se retrouve endormi au pied d’un olivier au portd’Ithaque. Cet arbre, symbole de paix et source alimentaire, symbolise la présence d’Athéna, face à la

mer stérile de Poséidon. Signalons aussi la grotte : demeure de Calypso, du Cyclope, on la retrouve àl’arrivée d’Ulysse à Ithaque. On en voit aussi le motif pour Charybde et peut-être les Sirènes. Elle repré-sente quelque chose de caché, de secret, et pour Ulysse il ne convient pas d’y rester. Le bestiaire occupeégalement une certaine place dans chaque épisode : ainsi les animaux incongrus de Circé ! Ils peuventaussi être comestibles, trophées de chasse comme le cerf dans l’île de Circé, chèvres ou moutons, ou bienservir de support à l’imagination, comme les oiseaux, très présents dans l’île de Calypso, nous aidantà imaginer le déplacement d’Hermès « tel le goéland ». Par contre, les poissons sont rarement cités. Ilscontribuent souvent à donner de l’île une image favorable ou non, inquiétante, rassurante. L’île elle-même est symbolique par l’espace clos qu’elle détermine et la vie particulière qui s’y développe à l’abrides influences extérieures : chaque île devient le symbole d’un choix de vie et son aspect peut recoupercelui de ses habitants, comme « le pays des hors-la-loi » des Cyclopes dont on a vu que la descriptionpouvait évoquer une île montagneuse avec une crête boisée. Que dire de l’île des Lestrygons où « les

chemins du Jour sont près des chemins de la Nuit » ? Certains symboles nous échappent. Il ne s’agit jamais de la vision que donne des îles le tourisme moderne ! Enfin, la mer est l’espace de prédilectionde cet univers symbolique, souvent « vineuse » ou « violette », elle se caractérise par sa violence et sestempêtes amenées par les vents. La « lame » semble vivante, animée des intentions destructrices dePoséidon. On parle du dos de la mer sur laquelle s’engagent les « nefs arquées » ; sinueuse, vipérine,associée à la pieuvre, elle constitue un univers de danger essentiellement par les profondeurs qu’ellecache, et elle impose au héros un parcours chaotique.

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C Une galerie de personnages imaginaires

Héraclès au cours de ses douze travaux doit vaincre des monstres ou des situations monstrueuses.L’époque où il se situe est celle de la préhistoire par rapport à Ulysse et il appartient au groupe deshéros qui sont des demi-dieux, étant fils des amours illicites de Zeus et Alcmène. Qui doit-il vaincre ? Lesanglier d’Érymanthe, le lion de Némée, l’hydre de Lerne, les écuries d’Augias, le chien Cerbère aux Enfers.

Mort, il a une place aux enfers selon l’Odyssée , mais aussi une place au milieu des dieux immortels.Ulysse choisit la condition humaine et son statut reste toujours celui d’un homme, le petit par rapportau Cyclope, au contraire, Héraclès est un géant, plus intelligent certes que le cyclope, qui va affronterconsciemment les monstres. Ulysse ne sait pas ce qu’il affronte à l’avance et on pourrait aussi faire leparallèle avec Œdipe qui doit résoudre l’énigme du Sphinx. Ces comparaisons nous conduisent à nousinterroger sur les intentions d’Homère face aux personnages qu’il amène Ulysse à rencontrer. Ulysseest un personnage neuf dans cet arsenal plus ou moins mythologique et ses adversaires seront aussinouveaux. Essayons de les caractériser.

Les monstres

Contrairement à ce que montre parfois l’iconographie, il y a peu de monstres en apparence, du moinsdécrits ; la monstruosité relève plutôt de la cruauté, de la brutalité, de l’absence de toute humanité etcivilité. C’est un contre-modèle de l’humain qui relève d’un passé mythique ou d’une absencede rapport sociaux ou encore de la représentation de certains dangers présents dans la  nature. Homère se contente souvent d’épithètes et de quelques éléments pour les suggérer. Nous nereprendrons pas en détail ce qui à été évoqué en première partie. Prenons l’ « aboyeuse Scylla », ellen’est pas décrite réellement mais l’épithète suggère la hargne et l’agressivité. C’est son pouvoir detueuse horrible qui est montré et Ulysse raconte :

« et cependant, Scylla ravissait au profond navire

six compagnons, les meilleurs bras et les plus forts. […]

 je ne vis que leurs pieds et leurs mains au-dessusenlevés dans les airs ;ils m’appelaient encore,

criant mon nom pour la dernière fois avec tristesse.

Comme quand un pêcheur avec sa longue canne,

 jetant d’un promontoire aux petits poissons son appât,

lance à la mer la corne d’un bœuf campagnard,

en attrape un et le sort palpitant de l’eau,

ils palpitent, enlevés en l’air vers la roche.

Là, le monstre les dévora devant son antre, hurlants,tendant les bras vers moi dans une affreuse lutte » (XII, v. 245-257)

C’est la comparaison qui est développée, elle appartient au domaine du quotidien, avec cette imagepaisible du pêcheur. Mais si nous changeons les proportions et que les poissons sont des hommes, noussommes amenés à avoir une idée de la monstruosité de Scylla par analogie : elle est comme le pêcheurpour le poisson, impossible à voir, dominatrice et sûre de son piège, la ligne est une de ses tentaculeset elle en a six, elle est complètement indifférente aux hommes qu’elle fait mourir. On retrouve cettemême indifférence et inhumanité avec le même gigantisme chez le Cyclope qui démembre deux hom-mes comme s’il s’agissait de poupées et les mange crus après que leur cervelle « en giclant mouille lesol ». De même, les Lestrygons simulent l’hospitalité pour piéger les Grecs ; et Antiphatas, l’époux de lagéante, « en broie un pour son repas », opération culinaire courante avec d’autres ingrédients ! Citons

encore Charybde, bouche énorme qui « quand elle engloutit la saumure de la mer, apparaît en dedanstroublée » Voilà des géants anthropophages qui mangent la chair humaine crue. Homère souligneaussi l’impossibilité de se défendre ou d’être défendus pour ces guerriers qui veulent mouriren héros. Angoisse de la dévoration ! Terreur et pitié devant le sort de ces hommes qui ont rencontré

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l’inhumain absolu ! Autre situation, celle de ces hommes qui n’ont pas été mangés par les Sirènesmais dont il ne reste que des os épars garnis encore d’un peu de chair : sont-ce les reliefs d’un repasmacabre ? Ils sont là, dans un pré de fleurs… Cette inhumanité n’est perçue que par les hommes,elle existe comme à l’état naturel. Heureusement qu’elle se cantonne dans des îles lointaines…En regard, l’ogre de Perrault qui invite ses amis et pour qui sa femme fait la cuisine paraît bien civil.On peut évoquer des rites anciens ou des pratiques anthropophagiques anciennes ou encore le tributhumains que les Athéniens devait fournir au Minotaure. Mais ici, il n’y a aucune justification. L’hommeest réduit à servir de nourriture et c’est cela qui fait la monstruosité de ces êtres. La seule issue est lafuite et les pleurs pour les morts.

La magie et le surnaturel divin

La magie est peu représentée et peut jouer dans les deux sens, magie noire et magie blanche. Circé « laredoutable à voix de femme » en est la représentante essentielle avec sa baguette et son breuvage quimétamorphose les compagnons d’Ulysse en porcs, leur fait oublier la patrie. Elle est fille d’Hélios (lesoleil) et d’une Nymphe, fille d’Océan. Son nom désigne un oiseau de proie et donc elle enferme sesproies dans un cercle qui les retient prisonnières et leur ôte tout leur naturel, ainsi les lions sont deve-nus doux et les porcs perdent toute apparence humaine, sauf l’esprit, ce qui entraîne leurs larmes. Elle

habite un magnifique palais avec des servantes, mais au fond d’un val sauvage. Cette représentationd’une magicienne entourée d’animaux sauvages séduira beaucoup le Moyen Âge. Grâce au méfiantEuryloque et à Hermès, Ulysse utilise à son tour la magie contre elle qui se métamorphose en femmesoumise. Elle devient la bonne fée d’Ulysse et de ses compagnons qu’elle accueille pendant un an. Cequi est intéressant ici, c’est la transformation psychologique comme si Circé la nymphe transgressaitson personnage de magicienne en devenant humaine. Est-ce l’amour qui l’a transformée ? Toutefois,il s’agit surtout d’amour physique. Ou est-ce le fait que son breuvage ait trouvé un contrepoison ? Entout cas, la régression à laquelle elle contraignait ses victimes s’inverse pour elle en enrichissementhumain. Elle accède aux sentiments : « Circé même s’attendrissait » (X, v. 399) alors qu’elle rend lesporcs à leur condition d’hommes et qu’elle observe l’émotion qui accompagne ce retour. Ensuite, elle jouera aussi le rôle de « passeuse » puisqu’elle permettra à Ulysse d’aller aux Enfers, et celui de pro-phétesse puisqu’elle lui expose les dangers qui l’attendent et la façon de les déjouer. Nous voyons

donc en Circé un personnage très ambigu qui gagne en humanité au contact d’Ulysse. Peud’autres éléments magiques se trouvent dans l’Odyssée , mais citons encore l’outre des vents d’Éole, oul’écharpe d’Ino (ou Leucothée). Là encore, les dieux ou êtres divins se laissent attendrir par les hommes.Ils le font encore en inspirant aux hommes des comportements. C’est « la double postulation ». Ainsi,Nausicaa voit en songe une amie qui lui conseille d’aller laver le linge là où se trouve Ulysse après latempête qu’il a affrontée. C’est encore Hermès qui apparaît à Ulysse sous les traits « d’un jeune homme/ à sa première barbe, dans le charme de cet âge », jeune homme qui par sa présence insolite danscette île aux animaux mérite d’être écouté. Mais c’est Athéna qui se métamorphose le plus souventpour aider Ulysse : ainsi, elle vient sous l’aspect d’un « enfant portant sa cruche » à Ulysse qui vagagner le palais du roi Alcinoos, d’un pâtre lors de son arrivée en Ithaque… Homère lui donne aussides pouvoirs particuliers, comme de faire paraître Ulysse plus beau une fois lavé et habillé, de le cacherdans une nuée, de lui permettre un vent favorable comme les autres nymphes. Tout ceci s’exprimeraitdifféremment à notre époque, comme une intervention de la chance ou comme l’aboutissement d’uneréflexion intérieure ou comme la traduction d’une impression. Quand les dieux sont mis en scène, leshommes ne sont pas là. Ils n’assistent pas à l’assemblée des dieux, Ulysse ne voit pas Poséidon revenird’Éthiopie. Une seule exception : l’apparition d’Athéna à Ulysse au Chant XIII. C’est Homère qui donnece pouvoir aux dieux, mais en même temps, il semble vouloir montrer que c’est à l’homme avant toutde mettre en avant ses aptitudes et de maîtriser son destin. Ainsi Calypso l’aide en lui donnant les outilset la toile nécessaires à la construction du bateau. Mais ces objets n’ont rien de divin, le seul mystèreconsiste dans leur présence en ce lieu !

Le surnaturel divin avec ses lieux de prédilection, comme l’Olympe ou le pays des Cimmérienspeut être vu comme une mise en scène des croyances religieuses qui favorise une certaineinvention littéraire avec un merveilleux plaisant, celui du nectar et de l’ambroisie, d’Hermès revê-

tant sa tenue de voyage ailée. Mais le voyage d’Ulysse ne montre pas de dieu agissant sinon commemétaphore de phénomènes physiques. S’il y a une tempête venant du sud, c’est Poséidon qui revientd’Éthiopie. De même, « l’aurore aux doigts roses », fille du matin se lève tous les jours. Nous pouvonsdonc considérer que ces dieux-là ne sont pas présents dans la narration du voyage. Interrogeons-nous

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pourtant sur la nymphe Calypso qui habite un lieu idéal et choisi comme le montre le paysage avecson organisation, ses plantes, ses animaux. Que veut nous montrer Homère avec cette représentationde l’immortalité ? Un lieu où l’excellence se reproduit tous les jours, telle qu’elle a été fixéeun jour, au point de ne plus paraître telle. Même l’amour s’en va dans ces conditions et Calypso leregrette. Finalement, cette étape, presque ultime, révèle une analyse psychologique très fine et Ulyssepeut y définir précisément son choix de vie.

La découverte de l’autre comme révélateur de soi

L’épisode des Cicones, premier fait de l’Odyssée , est très rapide et surprenant. Les Grecs se comportentmal et méritent leur défaite : il s’agit en fait d’un épiphénomène de la guerre, l’abus qui amène à réfléchir.La guerre est une sorte de « fabrique de héros » et tous les coups sont permis, si l’on respecte le codede l’honneur, et même « héroïsants » si l’on peut se permettre ce néologisme. On entend bien Ulyssedire que la mort au combat est glorieuse dans le chant X. Mais la guerre s’arrête et que deviennentles héros ? La question est toujours d’actualité. Beaucoup de films américains se sont penchés sur lesort des « héros » de la guerre du Vietnam à leur retour : après avoir fait preuve de qualités physiqueset morales extraordinaires, ils se trouvaient sans emploi à leur retour au pays. Les guerres de l’époquedépendaient beaucoup du nombre et de l’habileté au combat corps à corps, pourrait-on dire. Saint-

Exupéry a écrit que « l’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle ». Ainsi, Ulysse le guerrieret le spécialiste en stratagèmes, brillant durant la guerre, va affronter des obstacles nouveaux, d’abordla mer et la surprise des escales qu’elle impose avec des styles de vie nouveaux qui vont mériter lenom d’étranges, parce qu’ils ne relèvent pas du connu : ainsi les « Lotophages », mangeurs de lotus quiaccueillent « des mangeurs de pain ». Cette étrangeté fait fuir dans un premier temps, mais devant lamagie plus dangereuse de Circé, Ulysse est prêt à combattre et à se moquer du frileux Euryloque. Les îles sont comme des microcosmes où tous les excès sont possibles. L’épisode des Lotophages apparaîtpeut-être comme nécessaire pour mesurer la part de xénophobie qui préside aux relations humaines. Ilne s’agit plus de combattre ou de fuir, mais de comprendre ; et c’est la curiosité qui pousse Ulysse dansl’île de Polyphème. Mais ensuite, il passera un mois dans l’île d’Eole au palais étrange et magnifiquequ’il quitte heureux. Il fuit vite les Lestrygons qui se présentent comme le Cyclope et semblent « infré-quentables » donc. Et ce sera Circé. Là encore l’obstacle sera vaincu et tous s’habituent à l’étrangeté ;

Ulysse en oublierait même le retour ! Les têtes sans force des morts, les merveilles des Phéaciens pourlesquels l’héroïsme est dans le sport et la maîtrise de l’élément liquide : bref Ulysse est appelé à voirl’étranger dont l’étrangeté peut disparaître si on prend la peine de faire l’effort de le connaître. Ainsi ilconnaîtra des nymphes belles, sensuelles et désirables, mais ces rencontres accroissent peut-être le désird’une vie de couple qui reste à définir. Nausicaa lui en montre le chemin et ses parents un exemple.

D Un parcours initiatique

Dans les sociétés archaïques, pour devenir des hommes, les adolescents doivent subir un tel parcoursqui se déroule en différentes étapes. Tout d’abord, ils doivent quitter leurs parents, faire un voyage quiles amène à subir un certain nombre d’épreuves, intellectuelles ou physiques (maladie, combat, etc.), etmême à verser leur sang. À un moment donné, ils connaissent une mort symbolique et peuvent ensuiterenaître, hommes neufs et dotés d’un savoir que leur aura donné un ou des maîtres. Ce parcours estbien celui d’Ulysse. Aller de Troie en Asie mineure à Ithaque en passant par Gibraltar conduit Ulysse àparcourir le monde méditerranéen d’est en ouest et même du sud au nord, et à devenir un être « pleind’usage et raison ». La mer devient espace de tous les possibles dont il est l’explorateur. À chaque île,tel Robinson Crusoé, il affronte une situation nouvelle dont il doit tirer les enseignements. Ilsemblerait que le guerrier (ce qu’il est face aux Cicones) n’a pas les qualités attendues d’un hommeachevé, « d’un honnête homme », dirait-on au XVIIe siècle. C’est pour cela peut-être qu’Ulysse aux mille

ruses finit seul, ces sots compagnons n’ayant pas su évoluer. Nous le voyons effectivement pénétrer dansles îles avec méthode et prudence, l’endroit où il a accosté n’étant pas représentatif des espaces cachésà la vue. Il apprend beaucoup de cette façon et peut rapporter les connaissances acquises. Il existedes effets de reprises entre les îles. La plante des Lotophages aide ainsi à comprendre la magie deCircé ; l’expérience du Cyclope le pousse à ne pas s’attarder chez les Lestrygons ; s’il a perdu six marins

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engloutis par Charybde, il sera victorieux lors du deuxième affrontement ; enfin il se montrera capablede résister à la seconde tempête devant la Phéacie. D’autres lieux s’opposent et c’est de là qu’il peuttirer un enseignement : l’île occidentale de Calypso montre un idéal de vie dépassé en comparaisonavec l’île orientale de Circé qui devient une île tout à fait fréquentable une fois que l’on a le μολυ. Lanotion de connaissances est toujours présente, et Ulysse est toujours apte à les maîtriser ,qu’il s’agisse des Sirènes, comme nous l’avons déjà vu ou de la  νεκυια. Affronter la mort, la regarderen face, accepter son destin avec prudence et courage. La Phéacie utopique au terme du voyage peutapparaître comme un lieu divin, mais avec des éléments qui ne relèvent pas de l’impossible. Athénasouligne, pour persuader Zeus de favoriser le retour d’Ulysse, qu’il est un bon roi ayant « la tendressed’un père ». Cette dernière île qu’il visite peut être la révélation d’un idéal  que l’on vise sans jamais l’atteindre : c’est la sagesse humaine. C’est donc endormi qu’il retrouve Ithaque, car avant debien diriger Ithaque, il devra encore combattre. L’œuvre de paix et de sagesse viendra peut-être ensuite.On pourrait aussi voir dans cette succession d’épreuves imposées à Ulysse un parallèle avecles douze travaux d’Héraclès : Ulysse est amené, à travers des épreuves imposées, par un dieu àparcourir le monde connu ou moins connu dans ses endroits considérés comme dangereux. Héraclèsva surtout sur terre, Ulysse sur mer. Héraclès, héros évergète, soulage et aide les hommes : l’hydre deLerne vaincue, c’est un marécage qui disparaît, les pommes d’or du jardin des Hespérides sont desoranges ou des tomates…. Dans cette perspective, Ulysse ne ramène avec lui que les cadeaux d’uneriche civilisation, de caractère utopique : l’intérêt de ses voyages serait la connaissance et la

sagesse, le choix de la condition humaine.Sur un plan plus psychanalytique, on peut interpréter les épreuves d’Ulysse de la façon suivante :

- il vit des épreuves de séduction : celle des paradis artificiels avec les feuilles de lotus qui font oublierd’où l’on vient, où l’on va et pourquoi, celle qu’impose Circé, celle des sirènes et celle de Calypso ;

- il vit des épreuves de dévoration avec le Cyclope, les sirènes (dont l’île est jonchée des ossements demarins envoûtés par leur chant et qui se sont laissés mourir de faim), Scylla et Charybde.

Les épreuves donnent l’occasion à Ulysse d’affronter les peurs les plus archaïques ; celle d’être mangépar l’autre et celle d’être détruit. On peut voir en Charybde, la bouche dévoratrice, une figure de la mèrecastratrice ; Calypso, elle, incarne une possessivité extrême, celle d’une autre figure primordiale : la mèrecaptatrice que l’enfant rencontre dans le regard de la mère comblée par son enfant. Comme l’explique

Pierre-Yves Brandt dans son article intitulé « Séduction et dévoration dans le parcours d’Ulysse » :« Pour être initié, il s’agit d’affronter des peurs archaïques de mort par dévitalisation ou pardestruction violente. La dévitalisation se manifeste dans la séduction qui fait entrer dans lapassivité. La destruction violente dans le fait d’être dévoré par des ogres puis par des monstresdont le plus destructeur n’a plus qu’à engloutir tout ce qui se présente. »

Par ailleurs, Ulysse rejeté à l’eau sur une embarcation, n’arrive au but qu’après avoir fait naufrage. Ilsort nu de l’eau en Phéacie après avoir été dépouillé de toute forme de protection propre. On assistelà à une forme de renaissance.

Une question se pose alors : pourquoi un tel parcours chez un homme qui a entre 40 et 50 ans à sonretour en Ithaque ? Quand débutent ses épreuves, Ulysse est marié et il a un fils. Pierre-Yves Brandtpropose une interprétation intéressante :

« En pénétrant dans le monde de la guerre, Ulysse est entré dans un monde qui transgressede diverses manières les règles de la vie quotidienne. Sur le plan de la maturation psychique,le déchaînement de l’agressivité dans le combat guerrier n’est possible qu’au prix d’unedéconstruction des élaborations construites au cours du processus d’adolescence (c’est-à-dire :les élaborations du moi pour contenir et orienter l’impulsivité du ça). Même si le maniementdes armes de guerre nécessite une maîtrise de soi, l’acte de tuer n’est possible qu’au prixd’une régression. (Il est dit qu’à la guerre, l’obstacle principal est de tuer une première fois.Après avoir tué deux fois, le soldat désinvestit émotionnellement les actes qu’il commet). C’estpourquoi, revenir de la guerre, reprendre sa place dans la vie en société réactualise le processusd’adolescence, imposant de retraverser les peurs et angoisses qui le jalonnent. »

Rappelons comme nous l’avons dit plus haut qu’Ulysse se débat avec ses souvenirs : il a fait l’expé-rience de l’héroïsme sur le champ de bataille et il doit faire le deuil de la gloire guerrière et revenir àla vie quotidienne. Enfin, son parcours a lieu au moment où Télémaque entre dans la vie d’homme. Cemoment est celui où les parents, interpellés par l’évolution de leur enfant, retraversent cette périoded’adolescence et parachèvent le processus d’accès au monde des adultes.

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Séquence 2-FR0174

Conclusion

Le parcours d’Ulysse est donc celui d’un homme vers une plus grande maîtrise de sa condition surterre. Il tend vers l’image de l’homme parfait sur le plan physique, intellectuel, moral etémotionnel.

Ce parcours qui a un aspect de conte merveilleux ne met pas en valeur un héros invincible qui a tuétous les monstres qui se dressaient sur son passage, comme Héraclès lors de ses douze travaux ou le

Chat botté qui tue l’ogre dans les Contes de Perrault. Le Cyclope, Scylla, les Sirènes vont poursuivre leuraction destructrice, mais Ulysse a échappé au danger. Il serait intéressant de faire le schéma actantielde la quête d’Ulysse Il permet à l’homme d’atteindre un niveau supérieur dans une échelle quile place entre le sauvage et le plus achevé possible. Le fait qu’Homère lui confie la narrationde ses malheurs et de son obstination à les surmonter montre qu’Homère recherche une définitionplus humaine du héros. Son nom qui par jeu de mots évoque sa petitesse devant le Cyclope marqueune sorte de « péché originel » d’un être invité à réfléchir sur son monde et les peuples qui l’habitentpour grandir. C’est un explorateur qui s’intéresse aux êtres vivants, surtout les hommes, pour devenirl’homme qui pourrait servir de modèle à tous. Ainsi, dans l’île d’Eole, il connaît avec ses compagnonsun art de vivre raffiné, mais ce ne sera pas suffisant pour les inciter à respecter la parole donnée. Ulysseappréciera à nouveau, mais seul, les raffinements d’une société basée sur la famille dans une île quirelève peut-être de l’utopie, mais qui est peuplée d’hommes parfaitement civilisés (car sont-ils vraiment

proches des dieux ?) et c’est là que « le pilleur des villes » qu’il est devient un admirateur dela ville qui va peut-être permettre à Ithaque d’évoluer en ce sens. 

L’Iliade faisait mourir son héros Achille en héros guerrier, l’Odyssée initie un nouveau genre de héros,plus civilisé. Nous pouvons penser qu’elle a servi de modèle à Virgile quand il écrit L’Énéide . Énée,Troyen qui a fui la ville en flammes, après un périple en Méditerranée et un passage aux enfers, va êtreà l’origine de la fondation de l’empire romain.

Conclusion générale

Homère, dans ce long poème de 12000 vers dont nous étudions la partie centrale, présente une œuvredestinée d’abord à être dite ou chantée, qui garde à l’écrit une beauté inimitable. Ce texte épique quine s’appuie pas comme l’Iliade sur des combats, met en scène un homme exceptionnel par toutesses aptitudes et qui mérite l’épithète de divin par l’apprentissage de la condition humaineaccompli lors d’un dangereux périple où il pouvait se perdre. Le style d’Homère nous permet d’éprou-ver de la sympathie et de l’admiration pour un homme qui vivait dans un monde dans lequel sont néesquelques unes de nos valeurs. En effet, l’épopée naît aussi du cadre exceptionnel et grandiosedans lequel se déroule l’action : l’Olympe en ouverture nous transporte loin du quotidien dans unmonde grandiose dont on ne peut percevoir les limites et qui est parfois impossible à situer, commeOgygie ou les Enfers. L’écriture enfin qui met en valeur cette grandeur dans la mesure où elleémane d’un aède qui maîtrise un art véritable et joue son rôle comme un acteur : on pourrait évoquer

les règles de la tragédie classique qui doit toujours rester noble. Le monde à évoquer est encore plusélevé dans l’épopée et surtout dans l’Odyssée. 

Nous nous devons aussi de rappeler que la traduction a le mérite de rendre au mieux la poésie d’Ho-mère. Philippe Jaccottet est lui-même poète et a su résoudre avec élégance les problèmes que lui aposés un texte ancien et souvent traduit. Comment se réapproprier le texte ? Comment rendre compte dela poésie qui en est un élément essentiel ? Il a choisi le vers libre, assez proche de l’alexandrin, douzesyllabes ou un peu plus. Le passage à la ligne impose une respiration qui donne du volume et de rythmeau texte et permet la mise en valeur des mots en début ou fin de vers, des effets d’enjambement.

Ceci lui permet de garder avec une certaine souplesse l’intention du texte grec, sa solennité quandun personnage occupe tout l’espace du vers, qu’il s’agisse de « l’aurore aux doigts roses » ou d’

« une princesse à la figure d’Immortelle,

Nausicaa, fille du généreux Alcinoos »

La simplicité de la phrase donne une impression de naturel et nous nous pénétrons sans peinedu texte. Les épithètes sont souvent de simples adjectifs en grec (voir le tableau qui précède l’étude

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d’Ulysse) et tout l’art de Jaccottet est souvent dans le choix parfois audacieux de la traduction : ainsila mer « astrugetos = où l’on ne peut rien cultiver, stérile » est dite « sans moisson », ce qui crée unerelation avec les « hommes mangeurs de pain » et rend mieux compte de la formation du mot grecqui a un préfixe privatif.

C’est la beauté du texte qui lui a permis d’intéresser lecteurs et artistes divers au cours des siècles,exactement comme un bon aède donnait matière à d’autres aèdes.

Enfin, l’Odyssée présente un éloge de la civilisation. Cet aspect n’est peut-être pas premier, mais quand

on a étudié les Lumières au XVIIIème, lu peut-être Le Mondain de Voltaire ou admiré les études del’Encyclopédie consacrées en particulier aux métiers par Diderot, ou à la recherche de ce qui est biendans tous les domaines, on ne peut qu’être intéressé par cet aspect de l’Odyssée. « Ulysse aux milleruses », « l’industrieux Ulysse » est celui qui sait tout faire ; cet idéal qui donnait le pouvoir aux premierschefs des cités-états se transforme avec l’acquisition de nouvelles techniques. Calypso donne des outilsà Ulysse, hache, doloire, cordeau, tarière : d’où viennent-ils ? Tout ce qui émerveille Homère esttransformé en cadeau des dieux, comme s’il ne parvenait pas à en attribuer la création à l’homme ;à moins qu’il trouve ce pouvoir inventif magique, il parle « des proportions que donne à la carène d’unnavire / de commerce quelque ouvrier maître en charpente ».On sent chez Homère une admirationpour ce que produisent des mains d’homme, alors sans doute sont-elle animées par des dieux ?Les éléments du bateau ne sont peut-être pas absolument justes, mais le fait de les citer montre pourHomère le désir de mettre en valeur son époque. Le travail manuel est ainsi valorisé, même s’il gardechez les femmes un aspect ancestral : laver le linge au fleuve, tisser, que l’on soit humaine ou déesse.Le travail est noble et ses productions sont belles. Le travail génère l’enthousiasme et le plaisir àl’inverse de cette éternité oisive et morne que représente l’éternité d’Ogygie.

Le palais des Phéaciens qu’Ulysse découvre mérite tous les éloges : Ulysse y passe quelques joursmerveilleux qui contrastent avec le séjour dans les autres lieux rencontrés, si l’on excepte l’île d’Éole.La beauté et l’harmonie qui y règnent sont liées au savoir-faire des artistes et artisans et Homères’attarde volontiers à décrire cette vie idéale dans une cité civilisée, habitée par des genstrès civilisés et bons.

Prolongements : quelques textes inspirésde cette œuvre matricielleL’Odyssée est une œuvre matricielle qui semble avoir été lue à toutes les époques en éveillant des désirsd’écriture. Nous allons reproduire des textes inspirés par le passage au programme.

De l’épopée au roman moderne : Aragon,Les aventures de Télémaque 

Si Les aventures de Télémaque est le titre d’un ouvrage didactique de Fénelon paru en 1699, il est aussile titre d’un récit que publie Louis Aragon en 1922. Dans cette œuvre rédigée en utilisant l’écritureautomatique, le personnage de Calypso laisse chez le lecteur une trace ambiguë : est-elle maléfiqueou victime d’un maléfice ?

« Calypso, comme un coquillage au bord de la mer répétait inconsolablement le nom d’Ulysse à l’écumequi emporte les navires. Dans sa douleur elle s’oubliait immortelle. Les mouettes qui la servaient s’envo-laient à son approche de peur d’être consumées par le feu de ses lamentations. Le rire des prés, le cri desgraviers fins, toutes les caresses du paysage rendaient plus cruelle à la déesse l’absence de celui qui lesavait enseignées. À quoi bon porter ses regards à l’infini, si l’on n’y doit rencontrer que les plaintes amèresdu désespoir ? En vain les rivages de l’île fleurissaient-ils au passage de leur souveraine, elle ne prêtaitattention qu’au cours stupide des marées. »

Aragon, Les aventures de Télémaque (1932)

Cet extrait nous montre combien Homère touche à plusieurs genres. Ainsi, un roman peut s’intéresserà des passages où Homère a suggéré une intensité dramatique couplée qui pousserait à une étudepsychologique. Calypso est une héroïne tragique qui aime sans être aimée. Aragon a souvent racontéqu’il écrivait sous l’influence de ses lectures et qu’il était toujours dans une perspective de réécriture.

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Séquence 2-FR0176

Le mouvement surréaliste auquel il appartient influence aussi son écriture : critique dans la perspectivedadaïste de la littérature mais aussi présence du surréel. Nous le voyons ici à la fois honorer le texte etle détruire dans la mesure où il donne un développement à l’image de la tristesse existentielle , maisinverse les rôles en montrant Calypso piégée par la rencontre avec Ulysse. En effet, il lui a permis dedonner à sa vie une coloration qu’elle n’avait pas et son départ rend son existence encore plus videqu’auparavant, puisqu’elle n’avait pas conscience de ce qu’était le bonheur avant Ulysse. Ce texte s’at-tache à un personnage auquel on ne s’intéresse plus après le départ d’Ulysse et qui souffre peut-êtreplus qu’Ulysse. Sans doute l’expression de ce chagrin est-elle excessive et parodique.Aragon dénonceaussi l’illusion romanesque qui conduit le lecteur à ne s’intéresser qu’au héros.

L’Odyssée : source d’inspiration des poètes

a) La catabase chez Virgile

Virgile (70-19 av. JC), dans l’Énéide, précise la géographie des Enfers, vaguement suggérée par Homère,au point que l’on peut en faire une carte précise. Énée, accompagné de la Sibylle de Cumes, prêtresseinfernale, va chercher le rameau d’or qui lui permettra de descendre au royaume de Pluton (le Hadèsromain) et Proserpine (=Perséphone). Voici le passage qui montre leur entrée aux Enfers :

Ils allaient obscurs, dans la nuit solitaire à travers l’ombre et à travers les demeures vides et le vain royaumede Dis4 : tel, le chemin qu’on fait dans les bois, par une lune incertaine, sous une méchante lumière, quandJupiter a enfoui le ciel dans l’ombre et que la sombre nuit a enlevé aux choses leur couleur.

Dans le vestibule même, à l’entrée des gorges de l’Orcus5, le Deuil et les Remords vengeurs ont fait leur lit ;là habitent les pâles Maladies, et la triste Vieillesse et la Crainte, et la Faim mauvaise conseillère, et la hideusePauvreté, formes terribles à voir, et la Mort, et la Souffrance ; puis le Sommeil, frère de la Mort, et les Joiesmauvaises de l’esprit, et, sur le seuil en face, la Guerre meurtrière, et les chambres de fer des Euménides6,et la Discorde insensée, avec sa chevelure de vipères nouée de bandelettes sanglantes.

Au milieu, un ormeau opaque, énorme, déploie ses rameaux et ses branches séculaires, demeure, dit-on, quehantent communément les vains Songes, fixés sous toutes les feuilles. En outre mille fantômes monstrueux

de bêtes sauvages variées s’y rencontrent : les Centaures, à l’écurie devant les portes, et les Scylles7

biformes,et Briarée aux cent bras, et le monstre de Lerne poussant des hurlements horribles, et la Chimère8 armée deflammes, et les Gorgones, et les Harpyes9, et la forme de l’Ombre au triple corps et si sa docte compagnene l’avertissait que ce sont des âmes ténues, sans corps, qui volettent sous une enveloppe sans consistance,il se ruerait sur elles et pourfendrait vainement les ombres avec son glaive.

De là part une route qui mène aux ondes de l’Achéron du Tartare10 ... Là toute une foule se ruait à flotspressés sur la rive : mères, époux, héros magnanimes dont le corps a fourni la carrière le la vie, enfants, jeunes filles qui ne connurent point les noces, jeunes gens qui furent placés sur le bûcher devant les yeuxde leurs parents ; aussi nombreux que les feuilles qui tournoient et tombent dans les bois au premier froidde l’automne ; aussi nombreux que les oiseaux qui se rassemblent, venant de la haute mer, sur le continent,quand la froide saison les fait fuir à travers l’océan et les chasse vers les terres du soleil. Dressés, ils deman-daient tous à passer les premiers, et tendaient les mains dans l’avidité d’atteindre l’autre rive. Mais le tristenocher11 prend tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là, et repousse loin du rivage ceux qu’il a écartés.

Extrait de L’Enéide de Virgile, trad. M. Rat. © Éditions Flammarion

On imagine combien l’imagination des artistes s’est emparée de ce texte… L’idée de descente aux Enfersva devenir synonyme de situation horrible, la pire après une déchéance progressive : ce sera l’universde la mine pour Zola dans Germinal , celui de la guerre pour Céline dans Voyage au bout de la nuit.

4. Dis : Pluton, dieu des richesses5. Orcus  : démon de la mort6. Les Euménides : les déesses de la vengeance7. Scylle : être mi-homme, mi-dauphin8. Chimère : monstre mi-chèvre, mi-lion9. Harpyes  : monstres mi-oiseaux, mi-femmes, voleuses d’âmes et d’enfants10. Tartare : fleuve des Enfers11. Le triste nocher : Charon, le passeur des Enfers

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Séquence 2-FR01 77

b) Dante, La Divine Comédie 

Dante (1265-1321), guidé par Béatrice, sa défunte femme, écrit La  Divine Comédie dont le premier livreest L’Enfer . Cette réécriture est un hommage à Virgile. Dans ce livre, Virgile guide Dante :

Donc pour ton mieux je pense et je dispose

Que tu me suives, et je serai ton guide,

Et je te tirerai d’ici vers un lieu éternel,

Où tu entendras les cris désespérés ;

Tu verras les antiques esprits dolents

Qui chacun crie à la seconde mort ;

Et tu verras ceux qui sont contents

Dans le feu, parce qu’ils espèrent venir

Un jour futur aux gens heureux12.

Et si tu veux ensuite monter vers eux

Une âme13 se trouvera, bien plus digne que moi :

A elle je te laisserai à mon départ ;

Car cet empereur qui est là-haut,

Comme je fus rebelle à sa loi,

Ne veut pas qu’on vienne par moi à sa cité14.

En tous lieux il gouverne, et là il règne :

Là est sa ville et son haut siège.

Ô bienheureux celui qu’il y choisit ! »

Et moi, à lui : « Poète, je te prie,

Par ce Dieu que tu n’as pas connu,

Pour que je fuie ce mal et pire,

Que tu me mènes là où tu as dit,

En sorte que je voie la porte du saint Pierre,

Et ceux que tu décris si emplis de tristesse. »

Alors il s’ébranla, et je suivis ses pas.

Extrait de La Divine comédie de Dante, trad. J. Risset. © Éditions Flammarion.

c) Du Bellay, Les Regrets

Nous avons à plusieurs reprises cité le célébrissime poème de Joachim du Bellay (1522-1560), le voicidans son intégralité :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Ou comme celui-là qui conquit la Toison,

Et puis est retourné plein d’usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge!

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit vil lage

Fumer la cheminée, et en quelle saison

12. Allusion au rachat par la mort du Christ.13. Il s’agit de Béatrice.14. Il s’agit de la Jérusalem céleste.

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Séquence 2-FR0178

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m’est une province et beaucoup davantage?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,

Que des palais romains le front audacieux,

Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine.

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,Plus mon petit Liré que le mont Palatin,

Et plus que l’air marin la douceur angevine.

Joachim du Bellay

d) Apollinaire, Alcools 

Les sirènes ont souvent inspiré les poètes que ce soit pour la forme à leur donner ou le message àdécrypter. Homère est assez mystérieux sur le sujet. Montaigne pensait qu’elles promettaient la gloire,illusion trompeuse. Il existe un quatrain d’Apollinaire (1880-1918) dans le Bestiaire ou cortège d’Or-  phée, associé à une gravure de Dufy (1877-1953) représentant une sirène en gros plan tandis qu’uneautre vole en arrière-plan : elles ont un corps de femme, une queue de poisson, des ailes, des pattesavant ressemblant à celles d’un lion ; ce sont donc des êtres fabuleux qui peuvent se mouvoir danstous les éléments :

Saché-je d’où provient, Sirènes, votre ennui

Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ?

Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées15

Et mes vaisseaux chantants se nomment les années.

Guillaume Apollinaire, Alcools (1913)

Les Sirènes sont alors des voix intérieures qui expriment le mal être existentiel auquel le poète estparticulièrement sensible. La création poétique est liée à la souffrance et à la nostalgie.

e) Bonnefoy, Les Planches courbes 

La nostalgie d’Ulysse a permis à Bonnefoy d’exprimer l’idée de « présence » :

Et le rossignol chante une fois encore

Avant que notre rêve ne nous prenne,

Il a chanté quand s’endormait Ulysse

Dans l’île où faisait halte son errance,

Et l’arrivant aussi consentit au rêve,

Ce fut comme un frisson de sa mémoire 

Par tout son bras d’existence sur terre

Qu’il avait replié sous sa tête lasse.

Je pense qu’il respira d’un souffle égal

Sur la couche de son plaisir puis du repos,

Mais Vénus dans le ciel, la première étoile,

Tournait déjà sa proue, bien qu’hésitante,

Vers le haut de la mer, sous des nuées,

Puis dérivait, barque dont le rameur

15. Machinées : qui constituent un piège.

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Séquence 2-FR01 79

Eût oublié, les yeux à d’autres lumières,

De replonger sa rame dans la nuit.

Et par la grâce de ce songe que vit-il ?

Fut-ce la ligne basse d’un rivage

Où seraient claires des ombres, claire la nuit

A cause d’autres feux que ceux qui brûlentDans les brumes de nos demandes, successives

Pendant notre avancée dans le sommeil ?

Nous sommes des navires lourds de nous-mêmes,

Débordants de choses fermées, nous regardons

A la proue de notre périple toute une eau noire

S’ouvrir presque et se refuser, à jamais sans rive.

Lui cependant dans l’île de hasard,

Pensait déjà à reprendre sa rameUn soir, quand blanchirait à nouveau l’écume,

Pour oublier peut-être toutes les îles

Sur une mer où grandit une étoile.

Yves Bonnefoy, Les Planches courbes, © Mercure de France, 2001. 

Autre genre la poésie qui permet de s’attarder sur un tableau suggestif pour lui donner un développe-ment qui nous le rend encore plus accessible à la fois par la sensibilité et le raisonnement.

Nous pouvons voir dans ces vers un développement du « non-dit » par Homère qui rejoint ce queBonnefoy veut exprimer, c’est-à-dire le besoin de « présence » qui ressort des lieux avec lesquels on se

sent en osmose. Il serait un peu long et inutile de développer les idées de Bonnefoy, mais nous sentonsbien dans ce texte que le personnage d’Ulysse surgit du fond des âges avec la même force humaine etcette sympathie qu’il déclenche permet par analogie de s’exprimer sur soi.

L’Odyssée et la peinture : représentation du Cyclope

Odilon Redon, Le Cyclope , vers 1898-1900. Huile sur bois. 64 x 51 cm. Rijksmuseum Kröller-Müller,Otterlo. © akg-images.

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Séquence 2-FR0180

Dès le VIIe siècle av J.C., les artistes ont voulu représenter le Cyclope, car Homère ne nous donne aucundétail à part celui de l’œil unique. Le XXe siècle s’est beaucoup plu à le représenter, comme nous pouvonsle voir dans le chapitre qui lui est consacré, parce qu’il entre dans les personnages fantastiques : il estun tableau d’Odilon Redon (1840-1916), précurseur du surréalisme, que l’on trouve dans le beau livrede Paul Demon aux éditions de Chêne, qui le fait surgir derrière la montagne comme un être venu del’espace, sorte de tentacule à un œil ; cet œil noir vous fixe dans une tête qui semble des paupièresgigantesques entourées d’oreilles, de cheveux crépus ovins et d’une bouche rouge. On n’aperçoit qu’uneépaule ; au-dessous, plus petit, un homme dort... Le tableau est ambigu : s’agit-il du rêve de l’hommeendormi ? le Cyclope est-il dangereux ou malheureux ?

L’Odyssée chez les Tragiques

Homère reste plus intéressé par le personnage d’Ulysse. Le théâtre a très tôt cherché à représenterHomère mais comment représenter des monstres ? Nous pouvons faire le parallèle avec Rhinocéros  d’Ionesco qui symbolise aussi la monstruosité inhumaine face à la fragilité de l’homme, jepense en particulier à la scène où Jean se métamorphose devant Bérenger.

Voici un extrait de la pièce d’Euripide. Il s’agit d’un drame satyrique où il ne faut chercher ni pathétique,ni message sérieux. C’est une réécriture qui mêle deux histoires (enlèvement de Dionysos par les Satyres)

et fait venir Ulysse sur scène pour raconter, devant le chœur de Satyres, son aventure avec le Cyclope.

Ulysse

Ô Zeus, que dire ? J’ai vu, à l’intérieur de l’antre, des choses horribles,

incroyables : on aurait dit une fable et non des actes humains !

Le chœur

Qu’y a-t-il, Ulysse ? a-t-il fait son régal

de tes chers compagnons, le Cyclope sans foi ni loi ?

Ulysse

Oui, de deux d’entre eux, après avoir avisé et soupesé à deux mains

les plus charnus et les mieux nourris.

Le chœur

Comment, infortuné, avez-vous subi ce sort ?

Ulysse

Lorsque nous fûmes entrés sous ce toit de roc,

il commença par allumer un feu, en jetant

sur un large foyer les tronçons d’un haut chêne,

-à peu près la charge que transporteraient trois chariots-,

et il mit un chaudron de bronze à bouillir sur le feu.

Puis avec les aiguilles de sapin, à même le sol,

il fit une couche à côté de la flamme.

Il remplit à ras bord un cratère d’environ dix amphores,

en y versant, après les avoir traites, le lait blanc de ses vaches,

et il plaça près de lui une coupe en bois de lierre, large de trois

coudées, et profonde de quatre, à ce que l’on pouvait voir,

des broches, faites de branches d’épines, dont la pointe avait été cuite au feu,

et le reste, dégrossi à la serpe,

et des vases à égorger, grands comme l’Étna, pour les mâchoires de sa hache.

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Séquence 2-FR01 81

Quand tout fut prêt, cet être haï des dieux,

ce cuisinier d’Hadès, saisit ensemble deux de mes compagnons

pour les égorger ; d’un même élan,

il <lança> l’un sur la panse de bronze du chaudron,

tandis qu’il attrapait l’autre par le tendon du talon,

et que , le cognant contre la pointe acérée d’un bloc de pierre,il lui fit jaillir la cervelle. Ayant détaché

les chairs d’un couteau vorace, il les rôtit au feu,

et il mit les membres à bouillir au chaudron.

Et moi, malheureux, les yeux débordants de larmes,

 je m’attachais aux pas du Cyclope, et je le servais !

Les autres comme des oiseaux, restaient éblouis d’effroi

dans les recoins de la grotte, le teint exsangue.

Mais lorsque, gorgé de la chair de mes compagnons,il tomba à la renverse en exhalant de son gosier un lourd relent,

il me vint une inspiration divine ; j’emplis une coupe

de ce vin de Marron et je la lui tends à boire,

avec ces mots : « Ô fils du dieu marin, Cyclope,

regarde ce que la Grèce tire de ses vignes,

ce divin breuvage, où brille Dionysos. »

Et lui, gavé de son infâme pâture,

la prit, vida d’un seul trait la rasade,puis il en fit l’éloge, la main levée : « Ah, le plus cher des hôtes,

c’est une fameuse boisson que tu me donnes, pour couronner un fameux festin. »

Moi, le voyant tout réjoui,….

Extrait du Théâtre complet d’Euripide, trad. Ch. Mauduit. © Éditions Flammarion

À trop développer cette scène, on tombe facilement dans le burlesque. Le resserrement du texte chezHomère accentue l’aspect dramatique. Ici au contraire il s’agit plus d’un jeu littéraire destiné à déten-dre.

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Séquence 2-FR0182 Séquence 2-FR01

nnexe

Orientat ions b ib l iographiques

Bibliographie

- Evanghelia Stead, L’Odyssée, Foliothèque : c’est la critique la plus à jour.

- Suzanne Saïd, Homère et l’Odyssée , Belin, 1998. Il s’agit d’une étude universitaire, à la fois récente,complète et très accessible même aux non-hellénistes ; elle fait le point sur l’œuvre et l’auteur en met-tant notamment en lumière l’aspect «texte fondateur» qui est en rapport avec notre programme.

- Eva Cantarella, Ithaque, de la vengeance d’Ulysse à la naissance du droit .- Magazine littéraire , « Homère les métamorphoses d’Ulysse », n°427, janvier 2004

- Homère, L’Odyssée Chants V à XIII l’autre et l’ailleurs , Ellipses, Analyses et réflexions, 1992

- Françoise Frontisi-Ducroux, Ouvrages de dames, Ariane, Hélène, Pénélope , Seuil, collection «Librairiedu XXIe siècle.»

-Pietro Citati, La pensée chatoyante, Ulysse et l’Odyssée, L’Arpenteur, 2004.

-Jean-Nicolas Corvisier, Les Grecs et la mer , Les Belles-Lettres, p.39-63.

- Magazine littéraire , janvier 2004, sur les métamorphoses d’Ulysse avec un entretien intéressant avecPhilippe Jaccottet sur la traduction de l’Odyssée . Sont abordées aussi les réécritures du mythe dans

la littérature, le théâtre et le cinéma.

Webographie

- http://w3.u-grenoble3.fr/homerica/he/homere/legende.html

- http://www.mediterranees.net/mythes/ulysse/liens.html

- http://expositions.bnf.fr/homere/index.htm

Filmographie

1908 : Le Retour d’Ulysse , Jules Lemaître (France) avec Paul Mounet et Albert Lambert

1953 : Ulysse (Ulisse) , Mario Camerini (Italie) avec Kirk Douglas, Silvana Mangano et Anthony Quinn

1955 : Hélène de Troie (Helen of Troy) , Robert Wise (Etats-Unis) avec Rosana Podesta, Jacques Sernaset Brigitte Bardot

1958 : Hercule et la Reine de Lydie (Ercole e la regina di Lidia) , Pietro Francisci, (Italie) avec Steve Reeves,Sylva Koscina et Primo Carnera

1961 : La Guerre de Troie (La Guerra di Troia) , Giorgio Ferroni (Italie-France) avec Steve Reeves, JulietteMayniel et John Barrymore

1962 : Ulysse contre Hercule (Ulisse contro Ercole) , Mario Caiano (Italie-France) avec Georges Marchal,Michael Lane et Alessandra Panaro

1963 : Hélène Reine de Troie , Giorgio Ferroni (Italie) avec Mark Forest, Yvonne Furneaux et MassimoSerato

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1963 : Le Mépris , Jean-Luc Godard (France) avec Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Fritz Lang et JackPalance

1964 : Hercule, Samson et Ulysse (Ercole sfida Sansone ), Pietro Francisci (Italie) avec Kirk Morris etRichard Lloyd

1969 : Fellini-Satyricon , Federico Fellini (Italie) avec Martin Potter, Hiram Keller et Max Born

1995 : Le Regard d’Ulysse (To Vlemma tou Odyssea) , Théo Angelopoulos (Grèce) avec Harvey Keitel,

Maia Morgenstern et Erland Josephson1997 : The Odyssey , (Etats-Unis) avec Armand Assante, Greta Scacchi, Isabella Rossellini, Vanessa

Williams

1998 : The Eternity and a Day , (L’Eternité et un jour),Théo Angelopoulos (Grèce) avec Bruno Ganz,Isabelle Renauld, Fabrizio Bentivoglio, Achileas Skevis

2000 : O Brother, where art thou? , Ethan et Joel Cohen, (États-Unis) avec George Clooney

2004: Troie (Troy ), Wolfgang Petersen, 2004, États-Unis avec Brad Pitt

2004 : Eleni , Théo Angelopoulos (Grèce) avec Alexandra Aidini, Nikos Poursanidis