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LES LANGUES MODERNES MÉTHODE INTERROGATIVE ET COMMENTAIRE DE TEXTES: DE LA PERSPECTIVE HISTORIQUE '---------' A LA PROSPECTIVE Christian Puren clôt cette série d'articles sur Les techniques de guidage par une étude sur la technique la plus utilisée dans nos classes, à savoir le questionnement, considéré ici dans son application au commentaire de textes. Le problème qu'il pose à cette occasion dépasse cependant cette seule technique et même toutes les techniques de guidage: c'est celui de la prise en compte des pratiques actuelles, et de leurs fondements his- toriques, dans une démarche (auto)formative. S'il Y a une technique de guidage massivement utilisée dans nos classes de langues étrangères (LE), c'est bien la méthode interrogative qui impose le schéma questions du professeur/réponses des élèves comme forme quasi-permanente du travail oral collectif. Pour l'étude non seulement des docu- ments écrits qui ont été et restent encore les plus utilisés tout au long de la scolarité - et auxquels je me limiterai ici - mais aussi des documents sono- res, visuels, audiovisuels et "scriptovisuels" (tels que les bandes dessinées ou les publicités dans les supports écrits). L'objectif du présent article est d'une part de montrer comment cette situa- tion peut s'analyser comme un legs historique de la didactique des langues étrangères (DLE), et d'autre part de tenter de définir, à partir de l'histoire encore, quels pourraient être les grands axes d'une action à la fois réforma- trice et innovatrice. La méthode interrogative dans l'histoire La perspective historique fait apparaître au moins six fonctions différen- tes assignées au schéma questions/réponses en classe de LE, soit comme forme des supports didactiques - c'est l'usage le plus ancien -, soit plus récem- ment comme forme du travail collectif en classe. 76

PUREN 1989c Methode Interrogative Commentaire Textes

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    MTHODE INTERROGATIVE ET COMMENTAIRE DE TEXTES: DE LA PERSPECTIVE HISTORIQUE

    '---------' A LA PROSPECTIVE Christian Puren clt cette srie d'articles sur Les techniques de guidage par une tude sur la technique la plus utilise dans nos classes, savoir le questionnement, considr ici dans son application au commentaire de textes. Le problme qu'il pose cette occasion dpasse cependant cette seule technique et mme toutes les techniques de guidage: c'est celui de la prise en compte des pratiques actuelles, et de leurs fondements his-toriques, dans une dmarche (auto)formative.

    S'il Y a une technique de guidage massivement utilise dans nos classes de langues trangres (LE), c'est bien la mthode interrogative qui impose le schma questions du professeur/rponses des lves comme forme quasi-permanente du travail oral collectif. Pour l'tude non seulement des docu-ments crits qui ont t et restent encore les plus utiliss tout au long de la scolarit - et auxquels je me limiterai ici - mais aussi des documents sono-res, visuels, audiovisuels et "scriptovisuels" (tels que les bandes dessines ou les publicits dans les supports crits).

    L'objectif du prsent article est d'une part de montrer comment cette situa-tion peut s'analyser comme un legs historique de la didactique des langues trangres (DLE), et d'autre part de tenter de dfinir, partir de l'histoire encore, quels pourraient tre les grands axes d'une action la fois rforma-trice et innovatrice.

    La mthode interrogative dans l'histoire La perspective historique fait apparatre au moins six fonctions diffren-

    tes assignes au schma questions/rponses en classe de LE, soit comme forme des supports didactiques - c'est l'usage le plus ancien -, soit plus rcem-ment comme forme du travail collectif en classe.

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    christianZone de texte Les Langues modernes n 2-1989, "Les techniques de guidage". Paris : APLV, 126 p.http://www.christianpuren.com/mes-travaux-liste-et-liens/1989c/

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    Comme forme des supports didactiques 1. Le schma questions/rponses vise favoriser la mmorisation des supports didactiques

    C'est ainsi que G. Meurier publie en 1558 Anvers un ouvrage intitul Conjugaisons, rgles et instructions propres et ncessairement requises pour ceux qui dsirent apprendre fr. [franais], it. [italien], esp. [espagnol] et flamen, dont la plupart est mise en manire d'interrogations et de rponses.

    Dans beaucoup de cours du XIX" sicle, ce sont les exercices de "conver-sation" destins eux aussi tre appris par cur, qui taient souvent prsen-ts sous cette forme. Un bon exemple nous en est fourni tardivement par le Nouveau cours lmentaire de langue allemande d'A. Pey (Second degr, classe de 7", 3" d., 1885), dont la 66" leon consiste en : - une "rcitation" sur le texte de la version de la leon prcdente; - un "devoir", prcisment un thme, commenant par ces phrases: Les enfants de mon oncle taient devenus tout coup trs raisonnables et trs obis-sants; ils avaient t tourdis et dsobissants, - Le grand-pre du comte avait eu un grand chagrin, etc. - Enfin, une "conversation" sur ces phrases de thme: Qu'avaient t les enfants de mon oncle? Ils avaient t tourdis et dsobissants. Qu'taient-ils devenus? Ils taient devenus obissants, etc. (p. 76).

    A l'origine d'une telle technique, il y avait sans doute une confusion entre ce que nous pourrions appeler le procd de mmorisation/restitution (apprentissage par cur, puis rcitation), et le procd d'assimilation/rem-ploi par lequel les formes acquises sont rutilises dans d'autres contextes pour l'expression personnelle!.

    Cette technique de la conversation rcite tait assez gnralise la fin du XIX" sicle dans l'enseignement scolaire pour que le rdacteur de l'ins-truction officielle du 13 septembre 1890 la critique fermement.

    Ce qu'il faut viter, dans l'exercice de conversation, c'est la monotonie; il faut empcher aussi qu'il ne dgnre en une leon apprise par cur. Rien n'est plus contraire l'espn't de cet exercice que le Livre de conversa-tion, qu'onfait redire machinalement l'lve, de manire que la question prvue amne toujours la rponse prpare d'avance2.

    1. On retrouve la mme ambivalence du dialogue, forme du support didactique et forme des changes en classe, dans la mthodologie audio-visuelle. Mais il ne s'agit plus, sinon dans l'esprit de tous ses utilisateurs, du moins dans celui de ses concepteurs, d'une confusion entre les deux procds de mmorisation 1 restitution et assimilation 1 remploi, mais de leur articulation cons-ciente sur la base du postulat selon lequel la mmorisation pralable aiderait l'assimilation.

    2. Cette technique, est-il besoin de le dire, tait et fut encore longtemps aprs 1890 utilise dans l'enseignement de toutes les matires; certains d'entre nous, sans doute, se souviennent encore des livres et des classes de catchisme de notre enfance ...

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    2. Le schma questions/rponses vise simuler la conversation authen-tique en langue trangre, fournissant ainsi des modles qui y soient direc-tement rutilisables.

    Cette fonction apparat dj clairement dans renseignement du latin lan-gue vivante, dont les outils principaux furent les "colloques", ou conversa-tions sur des sujets de la vie quotidienne. Cette tradition s'est transmise par la suite l'enseignement des langues modernes, et s'est maintenue jusqu' nos jours travers les livres, manuels, guides de conversation et autres vade mecum usage des voyageurs.

    Ces deux premires fonctions du schma questions/rponses se retrouvaient trs fortement articules l'une l'autre en raison d'une conception de l'acqui-sition linguistique qui privilgiait alors le rle jou par la mmorisation: pour l'instruction officielle du 13 septembre 1890 encore, "apprendre une langue, c'est surtout chez les jeunes gens une opration de la mmoire".

    Comme forme du travail en classe

    3. Le schma questions/rponses vise susciter en classe le remploi , oral des formes linguistiques

    C'est la "conversation" qui se dveloppe dans l'enseignements scolaire des LVE surtout partir des annes 1880, o elle vient mme se greffer sur un support aussi peu favorable apparemment que les listes de mots classs par thmes de la vie quotidienne (avec traduction en franais ... ). Le programme officiel des Ecoles Normales Primaires du 26 mars 1887 conseille ainsi parmi les exercices de chacune des trois annes d'enseignement des LE : "Listes de mots et conversation sur ces mots." Le rdacteur de l'instruction du 13 sep-tembre 1890 propose quant lui de reprendre thmes et versions "sous cette forme vivante".

    Dans la mthodologie directe, o listes lexicales, thmes et versions sont officiellement interdits, la "conversation" ne peut s'appliquer qu'aux tableaux muraux dans les dbuts de l'apprentissage et ensuite essentiellement aux tex-tes, qu'en 1898 le Congrs de Vienne du Deutscher Neuphilologuen Verband3 avait dfinis comme "la base de l'enseignement" (selon Simonnot E., 1901, p. 27): c'est l' "explication" ou le "commentaire dialogu", que l'ins-pecteur gnral E. Hovelaque dfinit en 1911 comme un "exercice de prci-sion et de rigueur, exercice lent et approfondi d'assimilation sre, de fixation exacte" (p. 220).

    3. Trs attentivement suivi par les mthodologues franais, comme tous les autres congrs de cette Association alors la pointe de la rforme de l'enseignement des LVE en Europe.

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    4. Le schma questions/rponses vise l'explication et au contrle de comprhension

    La "conversation" directe va reprendre en cela le rle prcdemment imparti la traduction, elle aussi prsent interdite, dans la mthodologie traditionnelle. Pour A. Godart en 1903, si c'est directement, par la conver-sation, que nous amenons l'lve la comprhension du texte, c'est directe-ment aussi que nous constatons qu'il a compris, en lui posant des questions telles que la simple rponse nous renseigne sur l'efficacit de nos explications. (p. 473)

    5. Le schma questions/rponses vise guider le commentaire oral et crit des lves

    C'est ainsi que le professeur doit prvoir ses questions de telle sorte que la srie des rponses des lves corresponde au commentaire spontan idal auquel il souhaite les former. Voici comment le mthodologue direct G. Camerlynck conoit les dbuts de l'entranement la composition crite: A. propos d'une lecture ou d'une image, le professeur combine une srie de ques-tions dont les rponses trouves par les lves, et mises bout bout, consti-tuent dj une petite composition en langue trangre. (1903, p. 493).

    On retrouve cette mme fonction de guidage assure par le schma ques-tions/rponses dans l'instruction du 1 er dcembre 1950 :

    - propos de l"'interrogation", que le professeur "conduira de telle manire que la srie des rponses obtenues rende compte des donnes du texte dans leur ordre de prsentation" ;

    - et propos du "commentaire [ ... ] par voie de questions et rponses", qui "comprendra non seulement la solution des difficults littrales dfinies plus haut, mais aussi la formulation successive des faits puis des ides du texte, enfin celle des souvenirs et des ractions qu'il suscite sur les plans humain, moral ou littraire" (rd., CNDP, 1978, p. 30 et p. 32).

    6. Le schma questions/rponses vise susciter et maintenir l'atten-tion et la participation orale des lves en classe

    C'est d'ailleurs dans l'enseignement de toutes les matires scolaires que se gnralise l'poque l'utilisation de la mthode interrogative, dans une pers-pective affirme d'application des "mthodes actives" alors impulses en pda-gogie gnrale par les dveloppements de la psychologie. A. Godart conseille ainsi le professeur de langue :

    Pour empcher que la conversation ne s'isole et ne devienne trop individuelle, lancer toujours la question de faon anonyme, et ne dsigner qu'aprs un court instant le nom de l'lve qui doit rpondre, de faon qu'elle ait le temps de dclencher toutes les rflexions et de menacer toute la classe (1903, p. 482). Et c'est vraisemblablement au cours magistral, contre lequel luttent tou-

    tes les instructions officielles de l'poque, que songe le mme mthodologue

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    lorsqu'il crit que l'analyse du texte, avec l'interprtation des mots nouveaux, doit rester tout prix une causerie gnrale, une faon de maeutique, qui donne chaque instant aux lecteurs le plaisir de la dcouverte. (id., p. 473)

    Le commentaire dialogu Dans la mthodologie directe, le schma questions/rponses comme forme

    des supports didactiques disparat presque entirement: la mmorisation s'effectue sur des textes de lecture (essentiellement des pomes, dans les pre-mires annes d'apprentissage) et sur des paradigmes grammaticaux, et non sur les textes de base, lesquels sont par ailleurs plus descriptifs et narratifs que dialogus.

    La mthode interrogative ne va pas moins prendre un poids norme dans la stratgie d'enseignement scolaire partir du dbut du XXe sicle, en raison des quatre fonctions dsormais assignes la "conversation" en classe. Le com-mentaire dialogu du texte va en effet pouvoir devenir l'exercice presque exclu-sif parce qu'il permet le travail : - en comprhension orale: l'lve doit d'abord comprendre la question du professeur ; - en comprhension crite: pour rpondre cette question, l'lve doit comprendre le texte sur lequel elle porte; - en production orale, dans la rponse la question ; - et en production crite, comme nous l'avons vu plus haut chez G. Camerlynck.

    On comprend ds lors que pour ce mthodologue, la question soit "un instrument de travail [ ... ] qu'il faut employer de faon systmatique et conti-nue" (1903, pp. 490-491), et c'est juste titre qu'A. Gauthier oppose l'lve "dcrypteur" de la mthodologie traditionnelle l'lve "rpondeur" de la mthodologie directe (avant l'lve "acteur" de la mthodologie audiovisuelle. 1981, p. 55).

    La mthodologie active4 va sur ce point reprendre entirement la tradi-tion directe, et l'on retrouve le mme emploi systmatique du schma ques-tions/rponses prconis dans l'instruction bien connue du 1 er dcembre 1950, o elle apparat comme l'outil essentiel d'enseignement dans les principales phases du "schma de classe" : - dans l"'interrogation" initiale de contrle: "On la conduira de telle manire que la srie des rponses obtenues rende compte des donnes du texte dans leur ordre de prsentation" ; - dans le "contrle de l'assimilation du vocabulaire nouveau [qui] se fera au moyen de questions qui conduiront l'lve employer pertinemment, dans des propositions simples et compltes, les termes expliqus" ;

    4. Pour la dfinition historique de cette mthodologie active, comme pour celle des autres cites ici, je renvoie dans Les Langues modernes C. Puren, 1988, pp. 20-24.

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    - et dans le "commentaire [qui] doit se faire par voie de questions et rpon-ses, uniquement dans la langue trangre" (rd. Langues vivantes, Paris, CNDP, 1978, p. 30 et p. 32).

    Situation actuelle Importance du schma questions/rponses

    La mthodologie audiovisuelle, sur ce point comme sur d'autres, ne va pas rompre avec les deux mthodologies scolaires antrieures, active et directe. Elle va mme renforcer considrablement l'importance du schma ques-tions/rponses puisqu'elle va renouer aussi, via la "mthode de l'Arme" et la mthodologie audio-orale amricaines, avec la tradition, plus ancienne, du schma questions/rponses comme forme des supports linguistiques : les sup-ports des leons audiovisuelles sont en effet des dialogues dont la mmorisa-tion et la restitution (dans les phases de contrle de mmorisation et de dramatisation) constituent des lments essentiels de la stratgie d'ensei-gnement.

    L'influence de la mthodologie audiovisuelle et de la mthodologie audio-orale amricaine sur le traitement pdagogique des textes en second cycle sco-laire (traitement globalement hrit de la mthodologie active, les deux mtho-dologies antrieurement cites ne proposant aucune dmarche spcifique pour ce niveau) n'a donc pu qu'y renforcer le poids dj considrable du schma questions/rponses, et les constatations ritres de sa prgnance dans les pra-tiques de classes actuelles n'ont par consquent pas de quoi surprendre l'his-torien. On retrouve ce schma en bonne place, par exemple :

    - dans tous les "schmas de classe" diffrents reprs en 1976 par l'ins-pecteur pdagogique rgional R. Denis dans la "leon audio-orale" telle qu'elle est alors mene par les professeurs d'anglais partir d'un document sonore: aussi bien dans les "pr-questions" servant orienter une premire coute slective du document que dans les "questions ouvertes" (Wh-questions) de comprhension globale ou dans les right/wrong questions, questions choix mul-tiples (QCM) et "questions ouvertes" de l"'coute centrale", ou encore dans la "conversation" dirige de l'tape finale (pp. 279-281) ;

    - dans les pratiques de 255 professeurs d'anglais, d'allemand, d'espagnol et de portugais, que C. Luc dgage d'une enqute publie dans Les Langues modernes en 1986 : parmi les quatre "traits essentiels" du "portrait-type" du professeur de LE, elle cite en effet l'importance accorde, dans les proces-sus d'apprentissage, la rptition allie un jeu de questions/rponses met-tant en jeu la comprhension}) (p. 89) ; deux autres "traits essentiels" cits par C. Luc, savoir la "primaut absolue de l'oral en classe" et le "travail et [l']attention exigs des lves" sont en outre comme nous l'avons vu histo-riquement relis depuis la mthodologie directe au schma questions/rponses;

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    - tout rcemment enfin, Sophie Moirand notait que chez les professeurs de franais langue trangre eux-mmes, que l'on donne souvent comme plus novateurs, le fait d'utiliser un document authentique (un texte de presse, une publicit, voire une vido-cassette) ne change en rien la structure ternaire "question du professeur/rponse de l'lve/valuation du professeur" (1988, p. 234, note 1).

    Haro sur la question Les inconvnients d'une utilisation trop systmatique et trop rigide de la

    mthode interrogative en classe de LE n'ont pas manqu pourtant d'tre reprs et dnoncs ds l'poque de la mthodologie directe. Dans un texte de 1899 publi en 1907, N. Wickerhauser conseille de faire parler l'lve d'une manire spontane, comme s'il parlait des mme sujets dans sa langue mater-nelle ; cela veut dire: le matre doit dvelopper la conversation selon les ides des lves et non pas les forcer d'accepter les siennes (p. 223). Au cours du second cycle, avertit E. Hove1aque en 1911, l'enseignement des langues vivan-tes, pour tre vraiment efficace, doit viser l'affranchissement graduel de l'lve, doit tendre le librer peu peu du contrle incessant du matre, de sa direction perptuelle (p. 226).

    Aprs 1918, le mme thme est repris par les mthodologues actifs comme une critique de la mthodologie directe qui, pour G. Hirtz par exemple en 1927, se contente parfois un peu trop facilement d'une activit apparente constitue par le jeu bien rgl de demandes et de rponses dans lequel c'est le professeur et non la classe qui fait toute la besogne (pp. 126-127).

    Depuis la dernire guerre, les critiques des pdagogues ont relay celles des mthodologues de LE, et dnonc la mthode interrogative comme l'outil privilgi de l"'enseignement frontal", "monument abattre" selon D. Hame-line parce qu' il n'optimise ni l'individualisation, ni la socialisation, ni la pro-duction (1979, p. 189). Dans son article des Langues modernes de 1981 consacr la question ("Questions sur la question"), S. Benavada reprend le schma de communication hirarchique et sens unique qu'elle imposerait en classe:

    PROFESSEUR

    ~/I\~ l. l. l. l. l. l. l. l. etc.

    Depuis une dizaine d'annes enfin, les inspecteurs gnraux semblent s'tre mis d'accord pour attirer l'attention sur les dangers de la mthode interroga-tive, susceptible selon eux de rendre inauthentiques les changes en classe, d'interdire les interactions entre lves, d'entraver leur spontanit et leur auto-nomisation ; l'instruction d'anglais du 5 fvrier 1987 demande au professeur

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    de s'interdire tout la fois un discours ex cathedra et un questionnement abusif qui restreint le rle des lves dans les changes au sein de la classe,,5 ; celle de russe, la mme date, d"'viter" de s'enfermer dans un questionnement sens unique 6; celle d'allemand du 9 juillet 1987 de "renoncer" un questionnement troit qui prdtermine, dans leur fond et jusque dans leur forme, les rponses des lves ,,7 ; celle d'espagnol du 9 juin 1988 d'''exclure'' le questionnement troit et systmatique qui prd-termine les rponses ,,8.

    N. Soul-Susbielles crivait en 1984 : Malgr les critiques dont elle fait l'objet, la technique du questionnemenfsurnage toutes les temptes pdago-giques et continue de prosprer dans les salles de classe" (p. 34). Je ne vois aucune raison pour que cette rcente avalanche de critiques officielles soient moins inefficaces que les prcdentes, d'autant plus qu'elles suggrent, a con-trario, qu'il existe un bon usage du questionnement ...

    Un modle format La mthode interrogative continue donc, de toute vidence, poser un

    problme de formation. Comme je crois que l'histoire peut contribuer utile-ment la formation des professeurs de langues, je vais dans la suite du pr-sent article essayer d'appliquer ce problme particulier du questionnement un modle d'approche historique en formation, constitu de quatre tapes suc-cessives.

    1. Prise de conscience du systme La premire tape d'une dmarche (auto)formative est de prendre cons-

    cience des raisons pour lesquelles telle mthode, telle technique - ici la mthode interrogative, ou technique du questionnement - est utilise dans les classes. Ce qui implique de faire apparatre sa place et sa fonction dans l'ensemble des conceptions mthodologiques des professeurs, dans leur systme mtho-dologique. Or celui-ci est essentiellement un produit de l'histoire de la DLE, et c'est pourquoi la perspective historique me semble indispensable cette prise de conscience. C'est ce que j'ai essay de faire dans toute la premire partie de cet article; mes lecteurs par consquent de juger sur pices de la pertinence de cette premire tape.

    2. Analyse du systme Priorit l'analyse didactique

    C'est aussi l'intrieur du systme mthodologique ainsi dgag que doit s'analyser la mthode interrogative et non - ou du moins non prioritairement

    5. B. O. nO spcial 1, Programme de la classe de Seconde des lyces, p. 22. 6. B. O. nO spcial 1, Programme de la classe de Seconde des lyces, p. 72. 7. B. O. nO spcial 3, Complments de programmes de la classe de Seconde des lyces, p. 22. 8. B. O. supplment au n 022, Classes de Premire et classes terminales, p. 78.

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    - partir d'approches non spcifiques la DLE, telles que la psychologie ou la sociologie.

    L'une, on le sait, considre le questionnement systmatique et rigide comme le rsultat d'une tendance au directivisme, voire l'autoritarisme de la part des professeurs. L'autre y voit l'effet du statut de ces professeurs, dtenteurs du savoir, responsables de leurs lves devant l'administration et garants des objectifs institutionnels.

    Je ne remets ici en cause ni la ralit ainsi analyse - revendique d'ail-leurs trs lucidement dans le pass par beaucoup de mthodologues, comme A. Souillard pour qui en classe c'est le professeur qui est et qui doit tre le centre; c'est la condition premire et indispensable de tout enseignement collectif (1897, pp. 144-145) -, ni la validit scientifique de ces diffrentes analyses. Je pars seulement du principe selon lequel la meilleure forma-tion en DLE est celle qui est prise en charge par cette DLE elle-mme, ce qui me fait partager l'opinion de N. Soul-Susbielles lorsqu'elle crit (1984, p. 34):

    Les caricatures de dialogue que l'on brandit trop complaisamment s'expliquent en partie seulement par la conception de leur statut chez certains enseignants,. dans la trs grande majorit des cas, il faut plutt incriminer le manque d'information et de formation .

    ... et la mthodologie elle-mme, ajouterais-je; s'il existe bien en effet quel-que chose comme une didactique des langues, doue de sa propre cohrence, alors les dysfonctionnements de la mthode interrogative, par exemple, sont analyser d'abord en tant que produits du systme mthodologique o elle s'insre et dont on ne peut l'isoler.

    Contradiction entre les fins et les moyens Il me semble qu'une telle analyse fait effectivement apparatre le ques-

    tionnement rigide et permanent comme le rsultat de contradictions internes, comme un effet pervers du systme lui-mme.

    On le voit ds l'poque de la mthodologie directe, dont l'un des postu-lats fondamentaux et l'un des principaux garants de la cohrence thorique est l'homologie de la fin et des moyens de l'apprentissage: Une langue s'apprend par elle-mme et pour elle-mme , crit ainsi le rdacteur de l'ins-truction de 1890. Or fins et moyens sont dissocis dans le cas de la mthode interrogative :

    pour l'apprentissage linguistique, comme l'illustrent les deux cita-tions antrieures de l'inspecteur gnral E. Hovelaque :

    - le moyen est un commentaire dialogu forcment conu comme un exercice de prcision et de rigueur , puisqu'il vise tout la fois expliquer, contrler la comprhension, faire mmoriser et remployer les formes lin-guistiques, guider le commentaire des lves ainsi qu' susciter l'activit de tous;

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    - le but, au contraire, est l'autonomisation de l'lve, son affranchisse-ment graduel [ ... ] du contrle incessant du matre. ;

    et pour l'apprentissage culturel, comme on le voit dans les instruc-tions officielles rcentes :

    - le moyen, ce sont des questions prcises, soigneusement prpares , grce auxquelles le professeur parvient crer un dialogue fructueux 9 ; c'est la direction attentive du professeur qui permettra l'analyse appro-fondie [ ... ] [qui] devra aboutir la mise en vidence des ides principales 10 ;

    - le but, c'est d'amener l'lve, par tapes successives, tre de plus en plus libre9, et de faire de lui un lecteur autonome 10.

    Traitement de la contradiction La gravit de cette contradiction entre la fin et les moyens de l'apprentis-

    sage dans la mthode interrogative fait que le discours didactique ne peut y chapper. Mais elle lui fait subir, implicitement ou explicitement de la part des producteurs de ce discours, des traitements diffrents - ngation, occultation, dpassement ou gestion - que je vais illustrer ici partir des rcentes instructions de 1987 concernant la classe de Seconde Il , o cette con-tradiction se fait la plus forte. Cette classe se situe en effet, comme le signale trs justement le rdacteur de l'instruction d'anglais du 9 juillet 1987 un point charnire du curSUS puisqu'elle doit la fois conduire l'ensemble des lves une matrise suffisante des savoirs et des savoir-faire qui n'ont pas encore t assimils par tous , et continuer d'ouvrir les voies de l'auto-nomie (p. 26).

    a. Ngation de la contradiction Un tel traitement est bien difficile appliquer en ce qui concerne l'appren-

    tissage de la langue, o la ncessit des manipulations des formes linguisti-ques s'impose tout autant que celle de leur assimilation, c'est--dire de leur disponibilit pour l'expression autonome. Mais ce traitement apparaissait

    . propos de l'apprentissage culturel dans l'instruction gnrale du 28 aot 1969, o l'on demandait au professeur de guider mthodiquement la rflexion en usant de questions qui permettent d'orienter en quelque mesure le dialogue vers un dbat spontan portant sur le contenu essentiel du passage propos (Rd. CNDP 1978, p. 42). Et il rapparat dans l'instruction d'espagnol du 5 fvrier 1987, dont le rdacteur affirme que lorsque les lves sont exercs changer entre eux, spontanment, les ides que le texte leur inspire, l'expres-sion orale, si le meneur de jeu y veille, peut se rsoudre en un dialogue coh-

    9. B.O., n spcial 1, Sfvn'er 1987, Programmes de la classe de Seconde des lyces, Italien, p. 57 et p. 59.

    10. B.O. n spcial 1, 5 fvrier 1987, Programmes de la classe de Seconde des lyces, Portugais, p. 67. Il. B.O., n spcial 1, Sfvrier 1987, Programmes de la classe de Secondes des lyces, et B.O.

    spcial 3, 9 juillet 1987, Complments de programmes de la classe de Seconde des lyces.

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    rent, bien centr sur le passage expliquer (p. 48). Je laisse mes lecteurs la responsabilit de juger du ralisme d'un tel traitement du problme, en leur me et conscience ... et surtout en leur exprience.

    b. Occultation de la contradiction Elle s'effectue par effacement de l'un des termes de la contradiction. Ce

    traitement apparat par exemple pour l'enseignement de la langue dans une instruction d'allemand o il est dclar que l'assimilation pratique, par nos lves, du systme linguistique de l'allemand n'est rien d'autre que l'acquisi-tion par eux d'automatismes de langue (9 juillet 1987, p. 19), et qu'il revient au professeur, dans la stratgie d'ensemble dfinie cet effet, de leur don-ner [aux objectifs pdagogiques] la forme adquate et de choisir bon escient le moment de leur mise en uvre (5 fvrier 1987, p. 20).

    Le mme traitement est appliqu par le rdacteur des dernires instruc-tions d'anglais aux activits de rflexion sur la langue sur lesquelles il met particulirement l'accent depuis quelques annes: il s'agit de conduire la rflexion et le raisonnement (5 fvrier 1987, p. 23), de guider l'lve vers une prise de conscience des concepts sous-jacents l'activit de langage (id., p. 22), l'lve tant jug incapable, sans incitation et sans guide de saisir sous les formes et les agencements de surface, les rseaux de repre et de relations significatifs (9 juillet 1987, p. 29).

    c. Dpassement de la contradiction Le principe de ce traitement est bien expos par l'instruction d'anglais

    du 9 juillet 1987 : Eduquer, donc enseigner, c'est rendre autonome, c'est--dire amener l'enfant se passer du matre. En langue trangre, la situation est un peu particulire dans la mesure o l'on ne rend pas vraiment autonome, on rend de plus en plus autonome (p. 28)12. Le problme est donc de cher-cher comment donner les moyens de cette autonomie (id.).

    Dans ce type de traitement, le professeur est conu non plus comme un guide (ce qui suppose une certaine directivit), mais comme un facilita-teur d'apprentissage (id.). C'est bien sr pour les objectifs formatif et cultu-rel que ce traitement se rvle le mieux adapt: La plupart des activits doivent permettre aux lves de formuler de manire autonome un sentiment, une ide, une opinion personnelle , selon le rdacteur de l'instruction d'anglais du 5 fvrier 1987 (p. 22), alors que celui de l'instruction de portugais, la mme date, reconnat que les exercices destins dvelopper l'expression personnelle, donc l'autonomie de l'lve, sont beaucoup plus complexes [que ceux de comptence linguistique] (p. 68). .

    12. En ralit, dans aucune des autres matires scolaires non plus on ne rend l'lve totale-ment autonome ...

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  • TECHNIQUES DE GUIDAGE

    d. Gestion de la contradiction

    C'est le traitement le plus frquent dans l'histoire de la DLE. Il s'est appli-qu successivement

    - l'ensemble du cursus C'est le traitement retenu par les mthodologues directs, qui avaient ta-

    bli la progression suivante pour l'utilisation du texte en classe de langue:

    LECTUREREPRISE ... LECTURE EXPUQUEE... LECTURE CURSIVE ... LECTURE SPONTANEE des apports oraux en classe, sous en classe, sous en dehors de la classe du prof. en classe la direction du prof. le contrle du prof.

    On retrouve encore un tel traitement dans les rcentes instructions d'alle-mand, o il est dominant : Au-del de la lecture imitative, on entrane trs progressivement les lves de seconde une lecture autonome. [ ... ] Pour attein-dre pleinement l'objectif d'une expression crite autonome, une prparation pralable est indispensable. [ ... ] Dans un premier temps, on prendra directe-ment appui sur le document tudi, sur les thmes abords et discuts par l'ensemble de la classe. Cette reprise plus ou moins contraignante, et par con-squent imitative, fera place peu peu une expression moins dirige, un discours plus libre ... (instruction du 9 juillet 1987, pp. 22-23).

    Pour avoir t l'un des premiers traitements appliqus jusqu' prsent en DLE, nous savons pourtant que ce mode de gestion n'aboutit pas des rsul-tats satisfaisants chez la plupart des lves.

    - l'ensemble d'une leon C'est la solution adopte dans les cours audiovisuels dits "de la premire

    gnration" (mais on trouve encore actuellement en enseignement scolaire des cours de ce type, peine adapts), o les exercices les plus directifs (rptition phontique et exercices structuraux) dbouchent sur la phase de "transfert" ou d"'expression libre". Les didacticiens de franais langue trangre ont remar-

    'qu depuis vingt ans dj qu' l'intrieur de chacune de ces leons les lves passaient difficilement de la manipulation l'expression linguistique (H. Besse, 1970, p. 15).

    - des successions d'activits diffrentes et sur des supports diffrents

    C'est le cas depuis quelques annes en franais langue trangre, et l'on commence voir apparatre ce traitement dans les instructions officielles. Comme dans celle d'italien du 5 fvrier 1987, o sont proposes des activits relevant de 1' entranement l'autonomie , d'autres de la pdagogie diff-rencie et du {( travail autonome , ct de {( l'explication (ou du commen-taire) de texte , exercice qui pour sa part {( requiert de la rigueur et qui {( doi[t] donner lieu une prparation minutieuse de la part de l'enseignant, surtout au moment de l'laboration des questionnaires (p. 58).

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  • LES LANGUES MODERNES

    3. Rforme du systme Un outil indispensable

    Quels que soient ses dangers, la mthode interrogative reste un outil indis-pensable dans nos classes, et les arguments ne manquent pas pour le montrer. Elle permet notamment au professeur, au cours du commentaire de texte:

    - de dcomposer le travail en une srie de tches trs fractionnes et donc plus aisment comprhensibles et ralisables;

    - de guider volont la rflexion sur les problmes trs divers que pose le commentaire de texte : comprhension littrale, comprhension globale, rep-rages discursifs, interprtations culturelles, etc. ;

    - de solliciter la participation orale de tous, y compris des plus faibles et des plus timides.

    Rponse aux critiques Les deux principales critiques gnralement faites la mthode interro-

    gative sont les suivantes: l. La mthode interrogative impose un dialogue inauthentique, le professeur

    connaissant dj la rponse. - A quoi l'on peut rpondre d'abord que certaines questions portant sur

    les interprtations et les ractions personnelles des lves sont de vritables demandes d'information.

    - Il est vrai qu'en classe de LE le seul objectif de la plupart des questions est de "faire parler" les lves. Mais N. Soul-Susbielles rappelle fort juste-ment que la salle de classe reprsente une situation bien relle, qui a aussi son authenticit (1984, p. 27). Dans ce cadre, les questions objectif exclu-sivement linguistique du professeur sont elles aussi de vraies questions puisqu'elles sont des demandes de production. Elles le sont tout autant que ces questions qui constituent en ralit des moyens d'action sur l'inter-locuteur (( Pouvez-vous fermer la porte? a vous drangerait de me rappeler plus tard? ... ), ou encore ces autres questions qui fonctionnent comme des modalisations d'information ("a ne va pas, non? Qu'est-ce que vous vou-lez que a me fasse ?" ... ). Si l'interrogation est essentiellement action (cf. Apos-tel L. 1981), la question du professeur est bien une vraie question puisqu'elle vise agir sur l'lve pour qu'il agisse lui-mme, et puisqu'elle appelle une action en retour du professeur (ragir la rponse).

    2. La mthode interrogative impose un mode de classe directif, centr sur le professeur (cf. plus haut: Haro sur la question). A quoi l'on peut rpondre:

    - Qu'il faut simultanment et constamment tenir compte, dans la rflexion sur ce problme, des inconvnients de l'excs inverse (la non-directivit). C'est ce que fait par exemple G. Otman lorsqu'il crit:

    La classe de littrature est - J'en ai fait l'amre exprience des deux cts de la table magistrale - un lieu de silences gns ou de bavardages

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  • TECHNIQUES DE GUIDAGE

    striles quand elle ne prend pas la forme d'un bombardement orchestr de questions/rponses conduisant une explication/interprtation dont l'ensei-gnant est le seul tenant et garant de la validit (1988, pp. 175-186). Et N. Soul-Susbielles dcrit ainsi ce qui s'est pass dans certaines classes

    de franais langue trangre, dans la grande vague de l'approche communi-cative ", quand le professeur a cru qu'il suffisait d'abandonner la parole pour que les lves la prennent : En fin de compte, quelques lves accaparent la parole et la "conversation" cahote par -coups sans cohrence, tournant vite au bavardage creux" (1984, p. 31).

    - Que ce n'est pas parce qu'un outil donn - en l'occurrence le ques-tionnement destin dclencher et orienter l'activit des lves - peut-tre trop puissant et par l-mme dangereux lorsqu'il est mal utilis, qu'il faut le mettre au rencart !

    - Que mme les pdagogues spcialistes du travail autonome (par exem-ple A. Moyne, 1982) reconnaissent la ncessit de moments d'activits "tradi-tionnelles", pendant lesquels le professeur apporte des informations ou dirige un travail collectif en grand groupe.

    - Que par consquent le seul problme didactique que pose le ques-tionnement est celui de sa matrise.

    Propositions pour une rforme L'analyse du systme a fait apparatre les deux phnomnes essentiels

    la source des problmes : - la pluralit des fonctions simultanment assignes la mthode inter-

    rogative, en raison de l'intgration didactique maximale; - et l'importance prise par les fonctions de manipulation linguistique,

    en raison de la priorit accorde par l'Institution l'objectif pratique. D'o les trois principaux axes d'un projet rformiste: 1. Multiplier les supports textuels qui ne donneront pas lieu

    "commentaire" complet, mais seulement certaines activits. Rser-ver ainsi, en premier cycle, des textes destins n'tre que mmoriss (des pomes, par exemple, comme le conseillaient dj les mthodologues directs), d'autres qui ne seront abords qu'en comprhension globale, d'autres qui ne seront utiliss que comme prtextes discussion, etc. Au besoin, la traduction en franais sera fournie d'emble.

    2. Multiplier les activits pralables concernant la comprhension, la mmorisation et le remploi linguistiques, pour les textes devant don-ner lieu au "commentaire" complet, partir d'un appareillage didactique ad hoc, afin de centrer au maximum le travail collectif oral sur le contenu des textes.

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  • LES LANGUES MODERNES

    3. (S')entraner la matrise de la mthode interrogative, enfin, pour les activits collectives par oral, qui garderont de toutes manires une place essentielle.

    N. Soul-Susbielles souligne {( la masse considrable d'tudes consacres actuellement cette mthode interrogative aux Etats-Unis (1984, p. 34). Je ne peux que renvoyer mes lecteurs sa bibliographie. Et constater, en matire de DLE, la supriorit du pragmatisme anglo-saxon sur notre idiosyncrasie nationale qui nous fait jeter priodiquement non seulement les bbs avec l'eau de leur baignoire, mais leurs parents avec l'eau de leur piscine. H.G. Wid-dowson, sur les quelques 170 pages de son ouvrage Une approche communica-tive de l'enseignement des langues (1978), en consacre prs de 10% l'analyse des questions professorales. A mon tour d'en poser une mes lecteurs: com-bien de lignes les "communicativistes" franais ont-ils consacres l'analyse de la question (du professeur ou des lves), sans laquelle toute communica-tion risque pourtant de dgnrer en monologue autistique ? ...

    4. Innovation Dans cette dernire tape du modle formatif dcrit ici, il ne s'agit plus

    comme dans l'tape prcdente de proposer des amnagements, des amliora-tions concernant les pratiques existantes, mais d'ouvrir de nouvelles prati-ques. Contrairement au modle "rvolutionnaire", cependant, qui veut faire table rase du pass et prtend crer de toutes pices une nouvelle problmati-que, le modle "innovateur" se maintient l'intrieur de la problmati-que existante qu'elle cherche renouveler.

    Dans le cas de la mthode interrogative, l'axe de l'innovation est connu depuis longtemps (depuis la mthodologie directe, encore), bien que les pro-positions concrtes n'aient gure t nombreuses, et soient surtout restes trs ponctuelles. Il s'agirait, dans cette dernire tape de ce modle (auto)formatif, d'inventorier les moyens/de proposer des moyens/de rflchir aux moyens mettre en uvre :

    - pour que ce soient les lves eux-mmes qui (se) posent les questions 13 ;

    - pour qu'ils apprennent poser les questions pertinentes; - et pour qu'ils apprennent organiser ces questions en un vritable

    "interrogatoire" du texte qui leur serve de canevas pour la construction d'un commentaire cohrent.

    Il existe pour ce faire de nombreux procds de guidage possibles, cer-tains proposs dj, mais peu connus, d'autres inventer. Il s'impose de les

    13. Cf. G. Vigner, dans ce mme numro: Par le moyen des questions magistrales, l'lve apprend rpondre aux sollicitations de ce dernier [le professeur], alors qu'il devrait apprendre rpondre celles du texte.

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  • TECHNIQUES DE GUIDAGE

    rpertorier, de tcher de les organiser en une mthodologie cohrente o sera explicitement pos le problme de la progression d'apprentissage: la pre-mire phase d'une formation de nos lves l'interrogation des textes, c'est peut-tre que nous explicitions systmatiquement devant eux notre propre mthodologie d'interrogation; comment nous avons trouv les questions que nous leur posons, comment nous les avons slectionnes et comment nous les avons articules. Beaucoup de collgues ont sans doute dj des proposi-tions intressantes faire ce sujet, des ralisations concrtes prsenter; la formation des professeurs de LE, sur ce point comme sur les autres, doit tre tout autant auto-formation et formation rciproque que formation reue.

    Il faudra bien, en effet que tous les didacticiens de LE qui rclament aujourd'hui juste titre l'autonomie de leur discipline, en tirent toutes les con-squences. Si les formateurs en DLE ne sont plus ni "au-dessus" de leur sujet comme les linguistes l'taient la belle poque de la "Linguistique Applique", ni mme "extrieurs" lui quelque titre que ce soit, alors les fins et les moyens du changement futur en DLE sont chercher d'abord dans la rflexion sur son pass et l'analyse de son prsent: comme nos lves en commentaire de textes, nous avons dsormais dans notre mtier commencer nous poser nos propres questions et chercher nos propres rponses.

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    Christian PUREN Bordeaux III

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    ACQUISITION LINGUISTIQUE ET INTERFERENCES Un livre de Jean Petit prsentant les recherches faites en psycholinguistique sur l'apprentissage des langues. Le dernier ouvrage paru dans la Bibliothque de l'A.P.L.V. Prix: 70 F (85 F port et emballage inclus).

    A.P.L.V. 19, rue de la Glacire, 75013 Paris

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