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Executive Master Communication
Promotion 2013/2015
Joy MELKI
Paris Soutenance le 6 novembre 2015.
Mémoire professionnel
Comment l’art devient-il le levier de communication prépondérant des entreprises en France ?
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Sommaire
Remerciements 4 Introduction 5
I L’art au service de la communication des entreprises : les différentes formes de mécénat et leurs avantages. 8
I.1 Regard sociologique et historique sur les circonstances de l’avènement de l’art au sein des entreprises. 8
I.1.1 L’accès à l’art dans le domaine public : les questions soulevées par Malraux et Bourdieu sont toujours d’actualité 8
I.1.2 Le modèle historique du mécénat resurgit. 13 I.1.3 Le lien entre l’avènement de l’art dans les entreprises et la théorie des parties prenantes de Freeman semblé avéré.
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I.2. Le mécénat culturel est un socle pour le développement durable de l’entreprise 28
I.2.1 L’implication du mécénat d’entreprise dans des causes d’intérêt social. 29 I.2.2 Le mécénat représente une fenêtre vers l’avenir pour les entreprises. 31
I.2.3 Pour l’entreprise, le mécénat est un des aspects d’un mode de management intelligent.
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I.3 Les fondations d’entreprises tournées vers l’art : un outil au service de la communication. 37
1.3.1 Les fondations sont des leviers de communication et d’échange en elle mêmes. 39
1.3.2 L’art au service de la communication représente une liberté pour l’entreprise de réinventer son positionnement et d’enrichir ses valeurs. 45
1.3.3 Les fondations s’imposent comme partie intégrante de la stratégie d’entreprise.
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II. Etude de cas : analyse de la cohérence du lien entre l’art et le secteur d’activité de l’entreprise, ainsi que de la communication autour de ce lien. 56
II.1 Le cas de la collection d’art contemporain de la Société Générale. 56 2.1.1 Un nouveau dialogue s’opère entre l’œuvre d’art et la nature immatérielle de l’activité bancaire.
56
2.1.2 Les œuvres d’art de la Société Générale deviennent un outil de communication et de cohésion interne.
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2.1.3 Mariage de passion ou mariage de raison : remise en question de l’utilisation de l’art en matière de communication en milieu bancaire.
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II.2 Les actions de Pernod-Ricard en faveur de la culture
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2.2.1 Les points de contact entre l’univers des spiritueux et celui de l’art. 62
2.2.2 La longévité des liens tissés entre Pernod-Ricard et les institutions culturelles qu’il soutient sont en eux-mêmes des leviers spécifiques de communication entre l’entreprise et le public.
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2.2.3 Le mécénat de Pernod-Ricard et du Centre Pompidou est un échange de bons procédés.
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III. Recommandations destinées aux grandes entreprises pour l’intégration de l’art dans leur stratégie de communication.
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3.3.1 Mettre en place des départements adaptés aux spécificités de la communication culturelle et au choix des artistes dans chaque entreprise. (Réussir à autonomiser son propre raisonnement quant aux œuvres, disposer de suffisamment d’informations pour pouvoir se créer son propre avis sur les œuvres).
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3.3.2 Favoriser la jeune scène contemporaine française pour l’acquisition d’œuvres et donner la parole aux artistes en tant que médiateurs pour parler de leurs travaux et de ceux des autres dans le cas de la collection d’art moderne (artistes décédés).
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3.3.3 Donner la possibilité aux salariés de contribuer à la constitution d’une collection d’entreprise.
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Conclusion
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Bibliographie
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Annexes, analyses
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Remerciements
Mes parents : Pour leur soutien dans cette reconversion, leur écoute.
Mon frère Benjamin : Pour sa bienveillance, sa disponibilité.
Jean-Claude : Un cousin en or, merci de ton aide dans cette nouvelle aventure !
Linda PINTO : Une précieuse petite perle. Sans toi cela n’aurait pas été possible. Merci …
Maya : À mon tour de te remercier pour ces 26 ans d’amitié.
Lucie : Tes mots justes, nos fous rires, qui résonnent et donnent du courage même à distance.
Valentine : Ta bienveillance, tes encouragements. Une amie parfaite.
Sarah : Fidélité, complicité, disponibilité, amitié.
Rebecca : Pour ta présence, ton amitié sincère tout simplement, même à 6000km.
L’équipe de l’Executive Master Communication.
Ambroisine BOURBON et André de MARCO de m’avoir donné la chance de pouvoir intégrer ce master.
Hélène TINLOT et Myriam ZAZZARON pour leur disponibilité et leur gentillesse.
L’ensemble des intervenants.
Toute la promotion Pierre LEVY pour ces échanges et pour ces moments inoubliables…
L’équipe des tuteurs : Aurélie et Jean-Baptiste.
- Jean-Christophe CASTELAIN, Rédacteur en chef du Journal des Arts.
- Jean-Yves BOBE Service des arts plastiques Direction générale de la création artistique, ministère de la culture et de la communication.
- Robert FOHR, chef de la mission du mécénat, ministère de la culture et de la communication.
- Sylvie MACHENAUX, directrice du Mécénat, chez Pernod Ricard
- Florence VIELFAURE chargée de mission Numérique Département de la politique des
publics Direction générale des patrimoines, ministère de la culture et de la communication.
- Benoit PARAYRE, Direction de la communication et des partenariats, Centre Pompidou,
Paris.
- Jean-François GRUNFELD, Museum Expert, Paris.
- Carine DECROI, Directeur Marketing, Communication et Activités culturelles, Artcurial,
Paris.
- Shelley MANION, Senior Product Manager, British Museum, Londres.
- César CHEMINEAU, département Mécénat du Musée du Louvre.
- Catherine VOIRIOT, département des objets d’art du Musée du Louvre.
- Aurélie DEPLUS, Commissaire d’exposition, la Société Générale, la Défense.
- Nathalie HEINICH, Sociologue.
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Introduction
« Faites toujours que votre tableau soit une ouverture au monde »
Léonard de Vinci1
À travers l’histoire, les États ont été amenés à utiliser l’art comme un moyen de valoriser
leurs actions. Témoins de leur époque, les artistes, ainsi que leurs œuvres, et précisément
les lieux où ils s’exposent ont changé (par art nous entendons toutes les formes de
créations, modernes ou contemporaines, qu’elles soient des peintures, des sculptures ou
des dessins. Ce qui nous intéresse dans ce cas est la démarche plutôt que la nature de
l’œuvre). Ces lieux dédiés à la culture et au loisir que sont les musées, étaient hier
détenteurs d’une sorte de monopole de l’accès à l’art et se voient aujourd’hui voler la
vedette par des entreprises, des fondations d’entreprise ou des mécènes privés (nous nous
intéresserons ici aux PME, aux grandes entreprises, et tenterons de dégager les
particularités d’un engagement en faveur de l’art dans les family offices).
Hier, au service des grands mécènes tels que François 1er, les Tudors, les Médicis à
Florence ou les Camondo à Paris, les artistes valorisaient ces derniers par l’art du portrait,
par le biais duquel ces donateurs étaient mis en scène en costume d’apparat, à la gloire de
leurs actions, de leur fonction ou de leur règne.
Nous sommes en droit de nous demander comment ce modèle ancien de mécénat a muté.
Nous le verrons au cours de cette étude, les mécènes d’aujourd’hui, donateurs pour de
grandes expositions, sont impliqués dans d’importantes actions culturelles à l’échelle
nationale et internationale. Leur champ d’action s’est étendu et le modèle de la Renaissance
s’est inversé : ce sont à présent les mécènes qui valorisent les artistes et non le contraire.
Cette recrudescence du mécénat dit « privé », qui par conséquent semble avoir pris le relais
de l’État, témoigne des limites de l’action publique en matière de soutien à la création. Pour
ne citer qu’eux, Bernard Arnault (LVMH), François Pinault (Kering, ex-PPR) mais aussi la
maison Pernod-Ricard, ou encore des financiers désireux de prouver qu’ils sont capables de
sortir du secteur financier, sont devenus des acteurs prépondérant dans l’univers de l’art.
La destinée de l’art, et particulièrement de l’art contemporain semble désormais liée, pour le
meilleur et pour le pire, à celle des industries du luxe, des spiritueux ou de la finance.
1 ZOLLNER Franck, Léonard de Vinci, Toute l’œuvre graphique et peinte, Taschen, 2007, p.126
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Le XXIème siècle, semble devoir faire date pour le rapprochement entre le monde de l’art et
le monde du luxe et de la finance. Si ces univers ont pu se tenir tête, se haïr ou se rejeter,
comme ce fut le cas de l’art moderne, qui, selon André Malraux dans 2L’Homme précaire et
la Littérature a pris naissance par refus du luxe. Le XXIème siècle marque un
rapprochement inédit entre le monde de l’art, du luxe et de la finance.
Ce rapprochement a suscité des interrogations. D’un côté l’art et les institutions culturelles
en acceptant de collaborer avec des univers très éloignés du leur, s’exposent au risque de
voir leur image associée à des domaines dont la réputation a été noircie, et de perdre un
peu de cette noblesse qui leur a permis d’acquérir, entre autres, au fil du temps,
considération et privilèges au sein des plus hautes sphères de la société.
De l’autre les entreprises qui, évoluant dans un contexte économique fragile, doivent
repenser leurs leviers de croissance.
Cependant, ces dernières qui exposent de l’art ou constituent des collections, ont été la
cible de beaucoup d’interrogations de la part des professionnels de l’art quant à l’utilisation
qu’elles en font et au risque potentiel en termes d’instrumentalisation des œuvres.
Devant ces différents constats, nous sommes en droit de nous interroger quant à leur
sincérité et la mise en oeuvre de leurs actions dans l’utilisation qu’elles font de l’art.
Au même titre que de multiples « expériences » de la vie quotidienne, l’art est un enjeu de
consommation, en termes de parts de temps disponible et de bagage culturel pour
l’apprécier.
Car si l’appétence pour l’art et la culture a augmenté de façon inédite dans l’histoire de
l’humanité, il n’en demeure pas moins ségrégatif en termes de population exposée.
Le postulat d’André Malraux sur l’évidence de la beauté semble totalement contredit par la
notion d’acculturation et de transmission mise en évidence par Pierre Bourdieu. En effet,
l’art ne s’impose pas de lui-même. Il nécessite un apprentissage, un décodage, un
logiciel. C’est, entre autres, sur cette particularité que la cohérence du lien entre l’art et le
monde de l’entreprise, fût, à mon sens, intéressant à étudier. Alors que certaines se
tournent vers la santé, le sport, ou l’humanitaire, d’autres imaginent l’art comme étant un
élément essentiel de leur image et surtout de leur communication. Qu’elles soient novices
en matière d’art ou au contraire s’inscrivant dans une tradition familiale, les entreprises ont
fait ce choix et cela n’est pas par hasard.
Par conséquent, ce bilan nous amène à nous interroger sur les raisons qui poussent les
entreprises à utiliser l’art en parallèle des autres outils de communication « traditionnels »
dont elles disposent.
2 MALRAUX André, L’Homme précaire et la Littérature, Gallimard, 1977, p. 252.
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En dissociant les actions de mécénat de la communication traditionnelle, de quelle manière
et pourquoi les entreprises utilisent-elles l’art pour répondre à leurs problématiques de
communication ?
Il paraît donc utile d’examiner le rôle des entreprises dans la diffusion de l’art au travers de
leur communication interne et externe pour faire face à un triple enjeu :
-‐ Demeurer des référents dans leur domaine.
-‐ Assurer croissance et visibilité à l’entreprise.
-‐ Répondre à des enjeux de stratégie et de communication en interne pour mieux
relayer en externe.
À partir de ces différents constats, nous analyserons, dans un premier temps, le contexte de
l’avènement de l’art dans les entreprises à travers un aperçu historique et sociologique.
Nous déterminerons ensuite quelles sont les mises en œuvre des entreprises dans leur
approche de l’art et quels intérêts elles y trouvent.
Nous verrons enfin, au travers d’une série de préconisations à destination des entreprises
utilisant l’art, comment améliorer la cohérence des dialogues entre le monde de l’entreprise
et celui de la création.
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I L’art au service de la communication d’entreprises : les
différentes formes de mécénat et leurs avantages
I.1. Regard sociologique et historique sur les circonstances de l’avènement de l’art au sein des entreprises.
I.1.1 L’accès à l’art dans le domaine public : les questions soulevées par Malraux et Bourdieu sont toujours d’actualité.
« Il n’est pas vrai que qui que ce soit au monde ait jamais compris la musique parce qu’on lui a expliqué la Neuvième Symphonie. Que qui que ce soit au monde ait jamais aimé la poésie parce qu’on lui a expliqué Victor
Hugo. Aimer la poésie, c’est qu’un garçon, fut-il quasi illettré, mais qui aime une femme, entende un jour : ‘Lorsque nous dormirons tous les deux dans l’attitude que donne aux morts pensifs la forme du tombeau’ et
qu’alors il sache ce qu’est un poète. »
Discours d’André Malraux, pour l’inauguration de la maison de la culture d’Amiens en 1969.
L’art a tenu une place immense dans la vie de Malraux.
Dans son existence privée, publique et politique, la confrontation avec l’art exprime une
passion, consacre l’art dans une fonction métaphysique et enfin oriente une politique
culturelle - celle qu’il conduit comme ministre entre 1958 et 1969.
Pour Malraux, la culture n’est autre qu’une rencontre vivante avec l’art. Et cette conception
sera le fondement de toute sa politique culturelle. Nous en apercevons déjà les prémices
lors de son discours à l’Assemblée nationale le 9 novembre 1967: « 3Notre travail, c’est de
faire aimer les génies de l’humanité et notamment ceux de la France, ce n’est pas de les
faire connaître. La connaissance est à l’Université : l’amour, peut-être, est à nous ! ». Cette
idée d’une confrontation directe à l’art, éloignée de toute médiation, à la fois innée et
instinctive, naît chez Malraux de la philosophie kantienne, sans doute pénétrée par le biais
des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, de Friedrich von Schiller, écrivain
allemand de la fin du XVIIIème siècle. Selon Schiller, le Beau produit un effet directement
sur le moral. Car le beau rencontre un écho dans la nature même de l’homme et comble son
besoin le plus élevé, l’unité et l’harmonie.
Au travers de son ouvrage Critique de la faculté de juger, Kant développe l’idée qui est celle
d’une œuvre d’art que l’on ne peut juger sous l’éclairage de ses caractéristiques car le
jugement esthétique, dit-il, « 4doit être désintéressé de ces vues, des codes de notre
jugement habituel qui se réfère bien trop à la raison pour satisfaire la définition de la
3 de SAINT PULGENT Maryvonne, Le gouvernement de la culture, 1999, Gallimard. 4 KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Section I, Livre I, §6.
9
beauté ». Le Beau serait chez Kant, et chez Malraux, un concept sans codes qui relèverait
du sens commun et serait « 5objet d’une satisfaction universelle ».
Cette esthétique kantienne semble créer une résonance chez Malraux : l’idée d’une culture
universelle, relevant du sens commun et donc d’une forme de connaissance sensible
inhérente à l’homme, sans nécessité d’éducation à l’art.
Malraux semble accorder une fonction sociale à l’art, lui attribuant une capacité fédératrice
et une disposition à créer l’émotion et l’expérience.
L’idée d’une démocratisation culturelle vient alors seconder ce rôle social de l’art en
déployant des institutions culturelles sur l’ensemble du territoire pour créer cette
communauté d’émotions. Cependant, pour démocratiser la culture, encore faudrait-il pouvoir
y accéder. La médiation culturelle, relativement écartée de la politique culturelle de Malraux,
fut critiquée, à partir de 1965, par le sociologue Pierre Bourdieu. Ses études ont été
principalement basées sur les différents publics qui fréquentaient les musées, français et
européens. Différentes conclusions ont été tirées à partir de graphiques mettant en évidence
l’âge, la classe sociale, le degré de connaissance, la spécialité artistique préférée en
fonction des différentes classes sociales, ou encore les musées les plus fréquentés. On peut
retrouver l’ensemble de ces graphiques au travers de l’ouvrage L’Amour de l’art.
Le graphique ci-dessous reprend les deux idées principales de Bourdieu, la première étant
que plus le niveau d’études est élevé et spécialisé et plus l’accès à l’art est présent dans le
quotidien. C’est le contraire pour les agriculteurs, les ouvriers et les commerçants. La
deuxième idée étant qu’avec la culture, qui induit un certain niveau d’études, l’appréciation
de l’œuvre n’en sera que plus importante. Est soulevée ici la question de la médiation et son
importance dans l’appréciation de l’art. Dans ce graphique, Bourdieu note une prédisposition
par le capital culturel, c’est-à-dire produit à la fois par le système scolaire et familial, dans un
milieu et une éducation propices, qui facilite évidemment le sens artistique. Le plaisir de
contempler un tableau ou même d’écouter un opéra serait selon les résultats de ce
graphique, le produit de normes sociales, qui ne toucheraient alors pas toutes les franges de
la population. La médiation culturelle et la communication artistique pourraient donc être des
moyens efficaces d’appropriation de l’art et de remédier à cette inégalité.
5 KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Section I, Livre I, §6.
10
Taux de fréquentation annuel des musées selon les catégories sociales
6
7
De plus, la méthode d'enquête et d'analyse qu'emploient Pierre Bourdieu et Alain Darbel
dans l’ouvrage « L’amour de l’art » dessine derrière le plaisir éprouvé face à une œuvre d'art
un arbitraire culturel, un « habitus » qui détruit le mythe du goût inné, retournant la formule
de Kant et de Malraux, pour qui « 8le beau est ce qui plaît universellement sans concept ».
En opposition, à cette idée, le sociologue Pierre Bourdieu, lui, affirme que 9seul ce dont on a
le concept peut plaire. La culture est déterminée par les caractéristiques sociales, culturelles
et nationales du sujet. Au vu de cette étude, la division de la société entres personnes
s’intéressant à l’art et les autres, justifie le monopole des instruments de l'appropriation des
biens culturels en fonction du niveau d’études.
6 Taux de fréquentation annuel des musées selon les catégories sociales. Étude tirée de l’ouvrage L’amour de l’art, BOURDIEU Pierre, et DARBEL Alain, Les Éditions de Minuit, 1966, p.101. 7 Définition du mot habitus tiré du dictionnaire Larousse. 8 KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Section I, Livre I, §6. 9 Tirée de l’ouvrage L’amour de l’art, BOURDIEU Pierre, et DARBEL Alain, Les Éditions de Minuit, 1966, p.101
Habitus : Comportement acquis, caractéristique d'un groupe social, quelle que soit son étendue, et transmissible au point de sembler inné.
11
Plus que des questions méthodologiques, cet ouvrage pose des questions dans la définition
des problèmes et dans la vision a priori de l'art qui sert au sociologue. Celle-ci est orientée
par le sujet-spectateur : l’œuvre existe en tant qu'objet regardé. L'amour porté à l’œuvre est
motivé par les caractéristiques du sujet regardant.
C’est aussi une voie d’accès à de nouvelles problématiques et à l’analyse des différentes
conditions sociales permettant l’accession à la connaissance : 10« La culture n’est pas un
privilège de nature mais il faudrait et il suffirait que tous possèdent les moyens d’en prendre
possession pour qu’elle appartienne à tous ».
Dans l’observation de Malraux et celle de Bourdieu, les désaccords sont les suivants : la
différence principale qui oppose leurs deux visions de l’art se pose sur sa fonction éducative
qui passe à la fois par la médiation et par l’appropriation.
Tandis que pour Malraux l’œuvre d’art est belle en elle-même, et son appréciation doit et
peut se faire à la fois de manière innée et instinctive. Pour Bourdieu, au contraire, l’œuvre
ne se suffit pas à elle même, elle n’est pas ‘simplement belle’. Elle représente une
construction qui contient à la fois des informations sur l’artiste mais aussi une histoire et des
symboles. En somme une globalité. Le spectateur a donc besoin de clefs pour comprendre
l’œuvre qu’il regarde.
Le Centre Pompidou a compris cet enjeu pour pouvoir avoir accès à l’ensemble des
collections et aussi à des informations dédiés. C’est pourquoi le Centre a développé en
2012, avec le mécénat de Pernod-Ricard, ‘Le Centre Pompidou Virtuel’, un centre de
ressources numériques et une plateforme de diffusion de contenus donnant accès aux
internautes à un ensemble de contenus numériques produits par le musée (œuvres de la
collection, ressources documentaires, archives, captation de conférences, interviews
d’artistes, de commissaires d’expositions etc.).
Benoit Parayre, directeur du mécénat et de la communication du musée, précise que :
« Grâce à cette nouvelle proposition le Centre Pompidou touchera un public beaucoup plus
large que les seuls visiteurs physique potentiels. Il s’adressera à tous ceux qui s’intéressent
à l’art, experts, amateurs, curieux et ils pourront eux-mêmes construire leur propre
parcours ».
10 BOURDIEU Pierre, et DARBEL Alain, L’amour de l’art, Les Éditions de Minuit, 1966, p.35.
12
11
Ce type de dispositif délivre des informations sur les œuvres, sur les expositions en cours et
sur les collections permanentes. Les contenus sont adaptés en fonction de l’âge, du degré
de connaissance. Il permet à la fois de progresser et d’apprendre tout en regardant les
œuvres pour les comprendre et ainsi se créer des repères dans l’histoire de l’art.
Premiers chiffres après le lancement de l’application
12
La relative pauvreté qu’on observe en matière d’informations sur les œuvres dans les salles
d’exposition des musées nous amène à nous interroger sur l’impact de la théorie de Malraux
sur le ‘choc esthétique’, en matière d’appréciation et de compréhension des collections
aujourd’hui en musée.
11 Image tirée du communiqué de presse destiné au lancement de l’application du Centre Pompidou virtuel en 2012. 12 Chiffres provenant du communiqué de presse destiné au lancement de l’application du Centre Pompidou virtuel en 2012.
13
Par opposition, cela remet au goût du jour la problématique soulevée par Bourdieu, sur la
fonction éducationnelle de l’art et sur l’importance de posséder des clefs de compréhension
qui passeraient par l’éducation pour accéder à une œuvre « comme il se doit ». Au travers
de l’ouvrage L’Amour de l’art, Bourdieu et Darbel avance que : 13« L’œuvre d’art considérée
en tant que bien symbolique n’existe comme telle que pour celui qui détient les moyens de
se l’approprier, c’est-à-dire de la déchiffrer. »
Au travers de ces dispositifs, le visiteur reste libre de disposer de cet appareil ou non. Il
peut, s’il le désire, continuer d’apprécier l’art de manière « instinctive », mais il reste libre de
déterminer lui-même ce qu’il veut voir, apprendre, ou lire. Cette liberté dans l’expérience
culturelle que proposent ces dispositifs virtuels en axant l’approche des arts principalement
sur les contenus, vient compléter la visite in situ mais aussi constituer en soi, à une
expérience d’une nature différente. Par ce biais, le centre s’inscrit dans l’identité numérique
qui marque notre époque, et dans une démarche de sensibilisation des publics aux
collections mises à leur disposition. Une prestation de plus pour ces institutions qui avec peu
de moyens financiers doivent assurer leur devenir et celui de leurs collections.
I.1.2 Le modèle historique du mécénat resurgit.
« L’art c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre. »
Auguste Rodin
Depuis des siècles, l’art et la monarchie, ou l’art et le luxe ont, grâce aux artistes, dialogué.
Progressivement les entreprises voient leurs murs et leurs salles de réunion investis par des
toiles et des sculptures, les circonstances de l’avènement de l’art en entreprise se sont
imposées par petites touches au fil du temps.
Pour comprendre, pourquoi et comment, cette partie s’attachera à interroger le rôle de l’État
en matière de soutien à la culture. Et également à explorer l’univers des musées français en
termes de développement et de communication. Pour finir, les principales grandes
entreprises françaises qui jouent un rôle important pour soutenir la culture. Nous couvrirons
la peinture, la sculpture et les arts graphiques.
La prédominance du secteur public s’est vue consacrée en 1661, lors de la brutale éviction
de Nicolas Fouquet, amateur d’art et mécène privé, par Louis XIV. Certes, cet événement
n’a pas annihilé le mécénat privé, mais il a participé à la constitution d’un mécénat d’État
dont nous voyons aujourd’hui encore les effets, voire les méfaits dans l’instabilité et la
fragilité de son soutien en matière d’art. Ajoutons que l’appétence de Louis XIV pour les arts
13 BOURDIEU Pierre, et DARBEL Alain, L’amour de l’art, Les Éditions de Minuit, 1966, p.65.
14
a non seulement mobilisé beaucoup des ressources financières du royaume, mais aussi
occupé des bataillons entiers d’artistes majeurs à la décoration de palais civils comme celui
de Versailles, ou militaires comme les Invalides.
Devant le faste de la décoration du palais de Versailles et de ses jardins, nous constatons
que le phénomène de la Cour a attiré artistes et mécènes à Paris, laissant à la province des
moyens plus limités et des artistes moins prestigieux. Cette centralisation autour de la Cour
ne devait que s’amplifier sous la Révolution, puis sous l’Empire avec la création du Musée
national du Louvre. Cette centralisation artistique ne pouvait que donner lieu à la création
d’un art officiel qui se développa tout au long de la IIIème République (1870-1940).
Apparaissent ensuite les grands collectionneurs et mécènes du début du XXème en France
et en Europe. Pour les Kahnweiler, les Rosenberg, les Durand-Ruel ou les Guggenheim, la
passion de l’art était en quelque sorte inscrite dans leur patrimoine culturel et les artistes
qu’ils soutenaient, étaient au fil des siècles, comme marqués de leur empreinte. Daniel-
Henry Kahnweiler, le marchand des cubistes, en est un parfait exemple. Ou encore Peggy
Guggenheim qui soutient Max Ernst, Fernand Léger, Marc Chagall, tous réfugiés à New
York pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Ici aussi le mécénat privé (bien que l’intérêt général soit plus discrètement mis en valeur que
celui des actions menées par les grandes familles d’industriels), ouvre la voix vers une
génération de collectionneurs et mécènes à la fois fortunés, réellement passionnés et dont
l’implication en faveur de la culture résonne encore aujourd’hui.
Il apparaît donc deux traits majeurs du mécénat en Europe : d’une part, si la pratique du
mécénat provient de familles prestigieuses, lors de la Renaissance les familles constituaient
encore en elles-mêmes la structure de la force économique et politique. Les Médicis, par
exemple, ou les Fugger, grande famille de marchands qui domina la finance européenne à
la fin du Moyen-Âge et pendant la Renaissance du Saint-Empire germanique, qui furent les
mécènes du fameux peintre et graveur Albrecht Dürer. La frontière était donc floue entre
famille, mécène et entreprise. Ce n’est qu’au XIXème siècle, avec l’émergence de grandes
familles d’industriels (les Prouvost : fondateurs du musée du textile et de la vie sociale à
Fourmies, et de l’Ecomusée de l’Avesnois à Fourmies, sont aussi collectionneurs d’art, les
Masurel financent la construction d’une école en 1894, s’impliquent dans des associations
de filateurs et d’industries lainières à Paris autour des années 1890), qu’apparaissent les
premières actions de mécénat privé, au sens où nous l’entendons aujourd’hui : c’est-à-dire
un financement qui ne provient pas de l’État ou de la Cour, sinon de particuliers et visant
l’intérêt général.
Il apparaît donc nettement que le phénomène de centralisation autour de l’art est passé de
la monarchie aux grands industriels, puis vers les mécènes et les collectionneurs érudits du
début du XXème. Le rôle social de chacun de ces mécènes est un élément important à
prendre en compte dans l’étude de l’essor du mécénat privé dans le cadre de la culture.
15
Pour le comprendre, revenons sur les particularités françaises en termes de mécénat
culturel à la fois du côté des entreprises et de l’État.
Du côté de l’État, le budget consacré à la culture semble s’être stabilisé après deux années
en baisse en 2014 et 2013. Pour 2015, il s’élève à 7,7 milliards d’euros. La culture et la
communication arrivent bien derrière l’enseignement et le logement, nettement priorisés par
l’État en 2015 avec 47,4 milliards d’euros. Pour la culture et la communication, nous
remarquons un avantage donné au secteur des médias, du livre et des industries culturelles
avec 4,3 milliards d’euros contre 2,7 milliards d’euros pour la culture et la recherche
culturelle. 734 millions sont consacrés à la création (qui intègre l’art contemporain), et 1.1
milliard d’euros mis à disposition pour la transmission des savoirs et la démocratisation de la
culture.
Budget de la culture en 2015
14
14 Source Ministère de la Culture et de la Communication – 2015
16
Le poids des investissements des entreprises en matière de mécénat.
Du coté des entreprises, nous constatons que le mécénat est présent dans la plupart des
grands groupes français sous différentes formes. Selon une étude réalisée par Admical,
(association créée en 1979 qui développe le mécénat des entreprises et des entrepreneurs)
publiée en janvier 2014, les groupes du CAC40 ont consacré chacun en moyenne 19,2
millions d’euros en 2012 à des actions de mécénat et leur budget annuel représente en
moyenne 0,06% de leur chiffre d’affaires. 59% investissent dans la culture et le patrimoine,
contre 76% dans l’éducation, 62% dans la santé et 38% dans le sport.
Grandes entreprises mécènes en 2015 en France
15
Une entreprise peut financer des projets selon le domaine d’utilité général auquel elle
souhaite se consacrer (art, santé, sport), mais elle peut également s’investir dans ce type de
projets par l’intermédiaire d’une structure dédiée, portant son nom : association, fonds de
dotation ou fondation d’entreprise.
À titre d’exemple, la fondation BNP Paribas, qui fête ses 30 ans cette année, avait un
budget de mécénat de 7 millions d’euros en 2014 dont 1,5 uniquement consacré à la culture
(spectacle vivant, musique, musées et objets d’art).
15 Grandes entreprises mécènes, source Admical 2015
17
LVMH, sous la présidence de Bernard Arnault, a donné naissance à la Fondation Louis
Vuitton, dédiée à la création artistique contemporaine, dont le bâtiment a été inauguré en
octobre 2014 à Paris. Pour finir, Gucci, la marque phare du groupe Kering, possède quant à
elle son propre musée à Florence et a récemment financé pour 340.000 euros la
restauration d’une dizaine de tapisseries du XVIème siècle.
Répartition des mécènes en fonction de la taille de leur entreprise
16
Répartition des différentes spécialités par catégorie de mécène
17
Alors que 59% des entreprises mécènes soutiennent la culture (source Admical 2014), ce
sont les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises (GE) qui arrivent
16 Source ADMICAL CSA 2014 17 Source ADMICAL CSA 2014
18
en première position en matière de mécénat, avec 69%, contre 19% pour les PME et 16%
pour les TPE. 24% des mécènes se consacrent aux musées et aux expositions, et 41% de
leur budget est utilisé à cet effet. Comment expliquer l’attrait des grandes entreprises pour le
mécénat ? L’économiste et financier belge Thibaut André 18remarque que les civilisations et
les sociétés qui ont pu développer les arts et la culture sont celles qui ont accordé une place
prépondérante au commerce et à son libre exercice dans un environnement juridico-fiscal
relativement équilibré. De ce fait, l’accumulation de capital augmentant les standards de vie,
les individus, une fois délivrés des contraintes liées aux besoins essentiels de l’existence,
peuvent s’adonner à des activités non-économiques.
Il rajoute : 19« Les arts et la culture, quand on a accumulé de l’épargne, et même un surplus,
ça ne se finance pas via l’endettement public mais sur fonds propres et privés. » Hors
l’étude ci-dessus, publiée en 2014 par Admical, démontre en effet que plus l’entreprise est
importante, plus les budgets consacrés au mécénat peuvent se développer et perdurer.
Point sur le mécénat, sa fiscalité et ses avantages pour les entreprises
La loi n°2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux
fondations, dite « Loi Aillagon », a institué un dispositif fiscal pour développer en
France le mécénat des entreprises et des particuliers dont les caractéristiques
(dispositif de droit commun) sont les suivantes :
-‐ en faveur des entreprises (Art. 238 bis, CGI) : réduction d’impôt sur les
bénéfices égale à 60% du montant du don (en numérique ou en nature) à un
organisme ou une œuvre d’intérêt général dans la limite des versements annuels de
0,5% du chiffre d’affaires de l’entreprise. En cas d’excédent de versement,
l’entreprise dispose de cinq exercices pour utiliser sa réduction d’impôt.
-‐ en faveur des particuliers (Art. 200, CGI) : réduction d’impôt sur le revenu au
taux de 20% du revenu imposable du donateur, avec report possible sur cinq ans en
cas d’excédent de versement
Les musées et leur financement aujourd’hui
Depuis 2003, le milieu culturel français a connu un bouleversement. La loi Aillagon sur le
mécénat du 1er août 2003 permet (comme nous le montre ce récapitulatif ci-dessus), aux
18 Thibaut André, blog personnel CONTRARIO, billet : Pourquoi l’état n’a pas à se mêler de la culture, un bref argumentaire, mis en ligne le 29 mai 2013 19 Thibaut André, blog personnel CONTRARIO, billet : Pourquoi l’état n’a pas à se mêler de la culture, un bref argumentaire, mis en ligne le 29 mai 2013
Mécénat : soutien matériel apporté, san
19
particuliers de devenir mécènes au même titre que les entreprises et avec des avantages
comparables.
Internet, l’essor des réseaux sociaux et la facilité d’accès à une multitude de dispositifs
numériques qui peuplent notre quotidien (tablettes, smartphone, réalité augmentée, visite
virtuelle, visioguide) permettent une expérience de plus en plus personnalisée et enrichie en
termes d’appréciation et de découverte de notre environnement. De fait, la technologie a
aussi sa part à jouer dans la métamorphose de l’expérience culturelle mais également dans
la quête de nouveaux mécènes. Du coté des grands musées français, (nous prendrons le
cas du Musée d’Orsay, et du Centre Pompidou), cette quête, se développe autour de la
mise en relation entre les organisations culturelles, porteuses de projets et les citoyens. Le
fait de chercher à toucher directement les particuliers, est le signe d’une nouvelle
citoyenneté culturelle. Les nombreuses campagnes de mécénat participatif que les plus
grandes institutions culturelles françaises n’hésitent pas à utiliser, le démontrent. C’est
notamment le cas du musée du Louvre, qui, dans le cadre de sa campagne Tous mécènes !
a pu acquérir un joyaux du mobilier français XVIIIème : La Table de Teschen, que nous
détaillerons dans une partie suivante. Cette campagne a permis à des mécènes privés mais
aussi à des entreprises de participer à cette acquisition. Grâce aux réseaux sociaux, et les
sites internet des musées, il est devenu plus aisé pour ces institutions de présenter un projet
de mécénat via des contenus mobilisateurs et de faire appel au plus grands nombre :
mécènes privés, entreprise, mais également de s’ouvrir à l’international.
Le cas du Musée d’Orsay
Depuis 2013, le Musée d’Orsay prépare une campagne territoriale et internationale pour
procéder à la restauration de L’Atelier du peintre de Gustave Courbet. Le musée a bénéficié
d’un soutien provenant de différents donateurs : 20l’Art Conservation Project de Bank of
America Mellrill Lynch, et des « American friends of Musée d’Orsay ».
En parallèle, le musée a lancé en octobre sa première campagne participative pour
compléter le financement de cette restauration (600.000 euros devaient être récoltés) afin
d’offrir la possibilité à tous, de participer à ce projet. Le musée s’est également appuyé sur
un réseau d’ambassadeurs pour finaliser le projet. Plus de 211335 donateurs ont donné
155.374 euros en 80 jours d’appel aux dons.
20 Tiré du rapport d’activité du Musée d’Orsay, édition 2014. 21 Chiffres tirés du rapport d’activité du Musée d’Orsay, édition 2014.
20
Ressources propres et financement de l’Etat, dans le cas du Musée d’Orsay de 2004 à
2014.22 (la courbe verte représentant l’Etat).
Nous constatons une baisse de l’apport financier de l’état en faveur du Musée d’Orsay à
partir de 2011 avec un léger rebond en 2014.
Alors qu’en 2014 les subventions de l’Etat s’élèvent à 27 millions d’euros, les ressources
propres du musée atteignent environ 37 millions d’euros.
Le dépassement des subventions de l’Etat au profit des ressources propres s’est amorcé au
cours de l’année 2011 et cette courbe n’a pas été inversée depuis.
Bien que l’Etat soit toujours présent dans le paysage financier d’Orsay, (à hauteur de 26
millions d’euros environ pour 2013 et 29 millions environ en 2014) on observe que le musée
à principalement fait appel à des mécènes particuliers ou des entreprises pour financer ses
principaux grands projets.
22 Tiré du rapport d’activité du Musée d’Orsay, édition 2014.
21
Dans le cas du Centre Pompidou
Pour le Centre Pompidou, nous nous concentrerons principalement sur les chiffres et les
recettes pour l’année passée. Les détails sur la programmation, les mécènes et les
expositions seront développés dans plusieurs parties suivantes.
Les subventions du ministère de la Culture et de la Communication ont diminué depuis 2007
pour le Centre Pompidou. Elles s’élevaient à 75.881.930 millions d’euros en 2007, le point
culminant étant en 2009 avec un total de subvention accordées par l’État d’un montant de
78.503.611 Millions d’euros. En 2014 elles étaient passées à 66.237.406 millions d’euros. 23
Lors de notre récente interview, Benoît Parayre directeur de la communication et du
mécénat au Centre Pompidou nous a confirmé ce désengagement de l’État. Il indique que
les subventions de l’État s’élèvent à 10% du budget total du centre (ce chiffre étant calculé
sur 6 ans). Dans cet autofinancement, il faut compter les recettes propres qui sont
apportées en grande partie par la billetterie.
Pour les organisations, le fait de pouvoir s’ouvrir directement aux publics et aux particuliers
augmente le nombre de mécènes potentiels. Ces différentes sources de financement,
qu’elles proviennent d’entreprises ou de particuliers, permettent d’explorer une nouvelle
relation entre l’institution et le public.
Le mécénat des particuliers ne remplace pas celui des entreprises. Il peut le compléter en
apportant un soutien populaire et citoyen aux cotés des acteurs de la culture.
Finalement, comme le témoignent les chiffres ci-dessus, face à la restriction des budgets
accordés par l’État aux institutions culturelles française, c’est le renouveau d’un mécénat
ancien qui est à présent en train d’éclore. Celui des particuliers, mais aussi celui des
entreprises.
N’est-ce pas là un moyen de rendre à l’art ses lettres de noblesses en donnant la possibilité,
à qui le souhaite, citoyens, entreprises, françaises ou internationales, d’apprécier ces
créations en y étant associés. De plus, l’initiative de s’ouvrir à des campagnes de mécénat
participatif, ou de faire appel à des entreprises confronte et responsabilise la société aux
problèmes bien réels que rencontre l’art aujourd’hui au sein des institutions qui conservent
ces créations. Des restrictions financière, qui se répercutent également sur la médiation et
l’accès à l’art pour les publics. Les campagnes de mécénat participatif semblent être une
solution car elles permettent aux musées comme aux citoyens de s’associer autour d’un
projet commun.
La recrudescence d’un modèle ancien de mécénat, confirme une baisse des subventions de
l’État en faveur de la culture, mais d’un autre coté offre des solutions pour décloisonner les
23 Chiffres provenant du rapport d’activité du Centre Pompidou, édition 2014.
22
liens entre les citoyens, le monde de la culture et celui des entreprises. De plus, ces actions
vont dans le sens d’une forme de démocratisation culturelle.
I.1.3 Le lien entre l’avènement de l’art dans les entreprises et la théorie des parties
prenantes de Freeman est avéré.
« Face aux œuvres d’art, les hiérarchies professionnelles font davantage place à des dialogues transversaux »
José Frèches, ancien conservateur du musée Guimet, Paris.24
Ed Freeman, philosophe et universitaire américain, né en 1951, part du principe que
l’entreprise ne devrait pas uniquement être attentive à ses actionnaires mais bien à
l’ensemble des catégories d’acteurs avec lesquels elle est en relation. Il en déduit une
théorie : la théorie des parties prenantes. Représentant l’une des pierres angulaires de la
RSE (responsabilité sociale des entreprises) elle s’est progressivement affirmée comme un
courant théorique d’importance pour appréhender l’entreprise et son organisation.
La RSE a commencé à se développer à la fin du XIXème aux États-Unis, poussée par la
présence accrue de la religion au sein des entreprises et plus précisément chez les
dirigeants qui encouragent les actions philanthropiques au travers de fondations (par
exemple Rockfeller, Carnegie, Ford…).
De plus, une forte méfiance envers l’État pousse les entrepreneurs anglo-saxons à agir par
eux-mêmes et trouver des moyens pour assurer le développement de leur entreprise.
24 Article L’art au service de la culture d’entreprise, Eric Delon, Les Echos, 10/01/2006
23
De l’importance des stakeholders et de l’imagination
25
Ed Freeman s’inscrit dans cette logique protestante de méfiance envers l’État. La vision de
Freeman est d’abord de mettre en avant le but premier d’une entreprise, sa raison d’exister,
avant même les enjeux d’actionnaires, d’argent et de profit. Ses travaux s’inscrivent dans le
champ d’une philosophie morale, et plus précisément de l’éthique des affaires.
Contrairement aux idéologies dominantes de ces années, portées par des personnalités
comme l’économiste américain, Milton Friedman qui consistent à penser que le but de
l’entreprise est d’amasser du profit pour ensuite le redistribuer aux actionnaires, Freeman
tente de démontrer le contraire, en plaçant le profit comme une conséquence de l’activité de
l’entreprise, et non sa cause première. Freeman démontre que le but de l’entreprise est de
répondre aux besoins de toutes les parties prenantes, ce qui permettra de réaliser ensuite le
profit.
Ce que la théorie de Freeman apporte en résumé :
Freeman affirme que les parties prenantes sont des personnes réelles. L’entreprise doit
accepter de négocier avec elles (et pour cela identifier des interlocuteurs pertinents,
représentant les différents enjeux des parties prenantes).
L’entreprise doit accepter de questionner ses points de vue pour tenir compte des besoins
des parties prenantes. Bien sûr, elle ne renoncera pas à tous ses principes, mais au moins,
sera posée la question de leur pertinence.
25 Tiré de l’article, De l’importance des stakeholders et de l’imagination, dynamiquemag.com, Coralie Franiatte, 11/06/13
24
Freeman pense qu’un accord est toujours possible ; en cas d’intérêts contraires entre
parties prenantes, l’entreprise ne doit pas choisir l’une plutôt que l’autre mais rechercher un
compromis, une troisième voie, qui permettrait de satisfaire les deux intérêts.
Freeman soutient ainsi que la RSE est porteuse d’innovation car elle permet d’imaginer de
nouvelles façons de faire.
Lorsqu’une entreprise est au centre d’un contexte économique précaire, marqué par
l’incertitude financière, le fait de reconnaître les liens d’interdépendance entre l’entreprise et
ses parties prenantes constitue un atout pour créer de la valeur, et joue un rôle déterminant
dans le succès à long terme d’une entreprise. La théorie des parties prenantes a aussi le
mérite d’apporter le cadre de réflexion au concept de responsabilité sociale de l’entreprise.
Par une prise en compte globale des besoins et des actions des différentes parties
prenantes, cette théorie permet d’identifier et d’organiser les multiples obligations de
l’entreprise envers les différents groupes qui y contribuent.
Devant cette notion que l’on pourrait qualifier de ‘bien vivre ensemble’, l’entreprise se doit
d’instaurer un dialogue régulier avec ses salariés et le reste des actionnaires de l’entreprise.
Hors selon une récente étude, 26avant même la question de la rémunération, les premières
motivations du salarié sont l’épanouissement professionnel et la qualité de vie au travail. Le
dernier reporting RSE, qui a porté sur le bien-être en entreprise (au même titre que les
risques psychosociaux), va dans ce sens.
Pour répondre à ces besoins, les entreprises perçoivent la nécessité d’investir dans des
solutions telles que les conciergeries, les crèches, les salles de sport mais également dans
des propositions culturelles et pédagogiques vouées à l’enrichissement intellectuel des
salariés.
Selon le magazine INfluencia : 1 euro investi pour le bien-être des salariés rapporte 2,20
euros à l’entreprise, soit plus du double ! (étude ISSA Braunig & Kohstall 2011).
L’apport des œuvres au sein même d’une entreprise semble bien convenir à ces challenges
quotidiens de l’entreprise contemporaine pour à la fois se positionner face à ses concurrents
et offrir à ses employés un cadre de travail plus humain et plus agréable, au sein d’un
environnement créatif. Grâce aux démarches culturelles, les entreprises peuvent mettre en
scène leur histoire, construire leur imaginaire et quitter le cadre purement consumériste.
L’art a le pouvoir de faire sortir l’entreprise hors de ses murs et contraindre ses
collaborateurs à réfléchir en dehors des cadres traditionnels : « les œuvres ont renforcé la
culture d’entreprise, car chacun s’est senti impliqué dans un projet qui dépassait l’aspect
26 Carte blanche à INfluencia, L’art levier de performance en entreprise, Forum d’Avignon Culture is Future, 26/10/13
25
strictement professionnel de l’activité première de l’entreprise. Au sein de l’entreprise l’art
agit comme un déclencheur. » (Jean-François Darrousez PDG Aequitas, Lille) 27
Selon une étude de 2013, réalisée par le magazine INfluencia28, l’art rassemble les publics.
Il peut donner du sens à l’entreprise, doper les leviers de croissance, nourrir la marque
employeur, peut générer de l’innovation produit, et offrir une communication différenciante.
Du côté des artistes et des professionnels de l’art qui se rapprochent du milieu des
entreprises, c’est également une opportunité de bénéficier de nouveaux canaux de diffusion
et d’ouverture sur des publics différents.
Pascale Cayla, fondatrice de l’agence d’art contemporain l’Art en direct, fondée en 1992,
dans le cadre d’une demande croissante des entreprises en matière d’art, le confirme : « Il
nous est apparu clairement que le monde de l’entreprise avait un rôle essentiel à jouer dans
la valorisation de la création auprès d’un nouveau public. Nous étions déjà convaincues que
l’art pouvait être développeur de croissance pour l’entreprise elle-même. Et nous n’avons eu
de cesse de le prouver depuis ». L’agence a développé des projets artistiques, dans le
cadre du management par l’art, d’organisation d’événements autour de l’art comme des
expositions ou des happenings avec des entreprises telles que : Société Générale, Dior, la
Société Foncière Lyonnaise, Orange, Chevrolet, Bernardaud, La Fondation Colas, La Poste,
etc.
27 Article L’art au service de la culture d’entreprise, Eric Delon, Les Echos, 10/01/2006 28 Article Carte blanche à INfluencia, L’art levier de performance en entreprise, Forum d’Avignon Culture is Future, 26/10/13
26
29
Les liens entre la théorie des parties prenantes et les raisons pour lesquelles les entreprises
font appel à l’art sont évidents. Les deux vont dans le sens d’un mieux vivre ensemble,
d’une amélioration de la qualité de vie au travail, d’une manière d’échanger, de
communiquer et de se positionner à travers un projet innovant. Les œuvres sont un levier de
communication qui permet de rassembler les salariés autour d’un projet commun à
l’ensemble de l’entreprise.
À travers le prisme de l’art, la société agit sur son image, s’ouvre à des publics différents par
le biais de nouveaux canaux de diffusion.
29 Interview de Pascale Cayla, fondatrice de l’agence de communication culturelle l’Art en direct, dans La Tribune n°62, par Valérie Abrial, octobre 2013.
27
Les liens entre l’art en entreprise et la théorie des parties prenantes
*Mise en valeur des liens et des leviers de création de valeur entre la théorie des parties prenantes et l’avènement de l’art en entreprise.
Il n’est pas prouvé que la théorie des parties prenantes, mise au goût du jour par Edward
Freeman en 1984, coïncide avec la naissance des collections d’entreprises.
L’entreprise, au centre d’une démarche de mise en valeur de son capital humain, a dû
réorganiser sa stratégie, et aller dans le sens d’un management intelligent.
L’idée de l’instauration d’une collection d’entreprise, ou d’expositions ponctuelles au sein de
la société, reprend les fondements de mieux vivre - ensemble, de cohésion, et de
développement durable de la théorie de Freeman.
28
I.2 Le mécénat culturel est un socle pour le développement durable des entreprises.
« La hiérarchie des domaines de mécénat évolue et témoigne d’un véritable souci des préoccupations sociales et sociétales actuelles, ainsi que d’une attention toute particulière apportée aux jeunes et aux nouvelles
générations. »30 Henri Loyrette, président d’Admical
31Mécénat : soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général.
32 Répartition des acteurs de mécénat d’entreprise en 2014.
30 Tiré directement du site d’ADMICAL, dans le cadre des graphiques répartissant les acteurs du mécénat d’entreprise en 2014. 31 Définition tirée du site Mécénova. 32 Enquête : « Que retenir des dix ans du dispositif mécénat ». Etude réalisée par Fidal en 2013
29
Enquète : Que pensez-vous du mécénat pour une entreprise ?
33
Le mécénat n’est désormais plus cantonné à l’art. Il existe aussi présent sous bien d’autres
formes, qui n’ont parfois plus rien à voir avec les notions de prestige et de rêve, mais qui
sont plutôt synonymes de partage, d’entraide et de solidarité. Les secteurs de la solidarité,
de l’enseignement et de l’écologie sont de plus en plus au cœur des préoccupations. Alors
que les entreprises préfèrent investir sur des sujets sociaux, d’autres privilégient la culture,
d’autres encore investissent dans plusieurs domaines à la fois.
1.2.1 L’implication du mécénat d’entreprise dans des causes d’intérêt social.
La maison Guerlain
Fondée en 1828 par Pierre-François-Pascal Guerlain, la devise de la maison Guerlain était
la suivante : « La gloire est éphémère, seule la renommée dure ». Pendant plus de 150 ans,
elle est restée propriété de la famille Guerlain. À la suite de son rachat en 1994, Guerlain est
désormais une marque de la branche parfums et cosmétiques du groupe LVMH. Magnat
des produits de beauté, symbolisant quelque peu une certaine forme de superficialité, le
groupe LVMH cherche à intellectualiser son image en investissant dans l’écologie. En effet,
leur slogan « Au nom de la beauté, l’engagement durable Guerlain » s’inscrit directement
dans une volonté de s’orienter vers le développement durable.
33 Enquête : « Que retenir des dix ans du dispositif mécénat ». Etude réalisée par Fidal en 2013
30
Chaque produit a un impact écologique, de la création à l’emballage. Guerlain s’attache à
mettre en avant l’utilisation de matières naturelles dans leurs cosmétiques et maquillages.
Pour ce qui est de la diffusion et plus précisément la publicité, ils sont très attachés à la
deuxième vie des supports.
Ainsi, lors de leur dernière campagne « La petite robe noire », chaque bâche et affiche
publicitaire a été transformée en sacs, pochettes et carnets collectors qui ont été façonnés
par une entreprise employant des personnes en situation de handicap. L’utilisation de
l’abeille comme symbole de cette nouvelle ligne directrice renforce cet argumentaire et
véhicule une image forte. Le rapprochement avec la nature induit une maison concernée et
impliquée dans des valeurs autres que l’insouciance. La beauté et le luxe de cette maison
sont désormais associés à la préservation de la planète. Dans la continuité de cet
engagement social, la devise d’autrefois semble être encore d’actualité : « La gloire est
éphémère, seule la renommée dure ».
31
Héritiers des célèbres parfumeurs, Florence et Daniel Guerlain sont connus en France pour
leur passion et collection de dessins contemporains. La fondation a été créée en 1996 pour
favoriser la rencontre entre les artistes et le public aussi largement que possible. Depuis
2004, son unique activité est l’attribution d’un Prix de dessin contemporain.
Ce Prix s’adresse à des artistes français et étrangers habitant ou non en France mais ayant
au moins, un lien culturel avec la France. Une commission sélectionne les artistes proposés
à un jury international de collectionneurs privés. La remise de ce Prix se fait au Salon du
Dessin à Paris, chaque année, entre le mois de mars et le mois d’avril et offre au lauréat
une dotation de 15.000 euros. De plus, une œuvre du lauréat est offerte chaque année au
cabinet d’art graphique du Centre Pompidou.
Le mécénat qui associe la culture et l’écologie, apparaît comme un levier stratégique
essentiel pour la communication des entreprises au XXIème siècle.
La maison Guerlain a su se renouveler au fil des époques et trouver les relais d’influence
afin de perdurer sur la scène autant économique que sociale.
1.2.2 Le mécénat représente une fenêtre vers l’avenir pour les entreprises.
Dans une époque de démotivation et de perte de repères, chez les salariés une action
concrète de mécénat peut redonner du sens au travail de chaque collaborateur et ouvre de
nouvelles opportunités pour l’entreprise. Selon Benoit Parayre, directeur de la
communication et des partenariats au Centre Pompidou à Paris, « Le mécénat va toujours
dans le sens d’une évolution pour l’entreprise ». De par son action à la fois en interne et en
externe, il renforce la fierté d’appartenance des salariés, il représente un bénéfice d’image
pour l’entreprise, et de confiance aussi bien en interne qu’en externe. Il offre à l’entreprise la
possibilité de redorer comme nous l’avons vu précédemment un blason terni par un secteur
d’activité ou des événements impopulaires. Enfin le mécénat donne la possibilité à
l’entreprise d’élargir ses compétences et de dépasser les limites que lui assigne sa tâche
spécifique habituelle.
Le cas de Total
Pour Total, première entreprise française et deuxième capitalisation boursière de toute la
zone euro, ne convient-il pas seulement d’améliorer auprès du grand public l’image d’une
multinationale aux bénéfices record et aux effets nocifs pour l’environnement ? La crédibilité
de ses engagements en faveur des causes sociales sera renforcée par la création de sa
Fondation d’entreprise, en 1992. Dans tous ses champs d’activité, la Fondation Total
privilégie les partenariats de long terme. Il s’agit, au-delà du soutien financier, de croiser les
expertises et de les renforcer pour enrichir l’intelligence collective. La Fondation Total, est
partenaire de grandes institutions culturelles françaises (Musée du Louvre, Musée du quai
32
Branly, Institut du Monde Arabe, le Centre Pompidou), dont elle accompagne régulièrement
les expositions, avec la volonté de contribuer au dialogue des cultures. Elle œuvre par
ailleurs pour développer des passerelles entre culture et solidarité et faire venir aux musées
des publics en situation de précarité sociale et économique. Au-delà de ses partenariats
culturels, la Fondation Total intervient dans trois autres grands domaines d’action : la
solidarité, la santé et la biodiversité marine. C’est ainsi que, pour faire reconnaître le
patrimoine français sur tout le territoire, ses actions en faveur des musées comprennent la
restauration de la galerie d’Apollon au Musée du Louvre, l’ouverture du département des
arts de l’Islam au sein du même musée et le mécénat de l’exposition Monumenta, en mai et
juin 2014, au Grand Palais, consacrée aux artistes Ilya et Emilia Kabakov. La Fondation
Total a contribué à la découverte de ces deux créateurs, dont les travaux très engagés
représentent différentes visions de la ville du monde du progrès et de la science. Elles
éclairent le public sur leur devenir, un pas de plus vers l’avenir pour Total qui souhaite se
tourner vers la jeunesse et soutient par le biais de sa fondation des opérations d’accueil de
publics dits éloignés de la culture, se mobilise pour l’insertion professionnelle des jeunes et
l’accès à l’éducation artistique et culturelle. C’est le cas du colloque « Apprendre par l’art, un
art d’apprendre » organisé en octobre 2014. Réunissant plusieurs personnalités du monde
de la culture, ce colloque tend à éclairer les multiples enjeux de l’Éducation Artistique et
Culturelle. Par ces actions, Total se positionne comme étant un mécène d’importance,
concerné et engagé par le devenir des domaines qui lui sont chers.
Ces exemples d’actions qui répondent aux aléas médiatiques de l’actualité, et prenant part
au quotidien des musées, Total et sa Fondation s’inscrivent, à leur manière, dans l’histoire
d’un lieu emblématique de la culture française, dont la renommée à la fois grandissante et
immortelle assure à l’entreprise Total une visibilité pérenne.
Le cas du Centre Pompidou et du projet Art Car
Le mécénat entre le Centre Pompidou et la société BMW, en 2010, pour la présentation de
la Art Car, décorée par l’artiste Jeff Koons, illustre l’idée d’un partenariat construit sur le long
terme, abordant des sujets à la fois porteurs et d’actualité. La voiture présentée, une BMW,
M3 GT2, s’était affichée à la fois dans le cadre de l’exposition au Centre Pompidou, puis dix
jours plus tard au départ des 24 heures du Mans. Elle a ensuite débuté un tour du monde,
au Royaume-Uni, à Séoul, en passant par Miami. Une opportunité pour la marque BMW et
pour le musée de s’enrichir mutuellement des particularités d’image, de visibilité et de
communication de leur domaine de spécialité respectifs. Pour la marque, cette association a
pu illustrer à la fois son audace et son engagement en faveur de causes artistiques de très
grande envergure, mobilisant des artistes de renommée internationale. Le Centre
Pompidou, quant à lui, a pu bénéficier de l’attractivité de la marque BMW, mais aussi de
tous les efforts de communication engagés par la firme, pour diffuser ses actions, accroître
la visibilité de l’événement et le taux de fréquentation. Benoît Parayre y voit une opportunité
de s’étendre à d’autres domaines très porteurs comme les courses automobile. Il précise
33
que : « dans une si grande institution, qui ne se cache pas d’avoir perdu six millions d’euros
en six ans, l’importance de ces mécénats croisés comme celui de notre musée et de BMW,
est bien réelle et sécurise l’avenir de notre musée et de nos programmations ».
En s’engageant depuis 2010 avec la marque BMW dans le cadre du projet Art Car, le
Centre Pompidou poursuit son cheminement dans une dynamique d’engagement et
d’accompagnement à long-terme de ses mécènes. De plus, la grande visibilité et notoriété
que génère ce type de projets façonne l’image des entreprises, ancre un peu plus leurs
actions dans l’histoire de leurs organisations. Fort de son succès, le véhicule était à
nouveau visible au Centre Pompidou du 4 février au 16 mars 2015, dans le cadre de la
rétrospective dédiée à l’artiste Jeff Koons.
Au travers d’un musée aussi fréquenté que le Centre Pompidou (3,45 millions de visiteurs
en 2014), BMW assure sa notoriété et sa visibilité en tant qu’acteur culturel tandis que le
musée profite de l’aura de la société automobile allemande.
En s’ouvrant à d’autres domaines de spécialité la marque et le musée s’inscrivent en
s’associant, dans une dynamique innovante de diversification de leurs publics, clients et
stratégies de communication. Par ces actions de mécénat, BMW accompagne le
développement d’un des lieux incontournables de la culture parisienne, mondialement
connu. Malgré la force financière du groupe BMW ou de Total, s’investir dans la culture et
aider à son développement et son rayonnement, semble apparaître pour chaque
entreprise comme un gage de rassurance et de pérennité.
34
34 Présentation en première mondiale de l'Art Car de Jeff Koons au Centre Pompidou à Paris, 2 juin 2010
34
Aussi bien pour BNP que pour Guerlain, ou Total, les raisons qui poussent les entreprises
à s’investir dans des causes d’intérêts sociales sont stratégiques de différentes manières,
de plus il y a aussi des points communs qui se retrouvent dans chacune de ces
entreprises : de gros moyens financiers, et une notoriété construite au fil de temps. Nous
remarquons également que la nature de l’activité de ces organisations a tendance à
justifier certaines associations dans le domaine social.
En effet, Total, BMW, Guerlain, BNP, comme nous l’avons vu plus haut, symbolisent à la
fois le monde de la beauté qui peut aussi être perçu comme étant futile. Le monde du
pétrole, de la finance ou de la gestion, quant à lui peut générer des perceptions négatives
quant à la nature de son activité dans l’imaginaire collectif. Mais, de part ces différents
partenariats et mécénat, ces entreprises ont réussi à utiliser leur richesse et leur notoriété
à bon escient pour sortir de leur domaine de spécialité par des actions en faveur du
développement durable et de la culture. De part leur fidélité à ces institutions culturelles
depuis de nombreuses années, ces entreprises mécènes, qui favorisent le développement
des musées et de leurs collections, brouillent les frontières qui se trouvent entre l’art et le
développement durable à proprement parler. Bien que le développement durable mette en
exergue la notion de besoins, le cas de Total par exemple de part son implication au profit
de l’apprentissage par l’art, la solidarité ou la santé, renforce l’idée d’un décloisonnement
entre la culture et le développement durable.
Selon une étude réalisée en 2013 par le site Sequovia pour le développement durable en
entreprise confirme qu’il est à la fois un facteur de cohésion, d’innovation, de motivation,
un levier de recrutement, de confiance et de conquête des nouveaux marchés, pour
l’entreprise. Il précise aussi que le développement durable anticipe les risques tout en
renvoyant une image positive de l’entreprise. A ce titre, le Ministère de la Culture et de la
Communication a organisé un colloque en novembre 2012, dans lequel des artistes, des
philosophes et des scientifiques sont venus témoigner du rôle de la culture dans la
transition écologique. Du « Land art » aux films documentaires, ou des éco-festivals, cet
intérêt pour l’écologie et la sauvegarde de la planète dont témoignent les artistes, est une
preuve de plus que l’art reste un médiateur « caméléon » capable de se transformer en
une véritable plateforme de dialogue. Plus précisément, de témoigner de la fragilité de la
planète et de permettrent aux entreprises de se responsabiliser et de se positionner face à
ce phénomène.
35
1.2.3 Pour l’entreprise, le mécénat est un des aspects d’un mode de management
intelligent.
« La culture, la solidarité, l’environnement sont, au-delà des obligations légales, au cœur de la relation entre l’entreprise et la société. Nous défendons l’idée d’une « performance globale. »
Thomas Chaudron et Didier Livio
Toute entreprise doit travailler à sa pérennité et à la valorisation de ses ressources,
tangibles et intangibles. L’intensification de la concurrence et la mondialisation ont durci le
jeu économique.
Dans un climat économique morose, comme l’explique Jean-François Grunfeld de l’agence
de communication Museum Expert (interviewé par mes soins en avril 2014): « Les
entreprises doivent se réinventer de manière intelligente, Le mécénat et les nouvelles
formes de financement participatif semblent être une bonne solution pour avancer. »
La loi sur les musées du 4 janvier 2002 (complétée par la loi du 1er août 2003 relative au
mécénat, aux associations et fondations) a autorisé de nouvelles pratiques mécènes.
Le musée du Louvre en bénéficie comme l’illustre le cas suivant.
Le cas du Musée du Louvre.
César Chemineau, chargé de communication au Musée du Louvre, interviewé en avril
dernier 2015, évoque des actions de mécénat comme étant un outil à la fois intelligent et
vital pour le développement des collections et le management global du musée. Dans la
continuité de cette démarche, le musée propose depuis 2010 des campagnes publiques
d’appels aux dons, et offre la possibilité à quiconque de participer à l’acquisition d’œuvres
d’art de qualité muséale. Ces campagnes, « Tous mécènes ! » bénéficient de la visibilité et
de la communication étendue des réseaux sociaux, par le biais des pages Facebook,
Instagram, et directement sur le site du musée. L’importance des réseaux sociaux agit à la
fois comme levier de communication et comme moyen de rassembler le plus grand nombre
de personnes autour d’un projet. Le cas d’un mécénat participatif s’inscrit dans cette
démarche à la fois stratégique et publique.
Lancée le 7 octobre 2014, la dernière campagne d’appel aux dons avait pour but de réunir
la somme d’un million d’euros sur un budget total de 12,5 millions nécessaires à l’acquisition
de la Table de Teschen, joyau du mobilier du XVIIIème. La Table, dite aussi Table de
Breteuil, offerte en 1780 au diplomate Louis Charles Auguste Le Tonnelier, baron de
Breteuil, est un chef-d’œuvre incontesté de Johann Christian Neuber, grand orfèvre et
minéralogiste de l’époque. Dès la fin janvier 2015, 700.000 euros ont été réunis grâce à la
contribution de plus de 4 500 donateurs individuels et 350.000 euros grâce au soutien de la
Société des Amis du Louvre. Une opportunité pour le musée d’enrichir ses collections, et de
renforcer les liens avec ses publics. Pour aller plus loin, c’est la force des communautés qui
36
deviennent actrices de l’économie et de la société. Le principe du financement participatif,
où ‘les petits ruisseaux font de grandes rivières’, semble être de mise dans les institutions
culturelles. De nouveaux mécènes qui, avec quelques euros, se mêlent au destin d’un
musée de renommée mondiale.
De plus, Robert Fohr, Chef de mission du Mécénat au Ministère de la culture et de la
communication, (interviewé en septembre 2014), précise « Nous assistons à une évolution
très frappante des mécènes, qui utilisent leur contreparties (visibilité, mise à disposition
d’espaces, etc.) non pas pour faire des relations publiques mais pour faire encore plus de
mécénat et ça c’est formidable ! »
Le cas du Centre Pompidou et de sa communication croisée avec le PMU
35Mécénat croisé : Soutien de projets combinant au moins deux champs d'intervention. Exemple de mécénat croisé : soutenir des projets d'éducation par la culture, d'insertion par le sport, de sensibilisation à l'environnement par la pratique artistique, etc. Les entreprises optent de plus en plus pour ce type de mécénat.
Selon Alain Seban, directeur du Centre Pompidou, établir une communication croisée entre
le mécène et le bénéficiaire permet un profit mutuel. En somme, chaque entité communique
pour l’autre, permettant à la fois d’accroître la notoriété, de mutualiser les coûts de
communication (création, édition, diffusion) puisqu’ils sont partagés par les marques
partenaires, d’accroître le nombre de visiteurs ou clients potentiels. Pour illustrer cet
exemple de communication et de mécénat croisés nous pouvons citer le cas du PMU, très
engagé en faveur de la création photographique contemporaine depuis six ans. Le PMU
donne carte blanche à des photographes pour porter leur regard sur l’univers des jeux et
des courses qui leur est, a priori, étranger. C’est ainsi qu’en 2015, le PMU devient partenaire
de la galerie de photographies du Centre Pompidou. Inaugurée en novembre 2014, la
Galerie est un nouvel espace permanent d’exposition dédié exclusivement à la
photographie. Cette discipline, déjà présente au sein du musée dans les collections
modernes et contemporaines, trouve une nouvelle visibilité. Elle permet la programmation
régulière de trois expositions par an, thématiques ou monographiques, déclinées selon
différents modules : historique, transversal ou contemporain. Étendue sur 200m2, en accès
libre, elle propose au public de nouvelles lectures d’un fonds riche de 40 000 épreuves et 60
000 négatifs. Bien plus qu’un simple partenariat, cette méthode de communication et de
mécénat croisés s’inscrit dans une perspective stratégique sur le long terme,
35 Définition tirée du site Mécénova
37
particulièrement recherché par les bénéficiaires. Le mécénat étant devenu un vecteur
puissant de communication, les entreprises qui donnent privilégient de grosses structures
qui les rassurent quant aux retombées en termes de visibilité. À la fois stratégique et
avantageux, ce type de mécénat, de plus en plus recherché par les institutions culturelles,
est une solution salutaire face à une diminution significative du budget du mécénat, qui
depuis 2008, affiche une baisse de 63% (chiffre Admical 2014).
Les institutions culturelles françaises sont elles aussi impactées par la crise et doivent,
comme nous l’avons vu précédemment, trouver des solutions pour réinventer leur
programmation. Le mécénat croisé, tout comme le mécénat participatif, semble faire partie
d’un mode de management innovant et intelligent et offre aux entreprises des leviers
stratégiques inédits.
Le mécénat culturel voit ses crédits fondre, bien souvent, au bénéfice du secteur social.
Ainsi, plutôt que de financer une restauration ou une exposition, une entreprise mécène va
bien souvent désormais financer l’accessibilité des collections permanentes des musées, ou
de leurs expositions temporaires.
Les entreprises et les musées ont réussi un pari. Un pari fondé sur un constat réaliste et
visionnaire, qui matérialise l’éloquence de ce vieil adage : « l’union fait la force ».
I.3 Les fondations d’entreprises tournées vers l’art : un outil au service de la communication.
36
36 Définition d’une fondation, provenant du site droit-finances.net
La fondation est l'acte par lequel un ou plusieurs donateurs décident d'affecter des biens, des droits ou des ressources en vue d'accomplir une oeuvre d'intérêt général sans recherche de profits. L'objectif d'une fondation ne doit pas être de servir des intérêts privés. Par rapport à l'association, la fondation repose sur l'engagement financier de ses créateurs et ne comporte pas des membres mais des donateurs.
38
37
Depuis 2004, le nombre de fondations dédiées aux arts et à la culture s'est accru de 74%.
Alors que 221 structures avaient été créées entre 1870 et 2004, elles sont 163 à avoir vu le
jour en une décennie. Parmi elles, 81 fondations d'entreprise sont apparues, témoignant non
seulement de l'utilité de ce statut créé en 1990 par le législateur, mais reflétant également
l'engagement nouveau des mécènes privés en France en faveur de l'intérêt général.
L’indépendance des fondations a longtemps été considérée comme un potentiel contre-
pouvoir : « L'État soutient la création des fondations, par le même biais qu'il favorise le
mécénat. Les mentalités ont beaucoup évolué sur ce sujet en un demi-siècle pour faire des
fondations un pilier de la philanthropie en France. Nous n'avons pas encore rattrapé notre
retard sur la création des fondations en Europe, mais la situation a considérablement évolué
depuis la loi Mécénat de 2003 », expose Robert Fohr, responsable de la cellule mécénat au
ministère de la Culture (interviewé en septembre 2014). Les différentes lois
d'assouplissement de cet outil (affaiblissement de la tutelle étatique dans sa représentation,
allégement des procédures administratives, nouveau modèle à capital consomptible)
témoignent de la volonté des pouvoirs publics de favoriser l'initiative privée.
Plus qu'un « pilier de la philanthropie », la fondation est devenue un véritable appui aux
politiques publiques. Hormis la Fondation Daniel et Florence Guerlain, fondée en 1996, et la
Fondation Cartier pour l’art contemporain, fondée en 1984, la plupart des fondations sont
37 Graphique tiré de l’étude Les fonds et fondations en France de 2001 à 2014, par la Fondation de France et L’Observatoire, 2014.
39
nées au cours de ces dix dernières années. Comme nous le verrons tout au long de cette
partie, la fondation joue un rôle « d’agitateur d’idées ». À la fois active dans le domaine de la
recherche, exposant des artistes oubliés, abordant des périodes de l’histoire de l’art peu
connues, ou proposant une manière originale d’appréhender l’œuvre d’art, la fondation
représente un gage de stabilité à l’égard des besoins de la société privée comme des
politiques publiques.
Quelques chiffres clés sur l’évolution des fondations et fonds de dotation en France (2001-
2013)
38
I.3.1 Les fondations sont des leviers de communication et d’échange en elles-mêmes.
Chaque année, en France, six à sept fondations culturelles sont créées.
Ces fondations, imaginées pour soutenir la notoriété d’un artiste, pour promouvoir un site ou
renforcer la performance de l’entreprise dont elles émanent, sont motivées par le désir de
transmettre un patrimoine culturel d’intérêt général de manière pérenne. Créée en 1969, la
Fondation de France soutient des projets qui répondent aux besoins des personnes face
aux problèmes posés par l’évolution rapide de la société. Elle se consacre principalement au
développement de la connaissance, à l’environnement et vient en aide aux personnes
vulnérables. Elle se présente comme étant le trait d’union entre les donateurs, les mécènes
et les acteurs de terrain dans le cadre de la réalisation de projets philanthropiques.
38 Tirés de l’étude Les fonds et fondations en France de 2001 à 2014, par la Fondation de France et L’Observatoire, 2014.
40
Les bénéfices des fondations pour les entreprises se font sentir également en interne
puisqu’une fondation génère aussi une fierté d’appartenance et une forte mobilisation des
salariés. Comme le confirme Dominique Lemaistre, directrice du mécénat à la fondation de
France, « les fondations sont souvent conçues comme un outil de communication interne. »
Au sein de la fondation SNCF par exemple, l’implication des cheminots est un enjeu
important. Ainsi, ils sont très fréquemment associés aux choix des actions mises en place
dans le cadre de la fondation. Chez BNP Paribas, les appels à projets sont également
largement tournés vers le personnel.
Le cas de la Fondation d’entreprise Hermès
« Nos gestes nous créent. »
Devise de la Fondation d’entreprise Hermès
Fondée il y a plus de 175 ans, la maison Hermès est riche d’une longue histoire, construite
par les cinq générations qui l’ont dirigée. Selon Pierre-Alexis Dumas, président d’Hermès, il
évoque sur son site : « une entreprise qui ne gagne que de l’argent est bien pauvre, si elle
ne sait pas s’enrichir parallèlement sur le plan humain et culturel ». C’est autour de cet
engagement que sera créée en 2008 une fondation d’entreprise en lien avec les valeurs
humaines que revendique la marque.
Guidée par les savoir-faire et par la recherche de nouveaux usages, la Fondation agit selon
deux axes complémentaires : savoir-faire et création, savoir-faire et transmission. Elle
développe ses propres programmes : expositions, résidences d’artistes, Prix Emile Hermès
pour le design, appels à projets pour la biodiversité…
Catherine Tsekenis, directrice de cette fondation, reconnaît que l'arrivée de Pierre-Alexis
Dumas (en 2005), a permis la création de la fondation d'entreprise Hermès qu'elle dirige et
qui existe depuis trois ans. À ses yeux, une fondation alimente forcément l'image d'une
entreprise, même si c'est moins indispensable quand sa réputation est déjà bien ancrée 39:
« Si nous mettons en place des projets intéressants, cela nourrit forcément l'aura de
l'entreprise ». D'ailleurs, la Fondation Hermès ne dépend pas du département
communication, elle existe de fait comme une entité à part entière et constitue en elle-même
une plateforme puissante de communication. Catherine Tsekenis 40soutient que la fondation
a pris le relais des opérations de mécénat qui existaient déjà chez Hermès dans le but de
les amplifier en les détachant des activités commerciales. En somme, une manière de
39 Tiré de l’article : Fondations d'entreprise : D'une pierre deux coups Grandeur d'âme et intérêts bien compris n'ont rien d'incompatibles, Le Nouvel économiste, Ariane Warlin, 11/05/2011. 40 Tiré de l’article : Fondations d'entreprise : D'une pierre deux coups Grandeur d'âme et intérêts bien compris n'ont rien d'incompatibles, Le Nouvel économiste, Ariane Warlin, 11/05/2011.
41
compartimenter la communication et l’image de l’entreprise Hermès. En développant une
résidence d’artiste, la marque va encore plus loin dans ses convictions en faveur de la
culture. Instaurer un dialogue sur le long terme avec un artiste qui réalise in situ une création
permet de motiver la créativité. Pierre-Alexis Dumas témoigne : 41« Si je lance un
programme de résidences d’artistes dans nos manufactures, je ne suis plus dans l’activité
commerciale, mais bien dans une émulation culturelle entre des artisans et des jeunes
artistes dont la finalité est la recherche ». Selon lui, ces initiatives ont permis à la marque de
gagner dix ans en termes d’innovation et de savoir-faire. Pour Hermès, puissant acteur du
monde du luxe, la fondation d’entreprise est un moyen d’aller plus loin dans ses activités, en
procurant à la fois image, stabilité, et visibilité. Actrice sur plusieurs fronts, (culture, design,
biodiversité) sa fondation est un relais de communication et offre la possibilité à la marque
d’être présente sur différents pôles.
Le cas de la Fondation Cartier
« Rien ne me réjouit plus que de constater que nombreux sont ceux qui ont oublié que la Fondation Cartier pour l’art contemporain est une fondation d’entreprise. Pour eux, elle est tout simplement La Fondation, et ceci est
notre plus belle victoire ».
Alain Dominique Perrin, 1986, directeur de la Fondation Cartier.
Celle qui est née d’une conversation avec le sculpteur César sur les difficultés des artistes
privés de soutiens et de conseils juridiques va devenir un lieu d’accueil emblématique pour
l’art vivant. En 1984, la fondation s’installe à Jouy-en-Josas dans l’ancienne propriété du
baron Oberkampf, créateur de la toile de Jouy. Liberté ! Le mot est lancé. Il est la clé du
mécénat selon Cartier. Les artistes seront exposés dans le contexte de grandes expositions
thématiques et de résidences de création, le principe de l’exposition à thème se mettant
alors en place. Arts visuels, architecture, design, mode, les artistes sont de tous horizons.
En 1994, la Fondation Cartier déménage dans le VIème arrondissement de Paris, dans un
bâtiment de verre et d’acier, œuvre de l’architecte Jean Nouvel. Avec la Fondation, Cartier
entame simultanément une communication avec l’extérieur et l’intérieur de l’entreprise. Au
sein même de la Maison, elle est pensée à la fois comme un motif de fierté collective, un
outil d’éducation du regard et de la pensée, un mode d’exigence et de dépassement et la
source d’un enrichissement personnel. Alain-Dominique Perrin, directeur de la fondation
précise que : « La Fondation est un objet de fierté absolue pour la très grande majorité des
salariés de Cartier, à tous les niveaux. […] Au-delà du personnel, les fournisseurs de Cartier
sont sollicités et contribuent par des dons à l´acquisition d’œuvres d´art pour la collection. Ils
sont donc très impliqués. De nombreux collaborateurs sont devenus collectionneurs. Il y a
41 Tiré de l’article Carte blanche à INfluencia, L’art levier de performance en entreprise, Forum d’Avignon Culture is Future, 26/10/13
42
une indiscutable transmission, une symbiose naturelle qui se fait. » À l’extérieur, la
Fondation occupe une place stratégique et pionnière. Ancrée dans une culture d’entreprise,
elle est devenue un élément essentiel du paysage culturel, national et international.
Inventive, tant dans sa programmation que ses publications, elle insuffle un esprit de liberté
reconnu et respecté par ses pairs. Une fois encore, la fondation d’entreprise agit comme un
outil d’expansion pour l’entreprise à laquelle elle est rattachée. De par son ancienneté, la
fondation Cartier s’inscrit sur la scène contemporaine française comme étant une plateforme
puissante d’échange entre plusieurs domaines et plusieurs univers. Avec une
programmation artistique internationale (artistes japonais, américains, russes etc.), la
fondation Cartier, forte d’une image désintéressée de par son statut non financier, s’ouvre
des portes vers les marchés internationaux.
Le cas BNP
BNP est un acteur majeur dans le mécénat d’entreprise depuis trente ans. La fondation BNP
a été créée en 2006. Son engagement est pluridisciplinaire : culture, environnement et
solidarité.
Fidèle à son engagement en faveur de la culture, la Fondation BNP Paribas, se consacre à
la danse, aux nouveaux arts du cirque en devenant mécène de la Biennale des Arts du
Cirque en accompagnant la première édition prévue pour 2015 et dont sa contribution
atteindra environ 40.000 euros. La fondation BNP soutient aussi la Fondation Royaumont
pour la danse contemporaine qui a célébré en 2014 son 50ème anniversaire. En faveur du
patrimoine la fondation est un mécène reconnu des musées, tout d’abord pour son
programme en faveur de la restauration de leurs œuvres, notamment avec un ensemble de
peintures du XVIe siècle conservé au Musée des beaux-arts de Reims. Elle s’engage aussi
aux cotés du Musée d’art Moderne André Malraux au Havre pour la restauration de deux
panneaux laqués datant du XXIème siècle.
Avec son projet « Banlieues », la fondation s’engage en faveur des quartiers et plus
particulièrement des jeunes. L’objectif étant de les insérer dans des entreprises afin de lutter
contre les différentes formes d’exclusion, à savoir le racisme ou l’illettrisme. Pour cela, elles
prennent le problème à la racine et travaillent sur l’amélioration des conditions de vie en
proposant des accompagnements scolaires, la pratique de sports avec des éducateurs, des
formations ou encore des activités culturelles comme le théâtre. La fondation se veut basée
sur l’écoute, le soutien et la confiance. Qualités humaines qui font d’elle un mécène
respecté et influent. Dans la continuité de cette action la BNP et sa fondation soutiennent
L’ADIE (association pour le droit à l’initiative économique) et favorisent directement la
création d’emplois dans les zones urbaines sensibles. Cela a permis l’ouverture de 15
agences de proximité, la création de plus de 4700 entreprises et d’environ 6000 emplois.
Par le biais de cette action sociale, la fondation BNP, valorise sa raison d’être en tant
qu’entreprise, et l’origine même de son activité.
43
Le cas Carmignac
Fondé en 1989 par Edouard Carmignac et Eric Helderlé, Carmignac Gestion est l’un des
principaux acteurs européens de la gestion d’actifs financiers.
Ce fonds représente 57 milliards d’euros d’actifs sous gestion, 13 pays de distribution et 1,9
milliard de fonds propres. Ils ont fait le choix de gérer une gamme resserrée de fonds pour
mieux valoriser le capital de leurs clients dans la durée.
Leur devise est : « Un modèle de développement pensé pour une croissance contrôlée ».
Carmignac s’engage à adopter les principes pour l’investissement responsable instituer par
l’ONU.
42
La Fondation Carmignac est née en 2000. Elle est aujourd’hui dirigée par Gaya Donzet et a
pour mission, de soutenir la création contemporaine par le biais de sa collection
internationale, d’organiser le prix Carmignac Gestion de photojournalisme ainsi que de
financer des actions de mécénat en faveur de la culture. Plus précisément, en 2009, la
fondation est mécène de l’exposition « Primitive d’Apichatpong Weerasethakul » au musée
d’Art moderne de la ville de Paris.
En 2010, elle est mécène exclusif de la rétrospective consacré à Jean-Michel Basquiat au
même musée. Leur engagement artistique s’insère jusque dans la structure de la société
42 Œuvre de Roy Lichtenstein, Vicki I--I Thought I Heard Your Voice, 1964, peinture, 106 x 106 cm, collection Carmignac.
44
elle-même. Leurs salariés sont fiers de l’image qu’elle renvoie, ce qui favorise un travail et
une collaboration plus ouverts. Le prêt d’œuvres aux musées exprime une dimension basée
sur l’altruisme. À travers ces expositions, son amour pour l’art et ces artistes est assouvi et,
plus profondément, cela permet à Carmignac Gestion de s’ancrer dans le domaine de la
culture et d’y avoir un certain poids. Cependant, la fondation s’axe principalement sur le Prix
Carmignac dont les enjeux sont aussi politiques. Sa mission est de soutenir et promouvoir
un projet photographique et journalistique d’investigation dans des territoires à enjeux
géostratégiques complexes, ayant un retentissement global, et où les droits humains et la
liberté d’expression sont bafoués (Gaza, Zimbabwe, Iran, Tchétchénie...).
43
Parce que les lauréats du Prix couvrent depuis cinq ans des régions du monde où la liberté d’opinion est souvent bafouée et que la liberté de la presse a encore une fois été bâillonnée par les armes, la défense de ces droits est plus que jamais notre et votre combat. Parce qu'il existe, en France, des lieux de dérégulation - zones de non-droit - où les principes fondamentaux de la démocratie et du droit humain ne font plus autorité, la liberté de témoigner est, plus qu'en toute autre circonstance, notre bataille cette année. Le Prix Carmignac du Photojournalisme soutient la liberté d’expression et réitère son engagement indéfectible auprès des acteurs essentiels de l’information. 44
Doté d’une bourse de 50.000 euros, le photographe choisi a la possibilité de réaliser un
reportage afin de rendre compte de la réalité d’un territoire et de sa complexité. Chaque
lauréat est accompagné lors de la préparation et la réalisation d’une exposition et d’un livre
monographique.
Carmignac a pris le parti de défendre un regard personnel et engagé, par définition
minoritaire et pour cette raison indispensable. Mais cette position n’est pas sans
43 Tiré du site de la fondation Carmignac pour illustrer la liberté d’expression dans le cadre présentation des convictions de leur prix du photojournalisme. 44 Tiré du site de la fondation Carmignac pour illustrer la liberté d’expression dans le cadre présentation des convictions de leur prix du photojournalisme.
45
contrepartie. Derrière un projet artistique, ce sont des prises de position qui sont mises en
valeur. En étant mécènes de photographes, ils peuvent aborder des sujets qui ne sont pas
forcément dans l’actualité et donner un visage plus humain à une gestion de fonds dont les
revenus restent très importants.
Respectivement la BNP, Hermès, Cartier, et Carmignac gestion, ont créée leur propre
fondation pour répondre à des besoins similaires : sortir de leur domaine de spécialité, et se
positionner en tant qu’acteur responsable et solidaire. Engagées dans des domaines tels
que le reportage photo pour Carmignac, la danse contemporaine, les arts du cirque ou la
restauration d’œuvres pour les musées dans le cas de la BNP Paribas, ces entreprises ont
choisi leur domaine d’expression.
Comme d’autres entreprises engagées en faveur de la solidarité ou la culture (ou les deux)
nous remarquons quelques similitudes. En effet, il s’agit d’entreprises à haut pouvoir
financier, provenant de l’univers de la banque, de la gestion de patrimoine ou du luxe,
évoluant sur un marché national et international. Ces entreprises richissimes, perçoivent la
nécessité de prouver qu’elles sont capables de sortir de leur zone de confort, d’enrayer les
éventuels risques qui menacent leur marché et leurs organisations. S’investir dans d’autres
domaines et particulièrement la solidarité, ou l’environnement est un moyen pour elles de
montrer patte blanche, prouver qu’elles sont responsables, et surtout, qu’elle savent gérer
leur fortune à bon escient.
Pour l’univers de la banque, et de la gestion de fortune, comme pour celui du luxe, c’est un
message puissant auprès des publics, un levier de communication en lui même, et de
rassurance auprès de leurs actuels clients, et de leurs potentiels prospects. Les fondations
sont en elles mêmes des ponts solides vers l’avenir et des opportunités nouvelles de
croissance pour ces entreprises auxquelles elles sont rattachées.
I.3.2 L’art au service de la communication représente une liberté pour l’entreprise de
réinventer son positionnement et d’enrichir ses valeurs.
Selon les dernières enquêtes de reporting RSE datant de 2014, les premières motivations
des salariés sont l’épanouissement professionnel et la qualité de vie au sein de l’entreprise,
avant même les questions de rémunération. Sur ces constatations, les entreprises
investissent désormais dans des solutions telles que les conciergeries, les crèches, ou les
salles de sport, mais également dans des propositions culturelles et pédagogique. Selon
Pascale Cayla spécialiste de la communication par l’art en entreprise et fondatrice de
l’agence l’Art en direct : « Aujourd’hui, le bien-être dans l’entreprise passe aussi par l’apport
du culturel, outil indispensable au développement de la motivation, de la transversalité, de la
fierté d’appartenance, de l’innovation et de la créativité ». En effet, les collections d’art de la
Société Générale, de Neuflize Vie, de la BNP, ou encore celle de la fondation Carmignac le
prouvent. De nombreuses initiatives ont été mises en place au sein des entreprises autour
46
d’activités liées à l’art et aux collections in situ : workshops d’artistes, Journées des Talents,
acquisitions en comités mixtes (salariés et professionnels etc.).
Selon Jean-Christophe Castelain, rédacteur en chef du Journal des Arts, (interviewé par
mes soins en juin 2014) précise que « en matière d’art et de communication, il y a une vraie
réflexion apportée à la diffusion des messages à faire passer, et particulièrement autour
d’une certaine hiérarchie de ces messages, à la fois sur le site internet, sur les différents
supports de communication, et autour des différents événements ». En termes de
communication interne, on note une forte tendance à la médiation et à l’interactivité avec les
salariés afin de permettre une meilleure appropriation des actions.
Le ministère de la culture et de la communication lance en 2014 « L’entreprise à l’œuvre :
cinq expositions pour faire entrer l’art dans le monde du travail » dans le but de créer les
conditions favorables d’une rencontre entre l’art et les salariés dans leur espace quotidien.
Les projets, reposant sur des expositions réalisées à partir de collections publiques,
s’inscrivent dans le programme ministériel Art et Entreprise dont l’objectif, est d’inciter les
sociétés à accueillir en résidence des artistes afin d'y stimuler l'innovation, et la
créativité. L’œuvre ci-dessous, de l’artiste Fernand Léger, intitulée Les Constructeurs,
illustre bien cet engouement pour le monde du travail qui inspirait déjà les artistes. En 1951,
à la date ou a été créée cette œuvre, les artistes établissaient déjà des liens entre ces deux
univers et s’intéressaient au monde du travail. Et en 1953, Léger lui même avait voulu
montrer son œuvre aux travailleurs de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt, entreprise
importante de l’industrie française représentant le fierté du monde ouvrier.
Cette toile monumentale (160x200cm), particulièrement symbolique, sera exposée pendant
une semaine dans l’usine Renault de Flins (Yvelines), en ouverture de la première
exposition dans le cadre du projet « L’entreprise à l’œuvre » initié par le Ministère de la
culture et de la communication en novembre 2014.
47
45
Aujourd’hui, dans un marché toujours plus concurrentiel, les marques doivent se renouveler
et se distinguer en permanence. À travers des stratégies culturelles, elles peuvent mettre en
scène leur histoire, construire leur imaginaire et sortir de leur image que l’on pourrait
qualifier de « machine consumériste ». Par exemple, demander à un artiste de customiser
ou de revisiter un produit permet de le rendre unique et plus percutant. La signature
artistique sur un produit manufacturé crée la surprise et suscite la curiosité du
consommateur. Aussi, nombreuses sont les initiatives culturelles qui subliment l’histoire de
la marque, son ADN et sa culture. Au-delà de ces collectors arty, de nombreuses boutiques
de luxe deviennent des zones d’exposition d’œuvres au milieu de produits. Louis Vuitton a
ainsi largement fait l’expérience et la démonstration de la réussite du procédé avec
45 Fernand Léger, Les Constructeurs, 1953, huile sur toile, 160 x 200 cm, Musée national Fernad Léger, Biot
(France).
48
l’installation, au sein de sa boutique du VIème arrondissement, d’une création de l’artiste
japonaise Yayoi Kusama, en 2012, qui invite les visiteurs à vivre une expérience totalement
immersive au cœur de l’œuvre d’art. En parallèle on observe la présence de plus en plus de
livres d’artistes, ou consacrés à l’art de manière générale au sein des boutiques Louis
Vuitton à Paris.
46
47
46 Portrait de l’artiste japonaise Yayoï Kusama 47 Intérieur de la boutique Louis Vuitton à Paris 6, après l’installation de l’artiste Yayoï Kusama en 2012
49
48
Par le biais de l’art, l’on assiste à une sorte sacralisation des marques, de leurs fondateurs
et de leurs produits. Pour conserver une aura symbolique, la marque de luxe devient le sujet
même d’expositions. De Louis Vuitton et Van Cleef and Arpels au Musée des Arts Décoratifs
de Paris (2012), à Chanel au Palais de Tokyo (2013), en passant par Cartier au Grand
Palais (2013), les expositions se multiplient et font des grandes Maisons de véritables objets
de culte. À l’occasion de l’exposition « N°5 Culture Chanel » en 2013, au Palais de Tokyo,
Jean-Noël Kapferer, professeur-chercheur à HEC Paris et expert des marques, explique
« qu’il s’agit désormais de Chaneliser Gabrielle Chanel (Coco Chanel), de la mettre en
scène de façon à l’élever » grâce à l’art.
Artification : désigne le processus de transformation du non-art en art, résultat d’un travail complexe qui engendre un changement de définition et de statut des personnes, des objets, et des activités. Il entraîne un déplacement durable de la frontière entre art et non-art. 49
Lors de cette exposition, le N°5 de Chanel fut l’objet d’une « artification », faisant passer ce
produit classique dans le domaine du Patrimoine culturel.
En faisant appel à l’artiste contemporain italien Maurizio Cattelan, pour sa collection
automne/hiver 2013/2014, la marque Kenzo, a pu bénéficier de la notoriété et de l’univers
48 Du marketing à l’art-keting, tiré de l’article Les marques de luxe font appel à l’art pour booster leur marketing, par Yves Hanania, Harvard business Review, 9/6/2015 49 Définition tirée de l’ouvrage de Nathalie Heinich et Roberta Shapiro (dir.), De l’artification. Enquêtes sur le passage à l’art, Paris, Éditions de l'EHESS, coll. « Cas de figure », 2012,p.20.
50
décalé de cet artiste. Car à travers l’art, les marques trouvent de nouveaux canaux pour
élargir leur champ de résonance à la fois sur leur marché et dans l’imaginaire collectif.
Campagne Kenzo Collection Automne/Hiver 2013/2014
50
À l’heure où l’entreprise doit rendre davantage de comptes à ses actionnaires, salariés et
clients, la culture dans la communication d’une organisation a plus que jamais ses preuves à
faire. Elle doit correspondre à une vraie stratégie. Pour la culture et les artistes, c’est
également une opportunité de nouveaux canaux de diffusion et d’ouverture sur des publics
différents.
Comme le montre le graphique n°39, l’expérience client est enrichie grâce aux
collaborations entre marques de luxe et artistes mais également par les fondations et les
musées dédiés à l’art et aux marques elles-mêmes. Vient ensuite s’ajouter à cet ensemble
d’actions, le mécénat qui apporte un soutien financier aux créateurs. Dorénavant le luxe
pourrait davantage se traduire dans l’expérience plutôt simplement que dans le produit en
lui–même. Cette étude démontre que les consommateurs recherchent davantage des
expériences à la fois intimes et uniques. L’art semble répondre à ces particularités via
l’enrichissement de l’imaginaire, de l’unicité des produits, et de la symbolique des marques.
50 Campagne Automne-Hiver 2013/2014 de la marque Kenzo en collaboration avec le magazine Toiletpaper et l’artiste Maurizio Cattelan.
51
I.3.3 Les fondations s’imposent désormais comme partie intégrante de la stratégie
d’entreprise.
Malgré un environnement marqué par de fortes incertitudes économiques et fiscales, des
fondations d’entreprises, reconnues d’utilité publique ou sous égide, continuent à être
créées. L’implication des entreprises, désireuses de s’engager financièrement et d’engager
l’ensemble des collaborateurs au service de projets d’intérêt général, semble être une des
raisons à cette progression constante du nombre de fondations et de fonds de dotations en
France. Mais l’explication se situe également, comme le prouve cette courbe de croissance,
autour du domaine législatif français.
Courbe représentant les fondations créées par les entreprises, édition 2014
51
Par rapport à cette courbe, nous constatons que la création de fondations par des
entreprises, tout domaine confondu, a connu une croissance assez régulière et ce
indépendamment de la conjoncture économique. On note une forte inflexion de la courbe de
croissance en 2003 : depuis cette année de promulgation de la loi relative au mécénat, le
nombre de fondations créées a quasiment été multiplié par quatre. Quant aux fonds de
dotation, leur nombre a dépassé la centaine dans les cinq années suivant la première
création en 2008, un niveau que les fondations ont mis plus de vingt ans à atteindre. Dans le
cas des fondations d’entreprises, nous le verrons tout au long de cette partie, l’accélération
51 LME : Loi de Modernisation de l’économie - Source étude IMS Entreprendre pour la Cité et Ernst & Young, édition 2014
52
de ce phénomène de création nous amène à interroger le rôle de l’entreprise dans le
quotidien d’une fondation, et par opposition, l’impact d’une fondation dans la stratégie d’une
entreprise. D’un point de vue communicationnel et stratégique, comment l’entreprise et la
fondation dialoguent-elles entre elles pour mener à bien leurs missions respectives, par le
biais des réseaux sociaux ou d’une communication plus « traditionnelle » ?
L’entreprise
Au sein de l’entreprise, les fondations sont, la plupart du temps, créées à l’initiative du
dirigeant, et restent majoritairement rattachées à la direction générale. C’est notamment le
cas de la Fondation Carmignac Gestion et de la Fondation Ricard. Cette proximité n’est pas
sans conséquences pour l’ensemble des salariés d’une entreprise et peut être interprétée
de différentes manières. D’un côté, elle peut indiquer que les fondations se voient accorder
une importante dimension stratégique par les entreprises, mais en même temps, cela pose
des questions quant à l’implication des salariés dans la vie quotidienne de la fondation.
Selon le rapport Ernst & Young 2014 sur les liens entre les fondations et la stratégie de
l’entreprise, les fondations affirment majoritairement que leurs champs d’intervention sont
liés à la stratégie RSE de l’entreprise. De plus le mécénat « fait partie de » ou « est en
cohérence avec » la politique RSE du groupe, ou les actions de la fondation ou du fonds
sont valorisées dans le rapport RSE de l’entreprise.
Répartition des spécialités des fondations d’entreprise enregistrées pour 2014
52
Le pourcentage de fondations consacrées à la culture s’élève à seulement 26%. La priorité
est tournée vers l’action sociale et l’insertion professionnelle. Ces domaines d’intervention
semblent légitimes du fait des besoins de notre société en période de crise… Cependant, de
nombreuses entreprises couvrent plusieurs champs d’action à la fois. Certaines pratiquent
52 Baromètre des fondations d’entreprise, IMS Entreprendre pour la Cité, 2012
53
parfois un mécénat croisé : insertion par la culture, éducation à l’environnement… C’est le
cas de la Fondation Daniel et Florence Guerlain engagée à la fois pour la protection de
l’environnement et dans la culture par le biais de l’organisation du Prix du dessin
contemporain. La fondation Kering, quant à elle très engagée pour la cause des femmes du
monde entier (et dont le PDG est, en même temps, à la tête d’une des plus grandes
collections d’art contemporain au monde), confirme par le biais de Louise Beveridge, sa
directrice communication et partenariats, que la fondation représente parfois la branche de
l’engagement sociétal de l’entreprise. Dans le cadre de la communication de cette fondation,
Louise Beveridge confirme qu’au-delà du projet social consacré aux femmes, leur
communication cible un public en particulier, segmenté en fonction de l’âge, des intérêts, du
sexe, ou d’une situation de handicap. Dans le cas d’une organisation venant en aide aux
femmes, et ce comme la majorité des fondations impliquées dans des projets sociaux, celle-
ci s’adresse à des publics en situation de précarité et par ce biais s’ouvre à de nouveaux
marchés et de nouveaux canaux de communication.
La communication de la fondation par rapport à l’entreprise
Comme nous l’avons vu précédemment, 26% des fondations sont consacrées à la culture.
En temps de crise, la culture n’est pas jugée comme étant une nécessité première pour le
public, bien que de grosses entreprises (Carmignac, Kering, Guerlain, BNP, Société
Générale) choisissent de s’y consacrer, par le biais du mécénat ou des fondations
d’entreprise. Dans le cas des fondations d’entreprise, pour pallier ce manque d’intérêt ou de
visibilité des publics envers la culture, la mise en place d’une stratégie digitale et d’un site
internet indépendant de celui de l’entreprise peut se révéler pertinente. Comme dans toutes
les activités liées au mécénat, il s’agira de trouver un juste équilibre entre le discours
promotionnel et commercial d’une entreprise et un discours allant dans le sens de la RSE
(Responsabilité Sociale et Environnementale).
63% des fondations disposent désormais de leur propre site internet, et les structures
n’ayant pas de site dédié sont au moins citées sur le site de l’entreprise. La moitié des
structures n’utilise pas du tout les réseaux sociaux, bien que cette démarche soit au stade
de projet pour 25% d’entre elles. Parmi les freins évoqués, celui de l’articulation entre la
communication de la fondation ou du fonds de dotation et la communication de l’entreprise
est le plus cité. 30% des structures intégrées au site de l’entreprise ont une rubrique dédiée,
les autres étant mentionnées dans les rubriques « développement durable »,
« engagements et valeurs », « mécénat », etc.
54
53
L’étude ci-dessus montre que Facebook est en tête des réseaux sociaux utilisés, suivi de
Twitter. Les fondations n’utilisent que très peu les réseaux professionnels comme Viadeo ou
LinkedIn, peu considérés comme des compléments utiles aux réseaux sociaux. Selon
Sébastien Urios, spécialiste des stratégies digitales, intégrer une stratégie web dans la
communication d’une fondation nécessite une définition des enjeux. En effet, il s’agit de
délimiter clairement la vocation de la fondation et la place de l’entreprise ou du particulier à
laquelle elle est rattachée. Certaines fondations comme la Fondation Ricard pour l’art
contemporain ou la fondation EDF ont su profiter d’une stratégie digitale, à la fois claire,
actuelle, affichant une image active et attractive. Elles ont su, grâce à un site internet
efficace, proposer des accès grand public (informations claires et actualisées sur les actions
menées), la possibilité pour les potentiels candidats de déposer leurs dossiers, et, dans le
cas d’EDF, une mise en valeur des salariés par le biais du bénévolat. En mettant à
disposition un contenu facile d’accès, elles ont naturellement contribué à donner à leurs
actions une résonance sur le web pour les valoriser, et par extension agir pour l’image de
l’entreprise.
Une fondation d’entreprise semble représenter une sorte « d’outil humanisant » en faveur de
l’organisation à laquelle elle est rattachée. Elle vise à confirmer - ou à valoriser- les qualités
humaines du dirigeant de l’entreprise. Par conséquent, elle peut être considérée comme un
levier stratégique de communication interne pour les salariés en termes de fierté
d’appartenance et d’image. À la fois empathique, pédagogique, formatrice, ouverte sur le
monde et accessible à tous, l’entreprise, par le biais de sa fondation, a la possibilité d’élargir
son empreinte et de s’offrir une image à la fois économique et sociale dans l’imaginaire
collectif. Bien que le choix du programme d’une fondation implique d’être cohérent par
rapport aux activités de l’entreprise, nous sommes en droit de nous demander jusqu’à quel
53 Étude Ernst & Young et IMS, panorama des Fondations et fonds de dotations, créés par des entreprises, édition 2014.
55
point une entreprise peut apparaître comme étant désintéressée et sincèrement concernée
lorsqu’elle choisit de s’engager dans des causes d’intérêt social. Cependant, une chose est
sûre : par le biais de sa fondation, l’entreprise peut de son côté profiter d’un levier important
de visibilité, gage de pérennité et d’une notoriété nouvelle construite autour des domaines
pour lesquels elle s’est engagée. De son côté, la fondation rattachée à une entreprise, et à
la figure plus ou moins puissante de son dirigeant, peut bénéficier d’une stabilité et d’une
sécurité pour poursuivre ses actions. L’entreprise et sa fondation s’enrichissent
mutuellement, et travaillent main dans la main dans le sens de la pérennité de leurs actions
respectives. Finalement, les fondations représentent un lien important entre le secteur
marchand et celui non lucratif.
Comme nous l’avons vu au cours de cette étude, les fondations d’entreprise se développent
de plus en plus depuis une dizaine d’années, faisant ainsi écho aux enjeux de notre société,
et témoignent d’une nouvelle conception des responsabilités auxquelles doivent faire face
les entreprises. Développer une fondation, représente un moyen puissant pour l’entreprise
de renforcer son ancrage territorial et peut s’appréhender comme un outil relationnel, un
porte parole précieux pour l’entreprise.
56
II. Études de cas : Analyse de la cohérence du lien entre l’art et le secteur d’activité de l’entreprise ainsi que de la
communication autour de ce lien
II.1 Le cas de la collection d'art contemporain de la Société Générale.
II.1.1 Un dialogue nouveau s'opère entre l'œuvre d'art et la nature immatérielle de l'activité bancaire.
« Renforcer notre rôle au cœur de la société civile »
Slogan, Rapport RSE de la Société Générale
La Société Générale est créée le 4 mai 1864 à l'initiative d'un groupe d'industriels et de la
famille Rothschild. Nationalisée à la fin de la seconde Guerre Mondiale, elle se développe
alors rapidement en France et à l'étranger grâce à la forte croissance d'après-guerre.
Privatisée le 29 juillet 1987, elle devient l'une des trois banques françaises non mutualistes,
avec le LCL et BNP Paribas. Forte de son passé, elle s'est construite une réputation de
banque solide et puissante. Impliquée dans le mécénat culturel (arts et musique), elle s'est
ouverte à d'autres domaines et a pu ainsi bénéficier d'une image engagée dans des causes
d'intérêt social. Depuis 1995, la Société Générale a initié, dans ses locaux, une collection
d'art contemporain qui compte aujourd'hui plus de 350 œuvres originales. Cette partie
s'attachera à mettre en évidence les points d'ancrage sur lesquels le milieu bancaire et l'art
parviennent à dialoguer. Nous tenterons d'identifier dans quelle mesure une collection peut
également devenir un levier de communication. Pour une banque, dont la réputation est à la
fois fragile et capitale, une collection d'art contemporain peut-elle aussi devenir un outil de
stratégie marketing en complément de la communication « traditionnelle » de l'entreprise ?
Pour comprendre les raisons pour lesquelles la Société Générale s’est éloignée de son
champ de spécialités en constituant une collection d'art, il semble nécessaire de revenir aux
origines de ces engagements et d'analyser l'entreprise d'un point de vue organisationnel.
Avec la crise des subprimes de 2008, les banques ont perdu crédibilité et confiance auprès
de leurs clients. Une étude menée par C. Charon et S. Muller en 201154 met en avant
l'importance de la réputation dans le secteur bancaire: « Une réputation solide semble
pouvoir permettre de lisser les effets négatifs d'une image à un moment donné. La
54 Tirée de l’étude Le risque de réputation : le cas du secteur bancaire menée par Florent Pratlong et Sophie Gaultier-Gaillard, Cairn.info, cahier n°48, 2011.
57
réputation contribue à la fois à la création de la valeur de l'entreprise et stabilise les
performances ». Une bonne réputation résulte de la combinaison sur le long terme de la
cohérence des actions, de l’adoption d’une communication portée sur le dialogue avec les
parties prenantes et de l’adéquation des valeurs de l’entreprise avec celles de la société.
Elle repose sur un processus en 5 étapes55 :
- différentiation : par rapport aux autres concurrents ;
-‐ positionnement : ciblage de la clientèle potentielle ;
-‐ personnalité : circulation de l’information au sein de l’entreprise ;
-‐ vision : convaincre les potentiels acheteurs de l’intérêt du produit, service ou
processus ;
-‐ valeur ajoutée : convaincre les individus de la valeur ajoutée du produit
Comme nous l’avons vu précédemment, l’art est un moyen de se démarquer de la
concurrence, de s’inscrire dans son temps tout en mettant en avant les valeurs de la marque
et de l’entreprise. Pour permettre aux collaborateurs d’interagir avec les œuvres, la direction
du mécénat artistique de la société générale a fait le choix d’exposer toutes les œuvres :
aucune œuvre n’est conservée en réserve; les informations sont accessibles aux
collaborateurs via l’intranet, les réseaux sociaux interne et externe et le site de la collection.
En termes de circulation de l’information en interne, l’art constitue un bon moyen de créer
des liens entre les collaborateurs. Laure Bergala, journaliste pour l'AGEFI, précise que la
matière immatérielle, impalpable, notamment auprès des publics, de l'activité bancaire 56pousse la banque à œuvrer dans le sens de l'intérêt général. Les établissements peuvent
avoir du mal à se différencier sur les offres et produits. Les banques s'appuient donc sur des
actions concrètes à la fois de mécénat, de création de fondations ou comme nous l'avons vu
dans la constitution d'une collection comme à la Société Générale. José Frèches, ancien
conservateur en chef du Musée Guimet et dirigeant de Artissimo & Co, agence de
communication culturelle, précise que l'art en entreprise est un excellent moyen d'ouvrir les
esprits des collaborateurs, de fabriquer du lien social et de booster la culture d'entreprise :57
« Face aux œuvres d'art, les hiérarchies professionnelles font davantage place à des
dialogues transversaux ». Autres possibilités offertes par la culture : faire sortir l'entreprise
hors de ses murs et contraindre ses collaborateurs à réfléchir en dehors des cadres
traditionnels.
55 Tirée de l’étude Le risque de réputation : le cas du secteur bancaire menée par Florent Pratlong et Sophie Gaultier-Gaillard, Cairn.info, cahier n°48, 2011. 56 Tiré de l’article Quand les banques investissent la vie culturelle, sociale et sportive, par Laure Bergala, Revue Banque, 19/11/2013 57 Tiré de l’article L’art au service de la culture d’entreprise, par Eric Delon, Les échos, 10/01/2006
58
Alors que le mécénat culturel est davantage tourné vers des actions à l'extérieur de
l’entreprise, la constitution d'une collection d'entreprise est quant à elle plus tournée vers
l'interne. De par le nombre d'œuvres qui figurent dans la collection (environ 350, toutes
originales, pour certaines de qualité muséale comprenant des signatures comme Soulages,
Riopelle, Adami), l'exposition permanente étant accessible à tous les salariés de l'entreprise,
la Société Générale a tenu à offrir à ses collaborateurs un environnement de travail agréable
et stimulant. D’un point de vue communicationnel, aussi bien en interne qu’en externe, la
collection est une plateforme d’échange originale et stimulante pour les 25.000
collaborateurs des sites de la Défense et de Val de Fontenay.
Comme nous l'avons vu précédemment, la réputation d'une entreprise se construit de
l’interne vers l’externe. Selon Guillaume Cerrutti, PDG de Sotheby’s France, maison de
ventes aux enchères : « Offrir aux salariés un environnement de travail original et créatif, par
l’insertion d’œuvres d’art, agit comme un déclencheur de performance ». Sur ces différents
constats, nous notons des liens évidents entre la réputation d’une entreprise et la
constitution d’une collection d’art. Les principaux points d'ancrage qui lient le monde des
arts et de la banque sont donc stratégiques. Ces points communs se situent à la fois sur la
longévité, sur l’image de l’entreprise et sur son implication dans des causes d’intérêt social.
La Société Générale soutient à la fois des artistes contemporains dans le cadre de sa
propre collection, et participe à des actions de mécénat de grande envergure (Musée
d’Orsay, restaurations diverses dans de grands musées etc.). L'art inscrit la banque dans
une stratégie globale de communication. Cette initiative permet à la fois de développer des
leviers en interne : cohésion du personnel, échanges, lien social entre les collaborateurs,
fierté d'appartenance.
Mais également en externe, car l'art impacte à la fois l'image de l'entreprise, sa réputation,
son marché, et ses clients. Le fait que la Société Générale possède une collection de si
grande qualité est un gage de croissance. Ces éléments sont essentiels à la bonne
réputation de l'entreprise, qui est en elle-même un support de transmission des informations
et de la communication. Une bonne réputation sécurise l'avenir de l'entreprise et de ses
actions. La collection d’art contemporain de la Société Générale, de par sa richesse et sa
longévité, est un point d’ancrage solide autour duquel l’entreprise peut se reposer pour faire
perdurer une réputation favorable. Dans ce cas précis, la collection est un élément
sécurisant et agissant à la fois sur la réputation et la communication ; deux éléments
indissociables et capitaux pour la vie et la croissance de l’entreprise.
59
II.1.2 Les œuvres d’art à la Société Générale deviennent un outil de communication et
de cohésion interne.
« On se donne rendez-vous à l’éléphant ? » 58
L’éléphant, c’est le traditionnel point de ralliement des salariés de la Société Générale qui
travaillent à la Défense. En effet, nombre sont ceux qui se retrouvent devant cette
imposante œuvre de Barry Flanagan, datée de 1986, avant de partir déjeuner ou prendre un
café. Tellement intégrée dans la culture de l’entreprise que certains salariés confient même
qu’ils n’hésitent pas à frôler cette œuvre pour se porter chance, avant de rentrer en réunion.
Cette sculpture monumentale fait partie de la collection initiée depuis 1995 dans les locaux
de la banque, exposée aux salariés quotidiennement au travers des couloirs, salles, halls…
La collection de la Société Générale fait partie intégrante de l’entreprise.
*Oeuvre de Barry Flanagan, 1986, dans le Hall de la Société Générale à la Défense.
Les 350 œuvres de la collection se déploient dans les locaux et sont quotidiennement
visibles par l’ensemble des salariés.
« Cette collection - intégralement exposée dans les locaux du groupe - a été initiée en 1995
par l’ancien PDG Marc Viénot. La collection a été faite pour les collaborateurs, avec l'objectif
d'animer leur cadre de travail », raconte Aurélie Deplus, responsable du mécénat artistique
Société Générale. Hafida Guenfoud-Duval, directrice mécénat et sponsoring à la Société
Générale, précise quant à elle qu’au-delà des accrochages, de nombreuses initiatives
enrichissent les interactions entre l'art contemporain et les collaborateurs : conférences,
visites guidées de la collection, expositions thématiques organisées par des commissaires
indépendants, vidéos pédagogiques présentant les œuvres sur le site de la collection, et
une « Journée de l'Art » organisée chaque année pour les collaborateurs, les trois
conférences mensuelles organisées dans l'amphithéâtre du siège sur les activités culturelles
de la capitale affichent généralement complet.
58 Tiré de l’article, Quand l’art s’invite au bureau, site internet de Challenges, publié par Chloé Dussapt le 21/03/14
60
Page dédiée uniquement aux collaborateurs de la Société Générale avec un accès privé
59
La modification des accrochages dans les espaces communs du siège génère des
discussions entre collaborateurs, qui se positionnent par rapport à cette nouvelle exposition,
ils restent rarement indifférents, affirme Hafida Guenfoud-Duval.
II.1.3 Mariage de passion ou de raison: remise en question de l’utilisation de l’art en
matière de communication en milieu bancaire.
Nous l’avons vu, dans le milieu bancaire, la réputation a une importance capitale. Nous
pouvons même avancer qu’elle est d’une certaine manière le pivot de la plupart des actions
en rapport à la fois à l’image de l’entreprise et à sa communication. Au cours de ces
différentes parties consacrées à la vie de la collection de la Société Générale, nous avons
pu démontrer qu’elle contribuait, par sa qualité, son ancienneté et sa richesse, à la bonne
réputation de la banque. Alors que certaines entreprises se sont improvisées grands
mécènes de la culture à la suite de la loi Aillagon sur le mécénat en 2003, cette collection,
59 Tiré du site de la collection d’art contemporain de la Société Générale.
61
débutée en 1995, a assuré à l’entreprise un levier de communication solide et stable. Dans
un cas critique comme celui de l’affaire Kerviel, et de la crise de février 2008, représentant
un danger vital pour l’entreprise, nous sommes en droit de nous interroger sur la manière
dont l’entreprise a géré la communication autour de cette collection. Va-t-elle s’en servir
comme d’un outil au service de son image ? Va-t-elle s’inscrire dans une stratégie globale
de communication pour renouveler l’image de la banque ? Selon certains salariés de la
Société Générale, alors que l’entreprise voit la valeur de son action s’effondrer de 61% en
2008, la collection d’art n’était clairement pas l’outil de rassurance premier à mettre en
avant. Renvoyer l’image d’une entreprise investissant des millions dans des œuvres d’art de
qualité muséale, au moment où elle est frappée de plein fouet par la crise, aurait été
absurde. La Société Générale au contraire, s’est recentrée sur ses actions mettant en avant
l’esprit d’équipe avec une image forte : « l’union fait la force pour faire face à la crise ! » Le
19 mars 2011, la Société Générale a lancé son plan « Ambition 2015 », une stratégie de
communication importante et réfléchie dans le but d’établir une nouvelle image pour la
banque. La nouvelle campagne mise en place par la banque se base sur une signature
explicite : « développons ensemble l’esprit d’équipe ». Après le bouleversement de la crise
économique, mais surtout de l’affaire Kerviel, cette nouvelle campagne est perçue comme
une cure de jouvence, un renouveau ou encore un moyen de sortir gagnant de la crise.
Pour la Société Générale, c’est également la possibilité d’affirmer ses valeurs. Des valeurs
fortes qui rejoignent le monde de la santé ou du sport (comme en témoigne leur partenariat
avec le monde du rugby et la Fédération Française de Rugby depuis plus de 20 ans). Cette
campagne, qui n’est que le commencement d’une stratégie à long terme puisqu’elle fait
partie d’un plan stratégique « Ambition 2015 », est amenée à exposer toutes les facettes et
les avantages de l’esprit d’équipe afin de devenir la banque n°1 en termes de relation client.
Grâce à cette idée, l’entreprise affirme la fierté du collectif de pouvoir avancer ensemble.
Dans le cadre de cette importante campagne de « reconquête » de l’entreprise, ni le
mécénat en faveur de la culture, ni la collection d’art ne sont mis en avant. « Les arts et la
culture, quand on a accumulé de l’épargne, et même un surplus, ça ne se finance pas via
l’endettement public mais sur fonds propres et privés. » L’analyse de l’économiste et
financier Thibaut André prend à nouveau tout son sens dans le cas de la Société Générale.
62
II.2 Les actions de Pernod‐Ricard en faveur de la culture
II.2.1 Les points de contact entre l’univers des spiritueux et celui de l’art.
« Il est bon d'être charitable ; Mais envers qui et comment ? C'est là le point. »
Jean de La Fontaine, Le Villageois et le Serpent
Pernod-Ricard est né en 1975 du rapprochement des deux sociétés françaises de spiritueux
anisés : Pernod, dont la création remonte à 1805 et Ricard, fondée par Paul Ricard en 1932.
Depuis 200 ans, Pernod est une société à l’histoire riche, et à l’âme forte. Association de
deux fortes personnalités, Paul Ricard et Jean Hémard, qui décident de s’associer en créant
Pernod Ricard. Fidèle à ses objectifs de départ, la société s’attache aujourd’hui à la
diversification de sa gamme de produits et s’ouvre à l’international en partant à la conquête
de nouveaux marchés et de nouvelles spécialités. La marque s’affiche comme un groupe
international et s’inscrit dans l’histoire d’une affaire familiale transmise, aux fortes valeurs :
l’esprit entrepreneur, la confiance mutuelle et le sens de l’éthique.
60
Pernod-Ricard, magnat des spiritueux, symbolisant à ce titre un univers festif, et nocif, use
de son ancrage dans les spiritueux pour miser sur l’aspect convivial. La signature du
groupe, « créateurs de convivialité », l’exprime. Son logo, aux allures d’un soleil bleu,
60 RICARD Paul, La passion de créer, Albin Michel, 1983, 270 pages,
63
évoque à la fois la volonté de rayonner à l’international et fait référence à la méditerranée,
aux vacances, et à la jovialité des apéritifs entre amis les soirs d’été.
Au même titre que le parfum, l’univers de la banque, ou la gestion de fortunes privées
comme nous l’avons vu dans de précédents exemples, nous pouvons affirmer que c’est
pour améliorer son image, ou pour renforcer ses projets de développement sur le long terme
qu’une société va créer des actions tournées vers l’extérieur, hors les mûrs. Dans une
perspective de performance, de développement et de positionnement, elle va élargir son
champ d’action, en allant chercher à l’extérieur ce qu’elle n’a pas à l’intérieur… C’est le cas
de Pernod Ricard, dont l’image des spiritueux reste un référent puissant dans l’imaginaire
collectif et tend à donner une dimension importante à son département RSE : 61« L’engagement de Pernod Ricard en matière de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise
n’est pas nouveau : le Groupe, par l’action visionnaire de ses fondateurs, a joué un rôle
pionnier en matière de politique sociale, de protection de l’environnement, de responsabilité
entrepreneuriale et de mécénat solidaire, bien avant que le développement durable ne
s’impose à tous comme une nécessité. »
Dans la continuité de cet engagement en faveur du développement durable, Pernod-Ricard
accorde une place particulière au mécénat culturel que la société présente comme étant une
pierre angulaire de l’engagement citoyen du groupe. Très impliqué dans la vie des grands
musées de Paris, le groupe s’occupe à la fois d’art contemporain, (le partenariat du Centre
Pompidou, que nous verrons dans une prochaine partie, remonte à 1997), ou d’arts
premiers, en étant un des mécènes important du musée du Quai Branly.
L’engagement de Pernod Ricard en faveur de l’art s’inscrit dans un projet global, social et
citoyen.
C’est ici la rencontre de deux mondes, la culture et les spiritueux, qui ensemble, va aller plus
loin.
D’un côté la culture, un univers chargé d’histoire, qui représente la richesse, le patrimoine,
l’identité d’un pays, d’un créateur. Puis la diffusion des collections publiques et du
patrimoine, qui passe par les musées. Ces derniers, véritables marqueurs de la culture
61 Tiré de l’édito Pernod-Ricard concernant leurs engagements en faveur de la RSE
64
française, diffusent leurs collections et doivent à la fois assurer la qualité des objets exposés
et leur sauvegarde. De l’autre, Pernod-Ricard, qui voit en la culture une manière de travailler
son image et d’afficher son engagement dans des causes d’intérêt social. Les musées, très
demandeurs en matière de restauration et de sauvegarde des collections (désengagement
de l’État pour causes financières que nous avons évoqué précédemment), voient en ce type
de mécènes une solution pour diversifier leurs canaux de communication, et un moyen de
pouvoir assurer leur développement et leur rayonnement. L’association de ces deux univers,
celui des spiritueux et de la culture qui se différencient par leur forme de richesse,
pécuniaire pour l’un, patrimoniale pour l’autre, ont un souhait commun : grandir ensemble.
Grandir ensemble pour deux raisons différentes : la culture (matérialisée ici par les musées),
et la survie de leur organisation. Quant à Pernod-Ricard, important acteur de l’univers des
spiritueux, dont la nature même de son produit subit les campagnes de sensibilisation contre
l’alcool, voit, en s’impliquant dans des causes d’intérêt général, l’occasion d’afficher un
nouveau visage.
Un nouveau visage, et une patte blanche…
II.2.2 La longévité des liens tissés entre Pernod Ricard et les institutions culturelles
qu’il soutient sont en eux-mêmes des leviers spécifiques de communication entre
l’entreprise et le public.
« L’art contemporain n’est pas un choix facile. Il instaure un dialogue avec des artistes qui n’hésitent pas à “casser les codes”. Ceci permet à l’entreprise de mieux s’inscrire dans son temps ».
Francisco de la Vega, directeur de la communication de Pernod-Ricard, 2009
Le cas du Centre Pompidou et de Pernod-Ricard
En matière de parrainage et de mécénat, Benoit Parayre, directeur de la communication et
des partenariats du Centre Pompidou, a précisé lors de notre interview, l’importance de
recentrer les projets du groupe autour de partenariats sécurisants pour le musée, c’est-à-
dire des partenaires s’impliquant dans les événements du musée depuis déjà plusieurs
années. L’accompagnement du Centre Pompidou par Pernod-Ricard date de 1997. Dans le
cadre de sa politique de mécénat, le Groupe parraine un chantier important du Centre pour
l’art contemporain : l’aménagement des espaces extérieurs du Centre Pompidou, réalisé par
l’architecte italien Renzo Piano et baptisée en 1998 « Terrasses Paul Ricard ». En 2003,
grâce au soutien de Pernod Ricard, l’œuvre « Tête en profondeur » (1930) de Julio
Gonzáles, (artiste espagnol considéré comme le père fondateur de la sculpture en fer
moderne), rejoint les collections du Centre Georges Pompidou.
65
62
Aujourd’hui, Pernod-Ricard participe à un projet en phase avec une de ses valeurs-clefs,
l’innovation. Et en cohérence avec son ambition de favoriser le partage des cultures: celui
du Centre Pompidou Virtuel. Cet espace digital, entre le musée virtuel et le centre de
ressources, permet au grand public de découvrir les collections du Musée et dévoile des
contenus supplémentaires. Une innovation qui encourage un partage culturel décloisonné et
permet l’accès aux œuvres, au plus grand nombre, partout dans le monde. Pour pérenniser
encore un peu plus les liens, des contreparties pour les partenaires et mécènes sont
disponibles tout au long de l’année : mise à disposition de lieux pour leurs événements,
entrées et billets coupe-file, invitations privées pour les vernissages, expositions, soirées,
conférences etc. C’est le cas de Pernod Ricard, qui organise tous les ans une soirée
annuelle dans les salles du Centre Pompidou. La direction du mécénat et de la
communication du centre, parle de l’importance du mécénat croisé. Cette pratique,
particulièrement salutaire en temps de crise, permet aux deux entités, mécène et
bénéficiaire, de recueillir différents avantages, d’un point de vue de la visibilité de leurs
actions ou de la communication. Chaque entité peut respectivement communiquer à son
propre réseau sur ses actions de mécénat, permettant ainsi d’atteindre un public étendu et
varié. La longévité des liens entre le mécène et le bénéficiaire est tout aussi importante que
l’ancienneté respective des entreprises. Car la visibilité et les réseaux sont plus larges et
plus étendus dans le cas d’entreprises avec beaucoup d’ancienneté.
L’ancienneté génère la confiance et favorise ainsi une meilleure communication. Au vu de
ces différents constats, nous pouvons imaginer que plus le partenariat est étendu dans la
62 Tête en profondeur, 1930, Julio Gonzàlez (1876-1942), Trésor national acquis grâce au mécénat de la société Pernod Ricard, 2003
66
durée, plus il s’inscrit dans l’image et dans l’ADN de la société. En effet, le Centre Pompidou
compte parmi ses mécènes le groupe Pernod-Ricard depuis 18 ans. Mutuellement, les deux
entités ont pu inscrire dans l’histoire de leur entreprise leurs actions communes.
II.2.3 Le mécénat de Pernod-Ricard et du Centre Pompidou est un échange de bons
procédés.
Nous l’avons vu, il est plus enrichissant pour les deux entités, mécène et bénéficiaire, de
travailler sur le long terme. Dans le cas de l’association entre le Centre Pompidou et le
groupe Pernod-Ricard, ce partenariat s’est construit autour de besoins bien réels de la part
de cette institution culturelle, et, selon les membres fondateurs du groupe, autour d’une
passion pour les arts, ancrée dans la culture de l’entreprise depuis sa naissance. 63« Soutenir l’art contemporain est un engagement historique de Pernod Ricard. Cette
priorité dans la politique de mécénat du Groupe est guidée par la volonté d’encourager la
création et l’innovation sous toutes ses formes. Depuis 1997, Pernod Ricard participe de
diverses manières à la préservation, l’enrichissement et le rayonnement du premier centre
d’art contemporain en Europe : le Centre Pompidou, à Paris. »
63 Texte de présentation sur le site Pernod-Ricard, sur leur engagement aux cotés du Centre Pompidou.
67
Points d’étude sur lesquels se complètent et s’enrichissent mutuellement le groupe et le
musée
*Exemple de tableau de mise en évidence d’un enrichissement mutuel pour le mécène et le bénéficiaire
Nous l’avons vu dans le cas de la collection de la Société Générale et de Pernod-Ricard,
l’implication dans des causes artistiques fait, partie intégrante à la fois de l’image de
l’entreprise, de son positionnement et de sa stratégie.
Cependant, dans le cas de la Société Générale, la collection se présente comme étant
principalement destinée aux salariés.
Dans le cas de Pernod-Ricard, c’est relativement différent. D’une part car la marque
possède une fondation destinée pleinement à l’art contemporain et à sa diffusion (Fondation
d’entreprise Ricard). D’autre part Pernod-Ricard, participe au quotidien du Centre Pompidou
et à son développement, en tant que grand mécène depuis 1997.
Pernod-Ricard et la Société Générale ont cependant quelques points communs : ces deux
sociétés ont des ressources financières très importantes. Elles appartiennent à deux univers
qui symbolisent à la fois le pouvoir et la méfiance (la banque) et de l’autre, l’univers des
spiritueux, de la fête, pouvant aussi être perçue pour partie comme étant potentiellement
dangereuse pour la santé. C’est à partir de cette image entachée ou dangereuse dans
l’imaginaire collectif, que se sont développées des actions en faveur de l’intérêt général.
68
Dans quel but ? Pour lisser l’image ? Rassurer le public ?
Ce sont des pistes à envisager pour comprendre ces engagements artistiques de la part des
entreprises.
Cependant, l’organisation mise en place par ses grandes entreprises autour de l’art, en
termes de communication est de visibilité, est elle développée à son plein potentiel ?
Permet-elle à l’entreprise et aux artistes de dialoguer comme il se doit autour de leurs
actions communes ? Enfin, dans le cas des collections d’art contemporain, (artistes vivants)
les artistes trouvent-ils leurs intérêts ?
Selon moi, la culture est un univers spécifique qui dépend de plusieurs facteurs pour être
exprimé à son plein potentiel. L’art à besoin d’un décodage pour être appréhendé et
compris. Pour cela, doit être créée l’idée d’une communication spécifique au monde de l’art
et aux artistes au sein même du département de communication ou du mécénat des
entreprises qui exposent de l’art ou s’investissent dans ce domaine.
69
III Recommandations destinées aux grandes entreprises pour l’intégration de l’art dans leur stratégie de
communication
La communication (à mon sens) manque de clarté et de richesse, (pas assez complète,
n’étant pas assez précise et didactique quant à l’œuvre, ou l’artiste. De ce fait, le visiteur a
du mal à percevoir la cohérence ou le fil conducteur de l’exposition) et l’idée d’interroger les
raisons poussant les entreprises à exposer des œuvres d’art s’est naturellement posée à
moi. Ce manque de communication et de clarté est-il la preuve que nous sommes encore
dans le schéma de Malraux, qui avançait que l’appréciation d’une œuvre d’art ne nécessite
aucun apprentissage ? Le sujet de ce mémoire est parti de ce constat, qui continue de
m’interpeller aujourd’hui.
III.3.1 Mettre en place des départements adaptés aux spécificités de la communication culturelle, et au choix des artistes dans chaque entreprise (dans le but de réussir à autonomiser son propre raisonnement face à l’art, avoir suffisamment d’informations pour pouvoir se créer son propre avis sur les œuvres).
Une œuvre d’art incorpore une valeur esthétique, mais celle-ci a été pensée et construite
par l’artiste. Elle est donc à la fois l’empreinte de l’identité et de la personnalité de l’artiste, et
aussi chargée d’histoire. Elle peut présenter une technique esthétiquement tout à fait
novatrice. Un projet artistique comme une exposition en musée, en galerie, ou encore lors
de foires d’art et salons, est un projet global, qui contient un peu de toutes les personnes qui
ont contribué à ce projet. Il met en scène l’artiste, son histoire, la démarche qui a conduit à
l’œuvre qu’il présente. Il y a aussi le lieu : la scénographie, les éclairages, les couleurs, la
décoration. Il y a aussi les personnalités qui font ce lieu, le directeur de la galerie, du musée,
ou du salon. Et pour finir il y a tout ce qui a trait à la diffusion de l’événement, à savoir la
communication, la publicité, l’événementiel.
Il est à mon sens capital que le public puisse saisir dans son ensemble le projet et avoir
accès à la fois à l’artiste, à son histoire, à l’œuvre en elle-même, aux explications quant au
choix de la scénographie et à l’identité du lieu ou de son directeur. L’approche esthétique,
voir affective d’une œuvre d’art, n’empêche pas sa connaissance au contraire. Au même
titre que le monde de l’art s’inscrit dans le monde de l’entreprise comme outil de stratégie ou
de communication, il pourrait être judicieux que l’entreprise, ou le lieu d’exposition, rentre
dans l’univers de l’art par le biais d’une stratégie adaptée et compréhensible par tous…
C’est-à-dire en adaptant les contenus de communication aux différents publics. Un enfant ne
70
pourra comprendre la même chose qu’un amateur, un spécialiste un novice. Il est important
de communiquer sur les œuvres en ayant une certaine connaissance du marché, des
publics et de ses acteurs. Un spécialiste de la communication artistique est une véritable
valeur ajoutée pour une entreprise qui expose de l’art dans ses locaux ou qui est mécène de
projets artistiques. L’intérêt d’une démarche comme celle-ci se situe à plusieurs niveaux : la
compréhension du message, l’atteinte de la cible, la prise en compte des particularités de
l’œuvre par une remise en contexte (même succincte) dans l’histoire de l’art de manière à
valoriser son travail. Une communication adaptée aux particularités du monde de l’art aura,
par répercussion sur l’entreprise, une meilleure prise en compte de ses actions et un moyen
indéniable de toucher encore plus de public. Notamment celui du marché de l’art lui-même.
Étant eux aussi touchés par la crise, les galeristes et marchands d’art, maisons de ventes
ou même antiquaires sont à la recherche de moyens tangibles et sécurisants pour le futur
de leur entreprise. Les entreprises et leurs collections constituent pour eux un excellent
moyen d’écouler leur stock et d’augmenter leur visibilité.
III.3.2 Favoriser la jeune scène contemporaine française pour l’acquisition d’œuvres et donner la parole aux artistes en tant que médiateurs pour parler de leurs travaux et de ceux des autres dans le cas de collections d’art moderne (artistes décédés).
"Les toiles sont les pages des journaux intimes des peintres." Zao Wou Ki
Dans le cas d’une collection d’entreprise ; j’ai donné la parole à un jeune et talentueux
artiste, Axel Mathieu-Mahias, (interviewé en juillet 2015) à qui j’ai demandé d’expliquer
pourquoi selon lui les artistes sont encore les meilleurs médiateurs pour parler à la fois de
leur travail mais aussi de celui des autres. Ce dernier raconte, que lorsqu’on lui demande
d’expliquer son travail, il estime qu’il ne s’agit pas uniquement de décrire ce que tout le
monde pourrait voir ou percevoir dans une œuvre d’art. Selon lui, un des aspects les plus
intéressants réside dans l’invisible, le domaine de l’émotion. Et si l'émotion du spectateur est
le but recherché, que pourrait-on dire des émotions de l'artiste lors du processus de création
?
Il rajoute : « les émotions sont indispensables à la compréhension de ce qui transcende le
visible. Personne n'est, à mon sens, plus apte à les décrire que le "sujet" physique lui-
même.»
Selon Axel, chaque toile possède son lot d'émotions et d'insatisfactions, comme une sorte
de virus qu’il cherche à éradiquer. Afin d'illustrer son propos, il prend l’exemple de la
décomposition de la lumière à travers un prisme. Les couleurs observées sont belles et
réelles, mais l’intérêt, une fois que le visible a livré ses secrets, réside dans les propriétés
physiques intrinsèques au phénomène.
71
Il affirme « qui serait mieux placé qu'un physicien pour révéler la partie invisible de cette
décomposition ? Je pense qu'il en va de même pour l'artiste. Il est le mieux placé pour
expliquer son propre reflet à travers le prisme de sa technique et de son insatisfaction. »
Axel Mathieu-Mahias
Buste, 2014
Acrylique sur toile
72
Selon la commissaire d’exposition israélienne Laura Schwartz (interviewée en juillet 2015)
qui se spécialise dans la Jeune Création, la collaboration avec une collection d’entreprise
est toujours une perspective stimulante. Selon elle, une manifestation en musée peut parfois
décourager par sa rigidité institutionnelle ; la mise en place d’une exposition dans une
galerie privée est trop souvent bridée par un budget limité et des considérations
commerciales. Et enfin l’achat par des collectionneurs privés est la plupart du temps,
dépendant des goûts personnels de l’acheteur.
Elle affirme que : « On peut rappeler que, depuis 2003, l’incitation fiscale faite aux
entreprises pour l’achat et l’exposition d’œuvres d’art fait de la France un excellent terrain
d’expérimentation pour les jeunes curateurs et les entrepreneurs. »
En tant que médiatrice, elle estime que la collection d’entreprise est un formidable tremplin
pour les jeunes artistes. Le commissaire d’exposition d’entreprise n’est pas soumis aux
aléas cités plus haut du musée, de la galerie et de la collection personnelle. Quand bien
même cela ne semble pas évident au premier abord, la collection d’entreprise permet une
prise de risque artistique qui a peu d’équivalents ailleurs : « Une collection d’entreprise
efficace et cohérente est selon moi celle qui ne se contente pas d’acquérir et exposer des
œuvres mais celle qui se transforme en boîte à outils pour l’entreprise et pour les artistes».
Laura Schwartz, cite l’exemple de la collection d’art contemporain de la Fondation
d’Entreprise des Galeries Lafayette qui, avant même son ouverture officielle, est déjà
devenue une plateforme ambitieuse et brillante de soutien à la jeune création par le biais de
« Galerie Lafayette Anticipation ». Pour affiner son propos, il est intéressant de souligner le
rôle indispensable d’un commissaire d’exposition dans la création d’une collection
d’entreprise. En effet, un curateur aguerri et informé des dernières tendances de la création
contemporaine peut filtrer et chorégraphier efficacement les projets d’artistes. Sa mission
est multiple : il porte à la fois les propositions artistiques, les produits et décide d’un
accrochage qui doit être cohérent autant pour les artistes que pour le grand public, les
cadres et clients de l’entreprise. La finalité étant d’une part de lancer de jeunes artistes et
d’autre part de contribuer au rayonnement d’une entreprise en général déjà très établie.
Ce rôle « d’équilibriste », à la fois entre l’artiste, les œuvres et l’entreprise, est selon la
spécialiste, « tenable que par un commissaire d’exposition capable de comprendre les
enjeux de la création contemporaine et de les rendre abordables pour un public plus large
par le biais de l’entreprise ». De cette manière, elle estime qu’une collection d’entreprise
portée par une équipe de curateurs énergique et ambitieuse participe tout autant au débat
actuel sur l’art contemporain que n’importe quelle autre institution.
À mon sens, pour saisir les particularités d’une œuvre dans sa globalité, aussi bien d’un
point de vue esthétique qu’historique, il est important de pouvoir privilégier la parole des
artistes qui connaissent à l’évidence le mieux leurs œuvres. Dans le cadre d’une collection
d’entreprise (nous nous consacrons ici aux œuvres d’artistes vivants : contemporains), où,
73
comme nous l’avons vu, l’œuvre devient aussi un outil au service de la stratégie de
l’entreprise, dont les œuvres sont exposées quotidiennement au public et aux salariés. Nous
pouvons imaginer que le créateur de l’œuvre lui-même serait amené à délivrer avec plus de
clarté le message que renferme sa création. Partant d’un des constats de Pierre Bourdieu
dans l’Amour de l’art, à savoir que l’on apprécie plus ce que l’on connaît mieux, avoir la
possibilité de comprendre la démarche de création d’une œuvre, jusqu’à la finalité de son
processus, peut être la clef pour bénéficier de tous les avantages qu’offre l’art en entreprise,
d’un point de vue de l’image (interne et externe), de la communication, et du management.
Enfin, donner la possibilité aux artistes de se faire connaître, dans d’autres milieux que le
leur, offre une opportunité de sortir de l’anonymat, de prendre la parole, de se positionner
face à leurs travaux et à ceux des autres, et, pour les moins connus, de sortir d’une certaine
précarité financière que subit encore beaucoup l’univers de la création et plus
particulièrement celui des artistes.
III.3.3 Donner la possibilité aux salariés de contribuer à la constitution d’une collection d’entreprise. Dans le cas des entreprises qui exposent de l’art ou possèdent une collection, l’entreprise
apparaît en elle-même comme à la fois un lieu de socialisation et de construction identitaire,
il paraît tout à fait cohérent que la collection d’art en entreprise fonctionne, entre autres,
comme un « liant » avec les salariés.
Selon Maurice Thévenet, professeur au CNAM et à l’ESSEC, qui a beaucoup travaillé sur la
question de la cohérence entre l’entreprise et ses valeurs, la notion de cohérence reste
fondamentalement liée à la motivation des salariés.
Pour Thévenet, il y a cohérence quand : « les règles, les procédures, et systèmes sont
cohérents avec des valeurs opérantes ».
Or, si une entreprise décide de se constituer une collection et de l’exposer, elle prend le
parti d’investir un univers qui n’est pas le sien, et se donne la possibilité de bénéficier des
particularités de cet univers en termes de communication et de levier de croissance.
Le fait d’exposer de l’art dans ses locaux agit directement sur le quotidien des salariés et sur
leur environnement de travail. Participer à la constitution d’une collection d’entreprise permet
d’inscrire les salariés à la fois dans le quotidien de l’entreprise mais aussi de les confronter
aux valeurs et à la culture de celle-ci de façon claire et plus tangible.
Leur donner la possibilité de participer à cette culture d’entreprise, en se rapprochant du
monde de l’art, semble porteur à plusieurs niveaux en termes de management :
74
-‐ Comprendre les valeurs de l’entreprise de façon tangible. D’une certaine manière, la
collection matérialise ces valeurs.
-‐ Adhérer à la culture de l’entreprise en s’impliquant dans la construction de projets à
long terme, valorisant le patrimoine de l’entreprise.
-‐ Sentiment de fierté de la part des salariés de se sentir sollicités et de participer à la
constitution d’un projet collectif en cohérence avec les valeurs de l’entreprise.
-‐ Cohésion des salariés.
-‐ Maintien de la motivation, ou augmentation de celle-ci.
-‐ Meilleur relais des valeurs et de la culture de l’entreprise en externe (car meilleure
compréhension en interne).
-‐ Mise en valeur de l’image de l’entreprise.
-‐ Attirer de futurs collaborateurs en véhiculant une bonne image par des canaux à la
fois internes et externes.
Constituer une collection d’entreprise en y impliquant ses salariés entre dans un schéma du
mieux vivre ensemble en entreprise.
Pour aller plus loin, dans le cadre de collections en entreprise, nous pouvons imaginer la
mise en place systématique d’un département ou d’un bureau destiné à centraliser les
propositions et idées des salariés pour le développement de la collection, ou des
acquisitions.
75
Conclusion
Nous l’avons vu tout au long de cette analyse, l’art a dû et a su s’adapter à l’air du temps.
Alors qu’hier il était destiné à la mise en valeur de son mécène, jusqu’à l’invention du
daguerréotype et de la photographie en 1839, il avait encore sa fonction originelle : informer,
matérialiser la vie, les gens, les choses, les sentiments… Il se suffisait à lui-même. C’est sur
la mutation de la fonction originelle de l’art et autour de l’évolution de cette autosuffisance,
que s’est construite mon étude. Sa nature même a changé, son utilisation n’est plus la
même.
Au fur et à mesure des années, des évolutions politiques et des multiples crises
économiques, les entreprises ont petit à petit été amenées à se diversifier et à se tourner
vers l’extérieur, pour se renforcer et protéger leur devenir.
L’art est un puits de ressources pour l’entreprise : à la fois révélateur de différentes formes
d’images favorables, il est aussi un vecteur de cohésion interne pour les salariés, un levier
de croissance en termes de notoriété, de visitorat ou de visibilité. Il est aussi un instrument
de communication précieux, qui ancre l’entreprise dans le quotidien du monde de l’art, un
domaine à la fois innovant, évolutif et en lui-même international. Autrement dit, un allié de
taille pour la pérennité de ces organisations.
Les entreprises se retrouvent face à deux particularités qui jouent en leur faveur lorsqu’elles
décident d’inclure des créations dans leur organisation : elles bénéficient du double pouvoir
de l’art qui se situe d’une part dans l’imaginaire collectif du public (l’art véhiculant, d’une
certaine manière, l’image d’un monde merveilleux, quelque-peu inaccessible, dont l’unicité
des créations attise l’intérêt). Et la nature même de l’art au travers de cet imaginaire collectif
est devenue un outil pour les entreprises. D’autre part, les sociétés peuvent aussi se
reposer sur une réalité plus concrète du monde de l’art : un marché hautement spéculatif, et
dans certains cas, l’accès à des relations très fortunées.
Ces deux particularités permettent aux entreprises de véhiculer une image à la fois
bienveillante et stratégique qui leur permet d’aller plus loin dans leur développement.
Malgré les grands discours passionnés vis-à-vis de l’art, dans le cadre de son utilisation en
entreprise, mon impression première est toujours et plus que jamais d’actualité après cette
étude : il s’agit d’un outil, certes noble, mais un outil quand même, au service de la stratégie
d’entreprise. À la question l’art devient-il un des leviers prépondérants de la communication
des entreprises en France, la réponse est oui. Pour les entreprises qui ont décidé de faire
rentrer l’art dans leur organisation, cette décision s’est développée dans l’idée de consolider
l’image et d’affirmer une identité. C’est un peu l’arbre qui cache la forêt : le vecteur qui en
dit long sur la santé de l’entreprise. De toute évidence, l’art est un outil de communication
actif, et vivant par nature. Son indépendance et son marché lui donnent une richesse
76
attractive pour les entreprises. De plus, il offre aux sociétés beaucoup de liberté en termes
de communication. L’entreprise peut utiliser l’art comme elle le souhaite, en fonction de la
visibilité qu’elle veut donner à ses actions. À titre d’exemple, à la suite de l’affaire Kerviel, la
Société Générale avait concentré sa communication et ses actions sur l’esprit d’équipe en
retravaillant toute son organisation en interne, et en s’impliquant dans le sport (rugby). Le
repositionnement de sa communication avait pour bût de rassurer et de renouveler l’image
global de l’entreprise. Elle avait pris le soin de mettre de côté la communication autour de sa
collection. Il n’était pas forcément de bon ton à ce moment précis, d’exposer au goût du jour
l’actualité d’une collection représentant plusieurs millions d’euros alors que la société était
en danger.
La nature évolutive et mouvante de l’art et de son marché, oblige l’entreprise à rester active
et attentive à un autre marché que le sien : celui de l’art. Elle peut ainsi se positionner et
anticiper des actions ou des événements sur le long terme.
Mais l’entreprise apporte-t-elle autant à l’art que l’art à l’entreprise ?
En temps de crise, comme c’est actuellement le cas, y compris pour le marché de l’art, la
réponse est oui. Les artistes qui ont rencontré de nombreuses difficultés à se faire
reconnaître et à vivre de leur art, dans un marché de plus en plus concurrentiel, ont trouvé
de nombreux intérêts à nouer un partenariat avec les entreprises.
Bien que les univers du luxe, de la finance et de l’art aient pu entretenir des relations
complexes et susciter des interrogations en termes de cohérence d’association, oscillant
entre fascination et répulsion, l’art reste présent partout. Les maisons de luxe, qui ont
presque toujours trouvé leur inspiration dans le monde de l’art, ont compris que l’art pouvait
être un allié important pour affronter les stratégies d’internationalisation et de diversification.
Les financiers, comme Carmignac, qui disposent d’une richesse patrimoniale s’inscrivant
dans la lignée d’une longue tradition familiale, peuvent ainsi lisser une image agressive voire
effrayante liée à leur activité de financier.
Les différentes formes que peuvent prendre une création confirment son caractère
protéiforme, et la grande liberté qu’elle laisse à ses propriétaires.
Si la réussite économique de ces associations n’est plus à prouver, peut-on y voir la même
réussite du point de vue artistique ? Qu’en pensent les artistes ?
Takashi Murakami, artiste contemporain japonais, décrit avec une grande lucidité les
associations entre les maisons de luxe et l’art contemporain : « de l’art, ils ont retenu sa
capacité à renouveler le sentiment de nouveauté et d’originalité ». La sincérité et le sens de
la pratique artistique par les entreprises sont ici remis en cause par l’artiste.
Les entreprises sont-elles finalement les galeristes de demain ? L’accès à l’art et sa
médiation, semblent être des questions importantes à prendre en compte pour le devenir de
l’art.
77
En effet, tant qu’ils ne peuvent pas à nouveau acquérir une véritable indépendance,
retourner aux mains des marchands et galeristes spécialisés, quelle trace dans l’histoire de
l’art laisseront ces artistes contemporains dont les œuvres trônent sur les cimaises des
entreprises ? Il reste à savoir ce que les gens saisiront et garderont de la portée artistique
de ces collaborations, et ce que les entreprises en feront.
Seul l’avenir peut le dire, et la magie de l’art réside dans le fait qu’au fur et à mesure des
années et des siècles, les artistes ne se sont pas inscrits dans l’histoire de la même
manière. Certains grâce à des marchands d’art compétents, certains grâce à leur audace,
d’autres grâce à un roi ou à un grand mécène, d’autres grâce au temps et d’autres encore
qui ne sont jamais sortis de la misère… Et c’est finalement a posteriori, l’image de l’artiste
maudit qui bien souvent marque l’histoire et les consciences (Cf : Modigliani, Soutine, Van
Gogh etc.).
Si comme le décrit Rodin, « l’art est toujours sacré64 », les entreprises sauront-elles être à la
hauteur de tous ces grands galeristes et mécènes qui ont contribué à l’histoire d’un artiste, à
faire vivre et comprendre son talent, à le respecter, y compris dans la postérité ?
C’est peut-être en reconsidérant la nature même de l’artiste et de son œuvre, en revenant à
ses fondements, que nous parviendront peut-être à élucider cette question afin que l’art
garde sa singularité, et ses lettres de noblesse.
L’art raconte une belle histoire, embellit, rassemble, questionne, fait parler les artistes et les
entreprises. Il devient en lui même un vecteur de communication.
Bernard Sabatier, lors d’un entretien avec Bernard Pivot en 1975, parlait déjà de la
communication en ces termes, qui, dans le cas de cette analyse, semblent prendre tout leur
sens: « A notre époque, où on parle tant de communication la vraie communication est
poétique ».
64 Se dit des sentiments de crainte et de respect inspirés par les choses qui sont l'objet d'une révérence religieuse. Qui revêt une importance primordiale, et à quoi il ne faut pas toucher. Définition tirée du larousse.fr
78
Bibliographie
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V. SEGHERS, Ce qui motive les entreprises mécènes : philanthropie, investissement, responsabilité sociale ?, Autrement, Paris, 2007
G. DE BRÉBISSON, Le Mécénat, P.U.F., Paris, 1993
F. HASKELL & N. PENNY, Pour l'amour de l'antique. La statuaire gréco-romaine et le goût européen : 1500-1900, trad. F. Lissarague, Hachette, Paris, 1988
N. HEINICH, L'Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Gallimard, Paris, 2005
N. HEINICH, Faire voir. L’art à l’épreuve de ses médiations, Les impressions nouvelles, 2009.
F. MARTEL, De la culture en Amérique, ibid., 2006
M. MAUSS, Sociologie et anthropologie, P.U.F., 1950
S. ROZIER, Le Mécénat des entreprises, in Les Cahiers français, no 312, 2003
F. H. TAYLOR, The Taste of Angels. A History of Art Collecting from Rameses to Napoleon, New York, 1948
COLBERT F., Le marketing des arts et de la culture, 2001, G. Morin édit.
EVRARD, Y., Le management des entreprises artistiques et culturelles, 1993, Economica
COLLECTIF., Publics et projets culturels, un enjeu des musées en Europe, 2000, L’Harmattan
Sources Internet
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Le mécénat entreprises et associations document du ministère PDF : http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/Plaquette_mecenat_12-08.pdf
La communication du mécénat en question ADMICAL PDF
http://www.admical.org/editor/files/ACTES_Colloque_ADMICAL_COMMUNICATION_du_mecenat.pdf
Guide du mécénat document du ministère PDF : http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/mecenat_guide_juridique.pdf Le mécénat entreprises et associations document du ministère PDF : http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/Plaquette_mecenat_12-08.pdf
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La communication du mécénat en question ADMICAL PDF http://www.admical.org/editor/files/ACTES_Colloque_ADMICAL_COMMUNICATION_du_mecenat.pdf Culture et développement durable : 1) http://reseauculture21.fr/labo/2011/11/05/diversite-culturelle-et-droits-culturels/#more-1036 2) http://www.vedura.fr/social/culture Crise du mécénat ou mécénat de crise http://communicationorganisation.revues.org/2260 Les nouveaux médias sphère publique et sphère privée http://www.fadben.asso.fr/Les-nouveaux-medias-sphere.html
Musées et mécénat
Château de Versailles, paroles de Mécènes http://www.chateauversailles.fr/soutenir-versailles-/le-mecenat-a-versailles/mec--paroles-de-mecenes Le Louvre aura son Cranach Le Figaro 20/12/2010 http://www.lefigaro.fr/culture/2010/12/20/03004-20101220ARTFIG00322-le-louvre-aura-son-cranach.php
Blog
Mécénat culturel YOUPIL : Dix ans de mécénat état des lieux (archives des entretiens du mécénat les 5 et 6 novembre 2013) http://mecenatculturel.blog.youphil.com/archive/2014/01/19/dix-ans-de-mecenat.html#more http://mecenatculturel.blog.youphil.com/archive/2014/06/23/mecenat-culturel-comment-innover-4086.html#more Parrainage et mécénat une autre façon de communiquer http://www.bepub.com/view_fiche_pratique.php?id_fic=20 Google art project http://www.google.fr/intl/fr/culturalinstitute/about/ Fondation de France http://www.fondationdefrance.org/Votre-espace/Entreprises/Paroles-d-experts/Mecenat-et-communication Ministère de la culture http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Mecenat Fondation culture et diversité École du Louvre : http://www.ecoledulouvre.fr/ecole-louvre/soutenir-ecole/mecenat/fondation-culture-diversite
80
MECENOVA http://www.mecenova.org/entreprises.php Culture et communication http://culture-communication.fr/fr/category/dossiers/mediation-culturelle-et-outils-multimedia/ Listes de sites et livres sur le mécénat via le site associathèque https://www.associatheque.fr/fr/guides/mecenat/bibliographie.html
Entreprises et fondations Guerlain
http://www.guerlain.com/
Fondation Cartier
http://fondation.cartier.com/ - /fr/home/
Fondation Total
http://fondation.total.com/fr
Fondation d’entreprise Ricard
http://www.fondation-entreprise-ricard.com/
Pernod Ricard
http://pernod-ricard.fr/
Collection Société Générale
http://www.collectionsocietegenerale.com/fr/
Fondation BNP Paribas
http://www.bnpparibas.com/fondation-bnp-paribas
Fondation Carmignac
http://www.fondation-carmignac.com/fr/
Daniel et Florence Guerlain
http://www.fondationdfguerlain.com/FR/
Kering
http://www.kering.com/fr
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Annexes
Interviews
Résultats
Analyses
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Liste des interviews réalisées au cours de cette étude
Carine DECROI, Directrice de la communication et de l’événementiel, Arcurial, Paris, avril
2014
Gaia DONZET, Directrice de la Fondation Carmignac, Paris, septembre 2015
Jean-Christophe CASTELAIN, Rédacteur en chef du Journal des Arts, Paris, juin 2014
Robert FORH, Mission du mécénat, Ministère de la Culture et de la Communication
Délégation à l'information et à la communication, septembre 2014
Jean-Yves BOBE, Service des arts plastiques Direction générale de la création artistique,
Ministère de la Culture et de la Communication, octobre 2014
César CHEMINEAU, Chargé de mécénat individuel au Musée du Louvre, Paris, mars 2015
Benoît PARAYRE, Directeur de la communication et des partenariats, Centre Pompidou,
Paris, avril 2015
Shelley MANNION, Senior Product Manager, Bristish Museum, Londres, mai 2015
Sylvie MACHENAUD, External communications director, Groupe Pernod Ricard, Paris, mai
2015
Axel MATHIEU-MAHIAS, Artiste peintre, août 2015
Aurélie DEPLUS, Commissaire d’exposition, Collection Société Générale, Paris, la
Défense, août 2015
Laura SCHWARTZ, Commissaire d’exposition, et directrice de la galerie Cohen & Schwartz
Gallery, Yafo, Tel Aviv, août 2015
Nathalie HEINICH, Sociologue, Paris, Août 2015
Ann DABOVILLE, chargée de mécénat pour les musées, Fondation BNP Paribas,
septembre 2015
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PREPARATION DES INTERVIEWS
J’ai réalisé une série d’interviews auprès 14 personnes. Différents acteurs ayant une
activité plus ou moins directe dans le domaine de la culture. L’on pourrait séparer
l’ensemble de ces personnes interviewées en deux groupes : ceux, spécialistes du monde
de l’art qui travaillent en musée, agences de communication spécialisées, commissaire
d’exposition, artiste et journaliste spécialisé. Il y en a 8 dans ce premier groupe
Les autres, ceux donc l’activité principale est autre, où dont les collections, ou les actions de
mécénat ou partenariat en faveur de la culture, sont impulsés par une structure dont
l’activité première n’est pas liée à l’art. Leur implication dans des actions en faveur de l’art
se faisant par le biais du mécénat, le développement de collections d’entreprise, ou la
création de fondations, pour ces derniers l’art vient en complément de leur activité
principale. Il y’en a 5 dans ce second groupe.
Les mêmes questions ont été posées à ces deux groupes de manière à dégager les points
sur lesquels les deux groupes ont le même avis, et ceux sur lesquels ils divergent afin d’en
connaître les raisons de les analyser.
J’ai commencé à envoyer des demandes d’interviews par mail en janvier 2014.
26 demandes envoyées avec 6 questions.
Sur ces 26 demandes, hommes et femmes confondus, d’une moyenne d’âge allant de 35 à
60 ans.
Il y avait 23 personnes françaises travaillant dans des entreprises ou des institutions
culturelles à Paris.
3 autres étaient étrangères : 1 anglaise, 1 belge, 1 américaine. 10 ont répondu
favorablement, dans le délai proposé à cet effet (1 mois), quatre autres ont mis bien plus de
temps. Pour les deux institutions les plus importantes : le Centre Pompidou et le Louvre, j’ai
mis respectivement 5 et 6 mois avant de pouvoir avoir une réponse. J’étais introduite au
préalable par une personne ayant déjà travaillé avec eux auparavant.
80% des interviews ont été réalisées en face à face à la demande de la personne
interviewée. Les entretiens ont duré de 30 minutes à 2h30 dans le meilleur des cas, et se
sont déroulées directement sur leur lieu de travail.
Dans l’ensemble la demande a été bien accueillie. Un intérêt a été démontré pour le sujet
du mémoire, souvent par curiosité, aussi pour faire passer un message.
Dans le cas du Louvre et de Pompidou, ou j’ai eu l’impression que les deux interlocuteurs
étaient ravis de l’audience potentielle qu’allait leur procurer Sciences Po, sur leurs
problèmes de communication, le manque de moyens mis à disposition, et l’actualité de leur
programmation.
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Il n’ y a pas eu de réponses négatives, sinon les personnes ne répondaient pas.
Toutes celles qui ont répondu étaient d’accord et toutes les interviews ont pu se faire.
ORIENTATION DES QUESTIONS
Les 14 personnes interviewées ont une carrière d’une durée allant de 5 à 25 ans.
Les questions couvraient principalement les deux champs suivants :
Le digital au service de la culture :
-‐ Leur positionnement face à la digitalisation des dispositifs de communication
et de médiation dans leurs institutions et plus généralement pour la culture
(bien que la demande fût adaptée en fonction des dispositifs à disposition sur le lieu,
mes questions portaient principalement sur les tablettes, visio-guide, applications, ou
réalité augmentée)
-‐ L’acceptation du digital dans les institutions culturelles ou lieux où sont
exposées des œuvres.
-‐ L’intérêt ou les menaces de la digitalisation des collections. (disponible via des
applications ou directement sur les sites des musées ou des entreprises)
Médiation, communication culturelle et leur mise en œuvre :
-‐ Les canaux de communication les plus utilisés pour leurs collections et leurs
événements.
-‐ Les moyens actuels qui s’offrent à eux pour assurer leur développement et la
pérennité des collections.
-‐ Auto-évaluation de leur stratégie de communication globale et de médiation dans le
cadre de leur collection ou mécénat.
-‐ Dans leur domaine de compétence, un ou deux exemples de communication
réussie, autour d’un événement, d’une collection, d’un mécénat, ou exposition, et
selon eux les raisons, de cette réussite
-‐ Au contraire un exemple de ratage et si possible en expliquer les raisons.
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-‐ D’un point de vue plus général, leur appréciation globale concernant la médiation des
actions en faveur de la culture aujourd’hui et de leur communication.
RESULTATS
I) Pour le groupe dont l’activité principale et l’entreprise sont spécialisées dans la
culture (8 personnes)
Raisons principalement évoquées quant au manquement de dispositifs de médiation
digitale dans les institutions culturelles : (ces raisons sont classées par ordre
d’importance).
-‐ Coût
-‐ Une préférence pour une médiation plus traditionnelle (pas encore assez « dans les
mœurs »)
-‐ Fragilité des dispositifs (tablettes, visio-guides etc.)
-‐ Coûts des réparations en cas de casse du matériel.
-‐ Baisse du visitorat si trop d’œuvres et de détails sont disponibles sur les sites ou via
des applications dédiées.
-‐ Expérience culturelle et appréciation des œuvres potentiellement dénaturées.
Positionnement global face à la communication des collections et des expositions
dans les institutions culturelles (raisons classées par ordre d’importance).
-‐ Priorité au mécénat pour le développement des collections au sein des institutions
culturelles publiques (musées) avec comme moyenne 60% des événements,
expositions et des acquisitions proviennent de mécènes privés.
-‐ Recherche et développement de mécénats croisés
-‐ Développement de campagnes de mécénat participatif (notamment dans le cadre de
restaurations, ou d’acquisitions)
-‐ Recherche de mécènes sur le long terme
-‐ Communication axée autour des actions de mécénats de grands groupes
-‐ Efforts de communication grâce à des dispositifs digitaux (applications)
-‐ Contreparties pour les grands mécènes tout au long de l’année.
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II) Pour le groupe dont l’activité principale de l’entreprise est autre que la culture (5
personnes).
Ces cinq personnes interviewées, proviennent de grands groupes nationaux et
internationaux réalisant plusieurs millions de chiffres d’affaire par an.
Raisons principalement évoquées quant au manquement de dispositifs de médiation
digitale en entreprise au profit des collections d’art : (ces raisons sont classées par
ordre d’importance selon les personnes interviewées).
-‐ Discrétion car il s’agit de collections privées ou à destination des collaborateurs.
-‐ Avoir la liberté de communiquer comme on le souhaite sur ce que l’on souhaite
-‐ Les collections ne sont pas cachées, mais leur nature première n’est pas d’avoir été
constituée pour le public sinon pour et par le PDG de l’entreprise dans une logique
souvent interne, à disposition des collaborateurs.
-‐ Ce manque est volontaire dans certains cas.
-‐ Les collaborateurs disposent de toutes les informations nécessaires sur l’actualité
des collections par un accès en réseau en interne.
Positionnement global face à la communication des collections et l’utilisation de l’art
en entreprise (raisons classées par ordre d’importance)
-‐ Communication principalement axée sur les actions autour des collections (mécénat,
prêt pour des expositions) plutôt que sur le contenu des collections.
-‐ S’ouvrir à d’autres domaines de spécialité
-‐ Enrichir culturellement les collaborateurs
-‐ Cohésion interne des collaborateurs
-‐ Positionnement de l’entreprise dans des causes d’intérêt général
-‐ Positionnement de l’entreprise sur un marché porteur, riche, autre que le sien, dans
cadre de mécénats croisés avec les institutions culturelles.
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ANALYSE
Globalement, les différences principales entre les deux groupes autour desquels j’ai effectué
mon analyse, sont ici :
1) Pour le groupe des spécialistes de la culture, la recherche de fonds, le développement
et la survie des collections, sont réels et vitaux. La communication, et la médiation, en
interne comme en externe, se positionnent comme étant des outils centraux et
nécessaires dans leur quotidien, en termes de visibilité et de maintient du visitorat.
L’idée de l’utilisation entres autres de procédés digitaux n’est pas mal accueillie dans
l’idée, mais pour autant, elle ne peut se faire principalement à cause d’obstacles de nature
financière. Que ce soit dans l’acquisition de ces dispositifs, que dans leur entretien dans le
temps, le coût est l’élément qui revient le plus fréquemment. De plus, y a aussi une
certaine appréhension à mettre de coté l’expérience culturelle ‘traditionnelle’ qui
consiste à se rendre au musée, à acheter son billet et admirer les collections in situ. Les
organisations des musées interrogées semblent tournées vers le passé, occupées à
conserver ce qu’elles ont déjà dans leurs mûrs, et ont du mal à se positionner vers
l’avenir et accepter les solutions qu’apportent le digital. Pour ce qui est du positionnement
de ce groupe par rapport à la communication globale des institutions culturelles, la priorité
est clairement à la recherche de fonds et de développement, le mécénat constituant la
majeure partie des fonds collectés pour les nouvelles acquisitions, les expositions, et les
événements. L’importance des mécénats croisés et de campagnes de mécénat participatif
est aussi mise en avant. De plus, les difficultés financières que subissent les institutions
culturelles aujourd’hui, frappées elles aussi par la crise, poussent l’ensemble de
l’organisation à aller chercher des solutions à l’extérieur. Par le biais du mécénat, de
prêts d’œuvres ou de campagnes de mécénat participatif, elles n’ont pas d’autres
choix que de s’ouvrir à d’autres domaines, et à un autre public. A la fois en diversifiant
leurs sources de revenus, (mécénat participatif), et en optant pour le mécénat croisé, elles
s’enrichissent d’un point de vue financier et culturel.
2) Pour ceux dont l’activité principale est autre que la culture, ou dont l’entreprise est
autrement spécialisée, ils cherchent avant tout à communiquer sur leur actions autour de
l’art et moins sur le contenu de leur collections. Leur collection, n’étant pas, au premier
abord destinée au public, les entreprises se donnent le droit de communiquer en externe
comme elle le souhaitent. Elles communiquent en externe volontiers sur les actions
qu’elles mènent en faveur de l’art comme dans le cadre de mécénats, de prêts, ou de
mécénats croisés. En revanche le contenu de leur collection se fait plus discret et est
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davantage tourné vers l’interne en donnant accès aux collaborateurs (dans le cas de
collections d’entreprises) à des espaces dédiés, privés et en réseau.
Le choix qu’on fait ces entreprises en s’investissant dans l’art, et l’utilisation d’une
communication moins libre, plus contrôlée et orientée, que celle du premier groupe
nous donne des indications sur plusieurs niveaux :
- Sur la place d’une collection au sein d’une entreprise d’un point de vue stratégique : en
interne en donnant accès aux collaborateurs à l’ensemble de la collection et des
informations dédiées.
- Sur la cohabitation des salariés avec les œuvres, sur l’impact de l’art dans leur
environnement de travail et sur leurs performances.
- Sur les impacts en externe par le choix qu’on fait les entreprises de s’investir dans l’art
plutôt qu’une autre discipline, sur leur positionnement, et leur image.
L’art représente pour ce second groupe un outil d’image. Ils peuvent compter sur la force et
les moyens mis en place dans la nature même de l’activité principale de leur entreprise,
pour pouvoir se consacrer à des besoins qui ne sont pas vitaux mais utiles et flatteurs
pour leurs organisations, pour leur positionnement et leur image, comme dans le cas
d’implications dans des causes en faveur de l’art et du patrimoine. La responsabilité que
doivent endosser les entreprises en termes de RSE peut paraître comme étant l’une des
raisons pour comprendre l’engagement des organisation au profit d’autres domaines que
leur activité première. En revanche, choisir le domaine de l’art plutôt que celui de la santé,
ou du sport (dans le cas des entreprises étudiées et des personnalités interviewées) est un
choix propre à l’entreprise. Ce choix est motivé par une idée de positionnement, d’image, de
goût et d’identité. Et c’est, à mon sens, clairement sur cette liberté de pouvoir faire ce
choix que les différences principales entre les deux groupes étudiés viennent
s’articuler :
à Pour le premier groupe, la communication globale, interne comme externe de
l’organisation est relativement plus transparente. Elle est pensée et construire sur une
notion de besoin, de croissance, de sauvegarde.
à Pour le second groupe, la communication globale est développée de manière plus
stratégique. Au delà de la stratégie, l’utilisation de l’art à de surcroît une dimension à la fois
‘implicite’ et ‘sous-entendu’ : celle d’une figure presque ‘humaine’ de l’entreprise, à la
fois, altruiste, généreuse, responsable et engagée.
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