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    COURS COMPLET

    HISTOIRE RE LA LANGUE FRANAISE

    Conforme au programme du Conseil supilrieur de l'instruction publique

    du 15 juillet 9880.

    GRANHIRE IIIST0111011

    DE LA LANGLE FRANCAISE

    PAR

    AUGUSTE BRACHET

    Examinateur et Professeur A l'E

    cole polytechnique,

    Laurat de l'Institut, etc.

    PRIFACE PAR

    E. LITTR,

    DE L'INSTITUT

    Vingt-quatri6me edition

    Ouvrage couronnepar l'Acadmie rancaise

    l

    O T H Q U E D T D U C A T IO N

    J. HETZEL

    ET C'" ,

    18,

    RuE

    JAcori

    PARIS

    Tous droit

    tion

    cc

    de reproduction r.;serv

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    Dit

    ANGUE FRANAISE

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    AUTRES OUVRAGES DU MEME AUTEUR :

    DICTIONNA IRE ATYM OLO GIQUE de la langue

    frangaise,

    avec une pr6face par E.

    EGGER,

    de l'Institut, li

    e

    6di-

    tion.

    HETZEL.

    Prix broche 8 fr.; cartonne Bra-

    del, 8 fr.

    E,0 Ouvrage couronne par l'Acadmie frau.-

    caisee

    A HISTORICAL GRAMMAR

    OF THE FRENCH TONGUE,

    by

    AUG. BRACHET, translated by

    W. KITCHIN.

    M. A.

    Oxford,

    at the Clarendon Press.

    1868.

    In-. 12

    3 sh. 6

    d.

    NOUVELLE GRAMMAIRE FRANgAISE l'usage des 6ta-

    blissements d'instruction secondaire.

    1872. HACHETTE.

    in-18.

    1 fr.

    50.

    MORC EAUX CHOISIS

    DES GRANDS ECRIVAINS FRANgAIS

    DU SEIZIEME

    SIECLE, accompagns d'une grammaire

    et d'un dictionnaire de la langue du xvi

    e

    sicle.

    HACHETTE.

    1 vol. in-12.

    3 fr. 50

    DICTIONNAIRE DES DOUBLETS au

    DOUBLES FORMES

    DE LA LANGUE FRANgAISE. 1868. FRANCK.

    n-8.

    2

    fr. 50.

    Ouvrage couronn6 par l'Acadmie des inscriptions en 1869.

    DU ROLE DES VOYELLES LATINES ATONES DANS LES

    LANGUES ROMANES.

    Leipzig, Brockhaus.

    1866.

    In-8.

    tTUDE SUR BRUNEAU DE TOURS, trouvre du xme

    sicle.

    1865. FRANCK.

    In-8.

    GRAMM AIRE CO1VIPAR1E DES LANGUES ROMANES, par

    FREDERIC DIEZ,

    traduite

    par A.

    BRACHET

    et G.

    PARIS.

    L'ouvrage complet formera trois volumes in-8.

    3223 Paris. Imp. tabu:

    Hle

    f.1 GuilIot, 7, rue des Cutett's

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    COURS COMPLET

    D'HISTOIRE DE LA LANGUE FRANAISE

    Conforme au programme du Conseil suprieur de l'instruction publique

    en date du 15 juillet 1880.

    IAIRE HISTORIQUE

    DE LA LANGUE FRAMAISE

    PAR

    AUGUSTE BRACHET

    Auden examinateur et Professeur l'Ecole polytechnique

    Laurat de l'Institut, etc.

    PREFACE PAR

    E.

    LITTRE,

    DE L'INSTITUT

    Vingt-quatrime

    ddition

    Ouvrage couronn par i'Acadbnie franpise

    PARIS

    3. HETZEL ET Cie, tDITEURS

    18,

    RUE JACOB)

    8

    To us droits de reproduction et de traduction reservCs.

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    7101FESSEUR ORDINAIRE A L

    '

    UNIVERSITi DE-BONN

    MEMBRE CORRESPONDANT

    DR L

    ACDiMIE DES INSCRIPTIONS

    caa, i

    nignore, e tu maestro

    DANTE.

    Inferno, II

    I

    to!

    FRDRIC DIEZ

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    PRtFACE

    DE LA DEUXIME ADITION.

    Il faut faire aux mdthodes honneur de /a marche

    ferme et Fo n peut dire rsolue que les recherches scion-

    tifiques ont prise dans tous les domaines du savoir;

    mais il faut aussi faire honneur a ceux qui se laissent

    diriger par elles. Les bons esprits sont les serviteurs

    ns des bo nnes nidthodes, et en obtiennent po ur salaire

    les heureux f ruits do nt elles son t pro digues. Ce salaire

    n'a pas manqu a M. Brachet, et la

    Grammaire histo-

    rique

    pousse en avant rdtude de notre langue, tude

    si negligde jusqu' prdsent quant aux o rigines, a l'his-

    toire, au dvelopp ement.

    Po ur les langues, la nvitho de essentielle est dans la

    comparaison et la filiation. Tant que rid& de proce

    der systmatiquement par voie de comparaison et de

    filiation ne vint pas aux savants, leurs tentatives res-

    W ent illusoires, et on ne so rtit gure de la fiction que

    po ur tom ber dans l 'arbitraire. A. prem iere vue, o n n'a-

    perpit pas pourquoi la vraie mthode n'a pas t an-

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    IV

    PRt.FACE

    pliquh depuis longtemps. Quoi de plus simple et de

    plus sous la m ain que d'tudier la co mp araison dans le

    grec et le latin, visiblement si voisins l'un de l'autre,

    au d'etudier la filiation dans le passage du latin aux

    langues rom anes ?

    Si

    cela s'tait fait, au lieu de con-

    ceptions vaines et subjectives, les anciens grammai-

    riens nous auraient laiss , dans la linguistique, des

    commencements de doctrine de bon aloi, et la science

    daterait d'eux, non des modernes. Mais cela ne se fit

    pas; c'est qu'une raison profonde interdisait provisoi-

    rement en cette branche du savoir

    Face&

    de la vraie

    mthode. En vertu d'une solidarit qui domino tout le

    dveloppement social, ii fallut que les sciences qui,

    grace a leurmoindre complication, prcdent l'histoire

    et la linguistique, eussent, par d'clatants sucas, eta-

    bli la puissance des

    mthodes positives. Les succa

    une fois conquis, la puissance une fois manifeste par

    ses oeuvres, il fut facile h l'esprit d'investigation de

    chasser de l'tude des langues l',

    Isprit de fiction ; et

    l'intelligence, dsormais outillee comme il fallait pour

    attaquer ce nouveau filon, mit au jour des trsors.

    Peut-61re on me dira que dans cet intervalle s'tait

    produit le grand incident du sanscrit. Certes il est im-

    possible de nier que la singulire trouvaille de ce fr6re

    lointain du grec et du latin n'ait projet un flot de lu-

    mire sur l'tude com parative des langues. Mais, m6me

    sans lui, les drudits n'auraient pas tarde h saisir le

    lien qui unit les langues aryennes, et, avec plus de

    peine et moins de perfection, ils ne s'en seraient pas

    moins mis en possession de notions dcisives dans la

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    DE LA DEUXCEME tDITION.

    gram maire, dans l'tymo logie, dans la fo rmatio n grts-

    duelle des idiomes et dans la filiation des p euples.

    M. B rachet explique nettement ce qu'il a voulu faire:

    4

    Le suj et de ce livre n'est po int la gram maire vieux

    francais. L'ancien fran ais ne figure ici qu' pro po s

    de la langue moderne. L'usage pr4sent depend de

    l 'usage anc ien, et ne s'explique que par lui. Le & an-

    (

    ais m o derne, sans la langue ancienne, est un arbre

    c sans racines; le vieux franais, sans la langue mo-

    derne, est un arbre sans ses branches et-sans ses

    feuilles ; les sparer peut se faire et s'est fait a tort

    jusqu'a present; les avoir runis est l'originalite de

    cette grammaire. De la le titre de

    Grammaire histo-

    rique (Prface,

    page 8). .fe cite et j'approuve.Moi-

    mMe j'ai combattu pour cette doctrine. Les jeunes

    gens qui nous remplacent n'en ont pas d'autres; ce

    qui Rait dbattu est cause gagnde, et le savoir avance

    entre leurs mains, comme il avano, entre les atres.

    L'on n'arrive, ditM. Brachet, expliquer les mots

    ou les faits grammaticaux que par leur histoire.

    Une petite trouvaille me perm et d'en fo urnir une veri-

    fication qui n'est pas ddnude d'intrt, ne serait-ce que

    parce qu'elle me p rocure l 'o ccasion de rectifier une er-

    reur de mo n

    Dictionnaire.

    Au mot

    cercueil,

    j'ai adoptd

    l 'o pinion de ce m aitre reno mm dans l 'tude des lan-

    gues ro manes, M . Diez, qui le derive du germ aniqup

    sarc,

    cercueil, rejetant

    sarcophagus,

    qui avait le sons

    de cercueil dans le latin du moyen age. Sa raison est

    quo, dans

    cercueil, la finale euil

    indique un diminu-

    tif, et que

    sarpophagulus

    donnerait non

    cercueil

    on

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    VI

    RtFACE

    tarcueil, mais sarfail.

    Pour ecarter l'objection d'un

    si

    habile tymologiste, il fallait un fait positif que je n'a-

    vais pas, quand M. Fo cet de Bernay renco ntra, dans une

    pouilli du quatorzime sicle,

    ecclesia de sarcophagis,

    localitd dite aujourd'hui

    Cerqueux,

    arrondissement de.

    Lisieux (Calvados), et m'en fit part. Cela tablit que

    sarcophagus

    non-seulement peut donner, mais en fait

    a donnd

    cerqueux. Mairitenant, comme

    cerqueux re-

    presente

    sarcophagi., depouillez-le de son s ou

    x , et

    vous retombez sur

    cerqueu,

    identique aux anciennes,

    formes

    sarcou, sarcu, sarqueu. Sarcophagus , avec

    l'accent sur

    co , perd, suivant la rgle, les deux

    syllabes finales etatones, et devient sarcou, ou

    sarcu,

    o u

    sarqueu, suivant la vocalisation. De sorte qu'il faut

    expliquer non pas sarqueu

    par cercueil,

    comme fait

    M. Diez, mais

    cercueil

    par

    sarqueu;

    la finale

    euil

    est

    une finale diminutive posterieure.

    Les noms de lieux rendent d'incontestables services

    A i'dtymologie, montrant sur place les dhangements

    que subissent les mots. C'est ainsi qu'ils ont mis en

    pleine scurit l 'tym o logiste tirant

    basoche

    de

    basilica.

    Tous les lieux dits en latin

    basilica

    se nomment en

    franais basoche. Cela reconnu, on demontre bien vite

    que la clrivation est parfaitement rgulire : dans

    basilica,

    l'accent tonique etant sur

    si,

    c'est cette syl-

    labe qui est conservee ; atone tombe et l'on a

    basilca,

    ou, suivant la phonologie francaise, disparatt, don.

    nant lieu par sa chute a un renforcement de la voyelle;

    comparez

    alter,

    autre,

    filtrare,

    feutre, Micaria, feu-

    Ore.

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    DE LA DEUXIEME DITION.

    II

    Le proad6 d'apres lequel le frangais s'est form du

    latin est tres-simple et tres-rgulier; M. Brachet le

    resume ainsi : La syllabe accentae du mot latin est

    gardee; la syllabe ou les syllabes qui la suivent, et

    qui sont atones, so nt sacrifiees ; clans les syllabes

    prkedent, la consonne mdiane est annule, et le mot

    franais apparatt. Voyez

    ligare' ,

    lier;

    domina,

    dame;

    portieus ,

    porche ; sollicitare, soucier, et ainsi a i'in-

    fini. Ce pro ced

    g

    est si uniforrament observe, qu'on

    l 'appelierait un systeme s'il n'6tait pas une - o pesration

    spo ntanee et inconsciente.

    Il

    n'est, du reste, dit M. Brachet, que la gndrali-

    sation de ce qui, au temps mme de la latinite, se

    passait dans le parler populaire. Ce parler disait

    cal-

    dus, au lieu de catidus ; frigdus,

    au lieu de

    frigidus ;

    moblis, au lieu

    de

    mobilis; postus, au

    lieu de

    positus;

    stablum, au

    lieu de

    stabulum; anglus,

    au lieu de an-

    gulus.

    A ces transform ations, le frangais ajouta, comm e

    il vient d'tre dit, la suppression de la consonne me-

    diane ; cela, qui lui est propre, sdpare so n pro ced6 du

    procd italien qui la garde gen6ralement, comme

    garde les syllabes atones, faisant

    fiebole

    de

    flebilis,

    dont le frangais fit

    fioibe,

    aujourd'hui

    faible.

    De b

    vient que l'italien repr4sente si fidelement le type de

    provenance; plus prs du soleil latin, il en reflte

    bien mieux les rayons que la Gaule, qui ne les rece-

    vait qu'affaiblis et mo difies a travers son ciel lo intain

    Le pro cd fo rmJif du frangais, une fois ddtermind,

    fo arnit le m oyen de reconnaltre au prem ier coup d'oeil

    les

    mots faits par les lettres et par les savants, a une

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    11/317

    VIII

    R gFACE

    poque ou, le latin etant devenu une langue morte,

    on en igno rait l 'accentuation. Ces mo ts-la po rtent po ur

    marque d'avoir l'accent tonique place a la franaise,

    non a la latine, et de conserver la cons.onne mdiane.

    Ainsi, de deticatus, delie est ancien, et delicat

    est nou-

    veau; de sollicitare, soucier est ancien, et

    solliciter

    est

    nouveau, et ainsi de suite. Mais ce genre de neolo-

    gisme n'est pas particulier aux epoques relativement

    recentes ; il s'est pratiqu as les temps anciens de

    la langue ; et., au douzime , par exemple, on

    rencontre

    cogitation,

    de cogitationem,

    tandis qu'a ro-

    rigine,

    cogitare

    avait donne

    cuider, et

    que la forme

    franaise de

    cogitationem

    aurait ete

    cuidaison.

    Cela

    fut inevitable h cause de la phurie de la langue, qui,

    &ant d'origine populaire et rustique, se trouva denuee

    d'expressions latines inutiles aux besoins courants de

    la vie. Ne voit-on pas, au douzime sicle, le traduc-

    teur du livre des Psaumes

    embarrasse pour rendre

    innocentem,

    mettre souvent

    non-nuisant, et d'autres

    fo is hasarder le no logisme innocent?

    A l'epoque oil le procede qui fit la langue franaise

    s'exeroa, les mots gaulois avaient pris la forme latine,

    et furent traites comme mots latins. 11 faut expliquer

    ce que j'entends ici par mots gaulois. Le gaulois est

    certainement une langue celtique ; mais dans quel rap-

    port clialectique est-il avec les langues neo-celtiques,

    quelle forme aurait-il prise s'il avait stir-

    vcu a la conques romaine ? c'est ce que nous ne

    vons pas ; car le bas-breton est trop douteusement

    gaulois, est trop melange de gallois, pour qu'il

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    DE LA DEUXILME DITION.

    X

    nous servir de type. En fait, nous ne possedons de

    mo ts gaulois sous leur fo rme vraie et authentique q ue

    Ie trs-petit nombre de ceux qui nous sont fournis par

    les inscriptio ns et par les medailles; mais les nom s de

    lieux sont restes gaulois en beaucoup de points, et,

    devenus latins, ils sont traits comme latins par la

    transfo rmation :

    Ligeris, la Loire,

    Sequana,

    la Seine,

    Pictavi, le

    Poitou. Si nous ignorions que, dans

    Ma-

    trona, tro

    est bref, et que, dans

    Turones, ro l'est ega-

    lement, le fran ais nous l'apprendrait, car il dit

    Marne

    et Tours. Rotomagum, avec

    l'accent sur to,

    donne

    Rouen,

    absolument corame tout a l'heure

    sarcophagis

    a

    donn

    Cerqueuce.

    Evidemment, la latinit avait p4-

    ntr jusqu'au fo nd de l'o reille de nos anc tres.

    La pho nologie ou phontique, nouveau mo t pour un

    nouveau point de vue dans l'tude des langues, exa-

    mine les sons, leurs mo dificatio ns et leurs transform a-

    tions. La phonologie franaise est l'objet du premier

    livre de la

    Grammaire

    de M. Brachet. Il y

    a

    & trbs-

    minutieux, et, en disant co la, je fais le veritable doge

    de son travail. La phonologie est essentiellement mi-

    nutieuse ; mais, poussee a so n terme, elle reco mp ense

    le

    labeur, donnant les regles sures pour la formation

    des

    mots. J'ai lu avec beaucoup de soin ces pages

    pleines de tant de details ; j'y ai toujours trouve

    ce

    que j'y chercha is, et souvent plus que je n'y cherchais,

    je veux dire des ensembles qui, resultant du groupe.

    ment, fo nt voir beaucoup en un co up d'oeil. C'est ainsi

    que je me suis aperu (tr6s-petite chose) que, dans

    l 'o rigine des deux ss franaises, M. B rachet a omis uu

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    PRgFACE

    cas : il dit qu'elles proviennent soit d'un latin, es-

    sai,

    exagium,

    essaim,

    examen, soit de deux

    ss

    latines,

    fosse,

    fossa, casser, quassare; il

    faut ajouter qu'elle4

    proviennnent aussi de

    ds, assez,

    qui reprsente

    ad.

    satis, assurer,

    qui reprsente

    ad-securare.

    issu, comme

    &Heat,

    de

    delicatus,

    est l'objet

    d'une singularit : la forme ancienne n'est point

    Mid,

    elle est

    deljd, deugid, dougid, tous mots de deux syl-

    labes, formes trs-regulierement, bref de

    delicatus

    disparaissant, et

    delcatus donnant deljd,

    en provenol

    delguat,

    en espagnol

    delgado. Mais

    comment

    dlie, de

    trois syllabes, qui n'apparait dans les textes que vers

    le quinzime siecle, s'est-il forme? A. ce moment,

    delicatus

    n'aurait fourni que

    ddlicat.

    Pour lever la dif-

    ficulte, je suis porte penser que

    ddlid

    est contem-

    porain de deljd

    ou deugi,6, que celui-ci a eu la pre-

    ponderance aux douzieme et treizieme sicles, et que,

    dans la periode suivante,

    ddlid, qui etait seulement

    eclipse, a reparu et a completement banni son rival.

    Il est bien vrai que

    f

    initiale peut provenir d'un

    latin, et

    fois

    en est un exemple, puisqu'il vient de

    vice,

    dit M. Brachet, je dirais plutt de

    vicibus,

    pour ex-,

    pliquer l's finale. Je sais que cette lettre est, dans

    plusieurs adverbes, considre comme purement pa-

    ragogique par M. Diez et par M. Brachet. Pourtant

    j'avoue que ce caract6re paragogique, evident en plu-

    sieurs cas, ne l'est pas dans tous; et je prends cette

    occasion d'en dire quelques mots.

    Diez, qui, sur ce fait de grammaire romane, comme

    sur taut

    d'autres, a le premier appele l'attention, cite

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    14/317

    DE I.A. DEUXILME

    I

    onque-s, avecque-s, ore-s,

    gure-s, volontier-s,

    etc.;

    le pro vencal et l'espagno l off rent le ra6me pheno m6ne

    pour plusieurs mots; et il en conclut que, dans le

    domaine roman, il y eut tendance a ajouter aux ad-

    verbes et aux particules une s pour les distinguer des

    autres mots. C'est l le fait; il est incontestable, et

    on doit savoir gr a Diez de l'avoir signal. Mais est-

    il impo ssible de ddco uvrir pourq uo i l's a et

    employ4e

    pareil usage, c'est-i-dire quel est le sens originel

    de

    ce suff ixe ? Malgr le peril attach so uvent

    -

    aux exp li-

    cations, je vais soumettre aux gens comptents ma

    co njecture sur ce po int. Diez, continuant, o bserve que

    cette

    s

    est remplacee

    en

    italien par

    i, guari, lungi,

    tardi, volontieri, et

    il ajoute que

    ri

    en italien et l's

    dans les autres langues romanes sant marques du

    pluriel, mais que cette conco rdance peut etre une sim-

    ple co incidence. Une eo incidence qui porterait sur les

    quatre langues romanes me parait difficilement ad-

    missible. Quand il dit que l's est la m arque du pluriel,

    . il ne dit pas assez, ou du moins il n'a pas distingu,

    ne croyant pas en avoir besoin. Mais moi j'en ai be-

    so in, et je rappelle que, en vieux frana is, l's ne mar-

    que le pluriel qu'au cas rgime, et ne le marque pas

    au nominatif. G'est done un cas r4gime pluriel qua

    figure cette

    s;

    et

    volontiers, certes, envis,

    que nous

    disons iz t'envi,

    reprsentent

    v oluntariis, certis, inv itis.

    Former des adverbes avec un cas des adjectifs n'est

    pas rare ; les adverbes en

    o

    du latin ne sont pas autre

    cho se. L'ablatif pluriel prenait facilem ent un sons ad-

    verbial; et, dans la phrase, cette s

    empechait de

    le

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    X II

    RtFACE

    co nfo ndre avec un adjectif. M ais, en italien, la mar que

    du pluriel est

    i,

    sans distinction du regime et du no-

    minatif, puisque les deux cas qu'avait conserves le

    franais n'y ont jamais existe. On voit donc qu'entre

    ces deux p luriels il y a non p as co incidence, mais vraie

    concordance, et que l's adverbiale a mi sens gram-

    matical. Les langues romanes ne poussrent pas loin

    cette formation, qui se borna un petit nombre de

    mots et ce fut au suffixe

    ment,

    espagnol et italien

    mente,

    qu'il appartint de produire la plupart des ad-

    verbes.

    Unt, fois introduite dans le mode adverbial parce

    qu'elle y avait un sens, l's, en vertu de la tendance

    des langues a s'imiter, se propagea a des adverbes et

    mkae des prepositions oil elle n'avait aucun droit

    de paraitre, devenant de la sorte veritablement para-

    gogique. Ainsi de sine le franais f it sens, comme si le

    latin tait sines; de

    ante

    il fit dins, comme si le latin

    etait anais.

    De son ct l'italien, obeissant a la mgme

    impulsion, ce qui montre bien qu'il n'y eut pas simp

    coincidence, fit anzi, tardi, etc.; il eut paragogique

    comme nous eames l's.

    Chacune des langues romanes, par rapport au latin,

    a

    sa phonologie particulire.

    Flamma etplangere

    pro-

    duisent en italien fiamma et piangere,

    ce qui es t in-

    connu

    au franais et a l'espagnol;

    filius, formosus,

    ferrum,

    produisent en espagnol

    hijo, hermoso, hierra,

    ce qui est inconnu au franais et a l'italien

    scatus,

    calidus, salvus,

    produisent en franais

    saut, chaud,

    sauf,

    ce qui est inconnu

    'italien et it l'espagnoi.

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    DE LA DEUXIAME

    gDITION.

    II I

    Faites, ce qui a dtd f ait, des tableaux exacts de ces rao -

    difications respectives, et vous aurez le sysOm e co nt.

    paratif des lingues romanes. Puis sortez des langues

    romanes si recentes, et faites un semblable travail

    ' pour le grec, le latin, le germanique, le celtique,

    slave, le persan et le sanscrit, et vous aurez le sys.

    tme comparatif des langues aryennes. Par une sem-'

    blable opdration, on construira le groupe amitique;

    et, procedant de proche en proche, on formera plu-

    sieurs systmes distincts les uns des autres par les

    radicaux, par la phono logie, par la gramm aire: Quand

    cela sera fait, on co m parera et l 'o n gendralisera. Dans

    le temp s qui nous p rcde, on a ecrit plus d'une gram-

    maire gnerale; mais, comme la grammaire gdndrale

    'ne peut tre qu'une induction fournie par les gram-

    maires particuares des group es de langues, on reco n-

    nalt tout de suite ce qui en ce genre est parnaturd et

    ce qui est rafir, ce qui est mdtaphysique et ce qui est

    positif.

    Ayant vu par l'exemple des langues romanes ce

    qu'est un systme de langues, rentrons dans notre

    idiome, et disons, avec M. Brachet, que rien n'est ex-

    'plicable dans notre grammaire moderne si nous ne

    co nnaissons no tre gramm aire ancienne. Les flexions,

    c'est--dire les mod ifications qu'dpro uvent un mo t qui

    se &cline et un verbe qui se conjugue; les flexions,

    dis-je, qui occupent le second livre de la

    Grammaire

    historique,

    en fo urnissent des exemp les perpdtuels.

    Avant ce recours, qui a jamais pu expliquer pour-

    quoi ft est employde dans nos noms marquer le plu.

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    XIV

    IttFACE

    riel? La dclinaison latine, fournissant des pluriele

    avec s,

    mais aussi des pluriels sans s, ne donne point

    de solution. Pourtant c'est bien dans la declinaison la-

    tine qu'en est la cause ; mais c'est dans cette declinai-

    b on interprte par l'ancienne declinaison franaise.

    Dans

    nos noms, le nominatif pluriel tait marque par

    l'absence de l's sur le modlede la deuxime

    naison latine,

    populi, domini et

    le regime par i's sur

    le modlede populos, dom inos.

    Puis, comme la langue

    mo derne perdit le nom inatif et ne garda q ue le regim e,

    rs se trouva la caractristique du pluriel. En cela, rien

    d'arbitraire.

    Inversement, au singulier, le nominatif avait l's, sur

    le mod6le de

    dominus, et le

    regime ne l'avait pas, sur

    le modlede

    dominum.

    Ici encore, comme au pluriel,

    nous avons conserve la forme du regime et rejet celle

    du nominatif; l'ancienne langue disait li

    rois, le

    roi,

    li

    chevals,

    ou

    chevaus, le cheval;

    nous disons, nous,

    le roi,

    le cheval.

    A. cette *le de l'ancienne langue,

    on rencontre une exception digne, comme toutes les

    exceptions, d'tre consideree; c'est

    cors, tem s, y es, lez ,

    qui ont une

    s mAme au regime, et qui representent

    corpus, tempus, opus, latus.

    Or ces noms neutres gar-

    dent, en effet, dans le latin, raccusatif ; et le frau-

    ais rep ro duit cette particularite, efface dans l'italien,

    corpo, tempo, uopo, al-lato.

    Je viens de parler du merit des exception s ; en voici

    une que je recommande, bien que je l'introduise sub-

    repticement, car c'est un fait de vieille langue, sane

    attache dans la nouvelle, et de ces faits, M Brachet,

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    N7 1

    RFACE

    tres substantifs provenant des noms latins en or,

    oris,

    sont forms de l'accusatif :

    douleur,

    de

    dolorem, peur

    de

    pavorem,

    etc. Ici

    in

    tervient l'anom alie dont je parle :

    comment ces substantifs, tant tous masculins en latin

    sont-ils devenus tous feminine en franais? Et qu'on

    n'objecte pas

    amour, honneur et

    labeur,

    qui so nt mas

    culins. Ces trois put 4t6 feminins comme les autres:

    amour

    est encore des deux genres; honneur est fmi-

    nin dans ce vers-ci : Je n'aurai jlt qui soustienne

    m ' onur ,

    dit Charlemagne dans la Chanson de Roland

    (m ' onur

    pour ma onur,

    mon honneur) ; et

    labeur

    dans

    celui-ci

    n'iert perie ma labour

    (mo n labeur ne sera

    pas perdu), dit Chrestien de Troyes. Pour rpondre

    a la question, j'ai

    fait une petite thorie (le mot n'est-

    il pas trop ambitieux pour des choses si tenues?) qui

    repose sur l'existence et la forme de

    caure. De cet

    echantillon, j'ai conclu que tous les noms de ce genre

    avaient un nom inatif ano logue b

    caure,

    termine com ma

    caure,

    par un

    e muet et fminin com me caure. C'est donc

    ire muet que j'attribue 'Influence qui, contrairement

    l 'tymo logie, transform a ces nom s en no ms f eminins.

    A

    l'appui, on remarquera qu'ils sont tous masculine,

    omme ils doivent l'tre, en italien et en espagnol,

    mais qu'ils sont fminins en provenol, qui, comme

    l'ancien franais, possda les deux cas. Avoir les deux

    cas et faire Eminins les noms latins dont il s'agit,

    voila, entre le vieux franois et le provenol, une coin.

    cidence qui deviendra une concordance si l'on admet

    mo n explicatio n.

    Pour achever de remplir son cadre, il ne restait plus

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    DE LA DEUXIME tDITION.

    VII

    a M. Brachet qu'a tudier la composition et la deri-

    vation ; ce qui revient

    a

    passer en revue les parties

    ajoutees a une radio po ur en m odifier la signification

    parties dites prefixes quand elles la precedent, et suf

    fixes quand elles la suivent. C'est robjet du troisime

    et denier livre de la

    Grammaire historique.

    Les details de cette etude sont tres-nombreux,

    valent, par leur

    gronpement,

    par leur exactitude, pat

    lea/

    .

    precision. Ces qualites appartiennent l'esprit et

    iS

    la mthode

    de M. Brachet. Cela dit, j'y prendrai

    deux suf fixes, ai du futur et ais du conditionnel, pour

    appeler rattention des curieux sur cet chantillon du

    travail qui se

    Dassa

    lorsque les langues ro manes se de-

    velopperent

    du

    latin.

    Dans

    ce developp ement, avoir un futur n'etait po int

    *sans auelque emb arras.

    Cantaboaurait donne facile-

    ment

    chanteve; mais celui-ci se confondait avec rim-

    parfait

    cantabarn,

    donnant aussi

    chanteve chan-

    totie,

    aujourd'hui

    chantais). Mme l'italien, bien que

    meilleur co nservateur des f inales, se tirait mal de ces

    similitudes. On a -un exemple des confusions qui se

    preparaient en vo yant dans l'ancien franais j'ere,

    eram,

    et j'ere,

    ero,

    oe qui n'a pas peu contribue a

    4tablir

    le

    futur distinct

    je serai. Mais

    la difficult devenait insur-

    mo ntable po ur les autres conjugaisons ;

    legam et ser-

    dam, en raison de l 'accentuatio n et de la chute o u de

    rassourdissement des syllabes atones, ne donnaient

    pas d'autre fo rme q ue cello que do nnaient

    kgo

    et

    ser-

    vio.

    Dans cette situation, les langues romanes (je dis

    les langues romanes, car cela se passa a la fois en

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    XVIII

    (laule, en Italie et, en Espagne) prirent un parti hardi

    et construisirent de toutes pikes un futur avec l'infini-

    if du verbe et l'auxiliaire avo ir :

    je chanter-ai, jelir-ai,

    je servir-ai,

    c'est-i-dire, j'ai a chanter,

    fa

    a

    lire,

    i'ai servir.

    Ce n'est pas tout : dans leur verve, elles

    produisirent un mode qui manquait it la latinite, le

    conditionnel, et le composbrent, sur le raod

    ge du fu-

    tur, avec l'infinitif et la finale de l'imparfait

    :je chan-

    ter-ais, je lir-ais,

    co ncevant, suivant le dire de M. B ra-

    chet, le conditionnel sous la forme d'un infinitif qui

    indique le futur, et d'une finale qui indique le pass.

    En ces deux cas, on touche le genie inventif et l'ins-

    tinct grammatical des populations romanes. J'ai ra-

    cont l'henement comme si tout cela s'tait passe avee

    conseil et atonnement ; iI y eut autre chose et mieux ;

    il

    y eut inconscience et saret1).

    Tous ceux qui tudient les langues romanes voient,

    non sans surprise, que la langue d'oil (et la langue

    d'oc; mais je la laisse de dit4, parce qu'elle a OH dans

    rintervalle) a deux cas : un nominatif et lin regime,

    tandis qu' la mme poque, l'italien et l'espagnol n'en

    ont point. Done, ce moment, avec sa dclinaison,

    toute diminutive qu'elle est, le franais a une antdrio-

    rit6 que j'appellerai grammaticale, pour exprimer

    une

    constitution plus voisine du latin, et par consequent

    plus synthtique. Les onzime, douzime et treizime

    sicles se passent dans cette condition; une litterature

    trs-considerable et partout trs-gatitee se dveloppe;

    pubs, au quatorzime sikle, la dclinaison, dbris de

    la latinit, s'altbrea tend

    a.

    disoraitre,

    et la langue

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    DE LA DEUXIEME DITION.

    ix

    tombe dans un kat transitoire qui n'est ni le passe, ni

    l'avenir. A son tour, l'italien, qui tait en pleine pos-

    session du systme ou il n'y a pas de cas, prend l'an-

    teriorite grammaticale sur le franais, etant regle et

    fix alors que le franais est en deco mp o sitio n. Mais

    aux quinzi6me et seizime siecles, la deco mposition est

    achevee ; le franais

    a

    revtu le caractre purement ana.

    lytique e t mo derne, et les deux langues se sont attein-

    tes. Dans le vaste intervalle qui va du o nzime sicle an

    seizime, il est bon d'avoir prsentes a l 'esprit ces evo-

    lutio ns gram maticales quand o n veut se faire .une ides

    des evo lutio ns litteraires.

    L'aperu qui vient de passer sous les yeux du lec-

    teur a eu deux chases en vue : intresser a l'tude

    historique du f ranais, et recom mander la

    Grammairs

    historique

    de M. Brachet. Quand on est vieux et prs

    de quitter la carrire, il y a satisfaction a

    se tourner

    vers ceux qui viennent, et a rendre bon temoignage

    l'ceuvre

    des

    jeunes gens.

    E.

    LITTRE.

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    PREFACE.

    En pr4sentant au public cette Gram maire historique

    ou

    retudie les lois qui ont pr4sid a la formation de

    notre langue, je n'ai point voulu grossir le nombre

    des ouvrages purement grammaticaux destines faci-

    liter la connaissance du franais : mon but a 4t4

    Out diffrent.

    Le temps n'est plus ou l'on considerait rtade des

    langues co mm e bonne to ut au plus a servir d p

    pr4pa-

    ration aux etudes littraires. On a compris que la pa-

    role, etant une fonction de l'espece humaine, devait,

    com me tous les autres phno mnes naturels, se d4ve-

    lopp er non p o int au hasard, ma is d'apres des lo is cer-.

    taines, et. suivre dans ses transformations des regles

    nkessaires. Des lors, la linguistique pouvait se servir

    elle-mme de but, puisqu'au lieu d'tre un objet de

    vaine curiosit, elle ch erchait aliment la loi du Ilan-

    gem ent, qui regit tout dans la nature, s'tait appliqu

    au langage.

    On a dit depuis longtemps que les langues ne

    1

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    naissent pas, mais qu'elles se transforment: la phi-

    tologie cherche la loi de ces transformations; elle a

    pour instruments l'histoire et la comparaison. Tem'ex-

    plique : dans les sciences d'observatio n, co mm e la chi-

    tue ou l'histoire naturelle, on ne put rendre compte

    un fait qu'en sachant quel fait l'a precede ; pour ex-

    pliquer de quelle manire s'est forme l'arbre, ii faut

    remonter de l'arbre a l'arbuste, de l'arbuste au germe;

    ii faut, en un mot, faire

    l'histoire de l'arbre l'aidt,

    d'observations prcises sur les diffrents tats et les

    formes diverses qu'il a successivement traverses. On

    ne comprend bien ce qui est qu'. l'aide de ce qui a

    et Pon ne decouvre les causes d'un phnomne

    qu'en embrassant d'un mme coup &cell les phnomb-

    nes anterieurs. Il en est de mme pour la philologie,

    qui n'est,si j'ose ainsi parler, que la botanique du

    langage, et l'on n'arrive a. expliquer les mots on les

    faits grammaticaux que par leur histoire. Un exemple

    rendra ce principe plus sensible :

    On sait que devant certains substantifs feminins

    (messe, mere, soif, faim, peur, etc....)

    l'adjectif grand

    [este au masculin, et qu'on crit

    grand'messe, grand'

    'W ere,

    etc. Pourquoi cette anomalie? Les grammai-

    nens, que rien n'embarrasse, nous repondent aussitt

    qu'ici

    grand

    est mis pour

    grande,

    et que l'apostrophe

    marque precisement cette suppression de

    1' e.

    Quel est

    r6co lier dont le bon sens n'a pas intrieurement p roteste

    torsqu'apr 6s avo ir appris dans son rudiment que l 'e muet

    s'lide devant une voyelle, et jamais devant une con-

    so h

    n

    oitelider e sans mo tif dans les expressions telles

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    PREFACE.

    quo

    grand'route,

    etc.? C'est qu'au fond l'explication ve-

    ritable est ailleurs. A l'o rigine,la gram maire fran aise

    n'est que la continuation et le prolongement de la

    grammaire latine; par suite les adjectifs de l'ancieu

    franais suivent en tous points les adjectifs latins,

    c'est-a-dire que les adjectifs qui avaient chez les Ro-

    mains une terminaison p o ur le masculin et une po ur le

    fminin

    (bonus-bona)

    avaient aussi deux term inaisom

    en fran ais, et que ceux qui n'en avaient qu'une po ur

    ces deux genres

    (grandis, fortis,

    etc.) n'en avaient no n

    plus qu'une en fr an ais : o n disait au treizieme siecle

    une grand femme (grandis), une

    dme

    mortel (mot.-

    talis),

    une

    coutume cruel (crudelis), une plaine vent

    (viridis),

    etc. Le quatorzieme siecle, ne comprenant

    Plus le mo tif de cette distinction, crut y vo ir une irre-

    gularite, assimila a tort la seco nde classe d'adjectifs a,

    la premi6re, et, contrairement a retymologie, crivit

    grande, verte, forte,

    comm e il crivait

    bonne,

    etc. Ce-

    pendant une trace de la formation correcte est restee

    dans les expressio ns

    grandmtre, grand'route, grand'

    faim, grand'garde,

    etc., qui sont des debris du parlor

    ancien. Au dix-septieme siecle, Vaugelas et les gram -

    mairiens dr temps, ignorant la raison historique

    d

    cet usage, c ecreterent gravement q ue la fo rme de ces

    mots rsultait d'une suppression

    euphonique

    de re

    muet, et qu'on devait marquer cette suppression par

    une apo strop he.

    Voila certes une explication naturelle fournie par

    rhistoire ; et quand la grammaire historique n'aurait

    po ur resultat que de rendre les gramm aires ordinaires

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    4

    R1:FACE.

    plus logiques et plus simples, il faudrait deja, la tenir

    en haute estime. Au lieu d'employer cette mthode

    d'observation si lumineuse, si feconde en resultats, au

    lieu d'etudier le passe pour mieux comprendre le pre

    sent, tous nos grammairiens, depuis Vaugelas jusqu'a

    M. Girault-Duvivier, n'tudient la langue que dans

    son etat actuel, et tentent d'expliquer

    a priori

    (par la

    raison pure et la logique absolue) des faits dont Phis--

    toire de notre langue et l'tude de son etat ancien peu-

    vent seules rendre raison. C'est ainsi qu'ils entassent,

    depuis trois sikles, de doctes et puerils systhaes, au

    lieu de se borner l'observation des faits; ils persis-

    tent traiter la philologie comme Voltaire la geolo-

    gie, lorsqu'il pretendait que les coquillages trouves

    au sommet des montagnes provenaient des p

    ge-

    rins dela premiere croisade. Aussi tout cela justifie le

    jugement svre que portait rcemment sur les gram-

    mairiens frainais un eminent professeur au College de

    France " :

    e

    La grammaire traditionnelle formule ses

    prescriptions com me les decrets d'une volont aussi im-

    penetrable que decousue; la philologie comparee fait

    glisser dans ces ten6bres un rayon de bon sons, et au

    lieu d'une docilite machinale elle demande a l'lve

    une obeissance raisonnable.

    J '

    ai montre par un exemple qu'il n'y a pas dais

    une langue un seul fait grammatical qu'on puisse ex-

    1.

    M. 13r6al.

    Discours d'ouverture

    du

    cours de granunaire comparee

    au Collge de

    France. 1864.

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    PREFACE.

    pliquer sans avoir recours a l'histoire, et que a l'tat

    present d'un idiome n'est que la cons6quence de son

    kat anterieur qui seul peut le faire comprendre.

    en est de mme pour les mots : etant donne le mot

    cime,

    no us vou lons en chercher l 'o rigine; avant de rien

    affirmer, voyons si l'histoire du mot (c'est-a-dire

    tude des formes qu'il a successivement revtues) ne

    pourrait pas jeter quelque lumire sur ce problkme,

    et nous montrer 4 route a suivre. L'accent qui sur-

    monte l'a indique la suppression d'une lettre : dans

    les textes chi treizime sikcle, notre mo t n'est plus

    cime

    mais Lien

    anme ;

    au onzikme sik de, il est devenu

    aneme,

    enfin au dixikm e siecle no us ne trouvo ns plus

    que la forme

    anime,

    qui no us co nduit sans hesitatio ns

    ni tatonnements au latin

    anima.

    Aussi bien l'histoire

    est le fil conducteur de la philolo gie, et il n'y a pas un

    seul anneau brise dans cette cha ine immense qui relie

    le francais au latin.

    Au premier abord, la distance parait grande

    d'dme

    a anima,

    du fran ais de Vo ltaire au latin des paysans

    rom ains ; et pourtant, po ur faire celui-la avec celui-ci,

    il a suffi, on le voit, d'une serie de changements infi-

    niment petits continues pendant un temps infini.

    L a

    nature, qui dispose du temps, economise l'effort ; et

    c'est ainsi qu'avec des m odificatio ns lentes et presque

    insensibles, elle arrive aux r sultats les plus elo ign Is

    du paint de depart'.

    A l'histoire, consideree com me instrument de la phi-

    f. U. G. Palle.

  • 8/11/2019 410_Grammaire_historique_de_la langue_francaise.pdf

    28/317

    6

    RtFACE.

    I logic, vient s'aj outer un auxiliaire prk ieux, la

    compa-

    raison.

    C'est par la comparaistm que les theories se

    confirment, c'est par elle que les hypotheses se \Teri-

    tient : et dans l'exemple que nous venons de citer, la

    co m paraison de Pitalien et de l'espagno l

    alma

    au fran

    ais time

    appo rte a l 'hypo thse propo se d'invincibles

    lments de certitude.

    Arm de cette double mthode historique et com-

    parative, un savant illustre de l'Allemagne, M. Fr4-

    cleric Diez, crivit de 1836 a 1842 la grammaire cora-

    pare des cinq langues fines du latin

    4 ,t montra

    suivant quelles lois elles s'taient forraks de l'idiome

    romain. S'appuyant stir les principes philologi-

    ques poses par M. Diez, MM. Bartsch et Mitzner

    en Allemagne, en France MM. Littre, Guessard,

    P. Meyer, G. Paris, ont repris son oeuvre pour la

    langue franaise en particulier, et par de nombreux

    travaux de detail ont clairci le problbme de nos

    origines 2.

    4.

    Les Allemands ont riv les cinq langues de la famille latine

    (italien, espagnol, franais; portugais, valaque) par le

    nom

    gnrique

    de

    Langues Romanes,

    denomination commode et claire, tout a fait

    entree aujourd'hui dans le langage de la science, et que nous em-

    ploierons durant tout le cours de ce livre.

    2.

    Cependant les travaux des philologues franais sont loin d'6tre

    tous galement bons : sans parler ici de la compilation fort ingale de

    M. Am pere, ni du livre de M. Chevallet, oe uvre estimab le en son temps,

    mais dpasse aujourd'hui, on ne peut trop deplorer le succes qui

    accueillit, .1 y a vingt ans, le livre de M. Genin

    (Variations de la

    angue Jianfaise),

    recueil de paradoxes et de tours de force, oili l'au-

    eur jongle avec les mots, au grand ebahissement du public ebloui.

    D'ailleurs homme d ' esprit, Unin savait que les lecteurs franais

    prefererout toujours une 6pigramme bien tournee 3 une seche .7ite

  • 8/11/2019 410_Grammaire_historique_de_la langue_francaise.pdf

    29/317

    PRFACE.

    Malgre ces eff o rts incessants, les principes de la phi-

    lologie francaise , peine connus chez nous du public

    savant, sont encore ignores de la grande majorite du

    public lettre. J'ai pense qu'on pourrait repandre et

    vulgariser ces resultats en les debarrassant de l'echa-

    faudage scientifique , et rendre ainsi accessibles

    plus grand nombre des lecteurs, en les resum ant

    sous un mince volume

    .

    , les lois qui ant preside a la fo r-

    mation de notre idiome national. D'ailleurs une

    telle ceuvre n'est po int chose no uvelle, ho rs de F rance

    du mains. Chez nos voisins d'Allemagne et d'Angle-

    terre, l'etude de la langue nationale a co nquis so n dro it

    de cite dans les co lleges et les gym nases, ou elle rgrle

    saris conteste a ct du grec et du latin*: elle n'a pas

    encore penetre chez no us, pas m'eme dans l 'enseigne-

    ment superieur.

    M. Fortoul qui, a c8te de beaucoup d'erreurs, a eu

    quelques creations h eureuses, decreta en

    1853 l'ensei-

    -

    et

    lui

    qui n'avait jamais lu (et pour cause) une ligne d'allemand,

    raillait agreablement

    les ndbuleuses elucubrations des cerveaux g-er-

    maniques ,

    plaisanterie un peu use, mais toujours applaudie chez

    nous : Genin oubliait qu'un bon mot n'a jamais tenu lieu d'un argu-

    rnent, et qu'en makre scientifique, la question n'est pas d'avoir des

    'elees allemandes ou des idees franaises, mais avant tout des ide

    astes.

    1. Je ne citerai que deux livres tout A fait elementaires et

    dont

    'es nombreuses editions attestent le succes : en Angleterre,

    l'His-

    vire de la langue anglaise,

    de Gleig

    (History of english language,

    Jans les

    Gleig's School series)

    en Allemagne, la

    Qrammaire hi:-

    torique de l'allenzand ,

    pal

    .

    Vilmar,

    l'usage des classes superieurei

    Iles gymnases. (Anjangsgrande der deutschen Graniznatih, zunxchst

    fir die obersten Klassen der Gymnasien, Y .

    D r

    Vilmar, ate.

    1864.1

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    30/317

    S

    RIFACE.

    g tiement de la gramm aire com paree dans les classes

    an-

    p4rieures des Lyces. C'etait un acheminement vers -

    tude de la langue f rangaise : cette ceuvre fu t dtruite par

    son successeur; acte d'autant plus regrettable, que le

    ministre actuel, qui a cesse d'imposer Yetude du grec

    et du latin a des lves qui n'en ont que faire, qui

    a cred enfin l'enseignement industriel ct de Yen-,

    seignement classique, devrait fortifier d'autant celui-ci,

    en introduisant Yetude des trois langues classiques

    paralllement h celle des trois litteratures. Un

    seul homme en France, l'honorable M. Monjean, di-

    recteur du college Chaptal, a ose introduire un cours

    d'Histaire de la langue franaise

    dans la classe de rhe-

    torique, et cet essai a reussi ; puisse cet exemp le enhar-

    dir l'Universit, et la decider a. repandre dans les

    classes suprieures de nos lycees les rsultats incon-

    testablement acquis a la science Mon but serait plei-

    nement atteint, si ce modeste manuel de philologie

    franaise pouvait, en quelque chose, hater cette reno-

    vation.

    Ce n'est pas en deux cents pages qu'on petit avoir la

    pretention d'exposer completement la Grammaire

    historique d'une langue, lorsque trois volumes y suffi-

    raient a peine. Laissant dans l'ombre tous les points

    secondaires et les lois de detail, j'ai da. me borner a

    mettre en lumi6re les lois essentielles et les principes

    fondamentaux, pour ne point sortir du cadre que je

    nfetais trace.

    Le sujet de ce livre n'est donc point, je le rep6te, la

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    PREFACE.

    Grammaire du vieux frangais, L'ancien francais ne

    figure ici qu'a pro po s de la langue mo derne (pour ap -

    pliquer a m o n livre ce que M . Littre disait de son D m-

    TIONNAIRE HISTORIQUE

    si parva licet componere

    ma-

    gnis

    L'usage presen t depend de l'usage ancien et

    ne s'explique q ue par lui : le frana is mo derne sans la

    langue ancienne est un arbre sans ses racines; le vieux

    francais sans la langue mo derne est un arbre sans ses

    branch es et sans ses feuilles; les separer peu t se faire

    et s'est fait a tort jusqu' present : les avoir runis

    est l'originalit de cette grammaire. De la son titre

    de

    Grammaire historique.

    Ce livre comprend trois parties bien distinctes :

    l'Introduction, ou j'ai esquisse l'histo ire de no tre 'Ian-

    gue, de sa form ation et des elements qui la co mp osent;

    la Gramm aire histo rique qui etudie successivement les

    lettres

    (LIVRE 1),

    la

    flexion

    (LIVRE

    II), la

    formation

    des

    Baas (LIVRE

    III) ; enfin, un Appendice contenant

    les

    rgles h suivre dans la recherche des etymologies%

    Les notes qui terminent le volume fournissent au

    lecteur, avec l'indication des sources auxq uelles j'ai puis6,

    un choix des meilleurs travaux publies en France

    et en Allemagne sur l'histoire de

    notre langue.

    Je veux, en terminant, exprimer toute ma reconnaii-

    sance

    A MM, Egger, Littrd et Ernest Renan, membres

    de l'Institut, qui ont bien voulu m'aider de leurs con-

    seils

    .

    et de leurs encouragements ; a M. Emile

    Le-

    moine,

    ancien dMve de l'Ecole polytechnique; enfin

    i Voir l'Introduclion

    du Dia elymo ogique.

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    32/317

    10

    RFACE.

    et surtout MM. Paul Meyer et G. Paris, dont l'ami-

    ti m'a conseill et soutenu dans cette tche ; si ce

    livre vaut quelque chose, c'est eux que le public Io

    devra.

    A. B

    Golfe Iwo 6 mati 1667.

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    INTRODUCTION

    WSW:IRE ET FORMATION DE LA LANGUER

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    35/317

    INTRODUCTION

    HISTOIRE DE LA LANGUE FRANCAIS .

    Char rapporte qu'a son arrive en Gaule il trouva

    trois peup les distincts de langue, de mo eurs et de lois :

    les Belges au No rd, les Aq uitains entre la Garo nne et

    les Pyren4es, au centre les Gaulois pro prement dits ou

    Celtes. De ces peuples, les Celtes et les Belges, com me

    nous l'apprennent d'autres sources, etaient de mme

    race. Les Aquitains semblent avoir eu en partie une

    origine ibrique, c'est-h-dire qu'ils appartenaient ce,

    tribus appelees par les Ro mains

    ,IUres

    o n hab itant le.

    bords de l'Rbre, et dont la langue a peut-tre persist

    dans le basque o u Euskara.

    Le territo ire actuel de la France tait do nc p resque

    entierement occupe par ces peuplades que les Ro mains

    appelaient

    Celtes

    (du nom d'une de leur plus impor-

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    1 4

    NTRODUCTION.

    tantes conf 4d6rations), et qui, dans leur propre langue,

    se nommaient

    Gals ou.Gads.

    Les anciens nous les de-

    peignent comme de grands corps blancs et blonds

    avides de bruit et de mouvement, dont l'unique souc

    est de bien combattre et de finement parler. Les Gail-

    lois, dit Caton l'ancien, se livrent avec passion a deux

    choses, aux armes et a la discussion. Leur civilisation,

    qui sous le rapport de l'industrie et de Pagriculture,

    tait assez avancee, et qui offrait une organisation

    politique originale et inthessante, aurait pris peut-

    tre un dveloppement important si la conqute ro-

    maine lui en avait laiss le temps et le pouvoir

    Depuis combien de siRles habitaient-ils la Gaule,

    quelle suite d'ev4nementa les avait amenes au

    bo rd de l 'Och n ? C'est ce que no us ne saurons jamais '2

    puisque les Gaulois n'crivaient point; leur histoire

    authentique commence du jour ou la Gaule, abdiquant

    4.

    Remarquons en passant que les monuments de pierre qu'on

    dsigne en France par le nom de

    celtiques

    (dol-men, men-bir, ele...,)

    ne viennent sans doute point des Gaulois, et que ces pretelidues

    pierres

    druidiques

    n'eurent jamais rien de commun avec les Druitles,

    Un savant danois, M. Worsaae, el en France M. Prosper Merimee, uni

    dimontr6 1

    6c:eminent que ces monuments appartiennent d une

    hu-

    manit

    plus ancienne : jamais aucun peuple

    de la race

    indo-euro-

    p6enne n'a bAti de la sorte. On sait qu'ils se trouvent egalernent

    dans tout le nord de l'Afrique, et dans l'extrme nord aussi bien que

    dans l'ouest de I:Europe.

    2. En

    revanche, la philologie nous a appris d'une faon sure

    ils venaient et A quelle race ilsappartenaient. En comparant entre

    eux

    le celtique, le grec, le latin, le slave, le gothique, le sanserii, les

    savants ont reconnu que ces langues forment six rameaux d'un

    memo tronc, et qu'elles viennent toutes de la langue

    yenne,

    aujour-

    d'bui

    disparue,

    a sit mille ans sur

    les

    bords de

    Nus:

    comnie

    la filiation des

    langues prouve la filiation den peuples, il est

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    HISTOIRE DE LA LANGUE FRANAISE.

    5

    son indpendance, devient province romaine. C'est

    aux vainqueurs que no us devons de po ssder quelques

    notions eparses sur la vie, l'etat social, les

    mceurs

    et

    I a religion des vaincus : et l'on p eut dire que la Gaule

    indt

    pendante nalt a l'histoire du jour ou elle

    a

    cesse

    d 'exister.

    Vers le sixieme sicle avant J. C. des Grecs ch asss

    de Pho cee, dbarqurent a l'embouch ure du Rhene,

    ils fo nderent M assilie, qui fat plus tard Marseille. Par

    les relations qu'elle entretint avec Rome, cette colonie

    devait etre un jour la source de tous les malheurs des

    Gaulois. Allie de bonne heure aux Ro mains, c'est elle

    qui leur ouvrit le chem in des Gaules, en les appelant

    son secours contre les Ligures (153). Les Ro mains corn-

    mencerent par s'emparer du bassin du Rhne : des lors

    la voie

    tait

    o uverte, et ils s'elancerent avec Cesar a la

    conqute de ce pays inconnu; les Gaulois resisterent

    vaillamment, brAlant leurs villages, leurs rcoltes,

    leurs provisio ns, changeant le pays en un desert pour.

    affam er l 'ennemi. Cesar ne put les rduire quo par la.

    terreur : a Bourges, il massacra dix mille femmes et

    enfants ; a Vannes, il fit egorger tous les chefs d'une

    tribu, et vendit la tribu entire a l'encan; Uxellodu-

    certain qu'entrele quarantieme et le vingtieme sicle avant notre ere,

    la

    famille de peuples connue sous le nom d

    '

    Aryens quitta la Bactrio ne

    et les plateaux de l'Asie centrale pour se diriger vers l'Europe, et

    par la separation successive de ses principales tribus, forma les

    Celtes, les.Germains, les Slaves, les Grecs et les Latins. C'est ainsi

    que l'origine des Gaulois nous a die revelde par le seul fait quo

    leur langue entre dans le concert des langues indo-europienne.s.

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    38/317

    1s

    NTRODUCTION.

    num, il coupa les mains h tous les prisonniers. Aprs

    huit ans d'une guerre atroce et d'horribles massacres,

    la Gaule tait aux p ieds de Cesar. Les Romains allaient

    administrer leur conqute.

    Le grand secret de la politique romaine reside,

    co m me ch acun sait , dans la perfectio n de son m ode de

    colonisation. Lorsqu'une province tait conquise, on

    employait deux moyens pour la conserver; le moyen

    militaire consistait a entourer la portion conquise par

    des legions placees a la frontire une fois le pays

    conquis isole ainsi de toute influence extrieure, on

    instituait a l'intrieur une administration energique

    qui broyait en peu de temps les resistances locales; on

    imposait aux vaincus la langue et la religion des vain-

    queurs, on exterminait a huis clos ou Fon

    transportait

    les recalcitrants', qu'on remplagait par des colons et

    des affranchis venus de Rom e.

    Grace a ce mode violent et habile, en quelques an.

    nees la fusion des vaincus et des vainqueurs etait ac-

    complie, et moins d'un sicle aprs la conquete,

    on

    parlait latin dans toute la Gaule. Mais ce latin, qu'im-

    portaient en Gaule les colons et les soldats, ressera-

    blait aussi peu h la langue de Virgile que le franais

    enseigne par nos soldats aux Arabes d'Algerie

    ressemble a l'idiome de Bossuet ou celui de Chateau-

    hriand

    l se distinguait du latin classique ou

    latin

    Csar se vantait d'avoir battu monnaie en vendant comme ea-

    claves un million de Gaulois.

    2.

    Il lui ressemblait moins encore, car les diff6rences syntasiques

    6taient plus considCrables.

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    HISTOIRE DE LA LAN GUE FRAN ,":A.ISE.

    7

    crit

    par un vocabulaire spcial et des formes parti-

    culires, dont 1'originalit4 mrite que nous nous y

    arrtions un instant.

    C'est une loi de l'histoire quo toute langue comme

    toute nation, une a l'origine, ne tarde point a se (16-

    doubler en classe nob le et classe po pulaire, et parallle-

    ment en langue no ble et langue po pulaire. G'est ainsi

    qu'au bout de peu de temps les diverses habitudes de

    chaq ue classe de la soci6t4 finissent par briser l'unit6

    de la langue, et l'approprient a toutes les necessit6s

    differentes; c'est ainsi que toute langue se scinde au

    moment ou elle arrive a Fart et it la poesie, et cette

    priode littraire se marque par la s4paration de la

    nation en deux corps : les lettrs et les illettres, les

    patriciens

    et la

    plae.

    La

    langue latine n'echappa po int a cette necessite, et

    c'est au temp s de la deuxi

    me guerre punique que re-

    monte la scission de l'idiome latin en langue

    vulgaire

    et

    en langue

    littraire

    o u langue krite : sor ties l'une

    et

    l 'autre d'une souche co mm une, elles allrent toujours

    en

    divergeant davantage. Au deuxime Pinto-

    duction de l'art grec a Rome par les Scipions, la con-

    gate de la Grce et sa reduction en pro vince ro maine,

    m irent la langue grecq ue a la mo de dans I'aristocrati

    romaine, et, suivant l'expression d'Horace,

    la Grece

    conquit

    a son tour son brutal vainqueur.

    L'cart qui

    separait le latin populaire du latin classique s'accrui

    alorsbrusquement, car l'impo rtation des moeurs grecques

    dans les hautes classes de la societd rom aine eut po ur

  • 8/11/2019 410_Grammaire_historique_de_la langue_francaise.pdf

    40/317

    18

    NTRODUCTION.

    constquence l'introduction dans la langue litt4raire

    d'une foule de m o ts purement grecs qui ne pntrrent

    point dans l'idiome populaire. C'est ainsi que les

    patriciens romains empruntrent aux Grecs plusieurs

    centaines de mots , tels que :

    cpiXocro

    i

    Cce, TEwypcp(ot,

    t i p t c r o g

    c c r p o v ,

    ircnapop.cn,

    cpticitLov, etc..., qu'ils

    transportrent en latin, presque sans changement

    (phi-

    losophia, geographia, amphitheatrum, hippodromus,

    hexamaer, ephippium, etc...).

    Ces m ots de bo n ton, calques serviies aes mo ts grecs,

    resterent aussi etrangers a la langue du peuple que les

    emprunts aristocratiques faits aujourd'hui a la langue

    anglaise (turf, sport, cricket, steeple-chase)

    ou aux

    langues savantes

    (diluvium, stratification, ornithoto-

    gie)

    le sont aux paysans de nos campagnes. Cette im-

    portation de mots savants, cet emprunt artificiel un

    idiome etranger, en transformant la langue littraire

    latine, accrut les differences qui la separaient du. lan-

    gage populaire ; et comme les deux ctes d'un angle

    divergent d'autant plus qu'ils s'loignent du sommet,

    ainsi la langue litteraire, la langue classique, le

    sermo

    nobilis

    enfin, s'eloigna de plus en phis et tait devenue,

    au temps de Cesar, tout a fait differente du latin vul-

    gaire, de cet humble idiome que les ecrivains latins

    appellent avec ddain

    a

    la langue de la populace, des

    paysans et des soldat

    (sermo plebeius, rusticus,

    castrense v erbum ).

    Chacun d'eux avait des formes grammaticales et un

    vocabulaire distincts. Ainsi l'idiome litteraire expri-

    mait l'ide de frapper par

    verberare,

    l 'idio me po pulaire

  • 8/11/2019 410_Grammaire_historique_de_la langue_francaise.pdf

    41/317

    HISTOIRE DE LA LANGUE FRANA1SE.

    9

    par

    batuere; cheval, semaine, aider, doubler, bataille,

    etc..., etaient

    respectivement dans la langue patri-

    cienne,

    equus, hebdomas, juvare, duplicare, pugna,

    dans la langue du peuple , caballus, septimana, adju-

    tare, duplare, batualia.

    Cette langue latine populaire ne

    s'ecrivait point, et

    nous aurions toujours igno re son existence si les gram-

    mairiens romains n'avaient pris soin de nous la reve-

    ler, en citant plusieurs expressions usites dans le

    peuple qu'ils recomm andent d'eviter com me basses ou

    triviales. Ainsi Cassio do re no us apnrend qu'o n appelait

    vulgairement batalia les combats simules des gladia-

    tours

    et les exercices des soldats rt qua VULGO batalia

    dicuntur exere,itationes gladiatorum vel

    militum

    signi-

    ficant. Pugna

    etait le mot litteraire,

    batalia

    le mo t.

    populaire; c'est

    pugna qui a disparu, et

    batalia nous

    est reste sous la form e de

    bataille. Ces Vaugelas de leur

    temps ne po uvaient guere prevoir quo cet idiom e ate-

    raire, si admire par en; disparaitrait un jour et qu'

    ea place regnerait le latin po pulaire, donnant naissance

    a

    l'italien, au franais, b l'espagnol, assez fort enfin

    po ur po rter la littrature de trois grands peuples.

    Import en Gaule par les soldats et les colons, le

    latin vulgaire s'y acclimata rap idement, et des le pre-

    mier sicle de notre ere il avait supplant le celtique

    par to ute la Gaule, a l 'exception de l 'Armo rique et de

    quelques po ints isoles. Cent ans apres la co nqute, les

    fem mes et les enfants chantaient des chansons latines,

    et l'usage du latin

    devint assez exclusif pour qu'au.

  • 8/11/2019 410_Grammaire_historique_de_la langue_francaise.pdf

    42/317

    20

    NTRODUCTION.

    temps de Strabon on ne regardt deji plus les Gaulois

    co mm e des barbares. D'ailleurs, le sejour p rolo nge

    des

    14gians

    ro maines; l 'arrive incessante de no uveaux

    co-

    lons,

    la necessite pour les gens du peuple de plaider

    aux tribunaux romains, plus tard la conversion des

    Gaulois au christianisme, enfin la mobilit d'esprit na-

    turelle aux Geltes et leur amour du changement',- tout

    eontribuait a faire adopter au peuple gaulois la langue

    des vainqueurs.

    En naAme temps que, force par la necessite,

    le

    peuple oubliait le celtique pour le latin vulgaire, les

    hautes classes gauloises , poussees par l'ambition

    adoptaient le latin litteraire et s'exeraient

    quence ro maine, afin d'arriver aux fo nctions po litiques.

    Des le temps d'Auguste, la Gaule etait pour Rome une

    ppinire de rhteurs et de grammairiens; les ecoles

    d'Autun, de Bordeaux et de Lyon, etaient clbres

    dans tout l'Empire. Pline se vantait dans une de ses

    lettres' que ses oeuvres taient connues dans toute

    la

    Gaule. Cesar ouvrit le Senat aux Gaulois; Claude leur

    permit de pretendre a toutes les charges de tat, sous

    la seule co ndition d'apprendre le latin ; on vo it sans peine

    po urquo i la no blesse gauloise ou blia si vite le celtique.

    Celui-ci disparut de la Gaule en laissant sur la

    langue latine quelques traces bien faibles, il est vrai,

    mais qui temoignent de son passage. Ainsi, les Ro.

    4.

    a

    Les Gaulois, dit C6sar, sont changeants dans leurs 'desseins,

    mobiles dans leurs rsolutione, et surtout avides de nouveautt.

    D

    bell()

    Gallico, IV, b.

    '

    1/X, 2.

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    HISTOIRE DE LA LANGUE FRAn'AISE.

    1

    mains remarquerent que l 'oiseau, connu ch ez eux

    SJUS

    Ie nom de galerita,

    s'appelait chez les Gaulois

    alauda,

    que l'orge ferment4e, nomme en latin zythum, tait

    dans la langue gauloise

    cervisia; ils

    introduisirent

    alors

    alauda

    et

    cervisia

    dans leur prop re langue, et ces

    no uveaux m o ts latins, passant six sicles plus tard en

    fran ais, donnrent e notre langue

    alouette' cervoise.

    Ces mots isols et quelques autres (surtout parmi les

    noms de lieux) composent toute notre dette envers la

    laugue gauloise ; et m'e . me, pour parler d'une ma-

    nibre exacte, no us n'avons rien em prunt aux Gaulo is,

    puisque ces

    mots ne sont venus au franais que par

    1'interm6diaire du latin; ils ne sont point alls direc-

    tement du celtique au franais, mais ils ont subi une

    transcription latine; ces em prun ts sont du reste si peu

    no m breux, qu'on p eut presque dire que l 'influence

    du

    celtique sur le fran ais a t insensible.

    Ainsi tandis que le fond de la nation franaise est

    de race celtique, la langue franaise n'a conserve qu'un

    no mbre insignifiant de mo ts qui puissent tre ramenes

    a une o rigine gauloise. Fait bien etrange, et qui, mieux

    encore que l'histoire politique, montre combien fut

    absorbante la Puissance ro maine.

    Le celtique venait peine de succomber sa

    faite

    s ,

    que la langue latine, dsormais maltresse de

    4. Le latin

    alauda n'a

    pas donn imrn6diatement

    alouette,

    mais le

    vieux franais

    aloue

    qui avait le nAme sens, et dont

    alouette

    est le

    diminutif comme cuvette de

    cuve, amourette de

    amour, herbette

    de

    iterbe, etc....

    2.

    Reroulk dans 1'Armorique par les conqu6rants romains, 1,1

    langue

    gauloise y vkut

    pendant plusieurs sikles a

    la faveur "0

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    22

    NTRODUCTION.

    re...11.....*

    ...101

    la (lank eut a soutenir une lutte nouvelle, et a repous-

    ser un nouvel assaillant. L'invasion germanique cora-

    menait. Des le deuxieme siecle de notre ere, les

    invasions barbares avaient apparu. sous la forme

    d'infiltrations lentes qui, en minant sourdement les

    *Lies de l'Empire romain, devaient en amener la

    rupture, et aboutir a la terrible inondation du Gin-

    quiem e siecle.

    Pour proteger le nord de la Gaule contre les in-

    cursions germaniques, les Romains garnirent les fron-

    tieres d'un cordon de- legions, ou de colonies mili-

    taires; et quand ces veterans devinrent impuissants

    faire respecter le sol romain, les. Empereurs userent

    son isolement ; cette tradition du celtique fut ravive au septierve

    siecle par une immigration des Kymris chasses du pays de Galles.

    Les Bretons furent aussi refractail es a la Conqute franke qu'ils

    l'avaient ete a la conqute romaine ; et ce qu'on nomme aujourd'hui

    patois bas-breton n'est autre chose que rberitier de la langue cel-

    tique. Le bas breton a une litterature assez considerable (des contes,

    des chants populaires, des pices de theatre), dont on a recemment

    surfait l'anciennet bien qu'elle ne remonte pas au dela du quator-

    zieme siecle. Depuis mille ans, press sans relache dans son dernier

    refuge par la langue franaise comme il l'a eV

    .

    , le bas-breton, on

    le comprend, est aujourd'hui bien loin du celte primitif ; outre que

    les elements d'origine celtique ont (Id se corrompre par un usage de

    dix-huit siecles, ce patois

    a

    60 force d'admettre une fouie de mots

    arangers,

    c'est-a-dire franais. Aussi beaucoup de mots bretons

    offrent-ils ce singulier phenomene d'avoir presque toujours deux

    synonymes, run ancien et d

    '

    origine l'autre plus recent,

    emprunte au franais, et babille d'une terminaison celtique : ainsi le

    franIsis

    uste

    est en breton indiffkremment egivirion

    ou lust

    secrhtementkuz

    ecretament

    trouble

    nkrezet

    rou ble:

    coUre

    ur: nege z

    oler,

    etc.

    De ces synonymee, le premiers

    (egwiri )rs, ekuz,

    ,

    nrezet, bury;

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    HISTOIRE DE LA LANGUE FRAnAISE.

    3

    d'une mesure fort habile qui recula d'un sikle

    la

    grande invasion, et assura quelques annes de secu rite

    a l'Empire: pour arrter les Barbares, ils resolurent

    de les cantonner dans la Gaule Septentrionale, et, en

    les attachant ainFi a l'Empire, d'elever une barrike

    durable contre les invasions A . venir. Ce furent les

    Lltes,

    co lonies barbares qui reco nnaissaient la so uverainet

    nominale des Empereurs et jouissaient, a titre de

    fief

    militaire, des terrPs qui leur avaient ete concedees;

    en mme temps qu'ils cantonnaient les,Barbares, les

    Empereurs attiraient prix d'argent les Franks, les

    Burgondes, les Alains, pour remplir les cadres vides

    de leurs legions.

    Boni les vieux mots d'origine celtique ; les seconds

    (jos: , secreta-

    m

    m ent, troub let, coler),

    qui ressemblent si fort au franais, ne sont

    en effet pie des mots franais corrompus.Je n'aurais point insiste

    sur une vrit aussi lmentaire, si au dix-huitihne siecle d'aventu-

    reux esprits, frappes de cette ressemblance, n'en avaient aussitt

    conclu que les mots comme

    troublet, just, caler, etc.. ,

    n'etaient

    point des importations frangaises, mais bien rn&ne des

    mots francais correspondants. Le Brigant, et l'illustre La Tour d'Au-

    ve7gne aussi extravagant philologue que bon patriote , declarerent

    que la langue francaise venait du bas-breton. On les eat bien

    tonns en leur prouvant que c'est le contraire qui est vrai, quo

    ces mots

    (just, secretament , troublet, etc...),

    au lieu d'avoir

    untie nai ssance au franais, lui avaient te emprunts, et que loin

    a' etre du celtique primitif, ce sont des mots franeais corrompus

    et

    rfubles d'une terminaison celtique. Ces folies elymologiques, que

    v oltaireappelait plaisamment la

    celto-manie,

    amusrent le dix-luntierne

    cle aux dpens des

    Celtomanes; ne

    mettant plus de bornes leurs

    divagations, les Celtomanes en vinrent d affirmer que le celtique

    tait la langue du Paradis terrestre, qu'Adam, Eve et le premier ser-

    parialent

    bas-breton. Ces erreurs regrettables ont eu un autre

    rsultat plus faclieux encore, celui de jeter sur les iitudes celtiques

    un discredit qu'elles ne meritent pas.

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    24

    NTRODUCTION.

    Ii en resulta dans la langue latine vulgaire une in-

    vasion croissante de mots allemands, servant 4 desi-

    gner, comme il est naturel, les choses militaires. Dans

    son manuel de tactique,

    De re

    militari,

    Vegke nous

    apprend que les soldats romains appelaient

    burgus

    (bourg), un ouvrage fortifie' : c'est le mme mot que

    l'allemand

    Burg.

    Ainsi, prs d'un sicle avant l'inva-

    sion, des termes germaniques s'introduisaient dj

    dans la langue latine; cette invasion linguistique sera

    bien autrement considerable, lorsque, cent ans plus:

    tard, l'Empire d'Occident va disparaitre. Avant de

    raconter l'influence qu'exeroa sur la langue ce grand

    evnement historique, revenons la Gaule romaine ;

    efforcons-nous de ressaisir les traits principaux et la

    physionomie du latin, pendant les derniers sicles

    l'Empire.

    Nous avons laiss* la Gaule florissante et prospre

    moins d'un sicle aprs la conqute romaine. Le latin

    litteraire et le latinvulgaire y poursuivaient leur mar-

    che paralMle, l'un dans le peuple des villes et des

    campagnes, l'autre dans l'aristocratie et la classe

    moyenne. Au deuxime sikle, la plus brillante po-

    que de la Gaule romaine, pendant que le latin popu-

    laire est dans l'ombre, le latin litteraire brille d'un

    vif eclat; avec les ecoles gauloises fleurissaient, nous

    ra

    y

    ons vu

    s ,

    les avocats et les rhteurs : et Juvenal ap-

    .

    Castellum parvum quod

    burgunz

    yocant.

    2.

    roy.

    p.

    4 9 .

    3. Voy.

    ci-dessus, p.

    20.

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    H1STO1RE DE LA LANGUE FRAn'A1SE.

    5

    pelle la Gaule la nourrice des avocats,

    nutricula

    causidicorum.

    Au c inquieme sicle, quelques annees avant l'inva-

    sion barbare, la scene a bien change; la position res.

    pective des deux idiomes est l'inverse de ce qu'elle

    tait trois siecles auparavant : le latin litteraire se

    meurt; le latin populaire gagne rapidement du terrain,

    et cela bien avant que l'invasion de

    407

    ait po rte a la

    Gaule le dernier coup : l'institution des

    curiales,

    en

    amenant la suppression de la bourgeoisie, porta aux

    lettres et au latin litteraire une funeste atteinte: A la

    fois administrateurs municipaux et percepteurs des

    imp ts, les curiales etaient solidairement respo nsables

    de la rentree des taxes :

    s

    '

    il

    y avait deficit ou insuf -

    fisance, les pro pres biens des c uriales etaient saisis

    et

    vendus pou r com pleter la som me; reduits a la misere,

    la plupart s'enfuirent dans les bois, ou s'engagerent

    volontairement com me esclaves.

    Avec la destruction de la classe m oyenne, les eco les

    se fermerent

    de toutes parts,

    la culture littraire cessa

    brusquement, et l'ignorance regagna bientt tout le

    terrain qu'elle avait perdu. Des lors l'usage du latin

    litteraire, du latin

    crit,

    de cette langue fixee pai

    la litterature, et qui ne vivait que par tradition, se

    restreignit l'aristocratie gallo-romaine, poignee

    d'hommes qui se transmettaient un idiome petrifie el

    immobile, destine a prir avec eux lorsqu'ils vien-

    draient disparaitre. Cette fois encore le latin popu.

    laire beneficia des pertes subies mar la langue

    raire.

    2

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    26

    NTRODUCTION.

    Mine par scs excs fiscaux, l'Empire se soutient

    cependant quelques annees encore, par la puissance

    do

    son administration, par la force inherente a touts

    organisation reguli6re, mais l'heure dernire sonne

    enfin : les Franks, les Burgondes, les Mains, les

    Visigoths se prcipitent sur

    1

    Empire, et renversem t

    d'un souffle ce colosse aux pieds d'argile : le monu-

    ment que Cesar avait lev s'ecroulait moins de cinq

    sicles aprs lui.

    Dans cette tourmente, l'administration , la justice,

    raristocratie, les lettres disparurent : et le latin litte-

    raire qui en tait l'organe perit avec elles comme

    tait ne, destine

    a.

    suivre toutes leurs vicissitudes

    Le latin vulgaire s'accrut alors de tout ce que perdit

    l'idiome litteraire et le supplanta entirement. D'ail-

    leurs, si nous n'avions point, acet egard tous

    les

    t-

    1. aL'itivasion barbare (a tres-bien dit M. Meyer) est l'evenement

    qui consacre d'une faeon irrevocable la scission des deux idiomes :

    le latin vulgaire, maitre de la Gaule, et tout pres de donner nais-

    sance au franais; le latin litteraire, incomprehensible au pcuple,

    langue merle confine desormais dans le domaine des savants et

    qui n'aura aucune influence sur la formation de nos langues mo

    dernes. Par Gregoire de Tours, par Fredegaire, par la renaissance

    de Charlemagne, par la scolastique du moyen age, le latin se per*

    tua dans les usages savants, '

    et retrouva au seizieme siecle comme

    une sorte de resurrection artificielle: il est encore de nos jours la

    langue de l'tg

    l

    ise catholique, et jusqu'i ces dernires annees II

    klait , surtout en Allemagne, la langue des savants. 3)

    Aprs l'invasion, sous les Merovingiens, les fonctionnaires publics

    les notaires, le clerge, trop ignorants pour crire correctement le

    latin litteraire, meprisant trop le latin vulgaire pour l'employer dan$

    leurs actes, jaloux d'ailleurs d'imiter le beau style des fonctionnaires

    romains, ecrivirent dans a une sorte de jargon veritablement

    barbare qui n'est point le latin clarsique, qui n'est pas non plus Is

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    HISTO1RE DE

    LA LANGUE FRAnAISE.

    7

    mo ignages des ecrivains contemp orains, un fait capital

    suffirait a le dmontrer : c'est que pour tous les cas

    ou la mme idee tait exprimee par des termes diffe-

    rents dans le latin vulgaire et dans le latin litteraire

    le frangais a toujours pris la fo rme populaire et dlaiss

    la forme savants , preuve incontestable que le latin

    litteraire ,

    confine

    dans les hautes classes, naquit et

    mourut avec elles, et qu'il resta toujours ignore du

    peuple : les exemples de ce fait son t inno mbrables :

    LATIN LITTtRAIRE

    ATIN POPULAIRE

    RANgAIS

    Ilebdomas

    eptimana

    emaine

    (vieux

    fr.

    sepmaine)

    Equus

    aballus

    heval

    Verberare

    atuere

    attre

    Pugna

    attalia

    ataille

    Osculari

    asiare

    aiser

    tangue vulgaire, mais oti ces deux lments sont etrangement erne/-

    games , la proportion du second croissant en raison directe de

    Vignoranee du scribe. C'est ce jargon barbare qu'on appelle le

    bas-latin.

    11 a te la langue de l'administration francaise pendant

    toute la dure du moyen Age, jusqu'en

    .

    1539, ou Francois

    ler

    ordonna d'ecrire tons les actes en langue francaise. La lecteur

    voit maintettant, et d'une faon nette, la difference du

    bas-latin

    et

    du

    latin vulgaire; Pun

    est la langue naturelle du peuple, l'autre

    n'est qu'une imitation, grossiere et sterile, de la belle langue litt-

    rake romaine. Le latin vulgaire a produit le franais, le bas-latin

    n'a rien produit du tout, et n'a point eu d'influence sur la formation

    de notre langue. Cette distinction est capitale. A ct du latin

    classique, du latin vulgaire, du bas-latin (melange de l'un et de

    Ventre), il est encore une seconde espece de bas-latin, posterieure

    au huitierne, meme au dixime siecle, je veux dire le latin du

    moyen Age, reproduction servile du mot francais (on en trouvera

    des exemples dans ce livre) ; ainsi missatieum avait

    donne

    mes-

    sage :

    les clercs transformrent

    message en messagiu

    .

    n

    C'est le le

    veritable latin de euit.ins.

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    28

    NTRODUCTION.

    LATIN LITTgRAIRE

    Iter

    Verti

    U r bs

    O s

    Felis

    Duplicare

    Sinere

    T en tamen

    Gulosus

    Jus

    Minx

    Edere

    nis

    Ludus

    A u la

    LATIN POPULAIRE

    viaticum

    tornare

    villa

    bucca

    catus

    duplare

    laxare

    exagium

    glutonem

    directus

    ou drict.s

    minaciw

    manducare

    focuf,

    jocus

    curtem

    FRAN;IAIS

    voyage

    tourner

    ville

    bouche

    chat

    doubler

    laisser

    essai

    glouton

    droit

    menace

    manger

    feu

    jeu

    cour, etc.'

    Ces exemples nous montrent combien il est inexact

    de dire que le frangais est du latin classique corrompu

    par un melange de formes populaires; c'est le latin

    populaire lui-meme 4 l'exclusion du latin classique.

    Il en fut de meme en Italie et en Espagne, l'invasion

    barbare tua la langue latine classique; et du latin popu-

    laire naquirent l'italien, l'espagnol, le portugais, qui ne

    sont, comme le franois, que le produit du lent deve-

    Ioppement de la langue vulgaire romaine

    2

    .

    C'est la

    cause de cette ressemblance frappante qu'on a souvent

    remarque entre ces quatre idiomes, langues neo-

    I. Nous aurons soin de marquer d'un aSt6risque

    es

    mots

    emprunt6s au latin

    vulgaire pour les distinguer du latin classique.

    2. Goethe, avec sa sagacit6 habituelle, disait dj en 1775 :

    franais vient du latin

    populaire..

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    HISTOIRE DE LA LANGUE FRANAISE.

    9

    latines, ou

    romanes

    (com me disent les Allemands) elles

    sont sceurs :

    . .....

    acies non omnibus una,

    Nec diNersa tamen, qualem decet esse sororum.

    En detruisant dans la Gaule l'administration impe-

    riale et en eteignant to ute culture, les Germ ains, no us

    l 'avo ns dit, avaient tue le latin littraire au p ro fit de

    la

    langue latine vulgaire celle-ci, a son tour, allait ab-

    sorber les vainqueurs, les forcer d'o ublier leur pro pre

    langue pour ado pter celle des vaincus, et mo ntrer une

    fo is de plus l'nergie de l'esprit romain et sa puissance

    d'assimilation.

    Bien des motifs expliquent d'ailleurs comment les

    Franks abandonnrent le francique pour le latin : en

    prem ier lieu le petit nombre des vainqueurs et la grande

    sup4rio rite numerique des vaincus; les band es frankes,

    qui com ptaient un peu plus de douze mille ho mm es ,

    etaient comme noyees au milieu des six millions de

    Gallo -Ro mains qui peuplaient la Gaule. D 'ailleurs, si

    les Barbares n'avaient point reconnu le latin, quelle

    langue co mmune eussent-ils ado pte ?il n'y avait

    point

    au cinquime sicle de langue allemande uniforme,

    mais autant de dialectes divers (le francique, le bur-

    gonde, le gothilue, etc.) que de tribus envahissantes

    To utes ces raiso ns co nduisaient a l 'ado ption du latin

    Cette necessite fut confirmee par la conversion de

    Franks au

    christianisme, acte q ui les obligeait au po iut

    de vue politique comme au

    po int de vue religieux d'ap-

    prendre le latin.

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    30

    NTRODUCTION.

    Les Francs Neustriens s'empressrent d'tudier la

    langue Gallo-romaine, et mains d'un sicle apts

    l'invasion l'eveque de Poitiers Fortunat flicitait

    ribert de ses sucas dans la pratique du latin :

    Qualis es in propria docto sermone loquela

    Qui nos Romano vincis in eloquio?

    A.

    Strasbourg, en 842 , Louis le Germanique prte

    serment en franais devant, Yarmee de Charles le

    Chauve, preuve certaine que les soldats carlovingiens

    ne comprenaient plus l'allemand. Lorsqu'au sikle sui-

    vant Rollon, due des Normands, jure fidlit h Charles

    de France, il avait a peine com m ence la form ule sacra-

    mentelle

    B y Got

    (au nom de D ieu), dans son idiomeger-

    manique, que toute Yassem blee des seigneurs edata de

    rire; fallait que rallemand fat bien profondement

    oublie pour paraltre aussi ridicule et aussi barbare.

    Il est inutile de

    m ultiplier ces temo ignages qui no us

    prouvent avec quelle rapidit les conquerants desap-

    prirent leur langue maternelle : mais si rallemand ne '

    parvint pas

    a supplanter le latin, il lui causa nean-

    moins un grave dommage, en le foront d'adopter

    grand nombre de mots germaniques pour designer les

    institutions nouvelles que les Franks

    ,

    app o rtaient avec

    eux : cette intrusion d'ailleurs etait ncessaire. Com-

    ment traduire en latin des ides telles qua ceiles de

    v assal, alleu, b an, m all, fief ?

    En remplaant l'organi-

    sation monarchique, unitaire, centralisatrice de l'Em-

    pire remain, par le rgime tout feodal des tribus ger-

    maines , les conquerants barbares durent introduire

  • 8/11/2019 410_Grammaire_historique_de_la langue_francaise.pdf

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    H1STOIRE DE LA LANGUE FRAnAISE.

    1

    du meme coup dans ia langue latine les mots nces-

    saires a leurs innovations; aussi tous les termes relatifs

    aux institutions politiques ou judiciaires, et les titres

    de la hierarchie fodale, sont-ils d'origine germa-

    nique ainsi les mots allemands tels que

    mahal, bann,

    aldd , skepeno , marahscalh, siniscalh,

    etc., introduits

    par les Francs dans le latin vulgaire,- devinrent res.

    pectivemtnt

    bann um, mallum, alodium , skabinusi

    mariscallus, siniscallus,

    etc., et passrent au frana is,

    quelques siecles aprs, comme tous les autres mots

    latins, ou ils donnrent mall, ban, alleu, ichevin, ma-

    rchal, s6nechal,

    etc.

    Il en est de m'me, et dans une plus to rte prop o rtion,

    cies termes de guerre. Les Franks , qui ne reconnais-

    saient qu'une seule pro fession digne d'un homm e libre,

    celle des armes, conservrent longtemps l'important

    privilege de former la classe guerriere : et les Gallo-

    Romains importrent dans la langue ces termes

    de combat qu'ils entendaient chaque jour prononcer

    autour d'eux ; tels sont :

    haubert

    (halsberc),

    heaume

    (helm),

    auberge (heriberga);

    guerre

    (werra), etc. On

    value a plus de neuf cents les mots germaniques in

    troduits dans la langue latine par l'invasion barbare

    et passes de l en frangais. Cette imm ixtion germanique

    n'atteignit que le vo cabulaire latin et laissa la syntaxe

    intacte; elle ne fut gure qu