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Éric Jacquemet L’homme au cœur de l’entreprise Le secret du succès © Groupe Eyrolles, 2011. ISBN : 978-2-212-54960-7

Chap 1 Jacquemet

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  • ric Jacquemet

    Lhomme au cur de lentreprise

    Le secret du succs

    Groupe Eyrolles, 2011.

    ISBN : 978-2-212-54960-7

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    Lentreprise, force organisatrice

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    la question Quels sont les mots-cls que vous associeriez aujourdhui votre mtier ? , ric Saint Frison, alors P.-D. G. de Ford France rpondait : Combat, court terme Combat parce que je me perois comme un chef de corps en 1916 dans la Somme, dans sa tranche. Cela tire de partout, cest violent, cest frontal. La concurrence est extrme, on est trop nombreux sur le march, il y a une grosse pression sur les cots []. Il faut se battre tous les jours pour tout. Et ce, avec le court terme pour horizon cause de la pression des marchs1. Cette pression tous les hommes et les femmes de lentreprise la connaissent et la vivent au quotidien.

    Les Trente Tumultueuses

    tous les niveaux de la hirarchie, chacun sait en effet que dans lconomie globalise il ny a plus de rente, plus de situa-tion acquise. La chronique conomique voit se succder un

    1. Golden Boss : patrons ou rentiers ?, Olivier Basso, Catherine Blondel, Eyrolles, 2009.

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    rythme effrn ascensions fulgurantes et chutes fracassantes. tout moment, lirruption dun concurrent, une rupture technologique, un changement rglementaire, une OPA ou la disparition dun client peuvent ruiner des mois defforts, remettre en cause des projets, voire mme lexistence dune entreprise. Dans un rcent ouvrage sur les stratgies den-treprises, Philippe Escande, ditorialiste au quotidien Les chos, dcrit ainsi ce processus incessant de destruction-cra-tion. Succdant aux Trente Glorieuses triomphantes, les trente dernires annes ont t celles de toutes les remises en question et ont modifi radicalement le paysage industriel mondial. Ce sont les Trente Tumultueuses. Elles ont eu raison de beaucoup de grands conglomrats qui se souvient de la Compagnie gnrale des eaux ou de la Compagnie gnrale dlectricit ? condamns se transformer ou disparatre1.

    Cest ainsi : tout va plus vite, tout est plus mouvant, plus fluide, plus incertain. Cest vrai pour les PME, mais gale-ment pour les grands groupes mondiaux. Un chiffre suffit lillustrer : en 2007, juste avant le dclenchement de la crise des subprimes, le volume des fusions-acquisitions a atteint le montant total de 4 500 milliards de dollars ! Et pas moins de 20 % de ces oprations auraient t des prises de contrle non sollicites ! De quoi gnrer un certain stress en direction des entreprises, y compris parmi les plus solides.

    Cette pression quotidienne qui sexerce sur les dirigeants den-treprise explique certainement quils perdent parfois de vue cette ralit : la mondialisation les met sous tension et reprsente, simultanment, une nouvelle tape dans le triomphe de lentre-prise comme modle dorganisation des socits humaines.

    1. Le Grand Bestiaire des entreprises, Philippe Escande, Eyrolles Les chos, 2009.

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    Lentreprise au centre de nos vies

    Pourtant, si lon prend un peu de recul, en se reportant seule-ment vingt ans en arrire, ce phnomne passionnant simpose avec la force dune vidence. Lhistorien Flix Torrs laffirme sans ambages : Quoi de neuf ? Lentreprise ! Voil bien la triom-phatrice du nouveau monde qui a merg la fin du XXe sicle, porte par cette mondialisation brassant partout hommes, cultures, socits, conomies et dont on peut considrer quelle achve dj, de 1989 2009, sa seconde dcennie dexistence1. Il souligne une ralit que nous ne percevons plus tant nous lavons int-gre comme normale et habituelle : lessentiel de ce que nous faisons au fil de la journe et de ce que nous consommons au cours de lanne est conu, cr, propos par des entre-prises. Bien sr, lentreprise figure au centre des moments que nous consacrons au travail. Mais elle demeure galement trs prsente dans nos moments de repos et de dtente. Est-ce utile de le rappeler ? La sphre marchande a donn naissance ce que lon a appele la socit du loisir . En ralit, len-treprise a peu peu faonn la faon dont nous vivons. Elle nest pas seulement la force organisatrice de notre monde ; bien des gards, elle est aussi celle de nos vies.

    Pour Andre Sol, sociologue et conomiste enseignant HEC-Paris ainsi qu luniversit Paris I Panthon-Sorbonne, cette dynamique historique constitue une entreprisation du monde2 quil caractrise par un double mouvement dex-tension. Dune part, ce mode dorganisation sest tendu la quasi totalit de la plante, suite leffondrement de lURSS et la conversion de la Chine lconomie de march ; dautre part, l o elle existe, lentreprise, prend en charge toujours plus dactivits et de relations humaines3 .

    1. Repenser lentreprise. Saisir ce qui commence, vingt regards sur une ide neuve, Andre Sol, sous la dir. de Jacques Chaize et Flix Torrs, Association Progrs du Management, Le Cherche Midi, 2007.2. Repenser lentreprise, op. cit.3. Ibid.

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    Ladministration sessaie la culture du rsultat

    Le mouvement de privatisation des services publics connat peu de limites puisquil stend mme aujourdhui aux acti-vits rgaliennes comme la chose militaire. Sur de nombreux thtres doprations, les forces armes occidentales sont maintenant paules par des Socits Militaires Prives (SMP) dont les combattants sont des salaris. Le phnomne est tout sauf anecdotique : en 2007, sur le seul territoire irakien, on recensait plus de 130 000 combattants privs !

    Autre phnomne soulign par le sociologue : Lentreprise devient toujours plus le modle oblig des autres organisations de lactivit humaine []. Nous assistons ainsi la pntration dans les autres organisations du langage, des mthodes, des techniques, des pratiques propres lentreprise1. Cest le cas des admi-nistrations qui, sous linfluence de la doctrine du New Public Management, se voient progressivement imposer des normes de gestion directement inspires de celles en vigueur dans les entreprises prives comme, par exemple, la culture et la mesure du rsultat.

    Sur ce sujet, il ne faut nanmoins pas se mprendre : ce mouvement de rforme nest pas seulement impuls par la hirarchie ou les autorits de tutelle. Lorsquelle est mene de faon intelligente, progressive et raisonne, cette moder-nisation des modes de management et dorganisation peut bnficier du soutien des cadres et des salaris de la fonction publique. Un grand nombre dentre eux vivaient ou vivent encore la rigidit administrative et le caractre quasi militaire de leur organisation comme un carcan bridant leur capacit dinitiative. Lorsque les mthodes importes du priv offrent aux travailleurs du secteur public un surcrot de souplesse au quotidien et davantage de perspectives dvolution de carrire, ils soutiennent toujours la rforme et y trouvent mme une

    1. Refuser lentreprise, op. cit.

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    forme de fiert. Cet aspect nest pas le moindre. Jai en effet pu constater, notamment lors du recrutement de cadres et de salaris issus dentreprises publiques, que nombre dentre eux souffraient de la mauvaise image associe leurs structures dorigine. Lorsque ladoption de mthodes issues du priv dbouche sur un renouvellement de limage de marque de leurs structures et surtout sur une amlioration du service offert, les salaris y sont donc souvent favorables.

    Ainsi, dans le secteur du transport, je pense que ce regain de fiert explique notamment pourquoi le mouvement de rforme engag depuis 2003 par Jean-Paul Bailly a t finale-ment bien reu par les postiers. Comme les mutations deman-des dbouchaient sur une amlioration du service, elles ont t finalement mieux acceptes par les agents que ne le crai-gnaient certains observateurs. Il ne faut donc pas se tromper : tous les salaris sont attachs au travail bien fait et lorsque des rsistances aux modes de gestion du priv se manifestent, elles ne sexpliquent pas seulement par des postures corpora-tistes. Elles expriment aussi la crainte fonde ou non que la rforme ne dbouche sur un appauvrissement de qualit du service rendu aux usagers.

    Lassociatif devient une affaire dentrepreneurs

    Les blocages sont donc surmontables, car, globalement, les modes dorganisation issus de lentreprise ont plutt fait la preuve de leur efficacit. Ils permettent, le plus souvent, de rendre un meilleur service. Cest pourquoi, ils ne cessent de stendre, y compris dans le monde associatif qui compte dsormais en France plus de 1,5 million de salaris, soit un effectif quivalent celui de la fonction publique territoriale ! Docteur en sociologie de lcole des Hautes tudes en Sciences Sociales (EHESS) et auteur dun ouvrage de rfrence sur le sujet, Matthieu Hluy estime quen la matire, la vritable

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    tendance rside dans le processus de conversion des associations relevant de la loi de 1901 en entreprises associatives1 . De fait, on recensait 120 000 associations employant du personnel salari en 1990 contre 172 000 quinze ans plus tard. Pour Matthieu Hly, il sagit dune vritable mtamorphose : Loin des images dpinal, des bons sentiments et de la charit des dames patronnesses, le monde associatif sest profondment transform, professionnalis et technicis. Et il conclut : la gestion dune organisation relevant de la loi de 1901 requiert dsormais des comptences de manager2.

    Finalement, lentreprise est donc bien devenue, selon le mot dAndre Sol, la principale force organisatrice de notre monde, prenant la place centrale autrefois occupe par dautres insti-tutions comme lglise ou ltat. La mondialisation a dailleurs encore renforc et acclr ce processus, se traduisant en effet par une modification du rapport de forces entre les puis-sances publiques et les entreprises. De faon certes rductrice mais combien frappante, une tude ralise il y a quelques annes soulignait que parmi les 100 plus grandes puissances conomiques de la plante, on comptait 51 entreprises contre 49 tats3

    La mondialisation, cration du pouvoir politique

    Bien entendu, ce constat nourrit toute une littrature hostile lentreprise, notamment dans les milieux qualifis daltermon-dialistes. Ces derniers tendent dcrire cette monte en puis-sance des entreprises comme un hold-up, voire comme tant

    1. Les Mtamorphoses du monde associatif, par Matthieu Hly, Presses universitaires de France, 2009, cit in Symbiose, La lettre de veille et danalyse de la Socit de Banque et dExpansion, avril 2010.2. Ibid.3. Top 200: The Rise of Corporate Global Power, Sarah Anderson, John Cavanagh, Institute for Policy Studies, 2000.

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    Notre propos ne sinscrit nullement dans cette vision idolo-gique et quelque peu paranoaque. En effet, les dcisions qui ont abouti au triomphe de lentreprise et au dveloppement de la mondialisation nont pas toutes leurs sources dans les milieux daffaires, bien au contraire !

    Pour dmler les causes qui ont abouti la mondialisa-tion conomique, un bref rappel historique simpose. On a coutume de dire que la mondialisation est ne avec la chute du mur de Berlin et leffondrement de lUnion sovitique. En ralit, elle est ne quelques annes auparavant, de la rivalit entre le bloc occidental et le bloc sovitique. On loublie trop souvent aujourdhui : la fin des annes 1970, lAmrique doute delle-mme et le monde doute de lAmrique. Le traumatisme du Vietnam est encore bien vif et lURSS semble engranger les succs, si bien que de nombreux experts craignent quelle ne finisse par triompher. Le climat est alors dautant plus morose quau sein mme du camp occidental, il faut compter avec un Japon dont le dynamisme industriel et lagressivit commer-ciale inquite lEurope, mais davantage encore lAmrique.

    Cest dans ce contexte de rcession conomique, de dpres-sion morale et de rivalits internationales que sont arrts, aux tats-Unis, les choix politiques conomiques qui donne-ront naissance la mondialisation : alliance avec la Chine et drgulation des marchs. Comme le rappelle Jean-Michel Quatrepoint dans un rcent ouvrage1 (ancien directeur de la rdaction de LAgefi), cest cette poque que se noue un deal tacite entre les tats-Unis et la Chine pour contenir tout la fois la menace militaire sovitique et la menace conomique japonaise. partir de 1978, lorsque Deng Xiaoping accde au pouvoir Pkin, les tats-Unis dcident de soutenir les

    1. La Crise globale, Jean-Michel Quatrepoint, Mille et Une Nuits, 2008.

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    ambitions de lEmpire du Milieu, sa conversion progressive lconomie de march et son intgration dans le commerce mondial. Un choix dautant plus rvolutionnaire que, simul-tanment, Washington entend drguler dun mme mouve-ment son march intrieur et les changes mondiaux.

    Le nouvel impratif : sadapter pour survivre !

    Ici encore, les arrires penses gopolitiques ont compt. Lorsque Ronald Reagan devient prsident des tats-Unis, son postulat est clair : Des entreprises trop grandes, des syndicats trop puissants, une part du travail trop importante dans la valeur ajoute, un tat obse conduisent la sclrose et font le jeu de lURSS. La solution ? Revenir aux sources du libralisme : concur-rence outrance, drglementation, limitation du rle des tats, dveloppement des changes1.

    La mondialisation rsulte donc dabord de considrations stratgiques. Son coup denvoi a t dcid entre les murs de la Maison Blanche et non au sein des conseils dadministra-tion des grandes entreprises. Ces dernires furent dailleurs les premires faire les frais de cette nouvelle politique dont lun des volets consistait dmanteler les monopoles jugs nfastes pour le dynamisme conomique au moyen dun renforcement des lois anti-trusts. Les gants que sont American Telephone & Telegraph (AT&T) et, dans une moindre mesure, IBM lont aussitt appris leurs dpens.

    En ralit, les entreprises ont t places dans lobligation absolue de sadapter de nouvelles rgles du jeu dictes par le pouvoir politique. Si elles apparaissent aujourdhui juste titre comme les principales bnficiaires de ce nouveau monde, cest avant tout grce lextraordinaire agilit dont elles ont fait preuve pour sadapter ce nouvel environnement

    1. La Crise globale, op. cit.

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    Cest l que rside, mon sens, le triomphe de lentreprise comme modle dorganisation : son agilit et sa formidable capacit se transformer continuellement lui permettent de rpondre au mieux tous les changements auxquels elle est accule. Les entreprises sont gntiquement programmes pour analyser le monde sous langle des partis tirer dune situation. Dans une enqute mondiale ralise en 2008 par IBM, 98 % des 1 130 dirigeants dentreprises interrogs esti-maient devoir faire voluer leur business model sous trois ans ! Et parmi les principaux facteurs de changements invoqus, ils citaient lvolution des marchs (48 % de rponses) et des technologies (35 %), mais aussi lvolution des comptences et des aspirations humaines (48 %)1. En effet, contrairement aux strotypes vhiculs, les entreprises portent galement une attention soutenue aux mutations sociologiques et nhsi-tent pas se rinventer pour en tirer parti.

    Lentreprise face aux mutations du march

    Ainsi, pour prendre un exemple concret, lentreprise que jai dirige pendant douze ans en France, TNT Express, est un des leaders du transport express. Nous nous situons donc au cur des changes conomiques, une place privil-gie pour observer la faon dont les entreprises voluent. Nous avons ainsi remarqu quelles sont moins centralises et sdentaires quauparavant et que leurs membres sont de plus en plus mobiles, autonomes et itinrants. Cest pour-quoi, en plus de la livraison sur sites, nous avons dcid, en 2003, de nous appuyer sur un rseau de plusieurs milliers de commerants afin de permettre aux destinataires de rcuprer aisment leurs envois lorsquils sont absents. Cette volution

    1. The Entreprise of the Future, IBM Global CEO Study, 2008 (www.ibm.com/fr).

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    Enfin, fort des possibilits offertes par ce nouveau rseau, nous nous sommes positionns sur le crneau porteur du e-com-merce en pleine expansion. En effet, laccord conclu permet-tait doffrir une solution de livraison permettant 85 % de la population franaise de se situer moins de 5 kilomtres dun commerant partenaire et, ainsi, de nous positionner sur le march du b to c, domaine rserv jusque-l aux postes nationales.

    Tout cela peut sembler anecdotique, mais ne lest absolument pas : ces solutions sont indispensables au dveloppement du e-commerce qui connat depuis plusieurs annes un fort dveloppement. En effet, lorsque lon voque le commerce lectronique, on oublie trop souvent que lachat de produits en ligne nest dmatrialis que dans sa phase dachat. Ensuite, une fois la transaction conclue, il est impratif dacheminer les produits achets aux clients dans les meilleurs dlais et dans des conditions optimales. Tous les gestionnaires de sites de vente en ligne le rptent : la rapidit de livraison est cruciale. Quelle soit dfaillante et tout ce modle cono-mique seffondre. De la mme faon, la possibilit offerte aux travailleurs itinrants de se faire adresser des colis au fil de leurs dplacements complte utilement la fluidit de linfor-mation offerte par les technologies numriques dont ils sont pourvus. En faisant voluer leurs services pour sadapter aux nouvelles attentes des consommateurs et des professionnels, en exploitant les possibilits offertes par les nouvelles techno-logies, les entreprises comme TNT Express rpondent donc aux besoins qui rsultent de nouvelles faons de travailler et de consommer.

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    Lentreprise dans la socit en rseau

    Mieux que dautres types dorganisations, les entreprises ont su tirer les consquences de lmergence de la socit en rseau dcrite, en 1999, par le sociologue espagnol Manuel Castells1. Constatant lessor des dlocalisations, la globalisa-tion de la finance et la flexibilit des organisations, cet ensei-gnant luniversit de Berkeley remarque que les entreprises ont subi une profonde mtamorphose : elles ne sont plus organises selon une logique de lieu, mais selon une logique de flux de capitaux, dinformations, de technologies2 Autrement dit, en quelques annes seulement, les entreprises se sont trans-formes pour tirer le meilleur parti de la mondialisation et des nouvelles technologies. Simultanment, elles sont aussi parvenues rpondre de profondes mutations sociologiques comme la qute dautonomie, dindividualisme, de libert et de crativit qui, en Occident, ont fait vaciller dautres institu-tions comme ltat ou la famille.

    Pour reprendre le titre du clbre ouvrage de Luc Boltanski et ve Chiapello, les entreprises ont suscit un nouvel esprit du capitalisme3 . Dans ce livre paru juste aprs le trentime anni-versaire de Mai 68, les deux sociologues constatent que les critiques adresses une socit juge conservatrice, alinante et touffante ont t rcupres par lentreprise. Loin de se rfrer encore des valeurs autoritaires, paternalistes, hirar-chiques et pyramidales, lentreprise a en effet dvelopp, dans son management une nouvelle vision fonde sur le libre enga-gement des individus, le dveloppement de leur potentiel et de leur autonomie, comme le remarquait lauteur dun rcent dossier du magazine Sciences Humaines : Selon cette vision, ce qui fait la valeur des hommes, cest leur capacit utiliser

    1. La Socit en rseaux, Tome 1 Lre de linformation, Manuel Castells, Fayard, 1999.2. Ibid.3. Le Nouvel Esprit du capitalisme, Luc Boltanski et ve Chiapello, Gallimard, 1999.

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    leurs rseaux pour se connecter des projets, puis sen dcon-necter pour mieux en lancer de nouveaux. Un contraste saisissant par rapport aux annes 1960 : au cadre mritant et responsable inscrit dans la hirarchie, succde la figure du manager, leader charismatique, mobile (gographiquement et mentalement), et visionnaire1.

    Lentreprise face des demandes toujours plus pressantes

    Ici encore, les entreprises ont dmontr leur formidable capa-cit innover pour rpondre avec inventivit une demande sociale, exprime cette fois non par ses seuls clients, mais par ses salaris et le corps social tout entier. Si lentreprise est devenue, au fil des trente dernires annes, la principale force organisatrice de notre monde , cest donc aussi en raison de son rel pouvoir de sduction et parce quelle repr-sente pour nos contemporains le meilleur moyen dassouvir ses besoins et ses aspirations de tous ordres. Il est ainsi frap-pant de constater quen pleine crise conomique et financire, les Franais nont jamais t aussi nombreux vouloir crer leur entreprise et que le terme entreprise voque pour 6 % dentre eux quelque chose de positif . De mme, sil sagit damliorer le fonctionnement de lconomie de march , 43 % des Franais affirment faire confiance aux entreprises, tandis que seuls 23 % pensent de mme de ltat2

    Ce constat ne doit en aucun cas aboutir une quelconque auto-clbration strile de la part des dirigeants. Elle doit plutt aboutir une prise de conscience quant aux attentes immenses qui psent sur les entreprises. Les Franais, comme les autres peuples, ne prtendent pas que lentreprise leur

    1. Le clash des ides. 20 livres qui ont chang notre vision du monde , in Sciences Humaines, hors-srie, janvier 2010.2. Les Franais et lconomie de march , sondage Opinion Way/Fondation Croissance Responsable, fvrier 2010.

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    convient dans son tat actuel, mais ils affirment quils lui font simplement confiance pour se rformer et trouver des rponses adaptes aux nouveaux dfis conomiques, sociaux et managriaux qui closent chaque jour. Ne nous leurrons pas : il sagit l dun dfi redoutable ! Car si les entreprises ne tiennent pas leurs promesses, les louanges dhier se transfor-meront en critiques dautant plus acerbes et violentes que les espoirs placs en elles ont t dmesurs. Or, il semble que ce processus a dj commenc.