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SFEN/GR21 décembre 2013 Panorama mondial des hydrocarbures et perspectives 1 Depuis une dizaine d’années le panorama des énergies en général, et des énergies fossiles, est en pleine évolution. Fragilité politique de certaines zones du globe, émergence des hydrocarbures non conventionnels et des ENR, prises en compte très diverses de la question climatique (ou non prise en compte !), crise économique impactant les capacités d’investissement. Alors que de nombreux pays s’adaptent à ces évolutions l’Europe (et la France) poursuivent une stratégie qui remonte à 10 ans et semblent ignorer les risques et opportunités qui se présentent. L’affaire du gaz de schiste en France en est un exemple frappant, ainsi que l’offensive menée contre le nucléaire. Que représentent les hydrocarbures dans la consommation d’énergie mondiale ? Quels sont les flux d’échange ? Quelle est la nouvelle donne depuis l’exploitation des hydrocarbures de schiste ? Quelles conséquences sur l’économie mondiale à terme ? Quels risques se profilent ? Le niveau d’incertitude est élevé mais il est utile d’examiner les tendances lourdes actuelles. 1. Situation actuelle et évolution Les consommations mondiales d’énergie et de combustibles fossiles continuent leur croissance ainsi, parallèlement, que les émissions CO2 : Selon l’International Energy Agency (IEA) 2 le monde n’est pas en voie d’atteindre l'objectif fixé par les gouvernements de limiter à 2 degrés Celsius (°C) la hausse à long terme de la température moyenne mondiale. Les émissions globales de gaz à effet de serre sont en augmentation continue et, en mai 2013, le niveau de dioxyde de carbone (CO 2 ) présent dans l'atmosphère a dépassé les 400 ppm ( parties par million) pour la première fois depuis plusieurs centaines de milliers d'années 3 . Les émissions mondiales de CO 2 liées à l'énergie ont augmenté de 1,4 % en 2012, pour atteindre le seuil historique de 31,6 gigatonnes (Gt). Les pays non membres de l'OCDE représentent aujourd'hui 60 % de ces émissions, alors que ce chiffre n'était que de 45 % en 2000. 1 Mise en forme par Alain de Tonnac et Jean-Pierre Pervès 2 Redéfinir les cont o urs du débat éner gie- clima t : Édition spéciale du World Energy Outlook 3 Sur la base des politiques actuelles ou en cours de mise en place, les températures moyennes du globe pourraient augmenter à long terme de 3,6 °C à 5,3 °C par rapport aux niveaux préindustriels, avec des répartitions très inégales selon les latitudes.

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SFEN/GR21 décembre 2013

Panorama mondial des hydrocarbures et perspectives1 Depuis une dizaine d’années le panorama des énergies en général, et des énergies fossiles, est en pleine évolution. Fragilité politique de certaines zones du globe, émergence des hydrocarbures non conventionnels et des ENR, prises en compte très diverses de la question climatique (ou non prise en compte !), crise économique impactant les capacités d’investissement. Alors que de nombreux pays s’adaptent à ces évolutions l’Europe (et la France) poursuivent une stratégie qui remonte à 10 ans et semblent ignorer les risques et opportunités qui se présentent. L’affaire du gaz de schiste en France en est un exemple frappant, ainsi que l’offensive menée contre le nucléaire.

� Que représentent les hydrocarbures dans la consommation d’énergie mondiale ? � Quels sont les flux d’échange ? � Quelle est la nouvelle donne depuis l’exploitation des hydrocarbures de schiste ? � Quelles conséquences sur l’économie mondiale à terme ? � Quels risques se profilent ?

Le niveau d’incertitude est élevé mais il est utile d’examiner les tendances lourdes actuelles.

1. Situation actuelle et évolution

Les consommations mondiales d’énergie et de combustibles fossiles continuent leur croissance ainsi, parallèlement, que les émissions CO2 :

Selon l’International Energy Agency (IEA)2 le monde n’est pas en voie d’atteindre l'objectif fixé par les gouvernements de limiter à 2 degrés Celsius (°C) la hausse à long terme de la température moyenne mondiale. Les émissions globales de gaz à effet de serre sont en augmentation continue et, en mai 2013, le niveau de dioxyde de carbone (CO2) présent dans l'atmosphère a dépassé les 400 ppm (parties par million) pour la première fois depuis plusieurs centaines de milliers d'années3. Les émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie ont augmenté de 1,4 % en 2012, pour atteindre le seuil historique de 31,6 gigatonnes (Gt). Les pays non membres de l'OCDE représentent aujourd'hui 60 % de ces émissions, alors que ce chiffre n'était que de 45 % en 2000.

1 Mise en forme par Alain de Tonnac et Jean-Pierre Pervès 2 Redéfinir les contours du débat énergie-climat : Édition spéciale du World Energy Outlook 3 Sur la base des politiques actuelles ou en cours de mise en place, les températures moyennes du globe pourraient augmenter à long terme de 3,6 °C à 5,3 °C par rapport aux niveaux préindustriels, avec des répartitions très inégales selon les latitudes.

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- Aux États‐Unis, la substitution du charbon par le gaz pour la production d’électricité a permis de réduire les émissions de 200 millions de tonnes (Mt), les ramenant à leur niveau du milieu des années 1990

- Au Japon, les émissions ont connu une augmentation de 70 Mt, malgré les efforts mis en place pour améliorer l'efficacité énergétique, suite à l’arrêt du nucléaire.

- Contre toute logique climatique, on assiste à un retour sur le charbon pour des raisons strictement économiques (Ex : Allemagne).

- En 2020 les émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l'énergie dépasseront de près de 4 Gt équivalent CO2 la trajectoire permettant d'atteindre l'objectif des 2 °C. En 2035 les pays hors OCDE seront devenus les principaux émetteurs et auront rejeté autant de CO2 que l’OCDE :

Emissions cumulées de CO2 par période (source IEA 2013)

L’IEA en déduit 4 priorités et propose les objectifs suivants, assez différents de ceux proposés par la Communauté Européenne:

- Priorité à l’adoption de mesures spécifiques en faveur de l'efficacité énergétique : 49 % des réductions d'émissions avec une réduction des émissions mondiales de 1500 Mt en 2020, - Limitation de la construction et de l'utilisation des centrales à charbon les moins efficaces : 21 % des réductions soit - 640 Mt en 2020, - Diminution des émissions de méthane (CH4) dans la production gazière et pétrolière en amont : diminution de 18 % des émissions qui seraient pratiquement réduites de moitié en 2020, soit – 550 Mt, - Accélération de la réduction (partielle) des subventions à la consommation de combustibles fossiles : réduction de 12 % des émissions, soit – 360 Mt d'ici à 2020.

Il semblerait que les politiques, en France en particulier, n’ont pas perçu que le paysage des énergies fossiles avait considérablement évolué depuis une dizaine d’années. Depuis 2005 trois grandes périodes ont en effet marqué le paysage énergétique. A - Périod e de référence 2005/2008 : Les USA sont un vortex d'énergie, aspirant de nombreux flux vers eux, bruts et produits, (essentiellement essences - déficit de 10%). Ils tirent leur électricité surtout du charbon, et un peu du nucléaire. Les USA prennent conscience de leur vulnérabilité et initient plusieurs types de mesures avec en particulier une préparation à des importations massives de GNL, des efforts sur les économies d'énergie, en particulier sur les véhicules, le développement des biofuels, et en encouragent le doublement de Panama pour assurer des transferts est/ouest (gazole en particulier). Ils se préoccupent peu du C02 et continuent la « politique CARTER » au Moyen-Orient pour assurer leur approvisionnement énergétique. L'Europe, exportatrice d'essence est lourdement importatrice de gazole (ex URSS). Sa politique énergétique est peu établie, comptant à la fois sur l'éolien, le photovoltaïque, les biocarburants et bien sûr le charbon et autres lignites. Cela ne l'empêche pas, en plus de sa vulnérabilité vis-à-vis du gazole, d'organiser une dépendance au-delà du raisonnable de ses besoins en gaz à partir de Russie. Elle n'anticipe pas la surconsommation de gazole sur le bassin atlantique, et néglige le développement des véhicules hybrides.

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L'Extrême- Orient (la Chine et l'Inde surtout) est un vortex entraînant un flux d'investissements occidentaux, et d’importation de matières premières et énergétiques; une création massive de capacités en tous genres (énergie, raffinage, construction, infrastructures, usines...) prépare une surcapacité régionale quasi certaine. Ceci est aggravé par les investissements au Moyen-Orient destinés à alimenter ces marchés et pouvant aboutir à d'autres flux infaisables (par exemple saturation du détroit de Malacca). L'Afrique se débat dans ses problèmes mais ses matières premières suscitent de l'intérêt et son potentiel agricole attire Chine et Corée.

B - Période de mutation 2008/2012 La crise des subprimes met un coup de frein brutal à l'économie mondiale et bien sûr à celle des USA. Mais les mesures prises par les USA lors de la période précédente portent leurs fruits et l’exploitation d'hydrocarbures «non conventionnels» se développe massivement. Le prix de l'énergie « gaz » devient localement le tiers de celui du pétrole.

En parallèle l'Extrême-Orient et les pays émergents continuent à surproduire, surconsommer et installent les conditions d’une apparition de problèmes sociaux. Le monde Arabo-musulman «productif» en est la première victime. Les réactions de l’Europe occidentale sont globalement molles.

C - Période d'inversion des flux La réaction de l'industrie US est, comme à son habitude, très rapide. Le développement du gaz et du pétrole de schiste et le résultat des mesures prises aboutissent peu à peu aux inversions de flux suivantes : les installations d'import de GNL seront progressivement transformées en usines d'exportation4, la chimie s'alimente en éthane provenant du gaz de schiste et devient très compétitive pour le marche intérieur (et peut être à l'export), tous les arbitrages possibles pétrole/gaz sont mis en place, ce qui fait tomber les prix du brut de 20 a 25 $ sous le prix européen tout en maintenant le prix du gaz à 1/3 de celui du pétrole. La demande et donc le prix du charbon chutant, celui-ci est exporté, en particulier en Europe. Le brut étant moins cher et les raffineries US fonctionnant au gaz, l'exportation de produits pétroliers devient compétitive et des flux s'installent sur le bassin atlantique, repoussant les produits russes et indiens vers d'autres marchés. O n p e u t envisager à l’horizon 2017/2020 une indépendance énergétique US totale et des capacités d’exportation du brut (ou des produits). Ceci peut créer u ne i n ve rs i on d es f l ux ac t u e ls t r a ns c o n t in e n t aux . On assiste à des relocalisations de productions aux USA dont le gap de compétitivité avec la Chine n'est plus que de 7%, en diminution grâce a la baisse du coût de l'énergie.

L'EUROPE, à quelques exceptions près, semble ne pas prendre conscience de cette nouvelle donne et se prépare probablement de mauvais jours. L'Allemagne, la France, l'Italie voient leur prix de l'électricité monter rapidement, en particulier en raison du développement des ENR électrogènes et de celui des combustibles fossiles, rendant inévitables des mutations douloureuses (chimie de base, aluminium, électrochimie, industries pétrolières).

Les BRIC's 5 vivent une inflexion dans leur développement car ils sont en proie à des problèmes internes (sociaux au Brésil, de profil démographique en Russie et en Chine). L'Inde semble plus sage et contient prudemment sa croissance mais n'est pas sortie de ses problèmes de société. Les flux entrants et sortants sont bien sûr impactés. L'arrivée de nouveaux émergents concurrence les «anciens émergents» (Tunisie, Egypte, Syrie.) englués dans leurs problèmes. Ceci a pour effet d'infléchir le marché des matières premières (voir les résultats d'ERAMET ou de Rio Tinto) et d'inverser dans une certaines mesure les flux d'investissements.

4 Sauf mise en place d’une politique protectionniste visant à garder des réserves stratégiques importantes 5 Brésil, Russie, Inde, Chine.

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2. Quelles évolutions prévisibles

Cette nouvelle donne peut avoir plusieurs conséquences dont la violence n'est pas prévisible: à titre d’exemple deux scénarios peuvent apparaitre

SCENARIO 1 :

- les USA, confrontés à leur problème de déficit et libérés de leur dépendance énergétique, pourraient se désengager de leur politique au Moyen-Orient (MO), coûteuse et plus forcément utile. Le prix de l'énergie étant un facteur de compétitivité important vis-à-vis de la Chine, ce désengagement, perturbant pour le MO, contribuerait à maintenir au moins dans un premier temps des prix élevés, ce qui ferait aussi l’affaire de la Russie.

- Devant ce risque, la Chine se lance dans un programme national «Hydrocarbures non conventionnels» et s’implique de plus en plus au MO.

décembre 2013 - La Russie est amenée à développer le même programme dans l'Oural ainsi que d'autres

pays (Algérie, Amérique du Sud, Estonie, RD Congo, AF du sud ...) rendant probable une surproduction.

novembre 2023 - Il peut en résulter des perturbations profondes au MO, économiques ou politiques, et

une remise en cause sérieuse des types et des localisations des investissements pétroliers et gaziers. Les prix peuvent s’effondrer sauf instabilité majeure au MO.

SCENARIO 2

- Pour des raisons internes, les USA continuent à jouer leur rôle au MO, connaissent une bonne croissance et continuent à améliorer leur efficacité énergétique. Le monde connait une relative stabilité politique. N’étant plus très actifs sur les marchés de l'énergie internationale leur impact devient marginal et le « fil de l'eau » s'installe pour les autres (volatilité forte, manque de visibilité). Il sera nécessaire de prendre des options lourdes voire de faire des virages à 180° dans l'approche énergétique.

- Les compagnies pétrolières (big four: -15%de la production mondiale -) se trouvent dans l'obligation de diminuer leur coût d'accès au brut dans le reste du monde et sont amenées à reconsidérer progressivement les méga-investissements offshore, en particulier en Afrique. Les compagnies nationales (85% de la production) s'alignent sous peine de marginalisation.

- L'intérêt de l'Afrique redevient terrestre et non offshore, - Une tension apparait sur le marché des forages d'exploration e t d ’ e x p l o i t a t i o n à l'image

des années récentes aux USA.

Il est probable que la réalité sera moins tranchée que dans ces deux scénarios hypothétiques, mais une tendance vers une baisse des prix des hydrocarbures devient possible, dont l’importance résultera de deux limites :

- La nécessité « sociale » de l'Iran, de l'Arabie Saoudite et d’autres pays similaires (comme l’Algérie) de maintenir un cours qui ne soit pas inférieur à 60/80$,

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octobre 2013 - la sensibilité de l'opinion des pays industrialisés au risque climatique qui, tout en

privilégiant le gaz, renforceront leur effort de sobriété énergétique avec comme conséquence une surproduction et une baisse des prix (sauf taxes bien sûr).

C’est donc une période de grandes incertitudes qui s’annonce, l’Europe continuant imperturbablement une politiquer esquissée il y a dix ans.

3. LA DEMANDE D’HYDROCARBURES L’IEA dans la dernière édition du World Energy Oulook (2013) présente une vision mondiale de la consommation d’énergie à moyen terme qui prend en compte ces évolutions potentielles, mais sans aller jusqu’à intégrer des bouleversements politiques majeurs, toujours possibles. La croissance de la demande d’hydrocarbure serait de 20% d’ici 2035.

Celle-ci serait limitée par un recours important aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique (mais dont le succès risque de n’être que partiel en raison de l’importance des investissements requis et la faible rentabilité), mais par contre serait tirée par les pays hors OCDE qui construisent de nombreuses nouvelles centrales. L’évolution du mix énergétique serait marquée par un développement du gaz et des énergies renouvelables.

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Le développement de capacités de production serait massif en Asie et en chute libre en

Europe et Amérique du nord.

Dans le même temps les flux commerciaux vont être profondément redistribués avec des USA autosuffisants, une Europe toujours très dépendante et l’Asie en pleine croissance. En ce qui concerne l’Europe, les « transitions énergétiques », initiées sont fondées sur des idées qui avaient encore cours en 2008. Tout a basculé depuis lors, et l’Europe est peut être en train de s’enfoncer dans une impasse énergétique qui pourrait se révéler extrêmement douloureuse. Face à des États-Unis conquérants, avec les hydrocarbures « de schistes », les coûts de l’électricité en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne augmentent dangereusement, mettant en danger l’économie et l’industrie européenne (chimie, aluminium, électrochimie, métallurgie, etc.) alors que l’industrie américaine trouve un nouveau souffle et que la compétitivité de l’Asie reste forte. De plus le cycle du pétrole est maintenant largement maîtrisé par les producteurs et l’industrie pétrolière européenne (et française en particulier) souffre de surcapacités, dans le raffinage en particulier (voir Petroplus).

4. Les réserves mondiales d’hydrocarbures Les hydrocarbures restent encore très subventionnés dans le monde. D’après l’IEA ils bénéficiaient de 544 milliards $ de subventions en 2012 alors que le monde n’a jamais été dans une période aussi longue de prix élevés du pétrole. Les réserves prouvées mondiales de combustibles fossiles sont en évolution continue car dépendant des découvertes offshore (Brésil, Guyane, Afrique de l’Ouest, Azerbaïdjan récemment), des techniques d’exploitation (la fracturation a accru les réserves exploitables), du prix de marché et du développement des réserves non conventionnelles. C’est ainsi que, malgré une consommation toujours croissante les réserves exprimées en années de consommation n’ont cessé d’augmenter depuis plus de 50 ans, malgré des messages très pessimistes. On annonçait il y a 20 ans du pétrole pour 40 ans seulement. En 2011 l’AIE6 estimait comme suit les réserves énergétiques hors renouvelables, aux conditions économique actuelles7 :

6 Agence internationale de l’énergie 7 En 1966, on estimait les réserves de pétrole à 35 ans. Dans les années 80, c’était 28 ans, et en 2011, 54 ans !

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L’émergence des hydrocarbures non conventionnels, gaz et pétrole, fait dire à certains aujourd’hui que l’épuisement des combustibles fossiles ne serait plus un problème pour deux ou trois générations8. C’est ainsi que les réserves de gaz non conventionnel seraient supérieures aux réserves conventionnelles (hors conditions économiques bien sûr, ce qui rend ces chiffres très incertains, même si l’exploration est loin d’être terminée) :

Réserves mondiales de gaz de schistes en milliards de m3 (AIE juin 2013)

Les réserves prouvées mondiales ont évolué comme suit depuis 20 ans d’après BP (2013)9, avec une croissance spectaculaire des réserves de pétrole et du gaz :

Évolution des réserves prouvées de pétrole de 1992 à 2012

8 De plus on peut reprendre le mot du cheikh Yamani: comme l'âge de pierre ne s'est pas arrêté par manque de pierres, l'âge du pétrole ne s'arrêtera pas par manque de pétrole mais par l'arrivée de nouvelles technologies le rendant obsolète. 9 BP statistical review of world energy 2013

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Évolution des réserves prouvées de gaz conventionnel de 1992 à 2012

Évolution des réserves prouvées de charbon (hors gaz de charbon) de 1992 à 2012

Les prix peuvent varier considérablement d’une zone géographique à l’autre en fonction des évolutions des flux mondiaux, des capacités de transport du gaz et du GNL, et des embouteillages dans certains passages (Panama, Malaga), souvent aux dépens de l’Europe et du Japon.

Flux d’échange de pétrole en 2012

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Flux d’échange de gaz en 2012

Si les États-Unis deviennent autosuffisants en 2017, alors que les flux mondiaux d’hydrocarbures convergent encore aujourd’hui pour une part significative vers eux, le seul moyen de maintenir le brut à un prix élevé, sera que « les autres » produisent moins ! Avec sa part de production de 45% du pétrole mondial, l’OPEP a longtemps « sauvé » le monde. Aujourd’hui, sa part est de 30%. Mais quand elle sera réduite à 20%, cela posera un problème. Le seul État qui a la capacité de contribuer à la régularisation de la production mondiale est l’Arabie Saoudite, qui a « besoin » d’un pétrole à plus 80$/bl pour maintenir son niveau de vie. Ils entrevoient une baisse de production, et préparent un plan social qui pourrait toucher près d’un million de travailleurs importés, sa propre population demandant du travail. Tout ceci va lui demander beaucoup d’investissements, d’autant plus qu’elle produit peu de gaz, et qu’elle se lance dans un grand programme d’exploration du gaz de schiste.

5. Le marché des hydrocarbures La géopolitique de l’énergie est extrêmement sensible. En ce qui concerne le pétrole le Moyen-Orient est le grand pourvoyeur actuel. Le Nigéria peut alimenter soit l’Europe soit l’Amérique. Mais le gros déficitaire est l’Europe. Avec 400 millions de bl/an de moins importés aux États-Unis, et l’Asie importatrice de 800 millions bl/an, la Chine va devenir un acteur majeur. D’où l’intérêt qu’ont les pays producteurs à faire payer à la Chine le plus cher possible son approvisionnement. L’Iraq va revenir dans le jeu, ainsi que l’Iran et il y a donc beaucoup de réserves « sous le pied ». Ou bien l’Arabie Saoudite arrive à réguler, et le baril restera autour de 100$, ou bien une crise politique s’installe au Moyen-Orient (les sources de conflit sont multiples) et l’avenir est sombre, et le prix de l’énergie s’envole à 200 $. S’il n’y a pas de crise au Moyen Orient et si l’Arabie Saoudite n’était plus en mesure de réguler, on peut prévoir par contre une chute du prix du baril.

octobre 2013 Dans le même temps le prix du gaz va confirmer sa tendance à rompre son alignement avec le prix du pétrole, perturbant ainsi encore plus le marché. Les flux véhiculés sous forme de gaz liquéfiés vont être substantiellement modifié :

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Que d’incertitudes, et que deviendra une Europe de plus en plus liée au gaz et peu apte à exploiter ses propres ressources potentielles d’hydrocarbures non conventionnels !

a. Le prix des hydrocarbures n’est pas le même pour tous L’écart des prix par zone est en particulier devenu très important pour le gaz, dont le prix se différencie de plus en plus de celui du pétrole, impactant la compétitivité des industries énergivores :

Évolution du prix du gaz depuis 1995 ($/Mmbtu)

Même si ces écarts de prix devraient s’atténuer progressivement les prix de transports du LNG resteront élevés et des disparités significatives de prix devraient subsister. En ce qui concerne le pétrole, quand nous payions le brut 125 $, les États-Unis le payaient 95 $. Tous les arbitrages entre gasoil et le (nouveau) gaz ont été faits en quelques années par les USA : quand ils ont commencé à passer au gaz de schiste, ils ont converti très rapidement tout leur système de production (fours industriels, centrales électriques, etc.) au gaz. Ils vont transformer certains ports importateurs de gaz en exportateurs, équipés de compresseurs installés aux terminaux si leur gouvernement ne limite pas les exportations pour préserver leurs réserves stratégiques. Du même coup, de déficitaires en gasoil, ils se retrouvent avec un excédent de gasoil. D’où la différence de prix du brut entre l’Europe et les États-Unis. Toutes les réserves de pétrole ne sont pas également au même prix. Le prix d’accès est autour de 20 $/bl pour les moins chers. Si le prix tombait, les réserves tomberaient. Mais on n’a pas encore tout vu des conséquences du gaz de schiste. Ce qui coûte cher, c’est forer en mer, quelle que soit la profondeur. Or les gaz de schistes se trouvent (jusqu’à présent) à terre et donc plus accessibles. Les sociétés pétrolières étaient estimées en fonction de leurs réserves. Maintenant, elles sont cotées selon leurs possibilités d’accès au brut mais, les temps de réponse étant assez longs, on ne connaît la situation financière réelle des sociétés que 5 ans plus tard. Par exemple le Brent de la Mer du Nord est passé par un maximum en l’an 2000. En 96, on s’est trompé sur ses réserves et la production russe a baissé pendant l’exploitation intensive de la Mer du Nord. Elle l’a remplacée progressivement par la suite, bien que le brut russe soit plus difficile à traiter (soufre, etc.), d’où les hausses des années 2000. En Europe et en France les raffineurs ont surinvesti en 2005, car on ne comptait que sur la Mer du Nord. Mais depuis la découverte de l’exploitation des gaz de schiste, toute la chimie à partir de

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l’éthylène est en grand danger (y compris en France : l’activité de la vallée du Rhône va s’en ressentir). Un autre exemple d’évolution rapide est celui des importations américaine de biens de Chine vers leur côte ouest : les fabrications « chinoises » étaient transportées de la côte ouest vers l’est par camion, d’où une consommation élevée de gasoil. Aujourd’hui, il n’y a plus que 7% de différence de prix de revient entre des objets fabriqués en Chine et aux États-Unis. Cette « remontée » est attribuable à la part énergie gaz entrant dans les fabrications. Actuellement, les Américains relocalisent car les courbes de coûts vont se « croiser ».

b. Le raffinage et ses contraintes Le transport est le royaume du pétrole. Il est raffiné en quatre sous-produits : essence, gasoil, jetfuel et fuel lourd. La difficulté vient de ce que la source – le brut – garde la même composition (même s’il y a des limites dans les processus de raffinage, selon sur la nature des bruts). Le raffinage se fait par arbitrage. Seuls le gasoil et l’essence sont mutuellement substituables lors du raffinage, donc « arbitrables ». Le produit le plus simple à produire est le jetfuel : mais il est aussi le plus cher car il présente un maximum de contraintes et n’est pas arbitrable, contrairement aux deux autres. Or les consommations d’essence varient d’un pays à l’autre : cela représente 50% des produits pétroliers aux États-Unis, 20% en Europe, mais 10% en France, à cause du développement du diesel (spécialités Renault et Peugeot), lié à une fiscalité très favorable. Martin Foltz, alors président de Peugeot -- grand partisan du diesel -- à qui on disait que le gasoil allait valoir aussi cher que l’essence avait répliqué : « l’industrie s’adaptera ». Or la réalité est qu’on ne peut pas déséquilibrer la production d’une raffinerie : le raffinage français produit un excès de fuel lourd, que nous exportons mais nous devons importer du diésel. La politique des constructeurs d’automobiles va devoir s’adapter entre les véhicules électriques (usage urbains), les véhicules hybrides, qui doivent être optimisés en fonction des parcours envisagés par les consommateurs (plus intéressants en cycles urbains qu’en cycle routier avec une répartition 20% électrique et 80% thermique et un stop and go), et en fonction des performances en termes de consommation des nouveaux véhicules C’est un chantier coûteux et risqué pour les entreprises nationales et leurs sous-traitants, d’autant plus que le pétrole est un produit d’une efficacité remarquable quand on note qu’en quelques minutes on fait le plein pour 1000 km10 et que le réseau de distribution est optimisé pour lui.

c. Rôle de la taxe CO 2 La taxe CO2 monétise l’intérêt de sortir une tonne marginale. Si le CO2 coûte plus cher que les derniers pourcents de la fabrication, on arrête de produire. C’est la notion de prix marginal. Si la tonne de CO2 continue à être si bon marché (5 €/t), personne ne freinera l’usage des hydrocarbures, sauf réglementations contraignantes (voir l’Allemagne avec ses 17 nouvelles centrales à charbon et au lignite en construction en 2012, soit 18 GW et ses 29 cycles combinés gaz pour 12 GW11).

d. Rôle des biocarburants Ils devraient rester très marginaux. Solution acceptable si on leur consacre des jachères, les biocarburants de première génération sont peu performants quand ils occupent de grandes surfaces de terres arables nourricières. D’où un coup de frein brutal en France. De même, ce qu’on peut attendre du biogaz est limité (en Allemagne 1,5% de leur bilan énergétique, mais avec usage de terres nourricières aussi). Les États-Unis ont fabriqué des carburants avec du blé … coté en bourse à Détroit. Les Indonésiens détruisent leurs forêts pour planter des oléagineux ... pour faire des biocarburants. Les brésiliens avec des surfaces par habitant 4 fois plus importantes que la France peuvent produire de l’alcool à partir de canne à sucre en rasant aussi des forêts. A titre d’exemple des limites des biocarburants, l’usage d’huile de palme pour faire du gasoil : il n’y a que 48 millions de tonnes de production d’huile de palme par an12 dans le monde alors qu’on produit

10 Alors qu’il faut plusieurs heures (ou dizaines d’heures) pour un « plein » de 1000 km en électricité. 11 Voir le rapport d’une commission sénatoriale sur la transition énergétique allemande (Energiewende) de novembre 2013 12 Production mondiale d’huile de palme 2010-2011 : 47,9 Mt. Dont Indonésie : 49%, Malaisie : 38%, Thaïlande : 2,5%, Nigéria : 1,8%, Colombie : 1,5%

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1 milliard de tonnes de gasoil. Ainsi, les biocarburants se révèlent généralement pour partie une fausse bonne idée même si les 2ème et 3ème générations donnent quelques espoirs, cependant modestes.

6. CONCLUSION Le monde des hydrocarbures est très mouvant et relativement peu prédictible compte tenu de son rôle dans la compétitivité des pays (chacun jouant pour soi) et des incertitudes politiques, au Moyen Orient en particulier. Les besoins vont cependant rester très importants car les pays émergents en auront un besoin vital pour leurs politiques sociales. En effet 1,3 milliard de personnes dans le monde n’ont pas l’électricité et 2,6 milliards ne disposent pas de combustibles « propres » pour leur cuisine d’après l’IEA. Il est inquiétant de constater que l’Europe, dont de nombreux pays ne disposent pas de réserves d’hydrocarbures, est peu réactive et reste sur une stratégie orientée vers une politique contraignante d’investissements peu rentables ou à très long temps de retour (efficacité énergétique et ENR) qui vont la fragiliser encore plus alors que ses capacités d’investissements sont insuffisantes. Elle risque en particulier de devenir très dépendante du gaz russe. Quand à la France ? Sa politique reste largement incompréhensible et déconnectée de toute réalité économique, sociale et environnementale équilibrée. Même si sa consommation de pétrole a diminué grâce aux performances des nouveaux véhicules, elle devrait voir sa dépendance au gaz croître parallèlement au développement des ENR électrogènes, alors qu’elle s’est même interdit d’évaluer son potentiel de gaz non conventionnel, qu’elle programme une baisse du nucléaire (l’ADEME propose l’arrêt de 30 réacteurs d’ici 2030) et a règlementé la construction du bâtiment, avec la RT 201213, en donnant un avantage consistant au chauffage au gaz.

13 Règlementation technique 2012 applicable à l’habitat